peut-on se passer des inhibiteurs de la calcineurine en
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peut-on se passer des inhibiteurs de la calcineurine en
PEUT-ON SE PASSER DES INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE EN TRANSPLANTATION RÉNALE ? par E. MORELON*, N. PATEY**, J.-P. REROLLE*, M.-F. MAMZER-BRUNEEL*, C. BODEMER***, M.-N. PÉRALDI*, LH NOËL** et H. KREIS* La néphrotoxicité des inhibiteurs de la calcineurine (IC) et la limitation de leur utilisation au long cours est enfin une préoccupation majeure en transplantation rénale. La disponibilité des nouveaux immunosuppresseurs va-t-elle pouvoir permettre d’éviter d’utiliser les IC, fondement de la très grande majorité des protocoles immunosuppresseurs depuis le début des années 80 ? A-t-on les moyens pour pouvoir répondre à cette question, 7 ans et 3 ans après la mise sur le marché en transplantation rénale du mycophénolate mofétil, et du sirolimus respectivement ? En effet, il apparaît évident qu’il faut éviter autant que faire se peut l’utilisation à moyen et à long terme des IC en raison de leur néphrotoxicité. Mais ces nouvelles molécules ont-elles une puissance immunosuppressive équivalente, afin de ne pas modifier l’incidence et la sévérité du rejet chronique qui pourrait être plus rapidement destructeur de l’allogreffe que la néphrotoxicité des IC ? La toxicité propre de ces nouveaux immunosuppresseurs justifie-t-elle l’abandon définitive des IC ? Nous essaierons de répondre à ces différents points dans cette revue. NÉPHROPATHIE CHRONIQUE DU GREFFON : DÉFINITIONS ET STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE La terminologie de la néphropathie chronique du transplant reste souvent imprécise et est source d’une mauvaise interprétation des résultats des études. La néphropathie chronique du transplant est la conséquence d’une agression dépendante des * Service de transplantation et de réanimation, Hôpital Necker ; Hôpital Necker ; *** Service de dermatologie, Hôpital Necker, Paris. FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE ** Service d’anatomopathologie, — ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2003 300 E. MORELON ET COLL. allo-antigènes, donc d’origine immunologique, appelée proprement rejet chronique, et d’autres lésions d’origine diverse. Ces dernières sont nombreuses, conséquences de lésions pré-existantes chez le donneur, de lésions d’ischémie froide et d’ischémie-reperfusion, de l’HTA et des dyslipidémies, d’infections (pyélonéphrites aiguës, néphrites à BK virus) et enfin, de néphrotoxicité médicamenteuse, dont celle des IC [1]. Dans une stratégie thérapeutique visant à conserver le greffon le plus longtemps possible, il faut peser le poids du rejet chronique proprement dit, par rapport au poids des facteurs non immunologiques, la néphrotoxicité étant un des paramètres contrôlables. Une induction forte associée à une immunosuppression non spécifique de faible puissance non néphrotoxique pourrait avoir de bons résultats sur le rejet aigu et la fonction rénale à court terme, sans influer profondément sur le développement du rejet chronique à long terme. Par ailleurs, la néphropathie chronique du transplant évolue de façon insidieuse. Les lésions histologiques précèdent les signes cliniques, et la néphropathie chronique du greffon peut évoluer pendant plusieurs années sans détérioration de la fonction rénale, et sans association avec un rejet aigu préalable [2]. Les biopsies systématiques réalisées à différentes périodes après la greffe sont donc un moyen nécessaire pour évaluer la progression de la néphropathie chronique du greffon à moyen terme. Malheureusement, elles manquent dans la plupart des études. Pour savoir si on peut se passer des inhibiteurs de la calcineurine en transplantation, il faut disposer d’études prospectives à moyen et à long terme, randomisées et contrôlées, comprenant