Les différences de traitement juridique du harcèlement moral dans

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Les différences de traitement juridique du harcèlement
moral dans le secteur privé et la fonction publique :
des rapprochements possibles ?
par Loïc LEROUGE
Chargé de recherche CNRS - COMPTRASEC UMR CNRS 5114 Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le harcèlement moral n'est pas un phénomène nouveau. Il existe finalement depuis aussi longtemps que
les relations de travail. Néanmoins, malgré une
conscience du problème, le harcèlement moral n'a réellement été conceptualisé que récemment. En 1993, en
Suède, Heinz Leymann a mené une des premières
études d'envergure sur le phénomène du mobbing qu'il
qualifie de « psychoterreur » pour désigner une relation
conflictuelle sur le lieu de travail, aussi bien entre collègues qu'entre supérieurs et subordonnés. La personne
harcelée, la victime, est agressée de façon répétitive sur
une période de six mois au moins, le but étant de l'exclure. Cette définition est accompagnée d'une liste de
quarante-cinq comportements pouvant caractériser la
mise en place d'un mobbing l.
En 1998, Marie-France Hirigoyen préféra parler de
« harcèlement moral » en y voyant « toute conduite
abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits,
pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité
ou à l'intégrité physique d'une personne mettant en
péril l'emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail » 2. Un important débat public s'est alors engagé
en France sur un phénomène que ressentaient les travailleurs, mais qu'ils n'étaient pas encore forcément
capables de qualifier 3. Enfin, aidé aussi par l'obligation
de transposer la directive du Conseil du 27 novembre
2000 portant création d'un cadre général en faveur de
(1) H. Leymann, Mobbing, la persécution au travail, Seuil, 1996,
231 p.
l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail,
le législateur s'est saisi de la question. Deux propositions de lois seront déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale 4, puis le projet de loi de modernisation
sociale adopté le 17 janvier 2002 va consacrer un chapitre IV à la « Lutte contre le harcèlement moral au travail » 5. L'objectif était aussi de répondre à la transposition au sein de la fonction publique des dispositions
relatives à la lutte contre le harcèlement.
L'adoption de ce texte est une étape essentielle dans
le développement d'un dispositif juridique prenant en
compte le harcèlement moral, mais aussi plus largement concernant la protection contre les risques psychosociaux au travail, notamment à travers la reconnaissance au sein du code du travail de la prévention
des atteintes à la santé physique et mentale. Le régime
développé par la loi de modernisation sociale autour du
harcèlement moral concerne à la fois les salariés du
secteur privé et les agents de la fonction publique.
Les salariés et les fonctionnaires bénéficient à ce titre
de la même définition du harcèlement moral, qui fait
également l'objet d'une incrimination pénale 6. Ainsi,
aucun salarié ni aucun fonctionnaire « ne doit subir les
agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour
objet ou pour effet une dégradation des conditions de
travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa
dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de
compromettre son avenir professionnel » 7.
(4)
Une proposition du député Georges Hage en 1999 et une proposition du député Roland Muzeau en 2000 (à l'époque sénateur).
(5)
L. n° 2002-73, 17 janv. 2002, de modernisation sociale, JO
18 janv.
G. pen., art. 222-33-2.
(2)
M.-F. Hirigoyen, Le harcèlement moral, la violence perverse
au quotidien, Pocket, Éd. La Découverte et Syros, 1998. 67.
(6)
(3)
Un certain nombre d'associations de lutte contre le harcèlement moral au travail se sont aussi créés.
(7) G. trav., art. L. 1152-1 et L. n° 83-634, 13 juill. 1983, portant
droits et obligations des fonctionnaires, art. 6 quinquies.
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Une définition juridique semblable ne signifie pas
pour autant une égalité de traitement. Le régime juridique développé autour de la protection contre le harcèlement moral est différent entre le secteur privé et la
fonction publique. Outre des différences existant dans
les textes, la pratique juridique et la culture inhérente à
chacun des deux secteurs font que la conception, le
traitement et la pratique juridiques du harcèlement
moral au travail s'avèrent très différents et inégaux. La
charge de la preuve, les sanctions, le devoir d'obéissance, le devoir de réserve, la médiation et les différentes approches de la jurisprudence administrative
confrontées à la reprise en main de la qualification juridique du harcèlement moral par la Cour de cassation
sont autant de points de différences qui justifient une
étude approfondie des différences de traitement juridique du harcèlement moral en droit privé et en droit
de la fonction publique.
Le harcèlement moral concerne tous les types de travailleurs, et ce quel que soit leur statut salarié ou fonctionnaire. Comment peut-on expliquer ces différences ?
Sont-elles justifiées ? Le faible nombre de publications
sur la thématique du harcèlement moral dans la fonction
publique par rapport au secteur privé est aussi révélateur de la différence d'intérêt ou dè difficulté pour traiter la question suivant le secteur étudié. Mieux connaître
ces différences est aussi un moyen d'envisager un rapprochement des régimes juridiques du harcèlement
moral de manière à atténuer le déséquilibre entre le secteur privé et la fonction publique dans ce domaine.
Selon le secteur observé, la portée du régime juridique développé autour de la lutte contre le harcèlement moral est en effet inégale et les obligations statutaires sont différentes. Ces différences entre le secteur
privé et la fonction publique font du harcèlement moral
un sujet à part. Malgré quèlques tentatives de rapprochement, notamment en matière d'aménagement de la
charge de la preuve, les différences persistent (I.). Toutefois, dans le domaine des conditions de travail et des
risques professionnels, le droit de la fonction publique
n'est pas imperméable à l'influence du droit privé du
travail. Conjugués à un rapprochement de la qualification juridique par le juge - qui s'avère nécessaire - des
rapprochements seraient aussi envisageables concernant
l'approche juridique du harcèlement moral (IL).
