idées clés - Cyberlearn
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THE SIXTH SENSE Kees van der Heijden, Ron Bradfield, George Burt, George Cairns et George Wright Les auteurs sont directeurs du Centre for Scenario Planning and Future Studies. Editions Wiley, 2002, 307 pages. Avec le commentaire de Michael Wheeler, Professeur de Management à Harvard Business School. idées clés Mieux gérer l'incertitude grâce à la méthode des scénarios. Face à l'incertitude, nous avons tendance à ne nous préparer qu'à l'avenir le plus probable. La planification stratégique en est une illustration caractéristique : une analyse détaillée de l'entreprise et de son environnement permet d'effectuer des prévisions, à partir desquelles une stratégie et des plans d'action adéquats sont élaborés. Dans un environnement relativement stable, cette approche est tout à fait fondée. Mais elle conduit à des déconvenues lorsque l'incertitude est forte. En effet, les prévisions peuvent constituer des œillères qui empêchent de voir la réalité en face, et mener ainsi à des décisions erronées. The Sixth Sense préconise une toute autre approche. Les auteurs recommandent de systématiser le raisonnement par scénarios, qui consiste à envisager en parallèle plusieurs évolutions possibles de son environnement – même si certaines sont peu probables. L'objectif est d'inciter chacun à être en permanence à l'écoute des évolutions de l'environnement, et de favoriser la prise des décisions nécessaires pour parer à diverses éventualités. Une démarche applicable tant à la stratégie qu'à de nombreuses décisions de la vie quotidienne de l'entreprise ! - Prenez conscience des pièges dans lesquels nous avons tendance à tomber face à l'incertitude. Les synthèses Manageris sont des œuvres originales. Elles sont le résultat d'une analyse critique de l'ouvrage, visant à faire ressortir les enseignements pratiques qui nous semblent les plus utiles et novateurs. Elles ne constituent en aucun cas un simple condensé de l'ouvrage, et ne peuvent à ce titre se substituer à la lecture de celui-ci. The Sixth Sense - Découvrez les vertus du raisonnement par scénarios. - Apprenez à élaborer des scénarios provocants mais crédibles, de façon à ce qu'ils incitent à l'action. m • N° 111a 1 analyse de l’ouvrage 1 Reconnaître l'incertitude - Une mauvaise gestion de l'incertitude Nous avons tendance à ignorer l'incertitude en pariant exclusivement sur l'avenir le plus probable. Les entreprises sont souvent démunies pour faire face à l'inconnu et réagir à une situation changeante. En effet, l'incertitude est génératrice d'anxiété. Très peu de personnes se sentent à l'aise face à un avenir qu'elles ne parviennent pas à se représenter. La plupart d'entre nous préfèrent donc inconsciemment ignorer ou minimiser l'incertitude. Ainsi, nous préférons fonctionner à partir de probabilités : nous estimons quel est l'avenir le plus probable et bâtissons un plan en fonction de cette estimation. C'est le principe même de la planification stratégique. A partir d'une analyse de la situation actuelle et des tendances observées, les planificateurs font une estimation de ce que sera l'avenir le plus probable. Ils développent ensuite une stratégie et des plans d'action pour que leur entreprise tire le meilleur parti possible de cette situation. Cette approche est pertinente dans un environnement relativement stable. Mais l'évolution de l'environnement économique s'accélère, et celui-ci est de moins en moins prévisible. L'avenir est généralement très différent de ce qui avait été envisagé, ce qui rend les plans d'action rapidement caduques. Dans un environnement incertain, se préparer exclusivement à l'avenir le plus probable est dangereux à plusieurs titres. Non seulement parce que les prévisions peuvent être erronées. Mais aussi parce que cela génère des comportements néfastes : 2 m • N° 111a • Se fermer aux évolutions imprévues. Parier sur l'avenir le plus probable donne l'illusion de la certitude. Nous considérons inconsciemment comme acquis que la situation évoluera comme prévu, et ne sommes de ce fait plus à l'écoute des éléments qui viendraient infirmer nos hypothèses. Si le pari s'avère malchanceux, les résultats peuvent être catastrophiques. Dans les années 70, Xerox détenait 95 % du marché des photocopieurs, essentiellement dans les grandes entreprises. L'analyse du marché laissait alors penser que le principal risque venait de concurrents qui parviendraient à baisser les coûts unitaires grâce à des volumes importants. Monopolisant ses forces pour minimiser ce risque, le leader a