Fiche synthèse. Strophes pour se

ARTS, ETAT, POUVOIRS
Auteur : LOUIS ARAGON
Titre : STOPHES POUR SE SOUVENIR in Le Roman inachevé
Date de création : (1956)
Nature de l’œuvre : poème
1. Eléments biographiques :
Romancier, journaliste, poète et essayiste, Aragon est né le 3 octobre 1897 à Neuilly sur
Seine et mort le 24 décembre 1982. Il a collaboré au dadaïsme français et à la création du
mouvement surréaliste aux côtés de Soupault, Eluard et Breton. Il est connu pour son engagement :
son soutien de la résistance contre le nazisme et son adhésion au parti communiste. On lui
reprochera de n’avoir pas pris conscience assez tôt des excès du régime soviétique. A partir de 1966
cependant, il donne la parole aux dissidents et réprouve les condamnations prononcées à l’encontre
des intellectuels dans les pays soviétiques. Nombre de ses poèmes d’amour sont consacrés à sa
compagne et muse Elsa Triolet, elle-même écrivain : Les yeux d’Elsa . Sa poésie engagée et lyrique a
oscillé entre poésie classique à forme fixe inspirée d’Apollinaire et surréalisme. Certains de ses
poèmes ont été mis en musique et chantés par Léo Ferré et Jean Ferrat. Son roman le plus célèbre :
Aurélien.
2. Contexte de l’œuvre :
C’est en hommage aux résistants fusillés en 1944 dont Missak Manouchian, poète arménien,
était le chef de réseau, que Louis Aragon a écrit ce poème, qui figure dans le recueil Le Roman
inachevé, en 1956, à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe Manouchian dans le 20e
arrondissement de Paris. C’est donc un œuvre de commande demandée à un poète lui-même
engagé politiquement dans le communisme.
Rappel des faits historiques : Le réseau de résistants, dont Manouchian est le chef, est
démantelé, vingt trois membres sont fusillés. Les autorités allemandes placardent des affiches de
propagande qui montrent le visage de ces condamnés et les présentent comme une armée de
criminels : Affiche rouge. Avant d’être fusillé, Manouchian adresse à sa femme une lettre restée
célèbre. (Voir doc. Joint en annexe)
3. Justifier le choix de l’œuvre
Ce poème s’inscrit naturellement dans le cadre de l’histoire des Arts :
- il fait clairement référence à un contexte historique : les résistants de l’affiche rouge
- il adapte des passages de la célèbre lettre testamentaire écrite par Manouchian à la veille de son
exécution et adressée à son épouse Mélinée.
-le poète remplit en l’écrivant une mission : le devoir de mémoire.
- Ce poème est l’occasion pour Aragon, engagé lui-même dans le mouvement communiste, de
délivrer un message d’espoir et de fraternité.
- enfin, il est un pont entre les différentes formes d’expression artistique lorsque Léo Ferré le met en
musique en 1959.
4. Analyse de l’œuvre
La forme de ce poème est plutôt régulière et classique : 7 quintils en alexandrins (mais absence de
ponctuation), dans un souci de clarté et d’efficacité puisque le poème fait office de discours
commémoratif et doit être lu au cours d’une cérémonie.
Il se présente comme une oraison funèbre : le poète s’y adresse directement à ceux qu’il
commémore « V1 : vous/v.5 Partisans », c’est un hommage posthume « onze ans déjà, à la fin
février», rendu au courage désintéressé : v.1 « la gloire, ni les larmes, ni l’orgue, ni la prière, la mort
n’éblouit pas les yeux des Partisans » de ces hommes morts dans l’ombre et la solitude.
Dans la deuxième strophe, Aragon évoque les faits historiques auxquels sont liés ces Partisans :
v.6 et 8 « vos portraits sur les murs de nos villes, l’affiche », ces expressions désignant clairement
l’affiche rouge restée tristement célèbre. Mais il dénonce aussi les procédés de la propagande nazie,
laquelle exacerbe la xénophobie et pratique la politique de la terreur en présentant ces hommes
comme des étrangers par leur nom : v.9 « à prononcer vos noms sont difficiles », et leur
physionomie : v.7 « noirs de barbe, hirsutes et menaçants ». Ainsi ces arméniens, roumains,
espagnols, polonais, italiens ,juifs et communistes doivent effrayer les Français :v.10 « un effet de
peur sur les passants » et sont désignés par les Allemands comme des sauvages, des brutes
dangereuses : v. 8 « tache de sang », comparaison évocatrice du terrorisme et du communisme.
