La Colombie, les Farc et la France

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La Colombie, les Farc et la France
par Stephen Launay*
2008, France 5 a diffusé à plusieurs reprises
un documentaire sur la Colombie qui constitue un parangon de désinformation. Le titre est en lui-même significatif : Les otages du président. Dans un
entretien avec la Fédération internationale des Droits de l’Homme, diffusé sur le site
de cette organisation, l’auteur, Mylène Sauloy précise que, bien évidemment, les
otages sont ceux des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) mais que le
président de la Colombie est la seule personne à avoir toutes les clefs de la libération
des otages en main. Une alternative s’impose: soit l’interviewée se moque de ceux qui
l’écoutent, soit elle est elle-même prise par l’idéologie marxiste ou ses traces profondes.
Les images et commentaires de ce film laissent pencher pour la seconde option
sans que la première ne soit pour autant exclue. En effet, le mythe du bon révolutionnaire se lit dans la sélection très partiale qui est faite des événements de ces dernières
années et l’amalgame produit avec les années bien antérieures aux gouvernements
d’Alvaro Uribe. À la fin du film, l’affaire est entendue: les Farc ont de bonnes raisons
de commettre leurs crimes, la pauvreté, la violence étatique étant les véritables coupables du drame que vivent les otages. Nombre d’autres remarques pourraient être
faites sur ce « reportage » – comme le mensonge sur l’assassinat de onze conseillers
généraux du département du Valle (capitale Cali)[1] en juin 2007 attribué aux forces
de l’ordre alors que les Farc elles-mêmes ont reconnu que ce n’était pas le cas – l’essentiel se trouvant dans l’exercice de propagande contre un État démocratique, l’indifférence aux principes déontologiques de base du journalisme et, plus encore, le
manque de respect pour des otages dont la dignité demandait un minimum de
recoupement des sources et donc les bases d’une enquête sérieuse.
A
U MOIS DE SEPTEMBRE ET D’OCTOBRE
* Politiste, université de Paris-Est/Marne-la-Vallée.
1. L’utilisation du mot « député », utilisé en Colombie pour désigner les conseillers généraux, témoigne à sa manière
du peu de sérieux journalistique.
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Pour comprendre l’état actuel des Farc, il est nécessaire de faire référence à leur
situation politico-militaire et à leur perte de présence idéologique, nécessaire aussi
d’observer la manière dont la politique interne colombienne s’est transformée. Il est
donc indispensable de se tourner vers quelques éléments de l’histoire politique
récente de la Colombie. En effet, si cette guérilla peut se prévaloir d’être et de rester la
plus ancienne d’Amérique Latine, c’est que la place de l’État lui-même a connu une
histoire particulière: ni État imposant le monopole de la violence légitime, ni État
« déchu ou effondré », il n’a pas toujours su ou pu éliminer les régionalismes exacerbés, les regroupements partisans polémogènes ni les caudillos qui les dirigeaient.
Nous défendrons ici l’idée que les Farc peuvent effectivement être considérées
comme approchant de leur fin, mais à une condition: que perdure le cœur de la politique engagée depuis 2002 par les gouvernements Uribe. Ceci doit s’entendre indépendamment même du jugement politique d’ensemble que l’on porte sur la période
Alvaro Uribe, reconduit dans ses fonctions en mai 2006 par 62 % de votes exprimés
favorables.
Afin d’illustrer cette thèse, nous commencerons par un tableau de la violence
politique en Colombie, avant de nous arrêter sur l’état présent des Farc puis de nous
interroger sur la pertinence d’une intervention comme celle de la France, dont l’échec
vient de ce que son objectif, la libération d’Ingrid Betancourt, a été atteint sans son
concours.
La violence politique colombienne
Avec un humour que l’on prête volontiers aux Britanniques et qui n’est pas sans correspondre à tout ou partie de la réalité historique, l’historien d’Oxford Malcolm Deas
a pu écrire dans les années quatre-vingt-dix: « La Colombie a parfois été un pays violent. » Et le même auteur de préciser : « Il n’est pas facile de préciser dans quelle
mesure. »[2] Son approche consiste à comparer bon nombre de phénomènes européens des XIXe et XXe siècle (guerres, mafias) avec ceux de Colombie pour relativiser
l’idée d’une violence colombienne endémique, de forte intensité appartenant à l’essence de l’histoire colombienne. Plus loin dans le même ouvrage, Deas souligne que
la violence en Colombie « a favorisé le statu quo, […] son effet a été plus réactionnaire que progressiste. ». Ce sont, en effet, et pour ce qui concerne le dernier demi2. Malcolm Deas, Intercambios violentos. Reflexiones sobre la violencia política en Colombia, Bogotá, Taurus, 1999 (1ª
éd.: 1994), p. 15.
