Les sortants de prison : une population fragile et menaçante

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Les sortants de prison : une population fragile et menaçante
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Colloque international
Nantes — 13, 14 et 15 juin 2007
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Les sortants de prison : une population fragile et menaçante
Hélène CHALMETON
Doctorante en droit, université de Nantes
[email protected]
Les personnes qui entrent en prison sont souvent désocialisées et cumulent les handicaps
sociaux. Sans tomber dans un déterminisme sociologique simpliste, de mauvaises conditions
d’existence pérennes précèdent souvent la commission d’un acte répréhensible1 .
Quelques chiffres :
 13 % des personnes incarcérées n’ont aucune couverture sociale et 17% bénéficient de la
couverture maladie universelle (CMU).
 30 % des personnes mises sous écrou sont toxicomanes
 30 % sont alcooliques à leur entrée en détention
 1 200 détenus sont séropositifs déclarés, soit 2% de la population sous écrou
 39 % des détenus ont fait l’objet d’un suivi psychiatrique avant leur incarcération
 Avant l’incarcération, 10% avaient un domicile précaire. 5 % étaient sans domicile fixe.
 15 % des personnes incarcérées sont illettrées, et 40 % n’ont suivi qu’un enseignement de
premier degré. 29 % des entrants ont ainsi échoué au bilan lecture proposé aux personnes
récemment incarcérées.
 21,5 % des personnes incarcérées étaient de nationalité étrangère en décembre 2005
 6 % des personnes incarcérées sont handicapées.
(Sources : Administration pénitentiaire, octobre 2006 ;
Avis n° 94 du CNCCE ;
Rapport enseignement et activité rémunérée, décembre 2004)
1
« La prison, pour une grande part, n’est en effet que le dernier maillon d’une chaîne qui, d’échecs scolaires en
précarités sociales, d’exclusions en discriminations, peut mener peu à peu aux illégalismes et à la délinquance », In
Conseil économique et social, Les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France,
22 février 2006, page 15.
1
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
Ainsi, les personnes incarcérées peuvent être qualifiées de personnes vulnérables2 , malgré de
fait qu’elles aient commis un acte répréhensible3 .
Dans ce contexte de vie difficile, les personnes incarcérées sont souvent mal armées pour
préparer leur réinsertion4 . C’est pourquoi l’État a développé une action publique pour encadrer la
poursuite de cet objectif, prenant ainsi en compte la vulnérabilité des sortants de prison.
Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) a ainsi été créé en 19995 , pour
favoriser la réinsertion des personnes incarcérées, celle-ci étant définie comme « la recherche
fondamentale d’un itinéraire possible : reconstruire les liens brisés avec la famille, donner un temps,
par le travail ou une formation qui prépare une issue hors des impasses d’hier […]»6 .
La préparation de la réinsertion des sortants de prison est souvent une mission délicate pour les
travailleurs sociaux. En effet :
− le plus souvent, les personnes condamnées présentaient déjà les caractéristiques d’une
population problématique lorsqu’elles ont commis l’acte qui les a menées à prison.
− À leur libération, elles connaissent des difficultés supplémentaires pour se réinsérer.
La prise en charge du sortant de prison problématique doit donc avoir lieu dès l’incarcération (I)
et non pas seulement à la libération (II).
I. Possibilités et limites de la prise en charge sociale pendant l’incarcération
L’administration pénitentiaire a une double mission : la surveillance des personnes incarcérées
et la préparation à la réinsertion7 . Cette ambivalence est présente dans tout l’accompagnement
dispensé. La prise en charge médicale, sociale, éducative (A), est ainsi fortement marquée par le
contexte et le lieu dans lesquels elle se déroule (B).
A. La prise en charge des personnes incarcérées
Face à une population fragile, désocialisée, « le service public pénitentiaire doit permettre au
détenu de préparer sa libération dans les meilleures conditions »8 . La reconstruction des individus
est une étape indispensable, avant de penser à préparer la libération.
La prise en charge des personnes incarcérées est assurée par le service pénitentiaire d’insertion
et de probation à titre principal (2), et par le service médical pour tout ce qui relève des soins (1).
2
La vulnérabilité étant ici constituée par les critères suivants : l’échec scolaire, l’absence d’insertion sociale,
l’exclusion du monde du travail, la différence au sens plus large (origine ou nationalité étrangère, handicap,
maladie mentale).
3
Ici, un rapprochement intéressant peut être fait avec la contribution d’Yves Guinard au présent colloque,
« Troubles du comportement, les classes dangereuses sous contrôle ».
4
Toute la population carcérale n’est pas confrontée à de telles difficultés. Par exemple, les criminels et délinquants
« en col blanc » ne manquent pas de moyens d’existence. De plus, leur famille est le plus souvent présente (pour
une approche de la criminalité en col blanc, voir : SUTHERLAND, White-collar crime, the Dryden Press 1949,
pages 9 et suivantes).
De même, dans le cadre de la criminalité organisée, la « famille criminelle » prend le plus souvent en charge les
siens à leur libération (la notion de la famille criminelle est associée à Donald Cressey, in Theft of the Nation, New
York, Harper and Row, 1969).
5
Création par le décret n° 99-276 du 13 avril 1999, modifiant le Code de procédure pénale.
6
Bernard Cassaigne, Revue projet 1/2002.
7
Les missions de surveillance et de réinsertion sont confiées à des services différents : les surveillants de prison,
sous l’autorité des directeurs d’établissement, prennent en charge les missions de maintien de la sécurité. Les
services pénitentiaires d’insertion et de probation, sous l’autorité d’un directeur départemental, assurent la prise en
charge sociale des personnes incarcérées.
