Les mathématiques: entre invention et découverte
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Les mathématiques: entre invention et découverte
Les mathématiques: entre invention et découverte Patrice Hauret 22 Mars 2011 1 Introduction Les mathématiques1 ont considérablement évolué dans l’histoire depuis une perspective descriptive (comptabilisation des activités commerciales, mesure et compréhension des phénomènes astronomiques, architecture) donnant naissance aux prémisces de l’arithmétique et de la géométrie, vers une science de structures (théorie des groupes) atteignant son apogée au XIXme siècle avec David Hilbert. Dans un cas comme dans l’autre, les mathématiques, comme langage de formalisation de nombreuses sciences (physique, économie, finance, théorie des jeux) vont à la rencontre du monde via les modèles imaginés dans toutes ces disciplines. Elles permettent d’analyser ces différents modèles en mettant en évidence leurs propriétés fondamentales (symétries, conservations, ...) et en réalisant des prédictions par leur résolution exacte ou approchée. Une partie de la puissance de tels résultats provient du cadre générique et abstrait des structures mathématiques utilisées pour analyser ces modèles. Il existe également quantité de structures internes aux mathématiques qui dépassent en complexité la nature des problèmes posés originellement. Les mathématiques génèrent en effet quantité de questions internes. Un débat séculaire est celui de la correspondance entre ces structures conçues par l’homme et la nature profonde des processus sous-jacents à l’ordre des choses : invente-t’on ces structures ou pré-existent elles aux mathématiques ? Nous ne prétendons pas trancher ce débat, mais proposer une vision de ce que peuvent être les mathématiques, alimentée par des exemples montrant que les objets proposés de manière interne aux mathématiques devancent quelquefois de manière étonnante notre compréhension pratique des choses, ou qu’ils introduisent au contraire des situations perturbantes pour l’esprit posant la question de l’arbitraire de ces structures. 1 en grec, µαθηµα= science 1 2 Du monde réel vers les mathématiques L’acte de décrire une situation particulière ne suppose rien en soit, mais dès que l’on cherche à prédire, il faut supposer que ce que l’on observe et que l’on va tenter de formaliser va se répéter avec une grande régularité. C’est l’acte fondamental qui se trouve à la base de toutes les sciences, soit qu’on l’aborde d’un point de vue pratique et expérimental par la constatation d’une répétition même approximative, soit qu’on croit en l’existence d’un processus par lequel des lois immuables préexistent aux phénomènes. Si on suppose cela, il faut proposer des idéalisations de ces processus, qui sont des modèles ou des structures. Il faut ensuite s’attacher à vérifier leur pertinence, et on peut à cet égard être étonné de leur compétence prédictive. 2.1 Prédire Lorsqu’on adopte un point de vue descriptif de la science, la validation ultime consiste à savoir si les résultats ou les prédictions obtenus sont conformes à la réalité observée. Ainsi, il est aisé de vérifier si le nombre de billes restant dans un sac correspond effectivement au calcul réalisé par le joueur, et donc de vérifier la pertinence de la mathématique qui a servi. De ce point de vue, l’arithmétique élémentaire est effectivement conçue de manière à reproduire la logique de gain/perte de quantités échangées. Mais l’image du sac où sont cachées les billes est en soit intéressante : il y’a d’un côté les billes réelles cachées dans le sac dont je cherche à garder le compte, et de l’autre, la représentation mentale que je m’en fait pour réaliser l’exercice et les hypothèses que j’émets : je suppose qu’à l’intérieur du sac, les billes ne vont pas changer de nombre ou de nature par le biais de leurs interactions 2 de sorte que la notion de comptabilité reste très élémentaire. Compter, c’est également supposer que les objets en présence sont séparables et classables, c’està-dire que je sais les distinguer entre eux de manière non équivoque, même si on ignore leurs individualités dans le compte global. Penser que dans le cas d’un verre d’eau, il est complexe d’isoler des sous volumes de liquide si on les laisse coexister ensemble dans le même verre. Ainsi, l’arithmétique élémentaire (en tant que comptabilité) reproduit une modélisation très simple de la notion de quantités indépendantes sans interaction. Aussi, tant que ces hypothèses de base sont satisfaites, je sais prédire exactement le nombre de billes en ma possession dans le sac : tant que la nature obéit aux hypothèses avec lesquelles nous nous mettons d’accord, la capacité de prédiction de l’arithmétique reste excellente. 