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siècle, les moments d’accalmie (le dernier en date trouvant place ces dernières
années) qui ont permis à l’économie de prendre de l’élan et qui ont ouvert le système
judiciaire et politique à une activité d’assainissement encore en cours. Aujourd’hui, la
croissance est importante (l’augmentation du PIB était de 7,7 % pour 2007[3]) même
si elle est fragile, et la corruption est la cible d’un déploiement judiciaire inédit. En
outre, le taux d’homicides a chuté depuis cinq ans, même s’il reste difficile de discerner entre ceux qui sont liés à la délinquance commune et ceux qui relèvent de l’activité des groupes armés illégaux. Car, la délinquance commune elle-même a souvent
partie liée avec ces groupes du fait qu’elle a pu et continue d’être un maillon de la
chaîne des enlèvements. L’important est que l’historien comparatiste qu’est Deas souligne le caractère essentiellement régressif de la violence politique; ce qui entre évidemment en contradiction avec le reste d’idéologie des Farc.
Globalement, la situation peut être présentée de la manière suivante: depuis la loi
dite de « Justice et Paix » de 2005 et dans son cadre, 30000 paramilitaires (assez mal
nommés) ont été démobilisés. Ce cadre légal commence à bénéficier aussi aux guérilleros qui acceptent de se démobiliser. La loi leur permet, sous certaines conditions
de comptes à rendre fidèlement, de bénéficier de remises de peine puisque la peine
maximale appliquée ne dépassera pas huit années d’emprisonnement, tandis que la
peine minimale est de cinq ans. Les accusés convaincus de crimes contre l’humanité
ne peuvent bénéficier des termes de la loi. En outre, cette loi a mis en place tout un
système (inédit, lui aussi) de défense des victimes[4].
De nombreux problèmes viennent se greffer, bien évidemment, sur ce processus
légal, problèmes liés d’abord à la réinsertion des illégaux démobilisés puisqu’il s’avère
assez souvent qu’ils restent encore sans repaires (ils attendent le retour de leur
« patrón »); problèmes liés aussi à la corruption de nombre de personnages politiques
qui ont été liés à des groupes illégaux. Dans ce dernier cas, la cause est loin d’être
entendue puisque la Justice a à faire la part des choses: quand on sait qu’un grand
nombre de politiques, locaux, départementaux et nationaux ont dû cultiver des relations avec des groupes criminels ne serait-ce que parce que ces groupes faisaient partie des acteurs inévitables de leur lieu d’exercice du pouvoir politique, il reste à déterminer le type de lien engagé dans l’affaire. Or, il est possible de tracer une ligne allant
du maire de pueblo ne pouvant pas faire construire une route sans l’accord de « partenaires » illégaux jusqu’au politique qui, pour gagner une élection, fait assassiner son
3. Source: Département administratif national de statistique (www.dane.gov.co/), confirmé par le FMI. La croissance
était de 2,5 % en 2002, à l’arrivée au pouvoir d’Alvaro Uribe.
4. Conceptos básicos acerca de la ley de justicia y paz y los derechos de las víctimas, Procuraduría General de la
Nación/USAID, 2008.
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opposant par les Farc, l’ELN ou des paramilitaires. Le travail de la justice suppose évidemment la mobilisation de suffisamment de moyens et d’hommes pour être efficace, donc une certaine rapidité mais aussi une grande prudence dans la mise au jour
des faits avérés. Cette justice connaît des difficultés liées, en particulier, à un manque
de personnel face à un phénomène de croissance exponentielle de son activité. Elle
continue aussi, mais dans une moindre mesure que par le passé, de pâtir de concurrences de compétences entre certaines de ses grandes institutions (la Cour constitutionnelle, la Cour suprême de Justice et le Conseil d’État).
Pour expliquer les problèmes de la justice, certains commentateurs insistent sur sa
source : la faiblesse de l’État en général. Or, la population montrait une réelle
méfiance à l’égard des autorités officielles au début des années 2000; la chose est donc
avérée, mais avec une inflexion assez nette ces dernières années, sous les deux mandats d’Uribe. En outre, l’important problème que peut soulever cette optique vient
du lien établi entre elle et la permanence des groupes violents en Colombie.
Il faut insister, comme l’a fait Deas dans nombre de ses interventions écrites ou
orales, sur le fait que l’État colombien n’a pas été et n’est pas absent en Colombie. Il a
construit des infrastructures routières, des écoles, des hôpitaux. Le bât blessait principalement en ce qui concernait la Justice et les forces de l’Ordre, non seulement en
termes quantitatifs et de formation mais aussi du fait d’une corruption importante.
La police a continué jusqu’à aujourd’hui à conserver une image assez négative et ce,
malgré les énormes efforts réalisés et les améliorations subséquentes.
