Ô TEMPS, SUSPENDS TON VOL !

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Ô TEMPS, SUSPENDS TON VOL !
BANQUIERS 1845
REVUE DES MARCHÉS
TRIMESTRIEL
J UILLET 2016
Ô TEMPS,
SUSPENDS TON VOL !
EN BREF
Le choc du «Brexit» a secoué tous les marchés. Ses conséquences effectives seront moindres que
dans les scénarios-catastrophe, mais l’incertitude va comprimer la valorisation des actifs risqués. Le Brexit ne doit pas faire oublier la toile de fond : le cycle économique et financier
mondial a entamé sa phase descendante, mettant sous pression les marges bénéficiaires, sans
parler de la solvabilité des débiteurs exposés. Les efforts des banques centrales retarderont
l’ échéance mais n’aboliront pas le cycle. Les marchés financiers se retrouvent ainsi en équilibre
instable, secoués par des épisodes d’aversion pour le risque. Dans ce contexte, il convient de
stabiliser les portefeuilles : réduire les thématiques trop volatiles, introduire quelques actifs
défensifs, tout en gardant confiance sur les actions qui présentent un rapport rendement/
risque attrayant.
NOTRE STRATÉGIE
Ces derniers mois, nous avions réduit notre exposition aux
marchés émergents, aux matières premières, ainsi qu’au
secteur financier, mais sans sacrifier les actions de cœur de
portefeuille.
C’est surtout parmi les instruments à revenu fixe et alternatifs que nous avons opéré une sélection afin de renforcer le
rôle stabilisateur de ces compartiments.
Nous avons introduit ainsi deux positions défensives : des
obligations du Trésor américain et de l’or. Ces deux protections visent des sources de risque différentes : nous le discutons dans nos conclusions de placement.
Malgré ces achats, nos réserves de liquidités ont augmenté
dernièrement. Nous comptons tirer parti de la volatilité probable des marchés pour en redéployer une partie, mais sans
prendre de pari directionnel. Notre objectif est au contraire
de stabiliser les portefeuilles en équilibrant au mieux les différentes sources de risque et de rendement.
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KEEP CALM AND CARRY ON
Commençons notre tour d’horizon par une analyse «à chaud»
des conséquences du Brexit. Les incertitudes politiques nous
paraissent plus importantes que les effets macro-économiques.
Tout d’abord il convient de rappeler que les échanges de biens
et de services, ainsi que la plupart des flux d’investissement
sont largement libéralisés sous l’égide de l’OMC et de L’OCDE,
pour ne citer que celles-ci, dans un cadre qui dépasse largement le territoire de l’Union européenne. Celle-ci constitue
certes une intégration plus profonde, mais qui fonctionne déjà
«à plusieurs vitesses» : le Royaume-Uni n’est membre ni de la
zone euro ni de l’espace Schengen. L’accès au marché unique
est certes un atout considérable, mais à l’époque de l’internet
des objets et de l’automatisation, un droit d’établissement n’est
vital que pour les services financiers de détail, les sociétés de
transport, et pour la libre circulation des personnes.
Albion n’a jamais perdu le goût du grand large : si l’on considère
l’ensemble des sociétés britanniques comprises dans l’indice
Stoxx 600, les marchés extra-européens représentent 55% de
leur chiffre d’affaires, contre 18% pour ceux de l’UE. Le principal effet macroéconomique du Brexit découlera de reports de
décisions d’investissement productif – tant pour les entreprises
britanniques que pour celles de l’UE. La place nous manque ici
pour parler d’autres effets macro-économiques, mais en synthèse, il convient de revoir en baisse les objectifs de croissance
du PIB. En première approximation, on peut soustraire 1½% au
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taux de croissance prévu pour 2017 au Royaume-Uni, ½% dans
l’UE, mais pas plus de 0,2% aux États-Unis ou au niveau
mondial.
Ce léger fléchissement semble suffisant pour inciter la Fed à
reporter le prochain relèvement de ses taux directeurs, probablement à décembre. La réaction de la BCE est plus complexe
à analyser. Elle va probablement rendre encore plus attrayantes
les modalités de financement direct des banques (TLTRO) ou
encore prolonger le QE dans le temps, mais il est douteux
qu’elle augmente le montant de ses achats, puisqu’elle a déjà
évincé (crowded out) du marché des Bunds les investisseurs
privés et ne trouve pas suffisamment de titres Investment Grade
pour son nouveau programme (CSPP).