alors œuvré pour verrouiller le marché des grandes entreprises : licences, service client remarquable, forte présence de la force de vente, etc. Mais une concurrence inattendue est apparue sous la forme du photocopieur personnel, inventé par Canon. Obnubilé par l'enjeu du marché des grandes entreprises, Xerox a ignoré Canon pendant 10 ans… avant de se rendre compte que ce concurrent imprévu lui avait ravi sa place de leader ! • Repousser les décisions. Miser sur un seul avenir probable nous conduit à reporter les décisions qu'il faudrait prendre pour parer aux éventualités moins probables. Nous attendons d'obtenir les informations qui confirmeraient que les évolutions inattendues surviennent effectivement. Des entreprises retardent ainsi leur action… jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour agir. Yahoo! a ainsi attendu qu'AOL annonce officiellement le rachat de Time Warner pour développer des moyens de lutter contre ce nouveau concurrent particulièrement dangereux. Les dirigeants se retranchaient derrière le fait qu'ils ne pensaient pas que la fusion aurait lieu. Un temps précieux a été perdu, et Yahoo! a vu ses revenus fondre de 42 % ! • Répéter les recettes du passé. Enfin, sauf rupture évidente dans l'environnement, nous avons tendance à penser que l'avenir sera dans la continuité des évolutions observées dans le passé. Cela nous conduit à privilégier les recettes du passé, ignorant que ce ne sont pas nécessairement les plus adaptées aujourd'hui. Foster Brothers était une enseigne de vente de vêtements masculins très en vogue dans les années 70 en Angleterre. A cette époque, elle a répondu avec succès à une chute des ventes en achetant des matières premières moins chères, et en répercutant cette baisse de coûts sur les prix. Forte de ce succès, elle a continué à réagir aux aléas du marché en réduisant ses coûts et ses prix. Mais les consommateurs sont devenus moins sensibles au prix. Ils se sont alors tournés vers des enseignes comme Gap ou Next, certes plus chères, mais plus modernes. Foster Brothers a périclité pour être restée figée dans une même analyse du marché et n'avoir pas su adapter sa stratégie. Ainsi, se préparer à ce que nous pensons être l'avenir le plus probable est une tentation dangereuse. Il faut au contraire apprendre à tenir compte dans ses raisonnements des différentes évolutions possibles d'une situation. C'est l'objectif du raisonnement par scénarios. - Raisonner par scénarios Raisonner par scénarios permet de se préparer aux différentes éventualités. La méthode des scénarios a été développée initialement à des fins militaires. La stratégie militaire repose depuis toujours sur la capacité d'imaginer les différentes actions et réactions possibles de l'adversaire. Ce principe a donné lieu à une approche scientifique dans les années d'après-guerre, lorsque la Rand Corporation a développé pour l'US Air Force des modèles The Sixth Sense Concrètement, la démarche consiste à confier à un groupe de projet soigneusement sélectionné la tâche d'analyser un domaine dont l'évolution est incertaine et dont l'issue détermine la stratégie à suivre. Dans un premier temps, ce groupe doit conduire des entretiens semi-directifs auprès d'individus d'horizons aussi divers que possibles (figure B). L'objectif est d'identifier les avenirs envisageables, du plus optimiste au plus pessimiste, et de reconstituer le fil des événements qui pourraient mener à ces cas de figure. A partir de ces interviews, le groupe peut lister l'ensemble des variables qui ont une influence sur l'évolution de la situation. Par exemple, un projet sur le développement du e-commerce a fait apparaître l'influence du temps de loisir, de la capacité d'épargne, du temps de travail, etc. On identifie ainsi typiquement plusieurs centaines de variables. L'étape suivante consiste à repérer parmi ces variables lesquelles exercent une influence déterminante et conditionnent ainsi les autres. Il faut pour cela identifier les liens de cause à effet qui conduisent certaines variables à en déterminer d'autres. Par exemple : "la diminution du temps de travail The Sixth Sense Planifier par scénarios Identification des variables motrices Sélection des 2 variables les plus influentes Elaboration des scénarios TRAVAUX Le principe de la méthode des scénarios est relativement simple (figure A). Il s'agit d'imaginer les différentes évolutions possibles d'une situation donnée, plutôt que son évolution la plus probable. A partir de ces différents tableaux de l'avenir, il est possible de déterminer quelles décisions doivent être prises