I. - DES DIFFÉRENCES PERSISTANTES
DE PRISE EN COMPTE JURIDIQUE
DU HARCÈLEMENT MORAL
Malgré une définition juridique identique, l'application du régime juridique du harcèlement moral au travail est différente selon le secteur étudié. Si la définition est semblable, en revanche les régimes juridiques
ont une portée inégale (A) et leur application est aussi
à l'image des obligations propres à chaque secteur,
notamment d'ordre statutaire (B).
A — DES RÉGIMES JURIDIQUES À PORTÉE
INÉGALE
Certaines spécificités du droit de la fonction publique
font que le régime juridique relatif au harcèlement
moral n'a pas la même portée que dans le secteur privé.
Il en va ainsi notamment de la protection contre les
sanctions (I.), de la charge de la preuve (2.), mais aussi
de la procédure de médiation qui est inexistante concernant la fonction publique (3.).
I. La protection contre les sanctions
Dénoncer des agissements de harcèlement moral n'est
pas une chose facile. Outre la possible réaction de certains collègues ou l'« étiquetage » comme « personne à
problèmes », celui ou celle qui se prétend victime peut
parfois craindre des représailles dè la part de l'employeur. Le code du travail prévoit à cet effet un régime
dè protection au sein de l'article L. 1152-2 : le salarié qui
témoigne, subit ou refuse de subir des actes de harcèlement moral ne peut pas être sanctionné, licencié ou faire
l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte.
Par ailleurs, la rupture du contrat de travail intervenue
au mépris de l'article L. 1152-1 du code du travail qui
définit le harcèlement moral et l'article L. 1152-2 est
nulle 8. La fonction publique connaît le même type de
dispositif de protection, au sein de l'article 6 quinquies
de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations
des fonctionnaires, appliqué aux sanctions liées au recrutement, à la titularisation, à la mutation, etc. Par ailleurs, l'agent qui a enfreint ces dispositions est passible
d'une sanction disciplinaire.
La fonction publique possède également un dispositif
appelé « protection fonctionnelle » qui oblige l'administration à prendre en charge les frais d'avocats et les
frais de procédure de la victime, à faire cesser les
attaques et les faits de harcèlement dont fait l'objet la
victime. Ce dispositif vise enfin à assurer directement,
sous le contrôle du juge administratif, une juste réparation de l'ensemble des préjudices (moraux et matériels)
subis par la victime du fait de harcèlement moral. L'article ll de la loi du 13 juillet 1983 accorde la protection
fonctionnelle à la victime de harcèlement moral car,
selon le Conseil d'État, la protection protège contre les
menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations
ou outrages dont les fonctionnaires ct les agents publics
non titulaires pourraient être victimes à l'occasion de
leurs fonctions. Ceux qui subissent des agissements
répétés de harcèlement moral peuvent bénéficier de
cette protection 9. Être en congé maladie n'exclut pas
l'obtention de la protection fonctionnelle.
Ce dispositif de protection supplémentaire par rapport au droit du travail n'en est pas moins difficilement
applicable au harcèlement moral. Le juge administratif
semble très exigeant pour reconnaître cette protection,
notamment parce que le harcèlement moral doit être
démontré et établi '", ce qui reste à la charge du fonctionnaire requérant le bénéfice de cette procédure. Cela
lui complique évidemment la tâche. Cependant, s'il y
(8) G. trav., art. L. 1152-3.
(9)
CE, 12 mars 2010, req. n° 308974, Hoenheim (Cne), Lebon ;
AJDA 2010. 526; ibid. 1138, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi ; AJFP 2010. 255, concl. E. Geffray, Commune de Hœnheim, mentionné aux tables Lebon.
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(10) Y.-E. Logeais, Harcèlement moral et droit public: aperçu de
la jurisprudence administrative, RLCT nov. 2011. 53-61 ;
E. Glaser, Protection des fonctionnaires et harcèlement
moral, RLCT juill. 2010. 21-22.
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parvient - en prenant en compte la décision du Conseil
d'État du ll juillet 2011 concernant la charge de la
preuve n - le refus d'accorder la protection fonctionnelle par l'administration engage sa responsabilité et
entraîne sa condamnation à des dommages et intérêts
s'il en résulte un préjudice pour la victime du harcèlement 12.
Paraissant pourtant étendue, la protection du fonctionnaire est néanmoins inégale par rapport à celle du
salarié eu égard notamment aux difficultés liées aux
exigences de preuve. Cet aspect de la protection pourrait toutefois changer à la suite de l'arrêt rendu par le
Conseil d'État le ll juillet 2011. La protection est également ineffective face à la pratique des « sanctions
déguisées » qui peut entrer en jeu et affecter significativement la situation professionnelle de l'agent voire le
pousser à démissionner. La sanction déguisée est caractérisée par un élément subjectif qui procède de la
volonté de l'auteur de l'acte incriminé d'infliger une
sanction à l'agent en raison de manquements réels ou
supposés à ses obligations, mais aussi par un élément
objectif qui tient aux conséquences de la mesure. Celleci doit avoir les mêmes effets qu'une sanction disciplinaire et porter atteinte à la situation professionnelle de
la personne visée, et ce en dehors de toute procédure
disciplinaire garantissant les droits de l'agent 13. À
l'image du harcèlement moral, les sanctions déguisées
affectent la situation professionnelle de l'agent et celuici est soumis à une forte pression due à la répression
fondée ou non 14. Cependant, pour être qualifiée de
harcèlement moral, la sanction déguisée doit découler
d'agissements répétés.
Le dispositif de protection contre les sanctions ne
protège pas non plus le fonctionnaire contre les
manœuvres de « détournement de pouvoir » qui renvoient à des actes administratifs étrangers à tout intérêt
public et à l'intérêt du service dans le but de punir
l'agent. Il s'agit aussi d'actes pris dans l'intérêt public,
mais leurs auteurs ne disposent pas des pouvoirs nécessaires pour les prendre 15. Dans ce cadre, « une intention ne correspondant pas au but » échappant à son
objectif premier peut imprimer une pression supplémentaire sur un agent16 et se traduire parfois en harcèlement si elle est répétée.