Il faut aborder aussi avec nuance la question de la permanence des groupes armés
illégaux. En effet, si les Farc représentent la plus ancienne guérilla d’Amérique Latine
en activité, nombre de groupes armés criminels se sont démobilisés ces vingt dernières années : notamment le M 19, le Quintin Lamé, l’EPL (Armée populaire de
Libération) en 1990. Ce qui signifie clairement qu’il n’y a pas de fatalité dans la violence politique colombienne. La guerre a été un phénomène fréquent en Colombie. Il
y a des raisons à cela dont la principale a été maintes fois soulignée: la faiblesse d’un
État qui n’a pu contrôler l’ensemble de son territoire. Mais des éléments de cette faiblesse sont aussi importants à mettre en valeur : le refus de certaines populations
régionales de voir arriver les forces de l’ordre; la soumission de ces mêmes populations à l’ordre imposé par les illégaux, la corruption de parties des forces de l’ordre.
Pourtant, une réaction contre les exactions des guérillas est née à partir des années
quatre-vingt et s’est développée dans les années 1990: celle des mal nommés « paramilitaires ». La diversité et donc la complexité de leur formation n’empêchent pas une
catégorisation simple. Ils se sont formés sous la coupe de grands propriétaires ou de
propriétaires moyens rassemblés pour se protéger des extorsions des guérillas, puis
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des enlèvements qu’elles ont développés à partir des années quatre-vingt-dix. Nous
avons là le seul titre de légitimité dont ces groupes contre-insurrectionnels illégaux
pouvaient se réclamer. Car nombre d’entre eux se sont aussi formés comme milices
d’appoint ou de protection des activités du narcotrafic ; il est même avéré que
nombre d’entre eux se sont formés comme simples et purs narcotrafiquants. On peut
noter à cet égard que Castaño, leur chef historique, a commencé par travailler avec
Pablo Escobar, dans la seconde moitié des années quatre-vingt[5].
L’appellation de « paramilitaires » peut prêter à confusion dans la mesure où les
groupes ainsi dénommés ne sont pas une création de l’État colombien ni même de l’armée colombienne, même si, à certains moments et en certaines situations, les forces de
l’ordre ont pu s’allier avec eux pour mener des opérations contre-insurrectionnelles.
Aussi, si l’État peut être tenu pour responsable, aujourd’hui, de la naissance ou des
méfaits de certains de ces groupes, il ne peut être considéré comme coupable de leur
création. Il faudrait pouvoir montrer qu’une politique d’État a été mise en place à la
charnière des années quatre-vingt et de la décennie quatre-vingt-dix, ce qu’aucun des
historiens consultés ni des politiques les plus critiques (nous pensons à Gustavo Petro
avec lequel nous avons eu un entretien en avril 2008) n’a su faire. Même des textes produits par l’Institut d’Études politiques et de Relations internationales de l’Université
nationale ne peuvent qu’affirmer l’existence de liens entre les paramilitaires et « la classe
politique » sans pouvoir arriver à une conclusion tranchée sinon qu’il a existé de « multiples tensions entre les paramilitaires et l’État »[6].
Quoi qu’il en soit, sans préjuger de la reconversion de certains de leurs éléments
en bandes armées, comme les « Aigles noirs » qui sévissent jusque dans les faubourgs
de Bogota, le quasi-démantèlement de ces groupes parachève leur affaiblissement,
sensible depuis quelques années. Un lien historique existe entre la formation des
milices dites paramilitaires et les exactions (extorsions, séquestrations, massacres) des
guérillas, mais on ne sous-estimera ni les manques des forces de l’ordre, voire leurs
collusions en certaines régions avec ces milices, ni la montée en puissance de la production de narcotiques et leur diffusion pendant la décennie quatre-vingt.
À quoi s’ajoutent les nombreuses alliances non seulement entre guérillas mais
entre elles et les groupes paramilitaires et narcotrafiquants.
5. Voir Luis Cañon M., El Patrón. Vida y muerte de Pablo Escobar, Bogotá, Planeta, 2002.
6. Voir en l’occurrence: Francisco Gutiérrez et Mauricio Barón, « Estado, control territorial paramilitar y orden político en Colombia », dans Nuestra Guerra sin nombre. Transformaciones del conflicto en Colombia, Bogotá, Norma/IEPRI,
2006, p. 267-309, citation p. 279.
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Les Farc à l’encan?
L’historien britannique Deas nous rappelait que la violence armée est « réactionnaire »
et non « progressiste »; remarque nécessaire pour contrer l’image du « bon révolutionnaire »: l’histoire vient infirmer l’a priori qui, quand il n’est pas kantien, relève de l’utopie destructrice[7].
En dépit de cette utopie du « bon révolutionnaire », les Farc ont connu récemment
un fort affaiblissement. Ce phénomène a une histoire récente. En effet, alors qu’elles
parviennent à l’apogée de leur puissance et de leur capacité de combat contre les forces
nationales, la fin des années 1990 va signer, pour le moins, la mise en place de certaines
des raisons de leur repli.
