La commission des sanctions de l`AMF précise les

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La commission des sanctions de l`AMF précise les
T O
O U R
F R I E N D S
A N D
C L I E N T S
M e m o r a n d u m
www.friedfrank.com
Le 30 octobre 2006
La commission des sanctions de l’AMF précise les
contours du principe de libre jeu des offres et des
surenchères
(A propos de la
26 octobre 2006)
décision
Partouche
publiée
le
Le principe de libre jeu des offres et des surenchères est un principe directeur de la réglementation des
offres publiques qui trouve son origine dans la décision générale de la COB du 25 juillet 19781 et dont
l’objectif est de permettre à chacun des compétiteurs de participer à la tentative de prise de contrôle
d’une société par voie d’offre publique, en ayant pleinement connaissance des conditions proposées par
son concurrent2.
Ce principe a été complété par l’exigence d’un comportement loyal des acteurs pendant le déroulement
des offres successives.
Au milieu d’une jurisprudence relativement limitée sur cette question, la décision du 15 septembre 20063
rendue par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’« AMF »), à
l’égard des sociétés Groupe Partouche (ci-après « Groupe Partouche ») et Fortis Bank ainsi que de MM.
André Der Krikorian et Arnaud Bricout, apporte des précisions importantes sur les modalités d’application
de ce principe essentiel.
L’AMF a d’ailleurs publié un communiqué de presse sur cette décision, ce qui souligne que celle-ci
s’impose comme une décision de principe4.
1
Décision générale de la COB relative aux offres publiques d’achat et d’échange en date du 25 juillet 1978, JO du
13 août 1978
2
Rapport annuel de la COB, 1997, p 94.
3
Décision publiée sur le site internet de l’AMF le 26 octobre 2006 et disponible à l’adresse suivante : http://www.amffrance.com/documents/general/7408_1.pdf
4
Communiqué de presse en date du 26 octobre 2006 et disponible à l’adresse suivante : http://www.amffrance.com/documents/general/7409_1.pdf
Copyright © 2006 Fried, Frank, Harris, Shriver & Jacobson LLP
A Delaware Limited Liability Partnership
Faits
A la fin de l’année 2001, la société Accor Casinos (ci-après « Accor Casinos »), filiale du groupe Accor
et troisième opérateur français de Casinos à l’époque des faits, entrait en pourparlers avec M. Der
Krikorian, en vue de négocier avec lui et certains actionnaires historiques, les conditions d’un
rapprochement avec la société Compagnie Européenne de Casinos (ci-après « CEC »). Les actions CEC
étaient cotées au second marché d’Euronext Paris.
Le 14 décembre 2001, Accor Casinos acquérait hors marché 879.569 titres CEC à 52 euros par action
correspondant à 22,7 % du capital non dilué auprès notamment des actionnaires historiques et le
17 décembre 2001, déposait auprès du CMF une offre publique d’achat amicale portant sur la totalité des
titres CEC au même prix.
Le 28 janvier 2002, la société Groupe Partouche, premier exploitant de casinos en France, décidait à son
tour d’intervenir sur le marché en acquérant 1.170.787 actions et 160.000 obligations convertibles portant
sa participation à 36,8 % du capital et à 27,6 % des droits de vote publiés de CEC.
Le 4 février 2002, Groupe Partouche déposait alors un projet d’offre publique concurrente à celle d’Accor
Casinos au prix de 59 euros par action et de 114,68 euros par obligation convertible.
Le 6 février 2002, Accor Casinos décidait de riposter et déposait auprès du CMF une surenchère sur sa
propre offre en proposant une valorisation de 65 euros par action et de 160,7 euros par obligation
convertible.
Le 26 février 2002, Groupe Partouche procédait à l’acquisition sur le marché de 696.561 actions et
117.482 obligations convertibles au prix de 66,5 euros par action, prenant ainsi le contrôle de CEC en
portant sa participation à 54,3 % du capital de celle-ci.