des biopsies systématiques chez un grand nombre de patients. NÉPHROTOXICITÉ DES INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE La néphrotoxicité des inhibiteurs de la calcineurine est connue depuis longtemps. Son importance et ses conséquences sur la durée de vie des greffons ont été longtemps discutées en transplantation rénale. En effet, si l’introduction de la ciclosporine, puissant immunosuppresseur, a permis une diminution de l’incidence des rejets aigus et a coïncidé avec une amélioration importante de la survie des greffons à court et à moyen terme, la difficulté de différencier les lésions histologiques du rejet chronique immunologique de celles de la néphrotoxicité des IC [3] complique l’interprétation de la perte des greffons lorsqu’elle survient. L’étude des reins des patients, atteints de maladies auto-immunes et des transplantés cardiaques et hépatiques traités par ciclosporine, a montré que les lésions histologiques les plus fréquemment attribuées aux IC étaient l’association d’une fibrose interstitielle, d’une atrophie tubulaire et d’une hyalinose de la paroi des artérioles [4]. Ces lésions sont malheureusement peu spécifiques et difficiles à distinguer de celles du rejet chronique d’origine immunologique, ou des lésions pré-existantes chez un donneur âgé et hypertendu [3]. Les lésions les plus spécifiques de la néphrotoxicité des inhibiteurs de la calcineurine sont les lésions hyalines de la paroi artériolaire. Cependant la pratique des biopsies systématiques en transplantation rénale à l’hôpital Necker nous a montré qu’on pouvait observer ces lésions artériolaires considérées comme spécifiques chez des patients transplantés rénaux n’ayant jamais reçu d’IC. Il est donc très difficile sur la biopsie d’un rein transplanté présentant des lésions de néphropathie chronique du greffon de différencier, de façon certaine, les lésions du rejet chronique immunologique des lésions de INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE 301 néphrotoxicité de la ciclosporine, donc d’en quantifier la part respective. Il faut donc être prudent quand on analyse les études cliniques traitant de la néphrotoxicité des IC. Malgré toutes ces réserves, l’incidence de l’insuffisance rénale chez les patients transplantés hépatiques [5, 6] et cardiaques [7-10], et le pourcentage de ces patients en insuffisance rénale terminale montre qu’il serait préférable d’éviter complètement les inhibiteurs de la calcineurine. Enfin, il ne semble pas y avoir de différence entre la néphrotoxicité induite par la ciclosporine et celle induite par le tacrolimus. Un autre point important, qu’il faut garder en mémoire quand on interprète les résultats des études sur l’arrêt des IC, est qu’il existe deux types de néphrotoxicité induite par les IC. Une néphrotoxicité fonctionnelle et réversible, secondaire à une vasoconstriction artérielle rénale, et une néphrotoxicité organique, responsable de lésions chroniques considérées comme irréversibles [1]. Il est donc normal que la créatininémie baisse quand on arrête ou diminue les IC, car l’augmentation du flux sanguin rénal entraîne une augmentation immédiate de la filtration glomérulaire. En revanche, lorsque la créatininémie augmente à distance de l’arrêt des IC, il faudra suspecter une évolution péjorative du rejet chronique immunologique qui pourra contrebalancer l’effet bénéfique attendu de l’arrêt des IC. Combien de temps faut-il se donner pour décider d’un effet bénéfique de l’arrêt des IC sans accentuation du rejet chronique immunologique ? Ceci n’est pas clair, mais il est peu probable que les études à court terme (inférieure à deux ans), non contrôlées et portant sur un petit nombre de patients puissent répondre à la question du bénéfice de l’arrêt des IC. RÉVERSIBILITÉ DE LA NÉPHROTOXICITÉ DES IC L’étude des patients transplantés cardiaques donne une idée de la réversibilité de la