2. La charge de la preuve
La question de la charge de la preuve du harcèlement moral du travail est actuellement en débat au
regard des différences de traitement entre le secteur
privé et la fonction publique. En vertu de l'article
L. 1154-1 du code du travail, le salarié qui se plaint
d'actes de harcèlement moral doit établir des faits qui
permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Il
incombe alors au défendeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa
décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Or, devant le juge administratif, le fonctionnaire doit supporter l'entière charge de la
preuve, il ne profite pas d'un aménagement. Le champ
d'application de la loi de modernisation sociale s'est
arrêté au code du travail et n'a pas transposé ce mode
de preuve au droit de la fonction publique 17.
Cette question est un des points de différence très
important. Le Conseil d'État a enfin décidé de réduire
le ll juillet 2011 cet écart qui subsistait depuis presque
dix ans l8. En formation solennelle, le Conseil d'État a
en effet estimé que désormais il appartenait à l'« agent
public qui soutient avoir été victime d'agissements
constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge
des éléments de faits susceptibles de faire présumer
l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements
en cause sont justifiés par des considérations étrangères
à tout harcèlement ».
Pour fonder cette décision marquante concernant la
réduction de l'inégalité de traitement entre le secteur
privé et la fonction publique, le Conseil d'État s'est
rapproché de sa jurisprudence relative à la discrimination ; ce qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le chemin
emprunté à son époque par la jurisprudence judiciaire
pour s'adapter de façon à faciliter la preuve de faits
difficilement qualifiantes. La preuve du harcèlement
moral partage en effet les mêmes caractéristiques que la
preuve de la discrimination. Aussi, le Conseil d'État
s'est inspire de l'arrêt du 30 octobre 2009, Mme Perreux 19, qui visait notamment à prendre en compte les
« difficultés propres à l'administration de la preuve »
concernant les discriminations 20.
Le juge administratif ne requiert à la charge de l'agent
que de présenter des « éléments de faits » susceptibles de
faire présumer des agissements de harcèlement à son
encontre. Or, la portée du texte initial de la loi de modernisation sociale de 2002 avait dû être réduite en 2003 21 pour
le droit du travail car il n'exigeait du plaignant que de
réunir des « éléments de faits » laissant penser à l'existence d'agissements de harcèlement moral. Dès lors, la victime de ces pratiques, demandeur à l'action, doit apporter
des faits - et plus seulement des « éléments de faits » - de
manière à reporter la charge de la preuve sur la partie
accusée d'en être l'auteur. Par ailleurs, depuis les arrêts
(11) V. infra, la charge de la preuve.
(12) Ibid., V CE, 17 mai 1995, req. n° 141635, M. Kalfon, inédit
au Lebon.
(13) CE, 9 juin 1978, Spire, Lebon 237, concl. B. Genevois;
A. Puppo, Harcèlement moral et fonction publique : spécificités, AJ FR mai 2002. 42-48
(14) F. Rohn, Le harcèlement moral au risque du droit administratif, AJDA 2002. 733-737.
(15) Le détournement de pouvoir est défini pour la première fois
par l'arrêt Par/se/, CE, 18 nov 1875, Panset, publié au
Lebon.
(16) R. Chapus, Droit administratif général, Tome I, « Domat Droit
public », 2e éd., Montchrestien, 1998, § 1242.
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(17) V. J.-C. Sorbara, Fonctions publiques: preuve du harcèlement et comportement de la victime, JCP Adm. 2011,
n° 531.
(18) CE, 11 juil. 2011, req. n° 321225, publié au Lebon.
(19) CE, 30 oct. 2009, req. n° 298348, publié au Lebon.
(20) L. Derboulles, Harcèlement moral : une nouvelle contribution
du Conseil d'État à la protection des agents publics, RLCT
oct. 2011. 14-17.
(21) L. n° 2003-6, 3 janv. 2003, portant relance de la négociation
collective en matière de licenciements économiques, art. 4,
JO 4 janv.
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rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le
24 septembre 2008, il appartient au salarié de prouver la
matérialité des faits 22. En conséquence, la preuve des agissements de harcèlement moral au travail est aménagée
sans être totalement renversée
À la lecture de l'arrêt du Conseil d'Etat du ll juillet
2011, l'aménagement de la charge de la preuve apparaît donc désormais un peu plus favorable dans la fonction publique. Comme le soulignent certains auteurs, il
ne s'agit plus en effet d'apporter des éléments objectifs,
mais une simple « argumentation » qui devrait suffire à
emporter la « conviction » du juge M.
3. La procédure dc médiation
Quand une personne s'estime victime de harcèlement
moral ou pour la personne mise en cause, la loi de
modernisation sociale a prévu une procédure de médiation Cette procédure, relativement peu usitée, a pour
but de concilier les parties quand des circonstances liées
au harcèlement moral émergent dans l'entreprise. L'mtroduction de la médiation qui était perçue comme une
innovation a cependant peu de chances d'aboutir dans
un contexte aussi tendu qu'une situation de harcèlement moral Néanmoins, l'intérêt de la médiation permet de mettre en débat ce qui ressort de la procedure
et des propositions qui y sont faites.
Les institutions qui ont une compétence en matière
de prévention des risques professionnels peuvent aussi
s'en faire l'écho, notamment auprès de l'employeur, et
lui faire prendre conscience de certaines carences de
l'organisation du travail. Pour certains, la mediation
consisterait même à se placer sur le terrain du respect
des droits et de saines conditions de travail, sur le terrain de la prevention et non sur le terrain étroit de la
réparation indemnitaire ou des soins médicaux 24.
Or, le but de la médiation qui est finalement de « rapprocher les parties » ne bénéficie pas aux agents de la
fonction publique Ils ne peuvent pas le cas échéant eviter une action contentieuse car la loi de modernisation
sociale n'a pas prévu d'appliquer cette procédure dans le
champ de la fonction publique 2S Cette différence montre a nouveau l'inégalité de traitement juridique du harcèlement moral selon que l'on se place du côté salarié ou
du côté de la fonction publique, même si parfois l'intérêt
de la médiation peut être discutable.
