LEJABY, UttE HISTOIRE PARTICULIERE
Transcription
LEJABY, UttE HISTOIRE PARTICULIERE
RAIN 16 INDUSTRIE TEXTILE LEJABY, UttE HISTOIRE PARTICULIERE Jamais, depuis des années qu'ils se battent et avancent des propositions pour sauver leur marque prestigieuse, les Lejaby n'auront bénéficié d'autant de sollicitude. Toute honte bue, le président-candidat en a même parlé lors de son show multichaînes. Il ne les laisserait pas tomber! Quelques jours après, on apprenait en effet que les 93 salariés de la dernière usine de la marque, à Yssingeaux, devraient échapper au chômage... mais se convertir à la maroquinerie. Un coup de plus pour le textile français. Une affaire qui donne à réfléchir. PAR CATHERINE LÉNACK . U n peu d'histoire avant tout . En 1996, l'entreprise familiale, créée en 1930, est achetée par le groupe amé ricain Warnaco . .I 100 salariés y tra vaillent sur huit sites, dont sept en Rhône-Alpes. En 2003, Warnaco fenne quatre des huit sites et supprime 250 emplois. Une partie de la produc tion est sous-traitée en Afrique du Nord. En 2008, le groupe de lingerie autri chien Palmers Textil rachète Lejaby. Deux ans plus tard, il ferme les usines de Bellegarde-sur-Valserine et Bourg en-Bresse (Ain) et Le Teil (Ardèche) : 197 licenciements. Et ce, tout en atta quant le précédent propriétaire pour faire annuler la vente. 201 1 : Palmers annonce son intention de se débarrasser des 430 salariés restants. Un long par cours semé de droits d'alerte, interpel lations de la directiOl;, occupations des usines, courriers à l'Ely sée, manifesta tions en tous genres ... 2012 : l'entreprise est mise en liquidation et le tribunal de commerce de Lyon opte pour la propo sition de reprise d'Alain Prost, ex-PDG de La Perla et ex-directeur de Chantelle. «La pire des solutions », ont estimé les salariés. Il annonce qu'il fennera Yssin geaux (Haute-Loire) (93 licenciements) ---_ ....... .-,.!-. , ....... ,..- ....................... de gamme, l'autre pas. Mais bon, en po sitivant (ce qu'ont fait alors les salariés), on pouvait espérer que Lejaby bénéfi cierait de la chaîne de distribution de Palmers. En effet, la marque française en avait grandement besoin. Elle n'écoulait ses articles que vers les com merçants indépendants, qui, on le sait, sont s ur le déclin, et les «franchisés », dont les propres produits lui faisaient concurrence - c'était le cas, par Le patrimoine français bradé Les cessions d'entreprise annoncent exemple, de Princesse Tarn Tarn. Quant rarement le printemps. Ainsi, analyse aux grandes surfaces, qui ne donnent généralement pas dans la un spécialiste, quand lingerie de luxe, elles ne LVMH vend Christian suffisaient pas à combler Lacroix à un groupe amé PALMERS les manques. Or, le groupe ricain sans compétence en N'A PAS SU, autrichien n'a jamais ma matière de couture, deux OU PLUTÔT nifesté la moindre inten ans plus tard c'est la fer PAS VOULU, tion de développer un ré meture. «C'est carrément le S'ADAPTER À seau de distribution en bradage d'une partie du pa L'ÉVOLUTION France. Cherchez l'erreur. trimoine français », estime DU PUBLIC, Et ce n'est pas faute, de la t-il en se demandant s'il part des salariés, d'avoir n'y aurait pas justification EN INNOVANT attiré son attention sur le à attaquer en justice. Quand Palmers reprend Lejaby, nul be problème. Guillaume Martin, expert du soin d'être grand clerc en économie CCE en 2008-2009, en appelle à ses sou pour y voir une manigance. Les deux venirs : «Nous disions, ilfaut investir mas entreprises n'ont pas du tout le même sivement dans la distribution et la création. type de clientèle. Lejaby est sur le haut Palmers était en train de gâcher la noto et ne gardera qu'une partie des 250 em ployés du siège social de Rillieux (Rhône) et, éventuellement, sa petite unité de production de 20 personnes qu'il dédierait à du haut de gamme. On sait depuis que l'atelier d'Yssingeaux devrait être repris par un maroquinier voisin, lié à Bernard Arnaud, ami de Nicolas Sarkozy. TERRAIN 17 IN DUSTR IE TEXTI LE 5 ~ ~ Le repreneur choisi par le tribunal était la pire des solutions, ont estiméles salariés. À son programme, lafermeture de l'usine d'Yssingeaux. riété de la marque. Il n'a pas su - ou plutôt pas voulu - s'adapter à Nuolution du pu blic, en innovant notamment dans la linge rie de nuit pour les jeunes femmes. Dans notre constat de préconisation, nous insis tions aussi sur la nécessaire diversification de la gamme ». Tout le design passait