8
Article D 478 du Code de procédure pénale.
2
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1. Une prise en charge médicale indispensable 9
Souvent, l’état de santé des personnes incarcérées est dégradé. Faute d’avoir pris soin de leur
santé en liberté, elles découvrent une fois emprisonnées qu’elles sont porteuses de maladies, ou
qu’elles ont besoin de soins de toutes sortes, notamment dentaires, ophtalmologiques et
orthopédiques. Beaucoup ont des pratiques addictives ou souffrent de troubles mentaux10 .
À cet égard, la visite médicale consécutive à l’entrée en détention est importante. Elle a un
double objectif : établir un bilan de santé individuel et recueillir des informations sur l’état de santé
des détenus. Elle doit avoir lieu rapidement, pour déceler toute affection contagieuse ou évolutive,
qui nécessiterait un isolement ou une prise en charge immédiate. L’état vaccinal y est contrôlé.
Des consultations spécialisées peuvent être proposées en cas d’affection mentale, de toxicomanie
ou d’alcoolisme. Le dépistage anonyme et gratuit du sida est également proposé.
La prise en charge des personnes incarcérées et les différents protocoles mis en place11 se
veulent les plus efficaces possibles, malgré le manque chronique de personnel soignant. Des
difficultés du même type, liées au manque de moyens humains et financiers, sont constatées dans
la prise en charge sociale, éducative et professionnelle des personnes incarcérées par le SPIP.
2. L’accompagnement social, éducatif et professionnel en détention
Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ont été créés pour prendre en
charge la préparation à la réinsertion des détenus. Ils « [participent] à la prévention des effets
désocialisants de l'emprisonnement sur les détenus, [favorisent] le maintien des liens sociaux et
familiaux et les [aident] à préparer leur réinsertion sociale »12 .
Selon l’article 24.5 des règles pénitentiaires européennes, « les autorités pénitentiaires doivent
aider les détenus à maintenir un contact adéquat avec le monde extérieur, et leur fournir l’assistance
sociale appropriée pour ce faire ». Le maintien des liens familiaux est en effet un atout pour la
réinsertion future.
De plus, chaque personne incarcérée doit pouvoir rencontrer un travailleur social « dans les plus
brefs délais ». Un projet d’exécution de peine (PEP) 13 doit être élaboré par chaque personne
incarcérée. Il doit être adapté à la durée prévisionnelle de détention et a pour objectif la
réintégration sociale lors du retour à la vie libre. Il peut dans ce cadre être décidé de suivre une
formation, de préparer un diplôme (a) et/ou de travailler (b), ces activités étant considérées
comme des gages de réinsertion et de bonne conduite14 .
a. La préparation de la réinsertion par la formation et les études
Les enseignements en détention sont dispensés chaque année par environ 1 500 enseignants
détachés de l’Éducation nationale15 . Leurs équipes sont renforcées par le GENEPI16 , Auxilia17 ou
9
Avant 1994, les infirmeries étaient prises en charge par le milieu associatif. Depuis la loi du 18 janvier 1994 (loi
n° 94-43 relative à la santé publique et à la protection sociale), elles sont animées par des personnels de santé, issus
du milieu hospitalier, qui interviennent par détachement en milieu carcéral, sur la base du volontariat. La fonction
médicale est exercée au sein de deux unités : les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) pour la
médecine somatique, et les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) pour les soins psychiatriques.
10
Voir chiffres en introduction de la présente contribution.
11
Voir le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, élaboré conjointement
par le ministère de la Justice et le ministère de la santé, septembre 2004 ; et la circulaire n° 27 du 10 janvier 2005
relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à
leur protection sociale.
12
Article D 460 du Code de procédure pénale.
13
Circulaire du 21 juillet 2000, relative à la généralisation du projet d'exécution de peine aux établissements pour
peine, BO Justice n° 83-2001.
14
Article 717-3 du Code de procédure pénale : ces activités sont prises en compte lors des commissions qui statuent
sur les réductions et les aménagements de peines.
15
Sur les conditions d’intervention des enseignants en prison, voir la circulaire du 29 mars 2002, BOEN n° 18 du
2 mai 2002.
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encore le CNED, en fonction des besoins. Les formations dispensées sont essentiellement des
formations de niveau primaire : français langue étrangère, préparation du certificat de formation
générale (CFG)18 , du BEPC ou d’une formation qualifiante (BEP, CAP). La demande de
formations supérieures est moindre, le niveau scolaire des détenus étant en général faible.
Source : Administration pénitentiaire, octobre 2006
En 2005,
. 43 500 détenus ont suivi un enseignement, dont 4 259 un enseignement par correspondance
. 5 000 ont passé des examens
. 74% ont été reçus
. 3 200 ont obtenu le CFG, 70 un diplôme d’enseignement supérieur
. 20 600 détenus ont bénéficié d’une action de formation professionnelle
. 19,6% des adultes incarcérés étaient scolarisés, pour une durée hebdomadaire moyenne de
8 heures.
L’enseignement est pourtant concurrencé par la télévision, le travail et les formations en
alternance, gérées par l’AFPA. En effet, souvent, le choix de se former cède à la nécessité de
travailler pour subvenir à ses besoins ou pour indemniser les parties civiles19 .
b. La restructuration des détenus par le travail
Selon les règles pénitentiaires européennes, « l’organisation et les méthodes de travail dans les
prisons doivent se rapprocher autant que possible de celles régissant un travail analogue hors de la
prison, afin de préparer les détenus aux conditions de la vie professionnelle normale »20 .
