Trois fantômes et un mystère.

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Trois fantômes et un mystère.
• 1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9848
JEUDI 10 JANVIER 2013
WWW.LIBERATION.FR
L LES FEMMES DE SOLLERS, LA CHANSON DE ROLAND...
CAHIER
CENTRAL
Gendarmes tués au Rwanda
René Maier et Gilda et Alain Didot. PHOTOS DR
Un secret français
EXCLUSIF La mort inexpliquée de deux militaires et de l’épouse
de l’un deux, à Kigali en avril 1994, laisse planer de nouveaux soupçons
sur le rôle de la France à l’époque où le Rwanda a basculé dans le génocide.
PAGES 2­4
Olivier Schrameck au CSA:
une nomination très gauche
A Bordeaux,
un chai frais
archi frais
Mariage pour
tous: la PMA
sera hors la loi
Le choix de l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin pour
présider le Conseil supérieur de l’audiovisuel vient doucher
les promesses de totale indépendance de l’institution que François
Hollande avait faites durant la campagne.
PAGE 26
Pour servir leur image et leur
vin, de grands crus ont construit
dans leurs vignes des bâtiments
PAGES 28­29
remarquables.
Retoquable par le Conseil
constitutionnel, l’aide médicale
à la procréation sera intégrée
à une loi sur la famille. PAGE 10
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €,
Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA.
2
•
EVENEMENT
ÉDITORIAL
Par SYLVAIN BOURMEAU
Interrogation
Que peuvent bien peser
trois morts de plus
au regard des
800 000 victimes
du dernier génocide
du XXe siècle ? Pour
les proches de ces trois
Français assassinés à Kigali
en avril 1994, quelques
jours après l’attentat
contre l’avion du président
rwandais Juvénal
Habyarimana – deux
gendarmes et la femme de
l’un d’eux –, la question ne
se pose évidemment pas de
cette sinistre manière.
Du point de vue de la
vérité historique, il y a
également fort à parier
que ces trois morts,
de nationalité française,
occupent une place très
singulière. Et que, près
de vingt ans plus tard,
ils pointent le doigt,
de façon inédite,
vers notre capitale. C’est
en tout cas ce que semble
penser le juge Marc
Trévidic, qui a su relancer
une véritable enquête,
et auquel un médecin
militaire a confié que son
identité avait été usurpée
sur le certificat de décès
d’au moins une des trois
victimes. Ce faux grossier
et la pression des autorités
françaises sur des familles
sommées à l’époque
de renoncer à toute
demande d’explication
oblige désormais
à s’interroger autrement
sur les motifs et les
circonstances de ces
assassinats. Ces deux
gendarmes, chargés des
transmissions radio entre
l’ambassade de France et
l’armée rwandaise, ont-ils
écouté des conversations
qu’ils n’auraient jamais
dû entendre et qui
concernaient l’attentat
déclencheur du génocide ?
Après tant d’années
perdues par le juge
Bruguière, la justice est
peut-être enfin en mesure
de répondre un jour
prochain à ces questions.
Et, du même coup, de
préciser l’implication
et donc la responsabilité
de notre pays dans la
tragédie rwandaise.
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Le faux certificat de décès d’un gendarme français mort
en avril 1994 à Kigali après l’attentat contre l’avion du président
Habyarimana renforce les doutes sur le rôle de Paris.
Rwanda: trois fantômes
et un mystère
Par MARIA MALAGARDIS
L’ESSENTIEL
E
n enquêtant sur l’attentat contre
l’avion du président rwandais JuvéLE CONTEXTE
nal Habyarimana, le juge parisien
Dans le cadre de son enquête sur
Marc Trévidic a peut-être ressuscité
l’attentat contre l’avion du président
trois fantômes: ceux de trois Français, décérwandais, le juge Marc Trévidic a
dés dans des circonstances étranges, peu
découvert un faux document
après cet attentat mystérieux. Alain Didot,
qui fait peser des soupçons sur Paris.
gendarme, sa femme Gilda, et René Maier,
lui aussi gendarme, sont retrouvés morts
L’ENJEU
dans la villa des deux premiers à Kigali, les
12 et 13 avril 1994. Leurs corps sont rapatriés
La justice parviendra­t­elle enfin
en France, via Bangui en Centrafrique.
à mettre au jour le rôle de la France ?
Or, Libération est en mesure d’affirmer que
le certificat de décès d’au moins une de ses
trois victimes françaises est un faux. Pour ment clé de l’histoire du pays, basculant ausquelle raison rédiger un faux en écriture ? A sitôt après l’attentat dans un génocide.
l’issue d’une audition qui s’est révélée capi- Le faux certificat porte la signature du doctale, le juge l’aurait découvert presteur Michel Thomas qui, à cette
que par hasard. Dans un compte
ENQUÊTE époque, était effectivement basé à
rendu, reprenant l’essentiel du proBangui, devenue la plaque tourcès-verbal et que Libération a pu consulter à nante des évacuations du Rwanda en
Kigali, le juge Trévidic aurait jugé ces faits avril 1994. Entendu fin mai par le juge pari«gravissimes» et de nature à réorienter sa sien, l’ancien médecin militaire a été catégopropre enquête sur l’attentat, en s’interro- rique : il n’a jamais établi ce document qui
geant sur l’attitude de Paris lors de ce mo- évoque non pas René, mais «Jean» Maier.
REPÈRES
LE 6 AVRIL 1994
L’attaque contre l’avion du
président Habyarimana,
jamais revendiqué, sert de
prétexte aux extrémistes
hutus pour déclencher le
génocide contre les Tutsis.
Six Français sont morts:
l’équipage de l’avion, les
deux gendarmes et
l’épouse l’un d’eux.
OUGANDA
RD
TANZ
CONGO
RWANDA
NDI
BURUNDI
50 km
Kigali
L’expertise balistique
décidée par le juge Trévi­
dic est la première analyse
scientifique effectuée
par la justice française sur
les lieux du crash. Trévidic
s’est rendu à Kigali en 2010
avec les experts, qui un an
et demi plus tard, dési­
gnent Kanombe comme
le lieu «le plus probable»
du départ des missiles.
«Mes parents sont
décédés l’an passé
avec le chagrin
terrible de ne pas
connaître les vraies
raisons de la mort
de ma sœur.»
Gaëtan Lana frère de Gilda
Didot, assassinée à Kigali
avec son mari en avril 1994
800000
C’est le nombre de victimes lors du génocide
contre les Tutsis du Rwanda (le chiffre d’un million
de morts est également évoqué). Outre la minorité
tutsie, les auteurs des massacres ont également tué
tous les leaders de l’opposition hutue dès
le 7 avril 1994.
Bien plus, il aurait relevé plusieurs anomalies.
Il ne disposait pas du tampon officiel qui figure sur le certificat et établissait toujours ses
actes de façon manuscrite (contrairement au
faux présenté, tapé à la machine ou à l’ordinateur). Le médecin aurait également émis
des doutes sur la conclusion générale de ce
curieux certificat qui évoque un décès «accidentel», causé par des «balles d’arme à feu»,
sans détailler ou localiser le nombre
d’impacts.
«CHAGRIN». L’audition du docteur Thomas
jette ainsi un trouble singulier sur le rôle joué
par la France au moment de l’attentat. Car il
est évident qu’un faux certificat de «genre de
mort» concernant un militaire français n’a pu
être établi sans l’aval de certains responsables
à Paris. Or, ce curieux maquillage s’est accompagné à l’époque d’une volonté de faire
taire les familles des victimes. Gaëtan Lana,
le frère de Gilda Didot, s’en souvient encore:
«Quelque temps après l’enterrement, un haut
gradé est venu trouver mes parents et leur a fait
signer un papier dans lequel ils s’engageaient
à ne jamais entamer d’enquête sur la mort de ma
sœur. A l’époque, mes parents étaient dévastés
par le chagrin, ils ont signé.» Une injonction
au silence qui rappelle la situation vécue par
les familles françaises de l’équipage de
l’avion du président Habyarimana. Me Laurent Curt, avocat de la veuve du pilote, a raconté comment sa cliente avait été «encouragée à ne pas porter plainte» au lendemain de
l’attentat. Il faudra donc attendre quatre ans,
en 1998, pour qu’une instruction soit ouverte,
très opportunément au moment où se constitue la mission d’information parlementaire
sur le rôle de la France au Rwanda. Pourquoi
une telle chape de plomb? Qu’est-ce que Paris veut cacher dans ce drame? Et en quoi Didot et Maier peuvent-ils être concernés ou
impliqués dans la tragédie rwandaise ?
Arrivé au Rwanda en 1992, l’adjudant-chef
Alain Didot était conseiller technique chargé
des transmissions radio : il formait l’armée
rwandaise et assurait la maintenance des différents réseaux radio, de l’ambassade de
France, en passant par la mission de coopération française, jusqu’à l’armée rwandaise.
Il avait installé à son domicile tout un équipement qui lui permettait de suivre un large
éventail de conversations. Aurait-il surpris
des discussions qu’il n’aurait pas dû entendre? Notamment entre le 6 avril, jour de l’attentat, et le 8, date de son Suite page 4
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
3
L’enquête balistique a remis en question
les conclusions du juge Bruguière.
Un dossier
relancé par le
juge Trévidic
e cimetière du camp militaire de Kanombe à Kigali,
capitale du Rwanda, se
trouve dans une zone un peu excentrée, entre un champ de maïs
et une petite forêt. Juste en face de
la villa qu’occupait en 1994 le
docteur Massimo Pasuch, un coopérant belge. Un peu plus loin, on
peut encore voir la belle maison
blanche où logeait le commandant
Grégoire de Saint-Quentin, un officier français qui formait à l’époque le bataillon parachutiste de
l’armée rwandaise. Le médecin et
l’officier étaient chez eux le soir de
de la culpabilité du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion
opposée à Habyarimana qui a finalement pris le pouvoir après le
génocide. En 2006, juste avant de
passer le dossier au juge Marc Trévidic, Bruguière lance neuf mandats d’arrêt visant de hauts responsables du FPR, dont un contre
un officiel rwandais fictif supposé
être le «second tireur». Reste qu’en
aucun cas les rebelles du FPR
n’auraient pu s’infiltrer à Kanombe, bastion militaire d’un
pouvoir qu’ils combattaient. Avec
le rapport balistique, l’enquête
s’engageait donc sur
une autre piste: pour la
«Avec le juge Trévidic,
première fois, les soupl’instruction semble plus
çons basculaient vers
sérieuse que celle de Bruguière.» les ultras du régime Hae
byarimana qui auraient
M Laurent Curt avocat de la veuve
pu vouloir sacrifier leur
du pilote de l’avion qui s’est écrasé en 1994
chef à son retour d’une
ce 6 avril 1994, où l’avion du pré- conférence où il avait enfin acsident Juvénal Habyarimana a été cepté de partager le pouvoir.
atteint par des tirs de missiles peu «Vérité». Cette nouvelle orientaavant d’atterrir à l’aéroport tout tion de l’enquête ne fait pas que
proche. Il n’y aura aucun survi- des heureux. Certaines parties civant : ni parmi les trois membres viles ont aussitôt exigé une contrefrançais de l’équipage ni parmi les expertise. Pourtant, depuis
officiels rwandais.
l’ouverture de l’instruction
L’attentat, jamais revendiqué, va en 1998, les parties civiles, et donc
servir de signal pour déclencher les familles des victimes, n’ont jaimmédiatement le génocide contre mais réclamé d’expertise balistila minorité tutsie du Rwanda : que, faisant même preuve d’une
800 000 morts en trois mois. Qui passivité surprenante. En
a tiré ? D’où sont partis les missi- juin 2012, Trévidic rejette leur deles? Plusieurs hypothèses ont sus- mande de contre-expertise, sauf
cité des débats passionnés depuis sur un point: le réexamen de l’imprès d’une vingtaine d’années. pact du premier tir. Une concesMais il y a tout juste un an, en jan- sion visiblement insuffisante : les
vier 2012, un rapport d’expertise parties civiles concernées décident
balistique, le premier jamais effec- d’aller jusqu’à la chambre d’appel
tué, désignait le camp de Ka- pour obtenir gain de cause.
nombe, et surtout la zone du cime- L’audience aura lieu à Paris le
tière, comme lieu le plus probable 30 janvier. Mais toutes les parties
des tirs parmi les six successive- civiles ne sont pas sur la même
ment examinés par les experts. Les longueur d’ondes : ainsi la veuve
conclusions du rapport confirment de Jacky Héraud, le pilote de
également les témoignages de Pa- l’avion, ne s’est pas s’associée à ce
such et Saint-Quentin, bien des front du refus. «Ma cliente préfère
années auparavant, qui avaient rester en retrait, tout ce qui l’intétous deux déclaré avoir entendu de resse c’est la vérité sur la mort de
manière très proche le souffle de son mari», explique ainsi Me Curt,
départ des missiles. «Entre 500 et son avocat qui considère pour sa
1000 mètres», avait même précisé part qu’«avec le juge Trévidic l’insl’officier français.
truction semble plus sérieuse que
Infiltrer. Mais en désignant Ka- celle de Bruguière. Les choses vont
nombe comme le lieu de tir des plus vite». Et en évitant le mélange
missiles, l’enquête balistique sus- des genres: Bruguière avait engagé
cita surtout une petite révolution, un traducteur lié par mariage à
car elle remettait en cause les con- l’une des parties civiles, la famille
clusions antérieures du juge Bru- de président Habyarimana, qui
guière qui, sans s’être jamais s’était bien gardée de le signaler.
rendu au Rwanda, était convaincu
M.M.
L
Reproduction du faux certificat de décès du gendarme français René Maier, appelé «Jean».
PHOTO DR
Le juge antiterroriste Marc Trévidic menant son enquête aux abords de Kigali, le 16 septembre 2010. PHOTO MARC TERRIL. AFP
4
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
EVENEMENT
de décès, dont le faux concernant Maier, sont
datés du 6 avril, donc du jour de l’attentat.
Gaëtan Lana se souvient que, quelques mois
plus tard, ses parents ont soudain reçu un
nouvel «acte de décès», annoté de manière
manuscrite par le procureur de Nantes, qui
mentionnait un changement de date. En réalité, pendant plusieurs années, des responsables français vont, eux aussi, donner des dates
différentes, entretenant cette étrange confusion. Officiellement, le décès des trois Français n’est signalé que le 10 avril, lorsque les
Casques bleus belges de la Mission de l’ONU
pour l’assistance au Rwanda, la Minuar, sont
sollicités pour aller récupérer les corps.
Le 26 mai 1994, inspection des débris de l’avion du président Habyarimana, qui s’est écrasé quelques semaines plus tôt. PHOTO C. DUFKA. REUTERS
décès supposé ? Ce n’est
qu’une hypothèse. René Maier, lui, débarque
au Rwanda en septembre 1993. Apparemment, il est envoyé comme conseiller technique de police judiciaire. Mais il semble s’être
beaucoup occupé de transmission radio.
C’est ce que laisse entendre le supérieur des
deux hommes, le colonel Bernard Cussac,
alors chef de la mission de coopération militaire, qui désignera Didot et Maier, comme
«des transmetteurs» devant la mission d’information parlementaire.
C’est aussi ce que soutient le capitaine Zacharie Maboyi, rencontré à Kigali il y a un mois:
en 1994, cet officier était incorporé aux Forces
armées rwandaises et suivait des cours de
transmissions radio. Il connaissait bien Didot
et Maier, et affirme que les deux hommes
étaient tous deux chargés des transmissions.
D’après Maboyi, ils étaient également en contact régulier avec l’état-major rwandais, et
même avec le colonel Theoneste Bagosora, un
Suite de la page 2
officier à la retraite qui sera par la suite considéré comme «le cerveau du génocide».
Que savaient-ils ? Que soupçonnaient-ils
lorsque l’avion du Président est abattu, le
6 avril au soir? Didot et sa femme sont alors
de gendarmerie tout proche, pour rejoindre
les Didot et assurer «la veille radio». Mais en
réalité, personne n’a certifié avoir vu Maier
chez les Didot. A partir de là, tout est flou.
Longtemps a prévalu la thèse d’une «bavure»
du FPR, qui aurait tué les Didot et
Maier en les prenant pour des esPendant plusieurs années,
pions. Mais, dans ce cas, pourquoi
des responsables français vont, eux
Paris aurait-il empêché l’enquête?
aussi, donner des dates différentes
Pourquoi aurait-on établi de faux
concernant les certificats de décès,
certificats de décès ? La France
n’était pas l’alliée du FPR, bien au
entretenant cette étrange confusion.
contraire. Deux jours après l’atchez eux, non loin de l’Assemblée nationale, tentat, la zone est encore sous le contrôle des
le CND, où sont cantonnés les rebelles du Forces régulières rwandaise. Tôt le matin
Front patriotique rwandais (FPR) depuis la ce 8 avril, Alain Didot appelle les parents de
signature des accords de paix en 1993. sa femme. «Ils ont trouvé sa voix bizarre, tenComme les rebelles sont immédiatement ac- due. Et derrière lui, mes parents ont clairement
cusés d’être responsables de l’attentat par la entendu une voix d’homme qui répétait : “racradio officielle, le quartier est rapidement croche, raccroche”», se souvient Gaëtan Lana,
sous tension. Officiellement, René Maier le frère de Gilda. Didot est donc vivant le 8 au
quitte vite son domicile, situé dans un camp matin. Pourtant, les trois premiers certificats
«GÊNE FRANÇAISE». C’est le major belge Jean
Théry, un médecin militaire, qui est chargé
de l’opération. Dans des conditions difficiles,
car la villa des Didot se situe alors sur la ligne
de front entre FPR et armée rwandaise. Il devra se rendre à trois reprises au domicile des
Didot, entre le 11 et le 13 avril, avant de trouver les corps sommairement enterrés. A chaque fois, il y retourne «sur l’insistance des
Français». «On m’a suggéré de regarder aussi
dans le jardin», se rappelle-t-il. Il y trouvera
effectivement les corps. Mais qui est ce «on»
si perspicace? «Je ne me souviens plus, ça fait
près de vingt ans! Peut-être ce colonel français
avec qui nous étions en contact ?» suggère
Théry. Après tant d’années, il garde surtout
l’impression vague d’une «gêne française»
sur «cette drôle d’affaire, pas très claire».
Une impression partagée par les familles des
trois victimes. Hier, Gaëtan Lana a retrouvé
pour Libération le premier certificat de décès
de sa sœur : également signé par le docteur
Michel Thomas. Un faux de plus ? Ce document-là n’a pas été présenté au médecin par
le juge. Dans un dossier qui, depuis l’ouverture de l’instruction en 1998, a vu se multiplier les usages de faux – fausse boîte noire,
faux missiles, faux témoins–, ces certificats
de décès ne sont peut-être qu’une manipulation de plus. Mais aussi certainement un
nouvel indice qui pointe vers Paris pour
comprendre ce qui s’est passé dans le ciel du
Rwanda, ce 6 avril 1994, vers 20 h 30. A la
veille d’un génocide. •
Depuis près de vingt ans, les familles des trois victimes sont confrontées au silence des autorités françaises.
«On s’est très vite sentis abandonnés»
«C’
était son premier séjour en
Afrique, il était parti en
septembre 1993 pour trois
ans. Dans ses lettres, il avait l’air
heureux, il découvrait le pays», se
souvient Christophe Maier en évoquant la figure de son père René,
«un gendarme passionné par son
travail». Pour Christophe, qui avait
25 ans en 1994, «le deuil ne s’est jamais fait» : «On ne savait rien, on
s’est très vite sentis abandonnés»,
déplore-t-il. Il n’a jamais reparlé à
son père après l’attentat.
Dès le 7 avril, «un ami» de son
père, dont il ne se souvient plus du
nom, appelle la famille Maier pour
dire que tout va bien mais que les
communications téléphoniques
sont coupées et que son père est
juste isolé. Puis plus rien pendant
quelques jours : «Je me souviens
d’avoir entendu un officiel français
dire un jour qu’il n’y avait plus de
Français au Rwanda, qu’ils avaient
tous été évacués. Pourtant, nous, ma
mère, ma sœur et moi, on ne savait
toujours pas ce qu’était devenu mon
père !» Il y a eu ensuite un télégramme annonçant le décès, puis
la cérémonie au Bourget et après
juste ce long silence qui dure depuis
près de vingt ans. Christophe est
étonné d’apprendre que son père
s’est occupé de transmissions radio : «Ce n’était pas du tout sa spécialité.» Aujourd’hui marié et installé à Toulon, Christophe Maier
souhaiterait connaître en fait la vérité. Il a été «déçu», dit-il, par l’attitude de l’armée «qui n’a jamais
ouvert d’enquête comme elle aurait
dû avoir à cœur de le faire pour un
militaire».
Abasourdi. Contrairement aux parents de Gilda Didot, sa famille n’a
pas subi de pressions pour se taire.
«Mais je sentais bien qu’on ne devait
pas poser trop de questions», ajoutet-il. La découverte d’un faux certificat de décès concernant son père
l’a abasourdi, mais il espère que
certains accepteront enfin «de par- tentat. «Il y avait des mouvements,
ler pour permettre de comprendre ce des tensions. Ils nous en parlaient à
qui s’est passé».
demi-mots. Au téléphone, Alain parMême sentiment chez Gaëtan et lait toujours par codes, jamais de faHuguette Lana, installés à 30km de çon franche. On sentait une retenue
Metz. «Mes parents sont décédés l’an comme s’il craignait d’être sur écoudernier, sans jamais avoir su com- tes», croit comprendre Gaëtan, qui
ment leur fille était morte. Ce fut le a ressenti une «inquiétude croisvrai drame de leur vie», explique le sante» dans les propos du couple
frère de Gilda Didot. Il y
a un an, en janvier 2012, «Aujourd’hui encore, reparler de
il a spontanément écrit
cette période est une souffrance.»
au juge Marc Trévidic
pour lui demander de Huguette Lana belle­soeur de Gilda Didot
s’intéresser au décès de morte à Kigali en avril 1994
son beau-frère, de sa
sœur et de René Maier, car il a tou- début 1994. Alain Didot et sa
jours «pressenti que c’était lié à l’at- femme étaient arrivés un an avant
tentat». Apparemment, il y aurait René Maier. Pour Alain aussi,
eu des tentatives de contacts qui c’était le premier séjour en Afrique.
n’ont pas abouti entre le juge et le Une note d’exotisme avant la rebeau-frère du gendarme.
traite, puisque c’était son dernier
A la différence de René Maier, Alain poste : «Il devait rentrer en
et Gilda Didot étaient, semble-t-il, juillet 1994.»
plus conscients des tensions en La proximité entre les deux gencours au Rwanda, peu avant l’at- darmes était connue : «Je crois me
souvenir qu’ils partaient en week-end
ensemble, ils avaient fait des safaris.
Alain et Gilda étaient de toute façon
très entourés, ils recevaient pas mal
d’amis dans leur maison.»
Enterré. Gaëtan se rappelle aussi
que sa sœur était très attachée aux
Rwandais, ne serait-ce qu’à son
personnel. Une version du drame
qui a souvent circulé affirme que
des Tutsis sont vite venus se réfugier chez les Didot pour échapper
aux massacres qui ont commencé
tout de suite après l’attentat. Est-ce
que cette présence les a mis en
danger? Difficile à vérifier, la seule
certitude c’est que leur jeune boy
a été tué et enterré avec eux.
«Aujourd’hui encore, reparler de
cette période est une souffrance»,
conclut Huguette Lana, qui, elle
aussi, aimerait que la justice s’intéresse enfin à ces morts mystérieux.
Pour les parents de Gilda, «parce
qu’ils avaient le droit de savoir».
M.M.
MONDE
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
New Delhi accuse
son voisin d’avoir
tué deux de ses
soldats, dont l’un
a été décapité.
Islamabad nie en
bloc, et dénonce
un raid meurtrier
indien.
•
REPÈRES
Islamabad
Cachemire
CHINE
PAKISTAN
INDE
Océan
Indien
1 000 km
Par CÉLIA MERCIER
Correspondante à Islamabad
UNE RÉGION,
TROIS GUERRES
«L
w 1947­1948 La première
es troupes pakistanaises ont tué deux soldats
indiens, l’un d’eux a été
mutilé, décapité», titre
le quotidien Times of India. L’incident est survenu mardi sur la «ligne
de contrôle», qui sert de démarcation entre l’Inde et le Pakistan dans
la région disputée du Cachemire.
«L’action de l’armée pakistanaise est
hautement provocatrice. La façon
dont ils ont traité les corps des soldats
indiens est inhumaine», a proclamé
le ministre indien de la Défense. Cet
acte barbare laisse craindre un
regain de tension entre les deux
puissances nucléaires.
Selon le rapport de l’armée indienne, des militaires pakistanais
auraient tiré avantage du brouillard
épais dans cette région montagneuse, couverte d’une forêt dense,
pour pénétrer sur le territoire voisin. Ils auraient préparé une embuscade à une patrouille indienne
et, après une fusillade d’une demiheure, auraient battu en retraite.
Les corps de deux soldats indiens,
tués par balle, ont été récupérés,
mais «la tête de l’un d’eux manquait», a indiqué un porte-parole
de l’armée. Islamabad nie en bloc
toute implication. Un officiel de
l’armée déclare que «le Pakistan a
fait une vérification et n’a trouvé
aucun élément étayant les allégations
de l’Inde». Et Islamabad de dénoncer «une propagande de l’Inde pour
détourner l’attention» sur un raid
qui aurait été conduit dimanche sur
un poste de l’armée pakistanaise.
Attaque au cours de laquelle un soldat pakistanais aurait trouvé la
mort.
«DÉNI». Issus de la partition des Indes britanniques, le Pakistan et
l’Inde se sont déjà affrontés lors de
deux guerres sanglantes pour le
territoire du Cachemire. A majorité
musulmane, cette région montagneuse, précieux réservoir d’eau
pour le sous-continent, a été divisée en 1949 entre les deux pays au
terme du premier conflit. Dans les
années 90, l’armée pakistanaise y
menait une guerre par procuration,
en envoyant des groupes jihadistes
dans le Cachemire indien, tandis
qu’un demi-million de soldats indiens étaient massés à la frontière.
Des milliers de civils avaient trouvé
la mort. Malgré le cessez-le-feu en
5
guerre indo­pakistanaise
éclate à propos du contrôle
de la région frontalière
du Cachemire.
w 1965 Deuxième guerre
du Cachemire.
w 1971 Troisième guerre.
L’indépendance du Bangla­
desh est proclamée.
183
C’est le nombre de
personnes décédées
dans les attentats de Bombay,
en novembre 2008.
Sur «la ligne de contrôle», qui sert de démarcation entre l’Inde et le Pakistan, en août. PHOTO CHANNI ANAND.AP
EntrePakistanet
Inde,nouvelaccroc
auCachemire
vigueur depuis 2003, le Cachemire
reste une zone disputée, et la ligne
de contrôle n’est pas reconnue
comme une frontière en tant que
telle par les deux pays. Les cartes
pakistanaises et indiennes incluent
chacune ce territoire dans leur Etat.
Et les accrochages entre les patrouilles restent fréquents. «Il y a
une quarantaine de violations du ces-
sez-le-feu chaque année, instiguées
en grande majorité par Islamabad.
Certains incidents ont coûté la vie à
des soldats indiens. A chaque fois, le
Pakistan est dans le déni, c’est sa
stratégie de base. L’Inde, elle, n’a pas
d’intérêts significatifs à rompre le
cessez-le-feu. Le Pakistan, lui, cherche à infiltrer des terroristes et à instiller la peur. Ce genre d’actes très
violents, comme la décapitation, sert
à terroriser les gens. Ce n’est pas
nouveau, des corps de soldats indiens
ont déjà été mutilés par le passé»,
explique le directeur de l’Institute
for Conflict Management à New
Delhi, Ajai Sahni, qui relativise les
récents événements.
Après les attentats de Bombay
de 2008, les relations entre l’Inde et
le Pakistan s’étaient encore détériorées. Cette attaque, menée par
un commando pakistanais, avait
provoqué la mort de 160 personnes
et mis à feu et à sang la capitale
commerciale de l’Inde pendant
trois jours. Les pourparlers de paix
entre les deux frères ennemis n’ont
repris qu’en 2011, avec notamment
des mesures timides pour relancer
le commerce et faciliter les obtentions de visas de part et d’autre.
«ROUTINE». Après cette affaire, le
chef de la diplomatie indienne a assuré que son pays fournirait une
«réponse proportionnelle» à l’attaque, considérée comme une «tentative évidente pour faire dérailler le
dialogue de paix». L’ambassadeur
pakistanais a été convoqué hier
pour rencontrer le secrétaire indien
aux Affaires étrangères. Mais, selon
Ajai Sahni, cet incident ne risque
pas de provoquer une escalade.
«C’est la routine. A part répliquer localement, l’Inde n’a jamais mené de
représailles majeures, assure-t-il.
Cela n’est jamais arrivé par le passé
et cela n’arrivera pas maintenant. De
même au Cachemire, cela n’aura
aucun impact sur la situation. Ce sera
juste “business as usual” par la
suite», explique-t-il. De toute façon, selon cet expert, «le processus
de paix entre l’Inde et le Pakistan a
toujours été vain. Il sert juste à montrer au reste du monde qu’il y a un
processus de paix. Aucune des deux
parties n’est de bonne foi». •
6
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
MONDE
Govinda Prasad Mainali, lors de son arrivée à l’aéroport de Katmandou (Népal), le 16 juin, à l’issue de sa libération. PHOTO NIRANJAN SHRESTHA.AP
Lajusticejaponaiseenaccusation
Un Népalais a passé quinze ans en prison à tort. Une erreur de plus pour le système judiciaire.
Par ARNAUD VAULERIN
Correspondant à Kyoto
commis de restauration arrivé au
Japon avec un visa de touriste
en 1994. L’appartement qu’il parl a attendu quinze ans pour un tage avec d’autres Népalais est dans
acquittement. Quinze ans en- l’immeuble de Yasuko Watanabe,
tre quatre murs d’une prison dont Mainali a été l’un des clients.
au Japon. Govinda Prasad Mai- Sur la scène de crime, la police renali n’a jamais cessé de clamer son trouve un préservatif utilisé par le
innocence dans le meurtre à Tokyo Népalais. Il devient le coupable
d’une femme de 39 ans. Le 7 no- idéal. Même si les analyses du
vembre, la haute cour de Tokyo l’a sperme révèlent qu’il a été émis
finalement déclaré non coubien avant la mort de la jeune
pable alors qu’en 2000, elle
RÉCIT femme, même si des cheveux
l’avait condamné à la perprélevés dans l’appartement
pétuité. Loin d’être une tragique appartiennent ni à Mainali ni à la
erreur de justice isolée, l’affaire ré- victime… Sur les bases de ces gros
vèle les errements et les dysfonc- doutes, un tribunal de Tokyo l’intionnements de la machine judi- nocente en avril 2000. Mais les
ciaire japonaise. Les déboires de ce procureurs font appel. La haute
Népalais de 46 ans, qui avait été li- cour de Tokyo le condamne sans
béré et renvoyé au Népal en examiner les incohérences soulejuin 2012, car son visa avait expiré vées par la juridiction inférieure. La
durant son séjour en prison, cons- Cour suprême confirme le jugetituent pour les ONG et l’ONU un ment en 2003 sans preuve de culnouveau cas emblématique des pabilité clairement établie.
violations des droits de l’homme à
l’encontre des suspects et des pri- CONGELÉ. Mainali, ses avocats et
sonniers.
un comité de soutien ne vont pas
L’affaire commence le 19 mars 1997. cesser de réclamer justice. Tous deLa police retrouve le corps d’une mandent un nouveau jugement, de
employée d’une compagnie d’élec- nouvelles analyses ADN. Elles ne
tricité, Yasuko Watanabe, dans un seront réalisées qu’en 2011. Sous les
appartement du quartier de Shi- ongles de la victime et sur un morbuya à Tokyo. Elle découvre en ceau de tissu congelé depuis 1997,
même temps que la femme battue les enquêteurs identifient un autre
et étranglée, à qui on a dérobé une ADN masculin. Les avocats s’aperpetite somme d’argent, menait une çoivent que, dès le début de l’afdouble vie de prostituée. Quatre faire, le procureur disposait des
jours plus tard, les enquêteurs arrê- preuves attestant de la présence
tent Govinda Prasad Mainali, un d’un autre homme sur la scène du
I
REPÈRES
LA PEINE DE MORT
AU JAPON
En 2012, les autorités japonai­
ses ont exécuté 7 personnes,
par pendaison. Elles n’avaient
procédé à aucune exécution
en 2011. Près de 130 condam­
nés à mort seraient en ins­
tance d’exécution dans
l’archipel, selon Amnesty
International.
«Il est inacceptable
que la police ait carte
blanche pendant
les interrogatoires
et puisse maltraiter
les suspects.»
Amnesty International
70
millions de yens (soit
600000 euros), c’est la
somme que pourrait perce­
voir Govinda Prasad Mainali
en guise de réparation pour
ces quinze années perdues
en prison au Japon.
crime. Après quinze ans de déni et
de dissimulation, la justice rejuge
Mainali, le blanchit et s’excuse.
Depuis Katmandou, où il a retrouvé
sa femme et ses deux filles, Mainali
a demandé à la police japonaise, aux
procureurs et aux tribunaux de méditer pourquoi il avait «dû souffrir
pendant quinze horribles et pénibles
années. […] Ils ont ignoré des preuves
essentielles qui étaient à mon avantage. Je serais encore en prison si les
tests ADN n’avaient pas été réalisés.»
«TORTURE MENTALE». Amnesty
International indique que «Mainali
n’a pas eu accès à un avocat après
son arrestation. Il a été frappé à coups
de poing et de pied et plaqué contre le
mur par les policiers lors des interrogatoires». Le migrant népalais a été
victime d’un système récemment
les Nations unies: le daiyo kangoku
(prison de substitution). Il s’agit
d’une détention provisoire qui peut
durer jusqu’à vingt-trois jours,
pendant lesquels le suspect n’a pas
pleinement accès un avocat. «C’est
un système qui bafoue tous les standards internationaux, explique le directeur d’Amnesty International au
Japon, Hideki Wakabayashi. Il mène
à des abus et à des faux témoignages.
La police harcèle le suspect, tente de
lui arracher des confessions. […] Il n’y
a peut-être plus de tortures physiques
ou de coups aujourd’hui, mais les privations, la pression psychologique
perdurent. Et quand on vous pose la
même question pendant quatorze ou
quinze heures, vous finissez par céder.» L’un des colocataires de Mainali est passé par le daiyo kangoku.
Il a raconté comment la police
l’avait forcé à faire des fausses déclarations imputant le crime et le
vol à son ami. Après trois mois de
«torture mentale» et de menaces
d’emprisonnement s’il ne coopérait
pas, il a craqué et produit un faux
document. Les conséquences d’un
tel aveu deviennent vite fatales au
Japon, où la peine capitale est toujours en vigueur.
Début novembre, une coalition
d’avocats, de militants contre la
peine de mort et d’ONG ont rappelé
des cas similaires pour appuyer leur
demande de réforme du système
judiciaire. Comme celui de Iwao
Hakamada, condamné à mort
en 1968 pour quatre meurtres. L’un
des magistrats a fini par admettre
que «Hakamada avait avoué les crimes après vingt jours de torture et
d’interrogatoires». Il attend d’être
rejugé après bientôt quarante-cinq
ans de prison. Toshikazu Sugaya a
été blanchi en 2011. Chauffeur de
bus, il avait été condamné pour le
meurtre d’une fillette à Tokyo.
Avant que la cour reconnaisse que
les tests ADN étaient erronés et que
ses aveux n’étaient pas crédibles,
dix-sept longues années se sont
écoulées. Début décembre, Mainali
a écrit à ses soutiens japonais pour
les remercier : «Laissez-moi être la
dernière personne innocente à être
emprisonnée.» Un vœu pieu. •
EN HONGRIE, LES
ROMS TRAITÉS
D’«ASSASSINS»
Un nouveau scandale a
éclaté en Hongrie où Zsolt
Bayer, journaliste et proche
du Premier ministre Orbán,
a écrit samedi dans le jour­
nal progouvernemental
Magyar Hirlap que «les ani­
maux tziganes» ne sont pas
dignes de vivre comme des
êtres humains, car ils «font
leurs besoins où ils veulent»
et qu’une bonne partie des
Roms sont des «assassins» à
«éliminer». Ses écrits ont
provoqué un tollé, non seu­
lement dans les rangs de
l’opposition, mais aussi au
sein du parti au pouvoir.
L’opposition, qui a qualifié
ces propos d’incitation à la
haine, a prévu de manifes­
ter dimanche. Fondateur du
parti de Orbán, le Fidesz,
Zsolt Bayer avait déjà fait
«sensation» en 2008 avec
un article antisémite où
il écrivait que les juifs
hongrois «mouchaient leurs
nez dans les piscines».
LES GENS
LE PRIX SIMONE
DE BEAUVOIR
POUR MALALA
«Les talibans ont publié
une loi excluant toutes les
filles des écoles», écrivait
Malala Yousafzai sur son
blog de la BBC. «Tout ce
que je veux, c’est aller à
l’école et personne ne me
fera peur.» Dans sa ville de
Mingora (Pakistan), les tali­
bans ont rétabli la charia et
détruit les écoles de filles.
Devenue un symbole de la
résistance, la jeune Malala,
15 ans aujourd’hui, avait des
raisons d’avoir peur: un
homme lui a tiré une balle
dans la tête, alors qu’elle
rentrait de l’école. Elle a
survécu, mais devra subir
des opérations de recons­
truction du cerveau. Le
prix Simone de Beauvoir,
célébrant la liberté des
femmes, lui a été décerné.
«Mon rêve c’est que ma
fille, les femmes, puissent
être reconnues en tant que
personne dans toute leur
dignité», s’est écrié son
père, venu hier à Paris
recevoir le prix au nom de
sa fille. PHOTO REUTERS
Leschavistesconfiants
mêmesansleurleader
juste réélu ne pourra prêter serment aujourd’hui.
A
trer dans la rue notre soutien à
la révolution et à notre Comandante.»
«Pacifique». Une manifestation est prévue aujourd’hui
et devrait attirer de nombreux pro-Chávez. «Nous
sommes Amour, la révolution
est pacifique, mais s’ils viennent jeter de l’huile sur le feu en
lançant des slogans anti-
La seule marque
nationale
d’emballages
ménagers
certifiée
Origine France
Garantie
Chávez, ils vont se brûler»,
prévient un militant. L’écrivain Ismaël Garcia calme le
jeu: «Nous n’avons pas peur,
quoi qu’il arrive à Chávez nous
sommes unis. Après quatorze
ans de révolution, le peuple est
prêt à se prendre en main.»
