Est-on alcoolique à vie ? Pour en finir avec certaines idées reçues L

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Est-on alcoolique à vie ? Pour en finir avec certaines idées reçues L
Est-on alcoolique à vie ? Pour en finir avec certaines idées reçues
L'alcoolique qui s'arrête de boire pour effectuer un sevrage caresse un rêve : celui de cesser de boire pendant le temps
nécessaire à bien évacuer toute trace d'alcool de l'organisme, et ensuite, après cette purification, de pouvoir reboire
normalement, comme tout le monde mais, cette fois, raisonnablement.
Une personne qui a un usage nocif de l'alcool, qui s'alcoolise trop, ou trop fréquemment, est capable de diminuer sa
consommation d'alcool si elle n'est pas alcoolique au sens strict, c'est-à-dire si elle n'est pas alcoolo-dépendante.
Mais si elle l’est devenue, elle n'a pas, ou elle n'a plus, la capacité de maîtriser sa consommation d'alcool. Elle ne peut
désormais ni la diminuer durablement, ni l'arrêter, malgré les dégâts causés, malgré la connaissance des conséquences
néfastes.
Un alcoolo-dépendant, dans l'alcool, ne peut pas s'empêcher de boire. Ceci est vrai pour les buveurs quotidiens comme
pour les alcooliques intermittents. Il est donc fondamental de faire le diagnostic de dépendance, puisque le
"consommateur excessif", dûment informé des risques qu'il encourt, peut arrêter sa consommation, ou la diminuer,
alors que le dépendant en est incapable.
Taper "suis-je alcoolique ?" sur Google, et passer les questionnaires Audit, DSM IV… donne de bonnes premières
indications. En cas de dépendance, dans l'état actuel des connaissances avérées, la condition nécessaire pour enrayer la
maladie est l'abstinence : totale, définitive, l'abstinence complète. C'est le fait brut, sans considération sentimentale : si
l'on cesse de boire, la maladie est endiguée.
Je ne connais pas, et les associations d'entraide non plus, de cas d'alcoolo-dépendants confirmés qui puissent reboire
impunément. Dans les zones cérébrales impliquées, dans le fonctionnement des neurotransmetteurs, il s'est produit des
modifications définitives. Si on remet de l'alcool dans le circuit, les mécanismes acquis sont réactivés instantanément,
comme jadis. Autrement dit : alcoolique un jour, alcoolique toujours.
Il n'y a donc pas d’anciens" ou "ex-alcooliques", il y a des alcooliques qui boivent, et des alcooliques rétablis qui ne
boivent pas du tout d'alcool. Des alcooliques abstinents qui sont toujours des alcooliques, mais sans présenter aucun
des symptômes de l'alcoolique "en activité".
Le temps d'abstinence ne fait rien à l'affaire : si un alcoolique reboit un verre, après deux ans, dix ans, vingt ans, s’il
oublie qu’il est alcoolique, il rechute. C'est à dire qu'immédiatement, ou après un court laps de temps, il va se remettre
à boire comme avant, à nouveau sans pouvoir s'arrêter. La rechute peut être plus ou moins grave (elle peut être
mortelle), plus ou moins longue, mais il y a rechute, et en aucun cas une simple reconsommation, ni une nouvelle
virginité.
Par rapport à l'ingestion d'alcool, un alcoolique est toujours alcoolique, sa vie durant.
Poser cette question "Est-on alcoolique à vie ?" laisse entendre en filigrane qu'on voudrait bien que ce ne soit pas le cas.
L'alcoolisme demeure quelque part une déficience honteuse. C'est un mot précis mais qui reste aussi une injure. Pour
passer l'éponge, effacer le passé, il faudrait que le comportement redevienne socialement normal, que l'alcoolique,
maintenant assagi, puisse boire "comme tout le monde". Sinon la réintégration dans le troupeau n'est pas complète, la
stigmatisation demeure.
Ce que les gens ne voient pas d'emblée, ni les abstinents de fraîche date, ni le reste de la société, c'est qu'être
alcoolique à vie est plus proche de la bénédiction que de la calamité. L'alcoolique qui durablement ne boit pas d'alcool,
peut se rétablir dans tous les autres aspects de son existence et, souvent, avoir une vie meilleure que dans la partie
alcoolisée. L'abstinence est le passage obligé qui lui permet de reconquérir qualité de vie, liberté, bien-être.
Mais, pour l'instant, l'image déplorable de l'abstinence occulte encore souvent cette perspective.