Si l’aversion pour le risque augmente à nouveau, il est probable
que les obligations italiennes et espagnoles soient attaquées.
Si la BCE décide alors de soutenir ces deux marchés, elle devra
réviser la clé de répartition de ses achats entre États, clé qui
découle indirectement des traités européens constitutifs. C’est
donc une partie délicate qui peut s’ouvrir à tout moment, et il
convient de surveiller les spreads sur les débiteurs souverains
dits périphériques.
Un dernier mot sur la BCE : une retouche modeste de son taux
de refinancement, de -0,40 à -0,50% est possible, mais une
baisse plus franche sera difficile, car les taux négatifs mettent
en danger la profitabilité des banques. Or plusieurs d’entre elles
présentent un taux de levier excessif ou une trop forte proportion de débiteurs douteux. On l’a vu depuis plusieurs mois, et à
plus forte raison depuis le 23 juin : tout épisode d’aversion au
risque sur les marchés se traduit immanquablement par de
fortes baisses sur les titres bancaires.
Malgré la fragilité relative de certaines banques, nous ne nous
attendons pas à un effondrement de l’euro, car le dollar n’est
plus vraiment propulsé à la hausse : la forte baisse du taux dollar/
yen, le report de l’action de la Fed ou encore l’approche de
l’élection présidentielle sont autant de facteurs modérateurs.
La BNS est intervenue sur le marché des changes, avant et
après le 23 juin, pour freiner l’appréciation du franc. La partie
est délicate, et il est probable que le franc suisse restera orienté
à la hausse sur le moyen terme, mais la stabilité relative de l’euro contre dollar simplifiera la tâche de la BNS. Il est ira de même
si, comme nous l’avons dit, la BCE se contente d’une baisse
modeste de ses taux directeurs.
Le Brexit a déclenché une correction des actions mondiales.
Les mouvements initiaux étaient indiscriminés, mais depuis
quelques jours, la raison semble revenue et le Brexit devient
logiquement un paramètre parmi d’autres de la dynamique économique et financière mondiale.
Cela dit, il demeurera longtemps source d’incertitude, en raison
du caractère inédit du processus, mais aussi et surtout parce
qu’il révèle les problèmes de gouvernance de l’UE. Dans la plupart des pays membres, un nombre croissant de citoyens
perdent confiance dans la capacité des institutions actuelles à
assurer leur sécurité et leur prospérité, dans l’acception la plus
large de ces deux termes. La plupart des gouvernants en place
sont en position de faiblesse au moment où il leur faudrait faire
preuve de vision pour concilier les avantages du marché unique
et les exigences des citoyens. L’incertitude politique risque fort
de persister en Europe, tout comme elle s’accentue aux
États-Unis.
Cela dit, le Brexit ou l’élection présidentielle américaine ne sont
que deux composantes d’un contexte macroéconomique et
financier passablement déséquilibré. Il est temps d’examiner
celui-ci.
Ô TEMPS, SUSPENDS TON VOL !
L’économie américaine vient de fêter sept ans d’expansion ininterrompue – l’une des plus longues de l’histoire – et l’indice S & P
500 des actions, malgré ses hésitations récentes, s’inscrit en
hausse de 190% depuis le creux de 2009, l’une des meilleures
performances de tous les temps.
L’action des banques centrales a directement contribué à l’expansion du marché du crédit. Selon les données du Global Risk
Institute, l’endettement total a augmenté de 37% depuis 2009,
celui des sociétés non financières, de 115%, et le rythme annuel
s’accélère.
Le débat reste ouvert quant à la contribution effective de la politique monétaire à la croissance macro-économique, mais nul
doute que l’action de la Fed a soutenu la valorisation des
actions, incité les sociétés à remplacer ces mêmes actions par
des titres de dette, et plus généralement poussé les investisseurs vers les actifs risqués.