néphrotoxicité des IC car il n’y a pas dans cette population d’interaction avec le rejet rénal chronique immunologique. Il est bien connu qu’une proportion importante des patients transplantés cardiaques a une insuffisance rénale chronique qui s’aggrave au cours du temps, et peut conduire à l’hémodialyse [7, 8, 10]. Dans une étude concernant 15 patients transplantés cardiaques, chez qui la ciclosporine a été diminuée de moitié en raison d’une suspicion de néphrotoxicité, la fonction rénale ne s’améliorait pas de façon significative deux ans après la diminution des doses, alors qu’il n’y avait pas de modification du débit cardiaque [9]. En revanche, d’autres auteurs ont montré que chez des patients chez qui la ciclosporine était diminuée, avec un remplacement de l’azathioprine par le mycophénolate mofétil, on observait une amélioration significative de la fonction rénale 6 mois après la réduction des doses [11]. Ces résultats opposés suggèrent que la néphrotoxicité de la ciclosporine est d’autant plus réversible que son interruption est précoce, avant l’instauration de lésions irréversibles. NÉPHROTOXICITÉ DES IMMUNOSUPPRESSEURS NON IC Les études cliniques chez les volontaires sains, chez les patients présentant des maladies auto-immunes et chez les transplantés cardiaques ou hépatiques ont montré que les corticoïdes, l’azathioprine et le mycophénolate mofétil n’étaient pas néphrotoxiques. 302 E. MORELON ET COLL. Les données sur la néphrotoxicité de la rapamycine et de ses dérivés sont moins formelles. Les études chez le rat et chez les patients atteints de psoriasis montrent que le traitement par le sirolimus ne diminue ni le flux sanguin rénal, ni la filtration glomérulaire [12, 13]. Cependant, des données cliniques et expérimentales suggèrent que le traitement par le sirolimus pourrait s’accompagner d’une certaine néphrotoxicité. Le sirolimus entraîne une hypokaliémie d’origine tubulaire [14]. Des données chez l’animal montrent que la rapamycine entraîne une aggravation de certaines lésions rénales, la vasculopathie nécrosante et l’atrophie tubulaire, chez les rats spontanément hypertendus [15]. Enfin, nous avons constaté l’apparition de syndromes néphrotiques chez quelques patients après le remplacement des inhibiteurs de la calcineurine pour le sirolimus. Ces syndromes néphrotiques ont été rapportés, dans certains cas, à des lésions de hyalinose segmentaire et focales (cf. infra). Pour finir, la rapamycine, comme les IC, augmente la sécrétion de TGFβ [16], cytokine profibrosante, et pourrait, par ce biais, augmenter la fibrose interstitielle intrarénale. La rapamycine inhibe aussi la réponse à certains facteurs de croissance et la fibrose dans certains modèles [17]. La résultante de ces interactions aux effets contraires n’est pas encore connue. Quoi qu’il en soit, les études comparant le sirolimus et la ciclosporine montrent que la fonction rénale des patients est significativement meilleure sous sirolimus que sous ciclosporine [18], démontrant clairement que le sirolimus a une toxicité rénale inférieure à celle de la ciclosporine. Cependant, seuls les résultats à long terme permettront de juger de l’effet du sirolimus au long cours sur la fonction rénale. PEUT-ON ARRÊTER LES INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE ? La néphrotoxicité des inhibiteurs de la calcineurine a poussé les médecins transplanteurs à essayer de les diminuer ou de les arrêter après la transplantation, chez les patients ayant une néphropathie chronique du transplant et chez les patients ayant une fonction rénale normale. Remplacement des inhibiteurs de la calcineurine par l’azathioprine ou le mycophénolate mofétil Deux études randomisées de remplacement de la ciclosporine par l’azathioprine à trois mois et à un an post-transplantation chez des patients en bithérapie ciclosporine-corticoïde montrent que le pourcentage de rejet