Combattre l'alcoolisme : la thérapie la plus efficace, c'est le groupe d'entraide
ALCOOL. L'alcoolisme est une maladie dont on ne guérit pas. Mais pour mieux la vivre, il convient de s'arrêter de boire
non pas ponctuellement mais sur une longue durée. Le groupe d'entraide offre une chance de maintenir l'abstinence
Quand on envisage un sevrage, le mieux est de prendre contact avec un centre d'alcoologie, un "Centre de soins
d'accompagnement et de prévention en addictologie" (CSAPA), ou avec une association d'entraide. En tout cas cesser
d'essayer d'arrêter de boire tout seul dans son coin : c'est un effort très pénible et, le plus souvent, voué,
répétitivement, à l'échec.
Le soutien médical permet un sevrage, hospitalisé ou ambulatoire c'est à voir pour chaque cas, dans de bonnes
conditions de sécurité. L'état général est traité, l'angoisse calmée, la dépression éventuelle aperçue.
Le sevrage n'est pas une cure en soi
Mais le sevrage, même hospitalier, n'est pas une cure en soi et ne résout rien à terme : c'est seulement "une vidange",
le pied à l'étrier.
Le problème n'est pas seulement d'arrêter, mais de continuer à arrêter de boire. Ce qui est très difficile dans la durée,
compte tenu des changements d'humeurs inévitables et des émotions ressenties qui provoquent, chez le nouvel
abstinent, de violents appels d'alcool (craving). Si l'on est isolé, la reprise de consommation est quasi inévitable, même
avec une volonté de fer.
Pour qu'un alcoolique aille bien, longtemps, il faut qu'il cesse de boire complètement, qu'il devienne abstinent. Alors il
peut soigner son psychisme en se souvenant de ses décisions, de ses découvertes, des mesures à prendre, sans tout
remettre en cause, une énième fois, sous l'effet de l'alcool, et repartir, toujours, de plus bas.
Il existe beaucoup d'aides : les CSAPA déjà cités, avec médecins attachés et psychothérapeutes, son propre médecin s'il
est familiarisé avec l'alcoologie (ce qui n'est pas toujours le cas).
La thérapie la plus efficace : le groupe d'entraide
Les psychothérapies extérieures sont légion : thérapies cognitive et comportementale, gestalt, psychanalyse, PNL,
méditation… elles peuvent toutes apporter un complément utile au soin de l'alcoolique. Mais, en dehors des TCC, elles
n'ont rien de spécifique pour le problème alcoolique proprement dit, qui est tout de même une dépendance spéciale, ni
un symptôme, ni une addiction assimilable à n'importe quelle autre.
Ce qui s'est révélé, depuis longtemps, être le soutien thérapeutique le plus efficace est le groupe d'entraide. Bien plus
que de suivre seulement une psychothérapie individuelle. A un an, il offre deux chances sur trois de maintenir, ou
d'acquérir, l'abstinence.
Nuançons : beaucoup d'alcooliques ne s'arrêteront pas de boire avant leur mort, certains rechutent fréquemment, et
une fraction peut se sentir encore plus mal abstinente que dans l'alcool.
Il n'empêche que deux tiers d'alcooliques qui peuvent s'arrêter durablement de boire, quand ils sont informés de leur
maladie, et qu'ils utilisent le moyen le plus efficace de s'en sortir, le groupe d'entraide, c'est une espérance, fondée,
considérable. Il ne s'agit pas de négliger les autres apports mais de bien voir que c'est la thérapie la plus aidante, et
qu'elle est spécifique.
Se sentir en confiance sans alcool
C'est la plus à même de fournir aux alcooliques l'expérience, le soutien moral constant, la disponibilité, les bases de
l'indispensable identité nouvelle. Comment bien vivre, sans boire d'alcool, dans une société où il est omniprésent, sans
se sentir en danger mais en confiance, comment gérer ses relations à autrui, ses émotions et sentiments, ses objectifs
de vie sans le moindre recours à l'alcool ? Réponses dans le groupe d'entraide.
La prévention initiale de l'alcoolique à son encontre vient d'une déformation psychologique : au cours du temps l'envie
et la capacité de communiquer se détériorent, l'alcoolique se renferme, et veut s'en sortir seul. Les médecins ne
devraient pas prendre cette réticence pour argent comptant. Ils devraient insister, prescrire le groupe, et le considérer
comme un de leurs instruments de soin.
L'alcool dépendance est une maladie qui s'enraye, mais qui ne guérit pas. Le péril primordial peut réapparaître à chaque
instant. L'outil principal adapté à la contenir, et à bien vivre avec elle, existe.
