Newsletter - Schellenberg Wittmer

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Newsletter - Schellenberg Wittmer
Avocats
D é cem b r e 2 0 0 9
Newsletter
Auteurs:
Jürg Borer,
Peter Burckhardt
CO M P E T I T I O N & A N T I T R U ST / W H I T E - CO L L A R C R I M E & CO M P L I A N C E
Changement d’ère pour le secret professionnel de l’avocat?
Lorsque les entreprises s’entretiennent avec leurs avocats, elles désirent s’assurer que leurs
­communications seront traitées de manière confidentielle, notamment s’agissant des questions de
­compliance dans le domaine du droit de la concurrence. Les entreprises ont besoin de se prémunir
contre l’utilisation à leur détriment dans une procédure judiciaire des communications tant internes
qu’externes.
1 L e p r i v i l è g e d e l’av o c at e t l e s e c r e t
­p r o f e s s i o n n e l
Cette newsletter a pour but de fournir une vue d’ensemble
de la situation du droit et de son évolution future dans le
domaine du secret professionnel de l’avocat, notamment
en ce qui concerne les juristes d’entreprises.
1.1 Introduction
Selon l’article 321 du Code pénal suisse (CP), les avocats et
défenseurs en justice, ainsi que leurs auxiliaires, ont l’interdiction de révéler des secrets qui leur ont été confiés
dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Cette obliga-
tion de confidentialité fait également l’objet de l’article 13
de la Loi sur la libre circulation des avocats (LLCA) et est
concrétisée dans la jurisprudence (ATF 130 II 192, c. 4. 4).
En droit suisse, ces principes sont interprétés de manière
stricte. Premièrement, les avocats externes à une entreprise
sont exemptés de l’obligation de témoigner sur des faits
entrant couverts par le secret professionnel (privilège de
refuser de témoigner). Deuxièmement, ils ne peuvent être
contraints par les tribunaux ou toute autre autorité à pro-
duire des documents faisant partie de leur activité, au
détriment de leur client (privilège de refuser de produire
des documents). Ces principes s’appliquent dans les pro-
cédures pénales ou civiles, ainsi que dans les procédures
administratives telles que les enquêtes prévues par le
droit de la concurrence.
Le secret professionnel de l’avocat a été traditionnellement
interprété comme s’appliquant uniquement à des avocats
indépendants. Ainsi, un avocat employé par une entreprise
comme juriste interne n’est pas soumis au secret profes-
sionnel de l’avocat, même s’il est admis au barreau (décision du Tribunal pénal fédéral du 14 mars 2008).
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La question du secret professionnel du juriste d’entreprise
31 juillet 2009. L’un de ses buts est d’harmoniser en pro-
n’a pas été tranchée par le Tribunal fédéral, qui a néan-
fondeur le droit pour les avocats et les juristes d’entreprise
tant: le secret professionnel s’étend aux avocats externes à
L’introduction de tels privilèges juridiques pour des
moins pris clairement position sur un autre point impor-
une entreprise, mais uniquement pour des secrets confiés,
c’est-à-dire des documents confidentiels qui leur ont été
remis par elle. Ainsi, les documents ne sont protégés que
dans la mesure où ils sont en possession de l’avocat ou
perdus contre sa volonté (décision du Tribunal fédéral
«Panalpina» du 28 Octobre 2008). La seule exception con­
cerne la correspondance de la défense avec un avocat
indépendant dans une procédure en cours qui est protégée
par le secret professionnel de l’avocat, qu’elle soit en sa
possession ou non.