Conformément à l’article 5-2-11 de son Règlement général applicable à l’époque des faits, le CMF
précisait que cette acquisition en période d’offre déclenchait la mise en œuvre d’une surenchère
automatique par Groupe Partouche.
Constatant que Groupe Partouche détenait désormais le contrôle de CEC, Accor Casinos annonçait le
5 mars le retrait de son offre publique d’achat.
Le 10 avril 2002 les résultats de l’offre étaient publiés et indiquaient que Groupe Partouche détenait
désormais 99,51 % du capital de CEC.
Le 9 octobre 2002, le titre CEC était retiré de la cote.
2
Procédure
Le 28 février 2002, le Directeur de la COB décidait d’ouvrir une enquête « sur le marché de l’action et de
l’obligation convertible Européenne de Casinos à compter du 1er juillet 2001 ».
Une notification des griefs était notamment adressée le 12 août 2005 à Groupe Partouche et à M. Der
Krikorian leur reprochant d’avoir porté atteinte au libre jeu des offres et des surenchères, en particulier,
aux motifs que :
« […] si le règlement COB n° 89-03 n'interdit pas à un dirigeant de la société visée par une offre de
céder ses titres et à une société ayant surenchéri de les acquérir et si le règlement général du CMF,
applicable à l'époque des faits, précise seulement, dans son article 5-1-11, que toute cession doit être
faite sur le marché, encore faut-il, pour permettre le libre jeu des offres et des surenchères, qu'une telle
cession ou qu'une telle acquisition ne soit pas organisée afin de bénéficier exclusivement et
définitivement à une des sociétés ayant déposé un projet d'offre. »
La direction des enquêtes contestait en l’espèce les modalités de l’acquisition des titres CEC sur le
marché par Groupe Partouche et particulièrement le recours à la technique de marché dite de
« l’application », laquelle consiste en la production et l’exécution simultanées au même cours par un
prestataire de services d’investissement de deux ordres client de sens opposés pour une même quantité
de titres.
Selon la direction des enquêtes, l’usage d’une application, qui laissait par ailleurs supposer l’existence
d’un accord entre les parties à la transaction du 26 février 2002, non communiqué au marché en violation
de la réglementation, aurait en effet porté atteinte au libre jeu des offres et des surenchères en
empêchant l’autre initiateur de l'offre (en l’occurrence Accor Casinos) de s’interposer sur le marché et
d’acquérir les titres cédés le 26 février 2002, et en faisant perdre, en définitive, au marché la chance
d'une nouvelle surenchère.
La commission des sanctions, faisant droit aux arguments développés par Groupe Partouche, rejette
cette argumentation en mettant hors de cause Groupe Partouche sur le fond ainsi que M. Der Krikorian,
jugeant pour ce dernier que le règlement COB n°89-03 ne lui est pas applicable, puisque, d’une part, son
champ d’application ne vise que l’initiateur d’une offre et la société visée et que, d’autre part, M. Der
Krikorian ne pouvait être considéré comme ayant participé à une action de concert avec la société visée
de nature à le faire entrer dans ce champ d’application.
Au delà de la question relative aux règles d’appariement et d’exécution des ordres, qui n’est pas l’objet
du présent mémorandum, cette décision permet surtout d’apporter des éclaircissements sur la notion
d’accord susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’offre publique (I), ainsi que sur la
définition (II) et les modalités d’interprétation (III) du principe de libre jeu des offres et des surenchères.
3
I.
LA NOTION D’ACCORD SUSCEPTIBLE D’AVOIR UNE INCIDENCE SUR L’APPRECIATION DE L’OFFRE PUBLIQUE
L’article 4 du règlement COB n°89-03 applicable à l’époque des faits disposait que :
« Dès l’avis de dépôt de l’offre, ou pendant toute sa durée dès leur conclusion, les accords susceptibles
d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’offre publique ou sur son issue, conclus par les actionnaires
de la société visée ou des personnes agissant de concert avec elle, sous réserve de l’appréciation de
leur validité par les tribunaux, doivent être notifiés par leurs signataires au conseil d’administration ou au
directoire des sociétés concernées, ainsi qu’au Conseil des bourses de valeur et à la Commission des
opérations de bourse.