aigu était significativement plus important dans le groupe de patients sous azathioprine. En revanche, le rejet chronique clinique, la survie des patients et des greffons à 8 ans étaient similaires dans les deux groupes. De plus, dans le groupe des patients convertis à l’azathioprine, il y avait moins de patients hypertendus, et la fonction rénale était meilleure que sous ciclosporine 5 ans après le changement (tableau I) [19, 20]. D’autres études plus récentes ont analysé le devenir des patients chez qui la ciclosporine était remplacée par le mycophénolate mofétil [21-24]. Ces études montrent que l’arrêt de la ciclosporine entraîne une amélioration de la fonction rénale (voir tableau I). Le pourcentage de rejet aigu après la conversion variait d’une étude à l’autre et semblait acceptable (voir tableau I). Cependant, une seule de ces études PÉRIODE 27 12 >6 30 23 64 17 118 108 28 Rétrospective Prospective Non randomisée Arrêt ciclo Conversion aza pour MMF Arrêt ciclo. Intro aza Arrêt ciclo Intro aza Arrêt ciclo Intro aza Diminution ou arrêt ciclo Intro aza Arrêt ciclo Intro aza ou MMF Arrêt ciclo Intro MMF Diminution ou arrêt IC SUPPRESSION IMMUNO- Prévention néphrotox Économique Prévention néphrotox Prévention néphrotox Néphrotox Prévention néphrotox Prévention néphrotox Néphrotox MODIFICATION DE RÉNALE Améliorée :50 p. 100 Stable : 50 p. 100 Altérée si RA Améliorée Améliorée Améliorée Améliorée Améliorée Améliorée FONCTION TRANSPLANTATION RÉNALE. MOTIF IC EN Néphrotox : néphrotoxicité. RA : rejet aigu. RC : rejet chronique. ND : non déterminé Aza : azathioprine. MMF : mycophénolate mofétil. Ciclo : ciclosporine 33 12,5 > 12 216 (MOIS) POST-GREFFE 3 N 117 ÉTUDE ÉTUDES D’ARRÊT OU DE DIMINUTION DES Prospective Randomisée Prospective Randomisée Prospective Non randomisée Prospective Randomisée Prospective Non randomisée Rétrospective TYPE TABLEAU I. — PRINCIPALES RA : 6 ciclo 17 aza RC : 12 ciclo 8 aza RA : 15 ciclo 15 aza RC : ND RA : 4 RC : 8,6 RA : 36 aza 12 MMF RC : ND RA : 6 RC : 8,6 RA : 15 RC : ND RA : 26,9 RC : ND RA : 5 RC : 50 aggravation histologique REJET AIGU/CHRONIQUE P. 100 Thervet 2000 Jha 2001 Hollander 1995 MacPhee 1998 Mourad 1998 Smak-Gregor 2000 Schrama 2000 Weir 2001 REF INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE 303 304 E. MORELON ET COLL. était contrôlée et randomisée, et dans aucune d’elles il n’y avait de biopsie systématique. Dans d’autres études, l’arrêt de la ciclosporine s’avère délétère. Dans une étude rétrospective reprenant les patients chez qui la ciclosporine était remplacée par l’azathioprine pour des raisons économiques, le pourcentage de rejet aigu était de 27 p. 100, et la fonction rénale des patients ayant présenté un rejet aigu était moins bonne [25]. La seule étude d’arrêt de ciclosporine comprenant des biopsies systématiques est une étude pilote prospective non randomisée ayant porté sur 28 patients, dans laquelle chez les patients ayant une fonction rénale stable 2 ans après la greffe et n’ayant pas présenté de rejet aigu depuis au moins 6 mois, l’azathioprine était remplacée par le mycophénolate mofétil, et la ciclosporine arrêtée sur une période d’un mois. Cette étude montre que 50 p. 100 des patients avaient une amélioration de leur fonction rénale après l’arrêt de la ciclosporine, tandis que pour 50 p. 100, la fonction rénale était stable. Chez ces derniers, on observait une aggravation histologique sur les biopsies systématiques faites au 6e mois [26]. Enfin dans une méta-analyse récente consacrée aux modifications du traitement immunosuppresseur après transplantation rénale, Kasiske concluait que l’arrêt de la ciclosporine chez des patients sélectionnés ne semblait pas entraîner un risque de perte du greffon à long terme [27]. Les données de toutes ces études montrent donc que l’arrêt des inhibiteurs de la calcineurine est possible dans une population sélectionnée, avec