ELEMENTS DE REFLEXION POUR UNE - CFE

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ELEMENTS DE REFLEXION POUR UNE - CFE
PLAIDOYER POUR UNE SOUS-TRAITANCE MAITRISEE DU S2
On entend actuellement ré-émerger dans l’institution des critiques visant le corps des
psychologues.
HIER…
La situation n’est pas nouvelle. Flash-back : durant l’hiver 89/90, la Direction de
l’Orientation succède à la MCIP dans un contexte agité. Il est alors reproché aux
psychologues d’entraver la bonne alimentation du dispositif de formation. Jean-Pierre
Soissons, ministre du travail, effectue une visite inopinée au SOP de Compiègne. Il y
rencontre une personne attendant d’entrer en formation depuis près de 18 mois,
après avoir été reçue, évaluée, et affectée en stage en deux semaines par un
psychologue du travail. Mais entre temps, le stage a été déprogrammé, puis
reprogrammé pour des CIF, puis le titre homologué sous une autre appellation…Le
futur stagiaire demande simplement une date approximative d’entrée, afin de gérer
l’attente…A l’époque, cet épisode avait donné lieu à une communication dans la
publication interne qui s’appelait « Hors-Format ».
Comme on le voit, les acteurs changent, le temps passe, la comptabilité analytique
mise en place, les nouvelles technologies s’implantent (record national : 3H40 pour
une réservation en stage sur OSIA), mais l’alimentation du dispositif présente
toujours quelques difficultés, entre formations à demandes pléthoriques et formations
à demandes déficitaires. Bien sûr, beaucoup de facteurs complexes et externes à
l’institution y contribuent.
AUJOURD’HUI
Aujourd’hui, les psychologues se trouvent de nouveau en ligne de mire à cause de
leurs inquiétudes concernant la sous-traitance des étapes II et III du S2 (appui à la
construction et validation d’un parcours de formation). Fortement liée à l’alimentation
des dispositifs de formation AFPA et hors AFPA, cette prestation constitue depuis la
réorganisation de la gamme de services d’orientation en 1999 le noyau dur technique
et financier de l’activité des CROP (80% - en moyenne nationale 350 S2 annuels par
psychologue, pour un total de 210 000 personnes accueillies). De quoi s’agit-il ?
Le S2 constitue un sous-ensemble du service intégré ANPE/AFPA d’ « appui à la
construction d’un projet professionnel » (dont l’ANPE assure la maîtrise d’œuvre),
lorsqu’il fait suite à l’entretien réalisé par un agent de l’ANPE. Ce dernier prescrit un
S2 lorsqu’il a identifié un déficit de compétences ou de qualification pouvant être
compensé par un parcours de formation ; temps moyen de face à face : 10 à 15
minutes, pour concevoir un projet et identifier l’écart en terme de qualification
(comment pourrait-il en être autrement, eut égard à la « volumétrie des flux à traiter »
pour emprunter le verbiage technocratique ?). Le psychologue intervient à postériori
sur prescription pour construire le parcours de formation permettant de combler
l’écart repéré.
Bien entendu, la réalité est différente ; les psychologues sont très souvent amenés à
constater l’inadéquation du supposé projet (les problématiques d’orientation, pour les
jeunes et les adultes reçus dans le cadre du PNAE, sont en effet massives). Mais ils
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n’ont pas la maîtrise du processus d’orientation, (on ne le leur demande pas),
puisqu’ils interviennent en aval comme sous traitants techniques pour le compte de
l’Agence, sur des actes centrés essentiellement sur de l’évaluation et de l’affectation
en formation, en fonction d’une prescription qui leur échappe.
En raccourci, leur mission, via le conseiller professionnel, participe essentiellement à
la transformation de demandeurs d’emploi aux problématiques les plus diverses, en
demandeurs de formation, puis en stagiaires. Mais le cœur du problème d’une
grande partie de ces personnes, l’absence sidérale d’un projet d’orientation
professionnelle construit, validé, et surtout intégré, n’a pas pu être pris en compte.
Et, en dépit d’un contexte de taylorisation productiviste quelque peu déconnecté des
réalités humaines de l’orientation professionnelle, lorsque le psychologue y parvient,
c’est bien souvent pour se retrouver paradoxalement confronté à un déficit de places
sur le parcours de formation ainsi élaboré…
UN « TRAITEMENT » DE MASSE REDUCTEUR DES COMPETENCES
En résumé, les psychologues de l’AFPA sont aujourd’hui conduits pour l’essentiel de
leur activité à produire du traitement de masse de la demande d’emploi, en soustraitance technique de l’ANPE, qui ne relève pas d’un travail d’orientation (il n’est pas
anodin que le mot ait disparu du référentiel de prestations, ni que le tout nouveau
service, dit « bilan de compétences approfondi » relève de la maîtrise exclusive de
l’ANPE, y compris financière).
