Pourquoi cette pétition? - CCFD

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Pourquoi cette pétition? - CCFD
PETITION A LA PRESIDENCE DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE
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Coordination française pour la paix en Colombie*
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Pourquoi cette pétition?
Aujourd’hui, le conflit colombien est connu de tous les Français à travers la question des
otages, largement médiatisée. La libération d’Ingrid Betancourt constitue le pivot de l’action
du gouvernement français envers la Colombie. Cet objectif, aussi légitime qu’il soit, a
tendance à éclipser les autres dimensions du conflit, toutes aussi préoccupantes.
La question des otages est une des nombreuses pièces du puzzle colombien à résoudre, comme
la crise des droits humains. La population civile colombienne subit de plein fouet, depuis des
décennies, les manifestations de cette crise.
Les récentes tensions dans la région andine entre le Venezuela, l’Equateur et la Colombie,
suite à l’assassinat par l’armée colombienne, le 1er mars 2008, de Raul Reyes, le porte-parole
et numéro 2 du secrétariat des FARC, ont montré combien le conflit armé colombien menace la
stabilité régionale. Ces évènements ont confirmé que la voie militaire n’est pas la solution
appropriée pour la résolution du conflit et que seule une issue politique, pacifique et négociée
est viable.
La France préside cette année, au second semestre, le Conseil de l’Union européenne, donnant
alors à l’Union européenne, la possibilité d’être un acteur de poids pour s’investir en faveur
d’une solution politique et négociée au conflit armé interne et promouvoir le respect des droits
de l’Homme en Colombie.
En tant que citoyens européens, mobilisons-nous pour que l’Union européenne et la France
deviennent des acteurs de premier plan pour la paix en Colombie !
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* La Coordination Française pour la Paix en Colombie (CFPC) rassemble neuf organisations : Secours Catholique – Caritas
France, Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement, Fédération Internationale des Droits de l’Homme / Ligue
Française des Droits de l’Homme, Terre des Hommes France, Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, Pax Christi
France, France Libertés, Ecole de la Paix, Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme. La Confédération Générale du Travail,
les Brigades de Paix Internationales France et la Section Française d’Amnesty International sont observateurs et s'associent
ponctuellement à certaines actions de la CFPC.
Le conflit armé interne colombien
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Un conflit né de multiples facteurs
Le conflit colombien est le conflit armé le plus long (plus de 50 années) et le plus complexe d’Amérique latine.
Une multiplicité de facteurs est à l’origine de ce conflit qui a évolué au fil des décennies. Parmi les principaux
facteurs figurent : le contexte socioéconomique colombien favorable à l’instabilité et aux revendications
sociales et politiques (inégalités dans la répartition des terres et des richesses, existence de poches de pauvreté
favorisées par l’isolement de certaines régions, absence des services et de l’autorité de l’Etat), une forte
polarisation sociale, une domination des oligarchies, et surtout la difficulté de la participation démocratique de
la population à la vie politique notamment en raison de la bipolarisation de longue date de la vie politique entre
libéraux et conservateurs.
Une violence historique
Des guerres sanglantes éclatent déjà au XIXe siècle et mettent aux prises les partisans des partis Libéraux et
Conservateurs.
En 1948, l’assassinat de Jorge Eliecer Gaitán, dirigeant du Parti Libéral, porteur d’un projet politico social
radical de grande envergure, déclenche l’une des plus fortes explosions populaires de l’histoire de la Colombie.
La guerre civile qui s’ensuivit jusqu’à la fin des années 1950 est connue sous le nom de « la Violencia ». Cette
guerre partisane fait plus de 300 000 morts en cinq ans et voit la naissance d’une première « guérilla libérale »
qui constituera le ferment des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).
Les années 1960 : l’expansion des mouvements de guérilla et des groupes paramilitaires
Un pacte politique entre les partis Libéral et Conservateur, appelé « Front National », met fin à « la Violencia ».