immédiatement, que ce soit pour limiter les risques ou pour se donner les moyens de profiter d'une opportunité éventuelle. A l'inverse, cela permet aussi d'identifier quelles décisions peuvent être repoussées dans l'attente d'informations complémentaires, sans mettre pour autant l'avenir en péril. A Entretiens exploratoires auprès d’observateurs d’horizons divers Recherche des liens de cause à effet pour identifier les variables qui déterminent les autres Classement des variables clés selon leur degré d'incertitude et leur impact sur la stratégie à adopter Description détaillée des situations associées aux valeurs extrêmes des 2 variables retenues RÉSULTAT de simulation fondés sur l'analyse systémique. Cette technique a ensuite été transposée par l'entreprise : d'abord pour la gestion de crise, très proche dans les faits de situations de guerre ; puis, à partir des années 70, pour la prospective. Identification des variables des scénarios d’avenir (typiquement une centaine) Choix d’environ 10 variables clés Choix des 2 4 "histoires" variables autour provocantes desquelles mais plausibles construire les scénarios extrêmes Recensement des variables B Guide d'entretien L'élaboration des scénarios commence par une série d'interviews auprès d'individus d'horizons aussi différents que possible, qui peuvent s'inspirer de la structure suivante : - Partir de l'avenir (se projeter à un horizon donné, par exemple 5 ans) – Quelles sont les caractéristiques clés qui définiront l'environnement externe de l'entreprise ? – Quel serait le scénario idéal ? – Quel serait le pire scénario ? – Quelles seront les principales zones d'incertitude ? Les menaces ? Les opportunités ? – Qu'espérez-vous voir changer d'ici là ? - Poser des questions sur la situation présente – Quelles sont les principales décisions à prendre ? – Quelles sont les compétences et les ressources actuellement possédées par l'entreprise qui permettront de saisir les opportunités identifiées ? – Quelles compétences et quelles ressources font-elles défaut pour saisir ces opportunités ? – Quelles sont les contraintes qui s'opposent le plus au scénario idéal ? – Quelles mesures doivent-elles être prises immédiatement pour empêcher le pire scénario de se réaliser ? - Investiguer le contexte historique – Quels développements clés de ces dernières années ont-ils permis de renforcer la capacité de l'entreprise à répondre aux opportunités de son environnement ? – Quelles leçons, positives ou négatives, peut-on tirer du passé ? conduit à un accroissement du temps de loisir, donc à une augmentation des dépenses de loisirs et à une baisse de l'épargne". Cette relation de causes à effets fait ressortir la variable "temps de travail" comme structurante. Ce processus conduit généralement à identifier ainsi une dizaine de variables clés. Ces variables clés doivent ensuite être classées selon leur degré d'incertitude et leur impact sur la stratégie à adopter. Cela permet d'identifier celles dont l'influence est la plus forte sur ce que serait la m • N° 111a 3 stratégie appropriée. Par souci de simplicité, on n'en retiendra généralement que deux. Il faut alors déterminer quelles peuvent être les évolutions extrêmes de ces deux variables. Par exemple, pour la variable "temps de travail", les limites pourraient être "un temps de travail hebdomadaire de 28 heures et la retraite à 60 ans", et "un temps de travail hebdomadaire de 45 heures, et la retraite à 70 ans". En combinant les deux évolutions extrêmes des deux variables retenues, on aboutit à quatre situations extrêmes, qui représentent le champ des évolutions possibles. On peut alors reconstituer les scénarios correspondant à chacune de ces situations, étudier en détail leurs implications, et envisager l'avenir de l'entreprise ou la décision à prendre sous l'angle de chacun de ces quatre scénarios. Nous allons voir que cette démarche permet de mieux gérer les environnements incertains. Non pas parce qu'elle permet de prévoir l'avenir : parmi ces scénarios, il est fort probable qu'aucun ne se réalisera. Mais parce qu'elle met en évidence que différentes évolutions sont possibles, et incite ainsi chacun à rester dans une logique d'observation et d'apprentissage. 