De notre correspondant
à Caracas
SIMON PELLET-RECHT
7
VIETNAM Treize militants
vietnamiens, notamment
des catholiques, des blogueurs et des étudiants, tous
membres présumés d’une
organisation en exil, ont été
condamnés hier à Hanoï à de
lourdes peines d’emprisonnement pour une supposée
tentative de renversement du
gouvernement communiste.
VENEZUELA Toujours hospitalisé, le président tout
u Venezuela, c’est la
rentrée. La rentrée
des classes, tranquille, et la rentrée politique,
plus mouvementée. Les rumeurs sur la santé du président Hugo Chávez, toujours
en soins intensifs à Cuba, occupent toutes les conversations. Après la trêve de fin
d’année, les machines partisanes se remettent en marche: «On a mangé des “hallacas” [plat traditionnel
vénézuélien] pendant dix
jours, il est temps de reprendre
les réunions», estimait ainsi
dimanche Carlos Vargas, un
militant socialiste du quartier de Petare.
Mardi, les autorités ont confirmé l’absence de Chávez
pour prêter serment devant
l’Assemblée aujourd’hui.
Hier, la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice a décrété
que la nouvelle investiture du
Président pourra intervenir
à une date ultérieure. Selon
le gouvernement, le chef de
l’Etat réélu le 7 octobre
pourrait encore être absent
plusieurs mois, ce qui est
conforme à la Constitution,
mais pose la question de la
vacance du pouvoir.
Sereins. Quant à l’opposition, elle apparaît fatiguée
après ses dernières défaites
électorales. Lola, retraitée,
avoue crûment que la mort
de Chávez l’enthousiasmerait : «Cela fait quatorze ans
qu’on n’attend que ça… Et là
on ne sait rien, s’il reviendra
ou pas. C’est déprimant.»
Les chavistes sont, à l’inverse, étonnamment confiants. Place Bolivar, sous la
tente rouge où quelques
vieux militants regardent la
télévision d’Etat à longueur
de journée, des dizaines de
personnes se sont réunies.
Les partisans du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV,
au pouvoir) sont sereins.
Leida Torres, casquette révolutionnaire sur le crâne, explique pourquoi ses yeux pétillent de joie : «Je sais que
Chávez va revenir, c’est notre
“Comandante”, il ne peut pas
nous abandonner!» En observant un montage-photo du
Président sur son lit de mort,
qui circule sur Internet, le
bouillant Ruben Dario Marin
s’insurge : «Cette haine ne
nous touche pas, c’est de la
propagande. Nous allons mon-
•
SYRIE Les autorités de Dams
ont commencé hier à relâcher 2 130 prisonniers civils
(photo) en échange de la libération de 48 ressortissants
iraniens détenus par les rebelles syriens. PHOTO AFP
ISRAËL Les autorités israéliennes ont discrètement approuvé, hier, la légalisation
d’une nouvelle colonie sauvage en Cisjordanie. Au total,
en comptant Nofei Nehemiah
(établi sans autorisation
en 2002), le gouvernement
dirigé par Benyamin Nétanyahou a légalisé dix colonies sauvages dans les Territoires depuis avril 2009.
Un industriel
qui produit
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préserve les
emplois
John Persenda, Président de SPHERE
Le Made in France,
il y croit, il le fait !
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L’HISTOIRE
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LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
8
•
FRANCE
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Harlem Désir et Jean­Luc Mélenchon à la Fête de l’Humanité, en 2011. PHOTO OLIVIER CORET. DIVERGENCES
Delagaucheplurielle
auxgauchessingulières
Les critiques réitérées de Jean-Luc Mélenchon et du Parti
communiste envers la politique sociale du gouvernement
illustrent l’éloignement croissant des deux familles de la gauche.
Par LILIAN ALEMAGNA
cuser de «voter avec la droite», le PS a trouvé
le moyen de s’écharper de nouveau avec le
l ne leur manquait plus que le rouge. PCF, fin décembre, après la publication sur
Toutes les couleurs de la majorité étaient le Web de leurs vœux de fin d’année. Une vireprésentées hier après-midi, au siège déo dans laquelle le parti de la place du Colodu PS, pour une réunion des chefs de nel-Fabien égrenait une longue liste des proparti. Une première depuis le début du quin- messes non tenues par François Hollande.
quennat Hollande. Après la «gauche plurielle» «Une faute contre la gauche», une «honte pour
version Jospin et la «gauche solises auteurs», avait fustigé Désir.
daire» d’Aubry aux régionales de
ENQUÊTE Jean-Luc Mélenchon a demandé à
2010, Harlem Désir et les socialistes
son ancien camarade de cesser ses
inventent la «gauche rassemblée». Un peu «invectives». Joyeuses fêtes…
moins tout de même que les fois précédentes: Ces prémices d’une guerre des gauches se
le Front de gauche, communistes en tête, est sont matérialisées lundi soir sur France 2
absent. Une nouvelle illustration du fossé qui autour du débat entre Jean-Luc Mélenchon
se creuse à gauche.
et le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac.
Car après les blocages communistes au Sénat, C’était le premier affrontement télévisé didonnant l’occasion aux socialistes de les ac- rect entre l’ex-candidat Front de gauche et
I
un socialiste depuis l’élection de Hollande.
Deux visions de ce que doit être une politique
de gauche. Un échange clivant, comme
l’écrit Mélenchon sur son blog, «que la rue de
Solférino a toujours voulu éviter car elle se sent
incapable d’en assumer la conséquence interne
et dans la gauche sociale». Satisfait de distinguer deux lignes à gauche, celle du «PS de
Cahuzac» et la sienne, il se réjouit que cette
«confrontation» soit «sur la scène publique».
«THÈSE MORTIFÈRE». «Bonne chance à ceux
qui doivent constituer les listes des municipales
de 2014 après un tel débat…», se désole un député PS. Comme cet élu, ils sont nombreux,
chez les socialistes, à s’inquiéter d’une recrudescence de la théorie des «deux gauches».
«C’est une thèse mortifère qui ne sert que la
droite et l’extrême droite, met en garde
Guillaume Bachelay, numéro 2 du PS. Séparer
gestion et transformation ou distinguer responsabilité et opposition est une erreur d’analyse.»
Et à l’aile gauche du parti majoritaire, on
compte défendre la digue : «Il n’y a rien de
plus néfaste et de plus faux. Ça arrange peutêtre Mélenchon de le croire, mais c’est nous
condamner à la défaite, fait valoir Emmanuel
Maurel, un de leurs porte-voix. En plus, la ligne de Cahuzac, comme celle de Jean-Luc sont
toutes deux minoritaires !» Pas d’accord, rétorque Mélenchon sur son blog: «[Cahuzac]
est […] absolument dans la norme de la gauche
sociale-démocrate européenne devenue économiquement sociale-libérale et politiquement démocrate.» Une «vieille gauche», a-t-il encore
répété hier matin sur RMC. Et chez ses alliés
communistes, on juge aussi qu’«il y a une
seule gauche, mais deux orientations en son
sein: une de rupture et l’autre, sociale-libérale,
d’accompagnement d’un système qui ne fonctionne plus», plaide leur porte-parole, Olivier
Dartigolles.
Dans sa stratégie de démarcation, Mélenchon
ne s’occupe pas que du PS. Hier dans NiceMatin, il s’est aussi intéressé aux écologistes:
«Comme les socialistes, ils sont partagés entre
deux ailes. Une aile écolo-libérale et une autre
écolo-socialiste.» «Il y a surtout des écolo-écologistes, balaie Pascal Durand, le leader d’Europe Ecologie - les Verts (EE-LV). Les mots
qu’emploie Mélenchon, comme ceux de Cahuzac, sont du vieux monde. La question à laquelle
on doit répondre est: “Quelles sont les nouvelles
marques d’une gauche sociale et environnementale aujourd’hui?” Arrêtons de se redéfinir par
rapport au passé.» Dans cette querelle newlook d’anciens et modernes de gauche, Désir
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
FRANCE
met en garde Mélenchon: «Il n’y a jamais de Comment amorcer la réconciliation? Au PS,
primes à ceux qui divisent.» Du coup, chaque certains plaident pour avancer ensemble sur
camp rejette la faute de la mésentente. Au PS des lois économiques et sociales où toute la
ça donne : «C’est un crève-cœur de voir les gauche serait d’accord. Maurel exhume par
communistes avec leurs idéaux alors qu’ils con- exemple la loi interdisant les licenciements
naissent les marges budgétaires de la France, boursiers, proposée en février par les comattaque Jean-Christophe Cambadélis. Il fut un munistes au Sénat et votée par les socialistes.
temps où ils partageaient l’effort national de re- Ce texte n’a jamais été repris par le gouvernedressement du pays.» Harlem Désir use aussi ment. Bachelay pousse, lui, pour inscrire à
de l’argument «responsabilité»: «Nous gérons l’ordre du jour la proposition de loi brandie
ensemble les collectivités. Le PCF assume avec par Hollande lors de sa campagne et visant
nous son rapport au réel dans
les collectivités. Il faut l’assu- «Nos critiques ont été médiatisées, mais
mer au plan national.»
nous mettons sur la table des propositions!
AMNISTIE. En revanche, si la Or le PS reste sur une seule attitude: c’est
gauche est divisée, insiste- comme ça et il n’y a rien à discuter.»
t-on au Front de gauche, Olivier Dartigolles porte­parole du PCF
c’est d’abord la faute à l’«accélération de l’orientation sociale-libérale» de à obliger un groupe, s’il veut fermer un site,
la politique de François Hollande. «La majo- à examiner les offres de reprise ou bien à le
rité politique qui l’a élu ne se retrouve pas dans céder. «On doit répondre ensemble à comment
ce qu’il fait, défend Dartigolles. En aucun cas, bâtir un nouveau rapport de force face au capile Front de gauche ne parie sur l’échec du gou- talisme financier. Quel levier la puissance publivernement. Nos critiques ont été médiatisées, que active-t-elle?» avance le député, rappormais nous mettons sur la table des propositions! teur du projet de loi sur la Banque publique
Or le PS reste sur une seule attitude : c’est d’investissement (BPI). Sur ce texte, il se félicomme ça, pas autrement et il n’y a rien à dis- cite d’avoir obtenu le vote des communistes.
cuter.» Il est vrai que les amendements des «Le rassemblement de la gauche, il faut aimer
sénateurs communistes lors de l’examen du ça, avoir de la patience», glisse-t-il sibyllin.
budget ont été rejetés par un gouvernement Manière de souligner que d’autres dans sa
assuré de faire passer son texte en dernière maison PS n’en ont pas.
lecture à l’Assemblée. Proche de Mélenchon, Hier, les leaders des partis de cette nouvelle
Eric Coquerel donne un autre exemple : «gauche rassemblée» ont décidé la mise en
«Lorsqu’ils ont rencontré Hollande, Jean-Luc place de cinq groupes de travail. Au menu :
et Martine [Billard, coprésidente du Parti de «emploi, industrie, démocratie sociale», «ingauche, ndlr] ont proposé une loi d’amnistie des vestissements innovants et écologiques à l’horisyndicalistes.» Hollande leur avait dit qu’il zon 2020», «réformes institutionnelles et terris’en occuperait. Et puis rien…
toriales», «harmonisation fiscale et sociale en
Europe» et «laïcité, école, jeunesse». A la sortie de la réunion, Désir a lancé que les responsables du Front de gauche étaient «les
bienvenus. C’est une réunion de toutes les formations politiques qui veulent la réussite de
l’action du gouvernement». Réponse du PCF
en forme de non-recevoir: «Nous ne sommes
pas intéressés par des sessions de rattrapage,
dit Dartigolles. Il y a urgence à avoir une relance du débat à gauche, à ciel ouvert, sur les
solutions à la crise. Ça ne peut pas se faire
autour d’une table à Solférino.» Les communistes veulent des «débats publics» et non des
«sommets». Et au Front de gauche, on opte
pour la stratégie du «rapport de force» en lançant une «grande campagne contre l’austérité» avec en vitrine un meeting de Mélenchon et du chef du PCF, Pierre Laurent, le
23 janvier à Metz. A quelques kilomètres de
l’usine Arcelor-Mittal de Florange. «Avant
même les périodes électorales, il faut montrer
qu’on peut faire autrement», dit Coquerel.
«QUASI­INSULTE». Au PS, pour calmer les ardeurs communistes à l’aube des négociations
pour les municipales de 2014, l’entourage de
Désir mise sur l’«effet de ciseau entre un discours de quasi-insulte à l’égard du président de
la République et la pratique du compromis électoral». Les deux responsables élections des
partis ont prévu de se voir avant la fin du
mois. Les socialistes pointent aussi les divergences locales du Front de gauche pour y enfoncer un coin. Les élus franciliens ne se privent pas de pointer qu’en Ile-de-France, les
communistes – dont Pierre Laurent – ont
voté le budget 2013 quand les proches de Mélenchon s’y sont opposés. A chacun ses contradictions. •
•
REPÈRES
LE CHAMP DE BATAILLE
DU SÉNAT
Ecologistes et communistes compris,
la gauche n’a que 6 sièges d’avance
au Sénat. Une courte avance qui a
permis au PCF de faire chuter le
gouvernement à déjà quatre reprises.
Des rejets sans conséquence, puis­
que l’Assemblée a le dernier mot,
mais qui empêchent la gauche de
profiter pleinement de cette situa­
tion inédite sous la Ve République:
être majoritaire dans les deux Cham­
bres. Ont ainsi été retoqués par
les sénateurs: le texte sur l’énergie
(30 octobre), le projet de loi de pro­
grammation des finances publiques
(le 8 novembre), le projet de loi de
financement de la Sécurité sociale
(le 15 novembre) et le projet de loi de
finances (le 28 novembre).
«J’ai l’impression […]
que le Parti communiste
a décidé de faire le pari
de notre échec […]
et que les écologistes sont
dans la réflexion, avec
un jour dans la majorité,
un jour dans l’opposition.»
Jean­Christophe Cambadélis
député (PS) de Paris
POURQUOI DEPUIS PRÈS DE 40 ANS
NOUS PRODUISONS EN FRANCE
ET AVONS L’INTENTION D’Y RESTER
PUBLICITÉ
Sur un marché hautement concurrentiel – celui des sacs et des films plastiques – où le Groupe SPhere, groupe familial français, est devenu
leader européen, nous avons fait un choix stratégique de produire principalement en France ainsi qu’en Union européenne. Nous avons à cet
effet relocalisé en France trois usines que notre Groupe avait achetées en République tchèque, en Allemagne de l’Est et en Italie du Sud.
Avec treize usines situées en Union européenne employant 1300 personnes dont six sont en France avec près de 700 salariés, nos usines
françaises fabriquent environ 70% de la production du Groupe SPhere qui est bien sûr affectée au marché national mais aussi, pour une
importante partie, aux marchés de tous les grands pays de l’Union européenne sans compter les exportations vers l’Afrique et l’Amérique.
Deux facteurs ont contribué à notre politique de « Fabriqué en France » :
– d’une part, le choix de l’innovation constante sur un marché que nous pourrions croire banalisé avec une politique tournée vers l’environnement,
et dans les dernières années le lancement des sacs recyclés provenant de la collecte sélective, ou biodégradables à base de fécule de pomme
de terre française et plus récemment les sacs « Vegetal Origin » faits à partir de matériaux végétaux réduisant fortement l’empreinte carbone ;
– d’autre part, la productivité tant de nos chercheurs que de nos hommes et nos femmes en usine est de loin la meilleure en comparaison de
nos autres unités européennes.
Producteur de valeur ajoutée, propriétaire de 200 brevets, le Groupe SPhere s’est toujours opposé à la délocalisation et reste à l’échelon
européen le seul intervenant à ne pas être parti comme nos confrères français, britanniques ou allemands en Chine, en Thaïlande, au Viet-Nam
ou en Pologne. Nos usines de Normandie, du Nord, de Lorraine et de Haute-Loire ont toujours su s’adapter à l’évolution technologique.
Le label « Origine France Garantie » est donc le résultat d’une politique industrielle qui a toujours cru que produire en France était un atout à
condition d’innover en permanence. Plusieurs de nos produits ont été élus « Produit de l’Année » et leur qualité fait de notre Groupe un partenaire solide de la grande distribution, des collectivités locales et des marchés professionnels. Nous sommes certains que nos clients sauront
faire le choix dans un marché où produire en France constitue pour eux la plus forte garantie tant de qualité que de service.
Au-delà de la fierté d’être français, bien évidemment, et au-delà de la responsabilité d’acteur économique et civique se battant pour maintenir
l’emploi de ceux qui ont contribué au succès de notre Groupe et conscients, comme nos clients que les consommateurs finaux de nos produits
sont des Français, notre combat pour le label « Origine France Garantie » correspond à une réalité industrielle qui nous permettra de faire
connaître au public qui fabrique les produits qu’il consomme, où ils sont fabriqués et par qui.
John Persenda
Président-directeur général
de SPhere SA
www.sphere.eu
9
10
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
FRANCE
Défilé à Paris, le 24 mai 2011,
pour l’ouverture de la PMA
aux couples de femmes.
PHOTO VINCENT NGUYEN. RIVA PRESS
deau juste pour monter au rideau»,
rapportait un dirigeant PS après
une réunion de groupe animée.
Legouvernementprocrastine
surlaprocréationassistée
Peur d’un rejet du Conseil constitutionnel et des opposants internes: l’amendement
PMA au projet de loi sur le mariage pour tous sera intégré au texte sur la famille.
Par LAURE BRETTON
et CATHERINE MALLAVAL
S’en est suivie une série de consultations entre le Premier ministre, la
ministre déléguée à la Famille, Don renouant lundi avec la minique Bertinotti, le président du
tradition un peu oubliée groupe socialiste, Bruno Le Roux,
des vœux présidentiels au et les promoteurs du texte. Plus une
Conseil constitutionnel, réunion à Matignon hier matin sous
François Hollande ne se doutait pas la présidence de Jean-Marc Ayrault
que la cérémonie serait
(et non de son directeur
l’occasion d’une livraison
de cabinet, signe de l’imANALYSE
à domicile de conseil
portance du sujet) et une
(d’ami). Le président de l’instance annonce devant le groupe PS dans
suprême, Jean-Louis Debré, en a en la foulée: la PMA est officiellement
effet profité pour glisser au chef de exfiltrée vers la loi sur la famille.
l’Etat que l’amendement ouvrant la
procréation médicalement assistée PRÉVENTIONS. Politiquement, la
(PMA, nouvellement AMP) aux manœuvre comporte des avantacouples de femmes avait toutes les ges, mais aussi une palanquée d’inchances d’être retoqué s’il était convénients. La tactique permet de
inscrit dans le projet de loi sur le resserrer les rangs au PS: les oppomariage pour tous. Que la majorité sants internes à la PMA –61 se sont
prenait même un «risque largement exprimés lors du vote du 19 décemsupérieur» qu’avec sa taxe censurée bre, auquel une centaine de députés
de 75 % sur les super-riches.
n’a pas pris part – n’auront plus
D’où une accélération des manœu- d’excuse pour ne pas voter le texte.
vres lancées pendant les vacances De quoi aussi lever les préventions
de Noël, quand l’exécutif a décidé de certains alliés, radicaux de gaud’inscrire au programme du pre- che ou communistes, qui étaient
mier semestre une grande loi sur la très réservés sur l’amendement
famille. Après cette mise en garde, PMA. De quoi enfin, peut-être,
plus question de laisser les députés grappiller quelques voix de plus au
PS déposer le fameux amende- centre et à droite. En 2011, dix
ment, voté dans la douleur juste députés UMP avaient voté la propoavant les fêtes.
sition de loi PS sur le mariage gay.
E
REPÈRES
«Si j’avais été
favorable [à la PMA],
je l’aurais intégrée
dans le projet de loi
[…]. Si le Parlement
décide d’aller dans ce
sens, il est souverain.»
François Hollande
le 12 décembre
La PMA (procréation médi­
calement assistée), égale­
ment appelée AMP (aide
médicale à la procréation),
comprend l’insémination
artificielle et différents types
de fécondation in vitro (FIV).
Elle permet la naissance de
plus de 20000 bébés par an
en France (2,7% du total).
•
SUR
LIBÉRATION.FR
A lire Borloo, un partisan
du mariage pour tous mino­
ritaire chez les centristes.
MOULINETTE. «Sans cet amendement, je ne suis pas sûr qu’il y aurait
eu un texte sur la famille programmé
pour le mois de mars», s’est défendu
Le Roux. Et de vanter les mérites de
cette nouvelle stratégie, fruit d’un
«dialogue nourri et loyal» avec
l’exécutif : un projet de loi rédigé
par le gouvernement sera plus
solide juridiquement, car passé par
la moulinette du Conseil d’Etat, et
l’accès à la PMA sera «plus large».
Autrement dit: ouvert aux couples
de femmes non mariées, voire aux
femmes seules.
Alors qu’en passant par l’amendement dans la loi mariage, «on obligeait les lesbiennes à se marier pour
avoir un enfant», fait valoir Erwan
Binet, le rapporteur du texte. «On
est sur le même calendrier, 2013,
avec un texte plus sûr et plus large.
Donc on ne peut pas parler de recul»,
ajoute le porte-parole du groupe,
Thierry Mandon. Mais d’aucuns
voient déjà la mesure enterrée.
«C’est un peu du machiavélisme,
mais le plan consisterait à se faire
retoquer dès le Conseil d’Etat
pour rupture d’égalité entre les couples de femmes et d’hommes»,
avance un parlementaire. Ou, plus
simplement, parce que cette priorité sera enterrée par une autre au
printemps.
Pour la communauté homo, particulièrement les lesbiennes, qui doivent toujours se rendre en Belgique
ou Espagne pour bénéficier d’un
don de sperme, la déception est
sévère. «Je suis tout à la fois, agacé,
amer et en colère», balance Nicolas
Gougain, porte-parole de l’InterLGBT, principal interlocuteur
du gouvernement sur ce dossier,
qui déplore des «pressions probables
du gouvernement sur les parlementaires pour qu’ils ne déposent pas cet
amendement». Et d’épingler les
atermoiements de l’exécutif –«On
débat depuis septembre. Le gouver-
Au final, «on pourrait avoir une loi
sur le mariage adoptée par quasiment
les deux tiers de l’Assemblée», pronostique le député de l’Essonne
Carlos da Silva.
Mais, dans la colonne moins, la
majorité commence l’année avec
un nouveau pataquès. Accusant
les socialistes de couardise, les écologistes ont annoncé le dépôt de
leur propre amendement PMA. Et
Marie-George Buffet
(PCF) proposera le sien «On pourrait avoir une loi sur
«à titre personnel».
le mariage adoptée par quasiment
Pour certains, le PS
gère la majorité de fa- les deux tiers de l’Assemblée.»
çon court-termiste, Carlos da Silva député de l’Essonne, justifiant
assurant le vote sur le le report de l’amendement PMA
mariage et reportant la
PMA à plus tard. «L’opposition va nement ne pouvait-il pas anticiper?»
avoir deux occasions de se mobiliser Pour Gougain, il n’y a là qu’une
plutôt qu’une», déplore le député «annonce», et «non une garantie».
parisien Patrick Bloche, même s’il A quelques jours de la mobilisation
salue le fait que «le gouvernement des antis, c’est la douche froide.
s’engage clairement pour la PMA». «Si, en plus, cette nouvelle loi aborde
Et en interne, les députés socialistes la question de l’accès des enfants à
canardaient hier la stratégie de leur leurs origines, par exemple pour ceux
président, Bruno Le Roux, qui affir- qui sont nés sous X, on en a encore
mait mi-décembre que la PMA pour des mois et mois de discusn’avait «pas sa place dans les lois sions…» Encore plus remonté,
bioéthiques ni dans une grande loi sur le collectif «Egalité Oui Oui Oui»
la famille». «Il y a une partie des pro- se dit trahi : «Encore une fois, les
PMA qui ne comprennent pas bien homophobes nous lynchent et le PS
pourquoi on les a fait monter au ri- nous lâche.» •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
CONFIDENTIEL
FRANCEXPRESSO
•
11
Copé:lepainauchocolatboulet
UMP Alors que le Conseil français du culte musulman retire sa plainte,
certains militants lui reprochent d’avoir cédé à la «repentance».
D
ANDRÉ VALLINI SE VERRAIT BIEN
AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Replié sur son département –l’Isère– depuis qu’il a man­
qué le train du gouvernement au printemps dernier, le
sénateur André Vallini aurait renoncé à son rêve d’être
ministre de la Justice. Même s’il est souvent cité dans la
presse comme successeur éventuel de Christiane Taubira
place Vendôme en cas de remaniement, Vallini nourrit
désormais une autre ambition: celle d’être nommé mem­
bre du Conseil constitutionnel lors du prochain renouvel­
lement d’un tiers des neuf «sages» en mars. S’il n’est pas
choisi par le chef de l’Etat, dont il est l’un des fidèles,
il pourra toujours compter sur le président du Sénat,
Jean­Pierre Bel. PHOTO MARTIN BUREAU. AFP
aurait été privé un
écolier au motif
qu’«on ne mange
pas pendant le ramadan».
Sensible «aux regrets exprimés par
M.Copé», le CFCM
a annoncé mardi qu’il retirait
sa plainte contre ces propos
jugés diffamatoires et islamophobe, datant du mois d’octobre.
Hier, sur Radio Classique,
Marine Le Pen a dénoncé une
AP
ouloureuse rentrée
pour Jean-François
Copé. Tandis qu’il négocie avec François Fillon la
mise en place d’une «direction partagée» à la tête de
l’UMP, le champion de la
«droite décomplexée» doit
supporter les sarcasmes de
ceux qui l’accusent de s’être
«couché» devant le Conseil
français du culte musulman
(CFCM) en exprimant ses regrets à propos de sa parabole
du «pain au chocolat» dont
«pitoyable forfaiture». Au même
moment, sur RTL,
Copé était interpellé par un militant UMP qui se
disait choqué de
voir son président
céder à «la repentance» et au
«diktat» des autorités musulmanes. «Je n’ai présenté
aucune excuse, je n’ai commis
aucune faute», a protesté le
maire de Meaux. Il n’a fait
que regretter «les énormes
contresens» dans l’interprétation de ses propos.
Choqué par ce «double langage», le président de l’Observatoire national contre
l’islamophobie, Abdallah
Zekri, a aussitôt annoncé
qu’il refusait de retirer la
plainte qu’il a lui-même déposée. Mais le président du
CFCM, Mohammed Moussaoui, a démenti ce retournement. Selon lui, la plainte
sera bel et bien retirée.
ALAIN AUFFRAY
NOUVEA
U
11000
euros: c’est le traitement mensuel que Jacques Chirac
ne perçoit plus de la part du Conseil constitutionnel
depuis que sa femme, Bernadette, a fait parvenir une
expertise au président du tribunal qui devait le juger, assu­
rant qu’il ne disposait plus de toutes ses capacités. Difficile,
dès lors, de siéger chez les «sages». Mais le refus de Jean­
Louis Debré, président du conseil, de verser son traite­
ment à l’ex­président «ulcère» son épouse, selon le Monde.
L’HISTOIRE
LES PARLEMENTAIRES SOCIALISTES
CRAIGNENT LE SURMENAGE
A l’automne, ils tiraient déjà la sonnette d’alarme: trop de
projets de loi, bouclés au pas de course, ça chiffonnait les
parlementaires socialistes. Après le retoquage du texte
sur le logement puis celui de la taxe à 75% des revenus
annuels dépassant le million d’euros par le Conseil consti­
tutionnel, ils en ont rajouté une couche. Rappelant à l’exé­
cutif que le temps législatif devait être sanctuarisé pour
se prémunir de bévues technico­juridiques coûtant très
cher sur le plan politique. Las. En écoutant Jean­Marc
Ayrault présenter son programme de gouvernement
pour 2013, les députés ont compté pas moins de 13 pro­
jets de lois pour le premier semestre. «C’est complète­
ment irréaliste, entend­on depuis dans les couloirs de
l’Assemblée. Ils vont nous faire siéger jusqu’au mois
d’août ou alors on va être obligé d’abandonner la moitié
des trucs en route.» Entre les deux maux, la majorité a six
mois pour choisir.
«Autant il était légitime de vous fournir
la possibilité de déposer un recours contre
l’arrêté préfectoral demandant l’euthanasie
des deux éléphants, autant il n’appartient
plus au gouvernement d’intervenir dans
le déroulement de la procédure judiciaire.»
Réponse de l’Elysée au patron du cirque Pinder,
propriétaire des deux éléphantes tuberculeuses menacées
d’euthanasie à Lyon (Libération du 6 janvier)
LesEchos-HSBilan-164x219mm.indd 1
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12
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
FRANCE
Autroisième,desreclussidiscrets
«Pas un bruit. Aucun signe», les voisins d’une famille cloîtrée à Saint-Nazaire tombent des nues.
Par NICOLAS DE LA CASINIÈRE
Envoyé spécial à Saint­Nazaire
signalé», affirme Benoît Delliaux,
directeur de la proximité au sein de
l’organisme public HLM Silène. Les
volets fermés en permanence n’ont
pas alerté sur la gravité de la situation. Ni la boîte aux lettres souvent
remplie de pubs à ras bord. «En rigolant avec ma fille, je disais qu’il devait y avoir un macchabée là-dedans,
tellement ça sentait. Les odeurs remontent toujours. J’ai contacté l’office HLM, on m’a dit d’écrire, de faire
une pétition. J’ai bouché mes grilles
d’aération», explique Pascale
Le Gall, une voisine. Un étage en
dessous, au troisième, Céline Mandin, locataire ici depuis six ans,
voyait Dominique B. descendre la
nuit pour «vider ses poubelles et
plein de papier toilette avec des gants
de vaisselle et des chaussons bleus
d’hôpital. Mon conjoint soupçonnait
quelque chose, mais on peut se tromper. Si on avait su… On aurait dû faire
défoncer la porte, prévenir la police,
les services sociaux…» Le conseil
général de Loire-Atlantique a précisé, de son côté, qu’aucun suivi
n’avait été engagé pour cette famille
dans les cinq dernières années.
L’académie de Nantes a indiqué
n’avoir, à ce stade, pas de trace de
scolarisation des enfants depuis
2010. Selon le rectorat, deux des
enfants ont été inscrits deux ans à
des «cours par correspondance» entre 2007 et 2009, et «deux autres
ont été scolarisés dans un collège
privé de Saint-Nazaire pour l’année
scolaire 2008-2009 et ont été inscrits
à des cours par correspondance pour
l’année suivante».
D
ans la cage d’escalier de
leur HLM, les locataires
les plus anciens les appelaient les «X Five». «Des
gens qui débarquaient d’on ne sait
où.» Au troisième étage, ils étaient
en fait six, le père, la mère et leurs
quatre enfants, à vivre cloîtrés depuis au moins un an dans un logement insalubre à Saint-Nazaire
(Loire-Atlantique), où les pompiers
les ont découverts en fin de semaine
dernière. «Je suis là depuis 2004, dit
Pascale Le Gall, la voisine du dessus. Ils avaient déjà ce surnom de
“X Five”. Les premières années, on
voyait encore un petit bus de ramassage scolaire chercher les enfants
handicapés. Et puis on les a plus vus.
On était persuadés qu’ils étaient séparés, que seul
REPORTAGE le monsieur
restait là… Et
puis on n’entendait rien. Pas un bruit.
Aucun signe.» Alertés par la mère de
famille pour un malaise dans la nuit
de vendredi à samedi, les pompiers
ont découvert un logement aux
murs maculés de moisissures, des
verrous sur les portes intérieures,
que le père fermait quand il s’absentait pour aller faire des courses
une ou deux fois la semaine.
ENFANTS «PROSTRÉS». Cet appel
au secours a mis fin au calvaire de
la famille B. Le père, Dominique,
51 ans, a été interné en hôpital psychiatrique. Quatre enfants (trois
filles et un garçon) de 14, 17, 19 et
20 ans, «prostrés» selon des enquêteurs, ont été hospitalisés en observation, et la mère, Christine,
47 ans, les a rejoints après avoir été
entendue en garde à vue mardi,
ainsi qu’une grande sœur de 25 ans
qui ne vivait plus avec la famille.
Une enquête a été ouverte pour
manquement aux obligations parentales. Selon le parquet de SaintNazaire, «la séquestration n’est pas
avérée, il n’y a dans cette enquête
ni violences physiques, ni agressions
sexuelles, ni viols». «Cette famille a
fait l’objet dans le passé de suivis socio-éducatifs, dans les années 90 et
les années 2000, mais rien n’était en
cours au moment de leur découverte
dans cet état d’insalubrité», a encore
précisé le parquet. Les deux enfants
mineurs sont désormais pris en
charge par le département de Loire-Atlantique, responsable de la
protection de l’enfance.
Barrée de scellés, la porte d’entrée
du 3e étage est impeccable, jaune
vif comme les autres de la cage
d’escalier, repeintes dans cet immeuble très propre ravalé en 2010.
«On a fait récemment une visite avec
les représentants de locataires, qui
nous emmènent où ils veulent pointer
des problèmes. On ne nous a rien
L’immeuble des six reclus, dont quatre enfants, hier.
PHOTO DAMIEN MEYER. AFP
REPÈRES
AIDÉS QUATRE ANS
PAR LA MAIRIE
Selon Jeanine Hottelard,
adjointe aux solidarité à la mai­
rie de Saint­Nazaire, «pour les
transports, la piscine et les
bons de Noël, cette famille a
été aidée de 2007 à 2010» puis
n’avait plus rien demandé…
Saint-Nazaire
MORB
ILLEET-V
MAY
LOIREATLANTIQUE
Nantes
Océan
Atlantique
20 km
VENDÉE
MAINEETLOIRE
« Il ramenait vraiment
beaucoup de packs
d’eau. Ça, c’était
bizarre.»
Céline Mandin, voisine de palier
parlant du père, qui enfermait sa
femme et ses enfants, les rares fois
où il sortait
DANS LE VIDE. Les loyers étaient
versés régulièrement. L’office HLM
a seulement demandé à un plombier
d’intervenir en novembre quand la
voisine du dessous s’est plainte
d’une auréole au plafond. «L’entreprise a voulu joindre la famille il y a
deux mois, mais n’a pas pu laisser de
message, a rappelé sans succès, mais
apparemment la tache ne s’étendait
pas. Il n’y avait donc pas urgence»,
explique Benoît Delliaux. Pour la
révision annuelle de la chaudière,
Dominique B. n’ouvrait pas. Quand
un incendie de poussette a enfumé
l’escalier, c’est le seul appartement
dont la porte est restée close. Le
père ne répondait pas plus, quand
son frère venait toquer à l’étage,
inquiet d’entendre le téléphone
sonner dans le vide. C’était l’an
dernier, croit se souvenir sa voisine
de palier. Un blouson bleu marine,
une casquette noire rivée sur la
tête, les cheveux dans le cou, le regard fuyant et le bonjour rare. «Il
se laissait aller», commente la voisine du dessus. «Une fois, il a mis le
feu dans le vide-ordures. Il a tenté de
l’éteindre avec une bassine d’eau. Il
rentrait chez lui, reverrouillait à chaque fois, tchac, tchac. Un voisin l’a
traité de malade !» •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
FRANCEXPRESSO
E Mobilisation de sans-papiers à Saint-Denis
sans-papiers], d’autant plus que nous
soutenons leur mouvement depuis longtemps. Nous ne comptons pas demander
l’évacuation», a expliqué à l’AFP le
curé Jean Jannin, responsable de cinq
paroisses de Saint-Denis. Plusieurs
sans-papiers distribuaient des tracts
contestant la circulaire Valls sur les
nouveaux critères de régularisation.
«On dénonce les durées d’attente des
dossiers excessivement longues, la qualité d’accueil, les refus des dossiers», a
dénoncé Hicham Hassanine, délégué
de la Coordination 93 des sans-papiers. Une autre militante, Marguerite
Rollinde, a critiqué «l’obligation pour
les travailleurs sans papiers de fournir
huit fiches de paye sur les vingt-quatre
derniers mois et un contrat de travail»
pour espérer une régularisation.
L’HISTOIRE
BETTENCOURT :
COURBIT CHEZ
LE JUGE
Loïk Le Floch­Prigent à Lomé, au Togo, le 17 septembre. PHOTO ERICK KAGLAN. AP
Presumeinnocent.com:
LeFlochouvreleban
JUSTICE Un site donnant la parole à des mis en cause a été
créé ce matin. Première tribune pour l’ex-patron d’Elf.
l parle à la première personne, s’adresse à un
«Madame, Monsieur»
sans contours… «Madame
Monsieur», c’est tous ces
anonymes que leur curiosité
entraînera, peut-être, jusqu’à ce nouveau site internet. Tous ceux qui, ayant ou
n’ayant pas entendu parler
de la nouvelle «affaire Loïk
Le Floch-Prigent», emprisonné au Togo suite à une
plainte pour escroquerie, seront séduits par la démarche
de Presumeinnocent.com :
offrir à des personnes mises
en cause dans une affaire judiciaire un espace d’expression sans intervention ni limites – si ce n’est celle de
respecter la loi: pas de diffamation, respect du secret de
l’instruction…
L’idée est venue à l’avocat
parisien Hervé Temime lors
d’une nuit d’insomnie. «J’ai
eu depuis des années à être
dans la situation de défendre
I
des gens qui étaient l’objet
d’une mise au pilori médiatique, contre laquelle je ne pouvais rien faire. J’ai pensé soudain à un site qui défendrait la
présomption d’innocence.»
Le lendemain matin, il
achète le nom de domaine
presumeinnocent.com. Puis
retourne à son agenda surchargé… Jusqu’à un cours
qu’il donne à Sciences-Po, il
y a un an. Il y expose son
idée, deux étudiants viennent le voir. Lucas Sebban et
Aaron Bass, 21 ans, se proposent pour gérer le site. Ils réfléchissent au concept –deux
rubriques contributives accompagneront les tribunes,
dans le même esprit–, créent
une société avec Hervé Temime, jusqu’à l’aboutissement du projet, mis en ligne
ce matin.
Loïk Le Floch-Prigent ouvre
donc le ban, ayant vocation
à être vite suivi par d’autres.