L’État colombien avait subi de forts revers dans les années 1990, alors que la stratégie des Farc était passée de la guerre de guérilla (mobilité, harcèlement par de petits
groupes), à une pratique du choc frontal avec des groupes de centaines d’hommes. À la
même époque, les Farc se sont convertis, en quelque sorte, en séquestreurs et narcotrafiquants ou du moins en soutiens du narcotrafic, tirant de ces activités l’essentiel de leurs
ressources, tout particulièrement après la chute du Mur de Berlin puis la fin de l’Union
soviétique[8]. Le mouvement est de même sens en ce qui concerne Cuba qui, non seulement, a vu la plupart de ses projets échouer à l’intérieur (sauf l’installation de structures
totalitaires) comme à l’extérieur mais pâtit de l’âge avancé de son Lider Maximo et de
cette source de financement que constituait l’Union soviétique. Il y a plus: l’État a été
largement délégitimé durant la présidence d’Ernesto Samper (1994-1998), convaincu
d’avoir reçu des subsides de narcotrafiquants pour financer une partie de sa campagne
présidentielle. Le nouveau président va donc dépenser l’essentiel de son énergie à se
défendre de cette accusation. Son visa pour les États-Unis lui est retiré. Sous son mandat, la guérilla va connaître ses plus francs succès qui vont continuer sous le mandat
d’Andrés Pastrana (1998-2002).
Pastrana est, en effet, élu sur un programme de négociation avec les guérillas, programme qu’il va s’efforcer d’appliquer en acceptant de dégager une zone grande
comme la Suisse (42000 km2) en faveur des Farc. Il engagera également des négociations avec un autre mouvement de moindre envergure, l’ELN (Armée de Libération
nationale, castriste). Pastrana avait donc repris, sur une plus grande échelle la « tradi7. Nous nous permettons de renvoyer à notre article « Les trois vagues de l’utopie », Les Cahiers d’Histoire sociale,
n° 24, 2004.
8. Sur l’ensemble de l’histoire des Farc et de leurs liens avec le Parti communiste colombien, nous disposons aujourd’hui d’un ouvrage très complet d’Eduardo Mackenzie, Las FARC, fracaso de un terrorismo, Bogotá, Random House
Mondadori, 2007.
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tion » gouvernementale colombienne de négociation et de concessions aux guérillas, et
il ressentit nécessairement d’une manière amplifiée l’échec de son entreprise. Mais cet
échec mit en valeur les conséquences que peut connaître un phénomène connu en
d’autres régions du monde: la guerre contre et au sein de la population.
Or celle-ci ne va pas rester un acteur passif car la situation colombienne est assez
particulière: une guerre a lieu dans une démocratie bien ancrée et dont en outre la tradition électorale est ancienne[9]. À cela s’ajoute le fait que Marulanda, le chef historique
des Farc (mort en mai dernier), a fait montre d’un total mépris de son interlocuteur, le
président Pastrana, tout au long de la tentative de négociation, mépris qui culmina lors
de l’épisode dit « de la chaise vide », juste avant que le président ne décidât, le 22 février
2002 de cesser les négociations faute d’interlocuteur fiable: Marulanda avait longuement fait attendre Pastrana pour finir par lui envoyer un de ses proches chargé d’un
simple message de propagande.
L’échec de l’entreprise de Pastrana confirmait le refus des Farc de négocier et l’inscription de leur attitude dans le cadre d’une stratégie d’attente et de renforcement de
leurs forces dont ils allaient bénéficier jusqu’à aujourd’hui au moins sur un plan: les relations qu’ils avaient établies au niveau international grâce à la visite de politiques et émissaires étrangers dans leur zone réservée (le Caguan). La diffusion de leur propagande, en
particulier en Europe, en sortira renforcée. Toutefois, la majorité de la population en âge
de voter allait donc réagir au spectacle d’un État mis à mal par les démonstrations de
bonne volonté de Pastrana, en élisant en 2002 un candidat, Álvaro Uribe, qui se présentait avec un programme de fermeté totale contre les groupes armés illégaux, en particulier contre les Farc dont son père avait été la victime dix-neuf ans auparavant.
Il faut insister sur le fait qu’il s’agit d’un État démocratique. Il est donc nécessaire,
pour suivre la guerre qu’Uribe mène, de remettre l’ensemble de ses activités dans ce
cadre de démocratie avérée. La Colombie ne se résume ni aux Farc, ni à une période de
dictature militaire (puisque celle qu’elle a connue entre 1953 et 1957 avait été promue et
avalisée par des civils et que sa relative faiblesse l’avait fait surnommer « dictablanda »
ou dictature molle), ni à la corruption d’une partie de ses cadres politiques ou encore à
la « parapolitique » (collusion de politiques avec les paramilitaires). Elle est dotée d’institutions qui fonctionnent tant bien que mal, et plutôt bien ces derniers temps[10].
Cependant, si la politique dite « de sécurité démocratique » qu’Uribe va appli9. Cette activité électorale colombienne est bien présentée et remise dans le contexte politico-juridique de la « tradition
civiliste » colombienne par Eduardo Posada Cárbo, La Nación soñada. Violencia, liberalismo y democracia en Colombia,
Bogotá, Editorial Norma/Fundación Ideas para La Paz, 2006.