cependant un risque de rejet aigu non prévisible pour un individu donné (pas de facteur de risque identifié). L’arrêt des inhibiteurs de la calcineurine s’accompagne d’une amélioration de la fonction rénale, d’une diminution de l’HTA, et d’une amélioration du bilan lipidique. Enfin, on note une réversibilité partielle des lésions de néphrotoxicité. Cependant, le risque de rejet chronique a été très mal évalué dans la majorité de ces études. L’interprétation des résultats des protocoles d’arrêt des IC dépend aussi des indications de la modification de traitement. En cas de dysfonction chronique clinique du transplant, à un stade peu évolué, on attend une amélioration rapide de la fonction rénale à l’arrêt des IC. En revanche, lorsque la néphropathie chronique du transplant est à un stade infraclinique, il est nécessaire de randomiser les patients et d’attendre suffisamment longtemps pour observer l’effet de l’interruption des IC. Cette dernière approche n’a pas été abordée de façon prospective et contrôlée avec le mycophénolate mofétil comme substitut au Néoral®. Remplacement des inhibiteurs de la calcineurine par le sirolimus La faible toxicité rénale du sirolimus et sa puissance immunosuppressive en font un bon candidat pour remplacer les IC. Dans une grande étude multicentrique prospective ouverte et randomisée ayant inclus 525 patients [28], les patients étaient traités pendant 3 mois par stéroïdes, sirolimus à dose fixe (2 mg par jour), et ciclosporine, puis étaient randomisés au troisième mois post greffe pour rester en trithérapie dans le bras A, ou être traités en bithérapie par sirolimus et stéroïdes dans le bras B. Dans ce bras, les doses de sirolimus étaient augmentées progressivement sur un mois, période d’arrêt de la ciclosporine, pour atteindre un taux sanguin résiduel de 20-30 ng/ml. Les résultats de cette étude montrent que la survie des greffons (91,2 p. 100 groupe A versus 94 p. 100 groupe B) et des patients (94,5 p. 100 groupe A versus 96,3 p. 100 groupe B) à 2 ans était comparable dans les deux groupes. L’incidence des rejets aigus était de 13,1 p. 100 avant randomisation et de 5,1 p. 100 versus 9,8 p. 100 dans les groupes A INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE 305 et B respectivement après randomisation (p = 0,09). De plus, la fonction rénale des patients et la pression artérielle était meilleure après l’arrêt de la ciclosporine [28]. Cette étude bien conduite méthodologiquement montre que l’arrêt très précoce de la ciclosporine est possible en transplantation rénale adulte, avec des résultats satisfaisants à 2 ans chez des patients en bithérapie sirolimus-stéroïdes. Les bons résultats obtenus avec l’utilisation du sirolimus en l’absence d’inhibiteurs de la calcineurine (voir infra) nous ont poussé à le proposer aux patients ayant une néphropathie chronique du greffon plus ou moins évoluée, aux patients ayant des effets secondaires graves des inhibiteurs de la calcineurine (micro-angiopathie thrombotique), ou de façon précoce chez des patients ayant reçu un greffon d’un donneur marginal, après résultats de la biopsie rénale de déclampage. Le sirolimus a été introduit pour pouvoir arrêter les inhibiteurs de calcineurine et éviter leur néphrotoxicité, sans entraîner de perte du greffon par rejet chronique immunologique. 