par l'Autriche, qùi n'était pas du tout sur la même lon gueur d'onde du point de vue esthé tique et qualitatif. «Ce qui nous a grave ment porté préjudice auprès de notre clientèle », relève Janine Caillot, déléguée CGT. «Nous craignions alors que l'inertie de Palmers ne cache une volonté d'attendre que la situation se détériore suffisamment pour expliquer, ensuite, que la seule solution était de de/ocaliser. Nous avions, he/as, rai son», dit amèrement Guillaume Martin. Des craintes exprimées publiquement, ce que tout un chacun peut vérifier au jourd'hui, puisqu'il les écrivait alors noir sur blanc dans lvIiroir social, en juillet 2009, sous le titre «Lejaby ne doit pas être la prochaine chronique d'unE; mort annoncée ». Information en pas sant, pour ceux qui disent avoir décou vert les difficultés de Lejaby ces der nières semaines. Les économies réalisées sur la masse salariale au long des fermetures de sites n'ont jamais été réinvesties dans le développement de ce qu'il restait de la marque en France. Mais cela aussi était joué d'avance. Délocalisations avant fermeture En ce début 20I2, Lejaby, exsangue, dépossédée de toutes ses usines, vient d'être vendue pour l'euro symbolique à Prost et son associé, le fonds italien Fiduciara San Babila. Et, évidemment, personne n'est responsable. Gag, le der nier PDG osai.! même, à l'occasion d'une de ses multiples entrevues avec le tri bunal de commerce de Lyon, mettre les reculs de liquidités de son entreprise sur« les dommages collatéraux des événe ments au Maghreb », notammen t en Tunisie, où Lejaby a progressivement délocalisé 82 % de sa production. S'il faut faire de la géopolitique, mainte nant, pour être un industriel! Inévitablement, il invoque aussi la «crise ». Interrogé par le Progrès de Lyon, qui a réussi à le débusquer, terré depuis que « l'affaire» a pris tant d'importance, sur le fait que d'autres grandes marques ont su sauvegarder leur part de marché, ce M. Mahé explique avec courage: « El/es ont mis en œuvre des budgets de communication importants et réguliers. Quand je suis arrivé à la tête de Lejaby [en 2009, ndlr], les finances étaient dans le rouge.» Mais que venait-il alors faire dans cette galère, si ce n'est la couler ou, du moins, œuvrer sournoisement aux ultimes délocalisations vers l'étranger ? Ce qu'il ne dit pas aussi, c'est que les dé localisations et l'externalisation d ' une partie de la production au Maghreb avaient aggravé les difficultés de l'entreprise. Les malfaçons étaient telles que les produits faisaient d'in nombrables allers et retours entre le siège et les sous-traitants, ce qui obérait des commandes et conduisit des clients à se tourner vers d'autres fournisseurs. Le chiffre d'affaires del'établissement passait de 80 millions au moment du rachat par Palmers (2008) à 40 millions en 20I I, sans que «bizarrement» la 18 T IN DUSTRIE TEXTILE maison mère, le groupe autrichien, ne fasse le geste qui sauve. De même que nous évoquions plus haut LVMH à pro pos de Christian Lacroix, n'y a-t-il pas ma tière à poser la responsa bili té - pl u tôt l'absence de responsabilité de Palmers dans le saccage de ce presti gieux la bel français? Les ressources pour faire autrement Que ne se sont-ils appuyés, le PDG et son grand patron, puisqu'ils étaient dans une région industrielle et de re cherche, sur les pôles de compétitivité de Rhône-Alpes ? Notamment Techtera, Sportaltec et Minalogic. Techtera, spé cialisé dans les textiles et matériaux souples, qui développe des solutions de recherche et développement pour le sport etles loisirs, dans un but d'inno vation au service des entreprises. Sporaltec, dédié aux équipements de la personne en matière de sport de mon tagne et de plein de air. Minalogic, consacré aux nanotechnologies. Trois structures tournées vers l'avenir, aptes à contribuer à inventer nos vêtements et, ici, nos sous-vêtements du futur. Comme le soutien-gorge qui s'adapte à l'évolution des morphologies ou la nui sette qui nous donne des informations sur l'état et le fonctionnement de notre corps. Deux exemples glanés au cours de notre reportage et qui ne deman daient, évidemment, qu'à se multiplier par la grâce des hommes et femmes de science. À cette occasion, soulignons que les pôles de compétitivité, qui bénéficient largement de la manne publique, ont besoin de la mobilisation des salariés et de leurs organisations pour être de véritables outils au service d'une poli tique industrielle