10. Cette absence de mise en contexte politique est le manque central du livre de Daniel Pécaut, Les FARC, une guérilla
sans fins?, Paris, Lignes de Repères, 2008.
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quer marque un revirement, elle n’est pas sans quelques antécédents. D’une part,
comme gouverneur du département d’Antioquia (dont Medellin est la capitale),
Uribe avait déjà mis en œuvre certains de ses éléments; d’autre part, elle est liée à un
renforcement de l’État, et d’abord des forces de l’ordre soutenues par les États-Unis,
sous le nom de « Plan Colombie », dont les prémisses et certains des fondements
avaient été posés sous la présidence précédente. Mais c’est avec la mise en place de
cette politique largement nouvelle (ne serait-ce que par son ampleur) que les Farc
vont connaître leur plus grand affaiblissement. Elles sont aujourd’hui, en effet, sans
doute revenues à leur niveau des années soixante-dix, quand elles comptaient moins
de 10000 hommes.
Politiquement, plusieurs coups décisifs leur ont été portés. D’abord (et il s’agit
d’une erreur qui leur est propre), elles ont largement réduit leur aspect politique en
accentuant presque exclusivement l’aspect militaire à partir des années quatre-vingt
et surtout au cours de la décennie suivante. Pour compenser cette erreur, elles tentent depuis peu de recruter de nouveau des formateurs idéologiques et ouvraient
encore, il n’y a pas deux ans, certains de leurs camps ou « fronts », à des visiteurs,
surtout à des étudiants, afin de leur « expliquer » leur action. L’Université nationale
(la plus importante université publique, de très bon niveau académique) compte
ainsi d’importants noyaux activistes.
Ensuite (et il s’agit toujours d’une source propre d’affaiblissement), le développement, depuis plus de vingt ans, de leurs activités de séquestration de personnes et de
narcotrafic a été, jusqu’à aujourd’hui, fatal à leur image ou aux traces mythiques
positives dont elles pouvaient encore bénéficier auprès de parties de la population et
surtout de l’intelligentsia.
La politique de sécurité démocratique du gouvernement Uribe a, en quelque
sorte, profité de la situation pour aggraver l’état général de cette guérilla en lui déclarant une guerre intégrale, tout en stabilisant peu à peu les institutions démocratiques et en mobilisant des pans importants de la population à son service. Nous
voulons dire par « guerre intégrale » que l’ensemble des moyens de l’État a été mis
au service de la lutte contre la guérilla à l’instant même où son déclin s’amorçait nettement.
Sans doute le coup fatal a-t-il été porté par la réélection d’Uribe en mai 2006.
C’est du moins ce qu’a affirmé Ingrid Betancourt après avoir été libérée par les
forces armées le 2 juillet dernier; c’est aussi ce qui avait été le sens du message délivré auparavant par un ancien cadre des Farc, Carlos Gustavo « Plotter »: la réélection ou, du moins, la poursuite de la politique de sécurité démocratique seraient
dévastatrices pour les Farc[11]. En effet, la proximité du président colombien et du
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président G. W. Bush a contribué à continuer les efforts de financement d’une politique dont une partie revenait, cependant, à la charge de la Colombie. Ces efforts ont
porté sur la formation de plus en plus pointue et efficace de groupes d’intervention
contre-insurrectionnels, sur la remise en ordre des forces de sécurité, sur leur extension numérique et l’implication de groupes de citoyens chargés de surveiller et de
dénoncer les mouvements suspects.
Les développements et les résultats de ces deux dernières années et plus encore de
2008 ont confirmé aux yeux d’une grande partie de la population et du gouvernement le bien-fondé de cette politique: des cadres importants de l’état-major des Farc
ont été tués (Raul Reyes, le second de cet état-major et chargé des relations avec l’extérieur, en mars 2008 ; Ivan Rios en juin ; entre-temps mourrait Marulanda dit
« Tirofijo », leur chef historique), les défections sont nombreuses, non seulement des
hommes de troupes mais aussi des chefs de fronts. Enfin, les libérations et fuites
d’otages sont plus fréquentes, avec cet aspect sans doute inédit, à savoir que l’idée des
sauvetages par la force, si elle reste discutée, ne semble plus provoquer d’opposition
de principe, sauf dans quelques cercles et en particulier à l’étranger.
À cela s’ajoute la publication de plus en plus fréquente d’informations sur les
conditions de vie des troupes des Farc. La façon dont les chefs de front traitent leurs
subordonnés témoigne d’une organisation caudilliste dans la pire des traditions
latino-américaines, par exemple, les premiers ne laissant que les reliefs de leur repas
aux seconds; les femmes sont traitées comme des objets sexuels à la disposition des
hommes de manière planifiée etc.[12].