2 Les vertus du raisonnement par scénarios Le raisonnement par scénarios permet de changer les états d'esprit et de développer l'apprentissage permanent. - Pourquoi l'utiliser ? Raisonner par scénarios permet de lutter contre les biais qui pous- C Les biais psychologiques qui influencent la perception de l'avenir Différents biais psychologiques, inconscients, nuisent à l'objectivité de la collecte et de l'interprétation des informations. Ils conduisent ainsi à une vision erronée de l'avenir, minimisant les risques et sous-estimant les évolutions par rapport à la situation actuelle. Biais personnels - Le biais de confirmation Nous ne retenons que les informations qui confirment nos a priori et négligeons inconsciemment les autres. - L'excès de confiance en soi Nous avons naturellement tendance à surestimer la validité de nos estimations. - Le refus de la décision Nous sommes enclins à repousser le plus possible le moment d'affronter les problèmes ou les décisions difficiles. - L'escalade Lorsque nous avons pris une décision, nous ne voyons plus que les faits qui prouvent que cette décision était bonne, et ignorons les autres. 4 m • N° 111a Biais du raisonnement de groupe - La pensée unique La pression sociale fait que le groupe supprime toute idée contraire ou divergente et s'enferme dans la routine. - La fragmentation Parfois, deux sous-groupes antagonistes se forment, et le débat se limite à des querelles stériles, empêchant de tenir compte de toute information qui ne renforce pas la position de son sous-groupe. - L'identité Le groupe prend ses décisions en fonction de son identité collective, forgée par les décisions qu'il a prises par le passé. Cela conduit à répéter les recettes du passé sans les remettre en cause. sent les entreprises à l'inertie et au conformisme lorsqu'elles sont confrontées à l'incertitude (figure C). Ce mode de raisonnement a en effet plusieurs vertus : • Favoriser l'écoute. Lorsque nous observons une situation, nous cherchons inconsciemment confirmation de nos a priori. Cela nous conduit à négliger les informations qui viendraient les infirmer, et explique que nous sous-estimions souvent les risques. Un corollaire de ce travers psychologique est que, lorsque nous avons pris une décision, nous fermons les yeux aux informations qui montreraient que cette décision est erronée. Un exemple typique est celui du serveur dans un café qui, ne pouvant bien servir tout le monde, se concentre sur les clients dont il pense qu'ils lui donneront un bon pourboire. Satisfaits du service, ceux-ci laissent effectivement un pourboire supérieur aux autres. Le serveur en déduit que cette catégorie de clients est la plus rentable. Ignorant que sa collecte d'information a été biaisée, il décide de focaliser ses efforts sur cette catégorie de clients. Afficher que plusieurs avenirs sont possibles fait prendre conscience de son ignorance. Chacun est ainsi naturellement plus ouvert aux informations qui pourraient contredire ses a priori. Ainsi, Shell estime que la planification par scénarios lui a permis de passer de la 7e à la deuxième place mondiale à l'occasion du choc pétrolier de 1973. A la fin des années 60, la demande de pétrole croissait régulièrement de 6 à 8 % par an depuis 1945. La plupart des compagnies pétrolières, à l'instar de Shell, prévoyaient une évolution des tarifs dans la droite ligne des années passées. Mais une équipe de planification de Shell a eu l'idée d'imaginer d'autres scénarios. Au lieu de considérer la situation comme un acquis, elle s'est penchée sur ce qui pourrait la faire évoluer. Elle s'est ainsi rendu compte que les pays producteurs de pétrole n'avaient pas besoin de revenus supplémentaires, et pourraient choisir de réduire leur production pour économiser leurs réserves. Elle a aussi imaginé que la demande pourrait The Sixth Sense croître de façon spectaculaire si les Etats-Unis devenaient importateurs au lieu d'être exportateurs de pétrole. Des scénarios fort peu probables à l'époque, mais qui ont incité Shell à se préparer à une hausse imprévue des prix, et à être à l'écoute des signes avant-coureurs d'une telle évolution – comme la constitution de l'OPEP. Lorsque les prix ont quintuplé soudainement en 1973, Shell était la seule compagnie pétrolière qui s'était réellement préparée à cette éventualité. Ce qui lui a permis de se faire une place de choix sur l'échiquier mondial. • Susciter la discussion stratégique. Un autre facteur qui limite la perception du risque est le conformisme de groupe. Les membres d'un groupe ont en effet inconsciemment tendance à se rallier à la pensée dominante pour éviter de se distinguer. Cela peut conduire à prendre collectivement une décision avec laquelle personne n'est d'accord. Un travers que le sociologue Jerry Harvey a très bien illustré par le "paradoxe d'Abilene" : lors d'une réunion de famille au Texas par une chaude journée d'été, le grand-père propose d'aller déjeuner à Abilene, à 50 