profession : directeur d`hôpital

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profession : directeur d`hôpital
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L’ENQUÊTE
JEUDI 21 OCTOBRE 2010 LES ECHOS
PROFESSION :
DIRECTEUR D’HÔPITAL
Serrer les coûts tout en améliorant l’offre de soins, gérer les mille et une contraintes de l’entreprise hôpital, tel est le quotidien
d’un responsable hospitalier. Un métier en plein bouleversement, au cœur de la réforme de la gouvernance du système de santé.
L
e jugement a sans doute été
accueilli avec soulagement par
nombre de directeurs d’hôpital.
Le tribunal correctionnel de Bergerac a finalement prononcé
mardi la relaxe de l’ancien directeurdel’hôpitaldeSarlat,enDordogne. Ce dernier était poursuivi pour le
décès en 2002 d’un septuagénaire victime
d’une légionellose contractée dans son établissement. En juin, le procureur avait
réclamé dix-huit mois de prison avec sursis
et 20.000 euros d’amende à son encontre.
Problème : au moment des faits, les textes
régissant la lutte contre la prolifération des
légionelles, ces bactéries qui affectionnent
les circuits d’eau chaude, étaient flous, voire
contradictoires.Etàsanomination,troisans
plus tôt, en 1999, le directeur en question
avaithéritéd’unhôpitalvétusteparbiendes
aspects… Une illustration parmi d’autres,
des énormes responsabilités pesant sur les
épaules des dirigeants hospitaliers. Qui
savent désormais qu’une condamnation
pénale fait partie des risques de leur métier.
Ils sont 3.500 à faire partie du corps des
directeurs d’hôpital. Un millier dirigeant
effectivement un établissement, les autres
exerçantunposted’adjoint(directeurfinancier, des ressources humaines, etc.). Ces
professionnels sont souvent les plus gros
employeurs des villes dans lesquelles ils
sont implantés, gèrent des entreprises
d’une complexité inouïe et disposent au
niveau national d’un budget annuel de
70milliardsd’euros.Soudésparunpuissant
espritdecorpsacquisàRennessurlesbancs
de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), une école professionnelle
intégrée par concours à la sortie de Science
po, tous ces hauts fonctionnaires vous le
diront : ils adorent leur métier, mais c’est
vraiment un métier de chien. Et pas seulement à cause du risque pénal…
LA LOI HPST
VUE DU TERRAIN
S’il est une innovation de la loi
HPST qui suscite
l’enthousiasme de tous, c’est
celle de l’organisation de l’offre
de soins au niveau de la région.
Remplaçant l’Agence régionale
de l’hospitalisation, qui ne
pilotait que l’hôpital, l’Agence
régionale de santé (ARS) coiffe
l’hospitalisation publique et
privée, la médecine
ambulatoire et l’offre médicosociale, poussant les différents
acteurs à se décloisonner et à
trouver une meilleure
cohérence entre eux, en
multipliant les partenariats.
Exemple à l’hôpital de
Bergerac, en Dordogne.
Directeur de cet établissement
typique de l’offre en souspréfecture rayonnant sur une
zone semi-rurale (300 lits, un
millier de naissances et
2.500 actes chirurgicaux par
an pour une population
desservie de 80.000 à
100.000 habitants), Christian
Delavaquerie est tout à fait
partant : « Dans le médicosocial, il nous avait fallu deux
ans de travail pour monter avec
nos confrères de la maison de
retraite de La Madeleine une
consultation en commun sur le
dépistage de la maladie
d’Alzheimer. Grâce à la loi
HPST, ce type de dossier serait
maintenant immédiatement
validé. »
1980,etenfinenstratègesdel’hôpital-entreprise, maîtres d’œuvre sur le terrain d’une
série de réformes hospitalières qui fut marquée par de nombreuses fusions d’établissements à partir des années 1990, dans un
double souci : améliorer l’offre territoriale
de soins, ainsi que sa gestion.