B — DES OBLIGATIONS STATUTAIRES
DIFFÉRENTES
Le travail des salariés et celui des fonctionnaires se
rapprochent de plus en plus, cependant des spécificités
subsistent. L'application des dispositifs destinés à lutter
(22) Soc, 24 sept 2008, n°° 06-46517 D 2008 2423, obs L Perrin , /bld 2009 191, obs Centre de recherche en droit social de
l'Institut d'études du travail de Lyon, 06-45.579, D. 2008. 2423,
obs L Pemn, /bld 2009 590, obs G Borenfreund, L Camsp,
A Fabre, O Leclerc, T Pasquier, E Peskme, J Porta et C Wolmark, RDI 2008 744, obs G Pignarre, 06-45.747; PDT 2008
744, obs G Pignarre, 06-45 794 et 06-43.504
(23) V J -C Sorbara, Fonctions publiques • preuve du harcèlement et comportement de la victime, op cif
(24) C Labbe, Agir sur le processus de harcèlement l'enrayer et
le prevenir, Dr ouvrier 2002 267-268
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contre le harcèlement moral est aussi confrontée dans
la fonction publique à des obligations statutaires qui
peuvent limiter leur portée. Le regime juridique propre
au harcèlement moral est ainsi notamment confronte et
mis en concurrence avec le devoir d'obéissance (I.) et le
devoir de réserve (2 ).
I. Le devoir d'obéissance
Le « devoir d'obéissance » tire son fondement de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et
obligations des fonctionnaires : « Tout fonctionnaire,
quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable des tâches qui lui sont confiées. II doit se conformer
aux instructions de son superieur hiérarchique, sauf
dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal
et de nature à compromettre gravement un intérêt
public » Or, l'agent doit parfois choisir entre la fidélité
à la loi et la fidélité à la personne qui dans l'absolu dispose des clés de la carriere de l'agent 26. Le devoir
d'obéissance est donc une source de situations conflictuelles plaçant dans certaines circonstances l'agent
devant un choix existentiel au nom d'un système hiérarchique spécifique à la fonction publique et parfois
psychiquement difficile à supporter.
La victime de harcèlement moral peut donc ainsi
subir certains abus en vertu du devoir d'obéissance, sa
dignité est aussi en jeu. Par ailleurs, il est également
vrai que la personne harcelée et le harceleur ont une
vie en commun parfois plus longue au sem de la fonction publique 27. Néanmoins, l'article 6 qumquies de la
loi du 13 juillet 1983 introduit une exception au devoir
d'obéissance qui peut être invoquée au titre de victime
ayant refuse de subir des actes de harcèlement Cette
exception s'impose au fonctionnaire en vertu de la protection contre toute mesure de retorsion en lien avec le
harcèlement moral 28
Encore faut-il cependant que le harcèlement moral
soit reconnu Le juge administratif peut se montrer très
restrictif pour accorder cette protection Ainsi, comme
le montre l'arrêt de la cour d'appel administrative de
Marseille rendu le 14 décembre 2010, le harcèlement
moral n'est pas une circonstance exoneratoire du devoir
d'obéissance à un ordre illegal des lors que celui-ci n'est
pas « gravement contraire à un intérêt public » La
fonctionnaire devait ainsi se conformer aux instructions
de son supérieur hiérarchique malgré son désaccord
Dans ces conditions, son refus est pour la cour qualifiable de faute disciplinaire 29. La complexité venant du
statut de la fonction publique fait du harcèlement
moral une question juridique à part, notamment devant
le juge, ce qui peut empêcher un rapprochement entre
l'ordre judiciaire et l'ordre administratif sur certains
points.
(25) G Boulanger, Y Tajo, La protection juridique des agents
publics contre le harcèlement moral, LPA 24 dec 2003 3-9
(26) A Puppo, Harcèlement moral et fonction publique spécificités AJFP mai 2002 42-48
(27)
/bld
(28) G Boulanger, Y Tajo, La protection juridique des agents
publics contre le harcèlement moral, op cit
(29) CAA Marseille, 14 dec 2010, req n° 08MA05048.
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2. Le devoir de réserve
Le « devoir de réserve » est l'une des obligations les
plus emblématiques du statut de la fonction publique.
Selon l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 modifiée,
les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel,
dans le cadre des règles fixées par le code pénal. Le
texte se poursuit en intimant aux fonctionnaires de
« faire preuve de discrétion professionnelle pour tous
les faits, informations ou documents dont ils ont
connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ».
Le devoir de réserve limite ainsi la possibilité pour
un agent public de dénoncer ou de relater des faits de
harcèlement moral dont il peut être victime ou dont il
aurait connaissance, malgré le droit tiré de l'article 6
quinqwes de la loi du 13 juillet 1983. Le droit de
réserve s'applique par ailleurs non seulement dans le
cadre des fonctions, mais aussi en dehors du service. La
violation du devoir de réserve par le fonctionnaire
expose ce dernier à des sanctions disciplinaires et est
pénalement sanctionnable 30. L'idée est finalement
d'éviter que le comportement de l'agent qui déciderait
de dénoncer ou de relater des faits de harcèlement
moral ne porte atteinte à l'intérêt du service ou ne créé
des difficultés au sein de l'administration, notamment
dans le cadre des rapports avec les collègues, les supérieurs ou les subordonnés. Aussi, la délicate question
qui se pose concernant les agents de la fonction
publique et pour le juge - qui ne se pose pas dans ce
type de contexte pour le salarié - est de savoir si
dénoncer des faits de harcèlement moral enfreint le
devoir de réserve ou non 31, ou même le devoir de
loyauté. Le juge devra se prononcer en fonction des
faits d'espèces et au cas par cas ; rien ne garantissant
que d'une juridiction à l'autre la décision sera la même.
retrait sont autant d'outils qui peuvent influencer le
régime juridique du harcèlement moral dans la fonction
publique (A). Outre une harmonisation légale et réglementaire, un rapprochement de la définition jurisprudentielle est également indispensable (B).