Ces accords sont simultanément portés par ceux qui les ont conclus à la connaissance du public par
publication dans au moins un quotidien d’information financière de diffusion nationale »
Dans sa décision, la commission des sanctions constate en premier lieu, que la preuve d’un tel « accord
entre les parties liant celles-ci de façon formelle » qui aurait abouti à la cession du 26 février 2002, n’est
pas établie.
En effet, les accords visés par l’article 4 désignent essentiellement des conventions conclues
formellement, généralement matérialisées dans un acte, et en particulier les engagements de
présentation à une offre publique, ou à l’inverse, les interdictions de présenter des titres à une offre.
En revanche, l’accord au sens de l’article 4 du règlement COB n°89-03 n’a jamais désigné la décision de
vendre ou non ses titres sur le marché lorsqu’aucun véritable engagement préalable n’est intervenu entre
les parties.
En l’espèce, le seul accord établi résultait de la cession elle-même et était uniquement matérialisé par le
dénouement de la transaction du 26 février 2002.
En ce sens, l’accord entre Groupe Partouche et les cédants se confondait avec la cession du
26 février 2002, il ne préexistait pas à celle-ci.
La commission des sanctions a donc pu justement écarter l’existence d’un accord entre les parties.
En toutes hypothèses, la commission des sanctions souligne l’absence de conséquences, en termes
économiques, d’un éventuel accord dès lors qu’un tel accord – à supposer qu’il ait existé – n’aurait pas
permis la prise du contrôle du capital de CEC que seule l’acquisition subséquente auprès des porteurs
des obligations convertibles sur le marché a rendu possible.
4
II.
LA DEFINITION DU PRINCIPE DE LIBRE JEU DES OFFRES ET DES SURENCHERES
La décision de la commission des sanctions est également importante en ce qu’elle précise, par défaut,
la définition du principe de libre jeu des offres et des surenchères.
L’analyse de la jurisprudence montre que le principe de libre jeu des offres et des surenchères se
subdivise en réalité en deux principes sous-jacents, à savoir le principe d’égalité entre les compétiteurs
(3.1) et le principe de loyauté dans la compétition (3.2).
2.1
Le principe d’égalité entre les compétiteurs
Comme le souligne la doctrine, le domaine d’élection du principe d’égalité entre les compétiteurs est celui
des « avantages que les opérateurs se font concéder au moyen d’engagements de présentation, c'est-àdire de promesses unilatérales de vente au profit de l’auteur d’une offre5 ».
Confrontée à l’existence de tels engagements de présentation, la Cour d’appel de Paris dans son arrêt
OCP en date du 27 avril 1993 a défini le principe d’égalité entre compétiteurs : il y a atteinte à ce principe
lorsque le dispositif mis en place confère à l’un des initiateurs « un avantage déterminant par avance le
succès de son offre publique […] empêch[ant] a priori toute possibilité d’égalité dans la compétition6. »
En l’occurrence, « des accords qui permett[aient] à la société Gehe AG [société initiatrice de l’offre
publique d’achat] de contrôler la gestion de la société OCP [société cible] en cas de succès de son
opération, ce qu’aucun autre compétiteur n’[était] assuré d’obtenir [donnent à cette offre] un avantage
évident de nature à priver toute éventuelle contre-offre d’égalité dans la compétition et par conséquent
[sont de nature] à en dissuader la présentation. »
Pour les juges du fond, il y aurait donc rupture d’égalité entre les compétiteurs lorsque les mesures mises
en place par l’initiateur déterminent à l’avance l’issue de l’offre publique et dissuadent, de ce fait, tout
concurrent éventuel de l’initiateur favorisé.
La définition de l’atteinte au principe d’égalité entre les compétiteurs implique donc, pour les autorités de
marché, la nécessité de se placer dans une situation ex ante afin d’examiner si aucune convention ne
vient fausser les règles de concurrence en désignant au préalable le compétiteur victorieux.
