Alimentation et autisme : Et si le ketchup était plus que du ketchup

Transcription

Alimentation et autisme : Et si le ketchup était plus que du ketchup
Alimentation et autisme :
Par Maxime Banville
L’autisme s’accompagne souvent de nombreuses manifestations dont des problèmes alimentaires. Ces derniers peuvent prendre la forme d’une hypersensibilité sensorielle, d’un refus de manger des aliments d’une couleur spécifique ou, par exemple, de l’utilisation continuelle … de ketchup ! Ces problèmes peuvent engendrer des déficits ou des surplus en certains nutriments, pouvant à leur tour avoir des répercussions physiologiques allant de l’obésité à l’arrêt de la croissance en passant par la malnutrition. Depuis sa naissance, Samuel eu beaucoup de difficulté à être allaité jusqu’au point où l’allaitement au sein fut finalement abandonné en raison du fait qu’il n’arrivait pas à exercer de succion. Vers six mois (période où il est habituellement conseillé d’introduire des aliments en purée lisse aux bébés), Samuel présentait beaucoup de problèmes. Il régurgitait sa nourriture, était très anxieux face à l’introduction de nouveaux aliments, pleurait abondamment et avait même des épisodes où il arrêtait de respirer ou s’étouffait à répétition. C’est environ à la même époque que les parents de Samuel ont remarqué qu’il exprimait de moins en moins de réponse à son entourage. Il était par exemple très difficile d’obtenir son attention et était facilement sur-­‐stimulé s’il se trouvait dans un environnement bruyant. C’est finalement à l’âge de 14 mois que Samuel eut un diagnostic de désordre du spectre de l’autisme. À la suite de cet évènement, ses parents reçurent une formation et de l’aide afin de l’encadrer au mieux; ce qui porta fruit. Le petit garçon est désormais âgé de 8 ans et apprivoise timidement et lentement son environnement tout en apprenant les bases des relations humaines. Toutefois et étrangement, Samuel ne peut avaler quelconque viande ou légume … sans ketchup ! Il est estimé que le désordre du spectre de l’autisme affecte approximativement 1 enfant sur 153 à Montréal.1 Tout comme Samuel, des problèmes alimentaires sont aussi souvent retrouvés chez les enfants atteints du même désordre. On évalue qu’entre 46 et 89% des enfants autistes présentent des problèmes alimentaires.2 De ces enfants, 20 à 40% d’entre eux nécessitent des repas individuels adaptés à leur problématique et ne mangent donc pas les repas habituels de la famille.3 Un mythe populaire doit cependant être adressé : N’est-­‐ce pas tous les enfants qui présentent des problèmes alimentaires tôt ou tard ? Eh bien non ! On observe une fréquence plus de deux fois plus grande chez les enfants autistes. Les problèmes alimentaires présents chez ces derniers ne sont également pas les mêmes et sont souvent d’une gravité plus importante que chez les enfants sans pathologie.4,5 Cause des problèmes alimentaires Une classification des problèmes alimentaires retrouvés chez les enfants a été proposée par les docteurs Palmer, Thompson et Linscheid.6 On y catégorise sommairement les problèmes alimentaires en quatre étiologies possibles et distinctes; une mauvaise adaptation du comportement (cause environnementale non médicale, telle que la permission des parents de jouer avec la nourriture), une dysfonction neuromotrice (problème de déglutition), une obstruction médicale ou mécanique (blocage dans l’intestin) ainsi qu’une anormalité génétique (allergies ou maladies génétiques affectant l’appétit). Il est alors important de préciser qu’un problème alimentaire peut être conséquent à plus d’une cause. Par exemple, dans le cas de Samuel, il pourrait être question de problèmes de succion et de déglutition (dysfonction neuromotrice) combiné à un problème adaptatif du comportement dans le cas où, par exemple, les parents de Samuel lui auraient permis de masquer le gout de certains aliments nouveau ou non-­‐appréciés avec du ketchup. Ainsi, ayant peur de la nouveauté sensorielle qu’un nouvel aliment pourrait engendrer, Samuel s’est éprit de l’habitude d’ajouter du ketchup à tous ses aliments afin d’y retrouver un même gout familier. Catégorisation des formes de problèmes alimentaires Se rapportant toujours au classement modifié de Linscheid6, on rapporte 10 formes différentes de problèmes alimentaires; des crises à l’heure des repas, des habitudes alimentaires étranges (telle qu’ajouter du ketchup sur tous ses aliments), une aversion de plusieurs aliments ou groupes d’aliments, une alimentation prolongée et exclusivement constituée d’aliments en purée, un retard au niveau de la capacité de s’autoalimenter, une sur ou sous consommation importante d’aliments, des vomissements volontaires (mérycisme) et finalement des difficultés de mastication, succion ou déglutition. De ceux-­‐ci, le problème alimentaire le plus fréquent chez tous les enfants, atteints d’autisme ou non, est celui de la sélectivité des aliments.7,8 En d’autres termes, les enfants refusent de manger un aliment particulier ou un groupe d’aliment parce qu’ils ne l’aiment pas. Les enfants atteints du désordre du spectre de l’autisme sont reconnus pour avoir une aversion plus prononcée envers les produits laitiers ainsi que les viandes. On retrouve également beaucoup plus de crises, de vomissements volontaires et de difficultés motrices au niveau de la mastication, de la succion et de la déglutition.6 Apport nutritionnel Les problèmes alimentaires représentent un risque de santé grave à l’égard de la croissance et du développement des enfants qui en