Dans son texte, il proclame
son innocence et décrypte
les mécanismes qui l’ont, selon lui, conduit dans cette
mauvaise passe. «J’ai trouvé
l’idée du site excellente et nécessaire, dit Me Patrick Klugman, qui parle pour son
client, toujours en prison au
Togo. Dans une affaire comme
celle concernant Loïk Le
Floch-Prigent, où l’on se borne
souvent à rappeler qu’il a été
condamné pour tout autre
chose dans le passé sans enquêter sur l’histoire actuelle,
c’est salutaire.»
Le site Presumeinnocent.com ne sera pas ouvert
aux commentaires. Il voudrait fonctionner «comme
une source», ayant vocation
à être repris par les médias.
«Ce qui est positif, dit l’un
des deux jeunes fondateurs,
c’est que si l’on cite le nom du
site, on rappelle forcément en
même temps la présomption
d’innocence.»
ONDINE MILLOT
L’ex­patron d’Endemol
Stéphane Courbit est con­
voqué aujourd’hui dans le
bureau du juge d’instruc­
tion bordelais Jean­Michel
Gentil, en charge du dos­
sier Bettencourt. Après
avoir été placé en garde
à vue au printemps puis au
mois de décembre, l’actuel
patron de LOV Group
–audiovisuel, énergie, jeux
en ligne…– doit être inter­
rogé sur un investissement
de 143 millions d’euros
réalisé dans sa société par
Liliane Bettencourt
depuis 2010. Plusieurs
experts ont estimé que
celle­ci était très affaiblie
mentalement à cette date.
L’avocat d’affaires Pascal
Wilhelm, conseil de Cour­
bit et de l’héritière de
L’Oréal, avait servi d’inter­
médiaire. Il a été mis en
examen pour complicité
d’abus de confiance
aggravé. Stéphane Courbit
pourrait lui aussi être mis
en examen. Le dossier
Bettencourt, dans lequel
Sarkozy a été placé sous
le statut de témoin assisté,
devrait être bouclé dans
les prochains mois.
13
LES GENS
COUP DE SANG CONTRE LES OBSTACLES IMPOSÉS AUX CLANDESTINS
Plusieurs dizaines de sans-papiers ont
occupé hier l’église de l’Estrée à
Saint-Denis pour exiger leur régularisation. Ils veulent aussi exprimer leur
solidarité avec les grévistes de la faim
de Lille (Libération du lundi 7 janvier).
L’occupation était prévue pour la seule
journée d’hier. «On les connaît bien, ils
nous connaissent. Cela se fait dans le
dialogue, avec la Coordination [93 des
•
AUGUSTIN BONREPAUX,
UN CHEF DE MISE EN
EXAMEN MYSTÉRIEUX
«C’est tout, je vous dis!» Le président socialiste du conseil
général de l’Ariège estime que ses électeurs peuvent
se contenter de savoir qu’il a été mis en examen dans le
cadre d’une enquête sur «deux marchés publics». Augustin
Bonrepaux refuse depuis le 26 octobre de préciser quel­
les sont les qualifications juridiques de cette mise en exa­
men. «Y en a pas», nous répond­il d’abord, avant de lâcher
un tout petit «il y avait peut­être favoritisme, je ne sais
pas». Et de promettre de «relire la lettre du juge, pour
voir», sachant que ladite lettre est «à la maison» et qu’il
faudra attendre «après­demain» pour en connaître la
teneur. Il y a des après­demain comme ça qui n’arrivent
jamais. Prise illégale d’intérêt, fraude aux subventions,
détournement? Le juge étant tenu au «secret de l’instruc­
tion» et l’avocat du mis en examen au «secret profession­
nel», le parquet n’ayant «pas vocation à communiquer sur
des affaires privées» et en l’absence de partie civile ayant
accès au dossier, la partie de cache­cache continue.
De même que l’enquête du juge… G.Lv. (à Toulouse) PHOTO AFP
300
vies ont été sauvées sur les routes de France en 2012,
soit une baisse de la mortalité de 7 à 8% par rapport
à 2011, selon un bilan provisoire de la sécurité routière.
Entre 3600 et 3700 personnes auraient été tuées
dans des accidents de la circulation en 2012, contre
3970 l’année précédente. L’augmentation du nombre de
radars et la fin de leur signalement ont incité les auto­
mobilistes à lever le pied. Mais la hausse des prix des
carburants aurait aussi contribué à faire baisser le nom­
bre de victimes, les conducteurs roulant moins vite.
CANAL DE L’OISE Le jeune
trisomique retrouvé mort
dans le canal latéral de l’Oise
est décédé par hydrocution,
ce qui écarte la piste criminelle. Il était recherché depuis le 18 décembre.
ÉDUCATION Le projet de loi
d’orientation pour refonder
•
l’école a été massivement rejeté hier par le Cneser, une
instance consultative réunissant des acteurs de l’enseignement supérieur. L’un des
points de blocage a porté sur
les nouvelles écoles de formation des enseignants, qui
doivent ouvrir en septembre
à l’université.
SUR LIBÉRATION.FR
A lire «La France, championne du soutien scolaire privé»,
selon un rapport du Conseil d’analyse stratégique.
SEMAINE DE L’ENTREPRENEURIAT
Du 21 au 25 janvier 2013
BUSINESS SCHOOL DEPUIS 1980, GLOBALE ET INTERNATIONALE PLUS QUE JAMAIS
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Institut Supérieur Européen de Gestion. Établissements privés d’enseignement supérieur.
Cette école est membre de
EDUCATION GROUP
14
•
ECONOMIE
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Emploi:lesCDD,
nœuddecrispation
desnégociations
Le patronat refuse la taxation des contrats courts, devenus
une porte d’entrée incontournable sur le marché du travail.
Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
de salariés en CDI dans le privé a
très peu varié depuis près de dix
e talon d’Achille de la né- ans, autour de 84% en 2011. «Si on
gociation sur la «sécurisa- ne raisonne qu’en stock, le CDI fait
tion de l’emploi» aura été, de la résistance, estime ainsi Mijusqu’au bout, la taxation chel Husson, de l’Institut de redes contrats courts. Une attente de cherches économiques et sociales
la majorité des organisations syn- (Ires). Mais l’accès à un CDI se fait
dicales pour tenter d’enrayer la plus tard qu’avant. On sent par
hausse des emplois précaires. Un ailleurs, dans ses propositions, une
repoussoir pour le patronat, qui y volonté du patronat de grignoter le
voit, au-delà d’une augCDI.» Bref, le CDD dementation du coût du traANALYSE vient le passage obligé
vail, un dispositif qui ne
pour entrer sur le marché
créerait pas d’emploi. Or la me- du travail. En 2011, selon l’Acoss
sure constituait une des promesses (banque de la Sécu), près
de François Hollande, inscrite de 8 embauches sur 10 se sont
dans la feuille de route donnée par ainsi faites en CDD (78,3%), plus
le ministre du Travail aux parte- fréquemment dans les établissenaires sociaux, à l’orée de cette ments de 50 salariés. Principaux
négociation. «C’est la liberté des concernés : les jeunes, la moitié
partenaires sociaux de fixer les mo- des salariés en CDD ayant moins
dalités, mais il n’y a aucune décou- de 30 ans. Et surtout dans l’héberverte sur le fait que le gouvernement gement et la restauration, les arts
attache de l’importance à ce que les et spectacles et autres activités de
règles évoluent, s’agissant de la service (coiffure, soins à la pertaxation des contrats courts», a sonne, activités associatives). Une
ainsi rappelé hier le ministre du disparité selon les secteurs qui
Travail, Michel Sapin. Coup de n’aide pas à la cohésion patronale
pression supplémentaire mis sur le sur le sujet de la taxation.
patronat: ce dernier serait menacé
par le gouvernement, selon ses di- ACCÈS AU LOGEMENT. En dix ans,
res, par l’exclusion des CDD de de 2000 à 2010, les CDD de moins
l’assiette de calcul du crédit impôt d’un mois ont ainsi quasiment
compétitivité emploi (CICE).
doublé, passant de 6,6 millions à
Pourquoi cette exigence de taxa- 12,4 millions. Et pour ceux de plus
tion des contrats précaires? Parce de trente jours qui se sont achevés
que ceux-ci ont augmenté ces dix en 2011, la quasi-totalité (84%) a
dernières années avec la hausse du duré six mois ou moins, selon la
chômage. Ils sont devenus une va- Dares. Les durées sont particulièriable d’ajustement pour les en- rement courtes dans le tertiaire,
treprises en recherche de flexibi- où la moitié de ces CDD ont duré
lité, mais aussi une forme de un ou deux mois, contre un peu
période d’essai. Certes, le nombre moins de 40% dans l’industrie et
L
REPÈRES
«Il y aura une loi dont
le Président a dit ce
matin qu’elle devrait
intervenir s’il n’y a pas
d’accord, […] présentée
au Conseil des ministres
avant fin février.»
Alain Vidalies ministre
des Relations avec le Parlement
la construction, plus gourmandes
en intérimaires. Le secteur public
n’est pas en reste, puisqu’une embauche sur deux en 2010 était un
CDD de moins d’un mois.
Le problème, c’est que ce type de
contrat de travail, successif et
aléatoire, incontournable pour les
jeunes au moment de leur entrée
dans la vie active, les pénalise sur
l’accès au logement ou sur les ni-
d’assurance chômage sur les contrats courts.
LIMITE PRÉCISE. Si cette mesure
n’est apparue dans aucun texte
présenté par le patronat depuis le
début de la négociation, il a évidemment envisagé différents dispositifs. Le coût d’un point de plus
des cotisations chômage sur les
contrats de moins d’un moins
coûterait «pas plus
«Si on ne raisonne qu’en stock, de 60 millions d’euros»,
un responsable
le CDI fait de la résistance. Mais avance
patronal. Une paille
l’accès à un CDI se fait plus tard rapportée aux 2,9 milqu’avant.»
liards que coûterait à
terme la généralisation
Michel Husson de l’Ires
de la complémentaire
veaux de salaire. «Les contrats des frais de santé (lire ci-dessous),
courts concernent une catégorie im- forte concession du Medef.
portante de personnes, souvent des L’issue de la négociation est susjeunes condamnés à passer de CDD pendue à un pas du patronat sur ce
en contrats courts, explique Gilbert sujet. Taxer les contrats de moins
Cette, professeur d’économie à d’un mois, mais aussi fixer une lil’université Aix-Marseille. Peut-on mite précise au recours aux conaccepter qu’une partie de la popula- trats précaires selon la taille des
tion soit ainsi stigmatisée de façon entreprises, ou encore se limiter
durable ?»
aux CDD liés à un surcroît d’actiEt de citer en exemple l’Italie, qui vité ? La contre partie pourrait
a signé un accord, le 21 novembre, prendre plusieurs formes pour le
sur 1,4 point de majoration des Medef, qui détient là la clé de la
cotisations sociales patronales négociation. •
LA DERNIÈRE VERSION DU TEXTE
Le patronat a donné hier un
nouveau texte aux syndicats,
dans lequel ne figure toujours
pas la taxation des contrats
courts, pourtant
incontournable pour eux.
Le projet d’accord de 21 pages
détaille une généralisation de
la complémentaire santé pour
les salariés qui ne sont pas
couverts. Le texte prévoit
d’ouvrir une négociation sur le
sujet dans les branches avant
le 31 décembre, avec
application au plus tard…
le 1er janvier 2017! La mesure
coûterait 2,9 milliards d’euros.
Le Medef veut que les
employeurs en financent, au
maximum, la moitié, le reste
étant à la charge des salariés.
Le patronat accepte
d’introduire un à deux
représentants des salariés
avec voix délibérative dans
les conseils d’administration
des entreprises qui emploient
au moins 15000 salariés à
l’échelle mondiale. Le patronat
accepte aussi de négocier
sur l’activité partielle dans
les quinze jours suivant un
éventuel accord. Enfin,
les articles sur la
déjudiciarisation des
procédures de licenciement
n’ont globalement pas varié.
Points inamovibles côté
patronal en termes de
flexibilité. F.Rl
SIX MOIS DE TRACTATIONS
w 9 et 10 juillet A la conférence
sociale, les partenaires sociaux sont
invités à négocier avant le premier
trimestre 2013 les conditions d’une
«meilleure sécurisation de l’emploi».
w 7 septembre Le gouvernement leur
transmet une feuille de route.
w 4 octobre Premier round des négos.
w Aujourd’hui et demain Fin annoncée.
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
ECONOMIE
•
15
Un texte de loi sera présenté fin février, mais
son contenu dépendra de l’issue des négos.
Le dernier round
en trois scénarios
S
Un accord quasi total
Chaque jeudi en kiosque
Politis
PHOTO
EMMANUEL
PIERROT.VU
Le scénario le plus improbable : un
accord emportant la signature de la
quasi-totalité des organisations syndicales, sauf peut-être la CGT. «Ce
cas-là réduirait substantiellement le
rôle de l’Assemblée et du Sénat, reconnaît Michel Liebgott, député (PS)
de Moselle et membre de la commission des affaires sociales. Les
parlementaires, dans ces conditions,
Marseille 2013
Les cocus
de l’histoire
ne remettraient pas en cause l’accord
issu de la négociation.» La transposition législative, qui interviendrait fin
février, serait alors quasi intégrale.
Trois syndicats sur cinq
La possibilité la plus sérieuse, un
accord signé par les trois centrales
réformistes (CFTC, CGC et CFDT),
mais sans FO ni la CGT. Le gouvernement sauverait la face, mais «ça
deviendrait plus compliqué», estime
le député socialiste de l’Essonne Jérôme Guedj. «Il faudra regarder précisément le contenu, car cela signifie
qu’il y a un déséquilibre entre la flexibilité pour les entreprises et la sécurité
pour les salariés.» Autrement dit, le
texte s’expose à un repatouillage
par la majorité au Parlement. «Notre
rôle ne se résume pas à celui de greffier, confirme le député (PS) JeanPatrick Gille (Indre-et-Loire). Tout
dépendra alors de ce qu’il y a dans le
texte, même si notre position est de
respecter l’accord.» Dans l’entourage du ministre du Travail, Michel
Sapin, on souligne néanmoins que
le texte «constituera tout de même
un accord, même s’il manquera, du
coup, probablement des choses». Et
d’avancer plutôt une autre variable
quant au respect de l’accord par la
majorité: «Si les non-signataires potentiels, notamment FO, sont virulents ou non pour dénoncer l’accord
auquel ils n’ont pas pris part.»
Un échec
Outre que cette éventualité représenterait un véritable revers pour
Hollande, elle laisserait le champ libre à la majorité. «On prendra nos
responsabilités, prévient un proche
de Sapin. Le périmètre de la loi sera
celui de la feuille de route donnée par
le gouvernement aux partenaires sociaux, mais on ne reprendra que les
points qui nous semblent avoir fait
consensus lors de la négo.» Un choix
forcément subjectif… Et à l’Assemblée, «on mettra en œuvre les engagements de Hollande sur la protection
des salariés, et notamment sur la pénalisation des contrats courts ou des
licenciements boursiers», avance Jérôme Guedj. Sans beaucoup de
place, visiblement, pour les revendications du Medef.
LUC PEILLON
www.politis.fr
li i f
igneront, signeront pas ? Et si
oui à combien ? Alors que les
partenaires sociaux reprennent
aujourd’hui la négociation sur la réforme du marché du travail – pour
un dernier round jusqu’à demain
midi –, les spéculations vont bon
train sur la possibilité d’aboutir à un
accord qui donnerait plus de flexibilité aux entreprises, tout en sécurisant davantage les parcours professionnels des salariés.
Côté syndical, les déclarations de
Bernard Thibault, mardi, semblent
exclure toute signature de la CGT.
Les propos de Jean-Claude Mailly,
le même jour, parlant de «miracle»
en cas d’accord, paraissent
condamner une approbation de FO.
Ne reste donc plus que la CFDT,
dont la signature, ajoutée à celles
des deux autres petites centrales
(CFTC et CGC), permettrait de valider un texte. Or rien ne semble acquis du côté de la centrale réformiste. «C’est difficile, mais le match
n’est pas fini. Il finit vendredi. Il faut
mener l’offensive», a redit son tout
nouveau secrétaire général, Laurent
Berger, hier sur France Info. Il a
posé quatre thèmes incontournables: la complémentaire santé pour
tous, les droits rechargeables de
l’assurance chômage, la limitation
des temps partiels imposés et la
taxation des contrats courts. Un
dernier point sur lequel le patronat
reste pour l’instant inflexible, Laurence Parisot se disant même «pessimiste» quant à l’issue des négociations. Le Medef et la CGPME
dénoncent en chœur l’«ingérence»
du gouvernement dans les discussions. Bref, l’issue de cette négociation – politiquement importante
pour Hollande – reste des plus incertaines, les échanges pouvant déboucher sur trois scénarios.
16
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
ECONOMIEXPRESSO
L’HISTOIRE
+0,31 % / 3 717,45 PTS
2 622 768 410€ +37,53%
Les 3 plus fortes
CREDIT AGRICOLE
FRANCE TELECOM
EADS
LES «ESCLAVES»
SUD­AFRICAINS
SE REBIFFENT
Les 3 plus basses
CARREFOUR
ARCELORMITTAL
UNIBAIL-RODAMCO
13 407,24
3 106,47
6 098,65
10 578,57
+0,59 %
+0,47 %
+0,74 %
+0,67 %
52 millions
C’est le nombre de domestiques dans le monde, selon
une étude de l’Organisation internationale du travail,
publiée hier. Ce sont des femmes, à une majorité écra­
sante (83% d’entre eux). Entre 1995 et 2010, le nombre
a augmenté de 60%. Cette estimation très prudente ne
tient pas compte de l’exploitation à domicile des enfants
de moins de 15 ans estimés à 7,4 millions. Le travail
domestique représente 7,5% de l’emploi salarié
des femmes dans le monde.
SOCIAL LES VIRGIN MEGASTORE DONNENT DE LA VOIX
«Oui à la culture, non à la fermeture!»Des centaines de salariés de Virgin Megastore se
sont mobilisés hier, devant le magasin amiral des Champs­Elysées (photo) à Paris, mais
aussi à Strasbourg, Nice, Lyon, Rennes, Marseille ou encore Bordeaux. Impuissant à
régler une dette de 22 millions d’euros, selon SUD, Virgin, qui emploie 1000 personnes
dans 26 magasins, s’est déclaré en cessation de paiement auprès du tribunal de com­
merce de Paris. Les syndicats imputent cette situation catastrophique à Butler Capital
Partners, actionnaire principal depuis 2008, avec 74% du capital. «Butler, c’est une
machine à fric», a dénoncé Guy Olharan de la CGT. PHOTO VINCENT NGUYEN.RIVAPRESS
LegroupePSA
accumulelespépins
LES GENS
«Véhicules
de tourisme avec
chauffeurs et motos
représentent une
concurrence
déloyale.»
AUTO Les ventes du premier constructeur tricolore
ont baissé de 16,5% en 2012. Rien ne va plus.
Jamie Dimon, patron de la banque JP Morgan, Larry Fink,
PDG de Blackrock et Erskine Bowles, ex­directeur de
cabinet de Bill Clinton en rêvaient? C’est Jacob (ou Jack)
Lew, 57 ans, qui décroche la timbale: nouveau ministre
américain de l’Economie. Le président, Barack Obama, va
le nommer dès aujourd’hui, selon plusieurs médias améri­
cains, secrétaire au Trésor, pour remplacer Timothy
Geithner. Lew est l’actuel secrétaire général à la Maison
Blanche et bras droit d’Obama depuis un peu moins d’un
an après avoir passé quatorze mois à la tête du Bureau
du budget. Il fut conseiller de Bill Clinton en 1993, et il a
notamment piloté le court retour du pays aux excédents
budgétaires à la fin des années 90. La presse américaine
voit dans sa sélection le choix d’un «deal maker»: un
homme capable de forger des accords avec le Congrès,
en particulier sur les questions clés liées à la dette et à la
façon d’assainir les comptes publics. Lew a participé aux
négociations destinées à éviter le «mur budgétaire», une
cure d’austérité conduisant à la récession. PHOTO REUTERS
MÉTALLURGIE ArcelorMittal
va redémarrer le troisième
haut-fourneau de Dunkerque (Nord) pour faire face à
«une légère reprise» du marché ; une réouverture sensible après l’affrontement sur
l’avenir du site de Florange,
qui a laissé des traces.
TÉLÉPHONIE Apple serait en
train de concevoir une ver-
sion low-cost de son iPhone,
selon plusieurs médias américains. Il serait lancé au second semestre sur les marchés émergents.
AUTOMOBILE La direction
de Renault veut allonger le
temps de travail sur tous ses
sites à 1 603 heures annuelles, contre 1 500 heures en
moyenne, selon elle.
L’
Ahmed Sembel, de
la Fédération nationale
des taxis indépendants qui
appelle à la grève aujourd’hui
VENTES PSA DANS LE MONDE
Ventes de véhicules et d'éléments détachés,
en millions
volume (seulement 1 million
d’unités). Seule consolation:
PSA a enregistré de bonnes
performances en Chine, en
Russie et au Maghreb.
Le premier constructeur auto
tricolore espère toutefois renouer avec la croissance
cette année (hors voitures en
kit). Mais sans avancer de
chiffres. Car «l’année 2013
s’annonce encore difficile en
Europe», a averti le directeur
des marques de PSA, Frédéric Saint-Geours. Il espère
que le groupe augmentera
légèrement sa part de marché, notamment grâce à une
salve de lancements (faux
4x4 2008 et berline 308 pour
Peugeot, successeur du monospace C4 Picasso pour Citroën). Mais comme le marché européen devrait encore
baisser cette année (de 3% à
5%), cela devrait se traduire
au final par une nouvelle
–
SourcePSA
JACK LEW, NOUVELLE TÊTE AU
SECRÉTARIAT AU TRÉSOR AMÉRICAIN
année 2012 de PSA a
été catastrophique sur
tous les plans: lourdes
pertes financières, mégaplan social et, pour finir,
plongeon des ventes. Le
groupe a annoncé hier avoir
écoulé 2,97 millions de véhicules l’an dernier, en baisse
de 16,5%. Certes, cela inclut
les voitures en pièces détachées, qui ont été affectées
par l’arrêt des livraisons à
l’Iran en février 2012. Mais
les ventes de véhicules
montés ont également subi
un impressionnant gadin
de 8,8%, à 2,8 millions
d’unités.
PSA souffre de sa trop forte
dépendance à l’Europe (62%
de ses ventes), et en particulier aux pays du Sud, où la
crise automobile est très profonde. Les ventes de PSA sur
le Vieux Continent ont chuté
de 14,8% (davantage que le
marché), soit 300000 voitures perdues par rapport
à 2011. C’est l’équivalent de
la production annuelle de
l’usine de Mulhouse…
Tout aussi inquiétant, PSA
n’arrive pas à décoller
ailleurs, là où l’automobile se
porte bien. Ses ventes hors
Europe n’ont progressé que
de 3,2%, et restent faibles en
Après les mineurs, les
ouvriers agricoles. De
violents incidents ont
opposé, hier dans la région
du Cap, la police à plus de
3000 grévistes, qui récla­
ment une hausse de leur
salaire journalier de 6 à
13 euros. Les manifestants
brandissaient des pancar­
tes comparant leur situa­
tion à celle des employés
noirs sous l’apartheid, aboli
en 1994. La confédération
syndicale sud­africaine
Cosatu a, de son côté,
demandé aux consomma­
teurs de boycotter les pro­
duits agricoles obtenus par
«du travail d’esclaves». Ce
conflit rappelle par cer­
tains aspects les grèves
sauvages des mineurs en
août et septembre, qui
s’étaient soldées par une
soixantaine de morts, dont
34 grévistes tués par la
police à Marikana. La grève
des ouvriers agricoles a
débuté en novembre.
chute des ventes de PSA en
Europe, de l’ordre de 2%.
Une mauvaise nouvelle pour
les usines tricolores du
groupe, déjà sous-utilisées
l’an dernier. Reste à savoir si
PSA parviendra à mettre le
turbo dans les pays émergents, où il compte aussi
multiplier les lancements
en 2013.
Autre mauvaise nouvelle : le
gouvernement a confirmé
hier qu’il a dû notifier à
Bruxelles la garantie financière de 7 milliards d’euros
qu’il a accordée l’an dernier
à la banque interne de PSA.
La Commission soupçonne
qu’il s’agit d’une aide d’Etat,
ce qu’a contesté hier la porte-parole du gouvernement,
Najat Vallaud-Belkacem. Si
Bruxelles en jugeait autrement, cela pourrait coûter
très cher au constructeur.
YANN PHILIPPIN
KIOSQUE
FMI : NOUVELLE
POTION AMÈRE
AU PORTUGAL
Le quotidien Jornal de
Negócios a dévoilé les
nouvelles prescriptions
que le FMI recommande
au Portugal, qui bénéficie
depuis 2011 d’un plan de
sauvetage de 78 milliards
d’euros. Le FMI préconise
4 milliards de coupes sup­
plémentaires. Il milite pour
une réduction de 20% du
nombre de fonctionnaires
(700000) et de diminuer
de 7% leurs salaires. Face
au tollé, le gouvernement
assure qu’il ne s’agit que
de «suggestions».
•
L
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Fou de Roland
Rencontre avec Frédéric Boyer, auteur d’une
nouvelle traduction du premier poème écrit
en français qui nous soit parvenu. Pages II­III
Au nom du père
Le psychanalyste Gérard Pommier s’est intéressé
au rapport de l’individu à son patronyme, entre
fierté et névrose. Page VI
Anne Frank au grenier
L’imaginant vieille dame, le romancier Shalom
Auslander rappelle que l’icône de la Shoah était
d’abord une gamine bien réelle. Entretien. Page X
l s’appelait Maurice Audin. Il était né le
14 février 1932 à Béja, en Tunisie, où son père
était gendarme. Il allait avoir 21 ans, il était
communiste depuis deux ans, quand il s’est
marié et a été nommé assistant de mathématiques à l’université d’Alger. Un an plus tard,
en 1954, naissait le premier de ses trois enfants, sa
fille Michèle. Les trente mois suivants tiennent en
quatre mots : «Les mathématiques, l’université, le
militantisme, la famille.» En novembre 1956, il vient
à Paris, missionné par le Parti communiste algérien (le PCA, interdit). Il est là aussi pour préparer
sa soutenance de thèse. La soutenance se fera sans
lui, à la Sorbonne, le 2 décembre 1957, en présence
de hautes sommités du monde scientifique. Entretemps, Maurice Audin est mort, et a laissé la place
à «l’affaire Audin», symbole de la guerre d’Algérie
et de la lutte contre la torture.
Amphithéâtres. «Ici, vous n’apprendrez rien de
nouveau sur cette affaire», écrit Michèle Audin dans
le livre qu’elle consacre à son père, Une vie brève.
«Maurice Audin avait vingt-cinq ans en 1957, il a été
arrêté au cours de la bataille d’Alger, il a été torturé
par l’armée française, il a été tué, on a organisé un simulacre d’évasion et fait disparaître les traces de sa
mort, comme l’a établi l’enquête menée par Pierre Vidal-Naquet en 1957-58.» Josette Audin, sa femme,
n’a cessé de réclamer que la vérité soit dite. L’actualité de son combat fait l’objet de mainte «page
ouèbe», selon l’orthographe choisie par sa fille, qui
est membre de l’Oulipo (le club de Raymond Queneau) en plus de mathématicienne. François Hol-
lande a promis l’ouverture des archives militaires,
après que Nicolas Sarkozy n’a pas répondu à une
lettre de la veuve de Maurice Audin. A la suite de
quoi, en 2009, Michèle Audin a refusé la Légion
d’honneur qui lui était décernée.
«Une “vie brève”, c’est une courte biographie»,
écrit-elle sur son site internet de professeur à
l’université de Strasbourg, à propos d’un des nombreux mathématiciens du XXe siècle qu’elle a biographés avant d’accepter que son père rejoigne
cette confrérie qu’elle croyait purement professionnelle. Son livre s’appelle Une vie brève parce
que c’est la réalité. «Jeune éternellement», selon
l’expression de Pierre Vidal-Naquet, Maurice
Audin est à jamais en tennis et chemisette blanche,
«beau, souriant, heureux». Sa fille pense à lui dans
les amphithéâtres où elle surveille des examens,
car il a l’âge de ses étudiants. Elle est depuis longtemps plus vieille que son père. Deux allusions, pas
plus, montrent à quel point il leur a manqué, à ses
deux frères et elle. On apprend qu’une partie de
la famille n’a pas pleuré cette mort, et même l’a
raillée, comme le grand-père maternel. Brouille
définitive. Mais le sujet d’Une vie brève, c’est lui,
Maurice Audin, pas les autres.
Il y a tout ce que sa fille ne sait toujours pas. Elle
ne sait pas qui était sa marraine, s’il savait nager,
ce qui le faisait rire, s’il avait des défauts, quelle
était sa taille exactement, à quel moment il a cessé
d’être catholique. Elle ne sait pas pourquoi il s’est
pris de passion pour les mathématiques, en tout
cas elle a tardivement découvert, en écrivant ce
C.HELIE . GALLIMARD
L’équation de Michèle
Audin Mathématicienne,
elle totalise les traces du
père qu’on lui a soustrait
en Algérie
I
MICHÈLE AUDIN
Une vie brève
L’Arbalète/Gallimard, 184pp., 17€.
texte et en lisant les cahiers de son père, qu’elle et
lui parlent la même langue. Une vie brève fait revivre une certaine aristocratie des maths, dont il allait faire partie – dont il faisait déjà partie.
4CV. Elle sait ce que sa grand-mère lui a raconté,
ses tantes, sa mère. Elle a ses propres souvenirs,
qu’elle écarte afin de ne pas les éventer : «J’en ai,
j’y tiens – et c’est pourquoi je les garde pour moi.»
Elle connaît son numéro de Sécurité sociale et celui
de l’immatriculation de sa 4CV. Elle a quelques lettres, aucun bulletin scolaire, des témoignages.
«C’était un enfant doux et gentil, tout le monde le
dit.» Notamment l’infirmier qui l’a soigné lors
d’une méningite, à l’école militaire de Hammam
Righa, en Algérie, il avait 13 ans. Il ira ensuite en
France à Autun (Saône-et-Loire), formé par l’armée qui allait le tuer, fait remarquer sa fille. Mais
comment «ne pas être doux et gentil avec son infirmier», note-t-elle? Ou bien, à propos d’une photo:
«On pourrait ajouter qu’il est le seul à ne pas regarder
directement le photographe (et alors ?)»
Anticolonialiste, militant clandestin, chercheur,
Maurice Audin a été exemplaire. Il était aussi un
jeune mari typique des années 50, qui tenait les
carnets de comptes du ménage. Il achète des
fleurs. Ils boivent peu d’alcool, mangent davantage de chocolat quand ils ont davantage d’argent.
Ils déménagent. Ils acquièrent un mixeur. Ils ont
de plus en plus de livres, et commandent une bibliothèque. Mais quand elle arrive, il n’est plus là
pour la monter.
CLAIRE DEVARRIEUX
II
•
L Story
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Boyer au cimetière des
olifants Entretien avec
le traducteur de «la
Chanson de Roland»
E
n 778, après une expédition en Espagne, Charlemagne revient en France.
Une partie de son arrièregarde est victime d’une
embuscade, sans doute de la part
de Basques peut-être liés aux
Arabes, dans un col dont nul ne
veut se rappeler le nom, et qui deviendra Roncevaux. Vers 1086,
cette escarmouche, nourrie par
trois siècles de chants et de colportages, se fixe dans un manuscrit, aujourd’hui à Oxford, qui
ne sera intitulé qu’au XIXe siècle
la Chanson de Roland : la défaite
de 1870 fait de cette petite déroute
une épopée nationale.
Lire ou relire ce poème de 4002 vers
répartis en 291 laisses, c’est être
saisi par la simplicité et la force
de ces décasyllabes, mais aussi,
comme toujours en littérature, réviser ses préjugés. Roland, qui n’a
sans doute jamais existé, n’est pas
la brute que sa postérité proclame,
mais un orgueilleux mélancolique.
Son ami Olivier, le sage qui tente de
le raisonner, est lié à lui par une
amitié sublime et agitée. Le traître
Ganelon est d’abord un négociateur
courageux. Les Sarrasins, quoiqu’ennemis et mécréants, sont d’un
courage aussi admirable que les
Francs. Quant au sacré Charlemagne, c’est un héros bien fatigué. La
guerre, il n’en veut plus.
Après tant d’autres, Frédéric Boyer,
51 ans, traduit cette première
source écrite de notre langue. Il la
suit de près, dans la forme et dans
le rythme, sans ponctuation, avec
l’austérité elliptique, comprimée,
qui caractérisait sa traduction des
Sonnets de Shakespeare (P.O.L).
Parfois, on entend même sonner
Beckett: «Il l’abat mort de son cheval courant/ Et il lui dit : Pour toi fin
de partie». Le vers original dit: «Ja
n’i avrez guarant !», vous n’aurez
plus garant. Le garant est celui qui
protège jusqu’au bout.
La traduction est encadrée par un
poème en prose, Rappeler Roland, et
un essai, Cahier Roland, qui enluminent le travail de Boyer et éclairent
ses raisons d’agir. «Traduire les textes anciens est un exercice nécessaire
qui nous fait retourner à l’origine per-
due ou fantasmée de toute culture, de
toute langue», précisait-il voilà
quatre ans dans la préface de sa traduction des Confessions de Saint
Augustin, rebaptisées les Aveux
(P.O.L, aujourd’hui réédité avec un
post-scriptum défendant le choix
du titre, très critiqué). Cette fois, il
retourne à l’origine perdue de sa
culture et de sa propre langue. On
verra dans l’entretien qu’il n’hésite
pas à la fantasmer. Il lie l’épopée à
son enfance, son père, ses rêves de
bataille, Apollinaire, Hemingway,
Virgile, Duras et même Gérard
de Villiers.
En 1894, l’historien de la littérature
Gustave Lanson écrivait: «La Chanson de Roland est le chef-d’œuvre de
notre poésie narrative, parce qu’elle
est, dans sa forme existante, le poème
le plus voisin des temps épiques. Elle
Dans l’essai qui suit votre traduction, vous comparez Charlemagne
vieillissant à Kurtz, le héros d’Apocalypse Now, et vous évoquez votre
père. Pourquoi?
Mon père a fait quatre ou cinq ans
d’Indochine. Il est revenu quelques
semaines avant Diên Biên Phu, sans
quoi je ne serais peut-être pas là
pour en parler. Sur cette guerre, il
n’a transmis qu’un silence –ce qui
est une figure de transmission habituelle des guerres coloniales. Il y a
des photos de lui, en képi, dans la
brousse, sur la passerelle d’un navire, plutôt fringant. Mais lui n’a jamais rien raconté.
Quand avez-vous lu la Chanson de
Roland?
Mon père nous faisait sillonner interminablement le pays cathare. Il
nous racontait l’histoire de ces châteaux, nous donnait
«Ce qui me touche encore plus,
des livres, parlait de
Charlemagne et de
c’est la figure de Charlemagne.
Roland. Je n’ai pas le
Il a 200 ans, la barbe fleurie,
souvenir d’une déil règne, mais il est «redotez»,
faite. Plus tard, j’ai lu
c’est-à-dire retombé en enfance.» des extraits du poème
en hypokhâgne et en
a été fixée par l’écriture quand la so- khâgne, tout ça était assez chiant.
ciété avait encore une âme adaptée à Puis, il y a six ou sept ans, je l’ai lu
l’esprit originel de l’épopée : elle dans l’excellente édition bilingue
n’avait plus la force active pour en de Ian Short : la meilleure traduccréer, mais elle gardait sa sensibilité tion, faite par un Anglais! Je voulais
intacte pour en jouir.» C’est l’état alors écrire un essai sur la guerre.
d’esprit, ou plutôt de cœur, qui Qu’est-ce qui vous passionne dans
conduit le travail de Frédéric Boyer. cette bataille perdue, où tout le
Etes-vous allé à Roncevaux?
monde meurt?
Non.
La question de l’honneur. Où se
Vous en avez rêvé?
place-t-elle? Question très intime,
J’ai grandi à Toulouse. Pendant les mais où la pointe la plus intime de
vacances au Pays basque, on allait l’individu est liée à une commuà la frontière pour acheter de l’al- nauté, à l’ennemi, à la bataille.
cool et des cigarettes. La Chanson de Aujourd’hui, l’honneur est une vaRoland est une histoire de bataille, leur qui ne fonctionne plus. Mais la
mais aussi de frontière : ses arran- société où naît la Chanson de Roland
gements, ses négociations, ses con- est une société de l’honneur. Il
flits. Mais le lieu qui me touche le conduit à une dignité extrême, mais
plus dans le poème, c’est la vallée il le fait, et c’est très émouvant,
de l’Ebre, où l’on s’est battu pen- dans la pire vulnérabilité. Roland
dant la Guerre d’Espagne. C’est là pleure ses amis morts, sa solitude,
que Hemingway situe Pour qui et il en meurt. Sa vulnérabilité est
sonne le glas. J’aime Hemingway, le lieu même de l’honneur.
ses nouvelles. Comment parler du Vous aimez les batailles, mais vous
combat, de l’énergie et de la lâcheté rappelez que jamais vous ne vous
qu’il dégage, il le fait très bien. C’est êtes battu…
aussi pourquoi j’aime les récits de Je n’ai touché une arme qu’une
torero. Je suis orphelin de ça.
fois, dans le ranch corse de Gérard
de Villiers, où je réfléchissais à un
épisode de l’Exécuteur. Il y avait des
chevaux, donc j’ai monté, et il y
avait un stand de tir, donc j’ai tiré,
au M-16. Je me suis aussitôt démis
l’épaule, et tout le monde a bien ri.
Je suis un grand lecteur de SAS, des
récits très bien faits de conflits et de
guerres. Je suis d’une génération
qui a vécu dans la transmission de
la guerre sans l’avoir vécue, et qui
vit dans un monde où il est pourtant de plus en plus question de
guerre. C’est aussi pourquoi ce
poème, qui est notre premier roman national, m’intéresse.
C’est donc le premier poème écrit
en français qui nous soit parvenu.
Pourquoi le retraduire?
A l’époque où je l’ai lu, je me demandais : comment est apparu le
français? Question liée à mon attachement à la latinité, à Rome, et à
sa décadence. La Chanson de Roland
date du premier quart du XIe siècle.