16
Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées.
Association d’enseignement par correspondance.
18
Equivalent de l’ancien certificat d’études primaires.
19
Les personnes incarcérées sont exclues du bénéfice des bourses d’enseignement supérieur sur critères sociaux.
Voir
à
ce
sujet
la
circulaire 2004-122
du
21 juillet
2004,
NOR :
MENS0401499C,
www.prison.eu.org/article.php3?id_article=6868
20
Point 26, alinéa 7.
4
17
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Le travail obligatoire a été aboli en détention en 198721 , en même temps qu’était consacré un
droit au travail. Fournir un emploi à toute la population carcérale est pourtant difficile
actuellement, du fait de l’inadaptation des locaux, notamment. En 2005, 21 500 détenus
exerçaient ainsi un travail rémunéré, soit 39% de la population carcérale22 .
L’ANPE est désormais présente en détention, pour conseiller les personnes incarcérées et les
assister dans leur recherche d’emploi, préalable souvent requis pour obtenir une libération
conditionnelle.
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation, chargés d’assurer et de coordonner
l’enseignement et les activités salariées, ont trop peu de personnel, eu égard à l’immensité de la
tâche à accomplir. Actuellement, il y a en moyenne un travailleur social pour 134 détenus 23 . Les
travailleurs sociaux constituent 9% du personnel pénitentiaire, et leur mission représente 11% du
budget global alloué aux prisons24 . De plus, la prise en charge effectuée, aussi complète soit-elle,
est contrebalancée par les effets induits de l’incarcération.
B. L’empreinte de la prison, un contrepoids aux efforts de prise en charge
Les actions entreprises en détention pour resocialiser les personnes incarcérées portent la
marque de la prison, ce qui réduit les bénéfices qui pourraient en être tirés (1). De plus, la prison
est par elle-même un facteur de déstructuration des personnes incarcérées (2).
1. Des efforts de réinsertion entravés par l’empreinte carcérale
Les personnes qui suivent des études en prison disposent d’un livret scolaire carcéral. Si elles
obtiennent des diplômes, ceux-ci indiquent le lieu de leur délivrance, nécessairement à l’intérieur
des murs. De même, les emplois occupés en prison ne donnent pas lieu à la conclusion d’un
contrat de travail25 : la preuve du travail exécuté en détention est fournie par l’établissement
pénitentiaire. Ainsi, la plupart des personnes incarcérées préfèrent laisser un espace sur leur
curriculum vitae que de mentionner les diplômes obtenus ou les activités exercées en détention.
De même, toute personne qui doit renouveler sa carte d’identité ou sa carte d’électeur devra y
faire figurer sa domiciliation, en prison. Cette formalité s’impose aux personnes incarcérées pour
une durée conséquente. Cette longueur des peines a également, en elle-même, une action
déstructurante sur les personnes incarcérées.
2. Les effets déstructurants de la détention : distorsion du temps carcéral
Les personnes incarcérées sont le plus souvent dans l’ignorance de la date effective de leur
libération. Elles en sont réduites aux conjectures. La durée de la peine devient alors une question
lancinante. D’abord pour ceux qui ont été condamnés à une peine de sûreté : pour eux, aucun
horizon avant la fin de cette période26 .
Pour les autres, depuis les lois du 9 août 2004 et du 12 décembre 2005, le crédit de réduction de
peine (CRP) a remplacé les remises de peine pour bonne conduite27 . Il existe trois modes de calcul
distincts de ce crédit de réductions de peines, qui sont fonction de la situation carcérale. S’y
ajoutent deux types de réductions de peine additionnels.
21
Loi n° 87-432 du 22 juin 1987.
Pour mémoire, 44 % exerçaient une activité professionnelle au moment de l’incarcération.
23
Chiffre au 31 décembre 2004, in Rapport d'août 2006, rédigé par l'inspection générale des services judiciaires, sur
le fonctionnement des SPIP (non publié).
24
Conseil économique et social, Les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France, 22 février
2006.
25
Article 720 du Code de procédure pénale.
26
84% des personnes condamnées à perpétuité sont dans ce cas (Anne Kensey, « Durée effective des peines
perpétuelles », Cahiers de la démographie pénitentiaire n° 18, novembre 2005).
27
Article 721 du Code de procédure pénale.
5
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Une réduction de peine supplémentaire, de trois mois par an au maximum ou de deux mois
pour une personne en situation de récidive, peut être accordée par le juge de l’application des
peines si la personne incarcérée « a fait des efforts sérieux de réadaptation sociale »28 .
Enfin, la réduction de peine exceptionnelle est accordée aux condamnés ayant fait des
déclarations de nature à faire cesser ou à éviter la commission d’une infraction relevant de la
criminalité organisée.
Le cumul possible de ces trois types de réductions de peine est l’objet de bien des espoirs et de
beaucoup de déceptions. Le rapport au temps est ainsi distendu pendant l’incarcération.
Pour faire face aux angoisses générées par l’incarcération, la prescription de médicaments,
notamment psychotropes et anxiolytiques, est fréquente. L’administration de ces traitements peut
parfois s’apparenter à une « camisole chimique », et rendre plus difficile la préparation à
l’insertion29 .
Au bilan, à leur libération, les personnes incarcérées ont un double handicap social : leurs
défaillances originelles, qui peuvent rester présentes en dépit de la prise en charge, et le fait de
sortir de prison. Un accompagnement lors de la libération est donc nécessaire.