sont atteints. Un résumé du peu d’études sur le sujet, publié 2013, a permis de souligner deux déficits nutritionnels chez les enfants autistes, soit ceux du calcium et des protéines.9 Brièvement, le calcium est retrouvé majoritairement dans les produits laitiers et permet le développement des os et leur maintien. Il joue également un rôle de messager au sein de nos cellules. Quant aux protéines, retrouvées dans les produits laitiers et spécialement dans les viandes, elles permettent la construction de plusieurs composantes importantes du corps humains tels que les muscles et contribuent aussi au maintien d’une circulation sanguine. Un enfant ayant un développement normal triplera son poids durant sa première année de vie et augmentera sa taille d’environ 50%. Il est donc indispensable que ce dernier reçoive les nutriments essentiels à sa croissance, d’autant plus si ces nutriments sont utiles au développement des os et des muscles. Interventions possibles Tel que mentionné précédemment, l’intervention avec un enfant autiste présentant une problématique alimentaire nécessite une équipe interdisciplinaire souvent formée d’un médecin, d’un nutritionniste, d’un ergothérapeute et d’un psychologue. Il est alors nécessaire d’évaluer si l’apport alimentaire de l’enfant est adéquat et s’il ne l’est pas, dans quelle mesure il affecte la croissance et le développement de ce dernier. Des solutions nutritionnelles afin d’augmenter ou de réduire les apports de l’enfant en certains nutriments peuvent alors être mis en place. Il est également important d’investiguer la cause du problème alimentaire pour éventuellement y apporter une solution médicale, un programme d’adaptation en ergothérapie (tels que des exercices favorisant le développement des capacités orales) ou une intervention psychologique utilisant des thérapies comportementales tel que le renforcement positif.6 Mais qu’en est-­‐il de Samuel ? Les condiments tel que le ketchup peuvent être utilisés pour augmenter l’acceptation de nouveaux aliments ou d’aliments non appréciés. Ils représentent une forme d’aliment palatable et familière pour l’enfant.10 De plus, ces condiments peuvent être utilisés avec les enfants souffrant d’une hyposensibilité gustative, c’est-­‐à-­‐dire des enfants qui ressentent le besoin d’ajouter plus de saveur (de sucre par exemple) pour avoir la même sensation sucrée.10 Bien que le ketchup puisse être utilisé pour favoriser un apport alimentaire adéquat, il convient de porter attention particulière au fait que certains enfants refuseront éventuellement de consommer des aliments sans ce condiment. De plus, la composition nutritionnelle de ces condiments est souvent pauvre en minéraux et vitamines et riche en sucre et en sel, ce qui ne favorise pas l’amélioration de la qualité du régime alimentaire. La pratique d’ajout de condiments aux repas des enfants atteints d’autisme est donc très controversée. Références 1. Fombonne, E., Zakarian, R., Bennett, A., Meng, L., & McLean-­‐Heywood, D. (2006). Pervasive Developmental Disorders in Montreal, Quebec, Canada: Prevalence and Links With Immunizations. Pediatrics, 118(1), e139-­‐e150. doi: 10.1542/peds.2005-­‐2993 2. Ledford, J. R., & Gast, D. L. (2006). Feeding Problems in Children With Autism Spectrum Disorders: A Review. Focus on Autism and Other Developmental Disabilities, 21(3), 153-­‐166. doi: 10.1177/10883576060210030401 3. Collins, M. S. R., Kyle, R., Smith, S., Laverty, A., Roberts, S., & Eaton-­‐Evans, J. (2003). Coping with the Usual Family Diet: Eating Behaviour and Food Choices of Children with Down's Syndrome, Autistic Spectrum Disorders or Cri du Chat Syndrome and Comparison Groups of Siblings. Journal of Learning Disabilities, 7(2), 137-­‐155. doi: 10.1177/1469004703007002004 4. Bandini, L. G., Anderson, S. E., Curtin, C., Cermak, S., Evans, E. W., Scampini, R., . . . Must, A. (2010). Food Selectivity in Children with Autism Spectrum Disorders and Typically Developing Children. The Journal of Pediatrics, 157(2), 259-­‐264. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.jpeds.2010.02.013 5. Schreck, K. A., Williams, K., & Smith, A. F. (2004). A Comparison of Eating Behaviors Between Children with and Without Autism. Journal of Autism and Developmental Disorders, 34(4), 433-­‐438. doi: 10.1023/B:JADD.0000037419.78531.86 6. Linscheid, T. R., & Rasnake, K. L. (2001). Eating Problems in Children. In E. C. Walker & M. C. Roberts (Eds.), Handbook of Clinical Child Psychology (3rd ed., pp. 523 -­‐ 541). United States of America: John Wiley & Sons. 7. Field, D., Garland, M., & Williams, K. (2003). Correlates of specific childhood feeding problems. Journal of Paediatrics and Child Health, 39(4), 299-­‐304. doi: 10.1046/j.1440-­‐
1754.2003.00151.x 8. Nadon, G., Feldman, D. E., Dunn, W., & Gisel, E. (2011). Association of Sensory Processing and Eating Problems in Children with Autism Spectrum Disorders. Autism Research and Treatment, 2011, 8. doi: 10.1155/2011/541926 9. Sharp, W. G., Berry, R. C., McCracken, C., Nuhu, N. N., Marvel, E., Saulnier, C. A., . . . Jaquess, D. L. (2013). Feeding Problems and Nutrient Intake in Children with Autism Spectrum Disorders: A Meta-­‐analysis and Comprehensive Review of the Literature. Journal of Autism and Developmental Disorders, 43(9), 2159-­‐2173. doi: 10.1007/s10803-­‐013-­‐1771-­‐5 10. Ahearn, W. H. (2003). Using Simultaneous Presentation to Increase Vegetable Consumption in a Mildly Selective Child with Autism. Journal of Applied Behavior Analysis, 36(3), 361-­‐365. 

Documents pareils