Interview tiré du numéro d`avril à télécharger .

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Interview tiré du numéro d`avril à télécharger .
Ambassadeur
de
l’humour
Comme nul autre, Emil Steinberger est
l’incarnation des vertus typiquement
helvétiques depuis quatre décennies.
Reader’s Digest s’est entretenu avec
lui à Berne.
de Rol an d S C h äf l i
Le bar sélect qu’Emil Steinberger a choisi pour
l’interview de Reader’s Digest est aussi légendaire que lui : le Bellevue, à un jet de pierre du
Palais Fédéral. C’est là que se fait l’histoire suisse
et c’est là aussi que conspirent les politiciens.
Bon nombre d’idées suisses sont nées ici.
[[1L]]
readersdigest.ch 04 /11
P H O T O g R A P H I é P A R Ga ë ta n B a l ly/ K E y s to n e
suisse
A 78 ans,
l´humoriste
Emil Steinberger ne songe
absolument pas
à mettre un
terme à sa
carrière.
RD : Ils devraient s’adresser à vous !
« Emil » a largement contribué à forger
l’image «du Suisse» qu’on peut avoir à
l’étranger.
ES : (Il réfléchit) Je ne crois pas.
L’image « du Suisse » existait déjà – je
n’ai fait que renforcer certains traits.
Ça fait belle lurette que les Allemands
voyagent en Suisse ; et sur scène, je ne
fais que confirmer ce qu’ils savent
déjà: « Ah oui, c’est bien comme ça
qu’ils parlent ! » – J’ai dit quelque
chose qu’il ne fallait pas, Niccel !? Tu
dois te défendre, tu es Allemande,
après tout ! (Niccel, qu’Emil Steinberger a épousée en secondes noces il y
a 12 ans, secoue la tête et sourit.)
RD : Le Suisse, tel que vous le présentez, avec ses vertus typiquement helvétiques, a-t-il changé au fil des années?
[[1L]]
ES : Ce serait bien ! Mais je crois que
vieux sketch ? Et quand je voyais tous
ces gens, je me demandais : que se
passe-t-il dans leurs têtes ? Qu’attendent-ils de moi ?
c’est le contraire. Le Suisse, aujourd’hui, veut être encore plus « du terroir ». C’est pour cette raison que la
mixité nous fait du bien – de nouveaux
gènes pour la Suisse ! Mais l’apprentissage du multiculturel reste à faire.
RD : C’est sûr : les vieux sketchs d’Emil
sont devenus culte. Et les revivals sont
à la mode : le retro-chic est tendance !
« C’était mieux avant. »
ES : Heureusement, il s’est vite avéré
que personne ne s’attendait à ce que
je ressorte un vieux spectacle. De
toute façon, ç’aurait été trop simple.
RD : Les comiques suisses alémaniques
ont un plus indéniable lorsqu’ils écorchent le bon allemand. Bien que de
nombreux Suisses n’aiment pas tellement se voir parodiés de la sorte.
ES : Exact – et c’est là que ça devient
moins drôle. Je me souviens d’un ambassadeur suisse qui n’appréciait pas
du tout mes tournées en Allemagne.
Mais mon propos n’était pas du tout
de représenter « le Suisse»; c’est moimême que je représentais – et au-delà,
l’être humain.
Des clients du bar le reconnaissent.
Ils lui demandent poliment de pouvoir
faire une photo – une faveur que les
Steinberger accordent avec plaisir.
C’est le désir de retrouver l’anonymat
– de redevenir Monsieur tout le monde
– qui l’a poussé, en 1993, à quitter la
Suisse pour aller vivre quelque temps
aux États-Unis. Depuis son retour, il a
admis que son visage était plus connu
que celui d’un conseiller fédéral en
fonction. Il a dû apprendre aussi à gérer
les attentes de son public par rapport à
« Emil ».
ES : Lorsque j’ai débuté avec mon
nouveau spectacle « Trois anges », je
me suis posé la question : est-ce que
le public s’attend à ce que je joue un
readersdigest.ch 04 /11
RD : L’actrice Julie Andrews a dit un
© K e y s t o n e / N I k l a u s S ta u s s ( à d r o i t e ) ; C i n e t e x t
Monsieur Steinberger, nous sommes
ici dans un véritable « Q. G. » de la
politique. Votre âme de cabaretiste ne
se voit-elle pas titillée par cet environnement ? Il est vrai que la politique et les politiciens donnent matière
à parodie ?
Emil Steinberger : Bien sûr, je
traite aussi de politique. Mais pas plus
qu’un autre. Pour faire du cabaret politique, il faut constamment se tenir
informé. Et la politique change trop
vite… Cela ne permet pas de jouer un
spectacle sur une année entière. Ce
qui est intéressant, toutefois, c’est de
constater, lors des élections, que tous
les partis prétendent savoir ce qui importe aux Suisses – et ce que désire le
vrai Suisse.
jour qu’elle pouvait déterminer son âge
en fonction de ses fans. Au début, c’était
des mères qui lui disaient combien leurs
petits garçons l’aimaient en « Mary
Poppins». Puis, ces mêmes petits garçons devenus adultes lui disaient à quel
point leurs vieilles mamans l’admiraient. C’est pareil pour vous ?
Niccel Steinberger : C’est
comme lorsque des gens âgés te
disent : « J’ai passé mon enfance à écouter des cassettes
d’Emil. »
La bureaucratie
comme dénominateur commun.
Emil Steinberger
alias Emil dans
Feuerabend au
cours des années
huitante.