2 ce ne serait pas forcément vrai en physique des particules ; penser également à vos souvenirs de chimie où rien ne disparaı̂t ni ne se crée, mais se transforme : il faut donc s’entendre sur la quantité que l’on décide de dénombrer (volume, masse, nombre de protons, neutrons, électrons) 2 2.2 Vérifier Précision L’autre question qui se pose est celle de la possibilité et de la pertinence de la vérification du résultat. En effet, pour vérifier l’exactitude d’une prédiction mathématique, je dois être capable de mesurer la réalité : mais avec quelle précision ? Ainsi, si deux approches complètement différentes prédisent deux résultats plus proches que la précision de mesure, il restera à jamais impossible de dire laquelle est meilleure, toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, par exemple, les considérations de géométrie plane d’Euclide et de géométrie courbe de Riemann conduisent à des résultats très proches aux faibles courbures, par exemple si on dessine des figures géométriques à la surface de la Terre qui restent de très petite taille par rapport au rayon terrestre (à l’échelle de l’observateur, ces figures sont quasiment planes). Dans ce cas, si mes instruments de mesure ne sont pas assez précis, je ne saurai pas déceler le supplément de pertinence offert par la géométrie non-euclidienne. Au contraire, considérant que la géométrie euclidienne est considérablement plus simple, on aura tendance à la privilégier en vertu d’un principe de fainéantise généralisé édicté sous le nom de rasoir d’Occam3 . De même, aux faibles vitesses par rapport à la vitesse de la lumière, la prédiction de la mécanique classique du point de Newton reste extrêmement voisine des prédictions de la mécanique relativiste d’Einstein ; alors pourquoi se compliquer la vie ? Le point de vue exposé dans ce paragraphe rapproche considérablement mathématiques et modélisation physique, qui n’étaient pas si éloignés il y’a peu ; penser qu’au siècle des lumière, la mécanique était une branche de l’Analyse (Lagrange, d’Alembert. Hamilton). Dans un point de vue plus moderne, où les mathématiques sont devenues le langage de nombreuses sciences, on distingue plus volontiers l’acte de modélisation synthétisant les hypothèses faites pour représenter la réalité, du travail du mathématicien qui analyse la structure des résultats, leurs propriétés de symétrie, et va même aider le modélisateur dans la recherche de solutions éventuellement approchées (mathématiques appliquées). Aléas et répétitions En pratique, lorsqu’on cherche à certifier la pertinence d’un résultat, intervient -on l’a dit- une erreur de mesure. Cette erreur résulte elle même d’un phénomène complexe et difficile à appréhender ou à modéliser (la position exacte d’un doubledécimètre, la position exacte des éléments -boulons, bielettes- constitutifs de la machine de mesure). Si je remesure N fois, j’obtiendrai donc N quantités un , n = 1, ..., N, probablement autour de la valeur recherchée. Ce processus de dispersion est considéré comme un aléa que l’on subit qui représente la complexité des phénomènes par lesquels l’erreur se produit. Un phénomène est généralement considéré comme aléatoire, lorsque sa complexité propre (ou sa faible régularité) échappent à la finesse de la modélisation du phénomène. Cela ne veut pas dire qu’on ne sait rien en dire ; ainsi on va s’intéresser à des propriétés d’ensemble du nuage de données (un ), comme sa moyenne, la manière dont les mesures 3 Toute chose égale par ailleurs, l’explication la plus simple est toujours considérée comme la meilleure 3 s’écartent de cette moyenne et comment cela évolue avec le temps ou en fonction d’autres paramètres physiques. Dans certains domaines (mécanique quantique, physique statistique) le phénomène à modéliser est directement abordé comme un phénomène aléatoire. De ce point de vue, les probabilités doivent être considérés comme une science exacte, mais s’intéressant aux problèmes à une certaine échelle (celle des nuages de données que nous avons évoqué). 