ambitieuse. Pôles qui ont urie fâcheuse tendance à épouser l'air du temps. Un cas d'école Guillaume Martin insiste: « Lejaby est un cas d'école. Lorsqu'un actionnaire a des doutes sur la gestio.n de l'entreprise dans laquelle il a investi, il peut aller en justice. Nous [les élus des salariés, ndlrJ envisa geons d'actionner le processus.» Il serait particulièrement intéressant d'entendre «à la barre » les partenaires sociaux liés ou inféodés au patronat. Comme cet ineffable Philippe Grillot, président de la chambre de commerce et d'industrie de Lyo n, interviewé le 26 janvier dans Tribune de Lyon. Sous le titre «Si on nous avait parlé plus tôt du dossier Lejaby ... », voici ce qu'il répond sur l'absence de la CCI aux côtés de ftUft 1(\ CC\/DII=O ')()1'J Un long parcours de luttes semé d'interpellations de la direction, occupations des usines, coum Lejaby et plus généralement des entre prises en difficulté: «J'ai pris contact la internes du textile. Bienvenue aux vête ments et sous-vêtements chinois, pakis tanais et d'Afrique du Nord. «Le déclin et semaine demière avec le nouveau président du tribunal de commerce, Yves Cha vent. la mort du textile français, ce n'est pas la Avec lui, nous allons remonter une cellule de faute à pas de chance », s'indigne prévention à la chambre de commerce. Après, Guillaume Martin qui, originaire du ce que l'on peutfaire, c'est être au contact du Nord-Est de la France, raconte comment tribunal de commerce, des conseils, des avo il a vu le groupe Boussac s'effondrer. cats, des mandataires judiciaires pour trou Ce qui explique également pourquoi ver des solutions. Si on nous avait parlébeau- . Laurent Wauquiez, ministre et maire du Puy-en-Velay, ville voi coup plus tôt du dossier Lejaby, par exemple, on au sine d'Yssingeaux , tom beau de la dernière usine rait pu sensibiliser différents LE DÉCLIN Lejaby, n'a pas une se acteurs.» Il n'est pire sourd ET LA MORT conde évoqué, aux lende que celui qui ne veut rien DU TEXTILE savoir des activités indus mains de sa liquidation et trielles, les services étan t FRANÇAIS, de sa fermeture, un pos sans doute plus lucratifs ... CE N'EST PAS sible sauvetage de l'éta blissement, et encore Et quand il entend enfin, LA FAUTE À l'édile, même s'il évoque PAS DE CHANCE moins du textile français vaguement la prévention, en général. C'est Le Ca nard enchaîné du r e! fé s'attarde longuement sur les mécanismes et acteurs de la justice. vrier dernier qui se fait un plaisir de Qui sont souvent appelés à la rescousse ra ppeler ses propos d'alors: «No u~ allons faire le maximum dans les prochains jours lo!squ'il est trop tard. A sa décharge, s'il en a besoin, fraîche pour quel'on accompagne au mieux chaque ment élu à la chambre consulaire de salariée pour retrouver un emploi le plus Lyon, il ne fait que suivre le chemin tra vite possible. » Quand son collègue, cé par ses pairs. La porte du libéralisme Xavier Bertrand, ministre de l'Emploi, à tous crins, accompagné de ses dégâts se congratulait: «Il y a un contrat de sé inévitables, est ouverte depuis les années curisation professionnelle qui a été mis en r990 et l'arrêt des accords multifibres, place, qui va garantir aux salariés pendant qui, jusque-là, régissaient les échanges un an d'avoir 98 % de leur salaire ». TE 19 INDU STRI E TEXT ILE lecture de l'interview du président de la chambre de commerce. Elle parle aussi de ses entrevues avec le préfet qu'elle invitait à écouter les personnels et à qui elle rappelait la loi. Et de s'in surger contre les «patrons de droit divin » et souhaiter un droit suspensif aux plans sociaux, le temps d'étudier sérieu sement le dossier. «D'autant que dans leur stratégie, les groupes ont souvent une méconnaissance totale des tenitoires.» Au passage, elle exprime son opposition à PAROLE Bernadette Pessemesse déléguée syndicale de l'usine d'Yssingeaux la suppression de la taxe profession nelle qui, malgré ses imperfections, « maintenait des liens entre les entreprises et les territoires ». Entreprises qui conti « Depuis le dépôt de bilan en oc nuent à bénéficier des services publics. tobre 2011, le syndicat CGT s'emploie Une de ses premières actions à la Région à mobiliser les 93 salariés dont a été d'instaurer un fonds d'action d'ur 90 femmes: 13 décembre 2011, rassem gence pour les PME. Et un dispositif · blement devant l'usine !...ejaby, 5 jan Sécuriser l'emploi en Rhône-Alpes vier, manifestation des Lejaby devant (Secura), qui réW1it entrepreneurs