En résumé, il apparaissait nécessaire pour les enquêteurs de prouver en premier lieu l’existence d’un
accord ayant faussé préalablement les règles de compétitivité, avant de pouvoir contesté en second lieu
une quelconque atteinte au principe d’égalité entre les compétiteurs.
5
Philippe Portier et Raphaële Navelet-Nouhalhier, « La libre compétition dans les offres publiques d’acquisition », in
Revue de Droit Bancaire et Financier, juillet-août 2002, p 226, § 8.
5
Or, faute d’apporter la preuve d’un tel accord préalable, la violation du principe d’égalité entre les
compétiteurs ne pouvait être retenue dès lors que le principal élément constitutif de ce principe faisait
défaut.
En outre, au regard de la jurisprudence et notamment de l’arrêt Sucrerie de Châlon7, seul un accord
préalable permettant l’octroi pour l’un des compétiteurs d’un avantage décisif et déterminant sur l’issue
de l’offre, porte atteinte au principe d’égalité entre les compétiteurs.
Or, comme le souligne la décision, l’avantage résultant de l’acquisition du bloc d’actions vendues sur le
marché par les actionnaires historiques le 26 février 2002, ne pouvait être considéré à lui seul comme
« déterminant » pour l’issue de l’offre publique puisque la prise de contrôle de CEC a nécessité
l’acquisition corrélative des obligations convertibles auprès des porteurs.
En tout état de cause, quand bien même cette acquisition des actions auprès des actionnaires
historiques aurait constitué à elle-seule un moyen de prendre le contrôle de la société, l’absence de
preuve d’un élément d’antériorité de l’accord supposé n’aurait pas permis de caractériser un
manquement au principe.
Dès lors que ni le caractère préalable ni le caractère déterminant sur l’issue de l’offre, de l’avantage
conféré à l’un des compétiteurs, n’était établi, la commission des sanctions ne pouvait donc retenir une
quelconque atteinte au principe d’égalité entre les compétiteurs.
2.2
Le principe de loyauté dans la compétition
Parallèlement au principe d’égalité entre les compétiteurs, la jurisprudence a pu déduire du libre jeu des
offres et des surenchères un principe de loyauté dans la compétition.
En effet, la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de définir très précisément ce
principe en indiquant que :
« la déloyauté s’entend comme une entrave au libre jeu des offres et des surenchères, par le recours à
des manœuvres ou moyens détournés mis en œuvre dans des conditions illicites, occultes ou
frauduleuses8 ».
Il convient donc d’analyser les trois critères posés par cette définition au regard des faits de l’espèce afin
de vérifier si l’acquisition du 26 février 2002 était ou non constitutive d’un acte de déloyauté.
6
ère
CA Paris, 1 cha. Sect. CBV, n°93/5842, 27 avril 1993, Mutuelle du Mans Assurance-Vie et autre c/ Société OCP,
Bulletin Joly Bourse et Produits Financiers, juillet-août 1993, p 397, note P. Lecannu ; JCP E 1993, II n°25 p 157 note
A. Viandier ; RJ. com 1993, n°1371, note Ch. Goyet.
7
CA Paris, CBV n°9317254, 27 octobre 1993, Balland et autre / Comité d’entreprise de la Sucrerie-Raffinerie de
Châlon-sur-Saône, Bulletin Joly Bourse et Produits Financiers novembre décembre 1993 p 749.
6
2.2.1
Sur la licéité de l’opération
Il convient en premier lieu de s’interroger sur la licéité d’une acquisition de titres en cours d’offre.
Aux termes de l’article 5-1-11 du règlement général du CMF applicable à l’époque des faits :
« A dater du début de la période d’offre et jusqu’à la clôture de l’offre, l’ensemble des ordres portant sur
les titres visés par l’offre sont exécutés sur le ou les marchés réglementés sur lequel (lesquels) les titres
sont admis ».
Cette prescription a été respectée en l’espèce puisque les titres ont tous été acquis sur le carnet d’ordre
central.