En se répartissant le pouvoir pendant 20 ans, les dirigeants des deux partis traditionnels ferment la porte à toute
forme de participation citoyenne ou d’opposition politique. Cette impossibilité de la participation démocratique
à la vie politique ajoutée à l’appauvrissement des paysans, conséquence du conflit, favorise la création et
l’expansion de mouvements de guérillas de gauche, au début des années 1960. Parmi ces guérillas, les FARC et
l’ELN sont les seules à être restées mobilisées jusqu’à aujourd’hui. Parallèlement, des groupes paramilitaires
sont créés en collaboration avec l’armée pour la lutte contre-insurrectionnelle. Ces groupes illégaux continuent
à opérer, de connivence avec l’armée.
Années 1980 : l’entrée en jeu du narcotrafic
A partir des années 1980, le conflit change de visage, se complexifie et s’aggrave avec l’essor de l’économie de
la drogue, favorisée par l’intensification de la transformation et de la commercialisation de la coca. Le
commerce de la drogue pénètre les groupes de guérillas et les groupes paramilitaires qui, dès lors, s’enrichissent
et se renforcent. Les paramilitaires ont été liés au trafic de drogue depuis leur apparition.
A la fin des années 90 et dans les années 2000, on se retrouve face à une guerre à trois camps : les deux
guérillas et les groupes paramilitaires devenus de véritables armées et l’armée colombienne renforcée par
l’argent du Plan Colombie et par l’intervention des Etats-Unis dans le conflit avec près de 1000 conseillers
militaires et mercenaires.
2002, l’arrivée d’Alvaro Uribe au pouvoir : un durcissement du ton qui rend plus difficile la recherche
d’une solution politique et négociée
Après des négociations avortées avec les mouvements armés illégaux sous les gouvernements précédents, la
présidence d’Alvaro Uribe (élu en 2002 et réélu en 2006) marque une rupture et un durcissement du ton envers
les guérillas. Largement soutenu financièrement et militairement par les Etats-Unis depuis son arrivée au
pouvoir, il a mis en place une politique de « sécurité démocratique » destinée à renforcer l’autorité de l’Etat sur
l’ensemble du territoire. Cela s’est traduit par une forte augmentation des effectifs de l’armée (plus 30 000
soldats), la volonté de créer un réseau de surveillance citoyenne d’un million de personnes, qui utilise la
délation et une « armée de soldats-paysans ». Cette politique soulève des interrogations car elle évoque le
modèle des CONVIVIR, un modèle paramilitaire de sécurité publique très controversé mis en place par Alvaro
Uribe en 1994, à l’époque où il était gouverneur.
Selon le Président Uribe, il n’y a pas de conflit armé sur le territoire colombien. Pourtant, le conflit colombien
remplit les critères du conflit armé interne tel que défini par le Droit International Humanitaire. En outre,
depuis son arrivée au pouvoir, les dépenses militaires n’ont fait qu’augmenter, pour représenter 6,5 % du
Produit Intérieur Brut (PIB) en 20071.
1
ISAZA DELGADO (J), ROMERA (D), « Algunas consideraciones cuantitativas sobre la evolución reciente del conflicto en
Colombia », 2007.
Les principales guérillas
Les groupes paramilitaires
● Les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de
Colombie) sont créées par Manuel Marulanda en
1964. Ce mouvement armé a toujours cherché à
s’appuyer sur un bras politique, mais les tentatives
ont donné peu de résultats. S’appuyant sur une base
paysanne, les FARC souhaitent prendre le pouvoir par
la conquête des campagnes et constituent le
mouvement armé le plus structuré du pays. Elles sont
d’obédience marxiste.
● L’ELN (Armée de libération nationale) a été créée
en 1964 par Fabio Vásquez Castaño. D’inspiration
castriste, ce mouvement prône la lutte armée pour la
conquête du pouvoir. L’ELN est moins structurée que
les FARC et l’origine de ses membres est davantage
urbaine et de niveau universitaire. EN 1984, elle fut
le seul des quatre principaux mouvements armés à
refuser le cessez-le-feu.
