L`arrivée d`un enfant

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L`arrivée d`un enfant
L’arrivée d’un enfant
Réflexions autour de l’avortement
Yvon Dallaire, psychologue-sexologue
http://www.yvondallaire.com
“ Chéri, je suis enceinte ! ” ... Comment réagir à cet énoncé : en criant et
sautant de joie ? En paniquant parce que l’on ne se sent pris au piège ? En
paralysant devant l’immensité de la tâche à venir ? En restant bouche bée
devant cette nouvelle inattendue ? ? ?
Désiré ou pas
D’après une étude californienne (dont j’oublie la référence exacte), un enfant sur
quatre est planifié et son arrivée constitue un bonheur intense ; un deuxième enfant
sur quatre, quoique non planifié, est tout de même reçu à bras ouverts. Reste un
enfant sur quatre qui n’est pas planifié, n’est pas accueilli dans la joie, mais accepté
tout de même quoique à contre-coeur. Quant au dernier enfant, celui-ci n’est pas
planifié, provoque la stupeur et est complètement rejeté.
Ce qui vient souvent compliquer la situation, c’est que la réaction des deux parents
n’est pas toujours la même. Si les deux parents réagissent également à la nouvelle
de la grossesse, trois enfants sur quatre viendront au monde, même si le degré de
planification et de bienvenue diffère d’un enfant à l’autre alors qu’un enfant sur
quatre sera carrément rejeté par les deux parents.
L’arrivée d’un enfant, même dans la joie, provoque toujours une situation de stress
et une crise au sein du couple, y compris chez les couples harmonieux. Cette crise
est fréquemment à l’origine de la première grande remise en question du couple.
Alors, imaginez lorsqu’un seul parent accepte l’enfant et que l’autre le rejette.
Imaginez que le jeune homme est très heureux de devenir enfin père, mais que sa
partenaire perçoive sa maternité comme un obstacle à l’évolution de sa carrière.
Imaginez, au contraire, l’ambivalence vécue par la mère lorsqu’elle annonce,
heureuse et enthousiaste, la nouvelle de sa grossesse, mais que son partenaire
semble atterré ou, pire, parle d’avortement. Imaginez la tension créée dans le
couple lorsque les deux partenaires sont aux antipodes devant cette grande décision
de garder ou non l’enfant. Plusieurs n’y survivent pas.
La grossesse, une crise
En japonais, le mot crise signifie aussi “ croissance ”. Pour une certaine approche
psychologique, une crise constitue une situation de désintégration... positive si la
réintégration permet à l’individu ou au couple de mieux fonctionner. L’arrivée d’un
enfant, qu’on le veuille ou non, amène le couple à vivre une transition à plusieurs
titres : la jeune fille devient mère, le jeune homme devient père, le jeune couple
devient famille.
Qui dit crise, dit aussi danger, danger que l’un ou l’autre des partenaires refuse la
transition et que le couple éclate. Et ce danger est très réel si l’on se fie aux
statistiques qui démontrent que le taux de séparation et de divorce augmente de
façon très significative dans l’année suivant l’arrivée d’un enfant. On remarque
aussi que l’infidélité masculine s’intensifie aussi durant cette même année. La
raison principale, à mon avis, réside dans le fait que les couples ne sont
généralement pas préparés à affronter les multiples transformations provoquées par
l’arrivée prochaine d’un enfant, surtout du premier.
La jeune amante n’est pas préparée aux transformations physiologiques stimulées
par un afflux important de progestérone dans son corps : seins qui gonflent, nausées
du 2e et 3e mois, ventre qui ballonne, maux de dos qui s’en suivent, adaptation
alimentaire... pour n’en citer que quelques-unes. Mais, surtout, elle n’est pas
préparée aux réactions psychologiques reliées aux changements physiques :
ambivalence vis-à-vis la vie qui germe en elle, peur panique devant les “ douleurs ”
(souvent dramatisées par les téléromans) de l’accouchement, étonnement devant
son schéma corporel qui vit une véritable révolution, adaptation de sa sexualité,
incompréhension face aux réactions, souvent imprévisibles, de son partenaire,
multiples interrogations : sera-t-il normal ? Serai-je une bonne mère ? ...