C’est le premier manuscrit dans
cette langue née au cœur du monde
carolingien. Un autre texte le précède, mais il ne fait qu’un feuillet:
le Cantique de Sainte-Eulalie, conservé à la bibliothèque de Valenciennes. Il raconte la fin de cette
sainte, brûlée vive à 15 ans. Il date
du VIIIe siècle. Je l’ai vu.
Depuis l’Arioste, Roland est montré
comme un furieux. Même Don Quichotte dit qu’il ne veut surtout pas
lui ressembler. En lisant le texte, on
voit qu’il est plus complexe qu’un
va-t-en-guerre forcené. Il a des
contradictions, des tendresses. Il a
son ami Olivier, le sage. Comment
analysez-vous sa mort?
Roland ne meurt pas de ses blessures. Il meurt de solitude, de chagrin, et de sonner l’olifant. Le vers
dit : il l’enfonce bien. Comme un
chevalier qui enfonce sa lance dans
le corps. Les mêmes mots. Et il saigne de le sonner, et il en meurt.
Quand il était temps de sonner
pour appeler Charlemagne à l’aide,
il ne l’a pas fait, et quand il n’est
plus temps, il le fait. Mais ce qui me
touche encore plus, c’est la figure
de Charlemagne. Il a 200 ans, la
barbe fleurie, il règne, mais il est
«redotez», c’est-à-dire retombé en
enfance. L’ange lui dit : il faut aller
au combat. Et lui, il répond : je ne
voudrais pas y aller. C’est un
vieillard indécis, changeant, sénile,
accablé. Le père tout-puissant est
impuissant.
Qu’est-ce qu’une épopée?
C’est raconter un monde perdu
qui devient fondateur du monde
dans lequel on vit. Le monde grec a
l’Iliade et l’Odyssée. Le monde latin
a l’Enéide. L’Exode est l’épopée
Story L •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
III
FRÉDÉRIC BOYER
Rappeler Roland
L’écrivain Frédéric
Boyer, dimanche,
à Paris.
P.O.L, 396pp., 20€.
PHOTO MARTIN COLOMBET
du peuple hébreu. En France, à part
Roland, quoi d’autre? La première
notation historique de l’événement
date de cinquante ans après les
faits. Que dit-elle? Qu’une arrièregarde de Charlemagne aurait été
défaite, dans un col, par des
Basques ou des Gascons. Il n’est
pas question de Sarrazins. Deux ou
trois noms sont cités, dont un
certain Roland, préfet des marches
de Bretagne. Or ce poste n’existe
pas, et Roland n’apparaît nulle
part ailleurs dans l’historiographie.
Comment une trace aussi minime
a-t-elle pu donner cette épopée ?
Elle est née du langage. On s’est fixé
sur ce fait divers honteux, somme
toute pitoyable, on y a mis le
nom de Roland et, peu à peu, de
cette défaite obscure, on a fait
une légende.
Qui est «on»?
«On» se développe sur trois cent
cinquante ans. Le petit événement
devient progressivement une chanson qu’on se raconte. Moi, je pense
qu’au départ, ce sont des chansons
d’anciens combattants, de vétérans
traumatisés par ce qu’ils ont vécu,
comme au Vietnam. Le résultat est
européen: l’histoire débute au Pays
basque, en Espagne. Elle transite
forcément par l’occitan. On la retrouve en Allemagne. Et elle est finalement écrite dans un premier
français anglo-normand.
Vous traduisez en décasyllabes,
comme dans le poème original.
Pourquoi?
J’ai commencé par écrire Rappeler
Roland, le poème qui précède la traduction, sans penser traduire le
poème entier. Mon souci était de
comprendre ce premier état de la
langue qui est la mienne. Mais, en
glissant des vers de Roland dans
mon propre poème, je me suis
aperçu que les traductions existantes ne m’allaient pas. Alors j’ai décidé de tout traduire. Assez vite, le
décasyllabe m’est apparu comme la
seule possibilité. Celui qui l’a remis
à l’honneur dans la langue française
est Apollinaire. Ce n’est pas un hasard si c’est l’un des grands poètes
de notre langue. Il ne fait pas du
Viollet-le-Duc. Il retrouve le chant
médiéval pour mieux travailler et
saisir sa propre langue. Le décasyllabe est la forme de l’épopée.
Vous respectez aussi la fameuse césure épique…
Dans la césure épique, le vers est de
quatre pieds, puis six. Les quatre
premiers pieds sont essentiels :
c’est une césure d’attaque, de
scansion et de pulsion, et en même
temps, par son retour permanent,
elle est hypnotique. C’est un ressort
et une mélopée. On est dans un
rapport à la littérature qui n’est plus
le nôtre : le passé est ce qu’on invente dans le présent, et on l’invente dans une langue qui est une
véritable formule, une incantation.
La Chanson de Roland arrive à ce
moment, assez bref, où la littérature est une littérature d’action qui
relie les gens les uns aux autres.
Est-ce qu’on peut, dans le français
contemporain, faire entendre quelque chose de ça ? Comment cette
recherche modifie à son tour notre
langue ? C’est ma question.
Pourquoi ne traduisez-vous pas
des mots comme «glouton» ou
«culvert»?
D’abord, pour faire entendre des
mots de l’ancien français et parfois,
pour des raisons d’assonance. Ensuite, parce qu’ils me font rire. Sur-
tout, on ne sait pas d’où ils viennent ni ce qu’ils signifient : ils
apparaissent précisément dans la
Chanson de Roland, et on déduit
leur «traduction» du contexte.
Glouton, «glutun», on le traduit par
brigand, canaille, insolent. Moi, je
refuse. Glouton, c’est glouton! Culvert, on le traduit par voyou. Sur un
champ de bataille, je ne m’imagine
pas traiter quelqu’un de voyou.
Pourquoi se passer d’un mot aussi
riche, aussi joyeux ?
Vous traduisez «amurafle» par amiral, alors que c’est généralement
traduit par émir.
D’où sort-on que ça signifie émir?
Du poème lui-même! Or, émir apparaît ailleurs, autrement. Amiral
est peut-être un anachronisme,
mais, à l’époque de la Chanson de
Roland, l’anachronisme n’est pas
une faute. Les titres des uns et des
autres ne signifient rien, ils enjambent librement les cultures et les
siècles.
Vous avez dirigé il y a dix ans la nouvelle traduction de la Bible. Vous
avez traduit saint Augustin, Shakespeare. Qu’allez-vous ou que voudriez-vous traduire maintenant?
Je traduis le Roi Lear, avec Olivier
Cadiot, pour le prochain Festival
d’Avignon. Je rêvais de traduire
l’Enéide, mais Paul Veyne l’a fait
[chez Albin Michel, ndlr]. De Virgile,
je traduirai sûrement les Géorgiques : il y a les animaux, la nature,
les travaux et les jours. J’aime le latin. C’est une langue précise, honnête, qui traverse la question de
l’honneur et qui parle très bien de
la sexualité. Virgile est son grand
lyrique et mon regret est de ne
pouvoir inventer dans ma langue
une langue lyrique. Le dernier écrivain qui l’ait fait, avec un courage
admirable, même au prix du ridicule, c’est Marguerite Duras : un
précipité, dans une langue extrêmement moderne, de tout le chant
lyrique. Une incantation blanche.
Recueilli par PHILIPPE LANÇON
Le Louvre organise le 19 janvier une
journée avec Frédéric Boyer autour
de «la Chanson de Roland».
Rens.: 01 40 20 55 55,
www.louvre.fr/frederic­boyer­
representer­la­bataille
IV
•
L Actualités
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Romans
KETTLY MARS
Aux frontières de la soif
C. HELIE . GALLIMARD
Mercure de France, 165pp., 16,50€.
PAULE CONSTANT,
JURÉE GONCOURT
Robert Sabatier, décédé au mois de juin, est
remplacé à l’Académie Goncourt par
Paule Constant (photo), qui quitte donc le jury
Femina. Auteure Gallimard, Paule Constant a
eu le prix Goncourt en 1998 avec Confidence
pour confidence. Elle rejoint Edmonde Charles­
Roux (présidente), Régis Debray, Philippe
Claudel, Didier Decoin, Françoise Chanderna­
gor, Tahar Ben Jelloun, Patrick Rambaud, Pierre
Assouline et Bernard Pivot.
RENDEZ­VOUS
Bénédicte Heim signe l’Autre moitié de ton
péché (les Contrebandiers), ce jeudi à 18 heures
à la librairie les Cahiers de Colette (23­25, rue
Rambuteau, 75004). Julia Przybos présente les
Aventures du corps masculin (Corti) à Paris IV­
Sorbonne, vendredi à 17h30 (Salle de bibliothè­
que du centre de recherches des lettres, Place
de la Sorbonne, 75005). Frédéric Ciriez signe
Mélo (Verticales) à la librairie le Monte­en­l’air,
à 18h30 vendredi (71, rue de Ménilmontant,
75020). La revue Gruppen fête son numéro 6
lors d’une rencontre avec Charles Pennequin
et Laurent Jarfer lundi, à 18h30, à la librairie
Caractères de Mont­de­Marsan (34, rue Frédé­
ric Bastiat, 40000). Jean­François Chevrier
présente l’Hallucination artistique, de William
Blake à Sigmar Polke (l’Arachnéen), mardi
à 19 heures, à la librairie Michèle Ignazi (17, rue
de Jouy, 75004). Isabelle Nanty lit Césarine de
nuit d’Antoine Wauters (éditions Cheyne), en
présence de l’auteur, mardi à 19 heures au Cen­
tre Wallonie­Bruxelles (46, rue Quincampoix,
75004). Arnaud Viviant et l’équipe de la revue
Charles, dont le numéro 4 vient de sortir, sont
les invités de la librairie Les Guetteurs de vent,
mercredi à 19 heures (108, avenue Parmentier,
75011).
•
Dans Haïti dévastée,
Fito Belmar soigne son
spleen à grandes gorgées d’oubli. Après
s’être enivré du succès
de son premier roman,
ne restent plus à l’écrivain que les affres de la
page blanche et la griserie hargneuse procurée par l’alcool. Le
champ de ruines laissé par le tremblement de terre achève de déprimer celui
qui officie aussi comme architecte à
Port-au-Prince. Il a besoin de réconfort.
D’un peu d’extase bon marché qu’il
s’offre avec une drogue en vogue dans
les bas-fonds de Canaan, le plus grand
camp de réfugiés de l’île. En l’espèce :
des gamines. Débarque Tatsumi, journaliste japonaise qui force Fito à faire le
point sur lui-même. Pour son cinquième roman, Kettly Mars explore plus
avant les recoins sombres de son pays.
Après Saisons Sauvages (réédité en Folio)
sur la dictature Duvalier, elle s’attaque
à la prostitution des enfants. Thème
qu’elle a déjà effleuré avec l’Auberge du
Paradis, nouvelle parue l’an dernier
dans le recueil Haïti Noir. E.Ra.
HAKAN GÜNDAY
D’un extrême à l’autre
Traduit du turc par Jean Descat.
Galaade éditions, 480pp., 23€.
Tous les maux de la société turque et de
la modernité néolibérale en général
sont dénoncés avec la prose au vitriol
qui a fait la réputation d’Hakan Günday.
Ce francophone et fils de diplomate fasciné par le Voyage au bout de la nuit est
considéré comme «l’enfant terrible» de
la nouvelle génération des écrivains
turcs. Derdâ, jeune fille kurde élevée
dans un orphelinat
quasi carcéral est vendue à 11 ans par sa mère
à un riche islamiste,
trafiquant en tout
genre, pour le compte
d’une puissante confrérie mi-religieuse
mi-mafieuse. Prisone
nière au 12 étage d’un immeuble cossu
de Londres, elle finit par s’échapper et
devient, nue sous son tchador, l’icône
du monde sadomaso de la ville. En parallèle se déroule l’histoire de Derda
(sans accent), gamin misérable qui
l’avait croisée lors de son départ pour
Londres. Ce roman coup de poing montre la violence, le poids de l’injustice, le
désespoir qui imprègnent la société turque, mais tombe parfois dans une facilité un peu grand guignolesque. M.S.
langage (ou de l’esprit) et imaginairement
comme le champ donné à l’homme (aux
multiples langages).» Il se déroule
comme une cosmologie de la création
poétique, chaque poème incarnant une
étape du processus d’écriture, en exhibant ses marques de fabrication. Poésie
hermétique donc, tissée de syncrétisme
religieux, cryptée de références innombrables, du dieu lunaire égyptien Thot
au Septième Sceau de Bergman, et qui
tente, dans cette avancée tentaculaire,
d’édifier la mystique moderne d’un
«Adam renouvelé». L. de C.
Revues
CITÉS
La Laïcité en péril
Numéro 52, PUF, 186pp., 15,50€.
Poésie
ROBERT DUNCAN
L’Ouverture du champ
Traduit de l’américain par Martin Richet.
Corti, 177pp., 23€.
Pionnier, avec son ami
Kenneth Rexroth, de la
San Francisco Renaissance et figure phare
de la Beat Generation,
Robert Duncan (19191988) fut aussi le premier poète américain à
revendiquer publiquement son homosexualité, dans un article qui fit scandale en 1944, intitulé
«l’Homosexuel et la société». Façonné
en filigranes par l’héritage de la triade
Eliot-Pound-Williams, du «vers projectif» de Charles Olson ou de la tradition des objectivistes, The Opening of
the Field (l’Ouverture du champ), publié
en 1960, est sa première somme poétique, qu’il conçoit «intimement comme
le champ donné de [sa] vie propre, intellectuellement comme le champ donné du
La revue dirigée par
Charles Zarka consacre
son dossier principal,
coordonné par François Frimat et Juliette
Grange, aux dangers
auxquels serait aujourd’hui exposée la laïcité.
Sur ce thème interviennent entre autres Jean Baubérot («la
Laïcité française: républicaine, indivisible,
démocratique et sociale»), Catherine
Kintzler («Construire philosophiquement
le concept de laïcité»), Charles Coutel
(«Laïcité: penser la crise pour refonder»)
ainsi que Vincent Peillon («Qu’est-ce
qu’une morale laïque?») qui répond à Juliette Grange et Didier Deleule. Ce qui
hausse cependant la valeur de ce numéro, c’est la présence d’un texte inédit
de Michel Foucault : un entretien accordé en avril 1978 à Colin Gordon et
Paul Patton, présenté par Alain Beaulieu, dans lequel le philosophe traite du
marxisme, «discute notamment la réception “subjectiste” de la phénoménologie en
France, clarifie son rapport au structuralisme» et précise «les enjeux de sa critique des mécanismes de pouvoir». R.M.
CLASSEMENT DATALIB DES VENTES DE LIVRES (DU 02/01/2013 AU 08/01/2013)
Evolution
1 (0)
2 (1)
3 (0)
4 (0)
5 (6)
6 (2)
7 (3)
8 (0)
9 (0)
10 (0)
Titre
Cinquante nuances plus sombres
La Vérité sur l’affaire Harry Quebert
Heureux les heureux
One Piece t. 65
Cinquante nuances de Grey
Le Sermon sur la chute de Rome
Peste & choléra
Le Roman du mariage
Fairy Tail t. 28
La Passion suspendue (entretiens)
Auteur
E. L. James
Joël Dicker
Yasmina Reza
Oda
E. L. James
Jérôme Ferrari
Patrick Deville
Jeffrey Eugenides
Hiro Mashima
Marguerite Duras
Editeur
Lattès
Fallois
Flammarion
Glénat
Lattès
Actes Sud
Seuil
L’Olivier
Pika
Seuil
Sortie
Ventes
03/01/2013 100
19/09/2012
48
04/01/2013
31
03/01/2013
28
17/10/2012
23
18/08/2012
23
23/08/2012
17
03/01/2013
17
03/01/2013
16
03/01/2013
15
Source: Datalib et l’Adelc, d’après un
panel de 200 librairies indépendantes
de premier niveau. Classement des
nouveautés relevé (hors poche, sco­
laire, guides, jeux, etc.) sur un total de
92 264 titres différents. Entre paren­
thèses, le rang tenu par le livre la
semaine précédente. En gras: les ven­
tes du livre rapportées, en base 100,
à celles du leader. Exemple: les ventes
de la Vérité sur l’affaire Harry Quebert
représentent 48% de Cinquante nuan­
ces plus sombres.
SUR LIBÉRATION.FR
L’album des écrivains
Tous les vendredis en partenariat avec l’INA,
Libélabo propose des documents filmés.
Cette semaine, le roman et sa diversité sur
le plateau d’Apostrophes, chez Bernard
Pivot: Philippe Sollers parle de Paradis.
(13/02/1981 ­ 01h18min)
Blog
«Fin d’étape», les dernières réflexions du
philosophe Yves Michaud dans «Traverses».
L’Anglaise Erika Leonard, alias E. L.
James, rejoint le cercle très fermé
des auteurs dont on ne peut pas se
débarrasser des semaines et des
mois durant, car chaque volume de
leurs séries romanesques cartonne
encore plus que le précédent. Après
Fascination, Tentation, Hésitation,
Révélation, quadrilogie de l’Améri­
caine Stephenie Meyer plus connue
sous le nom de Twilight, après Millé­
nium 1, Millénium 2, Millénium 3 du
regretté Suédois Stieg Larsson, les
Cinquante nuances se déclinent sur
tous les toits et en trois tons: … plus
sombres ce mois­ci, … plus claires le
mois prochain. Pour ce qui est du
premier volet, Cinquante nuances de
Grey, un coup d’œil sur le site de
l’auteur de Fifty Shades Trilogy mon­
tre que la circulation mondiale des
fantasmes est sous contrôle. Le vipé­
rin nœud de cravate orne la couver­
ture de toutes les traductions
affichées (il est vrai que les 30 ver­
sions ne sont pas représentées).
Seuls les Allemands ont osé l’origina­
lité pour Shades of Grey –Geheimes
Verlangen: le nœud figure en rappel
sur un timbre­poste en haut à gau­
che, afin de laisser se déployer un
truc rouge qui doit être une orchi­
dée. A part ça, les titres de janvier
font leur apparition, les succès de
l’automne s’éloignent. Parmi eux:
Certaines n’avaient jamais vu la mer,
de Julie Otsuka, a dépassé les
100000 exemplaires, un score histo­
rique pour les éditions Phébus. Cl.D.
Actualités L •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
LA REVUE DES DEUX MONDES
La Vie numérique
Janvier 2013, 224pp., 13€.
«Le désormais fameux
tweet, si rudimentaire
qu’il nous paraisse avec
ses 140 caractères maxi,
aura peut-être son
La Rochefoucauld, qui a
écrit des choses fortes en
moins de temps qu’il
faut pour le dire.» Et
c’est peut-être parce que «c’est toujours
Proust ou Balzac qu’on lit», sur les pages
d’un livre ou sur un écran, qu’il semble
hasardeux de dire que «le numérique»
a déjà provoqué un «changement de civilisation». Il est sûr cependant que tout
ou presque s’est transformé : lire,
écrire, regarder, écouter, communiquer, travailler… Pour éclairer le sens de
ces mutations, la Revue des deux mondes, que dirige Michel Crépu, consacre
un dossier à «la vie numérique», fait,
entre autres, des contributions de David
Lacombled, Nicholas Carr, Cécilia Gabizon, Philippe Carcassonne, Eric Villemin, Paul Vacca, Michel Serres… R.M.
Philosophie
SÉBASTIEN CHARBONNIER
Que peut la philosophie?
Seuil, 292pp., 33€.
A la philosophie, depuis toujours, on oppose une question que
l’on croit maline : «A
quoi ça sert ?» Quand
elle répond «à rien»,
elle ne convainc guère.
Elle s’en sort peut-être
un peu mieux quand
elle rétorque que cette question peut
être adressée à un ouvre-boîtes ou à un
cric, mais pas à elle, ni, par exemple, à
la poésie ou à la musique. Pour éviter ces
arguties, Sébastien Charbonnier analyse
les pouvoirs, les possibilités et les visées,
gnoséologiques, éthiques, sociales de la
philosophie, en partant de ce fait quasiment unique qu’elle est en France l’objet d’un enseignement obligatoire dans
le secondaire. «Que peut apporter un tel
enseignement en termes d’émancipation?» Tout en tenant compte de ce que
Pierre Bourdieu ou d’autres ont pu dire
de la «position dominante» de la philosophie et des illusions qui y sont liées,
Charbonnier montre que les conditions
pour qu’advienne une «distribution des
forces de la pensée» et pour que se réalise
«le projet politique, aussi bien spinoziste
que kantien, d’être le plus nombreux possible à penser le plus possible», existent
malgré tout. R.M.
Histoire
MARIE LAURENCE NETTER
Du théâtre à la liberté.
Dans les coulisses des Lumières
Armand Colin, 312pp., 23,40€.
Le théâtre tient une place considérable
dans la société du XVIIIe siècle, plus en
France qu’ailleurs en Europe. Tout le
monde va au spectacle, le roi et sa cour
comme le petit peuple.
Tout le monde, ou
presque, écrit pour le
théâtre –12000 pièces
sont créées entre 1715
et 1789 ! Les intrigues,
toujours très simples,
évoquant des situations proches du quotidien, l’implication des spectateurs est
forte. Aussi, explique Marie Laurence
Netter, «le théâtre est un phénomène de
société avant d’être un art». Or, depuis
Molière jusqu’à Marivaux et Beaumarchais, les comédies sont aussi des critiques sociales, démontrant par le rire
que l’amour et le mariage doivent s’affranchir des statuts sociaux et que la
vertu du valet vaut souvent plus que
celle de son maître. Les lois de la nature
sont les seules bonnes et la liberté ne se
partage pas, est-il rappelé tous les jours
sur les tréteaux. Si ces pièces n’étaient
pas révolutionnaires en elles-mêmes,
«elles ont révolutionné la conception que
la société avait d’elle-même». Aussi, si le
théâtre du XVIIIe siècle est loin d’atteindre les sommets littéraires du siècle
précédent, son rôle social est plus considérable. Sans lui, la large diffusion au
sein de la société des idées philosophiques sur la liberté et l’égalité
n’aurait pas été possible. J.-Y. G.
Arts
«Bordeaux-Vintimille», à fond
de train dans l’horreur Retour sur
le meurtre d’un jeune Algérien en
1983 par Jean-Baptiste Harang
JEAN­BAPTISTE HARANG
Bordeaux­Vintimille Grasset 121pp., 12,10€.
S
urtout pas d’effet de manche. Une
sobriété qui confine au dépouillement. En clair, les faits sans le
pathos. Déjà à Libération, Jean-Baptiste Harang cultivait ce style d’écriture qui lui allait si bien, tout autant qu’au
journal où il a passé de très nombreuses années. Bordeaux-Vintimille conserve obstinément cette manière: un fait divers épouvantable, vieux de bientôt trente ans, raconté
de manière clinique et pourtant pleine
d’émotion tenue. Bordeaux-Vintimille est le
récit d’un meurtre qui secoua la France car
il était atroce. L’acte lui-même mais aussi ses
auteurs et tout ce qu’on appelle aujourd’hui
le collatéral –le climat de l’époque– disaient
(et disent encore) sur la nature humaine ce
qu’on ne veut jamais lui voir.
Ce crime eut lieu en 1983, dans la nuit
du 13 au 14 novembre, dans le train Bordeaux-Vintimille numéro 343 roulant à
pleine vitesse, d’où un jeune Algérien fut jeté
sur la voie par trois Français candidats à la
Légion étrangère, qui l’avaient roué de coups
et poignardé avant de le balancer peut-être
déjà mort par la porte du wagon. Jean-Baptiste Harang n’a jamais oublié ce fait divers
qu’il «couvrit» alors pour Libération, jusqu’au procès des assassins. Et ce qu’il raconte
avec une infinie sensibilité emporte le lecteur, qu’il ait ou non connu l’affaire en son
temps. En lui laissant un poids sur les épaules
pour ce qu’il énonce d’absurdité.
Tout au long du récit, on songe au refrain
de la chanson de Bob Dylan, adaptée en français en 1966 par Graeme Allwright, qui demande inlassablement : «Qui a tué Davy
Moore ? Qui est responsable et pourquoi est-il
mort?» Davy Moore était un boxeur, le jeune
Algérien juste un jeune Algérien. Dans la
chanson, l’arbitre se défend d’être responsable et accuse la foule qui «aurait sifflé si, au
huitième [round], il avait dit assez!» Le jeune
Algérien aurait pu être sauvé par une foule
d’une centaine de personnes, installées dans
le wagon voisin et qui n’a pas bronché. JeanBaptiste Harang se garde de juger. Et il fait
bien. En laissant aux événements réels leur
crudité, sans l’ombre d’un commentaire,
Bordeaux-Vintimille crée un choc qui hante
bien au-delà de ce que l’on imagine. Comme
une stupeur finement romanesque.
BÉATRICE VALLAEYS
VINCENT NOCE
La Raison du fou. Dalí et la science
Centre Pompidou, 126pp, 12,50€.
La raison du plus fou
est-elle parfois la
meilleure ? Vincent
Noce, journaliste à Libération, aborde cette
question en décortiquant les rapports de
Salvador Dalí avec les
sciences, au moment
où le succès de la rétrospective du centre Pompidou semble donner raison à
ses certitudes de postérité. Quels ont été
les rapports de l’inventeur des montres
molles, directs ou fantasmatiques, avec
Freud, Lacan, Einstein, Konrad Lorenz,
le physicien Erwin Schrödinger, le mathématicien René Thom ? Pourquoi et
comment la découverte de la structure
de l’ADN, en 1953, est-elle entrée dans
les territoires morbides du Grand Masturbateur ? Raconter cette aventure,
c’est explorer la vie et l’œuvre de Dalí
au plus intime de leur extravagance,
mais aussi réviser l’histoire scientifique
du XXe siècle : en s’obstinant à vouloir
être «sur la photo» en compagnie des
grands inventeurs, l’artiste a contribué,
en les déformant et en les affolant, à enluminer et magnifier leurs découvertes.
Après l’avoir reçu en 1939, par l’entremise de Stefan Zweig, qui le considérait
comme un génie, Freud aurait dit : «Je
n’ai jamais vu un prototype aussi parfait
d’Espagnol! C’est un fanatique! Pas étonnant qu’ils soient en guerre civile en Espagne, s’ils sont tous comme cela !» Freud
avait remarqué que dans la création, le
problème est la surabondance d’inconscient. Dalí avait utilisé la science
comme carburant supplémentaire et
enrichi du sien, pour mieux voler dans
le ciel froid de Port Lligat. Ph.L.
V
ÉTATS GÉNÉRAUX
DE LA RÉPUBLIQUE
PARTOUT
EN EUROPE,
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LES 1 ET 2 FÉVRIER
À GRENOBLE
À la MC2
Entrée gratuite,
réservation sur
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à partir du 17 janvier
VI
•
L Essais
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Féministes
en tout genre
Christine Bard
contre les
stéréotypes
Nom sens
Le poids et la bannière du
patronyme, selon le psychanalyste
Gérard Pommier
CHRISTINE BARD Le Féminisme au­delà des
idées reçues Le Cavalier bleu, 286pp., 20€.
GÉRARD POMMIER
Le Nom propre. Fonctions logiques
et inconscientes Puf, 320pp., 24€.
«J
e ne suis pas féministe, mais…» Cette
banale affirmation est une protection
contre la mauvaise réputation du féminisme, effet de nombreuses idées reçues. Aussi, les détruire par la preuve
historique, c’est vouloir débarrasser le féminisme
du costume qui le travestit et cesser de croire que
les stéréotypes injurieux qui l’attaquent depuis sa
naissance refléteraient sa pauvreté et son atonie.
Christine Bard tord d’emblée le cou à cette première idée reçue: par la contextualisation des postulats, elle démontre leur nécessaire adaptation
aux trois vagues du féminisme, preuves de sa pluralité. La première vertu de son ouvrage est d’identifier cette temporalité, car toute vague déferlante
recouvre la précédente, au risque d’en effacer le
souvenir. Pour preuve: l’hymne du Mouvement de
libération des femmes qui clamait que celles-ci
étaient sans passé. Une affirmation démentie par
l’existence même du néologisme «féminisme»
promu en 1882 par Hubertine Auclert pour «qualifier l’aspiration à l’égalité des sexes». Cette première
vague, née avant le mot, traversa l’océan du
XIXe siècle, gonflée par le volume croissant des revendications et s’acheva, évidemment, en un
«creux», après l’acquisition du droit de vote.
Dénigrée, puis ignorée, tel fut le sort de cette première vague. A combattre ces postures, l’auteur lui
restitue sa richesse et prouve que ce féminisme-là
ne fut pas qu’un mouvement féminin et bourgeois,
aux militantes si peu féminines, laiderons, laissées
pour compte. Les féministes réformistes, le plus
souvent mariées, jouent alors la carte de la respectabilité ; quant aux radicales, comme Madeleine
Pelletier, leur défi aux codes du genre relève d’une
stratégie des apparences. Et les antiféministes
d’agiter aussitôt le spectre du désordre social par
le renversement de la domination masculine.
La non-mixité de la deuxième vague et la visibilité
des homosexuelles dans ce féminisme des années 70 accroissent l’efficacité de cette menace :
désormais, toutes les féministes sont «violentes et
antimecs», «toutes lesbiennes». De quelle violence
parle-t-on, se demande Bard qui souligne, avec
Groult, que «le féminisme n’a jamais tué personne»?
Juste de soutiens-gorge brûlés ? Pas même : ce
n’est qu’une «légende américaine urbaine» qui
«sollicite l’imaginaire de l’enfer promis aux pécheresses et du bûcher réservé aux sorcières». Ou s’agit-il
de projets de castration? Balayant ces fantasmes,
l’historienne s’amuse de l’arme première de ces
féministes: l’humour («Prolétaires de tous les pays…
qui lave vos chaussettes ?»).
Jamais les féministes de la deuxième vague ne sont
allées aussi loin dans la provocation que les Femen.
Avant leur irruption remarquée sur la scène féministe, une troisième vague était née dans les années 90 de la revendication paritaire. Mais, contrairement à l’idée reçue, l’équation simpliste
parité = féminisme est fausse : la troisième vague
est celle d’un féminisme pluriel. Elle est pour lors
accusée de «prôner la théorie du gender», subversive. Bard découvre dans cette accusation l’anticonstructionnisme («on naît femme ou homme»),
l’homophobie, la transphobie et un enjeu politique. De fait la question du genre vient bien d’être
invitée, par ses détracteurs, à l’Assemblée.
YANNICK RIPA
C
hez les Mossi du Burkina
Faso, un nouveau-né reçoit
d’abord un nom «bas», qui
le dévalue et le disqualifie
– «ordure», «balayure»… –
afin que les mauvais esprits le négligent
et l’épargnent. Quand la cérémonie qui
lui réserve une place dans la société
aura été célébrée, il recevra un autre
nom, publiquement fêté. Les Egyptiens
avaient aussi un nom secret, outre leur
nom public, de sorte que leurs ennemis
ne puissent l’utiliser dans des cérémonies magiques de malédiction. Les Sereer Siin du Sénégal donnent pas moins
de cinq noms à l’enfant. Le premier, attribué au fœtus, est celui d’un ancêtre
qui «choisit une femme déjà fécondée
pour la pénétrer au moment où elle rêve».
Le deuxième, «nom de ramassage»
(gon sigir), est donné par la grand-mère
paternelle: il sera gardé secret et l’intéressé n’en aura jamais connaissance. Au
huitième jour, au cours de rituels de
«relevailles», s’ajoutent un nom gon,
choisi par la tante paternelle parmi les
noms illustres de la patrilinéarité –que
l’enfant peut refuser, «c’est tout du
moins ce que pense son entourage s’il est
atteint d’une certaine maladie nommée
a pan gon (refuser le nom)»– et un nom
tunde, emprunté à un ami du père. Enfin, le devin, «donneur de nom», tentera
d’identifier l’ancêtre qui a été réincarné, et choisira parmi les cinq noms
qu’il portait celui qu’il donnera en plus
à l’enfant. Dans le Japon shintoïste ou
chez les Inuits, les noms changent selon
les périodes de la vie, «comme si aucun
n’était jamais vraiment le bon».
Parricide. Que les modalités de la nomination – nom de famille, prénom,
surnom, parfois pseudonyme– varient
en fonction des époques et des cultures
est une évidence. C’est peut-être la rai- Gérard Pommier est psychanalyste et
son pour laquelle on se contente de de- psychiatre, professeur émérite des unimander «comment t’appelles-tu ?» versités. Il connaît évidemment par
sans s’aviser jamais d’ajouter: pourquoi cœur la façon dont Jacques Lacan, dès
t’appelles-tu comme ça ? Le nom que le séminaire de décembre 1961 sur
tu portes te porte-t-il ou t’empêche-t-il «l’Identification», a «refondé» la quesde te tenir droit ? Qui as-tu dû «tuer» tion du nom propre, comme voie d’acpour le porter ainsi ?
Quelle dette dois-tu à Pourquoi t’appelles-tu ainsi? Le nom que
ton ancêtre ? As-tu tu portes te porte-t-il ou t’empêche-t-il
un nom secret? Et ce
de tenir droit? Qui as-tu dû «tuer» pour
nom, si secret que tu
l’ignores toi-même, le porter ainsi? As-tu un nom secret?
est-il celui de ta né- Et ce nom, si secret que tu l’ignores
vrose ? De quelle fa- toi-même, est-il le nom de ta névrose?
çon jouis-tu de ton
nom ou es-tu par ce nom fermé à la cès possible au «Nom-du-Père», transjouissance ? Pourquoi ne peux-tu pas mission atavique de l’interdit et
traduire ton nom d’une langue à l’autre enracinement du sujet dans le langage,
comme les noms communs ? Quand le champ de l’Autre. Il sait également
«es-tu entré tout entier dans le nom qui que Freud n’a fait qu’ébaucher une
est tien» et as-tu «marché d’un pas si sûr théorie du nom, qui eût par exemple
vers toi-même» (Paul Celan) ?
permis de mieux caractériser «l’identifi-
cation primordiale au père, peu convaincante sans le trophée du patronyme, conquis dans les défilés œdipiens», sinon de
préciser le processus d’«identification au
symptôme (qui fonctionne à certains
égards comme une identification au surnom)». Aussi Pommier n’explore-t-il
pas un terrain vierge – d’autant que la
clinique atteste l’importance décisive du
nom (de sa dénégation, de son oubli…)
au cours de l’analyse elle-même– mais,
dans le Nom propre. Fonctions logiques et
inconscientes, il se propose de l’arpenter
méthodiquement, centimètre par centimètre, en suivant toutes les arborescences, mythologiques, religieuses, ethnologiques, linguistiques, philosophiques,
sociales, d’une «anthropologie psychanalytique».
Une histoire du nom propre ne peut
qu’être indexée à l’histoire des religions.
S’il est en effet un invariant culturel,
c’est bien celui qui attribue au nom une
Essais L •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
VII
Grévistes de tous corps
Deux siècles de luttes
sociales racontés par
Michel Pigenet et Danielle
Tartakowsky
La clinique
aussi atteste
l’importance
décisive
du nom.
PHOTO LARS
TUNBJÖRK.VU
origine sacrée, si bien que les modalités
d’attribution et de filiation des noms
«sont à chaque fois liées à un bouleversement des croyances». Or, «à bien considérer le mouvement à sens unique des religions, elles se sont déboîtées les unes des
autres dans l’obsession d’une “spiritualisation” toujours plus grande du père», en
passant de l’animisme au totémisme, du
polythéisme au monothéisme, «qui a
poussé l’éternisation du père jusqu’à sa
dernière extrémité».
Là commencent les aventures du nom.
Le premier acte parricide, au cours duquel les enfants dévorent le père, par
quoi s’instaurent interdiction de l’inceste et exogamie, aboutit à l’érection
du «père en bois» : le nom patronymique peut s’attacher à ce totem, à «ce
Mort qui n’est jamais mort», puisqu’on
lui rend un culte. Mais le monothéisme
pose, lui, un Dieu «sans attribut, sans
visage, sans nom». Dès lors, comment
le nom va-t-il être forgé «s’il ne s’appuie plus sur quelque filiation totémique»? Une piste, entre mille: dans certaines tribus sémites d’Arabie et
jusqu’au Sinaï existait une «religion des
pères», celle du dieu El: El n’est pas un
nom, mais une racine polysémique signifiant «aussi bien “grâce”, “vie” que
“santé”» et qu’on «retrouve par exemple
dans Mika-El, Nathana-El, Gabri-El,
mais aussi dans Isra-El, et dans une multitude d’épithètes divines, mais alors en
position initiale, comme El-Shaddaï, le
seigneur» ?
«Gardien». Pommier examine naturellement les rituels qui ensuite accompagneront la donation de nom, la circoncision ou le baptême, et les
modalités selon lesquelles elle sera faite
en Grèce, dans le droit romain, en Europe chrétienne, en France après l’édit
de Villers-Cotterêts, «qui rétrograda
l’ancien nom unique au rang de nos actuels prénoms, en apparence afin de mettre en ordre un Etat civil devenu impraticable», car «le fisc, la police, les notaires
(etc.) étaient débordés par le surnombre
des Pierre, Paul ou Jacques». D’une
grande densité, déjouant tout «résumé», le Nom propre n’est cependant
pas un livre d’histoire. Pommier y commente la prétendue «mort du nom propre
dans la philosophie analytique», en s’arrêtant sur Gottlob Frege, Bertrand Russell, John Austin ou Saul Kripke (pour
lequel le nom est un «désignateur rigide»), expose sa fonction dans l’écriture, décrit ses pathologies dans la névrose et la psychose, analyse en détail
le sens de la «prise de nom», la question
du changement de nom et de l’identité,
comme rapport du sujet à son nom.
Mais sans doute sera-t-on retenu par ce
qu’il dit du prénom (venu du désir des
parents) comme «embrayeur de la parole», quand l’enfant passe du «il» par
lequel il se désigne lui-même («le “il”,
c’est lui tel qu’il fut pour l’Autre»), au
«je» – passage qui ne se fait que par le
truchement d’un «tu» qui l’appelle.
«Le sujet qui parle le fait “en son nom”,
mais il ne le prononce jamais en même
temps qu’il dit “je”», comme si, ex-«il»,
il revenait d’un exil d’où il ne pouvait
encore nommer les choses et restait
«gardien du tabou, de l’interdit de prononcer le nom du père». Sans nom, on ne
tient pas droit, c’est vrai. Mais lorsqu’on
parvient à le «porter», il arrive, parce
qu’il faut «en répondre», que le «corps
psychique» s’affaisse sous son poids.