II. Accompagnement et suspicions à la libération
La sortie de prison est anxiogène pour ceux qui en bénéficient. Elle est présentée comme un
nouveau départ, à des personnes dont le quotidien était souvent difficile avant l’incarcération. Il
existe dans ces périodes une sursuicidité importante.
En effet, certaines personnes incarcérées, notamment pour de longues peines, se sont adaptées
à la détention, qu’elles considèrent comme leur lieu de vie. Témoin cette statistique établie dans le
cadre des états généraux de la condition pénitentiaire : 82% des détenus se déclarent insatisfaits de
leurs conditions de détention30 . Mais que penser des 18% restants, qui se sont acclimatés à
l’enfermement et à son quotidien ?
À la libération, la personne incarcérée doit faire le choix de l’insertion, cette orientation n’étant
pas la plus aisée et la plus naturelle. Dans ce cadre, l’accompagnement est important pour éviter
que la personne libérée soit recrutée dans des réseaux criminels31 .
Mais les mesures de préparation et d’accompagnement de la libération – permission de sortie,
libération conditionnelle –, conçues dans ce but, sont trop peu utilisées.
Selon le comité consultatif national d’éthique, « quand la mission de réinsertion est défaillante,
la sortie de prison devient un facteur de vulnérabilité. Le fait de se retrouver dehors sans repère, sans
formation, sans accompagnement médical et social est source d’exclusion, de désinsertion et de
récidive »32 .
28
Certains critères de cette appréciation sont dressés de manière non exhaustive dans l’article 721-1 du code de
procédure pénale : « en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant
l'acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadre d'un enseignement ou d'une
formation, en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou en s'efforçant d'indemniser leurs
victimes ».
29
Une proportion indéterminée de détenus recherche ainsi cette forme d’évasion qu’est la chape médicamenteuse.
Cette pratique est appelée « fiolage » en détention.
30
www.etatsgenerauxprisons.org/Rapport%20D%E9tenu1.pdf (accessible par ce lien le 25 mai 2007).
31
Voir le cas de Patrick Henry qui, en 2002, a été arrêté en Espagne en possession de 10 kilogrammes de résine de
cannabis achetés au Maroc. Sa liberté conditionnelle a d’abord été annulée. Puis le 22 juillet 2003, il a été
condamné par le tribunal correctionnel de Caen à quatre ans de prison, 20 000 euros d'amende et la confiscation du
4x4 qu'il avait utilisé pour aller au Maroc, enfreignant ainsi sa liberté conditionnelle.
Voir aussi : Nathalie Guibert, « Au tribunal, Patrick Henry n'est pas parvenu à expliquer sa propre énigme », Le
Monde 24 juillet 2003.
32
CCNE, La santé et la médecine en prison, avis n° 94 de décembre 2006, page 37.
6
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Pourtant l’exécution des peines devrait, « dans le respect des intérêts de la société et des droits
des victimes, [permettre] l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la
récidive. »33 Toute l’ambiguïté de la politique pénitentiaire est résumée dans cette phrase, qui
positionne au même niveau deux intérêts dont la poursuite provoque des effets contradictoires.
Les préparatifs de la réinsertion doivent contribuer à limiter la récidive (A), mais dans les faits la
prévention de la récidive entrave plus souvent la mise en œuvre des actions de réinsertion (B).
A. La prise en charge des sortants de prison
Le SPIP doit « susciter et seconder les efforts du condamné en vue de sa réinsertion sociale,
familiale et professionnelle »34 .
Ainsi la prise en charge médicale des sortants de prison est assurée, de même que leur
accompagnement social (1). Mais les aménagements de peine, qui favorisent la réinsertion, sont
peu utilisés (2).
1. L’accompagnement médical et social des sortants de prison
Des aides matérielles et financières sont nécessaires pour épauler les sortants de prison sans
ressources.
Souvent, les personnes qui sont incarcérées ont peu d’économies, et elles ne gagnent pas
suffisamment d’argent en détention pour préparer leur sortie. Toute somme gagnée pendant
l’incarcération est en effet ventilée entre trois comptes internes : la part disponible, qui peut être
dépensée sur place, l’indemnisation des parties civiles, et le pécule de libération35 .
Cette troisième part ne peut être utilisée avant la libération définitive36 , mais elle s’avère
souvent insuffisante si le détenu doit entièrement subvenir à ses besoins, d’autant que depuis
l’adoption du décret du 5 octobre 200437 , le pécule de libération est plafonné à 1000 euros. Cela
entraîne une paupérisation des sortants de prison.
Pour compenser les faibles moyens des sortants de prison, « dans la mesure du possible », les
établissements pénitentiaires doivent leur offrir un soutien matériel : des vêtements à ceux qui
n’en ont pas et ne peuvent s’en procurer ; un kit de libération comprenant des tickets de bus, une
carte téléphonique, des chèques multiservice et un guide réunissant les dispositifs sociaux du
département.
S’ils ne peuvent être rattachés à un autre titre à un régime de sécurité sociale38 , les sortants de
prison bénéficient d’une couverture maladie pendant l’année qui suit leur libération39 .
Un suivi des soins est souvent nécessaire, par exemple pour les personnes qui bénéficient d’un
traitement de substitution. Mais la rupture de soins est fréquente, eu égard aux délais d’attente des
consultations spécialisées de ville. Ainsi les risques de rechute sont importants.
33
Article 707 du Code de procédure pénale.