Si la jeune femme n’est pas préparée, le jeune homme, lui, est souvent carrément
mis de côté. Ce dernier ne subit évidemment pas de transformations physiques,
mais il est confronté à une situation dont il n’est, la plupart du temps, que le
spectateur externe. De point central de la relation dyadique de couple, il a
fréquemment l’impression de devenir la cinquième roue du carrosse après la mère,
l’enfant et les deux belles-mères, sans parler des copines, qui toutes entre elles ont
toutes l’air de se comprendre. Contrairement à sa partenaire qui, grâce à ses
changements hormonaux, devient “ naturellement ” mère, lui devra apprendre sa
paternité et devra parfois se battre pour prendre sa place dans la dyade symbiotique
mère – enfant afin de former le triangle familial. À ce niveau, il aura toujours neuf
mois de retard sur sa compagne qui se sera familiarisée avec “ son ” enfant pendant
sa grossesse. Plusieurs n’y parviennent pas et cherchent alors des compensations
dans un surplus de travail et/ou dans les bras d’une autre femme afin de redevenir
le centre de l’attention de quelqu’un.
Le couple aussi vit une crise, non seulement les deux partenaires. Si former un
NOUS exige de laisser tomber une partie de MOI et de TOI, former une famille
exige de laisser tomber une nouvelle partie de MOI et de TOI et une partie
importance de NOUS lorsque LUI (l’enfant) arrive. Le couple ne peut plus penser
que pour deux ; il doit maintenant tenir compte d’une troisième personne, laquelle
agit, involontairement bien sûr, comme un véritable tyran. Si, auparavant, c’était le
mariage qui créait un lien à vie, aujourd’hui, à une époque où le divorce est de plus
en plus “ facile ” à obtenir, c’est la naissance d’un enfant qui crée un lien perpétuel
entre deux personnes. Le NOUS conjugal doit sortir de son égocentrisme pour se
tourner vers l’AUTRE, afin de remplir sa mission d’éducation et de perpétuation de
l’espèce.
L’avortement, un mal nécessaire
Devant tant de bouleversements et de responsabilités, beaucoup de jeunes couples
reculent, beaucoup de femmes disent non, beaucoup d’hommes ne s’engagent pas,
beaucoup d’enfants sont avortés. L’avortement, le refus de la vie à naître, ne peut
pas être une décision facile. Il n’est pas facile d’aller “ contre-nature ” : qu’on le
veuille ou non, l’objectif fondamental de la sexualité, de la famille et du couple est
de créer un rapprochement épanouissant et harmonieux entre deux individus pour
assurer les meilleures conditions d’éducation des enfants, non seulement la
satisfaction légitime des besoins humains de deux individus. Voilà pour la nature.
Mais, il arrive parfois, il arrive souvent qu’il faille gérer la nature, planifier son
évolution pour un plus grand bien-être des personnes impliquées. C’est là où
l’avortement, de plus en plus accepté socialement, devient un outil au service du
couple bien informé. La décision d’avorter ou non est une décision difficile car elle
doit tenir compte de plusieurs biens : le bien de l’enfant à naître ou non, le bien des
deux individus, le bien du couple, le bien de la société... sans parler de toutes les
questions morales et éthiques. On le sait, l’avortement est un débat de société, au
même titre que l’euthanasie, les organismes génétiquement modifiés, le clonage...
Il y a parfois des situations où il semble préférable d’avorter :
• l’immaturité physique ou psychique de la mère ou du père;
• la conséquence d’un viol ou d’un inceste ;
• une grossesse mettant en péril la vie de la mère ;
• un foetus que l’on sait mal formé ;
• un couple aux prises avec des conflits permanents ou sur le bord du divorce ;
• une question démographique ou de surpopulation (Chine, Inde) ;
• ...
C’est, à mon avis, de l’angélisme de croire, par exemple, que l’arrivée d’un enfant
va résoudre les problèmes d’un couple, qu’une mère ou un père immature va
grandir en prenant la responsabilité d’un enfant. On ne règle aucun problème en
rajoutant un autre problème par-dessus. L’arrivée d’un enfant transforme, mais pas
toujours dans le bon sens. L’enfant n’est pas toujours le “ fruit de notre amour ”. Il
existe certaines situations où vaut mieux s’abstenir.