kilomètres de là. Tout le monde acquiesce et la famille se met en route pour un voyage éprouvant par 40 degrés à l'ombre dans une voiture non climatisée. En discutant le soir, ils se rendent compte qu'aucun des membres de la famille n'avait en fait envie d'aller à Abilene. Le grand-père avait proposé par peur que les autres ne s'ennuient, sa femme pensait que cela ferait plaisir aux enfants, sa fille voulait lui faire plaisir, son gendre ne voulait pas avoir l'air d'être négatif, etc. Le conformisme de groupe leur a ainsi fait prendre une décision aberrante. Un phénomène qui s'observe fréquemment dans le monde de l'entreprise. En affichant clairement la volonté d'investiguer différents scénarios possibles, la planification par scénarios ouvre la possibilité d'approfondir la réflexion stratégique et d'éviter ainsi le conformisme de groupe. Deux raisons l'expliquent : The Sixth Sense D A quels sujets appliquer la méthode des scénarios ? Le raisonnement par scénarios peut s'appliquer à divers types de problèmes, qui tombent généralement dans les 4 catégories suivantes : Problèmes ponctuels Questions à long terme Comprendre une situation Anticiper l'évolution complexe de son environnement Investigation Prise de décision / aide à l'action Exemples : Exemples : – Comprendre comment – Dans les années 60, Shell est en train de se refuse de se contenter structurer le e-commerce. d'une projection de l'évolution des prix et de – Analyser les raisons de la fin de l'euphorie de l'année la demande. 2000. Développer une stratégie Développer l'apprentissage Exemples : organisationnel – Scénarios d'évolution de l'environnement en support à la planification stratégique. – Scénarios portant sur un enjeu spécifique, tel que "dans quels métiers d'avenir investir ?" – Elle crée un espace de dialogue officiellement consacré à l'investigation en dehors de la pression du temps et des objectifs, et ce dans un contexte non politique. Elle offre ainsi un cadre qui permet d'exprimer sans contraintes des idées non conventionnelles. – Elle fait une place aux idées dissidentes. En effet, lorsqu'un membre d'un groupe émet une objection ou une idée saugrenue, le groupe a souvent tendance à ignorer cette idée, en cataloguant cette personne comme "négative" ou "irréaliste". Au contraire, dans le cadre d'une démarche de scénarios, chacun est incité à être à l'écoute des raisonnements des autres, de façon à identifier une éventuelle matière à un scénario original. • Inciter à l'action. Elaborer différentes visions du futur crée souvent un électrochoc qui suscite à lui seul l'action. Par exemple, une multinationale en Asie connaissait une croissance spectaculaire et régulière depuis 25 ans. Aucun membre de la direction ne voyait de raison que cela change. Une équipe a été missionnée pour étudier l'évolution de la structure du secteur. Parmi les trois Exemple : – Nos méthodes sont-elles valables dans tous les cas ? – Peut-on poursuivre la même stratégie quelle que soit l'évolution de l'environnement ? scénarios présentés, aucun ne permettait la continuation du succès connu jusqu'alors. A la suite de cette analyse, la stratégie et l'organisation du groupe ont entièrement été remises en cause. Une décision nécessaire, mais qui, de l'avis des dirigeants, n'aurait pas été prise sans l'étincelle créée par les scénarios. De plus, la planification par scénarios est une démarche participative. Elle favorise ainsi l'appropriation de la stratégie par ceux qui ont contribué à l'élaboration des scénarios, ce qui renforce encore la propension à agir. - Quand l'utiliser ? La méthode des scénarios est particulièrement utile en support de la réflexion stratégique (figure D). Elle est ainsi vivement recommandée en amont du processus de planification stratégique, comme moyen d'ouvrir les débats et d'assurer que l'ensemble des éventualités d'avenir sont prise en compte. Elle peut aussi être extrêmement utile comme support à la réflexion face à une décision ponctuelle difficile. Comment réagir face à tel fournisseur stratégique qui impose m • N° 111a 5 soudain une hausse de prix ? Faut-il prendre des mesures suite à l'entrée inattendue d'un concurrent étranger sur le marché ? Raisonner par scénario peut aider à mieux comprendre les implications de la situation en en imaginant les différentes évolutions possibles. Mais au-delà de son utilité au cas par cas, la méthode des scénarios constitue un important levier d'apprentissage et d'évolution des mentalités. C'est pourquoi il est extrêmement utile d'en systématiser l'usage dans l'entreprise. Chacun prend ainsi conscience