ROBERT MAGGIORI
•
SUR LIBÉRATION.FR
Tchat ce jeudi à 15 heures avec
le psychanalyste Gérard Pom­
mier.
MICHEL PIGENET
et DANIELLE TARTAKOWSKY
Histoire des mouvements
sociaux en France,
de 1814 à nos jours
La Découverte, 800pp., 32€.
F
ort de quelque 800 pages, ce livre collectif
entend offrir un tableau
très ample de la conflictualité sociale dans
un pays réputé être le champion
des grèves et des manifestations.
L’objet, pourtant, ne va pas de soi:
qu’est-ce exactement qu’un
«mouvement social»? Les auteurs
n’esquivent pas la question. L’expression, expliquent-ils, apparaît
en 1823 dans les milieux du réformisme chrétien et se fixe au sens
actuel au début du XXe siècle :
des mobilisations collectives, soucieuses de défendre ou d’améliorer un statut, mais aussi «indépendantes des organisations politiques
et syndicales ou du moins ne s’y réduisant pas» (Claire Andrieu). Le
choix d’ouvrir l’étude au début
du XIXe siècle malmène cependant
un peu la chose, puisqu’il fait de la
dynamique industrielle le cœur
du phénomène et de la «centralité
ouvrière» son trait majeur. D’où le
risque, pas toujours évité, de verser dans une histoire des organisations ouvrières, de l’action syndicale ou des engagements de la
gauche radicale.
Le livre, soyons juste, ne s’y limite
pas. De longues et solides notices
sont consacrées à l’action des vignerons du Midi, à celles des
ouvriers xénophobes qui mènent
la chasse aux Italiens comme à Ravières (Yonne) en 1880 ou à
Aigues-Mortes (Gard) en 1893,
aux artisans et petits commerçants en révolte menés par Pierre
Poujade, ou même aux initiatives
patronales. «Les mouvements sociaux ne sont pas tous des mouvements de classe», renchérit Antoine Prost. La résistance des
catholiques aux inventaires
en 1906 ou aux politiques scolaires
du début des années 80, celles des
soldats mutinés de 1917, puis des
anciens combattants de l’entredeux-guerres sont donc, à juste titre, incorporées à l’histoire large
de ces protestations collectives.
Deux évolutions principales se
dessinent. La première concerne
le répertoire d’actions. Jusque
vers 1850 dominent des formes
anciennes et pour partie oubliées:
bris de machines, troubles frumentaires et antifiscaux, acclamations et charivaris, enterrements
frondeurs, banquets, émeutes et
barricades. La seconde moitié
du XIXe siècle délégitime le mode
insurrectionnel au profit de pratiques renouvelées, en lien avec
l’entrée dans l’âge du salariat et de
l’Etat social. C’est le temps de
l’action syndicale, des défilés,
des 1er mai, des grèves surtout, qui
deviennent la forme reine et culmineront en 1936 et 1968. En dépit
du sentiment répandu, la grève a
aujourd’hui perdu beaucoup de sa
superbe (de 3 millions de journées
dans les années 70 à moins de
500 000 aujourd’hui) et la France
n’occupe que le 10e rang pour la
fréquence des conflits sociaux,
derrière l’Espagne, l’Italie,
l’Autriche ou les pays scandinaves. Ce qui ne signifie pas que de
puissants mouvements, parfois
éruptifs, ne puissent survenir,
comme en décembre 1995. Mais
d’autres formes ont aussi apparu,
utilisant les médias (la radio Lorraine cœur d’acier fut l’un des
instruments de lutte des sidérurgistes lorrains), s’élargissant aux
technologies virtuelles (listes de
diffusion, Web participatif) ou
jouant la carte internationale, à
l’instar des forums contemporains.
La seconde évolution concerne les
acteurs de ces mobilisations, qui
connaissent après 1968 une rapide
mutation. Le déclin progressif des
«utopies» et le déplacement des
enjeux vers des questions plus socioculturelles ont fait surgir de
nouvelles figures, soucieuses d’affirmation identitaire. Les jeunes
constituent dès lors un des groupes les plus remuants, mais il faut
aussi compter avec le féminisme
dit «de la deuxième vague», qui,
à l’égalité des droits, associe la
contestation du modèle patriarcal,
les régionalistes, les homosexuels,
les prisonniers ou les travailleurs
du sexe en quête de dignité. Cette
inflexion s’est accentuée vers
d’autres catégories : travailleurs
précaires ou sans-papiers, que révèlent les grèves de 2006 et 2009,
mal-logés, retraités, chômeurs,
«indignés» et consommateurs
«responsables». Plus autonomes,
plus conformes en cela à la vocation du «mouvement social», mais
aussi plus fragmentées et donc
plus fragiles, ces oppositions peinent à traduire leurs aspirations en
projets politiques. En dépit de leur
capacité mobilisatrice, elles ne
sont donc guère parvenues jusqu’ici, comme certains pouvaient
en rêver, à être une forme de «dépassement par le social des impasses politiques».
DOMINIQUE KALIFA
VIII
•
L Littérature française
Caligaris monte en
chair Un récit-essai
sur l’histoire du
«Japonais cannibale»
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Philippe Sollers à l’école des
femmes «Portraits» souvenirs
et autres médaillons
NICOLE CALIGARIS
Le Paradis entre mes jambes Verticales, 172pp., 16,90€.
I
l n’y a pas beaucoup d’autres moyens d’entamer une
recension du Paradis entre mes jambes que d’en délivrer
le pitch à plat, dans sa blancheur clinique, à ras de l’effroi : «Le 11 juin 1981, mon camarade d’université Issei
Sagawa, né à Kobé, au Japon, le 26 avril 1949, étudiant
de 32 ans, a commis un meurtre suivi d’actes cannibales sur
notre camarade hollandaise de 23 ans, Renée Hartevelt, qu’il
avait invitée dans son appartement du 10, rue Erlanger, Paris
XVIe, en lui demandant d’enregistrer en allemand la lecture d’un
poème de l’auteur expressionniste Johannes Becher.» Nicole
Caligaris a croisé Issei Sagawa lors de deux soirées. Après le
meurtre, elle lui écrit en prison huit lettres, auxquelles il répond avec mille remerciements. Avant de partir en HP, il lui
envoie depuis la Santé un exemplaire en français d’Eloge de
l’ombre de Tanizaki.
Le fait divers a donné lieu à plusieurs livres, des chansons,
est devenu culte. Sagawa a en effet enregistré le meurtre, sur
bande magnétique (la victime lit, on entend le coup de feu,
le corps qui tombe) et en photos, ayant découpé le cadavre,
fait cuire certaines parties et gardé 7 kg de morceaux dans
son réfrigérateur. Il avait commencé par mordre la fesse, mais
la viande était trop dure, avant de s’attaquer au clitoris.
En liberté depuis longtemps, Sagawa vit désormais de ses
tournées, shows télévisés, participations à des fictions. Difficile de ne pas interrompre la lecture du Paradis… pour aller
googliser l’horreur, difficile de ne pas sauter tout à la fin du
livre où Caligaris a publié les lettres du malade. Résistons.
Car le sujet, c’est Caligaris et la littérature, même si «la jeune
fille que j’étais est un document abscons pour la femme que je
suis devenue».
A l’instar du corps massacré de Hartevelt, Caligaris se met
littéralement en quatre, se dissèque, pour comprendre ce qui,
dans la femme, dans le sexe féminin culturalisé, appelle à la
consommation, à l’amour à mort. Désir cohérent avec «une
passion du jamais saisissable, un attachement à l’imparfait, au
malpropre de l’homme» qui, écrit-elle, caractérisent son écriture. En ce sens, le Paradis… garde des études de la jeune fille
le goût de l’Eros meurtrier cher à Georges Bataille, du supplice des cent morceaux, de l’ouverture absolue. «Ce n’est
pas pour entrer dans le monde des lettres que j’ai commencé à
écrire, c’est pour sortir de ma condition. J’ai écrit pour contrarier
la programmation de mon entrejambe.» Et de raconter, dans
une première partie de ce récit-essai, comment la fille est
éduquée à attendre une métamorphose, une illusoire réalisation, par la défloration puis la fécondation, comment «le bon
usage du corps des filles» consiste à «demander à la chimie de
manger mes odeurs, demander aux rasoirs, aux cires, aux pinces
de me défaire de mes poils, demander aux fers électriques de me
friser puis de me défriser», etc. car la fille doit avoir, avec les
règles, «la conscience de sa propre corruption, la conviction que
ces émissions du corps sont la manifestation de la mort qui se
prépare en lui».
La femme, corps dont on ne veut qu’apprêté, afin de le consommer. «Elle n’est pas là pour croquer le monde, au contraire
des garçons», mais «pour être, mais de quelle façon? offerte.»
Plus référencée, la seconde partie («L’homme étranger à
l’homme») s’attarde sur les questions de représentation et
de défiguration via Francis Bacon ou Tanizaki, pour, par-delà
des pistes bien connues des sémiologues de l’eucharistie, tenter de saisir le rapport entre la langue et la consommation.
Sagawa parlait mal le français et avait demandé à Renée de
venir lire en allemand : «la bouche d’Issei Sagawa, formée à
l’articulation du langage, a laissé revenir en l’homme ce que la
faculté de parler avait inhibé: la joie de la morsure.» Le livre se
conclut sur la littérature comme chose obscène, «pouvoir mineur, lunaire, siégeant entre les lèvres du vagin de Baubô, contraire au soleil écrasant», personnage mythologique qui avait
fait rire Déméter, désespérée de la disparition de sa fille Perséphone, et figure philosophique du féminin depuis le Gai
Savoir de Nietzsche.
ÉRIC LORET
Philippe Sollers
publie son premier
roman, Une curieuse
solitude, en 1958.
PHOTO AFP
PHILIPPE SOLLERS
Portraits de femmes
Flammarion, 156pp., 15€.
S
ainte-Beuve, dans son recueil intitulé Portraits de
femmes (1840), était plus
tendre à l’égard de Mme de
Duras que Sollers, dans ses
Portraits à lui, envers «la sorcière
Duras», la nôtre, Marguerite. Il
l’avait déjà étrillée dans Un vrai roman, mémoires dont ce petit livre
est le surgeon, parce qu’elle l’avait
attaqué à la sortie de Femmes (1983).
Peut-être même avait-elle fait pire.
Dix ans auparavant, elle l’avait en
effet enrôlé du côté du malheur, et
ça, c’est impardonnable.
«Dans le livre les Parleuses , où elle
s’entretient avec Xavière Gauthier,
Duras trouve que je suis le seul homme
avec qui les femmes peuvent parler à
l’époque. Pourquoi ? “Parce que Sol-
lers est désespéré.” Quelle idée!» Une
idée, soit dit en passant, que Régis
Debray glisse, lui aussi, dans le portrait à charge intitulé «Sollers, le bel
air du temps» («il y a du désespoir
chez ce pas-dupe»), écrit en 1999
pour Marianne. Debray le reproduit
en tête de Modernes Catacombes, qui
vient de paraître chez Gallimard, au
chapitre «Couteaux». Argument :
«Le ludion du bocal, chansonneur et
Tendons l’oreille, comme dirait Sollers. Rapide, selon son rythme,
speedé si on veut, musical, surtout,
comme il l’est réellement dans tous
ses derniers romans, il ne joue pas
la comédie à travers Portraits de femmes. Parfois, il écrit n’importe quoi:
«Les homosexuels, eux, m’ennuient
vite (sauf exception), les femmes jamais.» Il s’en va chercher Cléopâtre
et quelques guillotinées pour compléter une brocante
féminine qui ne s’im«Ecrire, marcher, dormir,
posait pas. Ou bien il
et encore écrire et encore dormir.
s’amuse aux dépens
[…] Ne nous dérangez pas, on est
des collègues. Ainsi,
très forts, mais aussi très fragiles.»
il met en scène le
jeune homme qu’il
speedé, nous joue en fait la comédie de était, client assidu des prostituées et
la comédie.» Quelques lignes d’in- des endroits mal famés, «l’université
troduction rassurent : «Il va de soi des débutants». Il a 20 ans en 1956.
que nous avons repris depuis les La fac ? «Il a ses diplômes de bordel,
meilleures relations. Son talent et sa c’est bien suffisant.» Là-dessus, il
personne l’exigent.»
enchaîne sur le manque de corps
Littérature française L •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
IX
Congo home De retour à Pointe-Noire,
le romancier Alain Mabanckou dresse
«l’inventaire du passé»
dans la littérature. Conclusion du
chapitre fanfaron : «J’ouvre Le Clézio, rien, Modiano, élégant brouillard,
Quignard, mélancolie et traumatisme
de la naissance. Chez ce dernier, une
triste figure apparaît dans toutes les
pages, celle de la raide Isabelle Huppert. Il s’est sûrement passé quelque
chose de terrible dans ce pays, mais
quoi?» C’est la fantaisie habituelle.
Elle lui est naturelle.
Plus sérieusement, il porte un autre
regard sur ses souvenirs. Bordeaux,
ses tantes, ses premiers émois, on
les connaît déjà. Mais s’était-il ainsi
adressé à sa mère ? «Je te revois là,
vivante et jeune, pas du tout fantôme,
assise près de l’eau sur le banc de bois
blanc, sous le pin parasol.» Eugenia,
basque, activiste politique réfugiée
en France, employée par ses parents, est à la fois son premier
amour –Elle a 30 ans, j’en ai 15»– et
la clé de son premier roman, Une curieuse solitude, qui lui est dédié. «Le
corps libre et antisocial d’Eugenia
acceptait le mien. C’est rare.»
Soixante ans plus tard, il s’agit
d’autre chose, et c’est inattendu :
«Ce qui me frappe le plus, maintenant, c’est sa gentillesse. Son sourire
indulgent me poursuit.»
A l’amicale du malheur et des déprimées, Sollers préfère des associées plus rieuses, «les artistes de la
vie». Ses romans sont pleins de prénoms féminins qui en sont l’illustration. Il dresse ici la liste de ces romans et de ces prénoms, il n’a sans
doute pas pensé qu’ils risquaient de
nourrir une prochaine notice Wikipédia. Il a épousé Julia Kristeva, raconte à nouveau comment, le jour
de leur mariage, ils ont déjeuné
dans un restaurant où se trouvaient
Aragon et Elsa Triolet. Auparavant,
il a rencontré Dominique Rolin, qui
était née en 1913, et qu’il a accompagnée jusqu’à son dernier souffle,
en mai dernier. Il aura choisi «une
stabilité, d’ailleurs compliquée, de
double vie».
«Elle a 45 ans, j’en ai 22.» Comme
dans le roman Passion fixe où Dominique Rolin figure sous le prénom de
Dora, il raconte leurs principes de
vie et de bonheur, on n’ose dire leur
morale. Ils sont tous deux écrivains,
elle lui apprend la discipline. Leur
territoire : Venise et la musique.
«Ecrire, marcher, dormir, et encore
écrire et encore dormir. […] Ne nous
dérangez pas, on est très forts, mais
aussi très fragiles.» Portraits de femmes contient des pages propres à séduire des lectrices vertueuses, tout
ce que l’auteur déteste, de belles pages sur la nécessité du retrait, du silence, de la non-transparence. Et
sur l’amour. «Dans l’amour, quoi
qu’il arrive, même aux confins de
l’horreur ou de la démence, vous touchez du doigt la défaite de la mort.»
CLAIRE DEVARRIEUX
ALAIN MABANCKOU Lumières
de Pointe­Noire Seuil, 304pp., 19,50€.
E
ntre Alain Mabanckou et son
Congo natal, il y a la distance.
Vingt-trois ans d’absence multipliés par des milliers de kilomètres
de séparation, combien ça fait
d’éloignement? Entre lui et là-bas, l’écrivain
jette depuis son départ des ponts d’encre et
de pages, comme autant de chemins le ramenant au pays par l’imagination. «Sur cette
route je marcherai alors comme les crabes qui
se baladent sur le sable de notre Côte sauvage:
on croit qu’ils vont aller à gauche, ils font demitour, ils s’arrêtent sans savoir pourquoi, ils
tournent en rond, et ils repartent en vitesse vers
la droite avant de revenir à gauche. Mais ce que
j’aime chez les crabes c’est qu’ils savent toujours où ils vont aller, et ils finissent par arriver
tôt ou tard.» C’était en 2010, à la fin de
Demain j’aurai vingt ans. Nous suivions
l’auteur, progressant à pas chassés vers
Lumières de Pointe-Noire. Et sans doute, à
l’époque, lui-même ne faisait-il qu’entrevoir
les lueurs qui le conduisaient à bon port.
Après trois ans de course en biais, voici
l’homme battant le pavé des rues de son enfance. Physiquement. Le prétexte de son retour est simple : Mabanckou est invité par
l’Institut français de Pointe-Noire pour quelques jours de conférence. Mais la motivation
profonde de ce séjour de deux semaines est
autrement plus personnelle. Elle est livrée
dès l’incipit: «J’ai longtemps laissé croire que
ma mère était encore en vie. Je m’évertue désormais à rétablir la vérité dans l’espoir de me départir de ce mensonge qui ne m’aura permis
jusqu’alors que d’atermoyer le deuil.»
Pauline Kengué est morte en 1995. Et comme
l’avait prédit l’une de ses cousines, son unique rejeton était en France lorsque celle-ci
poussa son ultime soupir. Il ne fit pas le déplacement pour assister aux funérailles, de
peur du «face-à-face avec le corps de cette
femme que j’avais laissée souriante, pleine de
vie». A la place, l’étudiant en droit, installé
à Paris, s’engagea pour la première fois sur
le chemin de l’écriture en rédigeant la
Légende de l’errance, recueil de poèmes dédié
à la défunte. Depuis, il a continué, puisant
dans le déchirement d’avec la terre des origines la matière de ses livres. D’où l’on devine
que son œuvre n’a peut-être été jusqu’ici
qu’une variation autour de ce geste initial,
par lequel l’écrivain cherche à revenir vers
son passé pour mieux s’en départir.
Bicoque. Dans Lumières de Pointe-Noire,
Mabanckou sonde sans cesse l’écart entre le
territoire mythique dont il garde la mémoire
et le devenir réel des choses soumises au passage du temps. Ainsi lorsqu’il découvre l’ancienne parcelle de ses parents: «En remettant
les pieds sur les lieux j’ai du mal à imaginer que
c’était la même maison que nous possédions.
[…] Je tourne autour de la bicoque et bute contre
les pierres disposées devant la façade principale.
Autrefois c’étaient deux marches d’escalier. Les
saisons avaient fini par les grignoter, ne laissant plus que ces débris épars que personne
n’ose déplacer, par respect de la mémoire de ma
mère.» Ou bien cette salle de ciné dans laquelle Dieu a mis Bruce Lee K.O.: «Le cinéma
Rex me paraît minuscule alors qu’à l’époque je
le trouvais immense, voire incommensurable.
Est-ce parce que j’ai fréquenté d’autres salles
plus grandes en Europe, à Los Angeles ou en
Inde, où les spectateurs se transforment carrément en acteurs? J’observe notre ancienne salle
et contiens à peine ma déception. Une banderole
indique qu’un festival de musique chrétienne
se déroulera dans l’enceinte.» Plus que celle
des objets, c’est la métamorphose des gens
qui trouble l’écrivain. L’expérience la plus
traumatisante étant l’irruption de Yaya Gaston, son «grand frère», ivre mort dans une
conférence de l’Institut français, à mille lieux
du «maniaque de la propreté», de l’«idole»,
du «héros» immortalisé dans Demain j’aurai
vingt ans.
Car à force d’arpenter Pointe-Noire en souvenir, l’auteur a figé le portrait d’une ville dont
le visage n’a cessé d’évoluer au fur et à mesure que passaient les années. A l’image de
ces photos de famille, cornées, flétries, fripées qui, enchâssées dans les pages du livre,
opposent obstinément à la contemplation de
ce qui est devenu l’empreinte indélébile de ce
qui a été. Et plus l’écrivain dresse «l’inventaire
du passé» plus s’accroît le hiatus entre ces
deux périodes qu’il ne parvient plus à relier.
Alors Mabanckou pérégrine dans les vestiges
de son enfance avec, dans le regard, la stu-
peur du romancier découvrant que sa galerie
de personnages mène une vie autonome, affranchie des rôles étriqués dans lesquels il
pensait les avoir enclavés. Sentiment d’étrangeté qui provient en même temps d’un basculement identitaire que le Ponténégrin lit
dans les yeux de ses compatriotes: «Ceux qui
me croisent pressentent que je ne suis pas d’ici
– ou plutôt que je ne suis plus d’ici.»
Zigzag. A 46 ans, l’écrivain a partagé sa vie
à égalité entre l’Afrique et l’Occident. Mais
on sent dans Lumières de Pointe-Noire qu’un
cycle touche à sa fin. Déjà en 2012, la publication d’un essai, sur la nécessité pour la diaspora africaine d’investir pleinement ses territoires d’immigration (le Sanglot de l’homme
noir, Fayard), et d’un polar situé dans la communauté congolaise à Paris (Tais-toi et meurs,
La Branche) amorçait le recentrage du territoire de la fiction en dehors du cadre continental africain. Connaissant le pas zigzagant
d’Alain Mabanckou, on ne se risquera pas à
prévoir vers où marche désormais son écriture. Seule certitude, la nouvelle année
s’ouvre par une rupture amiable avec la cité
natale: «Au fond, cette ville et moi sommes dans
une union libre, elle est en quelque sorte ma concubine et, cette fois, je semble lui dire adieu.»
ÉMILE RABATÉ
X
•
L Littérature étrangère
On achève bien
d’imprimer
On s’en fout
grave
Par ÉDOUARD LAUNET
A
u Qatar, un tribunal de Doha vient de
condamner le poète Ibn al-Dhib à la
prison à perpétuité pour avoir écrit
un poème dans lequel il compare
tous les pays arabes à la Tunisie en
lutte contre une élite despotique. Mais soyons
francs : cette affaire, on s’en fout. En Hongrie,
l’écrivain Péter Esterházy a été censuré par une
radio publique parce qu’il avait critiqué la politique culturelle du gouvernement du très conservateur Premier ministre, Viktor Orbán, lequel a
mis les médias sous contrôle. Que les choses
soient claires : on n’en a rigoureusement rien à
battre. A Moscou, l’écrivain Edouard Limonov a
été interpellé le 31 décembre pour avoir tenté de
participer à un rassemblement non autorisé : il
s’agissait de défendre, comme tous les 31 des
mois comportant 31 jours, l’article 31 de la Constitution, qui garantit la liberté de rassemblement.
Prenez note : nous n’en avons absolument rien
à foutre.
En Chine, le poète ouïghour Nurmemet Yasin a été
torturé et condamné en 2004 à une peine de
dix ans de prison pour avoir publié une nouvelle
intitulée le Pigeon sauvage, considérée comme
un réquisitoire déguisé contre les autorités. Qu’il
crève ! D’ailleurs, il semble que cela soit fait :
on vient d’apprendre qu’il serait mort en prison
en décembre 2011. En Chine toujours, le poète
dissident Li Bifeng, emprisonné depuis 2011, vient
d’être condamné à douze années de prison… pour
escroquerie. Ce chien puisse-t-il pourrir comme
l’autre, bon débarras ! Gérard Depardieu, acteur
français de talent, est aux prises avec le gouvernement français qui veut lui piquer ses sous.
Cette fois, on franchit les bornes du scandaleux
et de l’inacceptable.
Car l’affaire ressemble fort à une persécution politique doublée d’une chasse à l’homme : Gérard
voulait juste profiter de ses millions, péter dans
la soie, roter son vin sans se faire emmerder
par la collectivité. Or on le traque, on l’impose
à 75%, on l’oblige à fuir en Belgique, et peut-être
même jusque dans les montagnes de l’Oural.
On aimerait se lancer ici dans une défense argumentée de ce comédien tyrannisé, mais la rage
est trop forte, les mains tremblent, les mots se
bousculent sous la plume, et tout ce que nous
parvenons à écrire est : c’est vraiment dégueulasse. Mais à quoi bon s’indigner ? Tout le monde
s’en moque et Depardieu, comme tous les autres
sans voix, est condamné à subir le chapelet d’avanies que lui a concocté un régime despotique.
Ayons une pensée émue pour ce grand lecteur
de saint Augustin.
Et pendant ce temps-là, avec quoi nous bassinet-on ? Avec l’écrivain et blogueur cubain Angel
Santiesteban Prats qui, le mois dernier, a été condamné par un tribunal de La Havane à cinq ans de
prison pour… violation de domicile. Inutile de dire
qu’on s’en moque éperdument. Avec l’écrivain
saoudien Turki al-Hamad, arrêté le 24 décembre
pour avoir diffusé sur Twitter des propos jugés offensants envers l’islam. On s’en bat l’œil au point
de se faire des cocards. Avec le journaliste et blogueur Hamza Kashgari, livré l’an dernier par la
Malaisie au royaume saoudien afin qu’il soit jugé
pour blasphème, suite à ses commentaires sur
Twitter regardés comme insultants à l’égard du
prophète. Nous nous en tamponnons férocement
le coquillard. •
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
«Anne Frank, pour la plupart des
gens, c’est Jésus et la vierge Marie
à la fois» Comment le romancier
Shalom Auslander a retrouvé l’icône
SHALOM AUSLANDER
L’Espoir, cette tragédie
Traduit de l’américain par Bernard Cohen.
Belfond, 350pp., 20€.
S
halom Auslander est végétarien, alors il commande
une salade. On lui apporte
une César, avec des lardons,
et c’est le genre de choses
qui le fait rire. L’exercice de l’interview l’amuse moins, mais il donne
le change. A 42 ans, il vit «dans [s]a
bulle», près de Woodstock, avec sa
femme et ses enfants. Il a grandi
dans une famille juive orthodoxe
avec laquelle il a coupé les ponts. De
son enfance, il a tiré la Lamentation
du prépuce (Belfond, 2008), autobiographie et blasphème, puis il a continué à régler ses comptes dans un recueil de nouvelles, Attention Dieu
méchant (2009). L’Espoir, cette tragédie est son premier roman. L’histoire
de Solomon Kugel, juif non pratiquant, qui découvre une très vieille
dame cachée dans son grenier, Anne
Frank, la vraie, celle du Journal.
Comment se débarrasser d’elle ?
Quel est le rapport entre la Shoah et
Bob l’éponge ? «Quel mal y a-t-il à
oublier? Qu’est-ce que nous gagnons
à nous souvenir ?»
Pourquoi avoir choisi cette fois la
forme romanesque?
Lorsque je travaillais sur la Lamentation du prépuce, j’avais commencé
par essayer de faire une fiction, mais
ça ne fonctionnait pas. Je me suis
rendu compte que j’avais besoin de
dire la vérité de mon expérience
pour écrire quelque chose de pertinent. Avec ce texte, ça a été l’inverse: je suis parti d’une idée extravagante, et j’ai tenté de la rendre la
plus réaliste possible. La question,
c’était de savoir comment j’allais
m’y prendre. J’ai écrit une demidouzaine de versions, très mauvaises, jusqu’au moment où je me suis
dit qu’il allait falloir relire ce foutu
journal. Et, en fait, ça s’est révélé intéressant. Parce que cette gamine
était cool: elle détestait sa mère, elle
n’aimait pas les trucs religieux, elle
voulait être célèbre… Puis c’était une
fille coriace, résistante. C’est comme
cela que j’ai fini par trouver sa voix.
La première scène que j’ai composée
est celle où elle avoue son identité.
Kugel, évidemment, ne la croit pas,
il la sermonne. Elle montre les chiffres tatoués sur son bras et lâche :
«Ça vous dit quelque chose ?» J’ai ri,
et j’ai su que je tenais un truc.
Avoir Anne Frank au grenier, c’est
une métaphore?
Elle incarne quelque chose de l’histoire, du passé. On a presque tous
Anne Frank en commun, en tant
qu’exemple, en tant qu’image de
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Littérature étrangère L •
XI
Sauvé du tiroir de la mort
Débuté en 1943, enterré et
enfin exhumé, le roman de
Dinu Pillat met en scène de
jeunes fascistes roumains
Anne Frank
au musée de cire
Madame Tussauds,
à Berlin. PHOTO ODD
ANDERSEN.AFP
quelque chose qui pourrait revenir, Anne Frank n’était pas une sainte,
qui pourrait nous arriver à nouveau. de la même manière que Hitler
Quand Kugel la découvre, il refuse n’était pas un monstre. C’était un
de la mettre dehors. Mais comment homme, qui pensait faire pour le
peut-il continuer à vivre en présence mieux, un optimiste en fait. S’il y a
d’Anne Frank ? Comment peut-on d’un côté Anne Frank et de l’autre
vivre avec la présence permanente Hitler, le blanc et le noir, on est dans
du passé ? Lui permettre de rester, le domaine du cartoon. La vie ne
c’est permettre aux fantômes de marche pas comme ça. Si je choque
contrôler nos vies. Alors, oui, il y a des gens, c’est dommage, c’est juste
une part de métaphore. Cela dit, je ma manière de voir le monde.
la considère comme bien réelle. J’ai Au bout du plus grand désespoir, il y
passé beaucoup de temps à lire des a le rire?
choses sur l’Holocauste pour rendre Si vous le trouvez, oui. Quand j’étais
son histoire crédible, surtout les ré- petit, l’humour était ma seule arme,
cits des survivants de Bergen-Belsen je distrayais mon père quand il vou[le camp de concentration où Anne lait me foutre une raclée. Plus tard,
Frank mourut du typhus en 1945, j’ai découvert des écrivains qui
ndlr]. Dans un de ces livres, j’ai fini riaient des choses les plus noires et,
par trouver la manière dont Anne avec eux, je suis passé du rire défenaurait pu survivre. Un jour, dans un sif au rire offensif. C’est ce genre
bar, j’ai voulu partager ma trouvaille d’humour qui me permet d’atteindre
avec quelques amis. Un peu fort, j’ai la fin de la journée. J’ai mis trois ans
dit : «On pense qu’Anne Frank est à écrire ce livre, trois ans à ne pas
morte, mais voilà ce qui s’est passé…» tenter de me suicider, c’est déjà
Les gens d’à côté se sont levés, ils pas mal.
sont partis. Quand il est question Quels sont vos grands souvenirs de
d’elle, la fiction paraît interdite.
lecture?
Anne Frank se fait traiter de «vieille J’ai été élevé avec l’Ancien Testapute» à plusieurs reprises par votre ment, on ne pouvait lire que ça chez
personnage. On pourrait y voir une moi. Du coup, après l’école, je filais
provocation.
dans les librairies. C’étaient des
Pas du tout, c’est simplement ce que lieux dangereux, radicaux, undervous feriez dans la même situation. ground, où j’ai rencontré des gens
Je le trouve même
assez gentil avec Après l’école, je filais dans les librairies
elle, moi je l’aurais […] où j’ai rencontré des gens extra:
jetée dehors imméKafka, Beckett, Flannery O’Connor,
diatement. Et puis,
est-ce que je dois Jonathan Swift… J’ai été triste quand
écrire en pensant à je me suis aperçu que Kafka était mort,
tous les gens qui j’aurais bien aimé traîner avec lui.
pourraient être
choqués par mes propos ? Cela extra : Kafka, Beckett, Flannery
n’aurait eu aucun sens d’édulcorer O’Connor, Jonathan Swift… Des
les choses, ce n’est pas mon job.
marginaux, des alcooliques, des reC’était une manière de briser une belles. Je les ai trouvés drôles et fous.
icône?
Je ne savais pas du tout d’où ils vePlutôt de la réparer. Anne Frank, naient, ni même qu’ils étaient impour la plupart des gens, c’est Jésus portants. J’écoutais les Ramones à ce
et la vierge Marie tout à la fois. Mais moment-là, et toutes ces voix semil faut que je vous dise : c’était une blaient raconter la même chose. Je
enfant, elle était réelle, elle avait des ne voyais pas de différence entre Sagoûts, et un vagin, et elle pétait oc- muel Beckett et Joey Ramone, pas de
casionnellement. Ça ne fait de mal à différence entre le «Nothing to be
personne de dire ça. C’est le con- done» de En attendant Godot et Now
traire qui est dangereux, la glorifica- I Wanna Sniff Some Glue. J’ai eu l’imtion de la souffrance. Chacun sait pression de fréquenter des personque 99% des hommes sont des con- nes qui me ressemblaient. D’ailleurs,
nards – et c’est probablement une j’ai été triste quand je me suis aperçu
estimation large. Or, si on suit cette que Kafka était mort il y a longlogique, il y a des connards qui sont temps, parce que j’aurais bien aimé
morts à Auschwitz. Mais d’un coup, traîner avec lui. Je me dis que, quand
non, la mort vous élève. Eh bien, ça je mourrai, s’il y a quelque chose
m’énerve, parce que je ne suis pas après, ce serait sympa de les retroucertain que les morts seraient d’ac- ver. Ils seraient tous défoncés, il y
cord avec ça. Et puis aussi, qu’est-ce aurait une chaise où je pourrais
qui se passe pour ceux qui ne souf- m’asseoir. Et quelqu’un dirait :
frent pas ? Est-ce que ça nous rend «Anne Frank arrive dans vingt mimoins grands ? Moins heureux ? Il nutes, elle apporte de la bière !»
n’y a aucune grandeur à souffrir.
Recueilli par THOMAS STÉLANDRE
DINU PILLAT
En attendant l’heure d’après
Traduit du roumain par Marily Le Nir.
Edition des Syrtes, 222pp., 21€.
C’
est un livre qui
n’aurait jamais dû
être publié. Enterré
dans les archives
de la Securitate, la
police politique, il était toujours
considéré comme disparu même
quand elles furent ouvertes après
le renversement du régime communiste. «Le plus étonnant dans le
cas du roman En attendant l’heure
d’après, c’est sa biographie qui entretient une étrange relation avec le
titre lui-même», résume dans la
postface le philosophe et ancien
dissident Gabriele Liiceanu, qui l’a
publié dans sa maison d’édition
Humanitas, juste après qu’un
chercheur a retrouvé par hasard le
dossier avec l’une des deux copies
dactylographiées du manuscrit.
«Il a son heure d’après, celle où il
ressuscite après que le temps de
l’histoire, qui l’avait fait naître puis
l’avait condamné à mort, atteint son
terme», écrit le philosophe, qui ne
cache pas son émotion face à ce
qu’il considère être «la plus bouleversante biographie de livre de toute
l’histoire du roman roumain».
Roman psychologique mais aussi
roman politique, ce livre au destin
mouvementé a été commencé
en 1943 par un jeune et prometteur intellectuel de bonne famille,
Dinu Pillat. Il le continua clandestinement pendant les années les
plus noires du communisme et
l’acheva en 1955, sans aucun espoir de le voir un jour publié. Son
thème sentait pour le moins le
soufre : il met en scène une certaine jeunesse roumaine de l’entre-deux-guerres qui, par rejet
du vieux monde bourgeois, milita
dans le mouvement fasciste «Légionnaire» fondé sur la mystique
d’une violence rédemptrice et
un antisémitisme virulent. Ils rêvaient d’une «transfiguration de la
Roumanie», selon le titre d’un
ouvrage d’Emil Cioran, fasciné
comme nombre d’autres jeunes
intellectuels de l’époque, dont
Mircea Eliade, par ce mouvement
qui mena plusieurs attentats retentissants avant d’être finalement écrasé par le maréchal Antonescu, dictateur allié du Reich
hitlérien, qui les trouvait trop
extrémistes.
Basculement. Comment et pourquoi devient-on un fanatique de
l’antiliberté? Cette question était
déjà au cœur du roman de Mihail
Sebastian Depuis deux mille ans, où
ce jeune écrivain juif tentait de
comprendre les raisons du basculement de ses amis dans ce que Ionesco, nourri de la même expérience, appela «la rhinocérite».
Dans des séquences bien découpées, au rythme presque cinématographique, Dinu Pillat raconte la
Roumanie rongée par la corruption et l’injustice sociale où une
jeunesse désespérée et révoltée se
laissait séduire par ceux qu’il appelle dans le livre «les messagers».
Il y a là Rodaru, l’étudiant en médecine qui va de village en village
susciter la révolte et les attaques
contre les Juifs, Vassia, le fils de
paysans hébétés par une misère
séculaire, Stefanuca, le fils de
grand bourgeois qui, par fidélité à
son christianisme, hésite à
tuer, etc. Autant de personnages
écœurés par les éternels arrangements et compromis «de ce pays
roumain à la périphérie de l’Orient»
et que fascine un terrorisme purificateur.
Travaux forcés. Raconter sans
complaisance mais aussi sans anathème idéologique cette jeunesse
perdue dans le mouvement légionnaire représentait un défi
ouvert au pouvoir communiste.
Dinu Pillat fut arrêté en 1959, et
son manuscrit saisi. Les phrases
prononcées par les protagonistes
du roman servent à nourrir l’acte
d’accusation sur ses prétendues
«sympathies avec le mouvement légionnaire». Il fut jugé en même
temps que le philosophe Constantin Noica et d’autres écrivains
dans l’un des plus retentissants
procès mené par les communistes
contre les intellectuels.
Condamné à vingt-cinq ans de
travaux forcés, il sortira finalement quatre ans plus tard. Interdit
de toute publication, il resta dans
le collimateur de la police politique jusqu’à sa mort, en 1975. Ses
premiers livres –Journal d’un adolescent, Etrange Jeunesse, la Mort
quotidienne –, publiés avant la
prise du pouvoir par les communistes, étaient ressortis dès la fin
des années 90. Il manquait ce qu’il
considérait être son meilleur roman. «Il reste maintenant à la critique littéraire la mission de dire la
place de ce livre troublant dans l’histoire de la littérature roumaine, après
cinquante années perdues par l’Histoire», écrit Gabriele Liiceanu.
MARC SEMO
Gabriele Liiceanu est un des
27 auteurs roumains invités au Salon
du livre de Paris, du 22 au 25 mars,
en compagnie, notamment, de Lucian
Boia, Mircea Cărtărescu, Dan Lungu,
Norman Manea, et Marius Daniel
Popescu.
XII
•
L Littérature étrangère
Comment ça s’écrit
Scrii-iik! Scrii-iik!
Scrii-iik!