Depuis le décès de son chef en 1998, l’ELN ne peut
enrayer son déclin politique, stratégique et militaire.
Ils apparaissent dans les années 1960 pour lutter
contre les guérilleros et assurer une protection privée
aux grands propriétaires terriens. Ils se renforcent dans
les années 1980. A sa création, le mouvement
paramilitaire bénéficiait d’un soutien juridique. Une
première légalisation explicite du paramilitarisme a lieu
en 1965 avec un décret visant à « organiser la défense
nationale »1 et permettant à l’armée de créer des
groupes civils qu’elle peut armer avec un matériel
habituellement réservé aux forces armées ». En 1968,
le décret se transforme en législation permanente
jusqu’à être déclarée inconstitutionnelle en 1989.
Ces groupes se regroupent au sein des AUC
(Autodéfenses Unies de Colombie), créées au milieu
des années 1990 sous l’égide de Carlos Castaño.
Ils ont infiltré la sphère politique et économique du
pays et se financent de la même manière que les
mouvements qu’ils combattent : racket, drogue, ventes
d’armes.
Quelques dates clés
1819 : indépendance et proclamation, par Simón Bolivar, de la République de Grande Colombie
1851 : abolition de l’esclavage
1903 : sécession du Panamá, perte de la bi-océanité
1948, avril : assassinat de Jorge Eliécer Gaitán, début de la « Violencia »,
1950 : naissance des premières guérillas
1957 : Pacte de Front National entre les libéraux et les conservateurs avec alternance de gouvernance politique
1960 : entrée en scène des premières milices paramilitaires
1964 : naissance des FARC
1966 : arrivée de nouveaux groupes de guérillas (ELN et EPL entrent en scène)
1974 : fin de la coalition du Front National
1982-1988 : période de négociation avec les guérillas, de sabotages des tentatives de paix de la part de l’armée et
finalement de rupture de la trêve par les FARC
1984 : le Président Belisario Betancour déclare la guerre à la Mafia après l’assassinat du ministre de la justice et rejette
les propositions du Cartel de Medellín2
198-1996 : Plus 3 000 militants du parti politique Unión Patriótica, né des accords de paix entre le gouvernement et les
FARC en 1985, sont assassinés
1991 : nouvelle Constitution, réelle avancée démocratique
1995 : les Etats Unis accordent 37 millions de dollars pour la lutte contre le narco-trafic
octobre 1998 : ouverture des négociations officielles avec les FARC sous la présidence Pastrana
1998 : les paramilitaires se regroupent sous le nom des « Autodéfenses Unies de Colombie »
Septembre 1999 : signature du Plan Colombie avec les Etats-Unis
Février 2002 : rupture des négociations entre le gouvernement et les FARC
2002 : élection au premier tour d’Álvaro Uribe Vélez, libéral dissident
2003 : promulgation du décret 128 lançant le processus de démobilisation des groupes paramilitaires
2005 : promulgation de la loi 975 « Justice et paix » pour encadrer la démobilisation des paramilitaires.
2006 : réélection au premier tour d’Álvaro Uribe Vélez avec 62 % des voix
Sources : Le Monde, fiche repère Colombie, Encyclopedia Universalis, Encyclopédie Larousse « l’Etat du Monde » (2006).
1 Décret 3398/1965.
2
Le Cartel de Medellín avait demandé une amnistie contre un démantèlement de leurs installations, la prise en charge de la dette de l’Etat à
hauteur de 3 milliards de dollars et un investissement annuel dans l’industrie d’un milliard de dollars.
Une situation des droits de l’Homme et du droit humanitaire alarmante
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La population civile colombienne est directement victime de la grave crise des droits humains et de la crise humanitaire
qui sévissent en Colombie depuis des décennies. En effet, tous les acteurs du conflit (les FARC, l’ELN, les groupes
paramilitaires, les forces armées colombiennes) violent le droit international des droits de l’Homme et le droit
international humanitaire.