En Suisse, le secret professionnel de l’avocat est interprété
beaucoup plus restrictivement que dans d’autres juridic-
tions, comme par exemple dans les pays de common law
(Attorney-Client Privilege). Alors que la jurisprudence du
Tribunal fédéral à cet égard demeure limitative, le légis­
lateur suisse a récemment adopté une législation visant à
modifier le champ d’application du secret professionnel
dans le Code fédéral de procédure pénale (CPP) et le Code
fédéral de procédure civile (CPC), et a mis en consultation
un avant-projet de loi sur les juristes d’entreprise.
de refuser de témoigner et de produire des documents.
juristes d’entreprise présente un grand intérêt, en permettant d’améliorer le flux d’information interne, notamment
en ce qui concerne la compliance, qui revêt une impor-
tance croissante. Aujourd’hui, les entreprises doivent faire
face à la menace constante que les efforts fournis dans
ce domaine et les résultats obtenus, qu’ils soient le fait de
juristes d’entreprise ou d’avocats indépendants, ne soient
pas protégés par le secret professionnel si les documents
sont situés dans les locaux de l’entreprise. Ces documents
peuvent faire l’objet d’une saisie, notamment lors de per-
quisitions prévues par le droit pénal et le droit de la con­
currence. En outre, une claire délimitation du secret pro-
fessionnel appliqué au juriste d’entreprise serait utile aux
entreprises suisses dans les litiges portés devant les tribunaux américains (et devant d’autres pays de common law)
et profiterait aux entreprises suisses, désavantagées par
rapport à leurs homologues américaines en matière de droit
de produire.
1.3 Suppression du critère de détention
d e s d o c u m e n t s pa r l’av o c at ?
1 . 2 L e s e c r e t p r o f e s s i o n n e l d e l’av o c at
est-il applicable aux juristes d’entreprise?
L’existence et la portée du secret professionnel pour un
juriste d’entreprise ont été très discutées dans le cadre de la
promulgation du CPP et du CPC, ainsi que de la proposi-
tion récente d’avant-projet de loi sur les juristes d’entreprise.
Les principaux arguments juridiques soulevés contre l’extension du secret professionnel de l’avocat aux juristes
d’entreprise sont fondés sur l’interprétation générale du
droit pénal et des règlements applicables aux avocats.
Selon ces règles, on retient le manque d’indépendance et
la nécessité moindre d’un secret professionnel pour les
juristes d’entreprise (cf. décision du Tribunal pénal fédéral du 14 mars 2008). Dans l’affaire précitée, le Tribunal
fédéral a expressément laissé ouverte la question de savoir
si un juriste d’entreprise pouvait se prévaloir d’une quel-
conque forme de secret professionnel. La réticence du Tribunal fédéral de se prononcer sur ce sujet controversé
peut paraître surprenante, mais la plus haute cour suisse
n’a probablement pas senti la nécessité d’anticiper la décision du législateur suisse.
Au cours des débats parlementaires au sujet du projet du
CPP, la création d’un droit pour le juriste d’entreprise
de refuser de fournir des preuves a été discutée, mais n’a
finalement pas été retenue. Une motion parlementaire a
incité le Conseil fédéral à présenter un avant-projet de loi
sur les juristes d’entreprises, mis en consultation jusqu’au
Dans la décision Panalpina, le Tribunal fédéral ne s’est pas
prononcé sur le secret professionnel de l’avocat appliqué
au juriste d’entreprise. Le décision du tribunal inférieur
concernant la saisie de documents a été confirmée sur la
base de l’absence de détention de documents pertinents
par l’avocat (ou juriste d’entreprise) concerné.
Selon la jurisprudence et la doctrine dominante, une exception au critère de détention des documents par l’avocat est
possible uniquement lorsque les documents saisis appar-
tiennent à la correspondance de la défense de l’avocat au
sens strict, c’est-à-dire quand les documents en question,
pour une procédure en cours, relèvent de la relation entre
l’inculpé et son défenseur (décision du Tribunal fédéral
du 13 août 2004).
La décision Panalpina ne mentionne pas cette exception,
car les documents en question n’entraient pas dans le cadre
de la correspondance de la défense. Le Tribunal fédéral
n’a donc pas infléchi sa position, stricte, relative au critère
de détention des documents par l’avocat, et il était encore
moins question d’introduire un secret professionnel pour
les juristes d’entreprises. Le critère de détention, en tant
que condition préalable pour bénéficier du secret professionnel sera supprimée dans un avenir proche pour les
actions pénales et civiles: le CPP et le CPC prévoient en
effet un droit au secret de la correspondance de l’avocat
indépendamment du critère de détention. Les deux codes
accordent une protection par le secret professionnel, sans
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tenir compte du critère de détention de documents, contre
rentrent pas dans la définition de l’exception, la condition
été adoptées et devraient entrer en vigueur le 1er janvier
fédéral du 13 août 2004).
les saisies (art. 264 CPP; art. 160 CPC). Ces deux lois ont
2011. L’avant-projet de loi sur les juristes d’entreprise ne
requiert pas la détention de documents comme condition
au secret professionnel.