qu'il ne suffit pas d'observer une situation à un moment donné pour trouver une solution, mais que l'on doit rester en permanence à l'écoute des signes qui montrent comment la situation risque d'évoluer. S'habituer à envisager en parallèle plusieurs issues possibles à une situation développe la capacité d'écoute et l'aptitude à réagir aux évolutions inattendues. • Définir son horizon de temps. • Bâtir des scénarios provocants. Le temps alloué à l'élaboration des scénarios doit être fixé dès le départ. Cela permet de créer une "zone de confort" au cours de laquelle aucun participant n'hésitera à s'écarter des raisonnements conventionnels. Parallèlement, cela borde le temps alloué à cette phase exploratoire, pour éviter les dérapages. Typiquement, le projet peut durer de 1 à 2 jours pour des décisions ponctuelles relativement simples, à environ 10 semaines dans le cadre d'une démarche de planification stratégique (figure E). On ne peut raisonnablement pas travailler dans la perspective de tous les scénarios possibles. La complexité qui en résulterait serait ingérable. C'est la raison pour laquelle il est recommandé de se limiter à quelques scénarios "extrêmes". En effet, l'enjeu n'est pas de prévoir l'avenir le plus probable, mais de mettre en lumière l'étendue des évolutions possibles. Par leur caractère provocateur, ces scénarios poussent à imaginer des stratégies pour pallier des cas extrêmes. Ils stimulent ainsi la créativité et incitent à l'action. • Porter un grand soin à la constitution de l'équipe. Une règle d'or pour constituer l'équipe chargée d'élaborer les scénarios est de rechercher la diversité des perspectives et des opinions. Il faut rassembler des individus de diverses divisions et diverses fonctions de l'entreprise. Mais aussi ne pas hésiter à faire appel à des intervenants extérieurs. Par exemple, un projet qui étudiait l'avenir du voyage aérien bon marché en Europe a inclus des représentants de compagnies ferroviaires, des membres de la communauté européenne, des écologistes et des spécialistes du terrorisme. Il est en outre préférable de faire appel à un facilitateur extérieur à l'entreprise pour animer les débats. Son indépendance par rapport aux politiques internes et son objectivité sont en effet des garants de la créativité du groupe. 3 Les conditions de succès La planification par scénarios doit faire l'objet d'une démarche structurée. Pour que la planification par scénarios remplisse ses promesses, la démarche doit être organisée en veillant à respecter les facteurs clés de succès suivants : E Planning type d'un projet d'élaboration de scénarios pour une question stratégique La durée moyenne de ce type de projets est de 10 semaines, réparties de la façon suivante : Recherche complémentaire Interviews "Incubation" Interviews de validation • Valider la crédibilité des scénarios. Il est important de veiller à la crédibilité des scénarios. Aussi provocants soient-ils, les scénarios n'inciteront à l'action que si chacun estime qu'ils sont réalistes et cohérents. Deux tests sont utiles pour tester la robustesse des scénarios : – Analyser les positions des différentes parties prenantes. Un test simple et efficace pour identifier les scénarios non crédibles consiste à lister les différentes parties prenantes, internes ou externes à l'entreprise, et se demander de façon systématique si chacune réagirait effectivement de la façon que suggère le scénario. – Faire un diagramme complet des influences. Il est aussi pertinent de représenter graphiquement l'enchaînement des événements qui permettraient d'arriver à la situation décrite par le scénario. Pour cela, il faut partir du scénario d'avenir et remonter le fil des événements jusqu'à la situation présente en répondant systématiquement à la question "pourquoi". Si on est bloqué à un point de l'histoire, c'est que celle-ci n'est pas entièrement cohérente. • Soigner la communication. 