L’aboutissement est résumé avec concision par Joaquin Villalobos, ancien commandant de l’Armée révolutionnaire du Peuple (ERP) du Salvador. Dans un article
récent, intitulé « Tir perdu » (Tiro perdido) en référence ironique à feu le chef historique de Farc Marulanda, surnommé « Tir juste » (Tirofijo), il explique la déroute des
Farc en rappelant d’abord que les guérillas qui ont obtenu des résultats sont celles qui
ont décidé de négocier, au premier rang desquelles se trouve, en Colombie, le M 19
qui a rendu les armes en 1990 et a pu participer activement à la confection de la
Constitution de 1991. Villalobos souligne ensuite que la guerre actuelle en Colombie
n’est pas apparue il y a quarante ans mais il y a douze ans, quand les Farc purent
11. Cité par Eduardo Pizarro Leongómez, « Las FARC-EP : ¿repliegue estratégico, debilitamiento o punto de inflexión? », dans Francisco Gutiérrez et al., Nuestra Guerra sin nombre. Transformaciones del conflicto en Colombia, Bogotá,
Norma/IEPRI, 2006, p. 198-199.
12. Il faut lire à ce propos le témoignage d’une jeune Hollandaise partie par déréliction ou/et idéologie rejoindre les
rangs des Farc. Des extraits de son journal ont été publiés dans l’hebdomadaire Semana (Bogotá, 10-17 septembre
2007).
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défier les forces de l’État. Mais aujourd’hui elles se trouvent corrompues par la
recherche du gain dû au trafic de drogue qui a annihilé leur esprit de sacrifice. Et le
même auteur d’affirmer: « L’État colombien a pris l’avantage stratégique quand il a
décidé que le territoire et la population, et non la drogue, constituaient le centre de
gravité du conflit, et ceci, en dépit du fait que les Nord-Américains pensaient le
contraire. »
Les militaires ont appris à combattre en respectant les droits de l’homme, le gouvernement a accepté les abus du passé et a incarcéré ou extradé les plus importants
chefs paramilitaires.
« L’armée colombienne gagne la guerre avant tout grâce aux guérilleros démobilisés.
L’avantage politique de l’État est désormais dévastateur, les Farc sont détestées et,
comme elles ont perdu la maîtrise des voies de communication, des voies fluviales et
des villages, leur moral s’est effondré; il ne leur reste que l’infrastructure de la coca. Elles
ont perdu leur chef et le contrôle de leurs forces militaires. Le futur de ces hommes est
l’inhospitalière forêt, la faim, la maladie, la peur, la reddition, la mort et la fragmentation en petites bandes de délinquants. »
Et finalement: « Ivres de dogmatisme idéologique et avec l’arrogance de millionnaires, ils perdirent une occasion en or lorsque le président Pastrana leur céda durant
trois ans 44000 kilomètres carrés, quand la communauté internationale était disposée
à les reconnaître, quand l’État les traitait avec un complexe de culpabilité pour les
erreurs du passé et quand le peuple de Colombie espérait les voir lutter sans armes à
l’intérieur de la démocratie. La leçon est bien synthétisée par ces paroles du général
Jaruzelsky, ex-président de Pologne: “Le tout ou rien conduit toujours au rien”. »[13]
Le diagnostic est clair. Le problème reste cependant complexe puisqu’il concerne
le destin, la réinsertion des démobilisés des Farc qui peuvent aller jusqu’à intégrer les
rangs de l’ancien ennemi (l’ELN par exemple). Le fait qu’Alfonso Cano ait pris les
rênes de la guérilla peut-il amener une repolitisation des Farc alors que la débandade
s’étend et que nombre de « fronts » sont gangrenés par l’appât du gain?
Il peut rester la voie de sortie (ou de renforcement?) que constitue l’alliance avec
Chávez et ses amis politiques (Ortega au Nicaragua, Zelaya au Honduras, Correa en
Équateur, Morales en Bolivie et, dans une certaine mesure, l’Argentine de
Mme Fernandez de Kirchner, plus lointaine), mais sans doute dans un contexte rendu
plus difficile par le rapprochement manifeste d’Uribe avec d’autres dirigeants latinoaméricains, les plus marquants étant Mme Bachelet et le pragmatique Lula.
13. Joaquin Villalobos, « Tiro perdido », El Tiempo, Bogotá, 15 juin 2006.
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La France en porte-à-faux
Cependant, des maladresses venues de l’extérieur ont pu, auraient pu et pourraient
remettre en cause les succès du gouvernement colombien en matière de sécurité intérieure. Ici aussi, nous ne saurions sous-estimer la probable influence du mythe du
« bon révolutionnaire » dans la façon d’agir de la France, des conseillers les plus
proches du président.