A — UNE POSSIBLE INFLUENCE DU DROIT
PRIVÉ DE LA SANTÉ-SÉCURITÉ AU TRAVAIL ?
Les dernières modifications réglementaires apportées
en matière d'hygiène et de sécurité au sein de la fonction publique sont une occasion à saisir pour rapprocher les obligations dans le domaine de la santé-sécurité
au travail dc l'employeur privé ou public (I.), maîs
aussi les instances dè prévention avec le CHSCT et la
médecine de prévention (2.) ou encore les procédures
de retrait ou d'alerte (3.).
I. Les obligations de l'entreprise et de l'administration
employeur
Les obligations de l'employeur selon qu'il soit privé
ou public sont un point de questionnement particulièrement délicat s'agissant de l'application et de l'effectivité du droit. Dit d'une autre manière, il s'agit de poser
la question de l'application au sein de la fonction
publique de la partie 4 du code du travail relative à la
« Santé et la sécurité au travail » i2, notamment de
l'obligation générale de prévention des atteintes à la
santé physique et mentale, mais aussi de l'obligation de
sécurité de résultat à la charge de l'employeur. Tous les
risques professionnels doivent être prévenus, y compris
le harcèlement moral.
La diminution de l'écart concernant le traitement
juridique du harcèlement moral entre le secteur privé et
la fonction publique passe notamment à travers l'application de la partie 4 du code du travail dans le secteur
privé. Les obligations de l'employeur, le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT),
la médecine du travail, les procédures d'alerte et de
Au-delà de l'arrêt du Conseil d'État du ll juillet
2011 relatif à la charge de la preuve en matière de harcèlement moral, un mouvement s'amorce dans Ie sens
d'un rapprochement du droit de la fonction publique
envers le droit privé du travail sur les questions de
santé-sécurité. Les partenaires sociaux l'ont rappelé
notamment dans l'accord sur la santé et la sécurité
dans la fonction publique du 20 novembre 2009 33 en
soulignant dans le préambule que les activités couvertes
par des règles de sécurité spécifiques applicables dans
le secteur privé sont également applicables aux activités
relevant du secteur public. L'objectif est finalement de
« passer d'un dispositif relatif à l'hygiène et la sécurité
a un dispositif de santé et dc sécurité au travail, dans
lequel l'élément de base de toute action de prévention
est celle de l'homme au travail, et de rapprocher, de ce
fait, encore le régime de protection de la santé et de la
sécurité dans la fonction publique de celui défini par le
code du travail » 34. Or, l'amélioration de la prévention
des risques professionnels passe effectivement par la
mise en œuvre systématique des principes généraux de
prévention définis au sem de l'article L. 4121-1 du code
du travail.
(30) V. secret professionnel et secret medical.
(32) V Decr n° 82-453, 28 mai 1982, modifie, relatif à l'hygiène et
a la securite du travail ainsi qu'à la prevention medicale
dans la fonction publique, art. 3.
Le devoir de réserve, le devoir d'obéissance aussi,
montrent à quel point il existe parfois un écart entre la
définition juridique du harcèlement moral et son application au sein du cadre juridique spécifique à la fonction publique. Pour autant, comme l'a démontré le
Conseil d'Etat le ll juillet 2011, certains rapprochements sont envisageables entre le secteur privé et la
fonction publique dans la manière d'appréhender juridiquement la question du harcèlement moral au travail.
II. - DES RAPPROCHEMENTS POSSIBLES
DU TRAITEMENT JURIDIQUE
DU HARCÈLEMENT MORAL
(31) V. conclusions A Baux, TA Montpellier, 7 avr 2009,
n° 0704068, AJDA 2009. 1205, Concilier devoir de reserve et
possibilité pour un agent public de dénoncer les faits de
harcèlement moral dont il est victime.
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(33) http //www.fonction-publique gouvfr/files/files/publications/
coll point_phare/accord_sante_201109.pdf
(34) Ibid.
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Néanmoins, pour qu'un tel rapprochement soit effectif sur le terrain du droit, il serait souhaitable que l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 3S soit modifié Celui-ci dispose encore que « des conditions d'hygiène et de sécurite dc nature a préserver leur santé et leur intégrité
physique sont assurees aux fonctionnaires durant leur
travail ». Il est d'ailleurs surprenant que le texte de
1983 n'ait pas évolué avec l'introduction en 2002 de la
définition du harcèlement moral au travail qui prend
en compte la « sante physique et mentale » des agents
de la fonction publique Une modification de l'article
23 de la loi de 1983 est souhaitable dans le sens de
« conditions d'hygiène et de sécurité de travail de
nature à préserver leur santé physique et mentale sont
assurées aux fonctionnaires durant leur travail ». Sans
cette précision, la pratique du droit de la fonction
publique privilégie le volet physique de la sante.
Ce rapprochement, notamment dans le cadre de la
lutte contre le harcèlement moral, se complète par celui
du rapprochement du rôle des instances de prevention
2. Le rôle des CHSCT, de la médecine du travail
ou de prévention
Aborder les CHSCT n'est pas tant de décrire leurs
compétences, mais plutôt d'étudier s'ils sont susceptibles d'intervenir concernant le harcèlement moral Le
législateur a pourvu en 2002 le CHSCT de la mission
de contribuer à la protection de la santé « physique et
mentale » "". Il doit aussi veiller à l'observation des
prescriptions législatives et réglementaires prises en la
matiere. Or, si le decret de 1982 affirmait que la partie
4 du code du travail s'appliquait dans la fonction
publique, il fallut cependant l'affirmer au sein même
des textes relatifs à la fonction publique Cela montre
les difficultés pour le droit de la santé-sécurité au travail de s'appliquer dans ce secteur, notamment concernant le harcèlement moral, presque dix ans après l'entrée en vigueur de loi de modernisation sociale.