D’autres situations sont plus questionnables :
• mauvais “ timing ” ;
• conditions financières précaires ;
• peur de l’engagement ;
• mauvaise planification des naissances ;
• couple qui tourne en rond ;
• ...
S’il faut choisir le “ moins pire ”, plusieurs études sociopsychologiques ont
démontré que les conséquences négatives d’un avortement sont moindres que les
conséquences négatives de la prise en charge d’en enfant non désiré ou non
accepté. Encore là, certains diront que des “ génies ” ne furent pas désirés, ni
planifiés. Mais combien d’enfants mal aimés sont devenus délinquants, criminels,
schizophrènes ou suicidaires ? Combien d’enfants mal aimés ont fait des couples
mal assortis qui ont, à leur tour, donné naissance à des enfants mal aimés? Combien
de couples ont dégénéré psychologiquement, socialement ou financièrement suite à
l’arrivée d’un enfant ?
Chiffres et réactions
Bon an, mal an, on dénombre actuellement une moyenne de 20 000 avortements au
Québec et 106 000 au Canada. D'après Statistique Canada, en 1993, 22,1 % des
femmes enceintes se sont faites avortées, ce qui correspond à l'étude californienne
rapportée ci-dessus. : sur un total de 1 000 femmes, il y en a 31 qui vont avorté et
qui ont entre 20 et 24 ans, 20 ont entre 15 et 19 ans et 20 autres ont entre 25 et 29
ans. Légal depuis seulement 1988 au Québec, grâce aux efforts et aux risques pris
par le Dr Morgantaler, les avortements sont gratuits dans les services publics
(cliniques, hôpitaux…), mais coûtent entre 100 et 700 $ dans les cliniques privées.
Au Québec, il est généralement impossible d'obtenir un avortement après la 20e
semaine de grossesse, à moins de sérieux problèmes de santé de la mère ou du
fœtus.
Lorsqu'une femme (ou un couple) envisage l'avortement, les intervenants exigeront
une rencontre pré-avortement afin de vérifier si son choix d'avorter est bien le sien
et si ce choix a été bien fait. Ceux-ci informeront alors la femme de la procédure à
suivre, de la technique qui sera utilisée et des aspects positifs et négatifs de
l'avortement. Puis, ils laisseront la femme prendre sa décision finale. Il lui signale
qu'elle pourra profiter d'un suivi post-intervention (counselling) si nécessaire. Ce
processus ne prend que quelques jours à peine.
Y a-t-il des répercussions à l'avortement. Il semblerait que chaque femme vive une
période de deuil plus ou moins intense après l'interruption de grossesse. Cette
réaction dépressive post-avortement dépend de l'équilibre affectif et psychologique
de la femme dans sa vie quotidienne. D'où l'importance d'un encadrement
professionnel pré et post-avortement afin de donner un support plus élaboré à la
femme qui peut en ressentir le besoin. L'intensité de la réaction de deuil dépend
aussi du support affectif et moral que la femme peut obtenir de son environnement
(conjoint, famille, amis).
D'après nos données, 90 % des femmes qui ont avorté reprendraient exactement la
même décision dans la même situation. Elles ne vivent alors qu'une faible
culpabilité passagère, qu'un léger problème de conscience parce qu'elles savent au
fond d'elles-mêmes qu'elles ont fait le bon choix et non un choix purement égoïste.
Par contre, 5 % des femmes qui ont avorté le regrettent parce que ce choix n'était
pas vraiment le leur et un autre 5 % s'en veulent amèrement. Ces femmes étaient
soit célibataires et à leur première grossesse, soit avaient des divergences
relationnelles importantes avec leur conjoint, soit avaient eu des relations négatives
avec leur propre mère, soit parce qu'elles éprouvaient des sentiments ambivalents
envers l'avortement.
Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, l'avortement peut même devenir une
source d'apprentissages et de croissance personnelle si la femme (ou le couple)
profite de l'occasion pour mieux se connaître, apprendre à mieux communiquer, à
mieux connaître et respecter son corps, à reprendre du pouvoir sur sa vie, à mieux
gérer sa vie de couple et, finalement, à organiser une véritable planification des
naissances.
Pour en savoir davantage, vous pouvez communiquer avec la Coallition
Québécoise pour l'avortement, les Centres de planifications des naissances ou les
SOS grossesses de votre CLSC.

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