Dans un ouvrage d’une grande richesse sur l’Amérique Latine, son histoire, ses
acteurs, sa vie et ses formes politiques, le Vénézuélien Carlos Rangel décortiquait le passage du mythe du « bon sauvage » à celui du « bon révolutionnaire », tous deux issus de
la Conquête et produits européens. Contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis,
souligne Rangel « notre frustration et notre irrationalité sont telles que nous finirons
par ne plus admettre d’autre filiation et, même si nous sommes fils et petit-fils d’immigrants européens de fraîche date, nous serons des tupamaros […]. »[14]
La faille par laquelle pouvait entrer le révolutionnarisme était désignée. Or, il faut
se demander si certaines des décisions françaises, depuis l’été 2007, ou encore certaines des pressions pour le moins maladroites, ne tirent pas leur origine des traces
du mythe du « bon révolutionnaire ». Comment comprendre, sinon, l’insistance
française auprès de Bogotá pour que les autorités colombiennes désignent comme
intermédiaire avec les Farc l’ennemi par excellence d’Uribe dans la région qu’est
Hugo Chávez ? Celui-ci allait en profiter pour tenter de pousser ses pions en
Colombie, ses « cercles bolivariens », jusqu’à ce qu’il commette un impair officiel:
téléphoner directement au chef d’état-major de l’armée de terre colombienne sans en
référer au président Uribe. C’est la raison immédiate pour laquelle Uribe l’a renvoyé
et que son « intermédiaire » a repris ses insultes. Nous avons là aussi un exemple de ce
que le documentaire, cité en début d’article, a passé sous silence (il y est suggéré
qu’Uribe a agi par caprice).
Or, la France a-t-elle vraiment compris, depuis 2002-2003, et encore sous la présidence actuelle, ce que Villalobos nous a décrit?
La stratégie adoptée par la France depuis six ans et amplifiée depuis près d’un an,
faite d’à-coups et d’à-peu-près, est fondée sur trois méprises: la publicité, l’humanitaire et Hugo Chávez.
Dominique de Villepin avait pris très à cœur le drame Betancourt. Les racines de
cet engagement étaient privées, mais l’État en faisait un point d’honneur. De plus, et
14. Túpac Amaru s’était soulevé en 1780 contre les abus des créoles péruviens… an nom du roi d’Espagne Charles III.
Carlos Rangel, Du bon sauvage au bon révolutionnaire, trad. F.-M. Rosset, Laffont, 1976, p. 34-35.
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récemment, l’ancien ambassadeur de France en Colombie, devenu malheureusement
le principal conseiller sur cette affaire, se mariait avec la sœur de l’otage. Le mélange
devenait explosif. D’autant plus que l’entreprise française allait accumuler les erreurs
diplomatiques autant que techniques. Les autorités colombiennes n’étaient guère
tenues au courant de nombre de démarches et, à la mi-2003, le Brésil lui-même renvoyait Paris dans les cordes après une incursion sur son territoire à laquelle il n’avait
pas donné son feu vert.
Depuis plus d’un an, la dérive s’est accentuée même si le chemin a paru mieux
balisé : Bogotá est à présent informée, mais la publicité faite autour d’Ingrid
Betancourt n’a pas aidé celle-ci et l’avion français envoyé en avril dernier est revenu,
vide et inutile. Dans un élan compréhensible, sa famille a cherché à mobiliser toutes
les forces possibles pour la libérer. Toutefois, l’insistance de l’une de ses parties sur la
culpabilité du gouvernement colombien est devenue contre-productive. Elle suggérait
fortement l’abandon des moyens de force et le rapprochement avec le voisin, un
Chávez par excellence ennemi d’Uribe.
À un moment où les forces de l’ordre ont remporté de francs succès contre les
guérillas, où les États occidentaux reconnaissent le caractère criminel des Farc, cette
famille s’est enfoncée dans la dénonciation d’un gouvernement légitime et populaire.
Le gouvernement français n’a pas contredit cette orientation, il l’a infléchi à la marge.
La défense de la démocratie et de ses principes a été sacrifiée sur l’autel de l’émotion
pour donner « une politique du microphone » au narcissisme anti-politique. Que le
gouvernement français ait suivi la famille Betancourt est étonnant. Imprégnée normalement d’une haute idée de l’intérêt général, la France a choisi de privilégier la privatisation des raisons de son action selon l’exemple laissé en héritage par les deux
présidents précédents. La prise en main publicitaire de cette affaire par l’État français
a été pétrie d’émotion familiale, privée, le propre beau-frère de l’otage conseillant le
président français sur ce dossier.
Cette situation aurait signé la séquestration définitive de l’otage si le palais Nariño
(le palais présidentiel de Colombie) n’avait, avec ses forces armées, conçu une opération sans précédent de sauvetage en utilisant l’antique ruse et la tromperie, opération
qui a pleinement réussi le 2 juillet dernier.
Or, pendant ce temps, Paris a continué sur son chemin, notamment en prenant à
son compte le mythe de « l’échange humanitaire ». Ce mythe cache les motifs réels
des Farc, nullement humanitaires; en effet, celles-ci font feu de tout bois – exploitant
la naïveté ou l’adhésion idéologique – pour retarder leur fin.