2.3 Le monde des mathématiques Dans cette logique, si on exclut le devoir de rendre compte directement à la physique, le cadre des mathématiques est celui qui s’étend entre la formulation d’hypothèses, axiomes ou modèles, et la production de résultats parlant (ou pas) à la personne qui a posé le problème. En effet, répondre à une question peut nécessiter de mobiliser des concepts beaucoup plus sophistiqués que ceux qui permettent de formaliser la question (ex : Grand Théorème de Fermat). Il y’a donc potentiellement introduction de concepts intermédiaires dont les mathématiques n’ont à rendre compte qu’à elles-mêmes. Ainsi, pour répondre à des problèmes élémentaires, il peut être commode d’écrire une équation que l’on résout pour donner la réponse au problème ; cependant l’équation écrite n’appartient pas au monde du problème posé. Elle appartient à ce monde intermédiaire qui est celui des mathématiques. 3 Entre mathématiques inventées et découvertes Existe-t’il plusieurs constructions intermédiaires possibles permettant de résoudre un problème posé ? Clairement oui. Peut-on dire quelle construction est la plus pertinente ? Selon quel critère ? C’est sans doute difficile. Ces structures font elles par ailleurs écho à un ordre existant dans le monde réel ? Parlant de structures, et de choix historiques, cette section a pour but de susciter la réflexion en mettant en relief le caractère étonnant, pertinent ou arbitraire de certaines constructions mathématiques. 3.1 3.1.1 Des connections entre structures mathématiques et réelles Quelques irrationnels célèbres Les nombres réels sont ”très infiniment nombreux” comparativement aux nombres entiers (on dit qu’ils ont la puissance du continu). La probabilité que certains jouent un rôle particulièrement prépondérant et récurrent semble donc être étonnant. Pourtant c’est le cas de π, du nombre d’or,... et bien d’autres. Occurence de π π a été introduit par les égyptiens comme le ratio universel du périmètre d’un cercle à son diamètre. Pourtant, ce nombre ne cesse d’apparaı̂tre dans quantités de 4 résultats sans rapport apparent avec sa définition première. Un premier exemple est celui de l’aiguille de Buffon (naturaliste et mathématicien, 1707-1788). Supposons qu’on lance une aiguille de taille a sur un parquet aux lames de largeur a. Quelle est la probabilité qu’une aiguille intersecte une raignure du parquet ? La réponse est 2/π. Etonnant non, ce lien avec le nombre π ? Voici une idée de preuve simple. Si on a lancé un nombre d’aiguilles N assez grand, elles occupent toutes les directions de l’espace (i.e. tous les angles possibles par rapport à l’orientation du parquet). On peut donc les réorganiser pour qu’elles constituent un cercle de rayon R avec 2πR = Na. [Pour ce faire, on a supposé implicitement l’indépendance de deux aléas : la position et l’orientation de l’aiguille.] Ce cercle coupe 4R/a lames de parquet. La probabilité qu’une intersection se produise est donc : 4R 1 2 = . a N π On l’a compris, l’apparition de π tient ici au fait que le suivi d’un cercle nécessite d’adopter toutes les directions possibles. a R a Un cas plus surprenant (et aussi plus difficile à démontrer) est la probabilité que deux nombres entiers soient premiers entre eux, c’est-à-dire que leur plus grand commun diviseur soit 1. Cette probabilité est de 6/π2 . C’est une apparition inattendue du nombre π. Occurence du nombre d’or Le nombre d’or est défini comme : √ 1+ 5 φ= . 2 Reconnu dès l’antiquité comme une proportion esthétiquement intéressante, elle se définit comme le rapport de deux longeurs a, b avec a > b telles que le rapport du tout (a + b) à la 5 F. 1 – Illustration de la construction d’un pentagone sur la base du nombre d’or. Copyright http ://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre d’or plus grande longueur (a) coincide avec le ratio a/b des longueurs : φ= a+b a = . a b Il intervient dans plusieurs constructions mathématiques simples. Le nombre d’or intervient également dans un célèbre problème d’élevage de lapins dû à Fibonacci ; si (un ) est une suite définie par la récurrence suivante un+2 = un+1 + un , dite suite de Fibonacci, on peut montrer que le ratio entre deux termes successifs de la = φ. suite tend vers le nombre d’or, i.e. limn→∞ uun+1 n Un pentagone se construit à l’aide du ratio d’or précédemment discuté. On note a et b deux nombres avec a/b = φ. Soit un cercle de diamètre OP1 et de rayon a, illustré sur la figure 1. Soit P2, P3, P4 et P5 les intersections du cercle de diamètre OP1 avec les deux cercles de centre O et de rayon a + b et b, alors les cinq points Pi définissent un pentagone. Le pentagramme associé, c’est-à-dire la figure composée des cinq diagonales du pentagone (cf figure 1), contient aussi de multiples proportions dorées. Elles s’expriment simplement à l’aide de triangles isocèles