Dans ce cadre, le CHSCT et la médecine du travail
tiennent un rôle incontournable dans l'identification et
la prévention des risques 37 D'ailleurs, le décret du
28 juin 2011 38 - qui modifie le décret du 28 mai 1982
relatif à l'hygiène et la sécurite du travail ainsi qu'à la
prevention medicale dans la fonction publique - a
renomme au sein de la fonction publique le Comite
d'hygiène et de securite (CHS) en Comite d'hygiène, de
sécurite et des conditions de travail (CHSCT). La
modification n'est pas simplement de forme car désormais le droit de la fonction publique s'aligne aussi sur
le code du travail concernant les dispositifs de lutte
contre le harcèlement moral. Outre la contribution du
CHSCT à la « protection de la santé physique et mentale et de la sécurité », il peut aussi proposer des
actions de prévention du harcèlement moral (et sexuel).
(35) L n° 83-634, 13 juill 1983, portant droits et obligations des
fonctionnaires, JO 14 juill
(36) C trav, art L 4612-1
(37) Reaffirmation de ce rôle au sein de l'accord sur la santé et
la securite dans la fonction publique du 20 nov 2009
(38) Decr n° 2011-774, 28 juin 2011, portant modification du
decret n° 82-453 du 28 mai 1982 modifie relatif a I hygiène
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La médecine de prévention est aussi concernée par le
décret du 28 juin 2011 Celle-ci n'est pas renommée en
« medecine du travail », mais à l'instar du droit prive
du travail, elle a pour rôle de prevenir toute altération
de la santé des agents du fait dè leur travail. Elle doit
conduire des actions de santé au travail « dans le but
de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ».
3. Droit de retrait et droit d'alerte
Le decret du 28 juin 2011 aborde aussi la question du
droit de retrait et du droit d'alerte Le droit de retrait est
délicat a traiter en raison de la question de la compatibilité avec le harcèlement moral. Concernant le droit de
retrait, celui-ci existe aussi bien dans le secteur prive que
dans la fonction publique. Invoquer le harcèlement
moral comme fondement du droit de retrait n'est pas
forcément compatible avec l'exigence d'un motif raisonnable laissant penser à l'existence d'une situation de
« danger grave et imminent pour la santé » Or, comme
en droit prive, cette situation doit justifier que le fonctionnaire cesse immédiatement l'exercice de ses fonctions La nécessité de la répétition des actes de harcèlement moral exigeant une certaine continuité et l'imminence du danger rendent le droit de retrait difficilement
compatible avec le harcèlement moral 39, même si la
preuve du harcèlement moral est fondée.
Le CHSCT peut désormais proposer des actions de
prévention en matière de harcèlement moral que ce soit
dans le secteur privé et dans la fonction publique
Aussi, dans ce champ, il n'est pas forcément déplacé de
penser a l'activation de la procédure d'alerte. Si un des
membres du CHSCT de lui-même ou par l'intermédiaire d'un salarie ou d'un agent constate l'existence
d'un danger grave et imminent pour la santé, il doit en
aviser immédiatement l'employeur ou le chef de service Celui-ci doit alors immédiatement procéder à une
enquête avec le membre du CHSCT ayant signalé le
danger 4fl. Le débat portera néanmoins sur le caractère
« grave et imminent » du danger. À nouveau, comme
pour le droit de retrait, la répétition des agissements
caractéristiques du harcèlement rend difficile la qualification de l'imminence du danger II faut être capable
de prouver qu'un acte ou une décision prise envers un
travailleur fragilisé ou en situation d'extrême vulnérabilité psychique est susceptible de nuire gravement a sa
santé mentale , ce n'est pas simple en pratique...
La question du droit d'alerte peut en revanche être
davantage creusée du côté de la représentation des salaries. Dans le cadre des dispositifs de lutte contre le harcèlement moral au travail de 2002, les délégués du personnel
possèdent un « droit d'alerte » s'ils constatent, notamment
par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte
aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale
ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait
pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni pro-
et la securite du travail ainsi qu'a la prévention medicale
dans la fonction publique, JO 30 juin
(39) M.-P Lavoillotte, Harcèlement moral dans la fonction
publique et droit de retrait, LPA 17 oct 2006 6-10
(40) C trav, art L 411-1 s , Decr n° 82-453 28 mai 1982, modifie, relatif a l'hygiène et a la securite du travail ainsi qu'a la
prevention medicale dans la fonction publique, art 5-7.
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portionnée au but recherche ; ils en saisissent immédiatement l'employeur. Le code du travail donne des pistes à
suivre à travers le repérage de toute mesure discriminatoire en matière d'embauché, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de
qualification, de promotion professionnelle, de mutation,
dè renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L'employeur doit procéder immédiatement à une
enquête avec les délégués du personnel et prendre les dispositions nécessaires pour remédier à la situation. En cas
de divergence ou de carence de l'employeur sur la réalité
de cette atteinte à la santé ou encore à défaut de solution
trouvée avec l'employeur, les délégués du personnel - si le
salarié averti par écrit ne s'y oppose pas - peuvent saisir
en référé le bureau de jugement du conseil des
prud'hommes. Le juge peut ainsi ordonner toutes les
mesures propres à faire cesser l'atteinte à la santé mentale
du salarié et peut aussi assortir sa décision d'une
astreinte 41.
Or, contrairement au CHSCT, le décret de 1982
modifié n'offre pas cette possibilité. Même si ce dispositif ne figure pas au sein de la partie 4 du code du travail, à l'instar du CHSCT, un rapprochement est là
aussi possible. Dans une situation de harcèlement dans
la fonction publique, conférer à la représentation du
personnel un droit d'alerte concernant l'atteinte à la
santé physique ou mentale, aux droits des personnes et
aux libertés individuelles serait une autre avancée dans
la réduction de la différence de traitement juridique
avec le secteur privé. Toujours dans ce sens, la définition du harcèlement moral elle-même devrait être harmonisée, notamment à travers l'approche du juge.