Voir à ce sujet les principes 6, 24.5, 33.3 de la recommandation Rec(2006)2 du Conseil de l’Europe sur les règles
pénitentiaires européennes.
35
La ventilation des ressources entre ces trois comptes varie en fonction des revenus : la part réservée aux parties
civiles augmente lorsque les revenus augmentent. Le pécule de libération constitue toujours 10% des sommes
gagnées.
36
À moins que la personne incarcérée n’obtienne une autorisation exceptionnelle du chef d’établissement. Ce peut
être le cas si le détenu bénéficie d’une permission de sortie et qu’il ne dispose pas des fonds suffisants pour se
loger. Ou encore lorsqu’il doit effectuer une dépense préalable à sa libération (location d’un appartement, achat
d’un titre de transport). Le pécule de sortie peut enfin être employé durant la détention pour préparer la
réinsertion, par exemple pour payer une formation par correspondance.
37
Décret n° 2004-1072 du 5 octobre 2004 relatif au compte nominatif des détenus, codifié à l’article D 320-2 du code
de procédure pénale : au-delà du plafond de 1 000 euros, les sommes gagnées par les personnes incarcérées servent
automatiquement à l’indemnisation des parties civiles.
38
Le fait qu’ils aient travaillé en détention ne leur ouvre en revanche pas droit à des allocations chômage, ni à des
droits à accéder à la retraite.
39
Articles L 161-13 et R 161-4 du Code de la sécurité sociale.
7
34
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Enfin, le SPIP doit contribuer à la recherche et à la conservation d’un logement par les
personnes libérées. Mais dans ce cadre, comme en matière de réinsertion en général,
l’administration pénitentiaire n’est soumise à aucune obligation de résultat : elle doit seulement
mettre en œuvre les diligences normales pour faciliter la réinsertion.
De même, s’agissant de la préparation à la sortie, le SPIP doit proposer aux personnes
incarcérées une aide pour leurs demandes d’aménagement de peine, mais bien souvent les
demandes sont introduites par les détenus seuls, sans aide ni conseil, ce qui nuit à la solidité de
leurs dossiers.
2. L’accompagnement judiciaire des personnes approchant de la libération
Diverses études ont montré que la réinsertion est améliorée pour les personnes qui ont
bénéficié d’un aménagement de peine40 .
De ce fait, la loi du 9 mars 2004 a créé un dispositif d’accompagnement à la libération, appelé
« sas de sortie ». Il s’agit pour toutes les personnes condamnées à une peine de six mois à cinq ans
de prison de bénéficier d’une semi-liberté, d’un placement extérieur ou d’un placement sous
bracelet électronique. Ce sont aujourd’hui les moyens pour mettre en œuvre ces mesures qui
manquent : ainsi, entre novembre 2004 et mars 2005, 5 500 détenus étaient éligibles à ce
dispositif, mais seules 146 mesures ont été prononcées41 .
La libération conditionnelle42 est considérée comme le mode le plus à même d’éviter la récidive.
Selon le Conseil de l’Europe, il s’agit de « l’une des mesures les plus efficaces et les plus constructives
pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion des détenus dans la société »43 . Ainsi, le
taux de nouvelles affaires est de 13% pour les libérés conditionnels et de 21% pour les personnes
libérées en fin de peine44 .
Pourtant cette mesure est de moins en moins utilisée. En 2001, 9,2% des sortants de prison en
bénéficiaient, contre 5,8% en 2004. La libération conditionnelle est de plus accordée de plus en
plus tardivement. En effet, en 2000, 79% des libérations conditionnelles avaient lieu entre la
moitié et les 2/3 de la peine ; ce n’est plus le cas que de 44% des mesures prononcées en 200445 .
D’une manière générale, les aménagements de peine sont insuffisamment prononcés. Ainsi, au
1er janvier 2006, 1 221 condamnés bénéficiaient d’une mesure de semi-liberté, alors que la capacité
d’accueil des structures dédiées à ce dispositif s’élevait à 2 023 places. Le nombre de placements à
l’extérieur, également, est en diminution : 2 310 placements ont été prononcés en 2005, contre
3 299 10 ans auparavant, soit une baisse de 25%.
Seul le placement sous surveillance électronique46 connaît un fort accroissement, après une
période d’expérimentation : 4 128 mesures ont été prononcées en 2005, contre 2 915 en 2004. Cela
s’explique par le fait qu’une telle mesure n’exige pas la mise en place de mesures de suivi social47 .
Le recours insuffisant à ces mesures est lié, outre au manque de moyens humains pour les
mettre en œuvre, aux craintes des magistrats, et de la société, que des personnes considérées
comme dangereuses récidivent, comme l’illustrent certains faits divers récents48 .
40
Dispositifs prévus aux articles 723 et suivants du Code de procédure pénale.
OIP, Guide du sortant de prison, La découverte 2006, page 80.
42
Organisée par les articles 729 à 733 du Code de procédure pénale.
43
Recommandation du 24 septembre 2003.
44
Annie Kensey, « Longues peines, quinze ans après », Cahiers de la démographie pénitentiaire, Direction de
l’administration pénitentiaire février 2004.
45
Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la Justice, La documentation française, Paris 2005.
46
Articles 723-7 à 723-14 du Code de procédure pénale.
47
Pourtant cette mesure n’est pas toujours bien vécue par les intéressés. S’ils sont conscients qu’il s’agit d’un
moindre mal par rapport à une incarcération, l’atteinte portée au respect de leur vie privée et à leur dignité est
fortement ressentie. La nécessité de respecter des horaires stricts entraîne un stress important (Nathalie Guibert,
« Une étude dresse un bilan contrasté de la mesure », Le Monde 18 décembre 2004).