Aujourd’hui, les responsables hospitaliers endossent un nouveau costume. Dont
les contours ont été tracés par le président
de la République lui-même. Dans un discours prononcé en octobre 2007, Nicolas
Sarkozy avait émis le souhait que le directeur d’hôpital soit désormais « le patron
reconnu,leseul »desonétablissement.Une
petite révolution. Car dans le monde de
l’hôpital, le terme de patron désigne historiquement le médecin chef de service…
Suivant la consigne présidentielle, le législateur a adopté en juillet 2009 la loi Hôpital,
patients, santé, territoires (HPST) réformant sensiblement la gouvernance de
l’ensemble.
« En caricaturant, nous
avons la responsabilité
d’un patron du CAC 40,
la rémunération d’un gérant
de McDo et le pouvoir
d’un directeur d’école. »
PHILIPPE BLUAT DIRECTEUR DE L’HÔPITAL
DE CALAIS
Les directeurs d’hôpital sont soumis à de
constantes injonctions contradictoires
– restructurer mais sans faire de vagues,
serrer les coûts tout en améliorant l’offre de
soins. Ils passent leur temps à courir après
lechirurgienouleradiologuequileurmanque pour faire tourner correctement un
service.Ilssontcensésmaîtriserunnombre
toujours plus grand de règles et de normes,
du Code de l’urbanisme à celui des marchés publics, en passant par la sécurité
incendie ou le protocole à respecter pour
poser des barrières aux flancs du lit d’un
malade… Ils sont surveillés de très près par
leséluslocaux,quienveulenttoujoursplus,
par le ministère de la Santé, qui leur
demande de mieux tenir leur budget (un
tiers des hôpitaux est en déficit). Ils bénéficient certes d’un logement de fonction,
parfois très agréable, mais sont relativement mal payés compte tenu de leurs compétences et de leurs responsabilités :
6.000 euros par mois en fin de carrière, plus
une prime annuelle plafonnée à
20.000euros.« Encaricaturant,onpeutdire
que nous avons la responsabilité d’un
patron du CAC 40, la rémunération d’un
gérant de McDo et le pouvoir d’un directeur
d’école », résume Philippe Bluat, directeur
del’hôpitaldeCalaisetprésidentduSNCH,
le principal syndicat de la profession.
Nicolas Sarkozy a souhaité
que le directeur d’hôpital
soit désormais « le patron
reconnu, le seul »
de son établissement.
Dans un ouvrage à paraître prochainement
etretraçantdefaçontrèsfouilléel’histoirede
ce corps (1), trois jeunes directeurs
détaillent l’évolution de cette profession. Au
départ simples intendants d’hospices (lesquels étaient réservés aux indigents, jusqu’à
la loi du 21 décembre 1941 qui les ouvrit à
l’ensemble de la population), les directeurs
se sont progressivement mués en bâtisseurs
de l’offre de soins durant les Trente Glorieuses, puis en gestionnaires dans les années
DR
Pouvoirs supplémentaires
Cette loi est en cours de mise en œuvre, la
plupart des décrets étant sortis. A la faveur
de ce nouveau texte, le directeur a pris du
galon, en devenant président du directoire,
ce qui fait de lui le responsable ultime des
arbitrages à rendre. Il a également voix au
chapitre quant à la nomination des médecins. Le président de la commission médicale d’établissement (CME), un médecin
élu par ses pairs pour défendre les intérêts
du corps médical, est maintenant associé à
la gestion, en tant que vice-président du
directoire. Le maire de la ville a perdu la présidence automatique de l’hôpital, mais
gagné (s’il le souhaite, ce que la très grande
majorité des élus locaux a décidé) celle du
conseil de surveillance, lieu où se discute
désormais la stratégie et premier niveau de
contrôle du directoire. Enfin, en échange de
son pouvoir accru, le directeur de l’hôpital
doit composer avec un actionnaire plus
tatillon. Au-dessus de lui veille en effet le
directeur de l’Agence régionale de santé
(ARS), un personnage nommé en Conseil
des ministres qui l’évalue, module le montant de sa prime annuelle en fonction de
l’atteinte des objectifs et peut même, en cas
d’urgence, sortir l’artillerie lourde en
demandant la mise sous administration
provisoire d’un établissement, débarquant,
de fait, le directeur.