50 patients transplantés rénaux ont été inclus dans ce protocole (protocole 501) à l’hôpital Necker, entre 1997 et 2001. Les indications du remplacement des CI pour le sirolimus étaient la néphropathie chronique du greffon avec des signes de néphrotoxicité pour 48 patients sur 50, et une micro-angiopathie thrombotique pour 2 patients. Sur l’ensemble de la population, la fonction rénale de ces patients ne s’est pas modifiée après conversion. En effet, la créatininémie moyenne avant l’inclusion était de 198 +/– 152 µmol/l, et de 196 +/– 146 µmol/l en octobre 2001. Cependant, chez 32 patients, la fonction rénale s’est améliorée initialement, leur créatininémie moyenne variant de 219 à 118 µmol/l, puis s’est secondairement détériorée. L’absence de bras contrôle dans ce protocole ne permet aucune conclusion. Cependant, l’absence d’aggravation de la fonction rénale tout au long de la période d’observation permet au moins de penser que le remplacement de l’IC par le sirolimus n’a pas été néfaste. Une des limitations de l’utilisation du sirolimus dans cette indication pourrait être sa toxicité dans cette population de patients fragilisée par l’immunosuppression antérieure. Nous avons en effet observé une incidence importante d’anémies (36 patients sur 50), d’aphtes (13 patients sur 50), d’éruptions cutanées (19 patients sur 50), d’œdèmes des membres inférieurs (4 patients sur 50), de pneumopathies infectieuses (13 cas sur 50) ou secondaires au sirolimus (12 cas sur 50) et d’hépatites cholestatiques (3 cas sur 50). Les autres effets secondaires du sirolimus (hyperlipidémie, thrombopénie) n’étaient pas différents de ce qui a été rapporté dans les études d’utilisation du sirolimus en traitement de base (voir infra). Enfin, le remplacement des CI par le sirolimus a été compliqué de l’apparition ou de l’aggravation d’une protéinurie dans 32 cas sur 50, supérieure à 3 g/24 heures dans 18 cas. La biopsie rénale, réalisée chez 15 patients, a montré l’existence de lésions de FSGS dans 5 cas, qui n’existaient pas sur les 5 biopsies réalisées avant la modification de l’immunosuppression. Le rôle du sirolimus dans la survenue de ces protéinuries reste indéterminé. On ne sait pas s’il s’agit d’une augmentation du flux sanguin rénal consécutif à l’arrêt des IC sur des glomérules préalablement lésés par les IC ou le rejet chronique, ou si le sirolimus a une toxicité glomérulaire propre. L’absence de protéinurie sous sirolimus dans les études pivots de phase III oriente vers la première hypothèse. L’intérêt du remplacement des CI par le sirolimus dans la néphropathie chronique du greffon reste donc à démontrer par une étude randomisée, actuellement en cours. Cependant, pour éviter les lésions de néphrotoxicité des CI, il est préférable d’effectuer ce changement le plus tôt possible. On a en effet peu à attendre d’une modification de l’immunosuppression lorsque le greffon a des lésions 306 E. MORELON ET COLL. irréversibles de néphropathie chronique. De plus, notre expérience montre que la tolérance au sirolimus est meilleure lorsqu’il est prescrit de façon précoce après la greffe, que lors de son introduction tardive. TRANSPLANTATION SANS LES INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE Le désir d’éviction complète des inhibiteurs des calcineurine paraît évident en transplantation rénale. La suppression de leur néphrotoxicité et de leurs autres effets secondaires pourrait en effet améliorer notablement les résultats à long terme et diminuer l’incidence des cancers post-transplantation, à condition de prévenir aussi efficacement le rejet aigu et chronique grâce à l’utilisation d’autres immunosuppresseurs. Cette stratégie d’éviction complète des inhibiteurs de la calcineurine a été défendue depuis longtemps par l’équipe de transplantation de l’hôpital Necker. Ainsi, dans les années 1980, l’utilisation d’une induction forte et prolongée par l’OKT3, suivi d’une immunosuppression par Imurel et corticoïdes a permis d’éviter l’utilisation des IC avec des résultats satisfaisants [29]. Malheureusement, les effets secondaires de l’OKT3 ont limité l’intérêt de ce protocole. Protocoles utilisant le mycophénolate mofétil en thérapie de base Le mycophénolate mofétil étant plus efficace que l’azathioprine dans la prévention du rejet aigu [30], il était logique de le tester comme possible substitut des IC en transplantation rénale. Dans une étude prospective multicentrique non contrôlée comprenant 98 patients