1 2 3 Workshop 1/2 journée : feedback 6 m • N° 111a 4 5 6 Workshop 2 jours : élaboration des scénarios 7 8 9 10 Workshop Présentation 1 à 2 jours : réflexion sur les implications Pour donner toute leur mesure, les scénarios doivent être communiqués de façon à paraître plausibles. C'est pourquoi il est utile de les raconter sous forme d'histoires : "Nous sommes en 2010. Le temps de travail est de 28 heures par semaine, que la plupart des enThe Sixth Sense treprises ont organisé en semaines de 4 jours. Les loisirs se sont développés, grâce à un investissement croissant des collectivités. Les Français consacrent un budget à leurs dépenses de loisirs qui a doublé en 10 ans, essentiellement au détriment de leur capacité d'épargne. L'industrie touristique est en plein boom, etc." Ce type de scénario est plus évocateur qu'une simple énumération de faits bruts – temps de travail hebdomadaire de 28 heures, doublement des dépenses de loisir, réduction de la capacité d'épargne, etc. Ainsi, une société a choisi de présenter ses scénarios sous la forme d'articles de "The Economist". Cette présentation, ancrée dans le quotidien, a joué pour beaucoup dans la forte réactivité des collaborateurs. ••• Développer le raisonnement par scénarios favorise l'apprentissage. En prenant l'habitude d'envisager parallèlement différents avenirs possibles, on contre les biais qui nuisent à une saine gestion de l'incertitude : conservatisme, aveuglement, conformisme par rapport à la vision dominante, etc. De plus, cela permet d'améliorer la qualité des décisions stratégiques, en permettant de prendre en compte de plus nombreux points de vue. C'est pourquoi cette démarche est à promouvoir, tant dans le cadre de la planification stratégique que pour des projets quotidiens de plus petite envergure. commentaire critique de l’ouvrage Par Michael Wheeler, Professeur de Management à Harvard Business School. a survie d'une organisation dépend de son aptitude à reconnaître le changement et à s'y adapter avant que ses concurrents ne soient capables d'y répondre. Une stratégie qui repose sur des hypothèses statiques emprisonne les managers dans une vision du monde tel qu'il a été, et non tel qu'il pourrait devenir. The Sixth Sense ressuscite une vieille technique – la planification par scénarios – en tant qu'outil d'identification des forces du changement ainsi que comme moyen de changer les états d'esprit. Plus fondamentalement, raisonner par scénarios peut servir de catalyseur pour l'apprentissage organisationnel. L L'histoire de la planification par scénario remonte loin – au moins jusqu'aux exercices de jeux menés par le Rand Institute lors de la guerre froide et les initiatives sociales de Gaston Berger et du Centre d'Etudes Prospectives. Souvent, cependant, la planification par scénarios a été détournée en un simple instrument de prévision, une méthode pour générer les prédictions utilisées dans les modèles d'optimisation. Les auteurs insistent sur le fait que la planification par scénarios n'a jamais eu la prétention de prévoir toutes les évenThe Sixth Sense tualités. Sa valeur est plutôt d'inciter les organisations à reconnaître l'incertitude à laquelle elles devront inévitablement faire face. Cet argument n'est pas nouveau, bien sûr, mais ce livre apporte deux contributions importantes. Tout d'abord, il identifie explicitement les barrières individuelles et organisationnelles à la "pensée latérale". En effet, les auteurs prennent le soin de faire un catalogue complet des biais de la perception, des processus sociaux et des politiques institutionnelles qui restreignent la pensée créative. D'autre part, ce livre décrit de façon très utile les différentes étapes d'exploration, d'analyse et de communication essentielles pour que la planification par scénarios ait un impact concret sur la stratégie de l'entreprise. La méthode des scénarios ne doit pas être entreprise à la légère. Des participants représentant un éventail de fonctions doivent être impliqués, et une "personne remarquable" est requise – quelqu'un qui a suffisamment de courage et d'expertise pour remettre en cause la sagesse conventionnelle. Des études de cas illustrent le processus recommandé par les auteurs, remarquablement similaire à ce que font certains médiateurs talentueux lors de conflits complexes. Ici, cependant, le facilitateur externe utilise intentionnellement les scénarios pour créer les turbulences internes nécessaires pour faire jaillir la créativité et l'apprentissage. Dans cet ouvrage, par ailleurs très bien référencé, deux omissions sont curieuses. Bien que les auteurs préconisent de casser l'apprentissage "à simple boucle" (mettre en cause les cadres et hypothèses tacites), ils ne font aucune référence aux travaux pionniers de Donald Schon et Chris Argyris, qui offrent pourtant un éclairage puissant et pratique. On ne trouve pas non plus de mention du courant de pensée émergent qu'est la prise de décision "naturaliste", même si elle fait appel aux mêmes principes pour donner un sens à une situation complexe. En fait, "l'adaptive learning", préconisé par l'ouvrage est une version macro de ce que l'on appelle la boucle OODA (observation-orientation-décision-action) que les pilotes de chasse utilisent en temps réel