Déductibilité des intérêts d`emprunts, quel impact boursier
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Déductibilité des intérêts d`emprunts, quel impact boursier
Apériodique - n° 2012/6 - octobre 2012 TECHNIQUES FINANCIERES Déductibilité des intérêts d'emprunts, quel impact boursier ? En moyenne limité à quelques pour cent, l'impact boursier de la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunts peut être beaucoup plus sévère pour les entreprises lourdement endettées. L e projet de limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunts aura un impact évident sur la rentabilité des sociétés endettées : Si une société porte une dette D avec un taux d'intérêt de 5%, elle bénéficie aujourd'hui (sous réserve qu'elle soit bénéficiaire) d'un avantage fiscal lié à la déductibilité des intérêts, d'environ 34,4% × 5% x D = 1,7% × D (voire 1,8% × D pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d’euros, cf. encadré). Encadré - Rappel sur le calcul de l'impôt sur les sociétés en France Pour les sociétés exerçant leur activité en France et réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 7,63 millions d’euros, le taux d'imposition des bénéfices est de 33,33%. S'ajoute à cet impôt sur les sociétés une contribution sociale de 3,3% de l'impôt, ce qui porte le taux à 34,43%. Enfin, pour les sociétés dont le chiffre d'affaires dépasse 250 millions d’euros, l'impôt dû pour les exercices clôturant entre le 31 décembre 2011 et le 30 décembre 2013 (deux exercices) est encore majoré de 5% par une contribution exceptionnelle, ce qui porte le taux à 36,15%. Il serait envisagé de maintenir cette contribution exceptionnelle sur 2014. Demain (en 2013), la déductibilité sera limitée à 85% de la dette, et le résultat de la société sera donc amputé de 15% × 34,4% × 5% × D. Après-demain (en 2014), la déductibilité sera limitée à 75% de la dette, et le résultat de la société sera donc amputé de 25% × 34,4% × 5% × D = 0,43 % × D. Pour une société dont le leverage (D / EBITDA) est limité à 2, cela représente 0,86 % de l'EBITDA. Pour une société plus lourdement endettée dont le leverage (D / EBITDA) s'élèverait à 5, cela représente 2 % de l'EBITDA, et potentiellement beaucoup plus en pourcentage du résultat net si les amortissements sont importants. L'impact sur les flux financiers, une baisse de 3 à 4% de la capacité d'autofinancement (selon le niveau des amortissements), généralement supportable pour une société en bonne santé, peut faire basculer une société à la limite du défaut. L'impact sur la valorisation de l'entreprise, et donc sur son cours de bourse si elle est cotée, est plus difficile à apprécier : Si le gearing de la société (mesuré par D / capitalisation) est égal à g, l'avantage fiscal sera la première année de : 25% × 34,4% × 5% × g × capitalisation (dans le cas de limitation de la déduction à 75%). Si, en première approximation, on suppose que le PER est inchangé par la réforme fiscale, l'impact sur le cours sera de 25% × 34,4% × 5% × g × PER = 0,43 % × g × PER. Avec un gearing de 1 et un PER de 10, on trouve un impact de 4,3% sur le cours. Un calcul plus rigoureux consiste à évaluer séparément l'avantage fiscal lié à la déductibilité des intérêts : Si la déductibilité est totale, le surcroît de valeur apporté par la déductibilité est égal à la somme des avantages fiscaux obtenus chaque année, actualisés. La société pourra bénéficier du flux d'avantage fiscal à l'infini si les intérêts sont effectivement versés. Dans la mesure où le taux d'intérêt de la dette est supposé refléter le risque que ces intérêts ne soient pas Jacques CHAUSSARD [email protected] versés, il semble pertinent de le retenir comme taux d'actualisation pour le flux d'avantage fiscal. Le surcroît de valeur apporté par la déductibilité (totale) des intérêts s'écrit donc : AF = Σ (FF × TxIS)act. = Σ (Dette × TxInt × Tx IS)act. (où TxIS est le taux d’impositions et TxInt le taux d’intérêt de la dette). Si on fait l'hypothèse très simplificatrice d'une dette constante, l'actualisation revient à diviser par TxInt, et AF = Dette × TxIS. L'avantage fiscal est égal au montant de la dette multiplié par le taux d'imposition. Si la déduction est limitée à 75% de la dette, l'avantage fiscal sera réduit à 75% × D × TxIS. L'impact du changement de régime sur la capitalisation sera donc de 25% × D × TxIs, soit 25% × TxIS × gearing × capitalisation et donc pour notre exemple avec un gearing de 1 et un taux d'imposition de 34,4%, ce sera un impact de 8,6% sur le cours. Pourquoi cet écart entre les deux méthodes ? Simplement parce qu'en utilisant un PER de 10 dans la première méthode, on a implicitement actualisé le flux d'avantages fiscaux à un taux de 10% et non de 5%. Quelle est la bonne méthode ? Si la société se porte