Ce processus se révèle tout à fait contre-productif en termes de réelle qualification
professionnelle pour une partie des demandeurs d’emploi ainsi « traités », mais
aussi…pour les psychologues eux-mêmes, qui cheminent à grands pas vers leur
déprofessionnalisation.
Car, pour une telle activité, point besoin d’une formation à bac + 5 assortie d’un titre
professionnel protégé par la loi, ce constat validant paradoxalement le discours de la
DRH suivant lequel les psychologues seraient trop bien rémunérés pour ce qu’on
leur demande de faire, lesquels présentent de surcroît des spasmes déontologiques
déplacés…
UN DEFICIT DE POLITIQUE DE L’ORIENTATION PROFESSIONNELLE
La réalité, c’est que les pouvoirs publics, via le Ministère de l’Emploi, notre tutelle, ne
sont pas en mesure de définir une commande claire et techniquement construite,
intégrée dans une politique cohérente de l’orientation professionnelle et de la
psychologie du travail, vis à vis des psychologues de l’AFPA. De la psychométrie
originelle visant l’alimentation du dispositif, l’activité s’est élargie depuis plus d’une
vingtaine d’années vers la redynamisation, la recherche active d’emploi, les plans de
« décrutement », le reclassement des personnes handicapées, en passant par le
bilan de compétences, le recrutement, le conseil en entreprise, la formation, le suivi,
l’accompagnement,…et le S2.
Bien sûr, toutes ces activités présentent en soi leur intérêt lorsqu’elles sont prescrites
de façon pertinente. Mais il est grand temps désormais de définir rationnellement qui
fait quoi, suivant quels processus de prescription, sous quel volume, à quelle place,
en fonction de quelle organisation dans les services d’orientation. Et surtout, il est
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temps de cesser les changements de cap à 180 degrés suivant l’air du temps, pour
se recentrer de façon pragmatique et opératoire sur les vraies demandes et les réels
besoins, tels qu’ils sont repérés au quotidien par les praticiens, et de travailler dans
la durée.
ET LA SOUS-TRAITANCE DU S2 DANS TOUT CECI ?
Au risque de jouer l’avocat du diable, il faut réfléchir à cette situation paradoxale en
intégrant tous ces éléments. Stratégiquement et professionnellement, pour les
psychologues de l’AFPA, plusieurs arguments plaident en effet pour une soustraitance partielle et contrôlée du S2 :
1) La tutelle peut décider en rétorsion de confier la maîtrise d’œuvre financière
de cette activité à l’ANPE, qui se trouvera du coup en mesure de décider de
sous-traiter à qui elle veut bien (comme pour le BCA), sous les volumes
qu’elle aura choisis. Les risques pour les emplois seraient alors élevés, car
c’est en l’occurrence le caractère de mono-activité qui apparaît le plus
dangereux.
2) La sous-traitance contrôlée d’une partie des S2 permettrait de retrouver une
pluri-activité, d’employer le temps ainsi dégagé sur d’autres champs
d’intervention plus en adéquation avec leur polyvalence professionnelle et les
réels besoins d’une partie des personnes exclues du marché du travail, mais
aussi des entreprises, des collectivités, des fédérations professionnelles, des
partenaires de toutes natures. Les besoins sont énormes, les possibilités
d’intervention très larges.
3) Conserver 80% de l’activité sur le S2 revient de fait à valider les arguments en
vogue actuellement selon lesquels les compétences des psychologues de
l’AFPA se limiteraient pour l’essentiel à l’alimentation des dispositifs de
formation, que la qualification professionnelle de Psychologue telle qu’elle est
définie par la loi n’est alors pas indispensable, et qu’un corps de 700
praticiens apparaît du coup plus que suffisant pour mener à bien cette
mission…
…Et que par conséquent, les activités relevant du titre de Psychologue doivent
être réalisées ailleurs. Logique circulaire et pièges potentiels…
Mais comment accepter le principe d’une sous-traitance relative et sous contrôle
sans paraître capituler devant les injonctions et les pressions parfois brutales de
certains hiérarchiques ? De plus, des garanties doivent être exigées sur les
modalités de sous-traitance, comme : définition négociée avec les représentants du
personnel des volumes pour chaque CROP, participation à l’élaboration du cahier
des charges, au choix des partenaires, accompagnement, éventuellement formation
des intervenants, évaluation des résultats, suivi régulier entre les sous-traitants, les
représentants du personnel et les directions des CROP. Etc.
C’est tout l’enjeu d’une réflexion lucide face à une situation piège. Mais en est-il
encore temps ?
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Jérôme Reiffer
Psychologue du travail, chef de projet orientation
Direction Technique, Centre Régional d’Orientation Professionnelle de Montpellier
Novembre 2001
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