Des infractions graves au droit international humanitaire
Les Conventions de Genève, base du droit international humanitaire visant à protéger les populations civiles dans le
cadre de conflits armés, sont bafouées et violées par tous les acteurs du conflit et notamment par les groupes de
guérillas. Les FARC et l’ELN continuent de commettre des prises d’otages de civils, de personnes élues par le peuple
ou de candidats, ainsi que des actes de terrorisme. Ils enrôlent également des mineurs et utilisent des armes à effet
indiscriminé (qui touchent directement la population civile), telles les mines antipersonnel. En 2006, 687
enlèvements ont été répertoriés, dont 200 attribués aux FARC ; 10 aux groupes paramilitaires et 267 aux criminels
de droit commun3 (200 n’ont pu être attribués à quiconque). En 2007, 521 civils ont été enlevés4.
Une situation des droits humains critique du fait des acteurs armés et du manque d’assistance de l’Etat
L’augmentation d’assassinats ciblés et d’exécutions extrajudiciaires
Une diminution de certains indicateurs de la violence a été constatée en Colombie ces dernières années5.
Cependant, d’autres indicateurs de violation des droits humains (exécutions extrajudiciaires, torture, détentions
massives, déplacement de population) se maintiennent voire s’amplifient et la situation reste critique dans de
nombreuses régions du pays. La diminution du nombre de massacres s’est accompagnée de l’augmentation
d’assassinats ciblés et d’exécutions extrajudiciaires de civils commises par les forces de sécurité colombiennes qui
présentent ensuite les victimes (principalement des paysans) comme des guérilleros morts au combat. Cette
pratique tend à se généraliser. Entre 1996 et 2006 ont eu lieu plus de 60 000 exécutions extrajudiciaires6.
Un nombre dramatique de disparitions forcées et d’assassinat de syndicalistes
Entre 1996 et 2006, 31 000 personnes ont disparu7. Depuis 2002, 3 040 personnes ont été tuées par des groupes
paramilitaires et ce malgré le processus de démobilisation de ces groupes8. Fin 2007, des chefs paramilitaires
démobilisés ont avoué l’existence de 1009 fosses communes clandestines abritant les restes de 1 196 victimes9. Près
de 4 000 fosses auraient été identifiées jusqu’à aujourd’hui, selon le journal colombien Semana.
Selon Amnesty International, la Colombie est « l’un des endroits les plus dangereux au monde pour les
syndicalistes». Plus de 2000 syndicalistes ont été tués lors des deux dernières décennies, dont 39 en 200710 et 17 au
premier trimestre 200811, ce qui représente une augmentation de 89% si l’on compare les chiffres à ceux de 2007, à
la même période. Sont également quotidiennes les menaces et intimidations envers les défenseurs des droits
humains, journalistes et autres militants.
Des millions de personnes déplacées
Le conflit a entraîné le déplacement de près de 4 millions de personnes civiles depuis 1985, dont 305 966 en 200712.
Les populations victimes de déplacements vivent sur des terres qui représentent un intérêt économique et
stratégique important pour les acteurs du conflit. Elles sont alors dépossédées de leurs biens de force, doivent fuir
ou s’exiler à cause de combats. Le conflit colombien s’élève au deuxième rang mondial, après le Soudan en ce qui
concerne le nombre de déplacés. En dépit de ces chiffres alarmants, l’assistance apportée aux victimes par le
gouvernement reste inadéquate et l’effort financier très insuffisant, largement inférieur à celui destiné aux
paramilitaires démobilisés. Les réparations et notamment la restitution des terres des personnes déplacées n’a pas
été portée au rang des priorités dans le cadre du processus de démobilisation des paramilitaires, alors que ces
derniers sont, en collusion avec les forces armées colombiennes, les principaux responsables des déplacements
forcés. 6 millions d’hectares de terre ont été usurpés par les paramilitaires13.
A tout cela s’ajoute un niveau considérablement élevé de pauvreté et d’inégalité. Selon les sources officielles
colombiennes, 45% de la population est en situation de pauvreté et 12% en situation d’extrême pauvreté.