transplantés rénaux à faible risque immunologique, le mycophénolate mofétil a été utilisé avec le daclizumab et les corticoïdes. La survie des patients et des greffons à un an était de 97 p. 100 et 96 p. 100 respectivement, mais une incidence des rejets aigus de 46 p. 100 était considérée comme trop importante par les auteurs et le protocole comme insuffisamment immunosuppresseur [31]. Le manque de puissance de cette association immunosuppressive a été confirmé dans une autre étude prospective non contrôlée, portant sur un plus petit nombre de patients. L’incidence des rejets aigus au cours des 6 premiers mois de transplantation était de 31 p. 100, mais chez seulement 49 p. 100 des patients, il fut possible de ne pas réintroduire la ciclosporine [32]. Par ailleurs, l’incidence du rejet chronique n’était pas évaluée par ces études. Les résultats à très court terme et le faible nombre de patients dans les études publiées traitant de l’association d’un traitement d’induction par anticorps polyclonaux anti-lymphocytaire avec le mycophénolate mofétil et les corticoïdes, ne permettent pas d’évaluer l’intérêt de cette association immunosuppressive [33, 34]. Cependant, dans leur ensemble, ces résultats permettent de considérer que l’association du mycophénolate mofétil et des corticoïdes en traitement d’entretien est insuffisante pour la prévention du rejet aigu en transplantation rénale. Protocoles utilisant le sirolimus en traitement de base Deux études prospectives de phase II et une étude prospective de phase IV ont comparé le sirolimus à la ciclosporine pour la prévention du rejet aigu en transplantation rénale. L’étude de l’association du sirolimus à l’azathioprine et aux INHIBITEURS DE LA CALCINEURINE 307 corticoïdes montrait, pour la première fois, que le sirolimus pouvait remplacer les inhibiteurs de la calcineurine [35]. Cependant, l’incidence du rejet aigu, de l’ordre de 40 p. 100 dans les deux groupes de patients, restait trop importante et poussait à tester l’association du sirolimus au mycophénolate mofétil. Dans cette deuxième étude, le sirolimus était donné avant la transplantation avec une dose de charge de 24 mg/m2 pendant trois jours, puis 12 mg/m2, et adapté ultérieurement aux taux résiduels (30 ng/ml pendant 8 semaines, puis 15-20 ng/ml). Le mycophénolate mofétil était donné à la dose de 2 g par jour. La survie à un an des patients (97,5 p. 100 groupe sirolimus versus 95 p. 100 groupe ciclosporine) et des greffons (92,5 p. 100 groupe sirolimus versus 89,5 p. 100 groupe ciclosporine) était comparable dans les deux groupes. L’incidence des rejets aigus n’était pas statistiquement différente (27,5 p. 100 dans le groupe sirolimus versus 18,5 p. 100 dans le groupe ciclosporine) [14]. De plus, l’analyse de la fonction rénale des patients de ces deux études montrait que la créatininémie était significativement meilleure dans le groupe des patients sous sirolimus à partir du troisième mois posttransplantation, et jusqu’à la deuxième année post-greffe [18]. L’utilisation d’un traitement d’induction améliore encore ces résultats. Dans une étude prospective randomisée comparant le sirolimus et la ciclosporine, dans une association de mycophénolate mofétil, stéroïdes et basiliximab, la survie des patients, des greffons et l’incidence des rejets aigus à un an de transplantation est similaire dans les deux bras (96,7 p. 100, 96,7 p. 100 et 6,4 p. 100 respectivement dans le groupe sirolimus, et 100 p. 100, 95,4 p. 100, et 16,6 p. 100 respectivement dans le groupe ciclosporine). De plus, la fonction rénale des patients sous sirolimus est significativement meilleure à 6 mois et à un an que celle des patients sous ciclosporine [36]. Ces trois études montrent que le sirolimus est une alternative de choix pour remplacer les IC. Il semble en effet aussi immunosuppresseur que la ciclosporine (incidence des rejets aigus comparable