Mais cette affiche n’a pas toujours eu l’effet escompté et a suscité, selon le poète, des actes de
résistance : v. 14 « Des doigts errants avaient écrit sur vos photos MORTS POUR LA FRANCE » dans la
clandestinité : v.13 « à l’heure du couvre-feu », ce qui rappelle combien cette transgression,
apparemment anodine, était un acte de courage alors. Le choix des majuscules qui mettent en relief
l’expression, apparente celle-ci à une inscription officielle et solennelle que l’on inscrirait sur une
plaque commémorative et rappelle le contexte de création du poème. Ces Français anonymes donc
avaient compris le sens de l’engagement des Partisans : v11 « Français de préférence »qui, malgré
leur origine étrangère, ont fait le choix de défendre la France et ses valeurs au prix du sacrifice de
leur vie.
A partir du vers 19, Aragon prête ses vers à la voix de Manouchian sans le nommer directement car
il incarne le résistant : « l’un de vous », et insère dans des strophes de tonalité lyrique des termes
choisis de la lettre écrite par Manouchian à sa femme Mélinée à la veille de son exécution.
Ce procédé de mise en abîme (poème dans le poème) donne la parole au résistant v.20 : « je,
moi », renforçant ainsi le pathétique, l’émotion qui se dégage. C’est un adieu : v.20 « je meurs, que le
cœur me fend », martelé par l’anaphore « Adieu », d’autant plus déchirant que le regret de quitter le
monde est assorti d’un hymne à la nature et à la beauté : « Les roses, la lumière, le vent, la beauté
des choses, grand soleil d’hiver» . Mais c’est aussi et surtout une belle leçon d’humanité et de
fraternité : « Sans haine en moi pour le peuple allemand ». C’est un message d’espoir et de
fraternité, l’affirmation d’une foi inébranlable dans l’avenir avec l’emploi récurrent de
verbes au futur de l’indicatif ou de périphrases verbales de même valeur : « la justice viendra
sur nos pas triomphants, ceux qui vont survivre, toi qui vas demeurer », avec l’exhortation
au bonheur marquée par la phrase nominale « bonheur à tous …». Ainsi le combat des
résistants et leur mort seront utiles et auront contribué à reconstruire un monde meilleur
pour les générations à venir lesquelles sont évoquées par : « toi, je te dis de vivre et d’avoir
un enfant. » Ces vers, fidèles à l’esprit de la lettre, et qui se closent sur une envolée lyrique :
v26 à 30 soulignée par l’interjection « ô » et l’apostrophe à « Mélinée » célèbrent la vie au moment
de mourir et affirment l’utilité du sacrifice de certains pour l’intérêt général.
Dans la dernière strophe, c’est à ses contemporains et au lecteur que s’adresse Aragon par l’emploi
de la 1ère personne du pluriel : « nos(frères) » pour exalter les vertus de ces partisans et rappeler le
sort cruel et injuste qui leur a été réservé, en martelant le nombre vingt et trois par le procédé de
l’anaphore et en utilisant un jeu d’antithèses qui soulignent le caractère exceptionnel de leur
engagement : « Les fusils fleurirent », le peloton est transfiguré en salve d’honneur, « étrangers et
nos frères pourtant »morts au cri de vive la « France » v .35, « amoureux de vivre à en mourir »,
parce que la liberté n’a pas de prix.
Le poète Aragon met ici tout son art de créateur au service d’une cause, le devoir de mémoire, il
rend hommage au FTP (Francs tireurs et résistants) et délivre à son tour un message d’espoir et de
fraternité.
5. Mise en relation
Ce poème peut être mis en relation avec :
- L’étude de la musique de film : le Dictateur de Charlie Chaplin
- l’étude du contexte historique de l’Affiche rouge en Histoire
- l’étude de poèmes engagés en Français : Desnos : la Voix, Primo Lévi : Si c’est un Homme et le
roman La Vague de Todd Strasser.
- Les tableaux de Boltanski ou Le Guernica de Picasso en Arts Plastiques.