Face à la gravité de la situation, la France et l’Union européenne sont-elles prêtes à s’engager pour la promotion et
la protection des droits de l‘Homme en Colombie ?
3
Amnesty International, Rapport 2007, p 126.
Fondation Pais Libre
5
Rapport 2008 du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies en Colombie, p 6
6
Commission colombienne de juristes : www.coljuristas.org/documentos/documentos_pag/po.htm
7
Commission colombienne de juristes : www.coljuristas.org/documentos/documentos_pag/po.htm
8
Commission colombienne de juristes, « Colombia 2002-2006 : situacion de derechos humanos y derecho humanitario », janvier 2007, p 9
9
Rapport 2008 du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies en Colombie, p 18
10
Amnesty International, “Killings, arbitrary detentions and death threats: the reality of trade unionism in Colombia”, juillet 2007, p 1.
11
Escuela nacional sindical (Ecole nationale syndicale), in Newsletter 3 d’OIDHACO (bureau des droits humains- action Colombie)
12
Consultoria para los derechos humanos y desplazamiento forzado www.codhes.org
13
Colombia, la desmobilizacion paramilitar : en los caminos de la Corte Penal Internacional », FIDH, 2007, p 43
4
Un niveau d’impunité inquiétant
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L’impunité demeure le dénominateur commun des violations graves des droits de l’Homme et des infractions au
droit international humanitaire.
Le processus de démobilisation des groupes paramilitaires
En 2002, peu après son élection, le Président Uribe a entrepris des négociations pour la démobilisation des groupes
paramilitaires. A cet effet, un cadre juridique a été adopté, avec l’adoption du décret 128 en 2003 et la
promulgation en 2005 de la loi 975, connue sous le nom de loi « Justice et Paix ». Cette loi prévue normalement
pour encadrer la démobilisation des paramilitaires et des guérillas ne s’applique finalement qu’aux groupes
paramilitaires. Elle prévoit la démobilisation et la réinsertion des combattants ayant fait l’objet de poursuites
judiciaires en raison de leurs agissements contre la société civile. Il s’agit principalement de chefs paramilitaires
responsables de crimes de lèse humanité, les crimes les plus graves.
Un processus insuffisant et critiquable
Cependant, ce cadre législatif demeure insuffisant pour lutter contre l’impunité et soulève de nombreuses
interrogations et réserves de la part des organisations sociales et de défense des droits de l’Homme colombiennes,
des ONG internationales comme Amnesty International, ainsi que du Bureau du Haut Commissaire aux droits de
l’Homme des Nations Unies en Colombie.
En effet, cette loi ne met pas en place un cadre juridique efficace pour favoriser le démantèlement des groupes
armés illégaux, permettre leur réinsertion dans la société et apporter des réparations (matérielles et symboliques)
effectives et suffisantes aux victimes des crimes commis par les groupes paramilitaires14. La peine maximale qu’elle
prévoit est de 8 ans seulement pour des crimes les plus graves.
En ce sens, elle ne remplit pas les standards internationaux visant à protéger et à rendre effectifs les droits à la
vérité, à la justice et à la réparation des victimes.
Apparition de nouveaux groupes armés
Ainsi, malgré la démobilisation des groupes paramilitaires, de nouveaux groupes armés illégaux ont fait leur
apparition et se sont même consolidés. En 2007, on identifiait 22 nouvelles structures composées d’environ 3000
membres15. Ces groupes, fortement armés, exercent un véritable contrôle sur les activités économiques illicites,
s’approprient des biens et terres en toute illégalité et contribuent à l’intensification du conflit armé dans certaines
régions du pays16. Des paramilitaires démobilisés se retrouvent à la tête de ces nouveaux groupes, ou plus
inquiétant, infiltrent la sphère politique.
La collusion avérée entre paramilitaires et politiques
Depuis la fin 2006, les révélations se multiplient sur les relations entre les paramilitaires et des membres de la
classe politique et certains secteurs économiques, alors que le processus de démobilisation a commencé dès 2003.