ES : Devant moi, tout à coup, il y avait
le grand-père, son fils avec son épouse
et leur enfant – et l’enfant qui se disait
fan d’Emil – un fan de la troisième génération ! C’est assez rigolo, parce que
je ne me sens jamais vieux. Au
contraire, c’est fabuleux de pouvoir
accompagner quelqu’un tout au long
d’une vie. Vous savez, quand j’ai arrêté,
je me suis dit : « Voilà, c’est fini.». Je
n’étais pas triste, parce que je voulais
faire d’autres choses. Mais je n’avais
pas idée que cet humour-là puisse durer autant.
RD : Les Allemands rient-ils aux
mêmes gags que les Suisses ?
ES : Je n’ai jamais récrit un spectacle
pour un autre pays. Bien sûr, il y a des
modi-
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surpris qu’il n’ait pas réservé. Niccel et
Emil commandent de la viande hachée
et des cornettes, un plat bien suisse et
vite préparé, parce qu’ils ont encore un
rendez-vous. Ça ne lui viendrait pas à
l’esprit d’arriver en retard et de se dire
qu’ils peuvent toujours commencer sans
lui. Contrairement aux célébrités qui ne
veulent pas être reconnues, Emil s’assied dos au mur et fait face à la salle.
RD : Le politiquement correct a-t-il
RD : Il faut qu’il y ait un « lien » ?
ES : Un lien ! J’ai vu récemment une
pièce dans laquelle trois cabaretistes
étaient en train d’écrire un nouveau
spectacle. Et lors de certaines scènes,
je riais tout seul, simplement parce
que je connaissais bien la situation –
parce que je l’avais vécue. Avec mon
spectacle, j’ai eu la chance de faire
[[1L]]
Emil et Niccel
Steinberger se sont
mariés en 1999 à New
York. Tous deux sont à
la tête des Editions E
et forment une excellente équipe également dans le monde
du travail.
vibrer cette corde
sensible – de créer ce
lien – et de toucher aussi
bien un professeur qu’un ouvrier.
RD : Madame Steinberger, entre autres
RD : Quel est votre rapport avec les
médias ?
ES : Les artistes ne peuvent plus espérer des médias l’attention dont ils
bénéficiaient auparavant. A l’époque,
pour faire la critique d’une pièce, le
journal dépêchait un spécialiste au
théâtre. Aujourd’hui, c’est un étudiant.
Et ça, ça peut faire très mal.
Nous trouvons une petite taverne
toute lambrissée dans la vieille ville de
Berne ; ambiance intimiste et plafond
bas. Le tenancier reconnaît Emil et lui
serre la main avec enthousiasme,
comme s’il s’agissait d’un habitué ; il est
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fications à apporter – pour des raisons
de compréhension. Si l’on n’a pas la
référence – le fond culturel – le gag ne
fonctionne pas. En Suisse, j’ai été très
gâté par le répondant, par les éclats
de rire ; j’ai dû travailler davantage
pour obtenir la même chose à l’étranger. Mais je suis convaincu qu’en
Allemagne, ou ailleurs, on ne rit pas
« des Suisses ». On rit des traits qu’on
peut avoir en commun : le comique
fonctionne lorsqu’on se trouve tous au
même niveau – et exige que l’on ressente les choses soi-même.
d’une certaine manière affaibli le comique ?
ES : Non, je trouve même qu’on est
devenu plus tolérant.
NS : A l’époque, le sketch du prof de
ski avait été perçu comme misogyne:
pour parvenir à skier en droite ligne,
une débutante est censée s’imaginer
que l’arbre, sur la piste, est en réalité
un homme.
activités, vous animez un « séminaire
du rire » – est-il particulièrement justifié de nos jours ?
NS : Les participants sont des gens
qui ont désappris à rire – ou chez qui
le rire n’est plus qu’un souvenir.
C’est merveilleux de voir des gens, qui
sont atteints dans leur santé ou qui
ont subi une perte, rire à nouveau – au
point de presque ne plus pouvoir s’arrêter.
RD : Comment faites-vous, en tant
que couple, à vous faire rire mutuellement?
ES: Nous n’avons pas établi de programme.
NS : N’importe quels jeux de rôles.
ES : Je joue à l’homme sérieux –
jusqu’à ce qu’elle rie à n’en plus pouvoir et me supplie d’arrêter !
RD : Votre humour s’est parfois révélé
dangereux, comme vous l’écrivez dans
votre livre « Vraies histoires fausses ».
Une femme a accouché six semaines
avant terme en raison des crampes provoquées par un rire excessif lors d’un
de vos spectacles. Avez-vous gardé
contact avec cet enfant ?
ES : Bien sûr, je suis d’ailleurs
son parrain ! En fait, ça s’est produit
plus d’une fois. Trois fois, pour
être exact. Bah, on aurait dû effectuer
un contrôle, à l’entrée du théâtre,
pour s’assurer qu’il n’y ait pas de
femmes enceintes parmi les spectatrices – comme avant un match de
foot, pour vérif ier que personne n’entre dans le stade avec des
fusées.
RD : En ce moment, vous alignez les
récompenses qui couronnent l’ensem–
ble d’une carrière...
ES : Oui, bientôt, je les aurai toutes !
(Rires)
RD : Ça vous fait peur ?
ES : Non. Je ne me dis jamais :
après ça, il n’y aura plus rien. Du
reste, ilsemble que beaucoup n’ont
pas encore remarqué que je suis de
retoursur les planches depuis 10 ans.
On me demande souvent, comme
si je ne faisais plus rien du tout :
vous allez bientôt refaire quelque
chose ? n
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