8
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
De plus, les juges d’application des peines instruisent trop de dossiers pour pouvoir
individualiser chaque cas. Ainsi, le JAP de Moulins suit en moyenne 500 dossiers, tandis que le
JAP de Clermont-Ferrand a la responsabilité de 1 500 condamnés49 .
Ainsi, les actions mises en œuvre au bénéfice des sortants de prison sont contrecarrées par les
politiques publiques développées pour assurer et renforcer la sécurité publique.
B. Une méfiance judiciaire préjudiciable à la réinsertion des sortants de prison
Les sortants de prison, population fragile, sont perçus comme avant tout dangereux, à la fois
par les médias et par les pouvoirs publics50 . Le risque de récidive est sans cesse mis en avant pour
justifier le maintien en détention des personnes accessibles à la liberté conditionnelle.
La délinquance est présentée, dans les discours politiques actuels, comme une gangrène, cause
du malaise social français. Les délinquants et criminels deviennent dès lors les boucs émissaires de
la société tout entière. Ainsi, lors du débat préalable au deuxième tour des élections présidentielles,
les deux candidats ont établi un consensus autour du fait que « en matière de viol les récidives sont
considérables »51 . Or le taux de récidive pour les viols se situe autour de 1,8 %52 .
La société, de fait, craint la criminalité autant que ses représentants : selon un sondage CSA de
septembre 2006, 65% des Français pensent que les tribunaux ne sont pas assez sévères,
particulièrement lorsqu’il s’agit de « jeunes » de banlieue (77%).
Cette crainte relative au caractère non amendable des personnes déjà condamnées explique,
sans véritablement justifier, qu’elles restent surveillées et considérées comme des infracteurs
potentiels, même après leur libération. Un contrôle social accru est donc exercé sur elles, par le
biais de divers outils : l’inscription dans des fichiers (1), la surveillance après la fin de la peine (2)
et l’interdiction d’exercer certaines activités (3).
1. L’inscription dans des fichiers des personnes ayant eu affaire avec la justice
Le casier judiciaire a été créé en 1848 pour centraliser les renseignements relatifs aux
condamnations pénales prononcées à l’encontre d’une même personne53 .
Il se décompose en trois bulletins54 .
− Le premier bulletin (B1) est le plus complet. Il est destiné au seul usage des autorités
judiciaires.
− Le deuxième bulletin (B2), un peu allégé55 , est destiné aux employeurs publics.
− Le troisième bulletin (B3), enfin, ne peut être délivré qu’à l’intéressé sur demande,
lorsqu’un employeur exige d’en avoir communication. Il est encore allégé56 .
48
Voir par exemple le procès récent de Pierrot le fou, et l’article de Stéphane DURAND-SOUFFLANT, « Le
multirécidiviste Pierrot le fou aux assises », le Figaro du 11 avril 2007.
49
Marie Guibert, « En prison avec un JAP », Le Monde 7 juillet 2005.
50
Voir la campagne présidentielle de 2002, et à moindre mesure celle de 2007.
51
Un condamné est considéré comme récidiviste si l'infraction sanctionnée a été commise après une précédente
condamnation ; en matière criminelle, le premier terme de la récidive doit être un crime punissable de 10 ans
d'emprisonnement, et le deuxième terme doit être un crime. Donc, 1,8 % de récidive en matière de viols signifie
que 1,8 % des personnes condamnées pour viol avaient été condamnées auparavant pour un premier crime passible
de 10 ans d'emprisonnement. Dans 80% des cas, il s’agissait déjà d’un viol.
52
Source : Infostat Justice n° 68 : les condamnés de 2001 en état de récidive.
53
Articles 768 et suivants du Code de procédure pénale.
54
Voir loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, articles 15 et 36 ; loi n° 2005-882 du 2 août 2005, article 43.
55
Il ne mentionne pas les condamnations pour contravention de police, les condamnations avec sursis lorsque le
sursis est devenu définitif, les dispenses de peine et les condamnations avec sursis et obligation d’accomplir un
travail d’intérêt général quand ce travail a été complètement effectué.
56
Il comporte la mention des condamnations à des peines privatives de liberté de plus de deux ans sans sursis ou
dont le sursis a été révoqué, les condamnations à des peines inférieures à deux ans si le jugement a décidé de la
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Les deux derniers bulletins sont communicables à toute personne qui fait de cette
communication une condition de collaboration. Pour certaines professions réglementées, comme
celles d’architecte, de dentiste ou d’avocat, la remise du casier judiciaire est une condition
déterminante de la possibilité d’exercer.
L’effacement du casier judiciaire a lieu au terme d’une durée de 10 ans pour les délits et de 40
ans pour les crimes57 .
Le fichier des empreintes digitales et des empreintes génétiques (FNAEG)58 regroupe les
auteurs de certaines infractions. Peuvent également y figurer des personnes qui n’ont pas encore
été condamnées59 .
À sa création, le FNAEG ne devait être utilisé que dans le cadre de la poursuite et de la
recherche d’infractions de nature sexuelle. Mais la loi du 18 mars 200360 a étendu son usage à une
grande partie des crimes et des délits d’atteintes aux personnes et aux biens.