Jorge Noguera, un proche collaborateur d’Uribe et directeur du service des renseignements colombien jusqu’en
2006, a été arrêté en février 2007. Les autorités judiciaires de Colombie l’accusent d’avoir mis les services de
renseignements au service des paramilitaires et d’avoir fourni à un groupe paramilitaire une liste comportant le nom
de 24 dirigeants syndicaux, parmi lesquels plusieurs ont été tués, menacés ou soumis à un processus judiciaire
arbitraire. Avant cette arrestation, à l’automne 2006, un ordinateur appartenant à un dirigeant du groupe
paramilitaire Bloque Norte, a été retrouvé et a révélé une liste de noms de fonctionnaires, d’hommes politiques, de
membres des forces armées, ayant des liens avec des groupes paramilitaires.
Jusqu’à présent, 61 parlementaires ont été mis en examen pour leurs liens avec ces groupes. 32 sont actuellement
en prison. En mai dernier, Mario Uribe, le cousin du président Uribe, aux côtés duquel ce dernier a fait toute sa
carrière politique a été arrêté pour ses liens avec les paramilitaires. Alvaro Uribe lui-même est suspecté d’avoir
participé à la préparation d’un massacre de paysans en 1997.
Ces scandales témoignent de la paramilitarisation de la vie politique colombienne, gangrenée du fait de l’infiltration
des « paras ». Cette collusion entre certains secteurs de l’Etat et les structures paramilitaires favorise fortement
l’impunité qui demeure préoccupante. Un exemple illustratif de cette impunité scandaleuse : le 13 mai 2008, suite
à des révélations gênantes de paramilitaires démobilisés, le président Uribe a extradé les 14 principaux chefs
paramilitaires aux Etats-Unis où ils seront seulement jugés pour trafic de drogue (après avoir commis des crimes de
lèse-humanité en Colombie), privant ainsi les instances juridiques colombiennes de faire justice, de rétablir la vérité
et donner réparation aux victimes.
Malgré cela, le gouvernement d’Alvaro Uribe continue de recevoir le soutien de gouvernements européens,
considérant le président colombien comme un démocrate.
14
Ceci a été souligné aussi bien par des organisations sociales et de défense des droits de l’Homme colombiennes, des ONG comme Amnesty International que par
le Haut Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies.
15
Rapportde l’ Organisation des Etats Américains, février 2007, “Octavo informe trimestral del Secretario General al Consejo Permanente sobre la Misión de
Apoyo al Proceso de Paz en Colombia”, p 6.
16
Rapport 2008 du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies en Colombie, p 22- 24.
Le rôle de la France et de l’Union Européenne - I
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France, faisons plus que libérer les otages !
Une participation active sur la question des otages et en faveur d’un accord humanitaire…
Avant l’enlèvement d’Ingrid Betancourt, la France avait fait preuve d’un engagement en faveur de la recherche de
la paix en Colombie. En effet, en 2001, la France était un membre actif du groupe de pays amis et facilitateurs du
processus de paix en Colombie. Durant la présidence du Président Pastrana, la signature d’un accord avec les FARC,
en 2001, avait relancé un processus de négociations. La communauté internationale avait été invitée à faciliter ce
processus. Ainsi, un groupe élargi de 10 pays amis et facilitateurs du processus de paix (France, Canada, Cuba,
Espagne, Italie, Mexique, Norvège, Suède, Suisse et Venezuela) s’était engagé à se réunir tous les deux mois pour
faciliter le processus de paix et tous les six mois, une réunion internationale entre 26 pays était prévue. A l’époque,
la France avait aussi voté contre l’inscription des FARC sur la liste des organisations terroristes. Depuis, elle a
accepté l’inscription de la guérilla sur cette liste.