Par MATHIEU LINDON
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Des revenants coulés dans
le béton Buenos Aires,
un saut dans le vide,
un roman de César Aira
«C
e livre est constitué de
deux esquisses d’un seul
et même homme, une âme
en peine du nom de Joe
Gould», écrit Joseph
Mitchell dans une «Note de l’auteur»
liminaire. Le livre se présente comme
un roman quoique les deux textes en
question soient parus dans la rubrique
«Portraits» du New Yorker, le premier,
«le Professeur Mouette», en 1942, le second, qui donne son titre à l’ensemble
et est trois fois plus long, en 1964. Le
Secret de Joe Gould, célèbre aux EtatsUnis, n’a certes pas encore acquis cette
notoriété en France (quoiqu’il soit déjà
paru en 2000, dans la même traduction,
chez Calmann-Lévy).
Son héros ou anti-héros est «le dernier
des bohèmes», une sorte d’érudit qui a
résisté à la mort et à la publicité et se
trouve constamment «aux prises avec
trois fléaux: l’absence de toit, la faim et la
gueule de bois. […] Il fait un mètre soixante-deux et pèse rarement plus de quarantecinq kilos». Surtout, l’homme est un
auteur qui renouvelle le genre du
chef-d’œuvre inconnu. Depuis vingtsix ans, dès le texte de 1942, il travaille
«sur un livre sans forme passablement
mystérieux qu’il intitule Une histoire orale
de notre temps». Il y rassemble des
conversations sur tout et rien dont son
un traître depuis «les Barricades». Extraits: «Derrière ces barricades,/ Derrière
ces barricades,/ Les camarades meurent!/
Les camarades meurent!/ Les camarades
meurent!/ Et derrière ces barricades,/ Les
camarades meurent…/ D’indigestion.»
Récit du jour où Joe Gould a voulu réciter son poème «la Mouette»: «Je lui en
ai donné la permission et il a bondi hors de
sa chaise et s’est mis à agiter les bras en
sautant et en glapissant: Scrii-iik! Scriiiik ! Scrii-iik ! C’était affligeant. Nous
sommes des poètes sérieux et nous n’approuvons pas ce genre de comportement.»
Mais l’Histoire orale serait en quelque
sorte le vrai poème de Joe Gould. Elle
«est un grand bric-à-brac, un méli-mélo
de ouï-dire, un sanctuaire de potins, un
ramassis de boniments, de palabres, de
foutaises, de blagues, de bobards». Elle
parle de tout et n’importe quoi mais Joseph Mitchell, et le lecteur avec lui, ne
remet jamais en question le fait que, si
on pouvait la lire, ce serait effectivement
passionnant. Sa diversité exagérée fait
son prix, même si Joseph Mitchell ne
parvient à mettre la main que sur des
extraits donnant au contraire un caractère répétitif à l’œuvre.
Né en 1908, Joseph Mitchell est mort
en 1996, plus de trente ans après avoir
écrit le Secret de Joe Gould. Il a continué
à travailler au New Yorker mais n’a quasiment plus rien écrit durant
«Derrière ces barricades,/ Derrière ce temps, en tout cas aucun
livre. Comme si, au fil des
ces barricades,/ Les camarades
il avait découvert
meurent!/ Les camarades meurent!/ années,
que Joe Gould n’était pas
Les camarades meurent!/ Et derrière pour lui un étranger, mais un
ces barricades,/ Les camarades
personnage excessivement
familier qui aurait permis à
meurent…/ D’indigestion.»
sa propre marginalité de se
extraordinaire mémoire lui permet de se développer de façon immaîtrisable. Les
souvenir, qui passent souvent du coq à aléas du mystère de l’Histoire orale amèl’âne et n’ont aucun sujet stable, mais neront d’ailleurs l’écrivain à devenir le
qui devraient permettre, mieux que complice de son personnage. Il y a un
n’importe quelle œuvre, de le mettre au moment où la pile des manuscrits du
pinacle des historiens, tant l’époque texte inédit dépasse la taille de son
dont il fut contemporain, ses présuppo- auteur. C’est comme si l’écrivain était
sés et ses sous-entendus, y serait photo- dépassé au sens propre par sa propre
graphiée par le langage pour le profit de création, réelle ou fictive, comme si la
la postérité. «Gould est obsédé par la peur littérature n’était concevable que
de mourir avant d’avoir fini le premier jet comme une lutte, qu’elle empêchait de
de l’Histoire orale. Elle est déjà [dans le respirer autant qu’elle le permet.
texte de 1942, ndlr] onze fois plus longue Salman Rushdie voit le Secret de Joe
que la Bible. Il estime que le manuscrit Gould comme «une merveille, à classer
contient neuf millions de mots, rédigés en au même rang que les plus grands
toutes lettres. Il se peut fort bien que ce soit chefs-d’œuvre de la littérature» et Martin
le plus long inédit au monde.»
Amis estime : «Voilà ce qu’aurait pu
Joe Gould a un don pour se rendre mar- écrire Borges s’il avait été originaire de
ginal. En plus d’historien, il est poète et New York.» Malgré son humour, le livre
sa poésie est un facteur d’exclusion. Par se déroule dans une atmosphère d’une
exemple, il se flatte de maîtriser le lan- grande tristesse. Voici comment
gage des mouettes, d’où le titre du pre- s’achève «le Professeur Mouette» :
mier texte. «“J’ai traduit un certain nom- «Vous voulez savoir ce que Joe Gould
bre de poèmes d’Henry Wadsworth pense du monde et de tout ce qui s’y
Longfellow en mouette”, dit-il.» Il a inti- trouve? Scrii-iik! Scrii-iik! Scrii-iik!» •
tulé «Ma religion» un poème qui ne fait
pas un tabac chez les mystiques: «En hi- JOSEPH MITCHELL Le Secret de
ver je suis bouddhiste,/ Et en été je suis nu- Joe Gould Traduit de l’anglais (Etats­Unis)
diste.» La gauche le considère comme par Sabine Porte. Autrement, 190pp., 18€.
Tout le livre est armé pour exploser à la dernière page. PHOTO BOBSAIRPORT.PLAINPICTURE
CÉSAR AIRA
Les Fantômes
Traduit de l’espagnol (Argentine)
par Serge Mestre.
Christian Bourgois, 156pp, 15€.
C
omment fait-on
pour rafraîchir le
vin dans un immeuble en construction de six
étages, au sommet duquel
ceux qui le gardent et le
construisent, des maçons
argentins et chiliens, s’apprêtent à passer le réveillon?
Il faut «s’approcher de façon
décidée d’un fantôme» et «lui
introduire une bouteille dans le
thorax», où elle reste «dans
un équilibre surnaturel».
Deux heures plus tard, non
seulement la bouteille est
«toute fraîche», mais, d’une
part, «pendant le processus,
le vin s’échappait des bouteilles et circulait comme une
lymphe dans tout le corps
des fantômes», d’autre part,
«cette distillation transformait
le vulgaire vin bon marché,
élevé dans les barriques en ciment, en un exquis cabernet
sauvignon millésimé que
même les gens riches ne pouvaient pas se permettre de
boire au quotidien».
Cordon. Dans cet immeuble
de Buenos Aires, les cloisons
ne sont pas encore montées.
Quand un robinet fonctionne, les autres s’arrêtent,
«mais il fallait bien que quelqu’un vive là avant que les
propriétaires ne commencent
à y habiter définitivement eux-
mêmes». La famille Viñas a
accepté de rester tant que les
travaux ne sont pas finis. Le
père, Raul, est un ivrogne,
mais la mère, Elisa, s’en accommode. «Ce n’est pas qu’il
n’y ait pas d’hommes, dit-elle
à sa fille Patri en étendant le
linge dans le chantier, c’est
qu’ils ne sont jamais là au moment voulu.» Au moins, le
sien est là. Parmi les habitants qui précèdent les propriétaires, il y a donc des
fantômes. Ils sont nus, couverts de plâtre, ils pissent et
rient à tort et à travers. Ils
ont des sourires distanciés.
Les maçons ont l’habitude de
tirer sur leurs sexes comme
sur un cordon destiné à sonner ce domestique incontrôlable qu’est l’imagination. Ce
sont les fols du logis.
Les histoires de fantômes
sont à la mode. Elles l’étaient
moins en 1987, quand César
Aira a écrit ce bref et réjouissant roman, presque effrayant de liberté mélancolique. Il ressemble à Abel,
un adolescent aux cheveux
longs arrêté dans la queue du
supermarché évangéliste du
coin: «Pour lui, l’état naturel
était le mouvement, y compris
le mouvement qui consistait à
fuir.» Dans les meilleurs livres de César Aira, chaque
phrase semble écrite par surprise et par réaction, filant
avec naturel dans le vide du
livre à construire.
Celle qui a un rapport privilégié aux fantômes est Patri,
la fille qu’Elisa a eue jadis
avec un homme disparu. Elle
a 15 ans. «Très réservée, très
sérieuse, elle avait des mains
magnifiques», mais sa mère
s’inquiète, car «elle ne finissait jamais ce qu’elle commençait, elle n’était absolument
pas persévérante, elle n’avait
pas la moindre passion». Patri
est trop présente et trop absente. A quelques heures du
réveillon, les fantômes lui disent qu’ils vont eux aussi
faire la fête, et ils l’invitent.
«Bien sûr, dit l’un d’eux, il
faudra que tu sois morte.» Je
vais y penser, répond-elle.
Mais penser lui pèse et sa décision est prise.
Lunettes. Tout le livre est
armé pour exploser à la dernière page. Ses lignes apparemment désordonnées
convergent comme celles de
fuite vers l’horizon : Patri
saute dans le vide à minuit.
Le révéler n’est pas trahir
l’histoire, mais l’accomplir.
Si un fantôme rattrape ses
lunettes au moment du saut,
c’est parce que le roman
conte aussi, à travers la vie
quotidienne à Buenos Aires
et une forme de lutte des
classes, l’histoire de sa propre création : l’écrivain est
une jeune fille solitaire qui
bascule à chaque phrase
pour rejoindre la fête et ses
fantômes. Et l’un d’eux rattrape les lunettes de l’auteur
pour que les lecteurs, ces
survivants, puissent jouir de
ce qu’ils lisent et pleurer ce
qu’ils ont perdu.
PHILIPPE LANÇON
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SPORTS
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
LeCléac’h-Lucas,
courseensolidaires
Le skippeur surdoué, deuxième du Vendée Globe, forme
un duo idéal avec le patron de l’équipe Banque populaire.
Par DINO DI MEO
Photo RÉMI ARTIGES
l’emportant de 13 secondes sur Alain dire qu’il avait proposé à Banque populaire
Gautier. C’est d’ailleurs le même Gau- plusieurs noms, dont le mien, pour navitier qui le contacte pour qu’il prenne guer sur le 60 pieds.» Le monocoque
oilà un garçon déterminé sa place sur le trimaran Foncia. Mais avait été racheté en 2011 au Team Fonet talentueux qui monte en Le Cléac’h chavire lors de la transat Jac- cia, un voilier construit par CDK et mis
puissance de façon régulière ques Vabre 2005. Il se tourne alors vers à l’eau en 2010 pour Desjoyeaux. En
depuis bien longtemps. Car la classe Imoca et les monocoques fait, c’est le sistership de Macif, le bateau
depuis qu’il est passé professionnel 60 pieds. Avec son nouveau partenaire, de François Gabart mais avec un autre
en 1999, Armel Le Cléac’h a pratique- Britair, il s’aligne au départ du Vendée moule coque et pont.
ment mis la main sur tout ce qu’il trou- Globe 2008 qu’il termine
vait. Ce grand gars brun au regard pé- deuxième derrière Michel «Il est toujours heureux en société,
tillant s’est même forgé une certaine Desjoyeaux. Un exploit.
jamais râleur. Même quand il faut
réputation, tant il navigue de façon chi- En 2010, il tue la Solitaire du
rurgicale. S’il est loin de ses premières Figaro en remportant trois sortir en mer par un temps
compétitions d’Optimist dans la baie de étapes sur quatre. Sur le po- de chien.»
Morlaix (Finistère), à près de 38 ans, dium juste derrière lui figure Le skippeur Gildas Morvan au sujet de Le Cléac’h
Le Cléac’h reste ce garçon bien élevé, un jeune, François Gabart.
toujours souriant et disponible. Marié, Ce dernier, actuel leader du Vendée Parallèlement, Ronan Lucas s’embarpère de deux enfants, il a quitté Globe, confiera : «Je suis simplement que pour le Trophée Jules-Verne sur le
Saint-Pol-de-Léon et habite
heureux de terminer deuxième trimaran géant Banque populaire. «J’ai
aujourd’hui à La Forêt-FouesPROFIL derrière le maître du large.» eu une double casquette durant le Tronant. «Il est toujours heureux en
Le Cléac’h avait, en plus cette phée», précise le directeur de l’équipe,
société, jamais râleur, confiait Gildas année-là, remporté la Transat AG2R qui a été un peu moins présent dans la
Morvan, un de ses adversaires en Fi- avec Fabien Delahaye, sa 2e victoire première partie du programme. Mais
garo. Même quand il faut sortir en mer par dans cette traversée en double. Quel- pendant que Lucas faisait le tour du
un temps de chien.»
ques mois plus tard, il ne manquera pas monde, Le Cléac’h et son nouveau bason rendez-vous avec la Route du rhum teau bleu terminent 3e de la JacquesBIZUTH. Il est vite remarqué dès ses dé- et montera sur la 2e marche du podium Vabre en duo avec Christopher Pratt.
buts en Figaro. A sa première participa- à Pointe-à-Pitre.
Lucas et Le Cléac’h suivent leurs avention à la Solitaire 2000, il termine pre- Lorsque Britair arrête le sponsoring, tures respectives depuis la mer, ils s’apmier bizuth et deuxième de l’épreuve. en 2011 Banque populaire le recrute par pellent souvent.
Mais trois ans plus tard, Le Cléac’h, qui l’intermédiaire de Ronan Lucas, 40 ans,
suit des études d’ingénieur à Rennes, devenu son patron, en quelque sorte. «SANG­FROID». Le projet Vendée Globe
entre dans l’histoire de la course en «Un jour, Ronan m’a contacté pour me est alors bien lancé. Ronan Lucas gère
tout l’aspect financier et juridique. C’est
aussi lui qui a recruté l’équipe. Il est en
REPÈRES
contact régulier avec le décisionnaire
voile chez Banque populaire. «Je suis le
«On navigue sur un
BRÉSIL 1 - François Gabart
chef d’orchestre du team, le garant de la
Macif
mise en œuvre, affirme-t-il. Banque pop
cimetière à bateaux
Distance de l’arrivée
5 034,5 milles
m’a confié les rênes de l’équipe, j’ai reet j’ai un respect énorme
cruté tout le monde.» Lucas, qui a égale2 - Armel Le Cléac’h
pour
tous
ces
marins
qui
ment participé à deux défis français de
Banque populaire
Distance au premier
nous
ont
précédés
ici.»
la Coupe de l’America, connaît son ma100,3 milles
rin : «Il ne va pas s’enflammer. C’est un
4-Thomson
Dominique
Wavre
(Mirabaud)
lors
animal à sang-froid qui ne va jamais lâARGENT.
de son passage du cap Horn. Le Suisse
cher. En météo, il est meilleur que nous
3 - Jean-Pierre Dick
e fois en course
le
franchissait
pour
la
9
tous réunis.» L’équipe du 60 pieds est
Virbac-Paprec
Distance au premier
une SARL, une filiale voile créée et gérée
444 milles
par un banquier et dont Lucas est le diIles
recteur. «Il gère l’équipe, les embauches,
Malouines
Océan
il rédige les contrats… Nous, on propose et
Atlantique
lui, il valide en CDD ou CDI, explique
Cap
Horn
6-Golding
G
Le Cléac’h qui, lui-même, a signé un
7-Wavre
1 000 km
contrat de skippeur. Aujourd’hui, c’est
8-Stamm*
9-Boissières
milles, c’est la distance qui séparait
devenu un ami.»
10-Sansó
12 concurrents
encore en course,
hier après­midi Le Cléac’h du lea­
Les deux hommes qui n’avaient jamais
7 abandons,
der Gabart. Jamais dans cette
travaillé ensemble s’appellent souvent
11-De Broc
11-De
1 hors course*
12-De
12-De Lamoe
course l’écart n’avait été aussi impor­
ou communiquent par texto, mais Lu13-Di Benedeo
13-Di
(à 4 532,3 mn)
milles)
ANTARCTIQUE
tant entre les deux bateaux.
cas vit assez mal tout ce temps passé à
CHILI
V
100,3
terre. Le téléphone est toujours à portée
de main. «Un tour du monde n’est jamais
anodin, continue Lucas. La démarche est
très pro, très compétitive, mais en trois
mois il y a forcément quelque chose qui se
passe. J’appelle ça l’aventure.»
Depuis, les deux hommes ont appris à
se connaître, à partager leur histoire.
«C’est un pince-sans-rire qui ne s’énerve
jamais», dit Lucas de son skippeur à qui
il envoie chaque week-end les résultats
sportifs. Car Armel Le Cléac’h est un
vrai passionné. De tous les sports.
«Pour cette course, il fallait se donner les
moyens d’être au départ dans la peau d’un
favori, sans aucune pression particulière,
confie encore le directeur d’équipe. Il
a vécu son premier Vendée comme un parcours initiatique. C’est un travailleur
acharné, méthodique et déterminé. Il ne
veut rien avoir à se reprocher. Mais je le
trouve encore plus incisif qu’avant. Ensuite, c’est la mer qui décidera.»
Hier dans sa remontée de l’Atlantique,
Le Cléac’h, après plus de soixante jours
de course, bataillait pour ne pas perdre
le contact avec Gabart. •
Armel Le Cléac’h
(à gauche)
et Ronan Lucas,
patron de l’équipe
Banque
populaire, aux
Sables­d’Olonne
en novembre.
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
SPORTS
•
19
VENDÉE BLOG
Par MARC GUILLEMOT
(skippeur de «Safran»*)
«Penser au pire
comme
au meilleur»
artis depuis soixante jours, nous
sommes toujours 20 en course, mais
seulement 13 vivent en ciré, et nous
font vibrer. Pour ceux qui ont dû y renoncer prématurément, la vie continue avec
des poussées de frustrations plus ou
moins espacées, plus
ou moins intenses à
chaque nouvel événement. Il est impossible de se sortir
complètement de
cette épreuve tant
l’engagement est fort. Chacun des marins
à terre tente de se remplir la tête de nouveaux défis, ça ne coûte rien et ça éclaircit
les idées sombres.
REUTERS
P
Dans le Pacifique, les skippeurs ont envie
d’en finir avec le stress et les conditions de
vie difficiles du Grand Sud. Il faut tenir, ne
pas casser et gagner les milles qui rapprochent de la porte de la délivrance, celle du
cap Horn. Ils voient virtuellement les premiers aborder des températures humaines,
mais un continent les sépare. Ceux qui
viennent de dépasser le Horn sont soulagés, les têtes s’allègent des tensions des
jours passés, mais ils savent que le chemin
plus clément qui les attend ne les épargnera pas. Il pourrait devenir tortueux et
compliqué si Sainte-Hélène, le fameux anticyclone, n’en faisait qu’à sa tête.
Bernard Stamm, contraint de ravitailler en gazole, s’est mis hors course.
Gabart creuse l’écart dans l’Atlantique
rançois Gabart (Macif) serait-il en train
de semer son compagnon de route Armel Le Cléac’h (Banque populaire) ? Les
deux hommes qui se disputent la tête de la
course pratiquement depuis leur entrée dans
l’océan Indien avaient choisi deux options
différentes après les Malouines jusqu’à ce que
le skippeur de Banque populaire ne décide de
se remettre dans le sillage de Macif. Hier,
100 milles séparaient les deux marins, jamais
leur écart n’avait été aussi important depuis
le début de la course.
Les deux monocoques remontent actuellement au près et ont pratiquement lâché JeanPierre Dick (Virbac-Paprec) qui pointait hier
à plus de 444 milles. Le Britannique Alex
Thomson (Hugo Boss), entré plus tard dans
l’Atlantique, a pu choisir l’option au portant
le long de l’Argentine. Il pourrait bien profiter
des vents faibles qui freinent la tête pour faire
F
un retour en force sur le podium provisoire.
Quatre autres bateaux ont franchi le cap
Horn. «C’est un grand moment», a déclaré
Jean Le Cam (SynerCiel), fatigué et ému
d’avoir conjuré le sort. Il y a quatre ans, il
avait chaviré au même endroit et avait été
sauvé par Vincent Riou. Mike Golding (Gamesa) et Dominique Wavre (Mirabaud) naviguent aussi dans l’Atlantique depuis le matin,
juste derrière eux Bernard Stamm (Cheminées
Poujoulat) a effectué le stop inévitable pour
pouvoir continuer sa remontée. Un ravitaillement en gazole en mer était prévu après le cap
Horn avec Pakea Bizcaia, un 70 pieds appartenant à Unaï Bazurko, ami de Stamm et actuellement à Ushuaïa pour une mission scientifique.
Stamm a besoin de gazole pour pouvoir fabriquer l’énergie nécessaire à son pilote automatique et sa centrale de navigation. Le seul hy-
drogénérateur qu’il avait réussi à réparer a été
arraché dimanche par un ofni, d’où son rendez-vous avec Bazurko. Mais ce pit stop signifie aussi que Stamm sera mis hors course, lui
qui avait déjà été disqualifié pour assistance
et qui avait obtenu la réouverture de son dossier. Son équipe a stipulé que le skippeur avisera la direction de course de son abandon,
une fois les batteries rechargées.
Mais hier, un autre élément est venu expliquer
tant de malchance. Yannick Bestaven, fournisseur en hydro de 19 bateaux sur 20, a déclaré que les hydrogénérateurs de Bernard
Stamm avaient été (mal) montés par l’école
polytechnique de Lausanne, un des partenaires. Bestaven avait essayé de les réparer avant
le départ, mais devant l’ampleur des dégâts
sa société s’était désengagée de toute responsabilité.
D.D.M.
Devant, les premiers jouent aux échecs face
au vent, à droite puis à gauche. Le sommeil
gagne en qualité et favorise la réflexion.
Plus ils vont se rapprocher du but, plus les
visites de contrôle dans tous les recoins du
bateau seront rapprochées. Impossible de
ne pas penser au pire comme au meilleur,
et ils y pensent. Les échanges avec la terre
sont plus détendus, mais ils restent concentrés. Les demandes des médias vont
s’intensifier, avec les questions habituelles
des uns: «Dans quel état d’esprit es-tu?»
Bref ! Je ne vais pas me moquer, ce sont
peut-être les questions basiques que je demanderais si j’étais journaliste. Pas de
chance, ce n’est pas le cas. Mon boulot,
pour cette petite chronique, se limite à essayer de traduire les sentiments que, par
pudeur et peut-être par stratégie, un marin
ne dévoilera pas.
Et il s’en passe des choses dans leur tête.
François Gabart semble serein et déterminé, sa position le lui permet. Il est si concentré depuis des semaines entières en bagarre avec Armel Le Cléac’h qu’il avance
avec un œil figé sur le rétroviseur, situation
enviable mais usante. Le Cléac’h, qui ne lâche rien, est déterminé à prouver que les
pronostics hâtifs de la terre sont hasardeux.
Vivement la suite. Dicton du jour: «La patience mène à tout, la précipitation à rien.»
Almanach du marin 2007. •
* Marc Guillemot a subi une avarie de quille
quelques heures après le départ et a dû
abandonner. Il continue sa chronique
hebdomadaire pour «Libération».
20
•
REBONDS
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Se prostituer pour payer
ses frais de scolarité?
Par ELSA
BOULET
Etudiante
en sociologie
à l’université
de Warwick
(Angleterre)
DAVID
FLACHER
Economiste,
directeur du
CEPN (université
Paris­13 et CNRS)
HUGO HARARI­
KERMADEC
Economiste,
IDHE (ENS
Cachan et CNRS)
LÉONARD
MOULIN
Doctorant en
économie, CEPN
(université Paris­13
et CNRS)
L
e journal anglais The Independent a révélé,
il y a quelques semaines, l’existence
d’un site proposant aux étudiantes
un «sponsor» prenant en charge leurs frais
d’inscription en échange de rapports
sexuels (1). Ce site, qui revendique
1 400 sponsorisées, profite de la situation
créée par le triplement récent du plafond des frais en
Angleterre, désormais fixé à 9000 livres (soit plus de
11 000 euros). La prostitution étudiante n’est pas
une nouveauté, elle fait même l’objet de campagnes
des syndicats étudiants français. Mais la misère étudiante propice à son développement se généralise
dans de nombreux pays avec l’explosion des frais
d’inscription.
La libéralisation de la tarification universitaire et la
crise économique forment en effet un piège infernal
pour les étudiant(e)s des classes moyennes et populaires : avec la crise, les subventions publiques diminuent, ce qui pousse les universités à augmenter leurs
tarifs ; le chômage des jeunes, et en particulier des
non-diplômé(e)s, rend les études supérieures pratiquement impératives, même si elles sont chères; d’où
un endettement étudiant qui explose. Aux Etats-Unis,
l’endettement étudiant a désormais dépassé les
1000 milliards de dollars, et arrive en deuxième position des encours de crédit, derrière l’immobilier.
L’éventualité d’une nouvelle crise des subprimes liée
à cette dette est d’ailleurs sérieusement envisagée.
Cette situation est en effet d’autant plus préoccupante
qu’elle reproduit tous les mécanismes dénoncés dans
le cas des prêts immobiliers «toxiques» qui ont déclenché la panique de 2008. Un récent rapport
d’un think tank progressiste américain (2) pointe ces
similitudes : titrisation du risque, taux d’intérêt variable, ciblage des familles à bas revenus et peu informées. De surcroît, le gouvernement américain soustraite la gestion des crédits à des agences qui sont
mieux payées pour recouvrir des remboursements de
débiteurs en défaut que pour prévenir ces défauts! Si
bien qu’aujourd’hui un(e) étudiant(e) endetté(e) sur
six ne parvient pas à rembourser son crédit, le total de
la dette étudiante en défaut dépassant désormais
la somme des frais annuels d’inscription de tous (tou-
plus modestes. Ils posent pourtant deux problèmes
rédhibitoires : ils ne semblent pas coûter moins cher
à l’Etat que la gratuité des études financée par l’impôt,
puisqu’il faut faire face au défaut mais aussi aux frais
de gestion et de recouvrement (plus de 1 milliard
d’euros en 2011 uniquement pour ce dernier poste aux
Etats-Unis); ils ne suppriment pas, d’après les études
réalisées, le poids de la dette ressenti par les individus
des classes moyennes et populaires et les conséquences
de ce poids sur la poursuite d’études. Et, de fait, ils
n’ont pas empêché les situations les plus extrêmes révélées par The Independent, le paiement
Le paiement des frais d’inscription «en nature» des frais d’inscription «en nature» étant
une conséquence malheureuse, mais
est une conséquence prévisible du
prévisible, du parachèvement de la
parachèvement de la construction d’un marché construction d’un marché universitaire
universitaire largement financiarisé.
largement financiarisé. Si nous pouvons
convenir avec Romain Rancière (Libérates) les étudiant(e)s des universités publiques. Et en- tion du 27 novembre 2012), que Sciences-Po a ouvert
core, il ne s’agit que des crédits étudiants encadrés par cette voie en France en appuyant une part de son fil’Etat fédéral américain.
nancement du supérieur sur des droits d’inscription
Le cas des Etats-Unis démontre que l’existence de élevés, nous en tirons une conclusion inverse: mener
prêts publics répondant à la hausse des frais de scola- une généralisation du «modèle» de Sciences-Po aurait
rité ne permet pas de corriger les inégalités écono- des conséquences sociales dramatiques.
miques. Même les mécanismes d’accompagnement
de ces prêts (remboursement conditionnel) qui re- (1) The Independent: Sex for Tuition Fees Anyone?
Students Being Offered up to £15,000 a Year to Cover
poussent le remboursement après l’entrée dans la vie Cost of University, in Exchange for Having Sex With
active et adaptent le niveau de remboursement au re- Strangers, 29 novembre 2012.
venu, se révèlent peu efficaces. Massivement dévelop- http://www.independent.co.uk/news/uk/crime/sex­for­
pés aux Etats-Unis et en Angleterre, défendus par les tuition­fees­anyone­students­being­offered­up­to­15000­a­
year­to­cover­cost­of­university­in­exchange­for­having­
partisans d’une tarification de l’enseignement supé- sex­with­strangers­8364894.html
rieur en France, ils permettraient de desserrer la con- (2) Center for American Progress, The Student Debt Crisis,
trainte d’endettement qui pèse sur les étudiant(e) s les 25 octobre 2012.
Une autre presse est possible
Par ÉDOUARD
LAUNET
Journaliste
à Libération
L
aurent Beccaria et Patrick
de Saint-Exupéry, cofondateurs
de la belle revue XXI, viennent de
rendre public un manifeste soustitré : «Un autre journalisme est possible» (1). Pour être long (vingt pages au
format demi-tabloïd), ce texte n’en est
pas moins remarquable: il est clair, argumenté, et puis on n’avait rien lu
d’aussi tonique sur la presse depuis bien
longtemps. Les deux auteurs affirment
en substance que
La plupart des journaux ont le journalisme écrit
ce soit sur
choisi de courir vers le Web –leque
papier ou sur
et la pub en ligne comme s’il le Web – a un bel
n’y avait pas d’alternative.
avenir. Encore
faut-il que nous
considérions froidement, rationnellement la situation critique dans laquelle
la presse se trouve aujourd’hui.
Depuis quelques années, les journaux
– à quelques exceptions près – voient
leurs effectifs fondre, leurs moyens
d’enquête se réduire, leur lectorat se
dissoudre, leurs rédacteurs s’autoconvaincre que la presse est une nouvelle
sidérurgie. Certains mettent – à tort –
ce lent effondrement sur le compte
d’Internet, comme si le numérique et
le papier s’opposaient. Beccaria et
Saint-Exupéry se gardent de tomber
dans ce travers. Ils disent : regardez
le Canard enchaîné, le site Mediapart,
la revue XXI ou le site ArrêtsurImages.
Ces titres se portent bien parce
qu’ils ont choisi leur support, Web ou
papier, qu’ils s’y consacrent entièrement, qu’ils le nourrissent avec des informations ou des traitements qu’on ne
trouve nulle part ailleurs, et que leur
modèle repose non sur la publicité mais
sur l’acte d’achat ou l’abonnement.
On objectera: était-il vraiment nécessaire de noircir vingt pages pour établir
une telle évidence ? Eh bien, oui, car
la violence des déjà nombreuses réactions à ce manifeste (en substance: c’est
l’œuvre de vieux cons technophobes)
montre à quel point le sujet est miné et
qu’il n’y faut avancer que prudemment,
en évitant tout raccourci.
Internet est un outil formidable. Il a,
comme tous les outils, ses bons et ses
moins bons côtés. Disons : ses effets
secondaires non prévus. Le train, la voiture et l’avion, pour ne parler que du
secteur des transports, ont considérablement changé la société, mais il a fallu
un certain temps pour se rendre compte
que le cadeau était en partie empoisonné : pollution, congestion, accidents, satellisation des banlieues.
Aujourd’hui, on en est réduit à tenter de
bouter l’automobile hors de la ville, et
l’effervescence autour et sur le site de
Notre-Dame-des-Landes montre que
le transport aérien n’est pas perçu uniquement comme une bénédiction.
Ces inconvénients ne condamnent évidemment pas les outils en eux-mêmes,
ils appellent à mieux les maîtriser.
Internet ne fait pas exception, mais
c’est plus difficile à percevoir.
Près de vingt ans après son émergence
dans le grand public, la vision de l’outil
Internet reste engluée dans une gangue
d’illusion collective. Pour une raison
simple : sur le Réseau, les innovations
n’ont cessé de surgir les unes des autres
comme des poupées russes. Cela ne
laisse guère de temps à la décantation et
à la réflexion. En sus, dans un monde où
toutes les perspectives de rêve – ou
presque– sont bouchées, le Réseau reste
le dernier vecteur d’investissement
idéologique, politique, marketing, technique. Ce totémisme est problématique.
En pratique, les gros sites du Web
(Google et consorts) ont siphonné les
ressources publicitaires de la presse et
se sont imposés comme aiguilleurs de
l’information. On ne reviendra pas sur
cet état de fait: ainsi soit-il. Cela oblige
les organes de presse à revoir leur mode
de fonctionnement, sinon à mourir.
La plupart ont choisi de courir vers
l’horizon du Web et de la publicité en
ligne comme s’il n’y avait pas d’alternative. Le manifeste de XXI pointe
d’autres pistes, on l’a vu plus haut, et
ne craint pas le sacrilège : «Et si cette
“conversion numérique” était un piège
mortel pour les journaux ? Et si les dirigeants de la presse mondiale se trompaient en investissant à tour de bras dans
les applications, les sites et les rédactions
multimédias?» interrogent Saint-Exupéry et Beccaria. Puis ils se donnent
vingt pages pour répondre précisément
à ces questions, en ne négligeant
pas quelques rappels historiques.
Ils concluent, vous le verrez, que oui,
«un autre journalisme est possible». Formule un peu radicale à laquelle on peut
préférer: une autre presse est possible.
Il faut lire ce texte. Il mérite mieux que
quelques réactions énervées sur Twitter.
(1) Disponible à partir d’aujourd’hui avec la
livraison «Hiver 2013» de «XXI».
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Par ALAIN
DUHAMEL
REBONDS
21
L'ŒIL DE WILLEM
La
résurrection
du peuple
de droite
Dimanche, les Français seront plusieurs tement les Eglises et notamment la plus
centaines de milliers à défiler dans les puissante d’entre elles, l’Eglise cathorues de Paris contre l’extension du ma- lique. Les très influents réseaux confesriage et de l’adoption aux couples ho- sionnels, familiaux, scolaires et médiamosexuels. C’est la résurrection du tiques ont sonné le tocsin. Les fidèles les
peuple de droite qui s’imposera ainsi plus pratiquants constituent aussi le
dans les esprits et dans la réalité.
cœur de l’électorat de droite, également
La manifestation sera à coup sûr la plus surreprésenté chez les plus de 65 ans,
importante depuis l’élection de Fran- majoritairement allergiques aux maçois Hollande à la présidence de la Ré- riages gay et à l’adoption par les couples
publique. Il n’est pas impossible qu’elle homosexuels.
soit même la plus massive depuis la fa- Tous les facteurs se conjuguent donc
meuse manifestation en faveur de l’en- pour mettre dimanche le peuple de
seignement privé en juin 1984, il y a droite dans la rue malgré les dissenmaintenant vingt-huit ans.
sions des appareils. Ce qui les choque
Autocars et TGV spéciaux, covoiturage est beaucoup plus fort que ce qui les dià grande échelle, toute la panoplie des vise. La question est évidemment de
rassemblements de masse est déjà à savoir ce que changera cette démonsl’œuvre. Ce n’est d’ailleurs
tration de force du peuple
POLITIQUES
pas une surprise, même si
de droite. Elle n’empêcela s’annonce impreschera évidemment pas le
e
sionnant. Sous la V République, le projet de loi gouvernemental d’être
peuple de droite a mis dans la rue les voté, bien au contraire. Le gouvernemanifestations les plus suivies, qu’ils ment dispose d’une large majorité à
s’agissent de celle du 30 mai 1968 son- l’Assemblée nationale comme au Sénat
nant la fin de la «commune étudiante» pour voter l’extension. Il organisera
pour reprendre l’expression d’Edgar d’autant plus volontiers le scrutin que
Morin ou de celle du 24 juin 1984 qui le projet figurait en bonne place le plus
avait contraint François Mitterrand à clairement du monde parmi les engagereculer à propos de l’enseignement ments de François Hollande sous la
privé. Même les grandes grèves de no- forme finalement retenue et que le sujet
vembre 1995 n’avaient pas atteint pa- rassemble l’ensemble des formations de
reils effectifs.
gauche, par ailleurs si divisées à propos
Lors des moments décisifs, la droite de la politique économique et sociale du
défile en masse et c’est vraisembla- gouvernement. Le vote ne fait donc
blement ce qui va se produire de nou- aucun doute. La loi sera certainement
veau dans trois jours. Les raisons de déférée devant le Conseil constitutioncette mobilisation n’ont rien d’obscur, nel mais a priori la censure apparaît peu
ce sont plutôt leurs conséquences qui probable.
intriguent. Le peuple de droite était déjà En revanche, dès dimanche, il va de soi
très mobilisé durant la campagne pré- que les manifestants réclameront l’orsidentielle, les principaux meetings ganisation d’un référendum et que
de Nicolas Sarkozy rassemblaient des l’UMP les relaiera : le peuple de droite
foules et cette mobilisation, malgré le le souhaite et les dirigeants de l’UMP y
score élevé du Front national, malgré ont intérêt. Mais François Hollande, lui,
l’hostilité d’une fraction de l’électorat n’a aucun avantage à organiser ce réfétraditionaliste envers le président sor- rendum que dans les conditions actueltant explique largement l’étroitesse du les il aurait toutes les chances de perdre.
score final.
Outre qu’il n’entre pas dans le champ
Depuis huit mois, loin de se disperser de l’article 11 permettant l’organisation
et de s’éloigner, le peuple de droite est de ce type de référendum, l’entreprise
entré violemment dans l’opposition à serait électoralement suicidaire. ConstiFrançois Hollande et à son gouver- tutionnellement contestable, un réfénement. Les sondages l’illustrent cha- rendum serait politiquement désasque semaine, les élections législatives treux. La frustration du peuple de droite
partielles l’ont confirmé : le peuple de au lendemain du vote parlementaire du
droite apparaît à la fois hostile et com- projet sera donc immense. Elle créera
batif, malgré l’absence d’échéance un climat de tensions et de nervosité, à
électorale cette année et malgré le l’opposé de l’apaisement que souhaitait
spectacle lamentable offert par la François Hollande lors de son élection.
guerre des chefs à l’UMP. Et puis, les L’atmosphère politique et sociale
débats sociétaux l’ont toujours fait réa- deviendra donc inflammable, à la merci
gir, voire surréagir ou contreréagir. du moindre embrasement. Pour le pouL’extension du mariage et de l’adoption voir en place, les années sans élections
aux homosexuels interpelle direc- peuvent être les plus redoutables.