Après une année 2009 marquée par des
polémiques passionnées, dont une des
principales était le risque de réveiller, ou
d’accentuer, l’antagonisme historique entre
les médecins supposés dépensiers et les
gestionnairessupposésradins,commentse
met en place cette réforme sur le terrain ?
Période de rodage
Directeur général des Hospices civils de
Lyon et président de la Conférence nationale des DG de centre hospitalier universitaire,PaulCastelestimequ’« àl’arrivéenous
avons plutôt un bon texte », ajoutant toutefois : « Il faut maintenant que l’ensemble de
la communauté se l’approprie culturellement, on est encore en période de rodage. »
Côté médecins, on est moins enthousiaste.
Président de la CME du CHU de Lille et président de la Conférence nationale des présidents de CME, le professeur Alain Destée
voit, à travers la mise en œuvre de la nouvellegouvernance,« unelignedeforceessentiellementgestionnaire,lesavisetinjonctions
du gouvernement étant relayés au niveau
régional par l’ARS vers le directeur de l’établissement, lequel relaie ensuite au chef de
pôle », c’est-à-dire à l’entité qui, au sein de
l’hôpital, gère un pôle de soins particulier
(mère-enfant, cancérologie, urgences, etc.).
Une ligne de force qu’il entend bien moduler grâce au poids du corps médical. Ainsi,
selon lui, le président de la CME, devenu
vice-président du directoire, « ne doit pas
oublier qu’il est le représentant de la communautémédicale »,aurisque,sinon,depasser
pour un traître aux yeux de ses pairs.
Directeur du CHU de Lille, Didier Delmotte pense pour sa part que la nouvelle
gouvernance trouvera une certaine sérénité
à l’usage. « Un directeur d’hôpital doit avant
tout aimer travailler avec les médecins, sinon
ildoitchangerdemétier »,plaidecemanager
convaincu de la nécessité d’associer les
médecins à la gestion. De les associer, mais
pas non plus de les mettre dans une position
intenable face au corps médical : « J’ai toujoursditauprofesseurDestéequelesdécisions
désagréables, c’est moi qui les prendrai »,
ajoute Didier Delmotte.
Autotal,etmalgrélacraintedesmédecins
de perdre du pouvoir et celle des directeurs
d’hôpital d’être mis sous forte tutelle de
l’ARS, cette nouvelle gouvernance se met en
place sans trop de heurts. Et si, le directoire
étant désormais très resserré (7 membres
pour la plupart des hôpitaux, 9 pour un
CHU), certains représentants du corps
médical ne sont plus représentés, « dans la
réalité des faits, nous maintenons d’une
façon ou d’une autre l’ancien conseil exécutif
qui me permettait de couvrir tout le champ
de l’hôpital », confie le directeur d’un petit
établissementdansleSud-Est,luiaussiconvaincu qu’on ne peut pas diriger un hôpital
contre le corps médical.
Un autre point de la loi HPST a fait couler
beaucoup d’encre, c’est la possibilité de
recruter plus facilement qu’avant des directeurs d’hôpital issus d’autres corps de la
fonction publique, et même de faire appel à
des managers issus du privé. Mais dans les
faits, il n’y a pour l’heure aucun exemple de
nomination d’un Essec ou d’un HEC à la
tête d’un établissement. « Cette concurrence
nejoueraqu’àlamarge,estimeundirecteur.
Vu notre salaire, la difficulté de notre métier
et le risque pénal, les candidats venus du
privénesebousculentpas… »Ilyenaeusept
en tout et pour tout jusqu’à présent, postulant pour deux établissements. La Commission nationale de gestion, un établissement
public administratif dépendant du ministère et qui gère les carrières de la fonction
publique hospitalière, a rejeté cinq candidats, pour cause de parcours professionnel
insuffisant ou inadapté. Les deux autres ? Ils
se sont finalement désistés…
CLAUDE BARJONET
(1) « Peut-on diriger l’hôpital ? »,
de Grégory Guibert, Pierre
de Montalembert et Fabien Verdier.
Presses de l’EHESP. Parution en janvier.

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