Aujourd’hui la France continue de s’impliquer en Colombie. En tant que membre du groupe des pays amis (G-24), la
France s’inscrit dans le cadre du processus de Londres - Carthagène. Ce processus, qui est fondé sur un dialogue
tripartite entre le gouvernement colombien, la communauté internationale et la société civile, vise à définir de
façon concertée des politiques pour la résolution du conflit armé interne et la construction de la paix en Colombie.
Ce processus a débuté lors de la table des Donateurs organisée à Londres en juillet 2003 et s’est poursuivi avec la
tenue de la II Conférence internationale à Carthagène en février 2005, puis lors de la III Conférence internationale
organisée à Bogotá en novembre 2007.
En outre la France est très engagée sur la question des otages, notamment en vue de la libération d’Ingrid
Betancourt, enlevée en 2002. Dans ce but, elle déploie des efforts de négociation importants, privilégiant la voie
politique. Depuis 2002, elle forme avec la Suisse et l’Espagne, une troïka qui assure un rôle de médiateur entre le
gouvernement colombien et les FARC pour parvenir à un accord humanitaire et permettre ainsi la libération des
otages.
…qui devrait s’accompagner d’un engagement plus visible pour le respect et la protection des droits de
l’Homme
La libération d’Ingrid Betancourt et des otages est nécessaire pour ouvrir la voie à la signature d’un accord
humanitaire. Cependant, cela reste insuffisant pour l’établissement d’une paix durable en Colombie. L’amélioration
de la situation des droits humains, la construction et consolidation de la justice sociale et de l’Etat de droit,
l’application des principes de vérité, justice et réparation dans le cadre de la démobilisation des acteurs armés sont
autant de questions en faveur desquelles la France, nation historiquement et culturellement liée à la promotion des
droits de l’Homme, devrait s’investir activement.
Troisième investisseur en Colombie, la France doit contribuer à l’amélioration de la situation des droits de l’Homme
et au combat contre l’impunité, et pas seulement renforcer sa coopération économique avec ce pays.
Les enjeux de la présidence française de l’Union Européenne pour la Colombie
Pour les acteurs de la société civile française, la France doit s’investir davantage. Alors qu’elle s’apprête à assumer
la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, il est nécessaire de mettre la Colombie au premier plan des
priorités de l’Union Européenne, de rechercher un accord humanitaire ainsi qu’une solution politique au conflit
armé, de contribuer à l’amélioration durable de la situation des droits de l’Homme ainsi qu’à la diminution de
l’impunité en Colombie.
Sous la présidence française du Conseil de l’Union Européenne au second semestre de l’année 2008,
l’opportunité est donnée à la France d’agir pour la paix en Colombie et d’impulser la mise en oeuvre d’une politique
européenne globale et cohérente pour ce pays.
Le rôle de la France et de l’Union européenne - II
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Pour une Union Européenne actrice de la paix
Les initiatives et actions de l’Union européenne en Colombie
L’Union Européenne a joué un rôle important pour la recherche de la paix et la promotion des droits de l’Homme en
Colombie. En 2000, elle s’est opposée au très controversé Plan Colombie, une stratégie intégrale de lutte contre le trafic
de drogue financée par les Etats-Unis et comprenant des fumigations aériennes (pour détruire les plantations de coca), le
renforcement de l’aide militaire et de la police colombienne, ainsi qu’une aide sociale aux populations qui cultivent la
coca. De même, en soutenant des projets de renforcement de la société civile et des institutions, de promotion et de
défense des droits de l’homme et d’appui aux personnes déplacées, l’Union Européenne a montré que sa stratégie envers la
Colombie refusait toute politique militariste, mais qu’elle recherchait plutôt une résolution pacifique et négociée au
conflit, à travers un processus de négociation, visant à promouvoir une paix fondée sur le respect des droits de l’homme, du
droit humanitaire et des libertés fondamentales.
L’UE a aussi contribué à développer une approche multilatérale du dossier colombien grâce à ses positions soutenues devant
les Nations Unies, faisant de la résolution de la crise des droits de l’Homme en Colombie un thème prioritaire du système de
protection des droits de l’homme des Nations Unies.