B — UNE DEFINITION JURISPRUDENTIELLE
À RAPPROCHER
Les juges du travail ont considérablement étendu la
portée de la définition juridique du harcèlement moral
par rapport au juge administratif (I.). En outre, compte
tenu des difficultés pour qualifier le harcèlement moral
au sein de la fonction publique et la difficulté pour activer certains dispositifs en la matière, le « harcèlement
discriminatoire » est peut-être une voie à explorer (2.).
I. Une différence d'approche à réduire entre le juge
du travail et le juge administratif
La Cour de cassation a rendu de très nombreux
arrêts sur le harcèlement moral par rapport aux juridictions administratives. Il n'est pas possible ici de faire
une telle revue de jurisprudence, il s'agit plutôt de s'intéresser à quèlques arrêts emblématiques de la chambre
sociale de cassation afin d'appuyer un point de vue
favorable à une réduction de l'écart entre le juge du
travail et le juge administratif. En effet, même si les
fonctionnements ou les « cultures » du secteur privé et
de la fonction publique sont différents, il n'en demeure
pas moins que le harcèlement moral est un même problème pour les deux et dont les facteurs s'appréhendent
de la même manière.
Le 21 juin 2006, la Cour de cassation a expressément
souligné que l'employeur était « tenu envers ses salariés
d'une obligation de sécurité de résultat en matière de
protection de la santé et de la sécurité des travailleurs
dans l'entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et que l'absence de faute de sa part ne peut
l'exonérer de sa responsabilité » 42. La Cour de cassation a ainsi statué sur des actes de harcèlement moral
au travail tout en faisant le lien avec l'obligation de
résultat de l'employeur. La responsabilité de celui-ci est
depuis lors reconnue dans une multitude de configurations (rupture du contrat de travail à ses torts s'il n'a
pas pris les mesures pour éviter le harcèlement moral
d'un salarié à l'égard d'un autre 43, responsabilité
reconnue de l'employeur qui n'avait pas pris les dispositions suffisantes pour éviter les agissements d'un
subordonné envers un autre salarié **, etc.).
Si elle avait abandonné le contrôle de qualification du
harcèlement moral le 27 octobre 2004 à l'appréciation
souveraine des juges du fond 4S, la Cour de cassation a
décidé de reprendre la main le 24 septembre 2008. À
l'occasion de quatre arrêts, la chambre sociale de la
Cour de cassation a aussi revu sa position concernant la
répartition de la charge de la preuve entre la victime de
harcèlement et l'employeur 46. À la lumière de la directive du Conseil du 27 novembre 2000, portant création
d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement
en matière d'emploi et de travail 47. Il appartient désormais au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il
invoque. Les juges doivent appréhender ces faits dans
leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer
l'existence du harcèlement allégué. Il incombe alors à
l'employeur d'établir que ces faits ne caractérisent pas
une situation de harcèlement 48. Les cours d'appel qui ne
tiennent pas compte de l'ensemble des éléments établis
par le salarié sont dès lors censurées 49.
Cette « reprise en main » du contrôle de qualification par la Cour de cassation lui a notamment permis
ensuite de rendre des arrêts très commentés. On pense
notamment aux deux arrêts rendus par la chambre
sociale le 10 novembre 2009 dont l'un reconnaît le harcèlement moral sans intention malveillante de son
auteur 5n et l'autre qui qualifie de harcèlement moral
des méthodes de gestion qui sont utilisées à rencontre
d'un salarié et qui sont répétées 51.
Du côté des juridictions administratives, la qualification du harcèlement moral est abordée de manière plus
restrictive et plus morcelée qu'au sein des juridictions
du travail. Chaque situation est examinée in concrète
chambre sociale de la Cour de cassation le 24 septembre
2008, LPA 2009, nos 1-2, p. 7-14.
(41) C. trav., art. L. 2313-2.
(42) Soc., 21 juin 2006, Bull. civ. V, n° 223.
(47) Frée.
(43) Soc., 21 févr. 2007, n° 05-41.741, inédit.
(48) V. Communiqué de la Cour de cassation relatif aux arrêts
n°= 1611, 1612, 1613 et 1614 du 24 sept. 2008.
(44) Grenoble, 8 oct. 2007, RG n° 06AJ2282.
(45) Soc., 27 oct. 2004, Sem. soc. Lamy, n° 1193, p. 11 ; RJS,
1/2005, n° 4; Dr. soc. 2005. 100, obs. C. Leroy-Loustaunau.
(46) L. Lerouge, Le contrôle de qualification du harcèlement
moral au travail. À propos des quatre arréts rendus par la
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(49) Soc., 24 sept. 2008,
n° 175.
nos
06-45.747 et 06-45.794, Bull. civ. V,
(50) Soc., 10 nov. 2009, Bull. civ. V, n° 248.
(51) Soc., 10 nov. 2009, Bull. civ. V, n° 247.
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notamment suivant la méthode du faisceau d'indices 52.
L'absence d'aménagement de la charge de la preuve
jusqu'à présent en est une des raisons. Depuis l'arrêt
du Conseil d'État du ll juillet 2011, il sera en effet
intéressant de suivre comment les juridictions du fond
vont se comporter en matière de preuve du harcèlement
moral, mais aussi d'observer si au sein d'une nouvelle
affaire le Conseil d'État aura tendance à s'aligner sur
la jurisprudence de la Cour de cassation. Pour le
moment, malgré le sursaut de juillet 2011, le juge administratif n'est pas encore assez outillé pour appréhender
véritablement le harcèlement moral avec des questions
très spécifiques. Comment amener un élu à reconnaître
le harcèlement moral du directeur général des services
ou comment un directeur général des services peut-il
apporter les témoignages montrant que son maire le
harcèle ? Le harcèlement moral est-il une faute personnelle ou une faute de service ? 53
Demander à un fonctionnaire d'obéir passivement
peut à court terme atteindre sa dignité 54. Il s'agit aussi
pour le juge administratif de statuer sur la dégradation
des conditions de travail. La jurisprudence administrative est encore peu homogène. Par exemple, dans le
même arrêt, le harcèlement moral est reconnu dans un
cas d'isolement de l'agent renforcé par des mesures
vexatoires, de dénigrement systématique des capacités
professionnelles dans des termes humiliants, mais le
Conseil d'État reconnaît aussi que le comportement de
l'agent n'est pas irréprochable et que « la requérante a
largement contribué, par son attitude, à la dégradation
des conditions de travail dont elle se plaint » 55. Les
comportements vexatoires répétés, un acharnement non
justifié sur une personne psychologiquement fragilisée
et pouvant être à l'origine d'une sévère dépression réactionnelle peuvent être qualifiés de harcèlement moral 56 .