Comment s'assumer en tant qu'alcoolique abstinent ?
SANTE. Ne pas boire d'alcool est ce qui différencie le malade du reste de la société. Le psychologue Pierre Veissière livre
ses conseils pour apprendre à passer outre le regard des autres et vivre au mieux ce changement. Pour que le bien-être
revienne.
L'alcoolique doit apprendre, comprendre, puis accepter qu'il soit atteint d'une maladie progressive et mortelle. Sa
dépendance ne guérira pas. La maladie, pour ne pas empirer, exige l'abstinence.
Cette abstinence paraît un repoussoir, tant à l'alcoolique qu'à la société. Or ceci est un préjugé social, et une conviction
de drogué enferré dans des habitudes puissantes.
Ne pas boire d'alcool est la seule différence intrinsèque qui distingue l'alcoolique du reste de la société. C'est un
changement démesuré à effectuer et, rationnellement, une modification infime. Un détail qui change la donne car il est
vital.
Vivre l'abstinence comme une nouvelle vie
Dans un premier temps il faut donc tout mettre en œuvre pour que cette abstinence s'installe, qu'elle s'affermisse,
qu'elle dure. Il faudra connaître les situations à risque, et prendre les précautions indispensables pour écarter les
tentations, quelle que soit leur vigueur.
On s'efforcera de respecter au départ l'abstinence, stricto sensu l'abstention d'alcool, puis on la considèrera comme une
conduite incluant l'abstention, mais s'élargissant à une façon de vivre qui la permette en permanence, et s'ouvre vers
une vie de qualité.
Car se contenter de ne pas boire d'alcool, n'est pas tenable, n'est pas une vie, n'a pas de sens. On fera le pari d'une vie
nouvelle, d'une nouvelle aventure, arrosée d'eau cette fois. Beaucoup d'alcooliques sont des aventuriers fourvoyés,
capables de vivre avec des perspectives nouvelles et assainies.
Le choc difficile avec le regard de la société
Comme on ne peut pas préjuger de la compréhension actuelle ou ultérieure de la société, la participation à un groupe
d'entraide est la meilleure façon de puiser des forces suffisantes, d'apprendre comment faire pour rester abstinent sans
souffrir, ne pas se sentir trop seul, évacuer honte et culpabilité, être soutenu et aidé quelle que soit l'heure, acquérir les
rudiments de sa nouvelle identité.
Cette dernière est indispensable car la société ne comprend pas, pour l'instant, ce qu'est un alcoolique abstinent. A la
différence de l'ivrogne, il n'a aucune visibilité dans le monde. Il doit se débrouiller pour que, quel que soit le contexte, sa
décision et sa condition particulière soient respectées.
Apprendre à dire non, malgré le regard interrogatif ou réprobateur d'autrui, ne pas se laisser servir automatiquement,
demander fermement un jus de fruit ou une eau minérale, oser dire à des proches bienveillants si les circonstances s'y
prêtent : "je suis alcoolique, je ne peux pas boire d'alcool", se font d'autant plus facilement que la décision de rester
abstinent est, constamment, inébranlable.
Ce n'est pas toujours facile au début, mais ça le devient progressivement. Si la décision est franche, les impulsions
d'alcool s'estompent avec le temps, jusqu'à disparaître, en quelques mois, complètement. Le travail sur soi, le passage
d'une condition d'alcoolique "en activité" à celle d'alcoolique abstinent, bouleversent le paysage.
L'alcoolique abstinent, espèce en voie d'apparition
Quitter l'abus, apprendre la sobriété mentale et émotionnelle, se mettre moins en avant, préférer l'intensité à l'excès,
rester dans le présent, être attentif aux sensations saines, permettent la renaissance du désir, la diminution de l'anxiété,
l'impression d'utilité retrouvée, l'apparition d'un confort de vie. L'entourage reprend confiance en vous, les
responsabilités choisies reviennent. Et, après la libération, se profile la liberté. La morale est reconstituée, les objectifs
de vie sont revus dans un souci de cohérence entre elle et le désir. Les visées d'ordre spirituel paraissent souvent alors
bien préférables aux satisfactions matérialistes et uniquement égoïstes.
Tout ceci se fait petit à petit. S'installent un calme significatif et une confiance en soi qui permettent de maintenir,
désormais sans problème majeur, l'indispensable abstinence. Sans préoccupation démesurée du qu'en-dira-t-on.
Ni paria, ni bête curieuse ou ovni, l'alcoolique rétabli est un alcoolique abstinent à l'aise. Une espèce en voie
d'apparition !