On pouvait, en entendant le message du président Sarkozy à la fin de l’année dernière, avoir un doute. Le ton alternait entre l’ouverture et la fermeté, mais de toute
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façon, « la France n’abandonnerait jamais Ingrid Betancourt ». L’image de fermeté
attachée à la figure de Nicolas Sarkozy pouvait laisser penser que plusieurs possibilités
étaient envisagées. Son passé ne se confondait pas avec les méthodes humanitaires
mais avec celles qui, dans le respect de l’État de droit, font pleinement jouer les
moyens de la violence légale et légitime. Le communiqué que donna le président
français en mars 2008 a semblé enterrer tout espoir: faire appel au sentiment d’humanité des chefs des Farc revenait à leur demander de ne plus être ce qu’ils sont.
La notion d’« échange humanitaire » est un élément central de leur propagande
visant à affaiblir les défenses de ceux qui le prennent au sérieux. Un exemple entre
mille: en janvier les Farc libéraient trois otages… mais ils en enlevaient six dans le
nord-ouest de la Colombie. Les médias français ne se sont guère fait l’écho de cela.
L’« échange humanitaire » est un trompe-l’œil mortel repris par des personnes victimes du syndrome de Stockholm ou de celui de Copenhague[15], qui ne fait que
brouiller l’entendement politique puisqu’il consiste à s’en prendre au mandataire
légitime et qui s’efforce de faire libérer des otages (en l’occurrence le président colombien Uribe) plutôt qu’aux preneurs d’otages eux-mêmes (les Farc).
Les raisons des Farc sont autres qu’humanitaires. Elles ont un sens politique (et
criminel) qui échappe au moins en partie à leurs interlocuteurs-ennemis. Harassées
par les troupes étatiques, connaissant la débandade sur certains de leurs fronts, en
particulier après la mort de Raúl Reyes et celle d’Iván Ríos, elles ont pour but de trouver si ce n’est une légitimité politique du moins une reconnaissance à l’extérieur de la
Colombie parce qu’elles l’ont complètement perdue à l’intérieur. Cette reconnaissance passe par la multiplication des correspondants favorables en Europe et par
l’éviction de la liste européenne des organisations terroristes.
En poussant, pendant l’été 2007, le gouvernement colombien à prendre Hugo
Chávez comme intermédiaire avec les Farc, Paris se situait là aussi loin de l’humanitaire. Mais si le calcul pouvait paraître judicieux, fondé qu’il était sur les liens avérés
de membres du gouvernement vénézuélien avec les Farc, il introduisait en fait un fort
élément perturbateur. Chávez est l’ennemi par excellence d’Uribe dans la région. Non
seulement il revendique une partie orientale de la Colombie, mais il travaille à la diffusion de son idéologie « bolivarienne » dans toute l’Amérique Latine et surtout en
Colombie où la sénatrice Piedad Cordoba lui prête main-forte avec un succès mitigé
(sa popularité s’est évanouie, mais les cercles « bolivariens » sont actifs). La stratégie
expansionniste chavézienne est inhérente à son idéologie et poussée par les échecs
15. Moisés Naím, El País, Madrid, 6 janvier 2008.
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politiques, économiques et sociaux au Venezuela. En soutenant l’action de Caracas,
Paris a contribué à la crise régionale des Andes.
La Colombie est, en effet, un pays à la fois fort et faible. Fort de ses succès en
matière de sécurité intérieure, son gouvernement a, en bon stratège, continué les opérations armées lors même qu’il s’ouvrait aux propositions étrangères (libération unilatérale l’an dernier d’un chef des Farc, Rodrigo Granda, et de près de deux cents prisonniers, nouvelle proposition en mars d’une libération générale). Mais il est faible
aussi dans le domaine de sa politique étrangère, mal organisée et focalisée sur ses liens
avec Washington.
En ce qui concerne Paris, la situation est vite apparue inextricable pendant que
Bogotá, sur le terrain, suivait un chemin non sans embûches mais avec des réussites
enviables et reconnues comme telles par la population: par exemple Francisco Galan,
un chef de l’autre guérilla (l’ELN) a
renoncé définitivement aux armes
Vous avez manqué
le 3 avril 2008 et, finalement, Ingrid
les précédents numéros
Betancourt ainsi qu’une dizaine
d’Histoire & Liberté ?
d’autres otages des Farc ont été libé(Cahiers d’Histoire sociale)
rés, avec le soutien des États-Unis et
d’Israël notamment, mais sans que
Vous pouvez en retrouver
Paris ne soit mis au courant.
tous les sommaires
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et les commander à :
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4, avenue Benoît-Frachon
92023 Nanterre Cedex
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(frais de port inclus)
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Comprendre la situation en
Colombie suppose que l’on ait
conscience, d’une part, qu’il s’agit
d’une démocratie dans laquelle la
séparation des pouvoirs fonctionne– et parfois mieux qu’ailleurs
– et que, d’autre part, qu’elle est
confrontée à une guerre interne et
non à une guerre civile, puisque
l’immense majorité de la population n’y participe pas, si ce n’est par
son soutien à un pouvoir qui harcèle et défait des guérillas dont les
pratiques et l’idéologie n’ont plus
de résonance populaire.
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