En revanche, les difficulté!» relationnelles dans l'exercice des fonctions ne sont pas considérées comme du
harcèlement 57. De manière plus spectaculaire, la cour
administrative d'appel de Paris a annulé un jugement
qui reconnaissait le harcèlement moral d'une fonctionnaire de La Poste victime de la part de deux collègues
de remarques dégradantes et vexatoires sur sa manière
de travailler, son aspect physique et sa vie personnelle,
d'une gifle à son encontre de l'un deux. Or, les juges
ont estimé en appel qu'en « l'absence de la commission
de nouveaux agissements fautifs de la part des deux
agents qui ont été sanctionnés », le harcèlement moral
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de cette fonctionnaire n'était pas qualifié 58. Les exemples pourraient se multiplier 59.
Les juridictions administratives adoptent une posture
encore très restreinte de la qualification du harcèlement
moral au travail, avec cependant des variations selon
les juges qui statuent selon leur intime conviction. Si le
harcèlement moral suppose en droit administratif la
réunion notamment d'actes répétés, de faits dépassant
l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, d'une dégradation des conditions de travail, propre à emporter la
conviction du juge, peut-être serait-il plus aisé de se
fonder sur le harcèlement discriminatoire.
2. La pratique du droit de la fonction publique plus
encline à reconnaître le harcèlement discriminatoire ?
Dans la pratique du droit de la fonction publique,
entendue ici comme la confrontation du droit de la
fonction publique à une situation de harcèlement
moral, on peut se demander si se fonder sur le régime
de la discrimination ne serait pas plus commode pour
qualifier cette situation. L'arrêt du Conseil d'État du
30 octobre 2009, Mme Perreux 60, n'est pas étranger à
ce raisonnement notamment au regard des liens tissés
au sein de l'arrêt du ll juillet 2011 6I qui réduit l'écart
avec le secteur privé concernant la charge de la preuve
du harcèlement moral.
Plutôt que de se fonder sur le régime du harcèlement
moral, penser le harcèlement comme un comportement
illicite fondé sur un motif de discrimination interdit
peut écarter certaines difficultés liées à la charge de la
preuve, mais aussi concernant le devoir de réserve et
d'obéissance ; le justiciable pourrait être dans une certaine mesure mieux outillé. Il n'est plus nécessaire de
prouver la répétition des actes, or, en reconsidérant
quèlques affaires ne retenant pas la qualification de
harcèlement moral, certains comportements ou certaines mesures peuvent s'apparenter à des actes de discrimination (comportement(s) déplacé(s) motivé(s) par
l'origine ou le sexe de la personne visée par exemple).
Par ailleurs, pouvoir invoquer les directives communautaires en matière de discrimination et d'égalité de traitement comme le permet l'arrêt du 30 octobre 2009
Mme Perreux, est une considération non négligeable. Le
droit de la fonction publique innoverait ainsi par rapport au droit du travail •
(58) CAA Pans, 21 juin 2010, req. n° 07PA01799, inédit au Lebon.
(52) Y.-E. Logeais, Harcèlement moral et droit public : aperçu de
la jurisprudence administrative, RLCT nov. 2011 53-61.
(53) F. Rolm, Le harcèlement moral, Journée d'études de l'Union
régionale Nord-Pas-de-Calais, du syndicat national des
directeurs generaux des collectivites territoriales et de la
SMACL, RLCT avr. 2007 68-72.
(54) V. A Puppo, La lutte contre le harcèlement moral dans la
fonction publique : soumission ou dignité ?, AJFP juill.-août
2002. 36-43.
(55) CE, 24 nov. 2006, req. n° 256313, M™ Baillet, Lebon ; AJ DA
2007. 428, note P. Planchet, publie au Lebon.
(56) CM Marseille, 21 juin 2011, req. n° 09MA00853, inedit au Lebon.
(57) CE, 4 nov. 2009, req. n° 311122, Brune!, Lebon, mentionne
aux tables Lebon.
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(59) V. Y.-E. Logeais, Harcèlement moral et droit public : aperçu
de la jurisprudence administrative, op cit
(60) CE, 30 oct. 2009, req. n° 298348, Perreux (Mme), Lebon;
AJDA 2009 2028, ibid 2391 ; ibid. 2385, chron S.-J. Lieber
et D Botteghi, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; ibid. 2010.
1412, etude L Coutron ; D. 2010. 553, obs. M.-C. de Montecler, note G. Calves, ibid. 351, note P. Chrestia, GAJA,
18e éd 2011, n° 117 ; AJFP 2010 76, et les obs , RFDA 2009
1125, concl. M. Guyomar, ibid. 1146, note P. Cassia, /bld.
2010. 126, note M Canedo-Pans ; ibid 201, chron C Santulli; RTD eur. 2010. 223, note D. Ritleng ; ibid 453, chron.
D. Ritleng, A. Bouveresse et J.-P. Kovar, publié au Lebon.
(61) CE, 11 juil. 2011, req. n° 321225, Montant (M""), Lebon;
AJDA 2011 1405; ibid 2072, concl. M Guyomar; AJFP
2012. 41, note R. Fontier, AJCT 2011. 474, obs. L. Derndj ;
PDT 2011. 576, obs. P. Adam, publie au Lebon
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