C’est une source supplémentaire de fragilité pour le système
financier, qui se manifeste à chaque alerte sur la croissance
mondiale. Les banques centrales n’ont pas aboli le cycle
macroéconomique et financier ; elles l’ont peut-être prolongé,
mais elles ont également rendu sa gestion plus délicate.
Malgré les talents de magicien de Ben Bernanke puis de Janet
Yellen, imités par MM. Draghi, Kuroda et d’autres, tout enchantement est destiné à prendre fin. Ce jour est-il arrivé ? Déjà dans
le précédent numéro de la présente Revue, nous soulignions le
scepticisme croissant des investisseurs à l’égard de l’efficacité
de la politique monétaire de la Banque du Japon, puis de la
BCE, tant sur le marché des actions que sur celui des changes.
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LA DÉGRADATION DE
LA PRODUCTIVITÉ, UN MAL COMMUN
Or le cycle progresse : les États-Unis sont en plein emploi et
même si la croissance de l’activité est comparativement faible,
les coûts de main-d’œuvre augmentent de plus en plus vite,
réduisant les marges des entreprises. La progression bénéficiaire décélère, ce qui remet en question la valorisation des
actions, et accentue le risque de défaut sur les titres de dette.
Selon différentes modèles prévisionnels, fondés sur la variation
des prix à la consommation, des salaires et des marges bénéficiaires, on peut craindre une récession à l’horizon 2018.
Pour y échapper, il faudrait que d’autres facteurs de croissance
prennent le relais – mais lesquels ? La Chine est en panne, ou
plus exactement sa croissance est désormais presque exclusivement soutenue par des dépenses d’infrastructure, financées
par l’endettement et peu productives dans l’immédiat. À l’inverse, son outil de production, le célèbre «atelier du monde»,
tourne au ralenti : pratiquement aucun secteur manufacturier
n’utilise ses capacités à plus de 75%. L’activité a certes repris
en Europe, mais tant la zone euro que la Suisse ont désormais
retrouvé un taux de croissance proche de leur potentiel. Sans
même parler du Brexit, on voit mal comment ils pourraient
dépasser ce niveau sans un effet d’entraînement américain ou
chinois.
Un facteur commun sous-tend le tableau : la dégradation de la
productivité. Le phénomène est mondial : les coûts par unité
produite augmentent, les marges bénéficiaires se compriment,
les entreprises réduisent d’autant plus leurs investissements et
un cercle vicieux s’amorce.
A notre sens, seule une reprise de l’investissement en capital
fixe, dans le secteur manufacturier et les services, peut laisser
espérer un redressement de la productivité, qui serait de toute
façon un effort de longue haleine. Pour l’instant, on n’aperçoit
nul signe de pareille reprise dans aucune des grandes économies mondiales.
Pente de la courbe des rendements aux États-Unis et
cours des actions
Taux de change du renminbi et cours des actions US
Obligations du Trésor à 10 ans – obligations à 2 ans (échelle de gauche)
Indice S&P 500 (échelle de droite)
Les zones grisées indiquent les récessions
Source : Federal Reserve Bank of St Louis
Taux de change dollar US/renminbi (échelle de droite)
Indice S&P 500 (échelle de gauche)
Source : Federal Reserve Bank of St Louis
LES MARCHÉS FINANCIERS EN
ÉQUILIBRE INSTABLE
Rendement du dividende comparé aux obligations
Investment Grade
Zone euro
Obligations du Trésor à 10 ans – obligations à 2 ans c. Indice S&P 500
Tandis que la Fed cherche à retarder la décélération du cycle
en reportant les prochaines hausses de taux, la BCE et la
Banque du Japon redoublent d’efforts de relance. Leur action
conjuguée paraît néanmoins soumise à la loi des rendements
décroissants, et suffit à peine à contrer les forces cycliques
sans les vaincre.
Sur les marchés financiers, ce curieux équilibre se traduit par
l’alternance de phases de stabilité apparente, entrecoupées de
sursauts de volatilité (août, janvier, juin), sans qu’une tendance
claire ne se dégage. On croirait assister à une partie de bras de
fer entre deux adversaires de force égale : parfois l’un d’eux
semble prendre le dessus, mais non de manière concluante,
tandis qu’à d’autres moments, l’équivalence des forces les
immobilise.