dont les longueurs des côtés sont en proportion d’or. De tels triangles sont appelés triangles d’or. Il en existe de deux types différents, les jaunes ayant une base proportionnelle à a et deux côtés à b et les orange ayant une base proportionnelle à b et deux côtés à a. Les triangles foncés sont semblables aux plus clairs de même couleur, la proportion entre clair et foncé est encore d’or. Les triangles jaunes 6 possèdent deux angles de 36˚, soit le cinquième d’un angle plat et un de 108˚, soit les trois cinquièmes d’un angle plat. Un tel triangle est parfois appelé triangle d’argent. Les triangles orange possèdent deux angles de 72˚, soit les deux cinquièmes d’un angle plat et un angle de 36˚. Avec des triangles d’or et d’argent dont les côtés sont toujours a et b, il est possible de paver intégralement un plan euclidien de manière non périodique. Un tel pavage est dit de Penrose. Les derniers siècles se sont efforcés d’identifier le nombre d’or en de nombreux endroits (architecture, nature, biologie), mais souvent avec un empressement favorable aux erreurs et à une certaine forme d’idéologie ; cf figure 2. Voir par exemple la page correspondante de Wikipedia : http ://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre d’or, dont est issu ce texte sur les pentagones. Identifier des analogies entre structures mathématiques et réalité est une chose ; forcer le trait en est une autre. 3.1.2 Mathématiques et exercices de pensée Du côté de la physique, Albert Einstein adorait se livrer à ce qu’il appelait des expériences de pensée. L’idée consiste à se faire une idée construite des choses par un raisonnement logique, sans recours particulier à l’expérimentation. Un exemple fascinant est celui de la Relativité Restreinte ; théorie clé de la physique moderne, elle peut être construite par un raisonnement abstrait, sans référence particulière à des concepts physiques très évolués ni à l’expérimentation. Théorie de la Relativité ; un exercice de l’esprit Supposons que dans un référentiel R un objet se trouve à la position x à l’instant t ; dans un autre référentiel R0 se déplaçant à la vitesse V par rapport au précédant, si on suppose que la loi de transformation ne dépend pas du point de l’espace où on se trouve ni des unités de mesure choisies pour mesurer les distances ou le temps, on peut écrire, avec des coefficients à déterminer : 0 x = α x + β ct ct0 = γx + δ ct, En écrivant que cette relation est identique si on passe de R0 à R par changement de V en −V et que l’inversion du sens du temps équivaut au changement de signe de la vitesse, un simple calcul montre que la seule possibilité est la suivante : V 0 x = α x + c ct (1) ct0 = α ηx + ct , avec η = Vc αα−1 2 , pour des valeurs de α et c à déterminer. Un mobile à la vitesse v dans R aura donc la vitesse v0 dans R0 : v+V v0 = c . ηv + c 2 7 F. 2 – Illustration de structures impliquant le nombre d’or comme proportions. Le cas de l’homme de Vitruve par Leonardo Da Vinci est cependant contesté. Copyright http ://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre d’or 8 Si on admet qu’on peut atteindre des vitesses arbitrairement grandes dans un référentiel, il est légitime de penser que celà puisse être le cas dans tout référentiel, et celà implique forcément η = 0 et α = 1 ; on retrouve le changement de repère de Galilée : 0 x = x + V t (2) t0 = t, et le temps s’écoule donc identiquement dans tout référentiel. Sinon, c’est qu’il existe une vitesse limite. Appelons la c : il vient que η = V/c 1 α= q 1− V2 c2 . Dans ce cas, si on note deux positions successives (x1 , t1 ) et (x2 , t2 ) d’un objet dans le référentiel R, et que ∆x = x2 − x1 , ∆t = t2 − t1 , un calcul simple établit que la quantité ∆x2 − c2 ∆t2 est indépendante du référentiel choisi pour représenter le mouvement. Cette quantité mesure donc une forme de ”distance” entre les deux évènements. Si on postule que le mouvement naturel d’un objet à une certaine vitesse est telle que cette distance est la plus courte possible entre deux positions successives, on peut montrer mathématiquement (première année d’université) qu’une énergie naturelle sera conservée tout au long du mouvement : m c2 E= q . V2 1 − c2 La masse m est introduite comme un facteur de proportionnalité arbitraire pour retrouver la conservation de la simple énergie cinétique à la limite des faibles vitesses. Vous reconnaı̂trez pour V = 0 (objet immobile) le célèbre E = mc2 . Observer qu’à aucun moment nous n’avons fait de la physique ; cet exercice est un pur exercice de l’esprit et donne lieu à une des théories les plus fameuses de la physique : la Théorie de la Relativité (restreinte) qui a pu être vérifée expérimentalement. 