•
Ecole privée: il faut
solder les comptes
Par BENOÎT SCHNECKENBURGER
Professeur de philosophie dans
l’enseignement public
E
n rappelant à l’ordre l’enseignement
catholique qui entend faire preuve de
prosélytisme dans le débat sur le mariage pour tous, Vincent Peillon a déclenché les foudres de la droite, et Mme Boutin
sort de sa retraite pour l’accuser de «réveiller
la guerre scolaire». Si seulement! Car Vincent
Peillon fait mine d’ignorer ce fait désormais
incontestable: l’enseignement privé confessionnel catholique reste un enseignement
privé confessionnel et catholique. Il est donc
en effet l’artisan de l’œuvre prosélyte de
l’Eglise dont il constitue un moyen privilégié
d’atteindre les consciences.
Les combats des philosophes des Lumières
ont toujours souligné l’enjeu que représentait
l’école pour les dogmes religieux, l’enfance
étant un moment propice pour son œuvre de
propagande. En intervenant dans le débat de
société, l’enseignement privé catholique accomplit bien en effet ce qu’il considère être
sa mission. Le préambule du statut de l’enseignement catholique rappelle notamment
son objet : promouvoir «une communauté
chrétienne ayant pour base un projet éducatif
enraciné dans le Christ et son évangile. […].
L’enseignement catholique ne peut pas renoncer
à la liberté de proposer le message et d’exposer
les valeurs de l’éducation chrétienne. […].
L’Ecole catholique est donc elle-même un lieu
d’évangélisation». Le problème tient donc
moins à cette intervention, qu’à la situation
dans laquelle l’enseignement peut encore
être confié dans la France républicaine à une
entreprise prosélyte.
Voilà qui devrait faire réfléchir tous ceux qui
croient qu’en mettant leurs enfants à l’école
privée, ils ne font que les exempter des
influences fantasmées des pauvres et des immigrés : ils les soumettent également à une
influence religieuse. Quelle situation inique,
car là où l’enseignement public, avec une diminution des moyens financiers et humains,
se doit d’accueillir tous les enfants, l’enseignement privé déroge à la carte scolaire. Voilà
qui doit nous interpeller dans un pays où,
malgré le principe de laïcité, l’Etat et les collectivités locales financent encore très largement les établissements privés, souvent bien
au-delà des obligations légales: ainsi, 10 milliards d’euros seront versés par la puissance
publique à l’enseignement privé en 2013, et,
pour ne prendre que la région Ile-de-France,
ce sont près de 8 millions d’euros de travaux
qui ont été votés en 2012 pour des travaux
non prévus par la loi. Les régions, dirigées par
des socialistes pour la plupart, continuent
d’entretenir une inégalité d’accès à l’éducation au profit de l’enseignement privé.
Voilà qui devrait inquiéter quand on sait la
place de l’enseignement privé – essentiellement catholique d’ailleurs– dans certaines
régions de France ou dans l’enseignement
privé agricole. Alors oui, cette intervention
de l’école catholique dans un débat de société
doit nous conduire à réaffirmer le principe
simple, mais garant de l’égalité et de la laïcité: école publique fonds publics, école privée fonds privés. Il est temps, non de rouvrir
la guerre scolaire, mais de solder les comptes.
22
•
CULTURE
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Paysage de Bretagne ou d’Ecosse (1875­1880) de Gustave Doré. PHOTO MRB HUGO MAERTENS
CRYPTE A la Conciergerie, «Rêve de monuments» explore en près de 300 œuvres
les arcanes d’un style architectural qui n’a cessé de nourrir l’imaginaire collectif.
Le gothique,
hanté des artistes
Par PATRICE GIUNTA
S
ous les voûtes de la salle des gardes, à la Conciergerie, des exclamations enfantines ponctuent
les murmures polyglottes. Les
premières s’expliquent par le fait que
l’exposition parisienne en cours, «Rêve
de monuments», regorge de trésors tels
que maquettes de châteaux forts, jouets
vintage, jeux vidéo et extraits de films
dont les décors font la part belle au style
gothique. Quant aux seconds, ils émanent de touristes venus visiter la SainteChapelle voisine et, dans la foulée (un
billet jumelé permettant de faire d’une
vieille pierre deux coups), découvrir
cette présentation qui met en évidence
les liens étroits entre l’architecture médiévale et l’imaginaire collectif.
L’inconscient du visiteur est constam-
ment sollicité, depuis les enluminures
des XIV et XVe siècles, imprimées sur
d’immenses voilages ou servies en diaporamas, jusqu’à la célèbre école Poudlard de Harry Potter, véritable forteresse magique qui cumule en son sein
château et abbaye, les deux facettes architecturales dont il est ici question.
DÉCOUPAGE. Près de 300 œuvres illustrent les six sections relatant l’empreinte durable de l’architecture gothique dans notre vision du Moyen Age.
Christian Corvisier, commissaire de
l’exposition (lire ci-contre), justifie ainsi
ce découpage thématique : «Le cheminement, irrégulier, est un constant jeu de
miroir entre le monument gothique, ruiné
ou non, et sa représentation, mentale ou
picturale. Il est représenté pour lui-même,
mais aussi imité, réinventé comme château, vestige d’abbaye ou cloître fictif, mis
en scène par exemple sous forme de décor
d’opéra, de diorama, de film.» Erudit
sans être élitiste, le parcours est, selon
son commissaire, «l’occasion de faire
découvrir des œuvres d’artistes moins
connus qu’Hubert Robert, Victor Hugo,
Gustave Doré ou Viollet-le-Duc, bien sûr
Tennyson, répondent aux croquis de
restaurations de Viollet-le-Duc. Mais,
parmi ces incontournables, se cachent
quelques perles, comme le plan-reliquaire orfévré de Soissons, rarement
sorti des réserves du musée municipal,
ou le Daniel dans la fosse aux lions, tableau du XVIIe siècle signé
Monsù Desiderio, alias FranCitadelles inexpugnables ou lieux
çois de Nomé – un prêt du
de claustration, les châteaux forts
musée de la Cour d’or, à
et abbayes deviennent des univers
Metz. Signalons encore les
mystérieux qui recèlent forcément
toiles de Louis Daguerre,
conçues pour servir d’arrièbien des turpitudes.
re-plan à ses dioramas.
présents et indispensables» parmi les ar- Dans une scénographie de circonstance
tistes convoqués.
–des grands panneaux de bois en forme
Certes, les peintures d’Hubert Robert, de livres ouverts ou de silhouettes de
témoignant de la destruction de bâti- donjons –, on croise aussi des œuvres
ments à la Révolution, côtoient les des- contemporaines, preuve que l’architecsins hugoliens et les gravures de Doré, ture gothique demeure prégnante.
pour la légende arthurienne d’Alfred Francis Adoue, commissaire adjoint en
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
CULTURE
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23
Christian Corvisier, commissaire de l’exposition,
livre les raisons du regain d’intérêt pour
le gothique, du XVIIIe siècle à aujourd’hui:
«La contemplation
des ruines comme trace
d’un paradis perdu»
S
VIVIANE AUBRY
pécialiste de l’étude des châteaux médiévaux et expert indépendant en histoire de l’architecture depuis vingtcinq ans, Christian Corvisier est le commissaire de l’exposition «Rêve de monuments»,
dont il livre certaines clés.
Les œuvres présentées dans l’exposition concernent uniquement
des châteaux et des abbayes. Est-ce
un parti pris?
Oui. A la différence de la cathédrale ou de l’église, lieux de
culte ouverts à tous, le château et
l’abbaye sont des lieux de vie privilégiés,
fermés sur le monde extérieur par une
clôture. Pour le château, c’est une enceinte
fortifiée entourée de fossés, dotée de tours
et d’un pont-levis ; pour l’abbaye, une
barrière plus symbolique mais tout aussi infranchissable, car sacrée. Dans les deux cas,
celui qui n’y est pas admis n’a qu’une idée
fantasmée des richesses et secrets qui y sont
enfermés.
Le style gothique avait donc aussi une fonction
pratique…
L’enceinte des châteaux, des villes fortifiées
–Carcassonne, le Mont-Saint-Michel– et la
clôture des abbayes avaient pour fonction de
préserver cette société morcelée tenue par de
grands dynastes. Expression d’une société
féodale aux pouvoirs non centralisés, en
quête de légitimité puis d’idéal chevaleresque, ce style s’exprimait principalement par
ces architectures «autarciques», admirables
mais fermées. L’avènement de l’Etat moderne centralisé a transformé le chevalier en
courtisan. L’architecture de l’élite avait
changé, maîtrisant la nature par la géométrie
au lieu de s’y intégrer harmonieusement.
C’en était fini du gothique ! Du moins l’at-on cru…
A quand remonte le regain d’intérêt pour la
ruine gothique ?
A la seconde moitié du XVIIIe siècle en Angleterre, un peu plus tard en France, où il
s’est installé en réaction à la Révolution et à
ses destructions de biens nationaux, au premier rang desquels les abbayes. Ce fut une
grande entreprise de fabrication de ruines
pittoresques, objets de contemplation et de
nostalgie des voyageurs romantiques! Né en
Europe à l’époque du déclin du gothique,
l’attrait pour les monuments ruinés comme
témoin d’un âge d’or se portait alors sur l’antique, le romain. Cet engouement ne s’est pas
démenti jusqu’au Piranèse et Hubert Robert,
mais la contemplation des ruines comme
trace d’un paradis perdu s’est reportée sur les
monuments du passé national en Angleterre,
en France et en Allemagne, donc sur les monuments gothiques, qu’on a commencé par
imiter sous forme de fausses ruines dans les
jardins anglais.
La Cathédrale engloutie (2012), de Didier Massard. PHOTO DIDIER MASSARD
charge de la partie consacrée au château
virtuel et ses déclinaisons ludiques,
propose une sélection d’installations
réalisées cet été (lire ci-contre). Tel ce
Château fantôme, constitué de divers récipients en plastique transparent, ou
encore la silhouette du mont Saint-Michel réinterprétée en ombre chinoise à
partir de baguettes de bois.
CONTES. La fin de l’ère médiévale sonnera le glas du gothique au profit du
style classique, symbole d’ordre planifié. Il ne ressurgira qu’à la fin du
XVIIIe siècle, grâce à la littérature anglaise et allemande. Dès lors, la vision
d’un romantisme noir va imprégner
jusqu’à nos jours l’imagination des artistes, à la recherche d’un monde perdu.
Citadelles inexpugnables ou lieux de
claustration, les châteaux forts et abbayes deviennent des archétypes fantasmagoriques aux codes dramatiques
– des univers mystérieux qui recèlent
forcément bien des turpitudes.
Quel que soit le degré de connaissance
historique, chacun trouvera un intérêt
dans ce voyage à travers les siècles et les
contes de fées. Y compris les plus jeunes, car, comme s’en amuse Christian
Corvisier, «les enfants percevront plus
spontanément que nous l’étrange parenté
qui lie les couleurs improbables des châteaux-jouets Disneyland en plastique à
celles des châteaux irréalistes des enluminures du Moyen Age, auxquelles seule
avait accès une élite aristocratique». •
UN CATALOGUE
À DOUBLE DÉTENTE
RÊVE DE MONUMENTS Conciergerie,
Plus qu’un simple catalogue,
la parution richement illustrée
qui accompagne l’exposition est
un objet à deux faces, un «livre
Janus». La première prolonge
la réflexion historique et artistique
développée dans les thématiques
mises en scène à la Conciergerie.
L’autre versant rend compte
d’un projet qui s’est déroulé l’été
dernier sous la houlette de
Christian Caujolle, un des
fondateurs de l’Agence VU.
L’idée était de proposer à des
artistes contemporains de
s’imprégner de l’atmosphère
d’une trentaine de sites français
du Centre des monuments
nationaux pour y créer des œuvres
qui s’intègrent parfaitement
aux lieux choisis et dont certaines
sont reprises dans l’accrochage
parisien. P.Gi.
2, bd du Palais, 75001. Tlj 9h30­18heures.
Jusqu’au 24 février.
Rens.: www.monuments­nationaux.fr
«Rêve de monuments», éditions du
patrimoine, Centre des monuments
nationaux, 184 pp., 29€.
Quels sont les apports de la vision romantique?
Au XIXe siècle, deux clans se sont formés.
D’une part, ceux qui voulaient réveiller la
Belle au bois dormant: les restaurateurs, les
aménageurs et refondateurs d’un style national avec, au premier rang, en
France, Viollet-le-Duc. D’autre
part, ceux qui préféraient la contempler dans son sommeil,
comme Ruskin en Angleterre, ou
Hugo le visionnaire en France.
Nombre d’artistes et d’architectes
des beaux-arts œuvrant dans
l’une ou l’autre de ces voies avaient fait leurs
classes sur les routes de l’ancienne France,
invités à en dessiner les monuments en péril,
à l’instigation du baron Taylor et du conteur
Charles Nodier, pour la vaste entreprise éditoriale des Voyages pittoresques et romantiques
dans l’ancienne France, menée à bien de 1820
à 1878.
Quel rôle la littérature a-t-elle joué dans ce
retour en grâce?
Le rôle de la littérature anglaise a été décisif.
On peut citer, bien sûr, Alfred Tennyson, qui
réécrivit le cycle arthurien, d’autant que ses
éditions sont illustrées par Gustave Doré.
Mais, bien avant, dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, c’est le roman gothique anglais
qui réhabilite le château et l’abbaye comme
objet d’une fascination sombre et inquiétante. Plus ou moins déchus –en Angleterre,
pour cause de Réforme, les abbayes étaient
abandonnées depuis deux siècles, avec une
connotation négative – ces vestiges y sont
montrés comme des lieux effroyables de
transgression, de secrets cachés, de hantise.
Cette littérature, très prisée en son temps et
très lue en France, a ouvert la voie au genre
fantastique occidental, y compris ses sousgenres : histoires de fantômes ou de vampires, qui, comme chacun le sait, exigent des
châteaux, des cryptes, des souterrains, des
tombeaux, forcément gothiques…
On ressent également cette influence dans
les contes et les films…
Certains contes populaires recueillis par Perrault à l’époque classique étaient en quelque
sorte «prégothiques». Barbe bleue, par
exemple, exhibe les poncifs du genre : seigneur inquiétant, château avec chambre secrète, enfermement, crimes cachés, coulisses
macabres. Le cinéma a peu adapté les romans
gothiques anglais, mais il s’est emparé des
récits littéraires merveilleux ou sombres,
dont le château, plus qu’un simple décor, est
un préalable. Parmi les extraits de films présentés, il faut signaler le magnifique plan-séquence qui ouvre Rebecca, d’Alfred Hitchcock: Manderley, manoir Tudor dévasté, en
est l’unique objet, dévoilé selon la vision onirique de l’héroïne.
Recueilli par P.Gi.
24
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
CULTURE
30%
C’est la hausse des recettes du cinéma chinois en 2012
selon l’agence Chine nouvelle. Avec 17 milliards de yuans
(2 milliards d’euros) de profit, le cinéma chinois arrive à la
2e place mondiale, derrière les Etats­Unis. Les recettes
proviennent, pour 51,5%, de 34 films étrangers, essentielle­
ment hollywoodiens, «mettant ainsi fin à neuf ans de
domination des [productions chinoises] au box­office».
Mort du réalisateur David R. Ellis
Réalisateur de Des serpents dans l’avion, avec Samuel L. Jackson, de Destination finale 2 et 4, et surtout de Shark 3D, le cinéaste cascadeur américain David R. Ellis est mort à 60 ans
à Johannesburg mardi. Son corps a été retrouvé dans une
chambre d’hôtel, mais sa mort ne serait pas suspecte.
Scorsese s’expose à Berlin
Le musée du Film et de la Télévision de Berlin a inauguré,
hier, une exposition qui se présente comme la première au
monde consacrée à Martin Scorsese. Pour l’occasion, ce dernier a ouvert son vaste fonds d’archives. L’exposition retrace
un demi-siècle du travail du réalisateur américain, et montre
des reliques comme la chemise de Robert De Niro dans les
Nerfs à vif. Scorsese, 70 ans, n’était pas en mesure d’assister
au gala d’ouverture en raison de la production du Loup de Wall
Street, son cinquième film avec Leonardo DiCaprio.
La fille de Klaus Kinski accuse
Dans un entretien accordé au magazine Stern, Pola Kinski,
fille aînée de l’acteur allemand Klaus Kinski (Aguirre), mort
en 1991, révèle que son père désaxé l’a violée de 5 à 19 ans.
L’actrice Pola Kinski, 60 ans, qui va publier un livre sur le
sujet, a beaucoup joué au théâtre et dans des téléfilms.
Besson veut recapitaliser EuropaCorp
La société de production et distribution EuropaCorp, fondée
par Luc Besson, va présenter aujourd’hui, en conseil d’administration, deux projets concomitants d’augmentation de
capital visant à lever «entre 25,3 et 30,3 millions d’euros»,
selon un communiqué du groupe diffusé hier.
LES GENS
APRÈS DEPARDIEU, KASSOVITZ
Alors que le théâtre de Tioumen, en Sibérie, s’engage à
fournir à Gérard Depardieu un logement et une embau­
che à 16000 roubles par mois (400 euros), l’acteur
cinéaste Mathieu Kassovitz choisit à son tour l’exil. «Je
suis en train de dégager de ce pays comme Depardieu», a
lancé mardi sur Canal+ l’artiste, boudé pour son dernier
film l’Ordre et la Morale, rebuffade qui lui avait fait dire,
non sans rudesse, qu’il «enculait le cinéma français».
«Mais pas pour raisons fiscales», a souligné de façon
sibylline l’auteur­acteur. S’expliquant: «Créativement par­
lant, j’ai du mal à continuer de travailler dans un pays qui
a enfermé le cinéma. J’aime le cinéma, c’est devenu un
média, mais c’est avant tout un art. J’aime l’industrie qui
tourne autour de ça.» Selon le réalisateur de la Haine,
«aux Etats­Unis, les choses sont plus carrées, car il y a des
empires basés autour de cela. En France, on a tout cela,
mais malheureusement le public ne suit pas.» Interrogé
sur Depardieu, Kassovitz a lâché: «Il fait ce qu’il veut, mais
il a oublié que Depardieu c’est un copyright, comme
le camembert.» PHOTO REUTERS
«Ce serait chouette
si vous pouviez
tous parler du
nouvel album
de mon père.
C’est le premier
en dix ans, et il est
bon!»
A Lyon,
Soulages
tire au blanc
Les superlatifs ne manquent
pas au sujet de Pierre Soulages : le plus grand artiste
français, soixante-dix ans de
carrière, l’ultra noir. Mais
voilà, Soulages reviendrait
au blanc. Avec une trentaine
de ses derniers travaux,
l’exposition lyonnaise, épatante, remet en risque un
créateur qui, à 92 ans, ne
quitte pas son atelier.
Expérience sensorielle, l’entrée se fait par un long corridor blanc. Eclairées par une
lumière indirecte, quatre
grandes peintures à l’épaisseur traversée de larges
bandes. Il faut se laisser happer par ces ouvertures tout
en nuances. Avant de passer
à la suite, dont les polypty-
Duncan Jones rejeton
réalisateur de la vedette
funkyglitter pop britannique
David Bowie, rematérialisée
après une longue
éclipse le jour de son
66e anniversaire, mardi sur
Twitter, en écho à la diffusion
du titre d’appel de son père,
Where Are We Now
ques laissent affleurer des
passages blancs. En fait,
cet appel au blanc n’est pas
inédit. Mais l’exposition
confirme avec éclat que
Pierre Soulages ne peint pas
le noir, il est le peintre de la
lumière. V.N. PHOTO GEORGES
PONCET. COLL. PART. ADAGP 2012
«Soulages XXIe siècle», musée
des Beaux­Arts de Lyon,
jusqu’au 28 janvier.
BOX­OFFICE Film, CD, concerts… Le chanteur,
héros rock réactivé par un docu, crée la sensation.
«Sugar Man» paie
sa tournée à Rodriguez
A
vec plus de 4 millions
d’entrées en quatre
semaines, le Hobbit
de Peter Jackson écrase le
box-office français. Mais un
Petit Poucet se paie le luxe
d’afficher une moyenne de
spectateurs par salle deux
fois plus élevée: en première
semaine, Sugar Man a attiré
7 000 spectateurs dans trois
salles (deux à Paris et une à
Lyon), soit 2333 spectateurs
par écran, et plus de 5000 en
deuxième. Hier, pour sa troisième semaine d’exploitation, le film arrivait à Bordeaux, Rennes et Nancy.
D’autres grandes villes vont
suivre progressivement.
Premier film du réalisateur
suédo-algérien Malik Bendjelloul, Sugar Man est un
«rockumentaire» consacré
au chanteur Sixto Rodriguez,
figure oubliée de la scène
soul-folk américaine des
années 70.
Fragile. Michèle Halberstadt, directrice de la maison
de distribution ARP, avait repéré le film au festival de
Sundance (Californie), en
janvier 2012. «J’ai été subjuguée, raconte-t-elle. En
tant qu’ex-animatrice d’émissions rock à la radio, une telle
histoire ne pouvait que me toucher. Et pile au moment où
je me demandais si tout cela
n’était pas trop beau, voire
inventé de toutes pièces,
Sixto Rodriguez à la grande
époque. PHOTO HAL WILSON
Rodriguez en chair et en os a
surgi sur scène pour chanter
quelques titres. Un moment
inoubliable.» Pour lancer le
film en France, ARP décide
d’appliquer la même recette:
une avant-première le
21 novembre au Max-Linder
à Paris, devant 600 invités,
suivie d’un miniconcert de
5 chansons. L’émotion avait
fait chavirer la salle.
Mais quels que soient l’enthousiasme des premiers
spectateurs et le soutien de la
presse (Libération du 26 décembre), un documentaire
musical, à plus forte raison
quand il s’agit d’un premier
film, est un objet fragile.
«Pour sortir Sugar Man, reprend Halberstadt, nous
avons opté pour une platform
release, pratique courante aux
Etats-Unis pour les films
d’auteur, mais rare en France:
projeter un film dans une petite
combinaison de villes et, si le
succès est au rendez-vous,
ouvrir un mois plus tard à l’ensemble du pays. Un peu
comme une tournée où l’artiste
commence à Paris, puis se
produit en province.»
Complet. L’effet Rodriguez
ne s’arrête pas au grand
écran. Le disque des chansons du film, mis en place à
10 000 exemplaires dans les
magasins par Sony, se vend
à un rythme soutenu. Et le
concert de Rodriguez
du 5 juin à la Cigale affiche
déjà complet: les 1300 places
sont parties en quarantehuit heures, sans pub…
Le tourneur lyonnais Loud
Booking, responsable des
tout premiers concerts de
Rodriguez en France,
en 2009 au Nouveau Casino
puis aux Transmusicales de
Rennes, en est à monter une
date supplémentaire à Paris
pour satisfaire la demande, et
les festivals d’été commencent à jouer des coudes pour
inviter la sensation au futur
antérieur de l’année.
On n’a donc pas fini de parler de Sixto Rodriguez,
69 ans, revenu par la grande
porte dans le rock’n’roll circus qu’il avait quitté sur la
pointe des pieds en… 1972.
FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ
LE SITE
LA CULTURE
À LA SAUCE
«WOK»
Tiens, on écouterait bien
un peu de reggae rugueux,
aujourd’hui. Juste pour
emmerder le monde,
genre une robe couleur
du temps. On va sur cultu­
rewok.com, le «premier
moteur de recherche sensi­
tive» (ah bon, on trempe
sa b… dans le clavier
de l’ordi?). On choisit livre,
jeux, cinéma ou musique,
puis on s’amuse à déplacer
des curseurs. Quatorze
choix d’humeurs et qua­
torze pour le genre, mais
on n’est pas obligé de tout
cocher. Donc «rugueux»
pour la tonalité, «reggae»
pour le genre. La machine
crache The Aggrolites et
Fishbone avec clips You­
Tube ad hoc. Pas sot, et ça
fait des découvertes. On
essaie littérature: «poésie»,
«limpide» et «violent».
Ordonnance: Alcools
d’Apollinaire et la Route
de Cormac McCarthy.
A l’origine de ce site labo,
l’artiste Renaud Garcia, et
un wok en wiki précédent
intitulé simplement le Wok,
site de création participa­
tive fomenté avec les UFR
d’art Michel de Montaigne
et de musicologie de
Bordeaux­III, la faculté des
sciences de Bordeaux­II,
l’Institut de Cognitique
Bordeaux­II, où l’on peut
ajouter sons, textes et
images pour construire des
«objets complexes […], sous
un mode opératique (musi­
que, livrets, décors) […] à
partir d’un choix arbitraire
de critères subjectifs […].
Et pour un jeu vidéo
«indie», «contemplatif» et
«expérimental», on prendra
Machinarium, à lire avec
Gus (tome 2) de Blain
(Dargaud), recommande
l’algorithme.
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LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Directeur de la
publication
et de la rédaction
Nicolas Demorand
Directeur délégué
de la rédaction
Vincent Giret
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de la rédaction
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Sylvain Bourmeau
Eric Decouty
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de la rédaction,
chargée du magazine
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Rédacteurs en chef
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(technique)
Gérard Lefort
Fabrice Rousselot
Françoise-Marie Santucci
(Next)
Directeurs artistiques
Alain Blaise
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adjoints
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(édition)
Jacky Durand (société)
LIBÉRATION
www.liberation.fr
11, rue Béranger 75154
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cedex 03
Tél. : 01 42 76 17 89
Edité par la SARL
Libération
SARL au capital
de 8726182 €.
11, rue Béranger, 75003
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RCS Paris : 382.028.199
Durée : 50 ans à compter
du 3 juin 1991.
Cogérants
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SA Investissements
Presse
au capital de 18 098 355 €.
Président du directoire
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Philippe Nicolas
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et Richard Poirot
(éditions électroniques)
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(éco-futur)
Luc Peillon (économie)
Nathalie Raulin (politique)
Mina Rouabah (photo)
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Bayon (culture)
Sibylle Vincendon et
Fabrice Drouzy (spéciaux)
Pascal Virot (politique)
Directeur administratif
et financier
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développement
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PuBLICITÉ
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de LIBERATION MEDIAS
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Libération Medias. 11, rue
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Amaury médias
25, avenue Michelet
93405 Saint-Ouen Cedex
Tél.01 40 10 53 04
[email protected]
Petites annonces.Carnet.
LE MATIN Arrivée d'un front par le
nord-ouest. Ailleurs, le ciel sera
couvert avec des pluies. Peu de
régions seront épargnées.
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L’APRÈS-MIDI Les pluies progressent
vers l'est et les averses deviennent plus
fréquentes à l'ouest. Mieux au sud-est et
sur le Finistère.
0,1 m/9º
IMPRESSION
Cila (Héric)
Cimp (Escalquens)
Midi-print (Gallargues)
Nancy Print (Nancy)
POP (La Courneuve),
Imprimé en France
Tirage du 09/01/13:
132 651 exemplaires.
Membre de OJDDiffusion Contrôle.
CPPP:1115C80064.
ISSN0335-1793.
Nous informons nos lecteurs
que la responsabilité du journal ne saurait être engagée
en cas de non-restitution de
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France métropolitaine :
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Insecte amateur de bois
NUMÉRO
SPÉCIAL
MARSEILLE
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JANVIER
RENCONTRE AVEC
NICOLAS DEMORAND
ET LA RÉDACTION
AUTOUR DU THÈME DE
LA PRESSE ENTRÉE LIBRE
18H-20H GRANDES TABLES DE LA FRICHE
Infos pratiques sur le site
FRANCE
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Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
VENDREDI SAMEDI Parfois neigeux en moyenne montagne
dans l'est. Ailleurs, ciel variable avec un
faible risque d'averse. Températures
de saison.
La perturbation traversera le pays avec
son lot de pluie et de vent. Limite pluieneige relativement basse en montagne.
0,6 m/9º
0,3 m/9º
Lille
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Strasbourg
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Orléans
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Dijon
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Lyon
Lyon
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Bordeaux
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ECRANS&MEDIAS
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
AUDIOVISUEL Malgré ses promesses sur l’indépendance de l’instance, le président
de la République a nommé, hier, l’ancien dircab de Lionel Jospin à la tête du CSA.
Hollande: mon Schrameck à moi
Par RAPHAËL GARRIGOS
et ISABELLE ROBERTS
«M
oi, président de la République,
je n’aurai pas la prétention de
nommer les directeurs des
chaînes de télévision publique,
je laisserai ça à des instances indépendantes.»
Etait-elle belle l’anaphore télévisuelle déclamée par François Hollande face à un Nicolas
Sarkozy dont l’essentiel du mandat aura
consisté à s’immiscer dans les affaires des
médias… «Des instances indépendantes», ça
faisait rêver. Et puis voilà que lui, président
de la République, a nommé, hier, Olivier
Schrameck à la tête du Conseil supérieur de
l’audiovisuel (CSA), aka «l’instance indépendante». Rien moins que celui qui fut le
directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon entre 1997 et 2002 ; plus même qu’un
dircab, un quasi vice-Premier ministre qui
prenait part à chaque réunion et mijotait chaque décision. Alors que Hollande avait fait de
l’indépendance de l’audiovisuel public un argument de campagne scandé à chaque meeting, une telle nomination fait mauvais genre.
COCHONS. Mais pas du tout, sommes-nous
médisants. Sitôt l’annonce faite hier, la porte-parole du gouvernement, Najat VallaudBelkacem, a sorti les rames: il ne s’agit «nullement d’une nomination politique». «Vous verrez à l’épreuve des faits, a-t-elle lancé lors de
son point de presse hebdomadaire, on ne peut
pas faire de procès d’intention à M. Schrameck.»
Et même que sa «compétence est reconnue».
Compétent, l’homme l’est certainement.
Mais en matière d’audiovisuel, on ne voit pas.
Peut-être a-t-il la télé. Pour la première fois
depuis sa création en 1989, le CSA –où se sont
succédé Jacques Boutet (ancien patron de
TF1), Hervé Bourges (ancien patron de la Une
et de France Télévisions), Dominique Baudis
(certes encarté à droite, mais journaliste) et
Michel Boyon (qui avait été surtout dircab de
Jean-Pierre Raffarin à Matignon, mais avait
tout de même dirigé Radio France)– sera présidé par un homme extérieur au sérail audiovisuel. De son côté, le président du Sénat,
Jean-Pierre Bel, a choisi la journaliste de
France 3, Memona Hintermann. Tandis que
Claude Bartolone, président de l’Assemblée
nationale, a désigné Sylvie Pierre-Brossolette,
rédactrice en chef au Point.
Etranger à l’audiovisuel, c’est sûr, mais ainsi
qu’Olivier Schrameck le disait à Libération
en 1997, «un parcours peut subir des inflexions
inattendues». Jusqu’alors, le sien a été celui,
classicos, d’un serviteur de l’Etat: ENA, Conseil d’Etat, chargé de mission chez Deferre à
l’Intérieur, en 1984, et dircab de Jospin à
l’Education, en 1988. Les deux deviennent
copains comme cochons et Jospin fait de
Schrameck son homme de confiance à Matignon. Au point qu’il se serait même rêvé en
Premier ministre d’un Jospin président. Sauf
que non: après la débâcle de 2002, Schrameck
devient ambassadeur à Madrid, retourne au
Conseil d’Etat et retrouve l’an dernier son poteau Lionel au sein de la Commission chargée
de la rénovation et de la déontologie de la vie
Olivier Schrameck, en mars 2010 à Paris. A 61 ans, il a connu un parcours classique: ENA, Conseil d’Etat, ambassadeur… PHOTO BRUNO CHAROY
publique. L’homme –né en 1951 d’une mère
parmi les rares rescapés d’Auschwitz– aime
Gide, Gracq; on le dit rigoureux et précis. Son
surnom : «l’horloger».
pour le premier semestre 2013. Un CSA au
cœur de la future loi, puisque c’est l’instance
elle-même qui pourrait être bouleversée.
D’abord par un rapprochement, mis à l’étude
par le gouvernement, entre CSA et
Arcep, son alter ego pour les téléHollande entend rendre au CSA
Les ministres de la Culture,
le pouvoir de nomination des présidents coms.
de l’Economie numérique et du
de l’audiovisuel public. Un retour à la
Redressement productif ont rendu
normale qui doit passer par une nouvelle un rapport à Jean-Marc Ayrault
qui préconise un rapprochement
mouture de la loi sur l’audiovisuel.
a minima, avec la création d’une
Ça tombe bien, il y a des pendules à remettre instance paritaire commune aux deux genà l’heure au CSA. Car, et c’était le sens de son darmes, composée, par exemple, de trois
anaphore, François Hollande entend rendre membres issus de chacune des autorités.
au CSA le pouvoir de nomination des présidents de l’audiovisuel public que s’était ar- RÉFORME. Sur ce point, le Premier ministre
rogé Nicolas Sarkozy. Un retour à la normale doit encore trancher. Mais est prévue égaqui doit passer par une nouvelle mouture de lement dans la loi une réforme du mode de
la loi sur l’audiovisuel, pour l’instant prévue nomination des neuf membres du CSA.
Actuellement, ceux-ci sont renouvelés par
tiers pour six ans, respectivement par les
présidents de la République, de l’Assemblée
et du Sénat. Ce qui fait qu’aujourd’hui, absence d’alternance politique pendant dix ans
oblige, l’ensemble des conseillers a été choisi
par la droite.
Initialement, la réforme consistait à faire
désigner les membres du CSA par «l’Assemblée nationale et le Sénat, les commissions
culturelles» du Parlement, avait esquissé
Aurélie Filippetti. Il semble à présent qu’on
soit revenu au mode de nomination actuel par
l’Elysée, l’Assemblée et le Sénat, mais avec,
en plus, un simple avis des commissions
culturelles. Bref, la réforme qui devait permettre au CSA de se débarrasser de sa détestable image d’autorité moyennement indépendante apparaît bien édulcorée. C’est qu’il
est à gauche aujourd’hui, le pouvoir. •
TV1001.qxd:Template Liberation 2 09/01/13 14:16 Page1
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
L’HISTOIRE
LA «SCRIPTED
REALITY» AU
CAS PAR CAS
Statu quo pour la scripted
reality: le Conseil supé­
rieur de l’audiovisuel (CSA)
va continuer de décider au
«cas par cas» si ces émis­
sions sont ou non des
œuvres de fiction. Certai­
nes chaînes souhaitent que
ces programmes bon mar­
ché, souvent des reconsti­
tutions de faits divers
jouées par des comédiens,
entrent dans leur quota de
production de fictions. Les
producteurs, eux, crai­
gnent que, parallèlement,
les chaînes réduisent leurs
commandes. Cette déci­
sion intervient après plu­
sieurs semaines d’audition
par le CSA des chaînes de
télé, des représentants des
producteurs, des auteurs,
et des scénaristes.
DISPARITION
PIERRE
VEILLETET,
«SUD OUEST»
ET AU­DELÀ
Le journaliste et écrivain
Pierre Veilletet, ancien pré­
sident de Reporters sans
frontières (RSF) France et
figure historique du quoti­
dien Sud Ouest, est
décédé à l’âge de 69 ans.
Le Landais avait reçu
le prix Albert­Londres pour
ses reportages publiés
dans Sud Ouest sur l’Espa­
gne, où il se trouvait en
vacances au moment de la
mort de Franco en 1975. Au
sein du quotidien régional,
il occupa, dans les
années 90, les fonctions de
rédacteur en chef et lança
l’hebdo Sud Ouest Diman­
che en 1979. Veilletet pré­
sida de 2003 à 2009 la
section française de RSF,
dont il était membre
depuis sa fondation. Pierre
Veilletet signa une dizaine
de romans et essais (la
Pension des nonnes, prix
François­Mauriac, 1986).
«Journaliste passionné et
généreux, attentif à la mar­
che du monde et intéressé
par de multiples sujets»,
écrit l’Association du prix
Albert­Londres, il était
«un humaniste exigeant et
un esprit d’une grande
et belle liberté». PHOTO AFP
ECRANS&MEDIAS
VU DE MA LUCARNE
«Game of Thrones»,
médiéval féministe
L’
On n’attendait pas vraiment
HBO, mythique network à
péage américain, connu
pour ses séries majeures
comme Oz, les Soprano, Six
Feet Under ou The Wire, très
ancrées dans le réel, sur un
univers médiéval fantastique
en costumes. Mais on comprend, dès le premier épisode, que le Royaume des
sept couronnes n’a pas
grand-chose à voir avec les
Terres du milieu du Seigneur
des anneaux. Si le souvenir
lointain de la magie et des
dragons est ici parfois évoqué, les éléments surnaturels
sont relégués au second plan
et servent de lointain décor.
Et il n’y a aucun héros dans
Game of Thrones, mais des
dizaines de personnages aux
destins entremêlés qui
27
A LA TELE CE SOIR
Par ERWAN CARIO
hiver vient. Une prévision météo pas bien
originale en ce mois de
janvier, certes. Mais ce n’est
pas le propos. «Winter is coming», c’est le leitmotiv sibyllin et menaçant de Game
of Thrones, série produite par
HBO dont la diffusion débute
ce soir sur Canal +. Adaptation brillante de la saga épique A Song of Ice and Fire de
George R.R. Martin (cinq tomes parus sur un total prévu
de sept), Game of Thrones a
déjà conquis une bonne partie du public français. Pas
forcément grâce à la première diffusion sur le confidentiel bouquet d’Orange,
mais en étant, en 2012, la série la plus téléchargée sur le
Net (illégalement, s’entend),
après une deuxième place au
classement 2011.
•
luttent pour la survie ou le
pouvoir (souvent les deux).
D’ailleurs, si on peut prendre
peur dans les premières
minutes face à la multiplication des protagonistes, la
qualité de l’écriture amène le
spectateur à intégrer très vite
la généalogie des familles
Stark, Lannister, Barathéon
et Targaryen (liste non exhaustive) sans même s’en
rendre compte.
La force de Game of Thrones,
au-delà d’un casting impeccable (mention spéciale à Peter Dinklage dans le rôle de
Tyrion), c’est avant tout de
prendre à contre-pied les
codes de la fantasy (et
même, peut-être, des séries
télé). L’héroïsme viril à base
d’honneur, de courage et de
grosse épée est ainsi relégué
au rang de comportement
primaire un peu dépassé.
L’intelligence, la malice et la
politique sont bien plus importantes pour arriver à ses
fins dans les luttes de pouvoir. Surtout, c’est la construction des personnages féminins qui réjouit.
Elles possèdent toutes une
ambition propre et luttent,
chacune à sa manière, contre
le carcan imposé par cette
société patriarcale. Et quand
ce n’est pas le cas, comme
avec la jeune Sansa Stark,
c’est bien à cause de ces pathétiques rêves de princesse
qui arrivent à briser toute
volonté d’émancipation.