On comprend l’utilité de ce fichier : il a permis de confondre des personnes qui avaient commis
des actes répréhensibles et n’avaient jamais été identifiées. Mais pour tous ceux qui ne sont pas
des récidivistes en puissance, ce fichier met en lumière le soupçon permanent que fait peser la
société sur les anciens détenus.
Le système de traitement des infractions constatées (STIC) a été généralisé par la loi du
18 mars 200361 , après dix ans de fonctionnement à titre expérimental. Il contient des informations
nominatives recueillies au cours des enquêtes et investigations, concernant les crimes, délits et
contraventions de 5e classe. Il recense les personnes « à l’encontre desquelles il existe des indices
graves et concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou
complices, à la commission de ces infractions ». Mais il regroupe aussi des données sur les victimes.
Les données contenues dans ce fichier sont en principe conservées 20 ans.
Une personne incarcérée peut enfin être inscrite, en fonction de l’infraction commise, au fichier
judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Ce fichier
a été instauré par la loi du 9 mars 2004. Il doit faciliter l’identification des auteurs d’infractions.
L’existence de ce fichier est fondée sur l’idée que les criminels sexuels ou violents présenteraient
des risques importants de récidive, bien qu’aucune étude n’étaye ce postulat.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait d’ailleurs rendu
un avis hostile à la création d’un tel fichier, considérant que cela conduirait à des amalgames et à
des assimilations humainement insupportables. Notamment du fait que les personnes reconnues
irresponsables pénalement du fait de troubles mentaux peuvent être fichées au même titre que les
personnes condamnées par la justice62 .
L’inscription dans ce fichier comporte certaines contraintes : les personnes libérées doivent
justifier de leur adresse une fois par an et signaler tout changement d’adresse sous quinze jours.
Celles condamnées pour une infraction punissable de plus de 10 ans d’emprisonnement63 doivent
se présenter en personne, tous les six mois, au commissariat pour justifier de leur lieu de
résidence. Le non-respect de ces obligations est passible d’une peine de deux ans
d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
mention au casier judiciaire, les condamnations à des interdictions, déchéances et incapacités, ainsi que la durée de
celles-ci, et les décisions prononçant un suivi socio-judiciaire ou une peine d’interdiction d’exercer une activité
impliquant un contact avec les mineurs.
57
Pour les peines criminelles, l’effacement peut avoir lieu au bout de 20 ans sur simple requête.
58
Article 706-54 du Code de procédure pénale.
59
Il peut pourtant être considéré que cela est contraire à la présomption d’innocence.
60
Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.
61
Précitée.
62
CNCDH, Avis sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive, 20 janvier 2005.
63
Ce qui ne signifie pas nécessairement que la personne ait été condamnée à une peine d’emprisonnement d’une
durée de 10 ans.
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Les informations sont conservées dans ce fichier pendant 20 ou 30 ans, selon la gravité des
infractions commises. Pour Robert Badinter, cela constitue une forme de double peine64 .
La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) considère que ces différents fichiers
sont porteurs d’un « grave risque d’exclusion sociale »65 . En effet, leur existence, et la longue
conservation des informations qui y sont contenues renforcent la suspicion sociale à l’encontre
des sortants de prison. Cette suspicion explique également les contraintes infligées aux personnes
libérées.
2. La surveillance des personnes libérées
Dans le cadre d’une libération conditionnelle, le contrôle judiciaire peut interdire l’accès à
certains lieux. Une interdiction de quitter le département peut ainsi être prononcée, ce qui nuit à la
mobilité professionnelle de la personne libérée. La personne libérée peut également recevoir
interdiction de retourner sur des lieux connus. Il s’agit d’éviter la récidive en tenant la personne
concernée à l’écart de son ancien milieu social ou de sa/ses victime(s), mais cela la prive de son
réseau de connaissances, qui pourraient la soutenir dans une recherche d’emploi, lui fournir un
hébergement…
La surveillance judiciaire a quant à elle été créée par la loi du 12 décembre 2005. Elle consiste à
contrôler des personnes ayant commis des infractions particulièrement graves, considérées comme
dangereuses et susceptibles de récidiver. La durée maximale de cette surveillance est égale à celle
des réductions de peine dont a bénéficié la personne pendant son incarcération. Ainsi, une
libération pleine et entière ne signifie pas toujours qu’une personne qui a payé sa dette à la société
est immédiatement absoute par celle-ci.
Récemment, l’idée de pouvoir localiser tout moment les délinquants sexuels par pointage ou par
bracelet électronique a été avancée. Cette mesure, introduite à titre expérimental par la loi du
12 décembre 2005 s’applique dans le cadre du suivi socio-judiciaire, de la surveillance judiciaire et
de la libération conditionnelle.
Les personnes libérées peuvent également voir leurs droits restreints suite à leur
condamnation.
3. La perte de certains droits par les personnes incarcérées : une hypothèque sur l’avenir
Avant 1994, les personnes condamnées à des peines criminelles étaient déchues à vie de leurs
droits civils, civiques et de famille. Pour les auteurs de délits, la privation de ces droits était
appliquée de manière automatique, pour une durée de 10 ans. Depuis l’entrée en vigueur du
nouveau code pénal, la privation des droits n’est plus automatique. Seule la juridiction qui rend le
jugement peut l’imposer pour certaines infractions66 , pour une durée de 10 ans en matière
criminelle et de 5 ans en matière correctionnelle.
De longue date l’accès à la fonction publique a été conditionné à l’exigence d’une « bonne
moralité ». Aujourd’hui, cette expression n’a plus cours67 , mais elle perdure dans le cadre de
certaines professions réglementées.
