Enseigner en prison Pour celui qui veut enseigner en prison, la

Transcription

Enseigner en prison Pour celui qui veut enseigner en prison, la
Enseigner en prison
Pour celui qui veut enseigner en prison, la démarche est simple, et même bien trop simple. Il
suffit le plus souvent d’envoyer un courrier à l’Unité pédagogique régionale (UPR) en exposant son
souhait. Est-il nécessaire d’avoir une formation, une expérience, des compétences reconnues ? Non,
pourquoi ? Un diplôme, au moins ? Ah oui, une licence est indispensable, mais la matière a peu
d’importance. De toute façon, celui qui veut enseigner en prison n’enseignera pas beaucoup et le peu
qu’il fera n’aura quoi qu’il arrive presqu’aucune « utilité ».
C’est le premier problème : la plupart des enseignants en prison ne sont pas formés pour l’être et ils
sont, dans l’écrasante majorité, des vacataires. La plupart sont des certifiés qui, pour finir les fins de
mois ou par idéalisme, font deux ou trois heures supplémentaires par semaine. Les autres sont
étudiants, contractuels, voire actifs en entreprises, et le travail en prison est aussi, pour eux, quelques
centaines d’euros supplémentaires à ajouter à la fiche d’imposition. La majorité des enseignants
assurant des cours en prison n’ont eu aucune formation et n’en auront aucune. Ils arrivent un jour
devant la porte de la maison d’arrêt de Fleury, de Villepinte, de Bois d’Arcy ou d’ailleurs, se dirigent
tant bien que mal jusqu’au « centre scolaire » ou « quartier socio », et font cours. Dans des conditions
étonnantes…
Une salle de classe en maison d’arrêt 1 est une pièce avec des murs nus, des barreaux aux fenêtres,
entre 8 et 10 tables individuelles et autant de chaises, un tableau. C’est tout. Il est très compliqué de
faire entrer du matériel électronique (ordinateur, clé usb) et il est illusoire de compter faire cours en
s’appuyant sur les manuels scolaires. La plupart des élèves n’en ont pas ; ils n’ont d’ailleurs que
rarement de quoi écrire, feuille ou stylo. Les élèves sont très rarement à l’heure et jamais regroupés,
l’heure d’arrivée dépend en effet de nombreux paramètres (caractère du détenu et du surveillant
d’étage, incident quelconque dans la détention, mise à jour erronée de la liste des participants,…). Les
élèves ne sont jamais tout à fait les mêmes, certains peuvent avoir parloir, jugement, évènement
imprévu et toujours prioritaire sur le cours. Certains ont été libérés, d’autres ont été sanctionnés,
d’autres ont changé de cellule et ne sont plus appelés, d’autres ont eu une place en atelier et préfèrent
travailler… L’enseignant doit donc apprendre à faire cours sans matériel, sans limites de temps
précises, sans effectif stable et, nous l’avons dit, sans formation. A cela s’ajoutent les contraintes
« habituelles » de la détention : du bruit, des odeurs, une violence contenue et omniprésente, tout un
environnement angoissant et oppressant, un environnement dans lequel il faut bien vaille que vaille,
faire cours.
1
Nous distinguons les maisons d’arrêt des établissements pour peine. Dans les premières, les détenus sont
théoriquement condamnés à des peines plus courtes (moins de deux ans) et bénéficient souvent de moins
d’avantages que dans les établissements pour peine. Dans ceux-ci, réservés aux longues peines, les cellules
sont toujours individuelles et il existe assez souvent des régimes de détention ouverts (porte des cellules
ouvertes). Les cours dans les établissements pour peine peuvent être organisés sur de plus longues périodes
et dans des conditions légèrement meilleures. Mais la plupart des détenus le sont en maison d’arrêt.
Comment juger de la considération accordée à une fonction ? Il existe une reconnaissance
officielle, celle validée par des lois et des conventions. A ce niveau-là, on peut estimer que
l’enseignement en prison a fait des progrès importants depuis une vingtaine d’année et la première
convention liant l’Administration Pénitentiaire et l’Education Nationale date de janvier 1995. Les
enseignants titulaires de leur poste en prison sont effectivement recrutés avec soin (et parcimonie),
formés (de moins en moins) à la difficulté de leur métier et accompagnés (encore un peu) dans leur
carrière. La reconnaissance de l’Etat pour l’intérêt de leur travail est réelle. Pour les autres, les plus
nombreux, vacataires pour la plupart, si les différentes conventions reliant les deux ministères
signalent la nécessité de les former, cette disposition n’est dans la réalité qu’une ligne sur du papier.
De toute façon, comme partout ailleurs, les vacataires sont censés être minoritaires, il n’est jamais
nécessaire qu’ils soient très performants.
Une fonction est aussi considérée par le niveau de salaire. Pour les enseignants titulaires, une
petite prime leur est offerte comme pour tous les postes en enseignement spécialisé. Pour les autres,
les plus nombreux, la rémunération se fait en HSE. Comptez, en revenu net, une bonne vingtaine
d’euros pour des vacations dans le premier degré, une trentaine pour le secondaire. Comptez aussi,
bien souvent, plusieurs mois d’attente entre le travail et sa rémunération – rien d’inhabituelle,
malheureusement, pour de simples vacataires… Évidemment, pas de paye pendant un arrêt maladie ni
pendant les vacances, une vacation n’est payée que si elle est faite. En prison, l’embauche de
contractuels serait un progrès important, cela donne une idée du décalage avec l’extérieur.
Une fonction se jauge également à sa priorisation. Si l’enseignement en prison était vraiment
une priorité, les élèves seraient sortis de leur cellule à l’heure, ils auraient du matériel, de vraies salles
de cours et des conditions d’étude dignes – soyons exigeant – d’un collège ZEP de la banlieue
parisienne. Si l’enseignement en prison était une priorité, les enseignants pourraient parler à leurs
élèves à la fin du cours sans être rappelés à l’ordre par un surveillant, auraient le droit de déplacer une
heure de cours et la possibilité de mener des projets pédagogiques. A l’heure actuelle, dans les prisons
françaises, l’enseignant est fréquemment vu comme un intervenant extérieur, une personne qui,
finalement, apporte plus de problèmes qu’elle n’en résout puisqu’elle occasionne des mouvements et
de l’agitation dans un milieu dans lequel l’ordre doit régner. Il n’est pas rare qu’aucun élève ne soit
présent, il suffit qu’un surveillant « oublie » de les prévenir ou qu’un ordre supérieur ait été donné
pour que, sans préavis ni rattrapage, des heures s’évanouissent entre les murs.
Une fonction est enfin considérée par les droits qui y sont attachés. Parmi ceux-ci, le droit de
représentation et de participation aux prises de décision est le plus fondamental. L’UPR est dirigée par
un proviseur mais n’est pas un EPLE et ne dispose donc pas de conseil d’administration. Dans chaque
établissement pénitentiaire, des conseils d’enseignement sont régulièrement organisés et le RLE
(Responsable local d’enseignement) est en contact avec l’UPR. Mais aucun élu ne peut se faire
entendre pour le budget, la DHG ou le règlement intérieur, aucun enseignant n’a les maigres droits
qu’ont tous professeur à l’extérieur. Il paraît bien sûr surréaliste d’envisager une représentation
d’élèves, pourtant ô combien légitime dans un lieu où la société se donne pour mission de préparer la
réinsertion.
Le syndicalisme enseignant doit être davantage présent en détention. Nous invitons toutes les
personnes intéressées par les questions abordées dans cet article à rejoindre la commission prison !

Documents pareils