2 L e s e c r e t p r o f e s s i o n n e l d e l’av o c at d a n s
le domaine du droit de la concurrence
2.1 Généralités
Le secret professionnel de l’avocat prend de plus en plus
d’ampleur dans le cadre du droit de la concurrence. Le
Secrétariat de la Commission de la Concurrence (le Secrétariat) a acquis des pouvoirs d’investigation supplémen-
taires, sur la base de l’article 42 al. 2 de la Loi fédérale sur
de détention étant donc applicable (décision du Tribunal
Étant donné que les futurs codes de procédure civile et
pénale ne prévoient pas ce critère détention des documents,
ils pourraient également avoir un effet sur l’application de
la LCart, en entraînant l’abandon de la condition de détention (cf. Evaluation de la LCart, p. 32 et ss). Néanmoins,
une telle position ne pourra être adoptée par le Secrétariat
qu’après l’entrée en vigueur du CPC et du CPP, le Tribunal
fédéral ayant refusé dans son arrêt Panalpina d’anticiper
l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Les autorités de la
concurrence pourraient faire valoir que, suite à la promulgation du CPC et du CPP excluant la condition préalable
de détention, une modification formelle des règles de pro-
les cartels (LCart), entrée en vigueur en 2004. Le Secréta-
cédure applicables, à savoir l’article 50 al. 2 DPA, est
août 2009, le Secrétariat a procédé à des perquisitions dans
l’égalité de traitement du secret professionnel de l’avocat
riat peut à présent mener des perquisitions. Jusqu’ à fin
six procédures et a régulièrement saisi des documents et
des supports de données dans plusieurs entreprises.
S’agissant du droit de refuser de donner des preuves ou
d’accepter des perquisitions, la LCart prévoit que les règles
de procédure de la Loi sur la procédure administrative
(PA) ainsi que celles de la Loi sur le droit pénal adminis-
tratif (DPA) sont applicables. Le Secrétariat a précisé dans
sa notice sur le déroulement des perquisitions que, généralement, les documents rédigés par des avocats externes à
l’entreprise et par des juristes d’entreprise peuvent être sai-
sis, la seule exception étant la correspondance de la défense
établie par des avocats indépendants dont le contenu porte
nécessaire. Toutefois, ce point de vue entre en conflit avec
dans les différentes branches du droit. En particulier, il
n’y a pas de raison de refuser le secret professionnel dans
les procédures concernant le droit de la concurrence
lorsque les circonstances sur lesquelles elles se fondent
permettraient, dans une affaire criminelle, d’accorder le
secret professionnel. Ce problème a été identifié par la
Commission du Conseil national pour les questions juri-
diques et il fait l’objet d’une proposition législative visant
à harmoniser les règlements concernant le secret professionnel d’avocat dans les différentes lois de procédure.
2.3 Position du juriste d’entreprise dans
sur une procédure en cours (www.weko.admin.ch).
les procédures du droit de la concurrence
2.2 Problème du critère de détention des
ainsi que des évaluations en matière de compliance, les
d o c u m e n t s d a n s u n e p r o c é d u r e r e l e va n t
du droit de la concurrence
Le point de vue des autorités de la concurrence, ainsi que
la jurisprudence restrictive du Tribunal fédéral sur le critère de détention de documents, sont particulièrement
problématiques en droit de la concurrence: les audits relatifs à la compliance sont complexes et, partant, souvent
menés bien avant qu’une éventuelle instruction soit ouverte.
Il existe donc un risque à ne pas négliger que des docu-
ments ne soient pas considérés comme de la correspondance
Lors de la réalisation d’audits en droit de la concurrence,
juristes d’entreprise jouent un rôle important dans l’élaboration, l’analyse des faits et la définition des stratégies.