Game of Thrones est très ancré dans le réel, finalement. •
Saison 1, ép. 1 et 2/10, Canal+,
ce soir, 20h55.
Réducteur
Le message qui passe en boucle sur l’antenne de France
Inter depuis le début de la grève lundi est «réducteur»
et «décrédibilise le mouvement», selon la Société des
journalistes. Les techniciens de la station ont reconduit la
grève hier, pour protester contre des suppressions de pos­
tes. Selon le message de la direction à l’antenne, les reven­
dications portent sur «des modifications de tableaux de
service des techniciens». «C’est la qualité des productions
et de l’antenne qui est en jeu», souligne l’intersyndicale.
«Pour le pluralisme, pour la liberté
de la presse, je préfère que ce soit une
personnalité française qui s’associe au
groupe Hersant plutôt qu’un émir d’un
pays lointain, ou même nos voisins belges.»
Jean­Claude Gaudin maire de Marseille ravi de l’arrivée de
Nanard au capital des journaux d’Hersant, hier sur Europe 1.
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h50. R.I.S Police
scientifique.
Série française :
Londres-Paris,
L’ombre du passé,
Zone rouge.
Avec Michel Voïta.
23h35. New York
Section Criminelle.
Autopsie d’un meurtre
Une révolution en
marche
Série.
1h10. New York Police
Judiciaire.
20h45. Envoyé spécial.
Magazine présenté par
Guilaine Chenu et
Françoise Joly.
22h15. Complément
d’enquête.
Logement : la bataille
des classes moyennes.
Magazine présenté par
Benoît Duquesne.
23h15. Grand public.
Magazine présenté par
Aïda Touihri.
0h50. Journal de la
nuit.
20h50. Blood diamond.
Film d’aventures
américain d’Ed Zwick,
143mn, 2006.
Avec Leonardo
DiCaprio, Djimon
Hounsou.
23h10. Météo.
23h15. Soir 3.
23h40. La grande
soirée cinéma.
Les sorties de la
semaine.
Magazine.
23h45. Mort ou vif.
20h55. Game of
thrones.
Série américaine :
Série,
La route royale.
Avec Sean Bean,
Mark Addy.
22h50. Shameless.
Le labo de meth’
Série.
23h40. Mad men.
Lady Lazarus.
Série.
0h25. Forces spéciales.
Film.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Retour à
Whitechapel.
Série britannique :
1 & 2/6.
Avec Phil Davis.
22h25. Le plastique :
Menace sur les océans.
Documentaire.
23h20. Les noces
persanes.
Documentaire.
0h10. Le dernier
témoin.
Amour d’enfance.
Série.
20h50. Le
transporteur.
Série francocanadienne :
Double jeu,
Frères d’armes,
À l’aveugle.
Avec Chris Vance,
François Berléand.
23h15. Criminal minds :
Suspect Behavior.
L’image du père,
Une vie pour une vie,
Les trois petits singes.
Série.
20h45. F.B.I. :
portés disparus.
Série américaine :
Des femmes sans
histoires,
Le caméléon,
Contre-coup,
Victimes.
Avec Anthony LaPaglia,
Poppy Montgomery.
23h30. La torpille.
Téléfilm.
1h05. Faut pas rater ça !
Magazine.
2h05. Bons plans.
20h35. La grande
librairie.
Magazine présenté par
Francois Busnel.
21h40. Les secrets
de l’Égypte antique.
La face cachée du
sphinx.
Documentaire.
22h30. C dans l’air.
Magazine.
23h35. Dr CAC.
Série.
23h40. Entrée libre.
Magazine.
LES CHOIX
Le pied
Le doigt
Le talon
6ter, 20h45
D8, 20h50
Chérie 25, 20h45
On est le 10 janvier et vous
avez déjà envie de faire
une fugue en Alaska? Pen­
sez­y devant Into the Wild
(et ça fait mal aux pieds).
L’avantage de D8, c’est
qu’on peut revoir Engrena­
ges depuis le début. Sauf
que ça démarre par
la deuxième saison…
Alors ces nouvelles chaî­
nes de la TNT ça donne
quoi? Bof, on peut tou­
jours revoir des Almodo­
var, comme Talons aiguilles.
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h40. Prédictions
Film de science-fiction
d’Alex Proyas, 120mn,
2008.
Avec Nicolas Cage,
Chandler Canterbury.
22h50. Kill Bill : volume 1.
Film d'action américain
de Quentin Tarantino,
112mn, 2003.
Avec Uma Thurman.
0h45. Lie to me.
Les affres de la
tentation.
Série.
20h45. Philadelphia.
Drame américain de
Jonathan Demme,
119mn, 1993.
Avec Tom Hanks,
Denzel Washington.
23h00. Quelqu’un de
bien.
Comédie dramatique
française de Patrick
Timsit, 100mn, 2002.
Avec Patrick Timsit,
José Garcia.
0h45. 90’ Enquêtes.
Magazine.
20h50. Le convoi de
l’extrême : L’enfer du
Grand Nord.
L’appel du nord,
Maya la belle.
Documentaire.
22h30. Le convoi de
l’extrême : L’aventure
continue.
La route de tous les
dangers,
Le nouveau venu
Impair et passe.
Documentaire.
1h10. Météo.
20h45. Une famille
formidable.
Téléfilm français :
Des invités
encombrants.
Avec Anny Duperey,
Bernard Le Coq.
22h25. Princes et
princesses.
Film d’animation
français de Michel
Ocelot, 70mn, 1998.
23h35. Chérie, j’ai
rétréci les gosses.
Série.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h35. Star Academy Le prime.
Divertissement
présenté par
Matthieu Delormeau
et Tonya Kinzinger.
22h45.
Les anges
vous disent tout.
Documentaire.
0h25. Poker.
Jeu.
1h25. Programmes de
nuit.
20h50. Engrenages.
Série américaine :
Épisodes 1 & 2.
Avec Caroline Proust,
Audrey Fleurot.
22h50. Touche pas à
mon poste ! L’hebdo.
Divertissement
présenté par
Cyril Hanouna.
0h25. Touche pas
à mon poste !
Magazine.
1h55. Le grand 8.
20h45. Hitman.
Thriller américain de
Xavier Gens, 90mn,
2007.
Avec Timothy
Olyphant,
Dougray Scott.
22h25. Femme fatale.
Thriller américain de
Brian De Palma, 114mn,
2001.
Avec Rebecca Romijn
Stamos.
0h25. Road House 2.
20h50. Baron rouge.
Film de guerre
allemand de Nikolai
Müllerschön, 106mn,
2008.
Avec Til Schweiger,
Maxim Mehmet.
22h30. The
Experiment.
Téléfilm de
Paul Scheuring.
Avec Adrien Brody.
0h20. Les tops et flops
de l’année.
28
•
VOUS
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
ARCHI & DESIGN
Bordeaux, chais devant
DOMAINES Du Médoc
à Saint-Emilion,
les architectes
bonifient
les bâtiments
de vinification.
Par ANNE­MARIE FÈVRE
et STÉPHANIE LACAZE (à Bordeaux)
L
es vins de Bordeaux avaient leurs
châteaux pour asseoir leur identité
de vieilles maisons françaises
«authentiques». Aujourd’hui, c’est
sur la rénovation de leurs chais, longtemps
considérés comme des outils industriels sans
intérêt, qu’ils misent pour affirmer leur con-
temporanéité. Et revitaliser le prestige du
château, au diapason des nouvelles technologies qui bonifient aussi le nectar.
NOUVELLE VAGUE. Le mouvement a démarré
dans les années 90, avec Lafite Rothschild
dans le Médoc, qui a fait travailler l’architecte
catalan, alors en vogue, Ricardo Bofill. Ont
suivi Faugères avec l’Italien Mario Botta, Cos
d’Estournel avec Jean-Michel Wilmotte.
Aujourd’hui, deux prix Pritzker français vont
se faire face, à Saint-Emilion : Christian de
Portzamparc qui a donné une nouvelle vague
au Cheval-Blanc en 2011 et Jean Nouvel qui
voit La Dominique en rouge cette année (lire
ci-dessous). Pour l’architecte bordelais JeanBernard Nadau, il s’agit d’une stratégie de
fond, lui qui a signé les nouveaux chais des
châteaux Barde-Haut et Smith-Haut-Lafitte.
Dans le cas de Barde-Haut, «les propriétaires
l’ont fait, car ils aspirent à devenir un Premier
Grand Cru classé», explique ce concepteur.
Cette volonté d’embellir l’architecture fonc-
tionnelle commence à essaimer en dehors
du monde très particulier du vin et à attirer
l’industrie. «Nous travaillons en ce moment
pour GDF Suez, ajoute Nadau. L’architecture
dans les Landes, qui lui a rapporté le prix de
la Première Œuvre 2011 du Moniteur. Ce bâtiment en bois rappelle la forêt alentour, avec
ses pins alignés en rangs serrés, par un jeu de
poteaux verticaux assez rapprochés. Pour l’architecte, il s’inscrit
Pour l’architecte bordelais
«au cœur d’un domaine agricole
Jean-Bernard Nadau, il s’agit d’une
constitué de champs et d’entrepôts
stratégie de fond.
disposés de manière anarchique au fil
des extensions successives». Il a
touche à l’image de l’entreprise et les gens y sont permis de redonner une unité et une cohésensibles.»
rence à l’ensemble.
C’est ce qu’avaient bien compris les propriétaires de château Chasse-Spleen en confiant GRIFFE MÉDIATIQUE. Et si une architecture
en 2005, à Moulis-en-Médoc, la construction exigeante avait droit de cité partout, au-delà
de leur pôle agricole aux architectes bordelais du simple signal ou griffe médiatique ? Ces
Jean-Philippe Lanoire et Sophie Courrian. nouvelles typologies du vin pourraient conLoin «du marketing de la nostalgie», deux taminer la majorité des bâtiments indusmonolithes anthracite, radicaux, implantés triels, agricoles et commerciaux récents, inau milieu des vignes, semblent vibrer. Autre supportables boîtes informes des périphéries.
preuve plus récente, la jeune Vanessa Larrère Elles font tellement honte aux usines du
a conçu un immeuble de bureaux pour l’ex- passé, qui elles, ironie de l’histoire, devienploitation agricole de sa famille, à Liposthey nent des fleurons du patrimoine. •
Image numérique du projet de chai réalisé par Jean Nouvel à La Dominique et qui doit être terminé au mois de juin. PHOTO DR
La maison, sise à Saint-Emilion, espère
monter en gamme grâce à la rénovation
de son chai par l’architecte.
A La Dominique,
la cuve Nouvel
U
n nouveau chai émerge pour
le château La Dominique à
Saint-Emilion. Il manque à
ce vin l’appellation Grand Cru
classé. Le directeur du domaine,
Yannick Evenou, a convaincu le
propriétaire, Clément Fayat, un industriel qui a fait fortune dans le
bâtiment, de rénover les lieux et de
faire appel à un grand nom de l’ar-
chitecture. Il a donc commandé à
Jean Nouvel la réinvention complète des bâtiments du domaine.
Celui-ci a dessiné une sorte de
vaisseau tout en longueur recouvert
de plaques d’inox rouge, destiné à
accueillir le nouveau cuvier du château. «Il s’agit en fait d’une grande
boîte qui s’imbrique dans le château
existant», explique Yannick Evenou. «Tous les murs extérieurs sont
recouverts de grandes lames d’inox
montées sur des rotules. Le mur est
droit, mais les lames tournent, ce qui
donne un effet de courbe et de miroir
inversé qui répond à la vague de Cheval-Blanc.» Le directeur reconnaît
que ce nouveau bâtiment témoigne
d’une «volonté de s’aligner sur les
propriétés alentour». Outre ChevalBlanc, La Dominique est aussi voisine de Petrus et la Tour-Figeac,
deux autres Grands Crus classés.
Le nouveau chai répond surtout à
des contraintes: augmenter la production du château et accroître la
qualité de son vin. La Dominique
avait donc besoin d’un outil très
technologique. Le cuvier bénéficie
des dernières avancées. «Nous
avons des cuves à double peau, c’est
une isolation qui garantit une inertie
thermique, précise le directeur, et
les cuves sont de forme conique, ce
qui assure une meilleure extraction
des arômes.»
Toute la partie supérieure du bâtiment sera dédiée à la réception et
à la dégustation avec une grande
terrasse panoramique et un restaurant. Avec ce nouvel outil, le château espère monter en gamme et
peut-être égaler ses prestigieux
voisins. Une initiative qui fait grincer quelques dents dans la propriété
d’à côté, au Cheval-Blanc, même si
on se garde bien de le dire tout
haut. Certains avouent tout de
même «ne pas comprendre» et ne
voir dans ce futur chai qu’un «objet
de la période rouge» de Jean Nouvel.
On attend le mois de juin pour le
«déguster».
S. L. (à Bordeaux)
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
VOUS
Les propriétaires du Cheval­
Blanc (ci­contre et ci­dessous)
ont imposé à Christian de
Portzamparc un cahier des
charges très strict pour
respecter la façon de travailler
la vigne. PHOTOS ÉRIC SAILLET
•
29
LE LIVRE
SI VENISE ÉTAIT
WRIGHT
Le nouveau bâtiment,
fluide et léger, a été
conçu pour s’intégrer
parfaitement dans
son environnement.
Portzamparc
et son
Cheval-Blanc
comme l’air
omme une colline qui émergerait doucement
des vignes, le chai du château Cheval-Blanc
à Saint-Emilion se fond avec grâce dans le
paysage environnant. Il est conçu par Christian de
Portzamparc pour les deux propriétaires de ce
Grand Cru classé, Bernard Arnault et Albert Frères.
Ils souhaitaient «un geste architectural». Mais le
bâtiment répond avant tout à un cahier des charges très strict. «Il s’agissait d’abord de ne rien changer dans notre façon de travailler pour la production
du vin et dans les vignes», explique Pierre-Olivier
Clouet, le directeur technique du domaine. Ce qui
signifie, à Cheval-Blanc, qu’à chaque parcelle correspond une cuve dédiée. Le chai devait donc
comprendre 52 cuves de neuf formats différents
adaptées à la taille des parcelles et à la hauteur de
la récolte. Une contrainte intégrée dès le départ
dans le projet.
Fidèle à ses partis pris antérieurs, Christian de
Portzamparc a imaginé un bâtiment en forme de
vague comme si le sol se soulevait. Pour l’intégrer
parfaitement dans la propriété auprès des bâtiments existants, ses équipes ont réalisé pas moins
de 22 essais pour trouver le ton juste avant de couler le béton qui forme toute la structure du chai.
C’est là que réside la prouesse technique, comme
le précise Olivier Chadebost, l’architecte bordelais
qui a assuré tout le suivi du chantier: «La conception même de l’ouvrage était complexe. Il fallait absolument réussir les éléments de superstructure du premier coup. Il s’agit de voiles en béton courbe qui
reposent sur un sol creux. Puis, nous avons des coques
qui deviennent des poutres qui supportent des planchers. Nous avons dû adapter les techniques au projet.» Avec un budget limité à 12,5 millions d’euros.
Tous ces éléments parfaitement imbriqués, sans
aucune démarcation, donnent au bâtiment une
impression de légèreté et de fluidité. Rien ne vient
accrocher le regard. «C’était aussi une volonté de
faire un chai à la fois beau et pratique, rappelle Pierre-Olivier Clouet. On peut faire le tour des cuves,
ce qui permet de les nettoyer facilement. On peut
aussi recevoir du public partout.» Mais les réceptions les plus chics adoptent plutôt le toit végétalisé, animé de graminées qui s’agitent au premier
souffle de vent.
C
S. L.
Venise aurait­elle échappé
(un peu) à sa pétrification
si l’Américain Frank Lloyd
Wright (1867­1959) y avait
construit un palais
moderne? En 1952, l’indus­
triel Paolo Masieri com­
mande à l’architecte
«organique» de Chicago un
mémorial, en l’honneur de
son fils disparu, l’architecte
Angelo Masieri. Ce palaz­
zino se serait niché dans la
boucle du Grand Canal,
mais a suscité un tollé et
n’a jamais vu le jour. Un
petit essai reprend le texte
Wright et Venise de Sergio
Bettini, professeur d’esthé­
tique italien qui a vivement
défendu cette «poétique
moderne» à l’époque. Il
nous repromène dans la
ville «si peu classique», et
on imagine parfaitement ce
palais en marbre blanc et
en verre teinté de bleu qui,
selon Wright, «aurait surgi
de l’eau comme une gerbe
de grands roseaux qui se
verront en dessous de la
surface de l’eau elle­
même». Le critique améri­
cain Troy M. Ainsworth
revient sur la vive polémi­
que locale et internatio­
nale qu’a suscité ce projet.
Elle était pétrie de l’anti­
américanisme d’après­
guerre et du «vénétia­
nisme» dévot, opposé à
toute touche de moder­
nité. Hemingway a aussi
combattu ce palais inno­
vant. La Sérénissime a raté
sa rencontre avec l’abstrac­
tion organique de Wright.
A.­M.F.
«Sergio Bettini, Wright
et Venise», éditions de
l’éclat/éclats, 96pp., 9 €.
En librairies le 18 janvier.
L’EXPOSITION
MARSEILLE
À PARIS
Tandis que la Cité pho­
céenne se lance samedi
dans son odyssée d’un an
de capitale européenne de
la culture (MP2013), la gale­
riste marseillaise Suzette
Ricciotti et le distributeur
Silvera envoient quelques
embruns de la manifesta­
tion à Paris. Avec l’exposi­
tion «(M) comme Marseille,
le design marseillais, mythe
ou réalité». Ils inviteront à
découvrir le travail de
créateurs nés ou travaillant
dans la métropole méditer­
ranéenne.
Silvera Outdoor, Les Docks,
cité de la mode et du design,
34, quai d’Austerlitz, 75013.
Du 17 au 23 janvier.
•
GRAND ANGLE
Gonaïves
Port-auPrince
50 km
Océan
Atlantique
HAÏTI
Mer des Caraïbes
REPDOMINICAINE
30
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
Trois ans après le séisme,
le système universitaire tente
de se reconstruire alors que
le pays manque cruellement
de cadres bien formés.
Haïti
La tectonique
des
facs
Par VÉRONIQUE SOULÉ
Envoyée spéciale en Haïti
Photos CORENTIN FOHLEN
S
tanley, étudiant
en troisième année de comptabilité, et Yguens,
en quatrième
année, se sont
mis sur leur
trente et un. En
costume et chemise blanche éclatante, ils observent, à l’ombre, les
délégations qui arrivent. C’est un
jour important pour la petite université des Gonaïves, à 150 kilomètres de Port-au-Prince : on inaugure une bibliothèque et une salle
internet. «Jusqu’ici, il fallait aller
dans un cybercafé pour faire des recherches, et payer à l’heure, ce qui est
bien trop cher», se félicitent-ils.
Sous la tente dressée dans la cour,
le recteur, Auguste Roldano, un
prêtre épiscopalien en col blanc
dur, accueille ses hôtes: «Une délégation venue embellir l’espace universitaire.» Charles de Lamberterie,
prof de langues anciennes à ParisIV-Sorbonne, explique comment il
a eu l’idée de faire un don pour
cette bibliothèque qui portera son
nom : «Début 2010, j’ai été reçu à
l’Académie des Inscriptions et des
Belles Lettres. La tradition veut que
vos amis se cotisent pour acheter une
épée. Or, nous étions juste après le
séisme. Je leur ai demandé de l’argent
pour Haïti.» La cérémonie terminée, les étudiants se pressent pour
découvrir la bibliothèque, une
pièce tapissée de rayonnages en
bois comptant 2000 livres au total.
Des dictionnaires de français et de
langues côtoient des manuels de
droit, d’économie et de chimie, de
la sociologie avec le Sens pratique,
de Bourdieu, ou de l’écologie militante avec Tout voiture, no future, de
Denis Baupin.
A l’étage en dessous, les trente postes de la salle internet, équipée
d’un système de visioconférence,
sont tous occupés. A Haïti, les étudiants possèdent rarement des ordinateurs et peu de foyers sont
connectés. «Ils vont avoir ainsi accès
aux ressources numériques de nos
789 universités membres et pouvoir
échanger entre établissements à Haïti
et en dehors grâce à la visioconférence», explique un responsable de
l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), qui a installé la salle
dans le cadre du Plan d’enseignement numérique à distance en Haïti
(Pendha) et qui organisait un
voyage de presse.
A l’image de l’enseignement supé-
rieur haïtien, la fac des Gonaïves est
pauvre. Publique, elle dépend des
subventions d’un Etat lui-même
misérable. Pour ses 1500 étudiants,
répartis en comptabilité, gestion,
études d’infirmières et sciences de
l’éducation, elle ne salarie qu’une
vingtaine de profs. Tous les autres
sont des vacataires, recrutés sur des
critères assez flous et payés au
lance-pierres.
Mois de 5% des profs
ont un doctorat
Comme la plupart des universités,
celle des Gonaïves a été touchée par
le séisme du 10 janvier 2010, qui a
fait entre 250000 et 300000 morts
– dont plusieurs milliers d’étudiants et des centaines de profs de
fac. Elle se remettait alors à peine
des dévastations causées en 2008
par les cyclones Hanna et Ike…
L’enseignement supérieur haïtien,
déjà fragile avant le tremblement
de terre, se reconstruit lentement.
Le pays a un besoin crucial de
cadres bien formés s’il veut se développer et sortir de son statut
d’assisté. Mais tout le système éducatif est malade. Un quart des enfants en âge d’être scolarisés sont
dans la rue. Et la qualité de l’enseignement est médiocre : la plupart
des profs n’ont même pas le bac.
Il y aurait 60000 étudiants en Haïti, où l’on compte 200 universités publiques ou
Comment, dès lors, avoir de bons
étudiants ? Beaucoup arrivent en
fac avec un niveau de français – la
seconde langue officielle– insuffisant. Les profs doivent repasser au
créole pour se faire comprendre.
Eux-mêmes n’ont souvent qu’une
licence pour enseigner en fac
–moins de 5% ont un doctorat. Du
coup, de plus en plus de familles
envoient leurs enfants étudier, en
espagnol, dans la République dominicaine voisine où les diplômes
sont davantage reconnus.
Il faudrait ainsi tout faire à la fois :
reconstruire une éducation digne
de ce nom, faire respecter l’obligation scolaire – de 6 à 12 ans –,
alphabétiser 3 millions de personnes (sur 10 millions d’habitants),
structurer le supérieur, créer une
recherche actuellement embryonnaire… Et il faudrait encore ensuite
pouvoir retenir les diplômés. Haïti,
où un habitant sur deux vit avec
moins de 2 dollars par jour
(1,50 euro), est l’un des pays au
monde où la fuite des cerveaux est
la plus importante: plus de 80% de
ses cadres sont à l’étranger.
«Ici, pour trouver un travail, il faut
avoir un parrain, explique Stanley,
l’étudiant des Gonaïves. On ignore
la compétence et on ne fait pas confiance aux jeunes. Il y a plus de possi-
bilités de travailler à l’étranger.»
Stanley se verrait bien comptable
en France où il a un oncle. Son
copain Yguens, lui, vise le Canada,
où sa famille a des contacts, pour y
faire une spécialisation au niveau
master. «On aime notre pays,
d’accord, mais il faut bien du travail», dit-il.
Des masters français
suivis sur Internet
Les ONG, présentes par milliers, se
sont focalisées sur l’éducation de
base. Les programmes d’aide pour
le supérieur sont plus rares. La
France a décidé d’y investir, misant
sur le numérique. Elle a ainsi
financé 17 salles informatiques,
appelées aussi «points Pendha»,
avec des connexions à haut débit
– 12 dans des universités pluridisciplinaires, comme aux Gonaïves,
et 5 dans des CHU. L’Agence universitaire de la francophonie (AUF),
qui les met en place, a trouvé
d’autres bailleurs (1).
Chacun de ces centres coûte
60 000 euros sur deux ans, l’idée
étant d’en remettre ensuite les clés
aux Haïtiens. Des ingénieurs ont
été formés à cet effet. L’objectif final est de les retenir dans leur pays
en leur offrant un plus grand éventail de formations.
•
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
31
privées, beaucoup abusant de ce titre. Ci­dessus, l’université privée de Quisqueya à Port­au­Prince, la plus cotée du pays. A droite, des élèves de l’Ecole supérieure d’infotronique d’Haïti (ESIH).
Au lendemain du tremblement de
terre, Paris a par ailleurs accueilli
700 étudiants. Mais moins de
200 sont rentrés au pays à ce jour.
Au total, si l’on ajoute les bourses,
la France a dépensé 20 millions
d’euros en trois ans pour l’enseignement supérieur haïtien.
Wista Prabieu, 33 ans, a ainsi
obtenu, l’an dernier, un master de
l’université de Cergy-Pontoise dans
la conception de technologies appliquées à l’éducation après avoir
suivi deux ans de cours par
Internet. Une exception en Haïti,
où les masters sont rares et où l’on
délivre essentiellement des licences. Et encore, beaucoup d’étudiants abandonnent avant même ce
diplôme, faute de pouvoir financer
des études qui s’éternisent avec des
années interrompues par les violences politiques, les cyclones, les
séismes…
Wista, qui a reçu pendant deux ans
une bourse annuelle de 2600 euros
de l’AUF, n’a rien eu a débourser
pour ses études. «J’aurais bien voulu
changer de cadre et faire ce master à
l’étranger, mais je n’en aurais jamais
eu les moyens, explique-t-elle.
Mais, finalement, on s’habitue à ne
pas avoir de cours en présentiel. Des
relations se nouent avec les autres
étudiants avec qui on tchate. Parfois,
nos tuteurs sont même plus proches
que des enseignants qui seraient présents physiquement. On se parle par
écrit mais on voit bien lorsqu’ils sont
pressés ou fâchés. L’un d’eux a perdu
son père, il a reçu plein de messages
de sympathie.» Wista travaille
aujourd’hui à l’Université d’Etat
d’Haïti, le plus vieil établissement
du pays. Elle installe une plateforme collaborative, met des cours
en ligne ainsi que des formations à
distance.
«Ici, on manque d’enseignants-chercheurs, explique-t-elle, l’informatique nous ouvre des spécialités aux
standards internationaux, ce qui
n’est pas toujours le cas ici.» On
estime à 200 le nombre d’universités, publiques et privées, mais
guère plus d’une cinquantaine sont
enregistrées. La plupart n’en ont
que le nom et profitent de la naïveté
de familles qui veulent éduquer au
mieux leurs enfants. Les étudiants
seraient autour de 60 000. Mais
personne ne connaît le chiffre
exact.
La diaspora pour
financer les études
L’Etat, très désorganisé, n’a pas de
politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
Une sous-direction du ministère de
l’Education en est officiellement
chargée, mais elle compte 10 personnes démunies. Il n’existe pas de
statut d’enseignant-chercheur et
de chercheur, et pas d’école doctorale non plus. Les profs de fac travaillent souvent en parallèle dans
une administration, ou alors courent le cachet de fac en fac.
A la tête de l’université Quisqueya
de Port-au-Prince, Jacky Lumar-
une bonne partie de son temps à
voyager pour chercher des fonds. Il
a réussi à mobiliser l’Ecole polytechnique de Lausanne et Polytech
Montréal pour participer à un projet de bibliothèque interuniversitaire de 4 millions d’euros.
Expert en levée de fonds et montage de projets, il en a fait une activité lucrative : 30% du budget de
son université provient de contrats
en conseils pour
Beaucoup d’étudiants abandonnent l’Unesco, l’Unicef,
etc. Les 70% resavant même la licence, faute de
tants sont fournis
pouvoir financer des études qui
par les frais de scos’éternisent, interrompues par
larité, payés par les
les violences politiques, les cyclones, 5 000 étudiants de
Quisqueya et qui
les séismes…
s ’ élèvent
à
que est un recteur «à l’améri- 1 500 dollars par an environ. Une
caine», adepte des nouvelles somme considérable vu les niveaux
technologies et du fundraising (col- de revenus dans le pays. De fait, ce
lecte de fonds). Il dirige l’établisse- sont très souvent des Haïtiens de la
ment privé le plus en vue du pays, diaspora qui financent les études de
qui se pose en rival de la vénérable leurs proches. On estime que
Université d’Etat d’Haïti.
chaque année, ils envoient 2 milLes locaux de Quisqueya, détruits liards de dollars au pays, le double
par le séisme, sont déjà reconstruits du budget annuel – lui-même
–de petits bâtiments aux couleurs équivalent au total des aides interpastel plantés au milieu de la ver- nationales.
dure. Pour cela, Jacky Lumarque a Jean Vernet Henry dirige l’Univerobtenu un prêt bancaire – une sité d’Etat d’Haïti, qui compte
prouesse dans le pays – de 2 mil- entre 13 000 et 15 000 étudiants.
lions de dollars. Le recteur passe Héritage de l’histoire, son établis-
sement est autonome: il ne dépend
pas du ministère, mais est directement rattaché à la présidence. Ce
qui ne l’empêche pas de souffrir
d’un sous-financement chronique
– faute de places, l’examen d’entrée, très sélectif, laisse un grand
nombre de candidats sur le carreau.
«Nous avons besoin de plus de diplômés, notamment de techniciens supérieurs, mais comment éviter qu’ils
partent ou aillent dans des ONG ?,
s’interroge-t-il. L’Etat peine à proposer de bons débouchés face à la
pléthore d’associations internationales qui opèrent sans aucun contrôle et
qui nous prennent les meilleurs médecins, agronomes, sociologues… en offrant des salaires quatre à cinq fois
supérieurs. Il faudrait une politique
nationale de hausse des revenus, et
des investissements pour créer des
entreprises et des emplois.»
Rester, partir ? Etudiants en médecine à Quisqueya, Magloire et
Carlos disent hésiter. «Ça va dépendre du contexte, on ne sait pas ce
qui viendra après», confient-ils,
déjà fatalistes. •
(1) La Fondation de France, l’ONG
Haïti­Pologne, des universités suisses
et canadiennes participent aussi au
projet Pendha, ainsi que l’AIRD
(Agence interétablissements de
recherche pour le développement)
LIBÉRATION JEUDI 10 JANVIER 2013
PORTRAIT GRÉGORY GADEBOIS
En devenant par hasard comédien, désormais salué au théâtre
et au cinéma, ce motard timide de 36 ans a trouvé sa place.
En rôles libre
Par ALEXANDRA SCHWARTZBROD
Photo SAMUEL KIRSZENBAUM
P
endant longtemps, il s’est demandé comment il allait
bien pouvoir meubler les 40, 50 ou 60 années à venir.
Diable, soixante ans à remplir, sans savoir quoi faire
de soi-même, ça fait un bail quand on y pense. Un
jour, il a su. Il était assis par terre dans un couloir du conservatoire d’art dramatique de Rouen. Il venait d’apprendre qu’il
avait réussi le concours d’entrée et, pour la première fois de
sa vie, il s’est senti en paix. «J’avais moins de colère en moi. Et
c’est peut-être aussi la première fois où j’ai pu rentrer à la maison
en disant “j’ai réussi.” J’ai toujours voulu faire comme tout le
monde mais je n’y arrivais pas. Et là, tout à coup, j’étais dans une
case.» C’était en 1999, Grégory Gadebois avait 23 ans.
Treize ans plus tard, il se demande comment il va bien pouvoir dégager cinq jours dans son emploi du temps, juste
cinq jours pour ne rien faire ou alors des activités qui ne nécessitent aucune énergie tant il aime ça: monter sur sa moto
et rouler, ou regarder une série à la télé. C’est que Grégory
Gadebois, désormais, occupe non seulement une case bien
précise sur la scène française mais il n’arrête pas de jouer,
il est devenu quelqu’un.
Depuis plusieurs semaines, il est Charlie, ce simple d’esprit
inventé par Daniel Keyes en 1959, que des chercheurs opèrent
pour lui insuffler de l’intelligence après avoir expérimenté
la chose sur une souris dénommée Algernon. Une
heure trente de monologue qui laisse le spectateur cloué sur
sa chaise, ventre noué et joues mouillées. Une heure trente
au cours de laquelle Gadebois réussit à passer d’un QI de 68
à un QI de 250 en étant crédible à chaque fois. Le succès est
tel que la pièce, jouée en fin d’année au Studio des ChampsElysées, est prolongée au Théâtre du Petit-Saint-Martin à
partir d’aujourd’hui. Qu’on aime le théâtre ou pas, il faut s’y
précipiter. Ne serait-ce que pour découvrir ce comédien atypique récompensé en 2012 d’un césar du meilleur espoir masculin pour sa prestation de marin-pêcheur dans le formidable
Angèle et Tony et qui aurait fort bien pu mal tourner si, un jour
de 1999, il n’avait découvert qui il était vraiment.
En cette froide journée de décembre, il nous donne rendezvous chez Odette et Aimé, une brasserie de la rue de
Maubeuge, dans le IXe arrondissement de Paris. Cet homme-là aurait aussi le talent de choisir des lieux qui évoquent
sa filmographie ? Il ouvre des yeux ronds, met un moment
à faire le rapprochement avec Angèle et Tony et sourit, comme
un enfant. Non, c’est juste un endroit qu’il aime, à deux pas
de l’appartement où il vient d’emménager avec sa copine,
une assistante de production rencontrée sur le tournage
d’Angèle et Tony. Il rougit. C’est sa première expérience de
vie à deux. Avant, il vivait «dans des grottes» ou sur ses motos, bercé par cette phrase de Brassens: «Je n’ai pas confiance
en l’avenir, je ne préfère pas me reproduire.» Mais c’était avant
Clémentine. «On ne voit plus la vie de la même façon quand on
est deux», dit-il.
Il a grandi dans un village près de Fécamp, dans le pays de
Caux, aîné d’un frère et d’une sœur. Sa mère est institutrice,
son père ouvrier mais celui-ci disparaît vite du paysage et
le reste de la famille s’installe à Rouen quand Grégory a
12 ans. «Ça m’embêtait, l’école, j’aimais bien y aller juste parce
que j’avais des copains», raconte-t-il avec ce phrasé particulier qui colle à son sourire. «J’ai appris à lire, écrire, compter
et puis j’ai arrêté. J’ai passé deux fois le BEPC, je ne l’ai pas eu.
J’ai juste le 1 000 mètres nage
EN 8 DATES
libre et le permis moto.» Il
pense s’engager dans la Lé24 juillet 1976 Naissance
gion étrangère mais il est à Gruchet­le­Valasse
trop jeune. Dans la police (Seine­Maritime).
alors, sous l’influence de… 1998 Premiers cours
San Antonio, mais il y fait de théâtre.
son service militaire et ça lui 1999 Conservatoire
passe. «Ces gens sont devenus de Rouen (Seine­Maritime).
trop agressifs, les jeunes sur- 2000 Rencontre Catherine
tout.» Il s’inscrit dans une Hiegel puis Clotilde Hesme.
fac où le bac n’est pas néces- 2006 Comédie­Française.
2009 Tourne Angèle
saire, «juste pour avoir accès et Tony et rencontre
à la salle de gym». Puis, ceci Clémentine.
entraînant peut-être cela, 2012 César du meilleur
il devient déménageur, espoir masculin.
deux ans durant. «Un jour, ils 2013 Des fleurs pour
ont voulu m’embaucher, ils ne Algernon.
m’ont plus revu.»
Sa mère ne lui impose rien, elle l’observe. Il a 21 ans quand
elle l’inscrit d’office à un cours de théâtre, une fois par semaine. «J’aimais bien l’ambiance, mais j’étais très timide, je
n’arrivais même pas à parler fort.» Un copain le pousse à passer le conservatoire de Rouen et c’est ainsi que, sans même
s’en rendre compte, Grégory Gadebois est devenu le grand
comédien qu’il est aujourd’hui. Conservatoire de Paris avec
Catherine Hiegel («dès le premier jour, elle m’a apaisé. Avec
elle, je me suis dit que j’avais raison d’être comme je suis») puis
Comédie-Française. «Je lui ai proposé de nous rejoindre car je
l’avais vu jouer au conservatoire. C’est un garçon extrêmement
sensible, plein de grâce et d’humanité. Et il a ce mérite d’être
capable de traverser les classes sociales. Il peut aussi bien jouer
un paumé qu’un patron», se souvient Marcel Bozonnet, ancien
administrateur général de la Comédie-Française. Un de ses
meilleurs amis, le comédien Vincent Winterhalter, raconte
comment il lui a fait écouter le message téléphonique de Marcel Bozonnet lui proposant d’entrer au Français. «Il m’a tendu
l’appareil et il m’a dit: “Tu crois que j’ai bien compris?”» Il accepte, passe quelques très bonnes années avec la troupe puis,
il y a un an et demi, quitte la maison. «Il y avait une part de
moi qui disait “Grégory, tu n’es rien, tu n’as même pas le bac,
tu ne peux qu’être honoré d’être à la Comédie-Française.” Et
en même temps, j’avais envie de voir ailleurs, j’aime pas prévoir.» Il a surtout très envie de cinéma. A peine s’y met-il que
c’est le jackpot. Son premier grand rôle, dans Angèle et Tony,
lui vaut un césar. Jour de gloire mais jour maudit aussi : le
matin même de ce 24 février, il se fait piquer son Africa Twin.
Depuis, il conduit une vieille BMW mais rêve d’une HarleyDavidson. «C’est un solitaire, dit de lui Winterhalter, il n’est
pas dans le calcul, ne fait pas de mondanités. Mais il est toujours
au bon endroit. Il a un vrai physique, à la Lino Ventura, et il aime
les mots, les textes.» Il a adoré jouer dans la série les Revenants,
diffusée il y a peu sur Canal +, d’autant qu’il y a retrouvé sa
copine Clotilde Hesme, et rêve de la saison 2.
Il dit qu’il ne connaît rien à la politique, qu’il ne vote pas car
il ne saurait pas pour qui, que «le seul truc qui déconne c’est
l’humain, pas les systèmes» et qu’il est «très pessimiste sur
l’humain». Il ne veut pas rentrer dans la polémique Depardieu. «Je l’aime beaucoup, il a marqué le cinéma et son époque.»
Il aime les figures d’hommes affirmés. Outre Depardieu et
Brassens, Coluche («le seul homme politique que j’ai aimé»)
et Simenon dont il a presque tout lu. D’ailleurs, à bien le regarder, enfoncé dans son siège avec sa pipe et son chapeau,
regard perdu au loin, il a… mais oui, lui qui aurait pu être flic
ou voyou, il a des airs d’un Maigret des temps modernes. •