bien, certainement la deuxième. Par contre, il ne faut pas oublier que le taux d'intérêt des emprunts ne reflète pas toujours complètement le risque de défaut (et de non-paiement du service de la dette) pour une société très endettée ou en difficulté. Qui sera concerné ? A l'évidence, l'impact sera le plus sensible sur les sociétés les plus endettées (gearing élevé) qui restent bénéficiaires. Il peut s'agir par exemple de sociétés sous LBO, ou ayant une stratégie agressive d'acquisition, ou portant de l’immobilier ou des infrastructures, ou bien exerçant leur activité dans un secteur très capitalistique ou nécessitant de lourds stocks... Quelques exemples sur la base des chiffres 2011 (utilisation simpliste des formules ci-dessus en supposant que l'intégralité du bénéfice est imposée en France, en appliquant les résultats 2011 aux conditions fiscales attendues pour 2014 : déduction de 75% des intérêts, suppression de la contribution exceptionnelle pour les entreprises de plus de 250 millions d’euros de chiffre d'affaires) : Au niveau du compte de résultats : une quinzaine de sociétés cotées de plus de 300 millions d’euros de chiffre d'affaires affichent un leverage (dette nette / EBITDA) supérieur à 5. Il s'agit par exemple de sociétés qui portent des murs (Gecina, Foncière des Régions, Klépierre, Orpea, Korian), ou d'importants stocks (Peugeot, Vranken, Lanson), de sociétés d'investissement (Wendel), de sociétés ayant supporté un LBO N° 2012/6 – octobre 2012 (Eiffage, PagesJaunes), ou de sociétés peu rentables ou qui ont connu des difficultés (Eurodisney, Eurotunnel, Air France KLM). Celles d'entre elles qui dégagent suffisamment de résultat pour être impactées par la réforme verront leur capacité d'autofinancement amputée en moyenne de 7%. Au niveau du cours de bourse : parmi les sociétés cotées de plus de 300 millions d’euros de chiffre d'affaires, une douzaine ont un gearing (mesuré par dette nette / capitalisation boursière) supérieur à 2. On retrouve bien entendu des sociétés qui portent d'importants stocks (Vranken, Lanson, Peugeot), des sociétés d'investissement (Eurazeo, Wendel), des sociétés ayant supporté un LBO (Eiffage, PagesJaunes), des sociétés exerçant une activité capitalistique (Sequana, Veolia Environnement), des sociétés ayant connu des difficultés ou insuffisamment capitalisées (Euro-Disney, Air France KLM, Rallye). L'impact théorique sur le cours des 7 sociétés qui dégagent suffisamment de résultat pour être impactées par la réforme est en moyenne de 30%. Quel impact sur les méthodes valorisation d'entreprises ? de Au-delà de ce calcul de l'impact du changement de fiscalité sur les sociétés endettées, est-ce que cela signifie que la méthode des PER est à proscrire pour les valorisations dans le nouveau contexte ? Certainement pas ! Simplement le PER sera plus faible et il faut prendre soin de déterminer le multiple de référence sur la base d'un échantillon de sociétés soumises au même régime fiscal. Même traitement pour les multiples d'EBITDA. On aurait également pu effectuer une valorisation par la méthode des DCF (discounted cash-flows). Les flux de cash-flows d'exploitation sont inchangés entre aujourd'hui et demain. Par contre, le coût moyen pondéré du capital va changer. Aujourd'hui, il est calculé par (D × txInt (1-txIS) + E x txRisqué) / (D+E). Demain, il faudra prendre en compte la baisse de l'avantage fiscal : (D × txInt × (1-0,75 × TxIS) + E × txRisqué) / (D+E). En résumé, la réforme sur la fiscalité des taux d'intérêt ne va faire plaisir ni aux actionnaires, ni aux entreprises, mais elle va également compliquer la vie des évaluateurs d'entreprises ! Jacques CHAUSSARD Responsable des Etudes Industrielles, ECO/EIS, Crédit Agricole S.A. 2 Jacques CHAUSSARD [email protected] Au sein de la Direction des Etudes Economiques de Crédit Agricole S.A., les ingénieurs spécialistes en valorisation sont à votre disposition. Vous pouvez les contacter directement au 01 43 23 65 96 ou bien via votre interlocuteur habituel au Crédit Agricole. (Crédit Agricole se réserve le droit, à sa discrétion, de ne pas faire suite à une demande de valorisation, notamment en cas de trop forte spécificité ou de risque de conflit d'intérêts). Directeur de la publication : Jean-Paul Betbèze Rédaction en chef : Jacques Chaussard Réalisation et secrétariat d’édition : Véronique Champion-Faure Crédit Agricole S.A. – Direction des Études Économiques 12 place des Etats Unis – 92127 Montrouge Cedex Copyright Crédit Agricole S.A. — ISSN 1248 - 2188 Contact : [email protected] Internet : http://www.credit-agricole.com - Etudes Economiques Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeur s extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. 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