Les enjeux de la coopération entre l’Union Européenne et la Colombie
La politique de coopération de l’UE en Colombie s’inscrit dans le cadre général des relations UE-Amérique latine, guidé
depuis 1999 par la volonté d’établir un partenariat stratégique. Les relations de coopération économique et commerciale
ont largement pris l’avantage sur les considérations d’ordre politique et social au cours des dernières années.
En effet, la Colombie dispose de richesses qui intéressent de plus en plus les entreprises européennes. Chris Patten,
Commissaire aux relations internationales de l’UE entre 2000 et 2004, a déclaré en 2003 : « Les institutions de l’UE ne sont
pas les seules à croire en la Colombie. Les entreprises européennes y croient aussi. L’UE est la principale source
d’investissements étrangers dans ce pays […] Nous voulons faire tout ce qui est possible pour développer ces relations
économiques... »
L’Union Européenne est aujourd’hui le deuxième investisseur en Amérique latine. La Colombie bénéficie ainsi d’un système
de préférences généralisé (SGP +), aidant le pays à développer son commerce extérieur (exportations soumises à un tarif
douanier inférieur).
Enfin, l’UE et la Communauté Andine des Nations (CAN), dont fait partie la Colombie, ont débuté des négociations en vue
de la signature d’un Accord d’Association reposant sur 3 composantes : dialogue politique, coopération et commerce. Cet
accord pourrait permettre à l’UE de peser en faveur de politiques plus respectueuses des droits de l’homme, de promouvoir
un Etat de droit et faire de ce respect une conditionnalité aux politiques commerciales et économiques. La suspension, en
avril dernier, du Traité de Libre Echange entre la Colombie et les Etats-Unis, en raison du caractère critique de la situation
des droits de l’homme et notamment de la persistance d’assassinats de syndicalistes, montre qu’il est possible, à travers les
relations commerciales, de faire pression auprès du gouvernement colombien pour qu’il assure et promeuve le respect des
droits de l’homme.
Pour agir en faveur de la Paix, l’Union Européenne doit :
Le document stratégique de l’Union européenne pour la Colombie 2007- 2013 est divisé en trois blocs. Le plus important
étant le soutien aux initiatives de paix et au développement économique et social ; le deuxième, concerne la justice, les
droits humains et le droit international humanitaire ; et le troisième, le soutien à la productivité. Les acteurs de la société
civile française, européenne et colombienne reconnaissent ces directives comme positives mais estiment que l’UE pourrait
particulièrement :
¾
Mettre au cœur de sa politique en Colombie la recherche d’un accord humanitaire et d’une solution politique et
négociée au conflit armé. Le soutien clair et inconditionnel de l’UE est crucial. Elle devrait éviter l’appui militaire
et veiller à ce que les Etats membres ne mènent pas de politique de coopération militaire.
¾
Inciter le gouvernement colombien à agir contre l’impunité, à reconnaître l’existence d’un conflit armé sur son
territoire et à travailler à l’élaboration d’une issue politique négociée.
¾
Assurer un suivi rigoureux de la mise en œuvre du processus de démobilisation des groupes paramilitaires, afin d’en
garantir le caractère effectif et la transparence.
¾
Demander au gouvernement colombien la mise en place, en concertation avec la société civile colombienne, d’une
politique globale de paix qui doit prendre en compte les causes politiques, sociales et économiques du conflit armé
interne et garantir les standards internationaux en matière de vérité, justice et réparation, ainsi qu’un plan
d’action national pour le respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
¾
Faire pression, à travers sa politique de coopération et ses relations commerciales pour que la Colombie adopte des
politiques plus efficaces en matière de protection des droits humains. Ainsi, une clause démocratique doit être
intégrée dans l’accord d’association entre l’UE et la CAN et un mécanisme de suivi doit être créé concernant
l’application par la Colombie des traités en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire.
¾
Renforcer son appui aux victimes du conflit armé ainsi qu’aux organisations de défense de droits de l’Homme.