3.1.3 Fractales Les fractales sont en mathématiques, des objets auto-similaires, c’est à dire qu’ils ont le même aspect à toutes les échelles d’observation. Ils sont intervenus de manière naturelle comme des objets invariants par certaines transformations. Dans la nature, de nombreuses structures quasi-fractales interviennent, depuis les modèles de croissance de plantes, bactéries, la structure de parois d’organes, ou encore l’évolution naturelle de populations ou des cours de la bourse. Notons simplement qu’à l’inverse de leur idéalisation mathématique, les fractales de la vie courante ne s’étendent que sur un petit nombre d’échelles, rarement à l’infini. 9 F. 3 – Exemples de fractales naturelles. 10 F. 4 – Exemples de fractales artificielles (ensembles de Mandelbrot et de Julia). 3.2 Des choses perturbantes (plus ou moins) On sait depuis Gödel que tout système de logique raisonnable possède des énoncés indécidables échappant à la classification habituelle vrai/faux. Penser à la phrase suivante : Je ne sais pas prouver cette assertion sans me contredire. Il vous suffit de supposer qu’elle soit vrai pour devenir fausse et inversement. Ainsi, une structure aussi intimement liée à la structure des mathématiques que la logique apparaı̂t à certaines égards comme un outil perturbant dans ses derniers retranchements. L’arithmétique a construit, d’abord sur les nombres positifs les opérations bien connues d’addition + et de multiplication ∗. Chacune de ces deux opérations (on dit loi de composition) ont un élément neutre, qui est respectivement 0 et 1 : a+0=a a * 1 = a. Chaque nombre possède un symétrique à l’élément neutre pour chacune de ces lois ; on les appelle respectivement (−a) et (1/a). a + (-a) = 0 a * (1/a) = 1. C’est cette symétrie qui définit les notions de soustraction et de division. Pour tout nombre positif a, (1/a) est encore un nombre positif ; on pourra l’additionner, et le multiplier par d’autres nombres. En revanche (−a) n’est pas un nombre positif. Il faut donc étendre la définition des lois + et ∗ à ces nombres non positifs. On veut donc se donner une règle pour calculer les quantités suivantes (qui sont simples) : c = b + (−a) 11 c = (−b) + a c = (−b) + (−a) ou moins simples (une indécision qui a persisté pendant 200 ans) : c = (1/(−a)) Autrement dit (−1) ∗ (−1) = 1 ou − 1? Bien sûr, le choix utilisé et sélectionné par l’histoire est (−1) ∗ (−1) = 1. Il faut avoir conscience, que l’autre choix aurait rendu inutile l’introduction des nombres complexes, car avec les nombres ordinaires (réels), l’équation x2 = −1 n’admet pas de solution. Il a donc fallut élargir l’ensemble des nombres que nous utilisons pour contourner ce choix historique. Bien sûr, le choix opposé aurait eu d’autres conséquences (non-commutativité de la multiplication avec des nombres négatifs). [Lire le livre ”Negative math : how mathematical rules can be positively bent” by Alberto A. Martı́nez (2006) ; Princeton University Press – ISBN : 0691123098] Vous connaissez peut être le résultat suivant : 0.999999999999999999999....... = 1. C’est facile à démontrer ; si n décimales sont prises en compte, la quantité à gauche s’écrit n X 1 − 10−n un = 9 10−k = 0.9 = 1 − 10−n . −1 1 − 10 k=1 Quitte à prendre n suffisamment grand, un peut donc être rendu arbitrairement proche de 1. On ne peut donc intercaler aucun nombre entre 1 et un avec n arbitrairement grand : c’est donc qu’il s’agit du même nombre. Cela pose la question de la définition du signe = mais uniquement de manière apparente ; en effet, l’objet à gauche du signe égale n’est pas un nombre : c’est un processus limite (dès qu’on interromp l’écriture des décimales, le résultat devient faux). Les exemples ne manquent pas, et nous aurions pu également montrer des cas intéressants de traitement d’images défiant notre sens de la réalité, ou plutôt, devrait-on dire, nos habitudes. 4 Conclusion Nous espérons avoir mis en lumière le caractère surprenant de structures mathématiques qui devancent notre perception du réel, mais également des situations troublantes voire insatisfaisantes qui montrent le caractère arbitraire de certaines constructions mathématiques. Il y’a sans doute une cause unique à ces deux situations : parce que les mathématiques obéissent à une logique éloignée de nos intuitions naturelles, elles les devancent ou les perturbent tour à tour. Faut il s’en étonner ? 12