et sa la préfecture de Haute-Loire. Mais lariés et travaille sur les problématiques jusqu'au 16 janvier, nous' ne savions pas de recrutement et de parcours profession si la mobilisation aller s'enraciner. Ce nels. Un dispositif qui, insiste l'élue, est jour-là, le personnel vote à l'unanimité dans l'anticipation des problèmes, l'occupation de l'usine... et le 17 janvier Christiane Puthod soulignant que les di tout le personnel se retrouve devant rigeants de PME «ont souvent le nez dans le tribunal de commerce à Lyon . Le 18, à l'Élysée, manifestations en tous genres ... C'est une évidence, il est urgent, selon l'intitulé du colloque organisé au conseil r,égional Rhône-Alpes début février par Emergences, expert en études et conseil, de favoriser «l'émergence de nouveaux es paces d'innovation sociale» en territoires. En somme, d'optimiser les dispositifs de dialogue social oulet d'en revendiquer de nouveau. Syndicats de salariés et patro naux, élus politiques y avaient notam ment rendez-vous. Christiane Puthod, vice-présidente (PCF) du conseil régional, déléguée à l'emploi, au dialogue et à l'in novation sociale et aux contrats territo riaux emploi-formation a introduit so lennellement cette rencontre. Des propositions alternatives Les Lejaby, elle les connaît bien. Notamment, elle les a reçus quand ils sont venus en manifestation au conseil régional. «Leur dossier était exemplaire. Il comportait des propositions alternatives des plus intéressantes. C'était la confirma tion que les droits des salariés ne sont pas assez étendus et que la loi devrait y remé dier», nous dit-elle d'emblée avec la dé termination qu'on connaît à cette ex secrétaire de l'UD-CGT du Rhône. Évoquant les fermetures des usines Lejaby successives, elle dit combien ce fut dramatique pour les personnes et les territoires. D'où son incrédulité à la le guidon et ni la tête ni le temps, par exemple, de gérer leurs départs à la retraite ». Pour revenir au thème du colloque régional, on peut imaginer que le projet d'Emergences d'aller à de «nouveaux espaces d'innovation sociale» s'est enrichi de cette disposition du conseil régional, à savoir la division de Rhône-Alpes en 27 zones territoriales emploi-formation et la mise en œuvre de comités straté giques, rassemblant Région, État, syn dicats visant à une véritable stratégie de développement des territoires. Leur lutte comme seule garantie d'avenir Que retenir de cette véritable épopée Lejab y 7 Bien sûr, la lutte exemplaire de ses salariés et de ses syndicats CGT et CFDT. Unis envers et contre tout pen dant des années. Jusqu'à obliger le pré sident de la République à s'engager, presque piteusement, à ne pas les laisser tomber devant des millions de téléspec tateurs. Impossible pour lui d'échapper à la partition industrielle et produisons français! «Des femmes, de la lingerie symbole du glamour français: dossier en béton », a dû lui glisser Wauquiez, qui s'est toujours obstiné à appeler ces ouvriers, hommes et femmes mêlés, « les filles » . Machisme et condescen dance. Mais bon. Reste qu'avec la liqui dation, les plans sociaux des usines pré-' cédemment fermées seront-ils honorés? Est-ce que ça intéressera autant radios et télés 7 Et nos gouvernants 7 " jour du sommet social, devant toutes les caméras de télévision et alors que nous occupons la permanence du mi nistre Laurent Wauquiez, le personnel laisse éclater sa colère devant l'an nonce de la fermeture du site. En quelques jours, les Lejaby deviennent un symbole et la démonstration du bi lan catastrophique du quinquennat sur le chômage. La visite d'Arnaud Monte bourg en fait un enjeu de l'élection présidentielle. La population locale prend fait et cause pour la lutte. La disparition des emplois industriels, c'est la mort des territoires. Face à cette mobilisation et ses conséquences politiques, le gou vernement trouve une "solution". Un ami du président, Bernard Arnault, aidé de subventions d'État. Lequel propose une solution de reprise pour tous les salariés. C'est une victoire contre les licenciements. Le pouvoir essaye de récupérer le ré sultat de la lutte et invite une délégation à l'Élysée. Mais, sur le perron, nous rap pelons que "depuis dix-huit mois, 450 emplois ont été supprimés dans le groupe Lejaby et avec la reprise d'Ys singeaux, il reste encore 350 postes à sauver. Souhaitons que cette mobilisa tion soit contagieuse ét serve à tous ceux et celles qui se battent pour l'em ploi".,, " 8 l &l