à celle de la ciclosporine), mais la fonction rénale, meilleure chez les patients sous sirolimus, confirme l’absence de réduction de la filtration glomérulaire. Malgré ces avantages, la place du sirolimus dans l’arsenal thérapeutique posttransplantation n’est pas encore clairement définie. D’un côté, les effets secondaires induits par le sirolimus sont différents de ceux induits par les IC. On ne connaît pas encore les conséquences de l’hyperlipidémie (certes bien corrigée par les fibrates ou les statines) induite par le sirolimus sur la survie des patients et des greffons à long terme. La diminution des doses de sirolimus au cours du temps et le traitement par statines ou fibrates permettent de contrôler la majorité de ces hyperlipidémies [14]. De plus, l’effet antiprolifératif du sirolimus pourrait compenser les perturbations induites par l’hyperlipidémie. On peut donc raisonnablement espérer que l’incidence des maladies cardio-vasculaires ne sera pas augmentée sous sirolimus. D’un autre côté, les propriétés antitumorales du sirolimus constatées in vitro et chez l’animal pourraient le placer en première place dans les protocoles immunosuppresseurs à venir. Le sirolimus pourrait aussi être utilisé en monothérapie, en association avec un puissant traitement inducteur. Dans une étude récente portant sur un petit nombre de malades, les patients reçoivent un traitement d’induction par des anticorps polyclonaux antilymphocytaire de lapin à fortes doses (dose totale de 20 mg/kg en 8-10 jours) associés à des corticoïdes pendant trois jours, et du sirolimus en traitement d’entretien, débuté dès le début de la transplantation. Des biopsies systématiques sont réalisées à 1 mois, 6 mois et 12 mois. Sur douze patients, 2 ont 308 E. MORELON ET COLL. présenté un rejet aigu, et un patient a présenté un rejet infraclinique. La fonction rénale des patients à un an était très satisfaisante et définie par une créatininémie moyenne à 107 µmol/l, et une clairance de la créatinine moyenne à 74,2 ml/mn [37]. Les résultats de cette étude qui doivent être confirmés par une étude prospective à plus long terme et portant sur un plus grand nombre de patients, suggèrent qu’une transplantation rénale est possible en évitant complètement les inhibiteurs de la calcineurine et les corticoïdes. Nouveaux immunosuppresseurs non néphrotoxiques La disponibilité prochaine de nouveaux immunosuppresseurs non néphrotoxiques comme le FTY720 [38] et les anticorps antiCD3 non mitogéniques [39] devrait permettre de multiplier les associations d’immunosuppresseurs non néphrotoxiques, et d’offrir un plus grand choix d’immunosuppresseurs moins toxiques que les IC. Une étude récente montre que l’association de l’everolimus au FTY720 donne des résultats satisfaisants dans la prévention du rejet aigu en transplantation rénale chez le primate [40]. En conclusion, si les IC restent encore la pierre angulaire de l’immunosuppression en transplantation rénale, en raison de leur efficacité, de la connaissance de leurs effets à long terme et du poids des habitudes, on peut prévoir dans un avenir proche une diminution de leur utilisation au profit d’une immunosuppression non néphrotoxique où le sirolimus et le mycophénolate mofétil auront une place centrale, en association avec une induction forte. Seules des études prospectives contrôlées comprenant des biopsies systématiques pourront nous faire avancer de façon scientifique vers une immunosuppression plus spécifique et moins toxique, et améliorer ainsi la durée de vie du greffon et la qualité de vie des patients transplantés. BIBLIOGRAPHIE 1. CAMPISTOL JM, GRINYO J. Exploring treatment options in renal transplantation : The problems of chronic allograft dysfunction and drug-related nephrotoxicity. Transplantation, 2001, 71, S42-S51. 2. LEGENDRE C, THERVET E, SKHIRI H et al. 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