pour survivre en milieu hostile. Les lecteurs que cela intéresse pourront explorer les dynamiques communes de la stratégie d'entreprise et de la guerre sur www.belisarius.com. m • N° 111a 7 pour aller plus loin Abonnés e-xecutive, retrouvez sur votre site Internet privatif les idées clés de cette synthèse sous forme graphique, ainsi que les articles mentionnés en sources complémentaires. conseils de lecture e livre fait l'apologie du raisonnement par scénarios, présenté par les auteurs non seulement comme une technique, mais comme une "hygiène de vie" qui doit permettre à chacun d'améliorer sa capacité de réflexion et de perception de son environnement. Une première partie de l'ouvrage synthétise les travaux de divers sociologues et chercheurs en management pour analyser les problèmes que rencontrent les entreprises face à des situations incertaines. Les auteurs montrent de façon systématique en quoi la planification par scénarios répond à ces problèmes. La deuxième partie est consacrée à la description de la démarche et à des conseils sur sa mise en œuvre. C - Nous vous recommandons de commencer votre lecture par celle du premier chapitre, consacré à la nécessité de mieux prendre en compte la diversité des avenirs possibles. Si les idées exposées ne sont pas révolutionnaires – chacun sait que l'incertitude est mal maîtrisée par les entreprises – les exemples détaillés de Xerox, Yahoo!, Lego, Tetra Pak et Nokia suscitent une prise de conscience salutaire sur les conséquences possibles d'une mauvaise anticipation de l'évolution de son environnement. - Si les biais de la prise de déci- sion vous sont familiers, vous pourrez vous dispenser de la lecture des chapitres 2 à 4. Ceux-ci présentent néanmoins une synthèse extrêmement claire des enseignements de différents courants de recherche sur ce sujet. Les biais personnels sont développés en chapitre 2, les travers liés au fonctionnement des organisations en chapitre 3, et ceux liés aux cultures d'entreprises et nationales en chapitre 4. - Pour comprendre ce qu'est la vertus, vous vous reporterez en priorité au chapitre 6, qui en expose les grands principes. Assez théorique, ce chapitre présente les limites de la pensée rationnelle et les vertus de la pensée systémique, le concept de "modèles mentaux", qu'il convient de rendre conscients, ainsi que les vertus de l'apprentissage "à double boucle" cher à Chris Argyris. Il est complété utilement par le chapitre 7, qui présente la méthode pas à pas. En particulier, nous vous conseillons les pages 224 à 228 qui constituent une check-list très complète. - Vous pourrez compléter votre lecture par celle du chapitre 8, qui présente différents cas d'application de la planification par scénarios. Enfin le chapitre 5, qui retrace l'historique de la méthode des scénarios, constitue un complément utile pour accroître sa culture générale. planification par scénarios et ses Vous pouvez vous procurer l'ouvrage sur www.manageris-executive.com sources complémentaires De l'anticipation à l'action Strategy under uncertainty Michel Godet – éd. Dunod. (Livre et synthèse Manageris N°18b) McKinsey. (Article accessible en ligne) Tirer parti des meilleurs outils d'analyse prospective. Visionary Leadership Burt Nanus – éd. Jossey-Bass. (Livre et synthèse Manageris N°16b) Développer une vision mobilisatrice reposant sur différents scénarios d'avenir. Un éclairage sur le champ de pertinence de la méthode des scénarios. A strategy for supporting innovation and growth in times of high uncertainty Arthur D. Little. (Article accessible en ligne) Un processus de réflexion stratégique faisant appel à la méthode des scénarios. Understanding the business future Arthur D. Little. (Article accessible en ligne) Un exemple de scénarios construits à partir des évènements du 11 septembre 2001. The Logic of Failure Dietrich Dörner – éd. Perseus Books. (Livre et synthèse Manageris N°76b) Mieux décider face à la complexité. MANAGERIS • 28, rue des Petites Écuries - 75010 Paris • Tél : 01 53 24 39 39 • Fax : 01 53 24 39 30 • E.mail : [email protected] Directeur de la publication : Etienne Baërd Rédactrice en chef : Chrystel Martin Direction : Sabine de Virieu Service commercial : Marcelina Labare Solutions Intranet : Alexis Nicolas Relations abonnés : Sofia Polini 8 m • N° 111a Publication mensuelle composée de 2 synthèses, éditée par Manageris, SA au capital de 43 584 € – RCS B 388 524 290. Commission paritaire : 74245 – ISSN : 1243-3462 Maquette : Barbary&Courte Impression : Promoprint. Copyright 2003. 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