« Strophes pour se souvenir »

Transcription

« Strophes pour se souvenir »
« Strophes pour se souvenir »
Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
Contexte
Louis Aragon est un poète, romancier, journaliste français du XXème siècle (1897-1982).
Son ami André Breton (qui écrit en 1924 le Manifeste du surréalisme) et lui sont des précurseurs du
surréalisme, (courant littéraire et culturel qui consiste à libérer la pensée des contraintes de la raison).
C’est également un poète engagé, comme on peut le voir avec le poème « Strophes pour se souvenir »
extrait du Roman Inachevé (1955).
Il écrit ce poème 11 ans après l’épisode des affiches rouges (En février 1944, des affiches rouges ont été
placardées en France par les nazis. Elles présentent le groupe de résistants de Manouchian comme des
terroristes qui agissent contre la France).
Plan annoncé :
- L’atmosphère
- L’éloge
- Le lyrisme de Manouchian
I – L’atmosphère
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Paysage triste, temps de guerre
Des couleurs évocatrices de mort « noirs de barbes », « l’affiche qui semblait une tache de sang »,
« la couleur uniforme du gris »
Désolation (« morne matin »)
Evocation de l’hiver : dureté du climat, mais aussi de l’époque. L’hiver représente la mort, le froid.
Champ lexical de la mort « agonisant » « morts » « derniers moments »
-
La peur règne.
L’affiche est une tache de sang.
Procédés utilisés par les nazis : propagande en faisant passer les résistants pour des terroristes.
Les résistants sont effrayants « hirsutes menaçants », ils agissent la nuit.
Les nazis veulent accentuer la xénophobie (« à prononcer vos noms sont difficiles »)
Le but de la manœuvre est simple : « y chercher un effet de peur sur les passants ».
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II – Un éloge
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Des résistants
Eloge des résistants qui défendent leurs idées jusqu’au bout « la mort n’éblouit pas les yeux des
Partisans ».
Ils ne se battent pas pour une reconnaissance « vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes »
Registre pathétique. Ils ont donné leur vie pour le pays « MORTS POUR LA FRANCE » (en
majuscule, car représente une inscription écrite sur une affiche)
Antithèse avec « amoureux de vivre à en mourir ».
Leur action n’a pas été vaine, ils ont changé l’histoire « les mornes matins en étaient différents ».
Des étrangers
Eloge également des hommes qui se sont battus pour un pays qui n’était pas le leur « Français de
préférence »
Leur sacrifice en est d’autant plus important, plus héroïque.
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Aragon en fait des partisans, des étrangers mais surtout des frères « Vingt et trois étrangers et nos
frères pourtant ».
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Des Hommes
Avant d’être des résistants, ce sont des hommes, qui n’ont pas hésité à sacrifier leur vie mais aussi
leurs rêves, leurs espoirs.
La lettre de Manouchian est adaptée en discours direct « l’un de vous dit calmement », elle se
repère car elle est en italique.
Manouchian est humanisé, il avait une femme, une vie. Il n’est pas seulement un portrait sur une
affiche.
Ils ont abandonné leurs rêves pour des valeurs qu’ils défendaient. Aragon en fait des héros.
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III – Le lyrisme de Manouchian
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Un adieu à la vie
Le mot « adieu » est répété 4 fois (anaphore), il prolonge la séparation entre Manouchian et le
monde. Il s’adresse à chaque élément individuellement.
Mélancolie, tristesse et douleur à l’idée de quitter la vie « que le cœur me fend ».
Sérénité face à la mort et pardon
Sérénité face à la mort « Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre »
Manouchian meurt sans rancune et sans haine envers ceux qui l’assassinent, il pardonne « Je meurs
sans haine en moi pour le peuple allemand ».
Aucune peur ne transparaît. Aucun doute. Manouchian sait que sa vie est le prix à payer pour le
retour de la paix et de la liberté.
La confiance en l’avenir
Confiance en l'avenir de l’humanité, grâce au futur « La justice viendra sur nos pas triomphants ».
Espoir d’un bonheur prochain « Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre ».
L’idée d’avenir et de renouveau, de renaissance se trouve également avec « Et je te dis de vivre et
d'avoir un enfant ».
« Un grand soleil d'hiver éclaire la colline » laisse prévoir qu'après l'hiver (= la mort), viendra la
chaleur et la clarté (= vie).
Contraste entre « Un grand soleil » (espoir, vie + évocation de la lumière) et « les mornes matins »,
(la tristesse des temps de guerre décrits au début du poème).
CONCLUSION
-
Aragon écrit ce poème pour que l’on se souvienne de cette guerre et de ses héros.
Il fait un véritable éloge de la vie.
Il demande de profiter de la liberté qui a coûté beaucoup de sacrifices.

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