Cet équilibre inconfortable pourrait se prolonger. Nombre de
facteurs peuvent momentanément faire pencher l’aiguille de la
balance d’un côté ou de l’autre. Plutôt que les décrire tous,
nous les avons résumés dans le tableau ci-dessous.
Rendement moyen des obligations investment grade en euros
Rendement des dividendes sur l’indice Eurostoxx
Source : UBS
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SOURCES DE RISQUE
Incertitudes liées à la négociation de sortie Royaume-Uni/
UE.
Chine : croissance déséquilibrée, endettement, politique du
taux de change.
Échec des Abenomics au Japon.
Blocages politiques en Europe : Espagne, Italie, Allemagne,
France.
Courbe des rendements US la plus plate depuis 2007.
ÉVOLUTIONS POSITIVES
Réaccélération de la consommation US.
Croissance revenue à son potentiel dans la zone euro et en
Suisse.
Relance budgétaire 1 aux US après les élections, au Japon et
en Allemagne (dépenses liées aux migrants).
Poursuite de la politique 1 de la BCE et de la BdJ.
Rendement des dividendes des actions supérieur à celui
des obligations investment grade.
Valorisation des actions : excessive face au ralentissement
bénéficiaire aux US, pas particulièrement attrayante en
Europe.
Tensions dans le secteur financier : exposition à l’énergie,
taux négatifs, sous-capitalisation de certaines banques européennes.
Effets stimulants à court terme, plus discutables à long
terme.
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À SURVEILLER
Signes de reprise dans l’investissement productif, préalable à tout redressement de la productivité au niveau mondial.
CONCLUSIONS DE PLACEMENT
Bien avant le Brexit, les inquiétudes renouvelées sur la Chine
avaient déclenché une forte correction sur les marchés émergents, le secteur manufacturier et le secteur financier. Même si
une reprise est intervenue par la suite, ces thématiques demeurent
à notre sens une source de volatilité, pour les actions des secteurs concernés, bien entendu, mais aussi pour certains instruments à revenu fixe et placements alternatifs. Nous avons vendu
les instruments en question afin de renforcer le rôle stabilisateur
des compartiments obligataires et alternatifs dans les portefeuilles.
Hormis ces ajustements, le cœur de nos portefeuilles n’a guère
varié : le compartiment revenu fixe reste concentré dans les débiteurs privés de première qualité (investment grade), tandis que
l’exposition au high yield se limite à quelques instruments spécifiques. Nous préférons consacrer la majorité de notre «budget de
risque» aux actions.
Comme tous les actifs risqués, les actions sont aujourd’hui tiraillées entre deux forces : soutien par la politique monétaire, et risque
d’une correction de leur valorisation. Mais nombre de blue chips
offrent aujourd’hui des taux de rendement supérieurs aux obligations de bonne qualité. Cela dit, il est vital dans tout portefeuille, de contrebalancer la volatilité inhérente aux actions par
des actifs défensifs. Nous avons ainsi introduit deux positions en
mai dernier :
1.Des obligations du Trésor américain, l’un des actifs-refuge
par excellence, et le seul aujourd’hui qui procure un rendement
positif. Une partie de ce rendement sert cependant à financer la
couverture du risque de change contre le franc suisse ou l’euro.
Même en cas de surprise inflationniste, la correction serait moins
sévère sur le Trésor que sur les débiteurs de moindre qualité.
2.De l’or, sous forme de fonds de placement garanti par des
dépôts physiques. Il ne s’agit pas uniquement d’une protection
contre l’inflation : le cours du métal réagit en fonction inverse des
taux d’intérêt. En dernière analyse, l’or est l’un des seuls actifs
qui puisse nous prémunir des conséquences d’une erreur de
jugement des banques centrales.
Les suites du Brexit ou d’autres risques parmi ceux identifiés
plus haut provoqueront probablement de nouveaux soubresauts
sur les marchés ; nous comptons en tirer parti pour compléter
nos positions en actions, mais sans prendre de grand pari directionnel. Notre objectif est au contraire de stabiliser les portefeuilles en équilibrant les différentes sources de risque et de
rendement.
Patrizio Merciai, Chief Strategist
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Juillet 2016
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