De même, l’exercice d’une profession commerciale ou industrielle, la direction, l’administration
ou la gestion d’une entreprise ne peuvent être exercées par une personne qui a fait l’objet depuis
moins de dix ans d’une condamnation pour crime, ou d’une peine d’au moins trois mois
d’emprisonnement ferme pour certains délits listés de manière exhaustive68 .
64
Robert Badinter, « Un singulier fichier », Libération 9 février 2004.
Délibération du 24 octobre 2002, et délibération n° 2006-167 du 13 juin 2006.
66
C’est le cas pour les atteintes à l’intégrité physique ou psychique (article 221-9), la mise en danger de la personne
(article 223-16) et les atteintes aux libertés de la personne (article 224-9), par exemple.
67
Dans la fonction publique, le passé du candidat doit désormais être « compatible avec l’exercice des fonctions ».
68
Article L 128-1 du Code de commerce.
11
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
Même après l’effacement de la peine du casier judiciaire, souvent la société n’oublie pas. Il a à cet
égard été considéré qu’une administration pouvait prendre en compte une condamnation pénale,
même si le juge ne l’a pas fait inscrire au casier judiciaire ou qu’elle a été effacée69 . L’administration
peut également interpréter les faits qui sont reprochés ou qui ont été reprochés à une personne et
avoir une appréciation indépendante de celle des autorités judiciaires70 .
Un autre exemple récent est celui de Christian Laplanche, condamné dans les années 1980 pour
vol aggravé et tentative d’homicide à cinq ans de prison, dont trois fermes. En 2003, vingt ans
après sa libération, le barreau de Nîmes a refusé son inscription, du fait que sa vie passée n’était
pas compatible avec la probité et la bonne moralité exigées pour accéder à la profession d’avocat.
Après un recours judiciaire monté jusqu’en cassation, la cour d’appel de Nîmes a déclaré ce refus
fondé, le 6 février 2007.
Les interdictions et précautions prises à l’encontre des sortants de prison s’assimilent à une
forme de double peine : on punit une seconde fois des personnes qui ont déjà purgé une peine71 .
Les empêchements prononcés peuvent, de plus, être considérés comme une discrimination. En
effet, si l’on se réfère à la définition du Haut-commissariat des Nations Unies, le terme
« discrimination » recouvre « toute […] distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de
détruire ou d’altérer l’égalité des chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession ».
La question se pose donc de savoir quelle place la société souhaite accorder aux personnes qui
ont été incarcérées. Le droit à l’oubli ne devrait-il pas être la règle, lorsque la justice a effacé la peine
du casier judiciaire de la personne concernée ?
Les dispositifs préventifs en vigueur, dont l’objet est de protéger la société, réduisent la
personne déjà condamnée au concept de dangerosité. Ils fonctionnent comme des marqueurs
sociaux.
Ils peuvent être des facteurs de récidive, lorsque la réintégration est rendue trop difficile par les
précautions prises. La société crée ainsi ce qu’elle voudrait éviter.
Et même lorsqu’il n’y a pas récidive, les sortants de prison restent une population discriminée,
qui s’applique une forme d’aliénation. Un amalgame est fait entre ancien détenu et délinquant
futur, jusque chez les personnes incarcérées elles-mêmes. L’autocensure et le repli sur soi qui en
découlent sont contraires à l’impulsion nécessaire à leur réintégration dans la société.
Ainsi, jusqu’en détention, les personnes incarcérées organisent leur vie sociale en fonction de
l’acte qu’elles ont commis. La hiérarchie sociale entre détenus est en effet fondée sur le caïdat : les
braqueurs de banque figurent en haut de l’échelle sociale carcérale, les « pointeurs »72 en bas.
L’infraction est donc un critère dominant des relations sociales entre détenus.
Parfois, l’amalgame qui est fait entre ancien détenu et infracteur potentiel provoque des
comportements réactifs, qui semblent donner raison à la société dans ses craintes de récidive.
Pourtant, le danger constitué par les sortants de prison est plus supposé que réel. Par exemple,
le taux de récidive en 2004 pour les crimes était de 2,8% avec un recul de 17 ans73 . Les récidives
69
CE, 13 octobre 1989, n° 78943 : pour des faits d’attentat à la pudeur, ayant entraîné la condamnation pénale d’un
gardien de la paix, sans inscription de sa condamnation au casier judiciaire.
70
CE, 25 octobre 2004, n° 256944, légalité du refus d’un préfet d’agréer la candidature d’une personne au concours
d’agent de surveillance du fait que la candidate avait commis des années auparavant des faits de vol à l’étalage, alors
même que ces faits avaient été classés sans suite et n’étaient pas inscrits au casier judiciaire.
71
Cette double peine est interdite par tous les grands textes relatifs aux droits de l’homme. Par exemple, l’article 14,
point 7 du pacte des Nations-Unies du 16 décembre 1966 dispose que « nul ne peut être poursuivi ou puni en
raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à
la loi et à la procédure de chaque pays ».
72
Criminels sexuels.
73
Source : Infostat justice, « les condamnés en 2004 en état de récidive ».
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
sont plus fréquentes en matière de délits, mais ces infractions ne présentent pas une gravité telle
qu’elle justifie les mesures coercitives qui sont imposées aux sortants de prison.
Alors, population fragile ? Population dangereuse ? La vérité est quelque part entre ces deux
affirmations. En tout cas, population problématique, c’est un fait, car la situation et le traitement
des sortants de prison ne sont satisfaisants pour personne, à ce jour.
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