Les documents ainsi rédigés par des juristes d’entreprise
à l’attention de la direction, ne sont très probablement pas
protégés contre la saisie au cours de perquisitions en rai-
son de la situation légale actuelle ambiguë. Cette situation
ne sera améliorée qu’avec l’adoption de la loi sur les
juristes d’entreprise.
3 Les procédures «best practice» dans
entrant dans le cadre de la défense d’une entreprise lors
les entreprises
ment ouvert juste avant une perquisition (cf. Evaluations
pas fournir une protection totale contre la saisie de docu-
d’une perquisition, étant donné que l’audit est générale-
Actuellement, le secret professionnel de l’avocat ne peut
de la LCart, Verfahrenrecht und EMRK, Projektbericht
ments sensibles situés dans les locaux de la société lors de
P10/11, p. 32 et ss), avec pour conséquence la saisie des
documents relatifs à l’audit qui se trouveraient dans les
locaux de l’entreprise. A cet égard, il est également problématique que le Tribunal fédéral ait considéré que les
documents relatifs à une défense «produits à l’avance» ne
perquisition, même s’ils sont archivés de manière centra­
lisée dans les bureaux du juriste d’entreprise.
La sécurité pourrait certainement être augmentée si:
(i) les avocats indépendants étaient impliqués dans les procédure relevant du droit de la concurrence et si (ii) toute
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correspondance avec les avocats indépendants était évitée.
précaution importante à prendre. Même si cela ne
Le risque pour les entreprises en cas de perquisitions peut
professionnel de l’avocat, cette mesure peut faciliter le
Ces mesures sont, dans bien des cas, irréalistes.
cependant être réduit dans une certaine mesure en mettant
en œuvre les mesures suivantes:
> Si une perquisition relevant du droit de la concurrence
est en cours ou imminente, des avocats indépendants
doivent être consultés.
> Même si une protection complète n’est pas actuelle-
ment garantie, les documents sensibles rédigés par des
juristes d’entreprises et avocats indépendants doivent
être conservés exclusivement au sein du département
juridique. L’accès à ces documents doit être interdit
à toute personne ne travaillant pas dans ledit département. En outre, les destinataires de tout document
sensible doivent être limités.
> Qu’elle soit interne ou externe, la correspondance
­s ensible doit être administrée de manière centralisée
par le département juridique.
> Libeller les documents sensibles (y compris les e-mails
et autres données électroniques) avec la mention
«confidentiel» ou «correspondance de l’avocat» est une
constitue pas une condition pour bénéficier du secret
traitement et la classification des documents au cours
d’une perquisition.
> Lorsqu’ils effectuent une perquisition, les agents de
l’autorité de concurrence doivent être priés de séparer
et sceller les documents que la société indique comme
tombant sous le secret professionnel. Les documents
scellés, tout comme les autres documents saisis, ne sont
plus à la disposition de l’entreprise. Toutefois, l’auto-
rité de concurrence pourra uniquement accéder à ces
documents après une procédure de levée des scellés
devant la Chambre d’appel du Tribunal pénal fédéral.
Afin de lever les scellés, le Tribunal pénal fédéral prendra en considération les conditions strictement définies
pour la protection du secret professionnel de l’avocat.
> Afin d’être mieux préparées à d’éventuelles perquisi-
tions, les entreprises peuvent établir un manuel interne
et/ou une check-list fournissant des instructions claires
et définir les rôles des différentes personnes lors de
perquisition.
C o n ta c t s
Le contenu de cette Newsletter ne peut pas être assimilé à un avis ou conseil juridique ou fiscal. Si vous souhaitez
­obtenir un avis sur votre situation particulière, votre personne de contact habituelle auprès de Schellenberg Wittmer
ou l’un des avocats suivants répondra volontiers à vos questions:
A Genève:
A Zurich:
Jean-Yves De Both
Jürg Borer
Associé
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Associé
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Paul Gully-Hart
Peter Burckhardt
Associé
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