Les conditions légales du ramassage en cours d’offre ont également été respectées, la jurisprudence9 et
la doctrine10 ayant admis la licéité de telles acquisitions sur le marché.
Si l’acquisition des titres réalisée sur le marché était en elle-même licite, la modalité technique de cette
acquisition aurait-elle pu en revanche être contestée ?
On sait que l’acquisition des titres sur le marché a été réalisée au moyen d’une application.
L’application est définie à l’alinéa 1er de l’article 4402 du livre 1 des règles de marché d’Euronext de la
manière suivante :
« Une application consiste en la production et l’exécution simultanées au même cours par un seul
Membre des Marchés de Titres d’Euronext de deux ordres client de sens opposés pour la même quantité
d’un titre donné ».
L’utilisation possible de cette technique matérialisant une cession de bloc est précisée au deuxième
alinéa de l’article 4402 du livre 1 des règles de marché d’Euronext qui précise que :
« Les applications peuvent être effectuées en dehors du Carnet d’Ordres Central conformément aux
dispositions des articles 4305 et 4403 ».
Néanmoins, l’article P. 2.4.2 du livre II des Règles de Marché d’Euronext dispose que :
8
CA Paris, 17 juin 1999, Paris 17 juin 1999, Paribas et Sté générale c/ BNP, RTD com. 52, juillet-septembre 1999, p
710.
ère
T.com, 10 mars 1988, Gaz. Pal du 3-5 juillet 1988 p 468. : CA Paris, 1 ch, section CBV, 20 novembre 1991 SA
Quadral c/ SA Finmeccanica International et autres, Dalloz Sirey, 1992, jurisprudence, p 193
10
Dominique Schmidt, « Des ramassages systématiques en bourse et hors bourse constituent-ils des OPA
irrégulières », RDAI n°4-5, 1989 p 433.
9
7
« A dater du début de la période d’offre et jusqu’à la clôture de l’offre, les membres du marché
transmettent leurs ordres sur le carnet d’ordre central »
La technique de l’application, en organisant la confrontation des deux ordres de sens opposé pour la
même quantité de titres, empêche ainsi effectivement en pratique toute interposition d’une personne
tierce aux deux ordres confrontés.
Néanmoins, d’un point de vue strictement juridique, aucune disposition n’édicte une interdiction générale
de recourir à une application en période d’offre dès lors que celle-ci est effectivement exécutée sur le
marché.
Au contraire, il résulte des textes précités que l’exécution d’une application en période d’offre est
expressément autorisée dès lors qu’elle est réalisée sur le carnet d’ordre central.
Dès lors, comme le confirme la décision de la commission des sanctions, il apparaît que, ni l’acquisition,
ni les modalités de celle-ci (l’utilisation d’une application), ne présentait en l’espèce un caractère illicite.
2.2.2
Sur le caractère occulte de l’opération
Le deuxième critère de la définition du principe de loyauté correspond au caractère occulte éventuel
d’une opération.
Or, le caractère occulte de la transaction du 26 février 2002 n’était pas non plus établi en l’espèce.
En effet, conformément à l’article 22 du règlement COB n°89-03 applicable à l’époque des faits, les
opérations d’achat ou de vente sur le marché ont dû être déclarées chaque soir après la séance de
bourse.
Or, cette obligation de déclaration a également été respectée puisque l’acquisition sur le marché des
titres a été communiquée au conseil des marchés financiers lequel avait informé le marché de la
surenchère automatique.
L’acquisition sur le marché ne présentait donc aucun caractère occulte.
2.2.3
Sur le caractère frauduleux de l’opération.
L’hypothèse résiduelle et plus délicate concernait la fraude.
Dès lors que ni le caractère illicite ni le caractère occulte de la transaction du 26 février 2002 n’était
avéré, la notion de déloyauté et celle de fraude tendait à se confondre, et ce, dans la mesure où la fraude
8
est le troisième et dernier élément constitutif de la définition de la déloyauté posée par la Cour d’appel de
Paris.
La fraude est classiquement définie comme un acte accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative
ou prohibitive par le biais d’une manœuvre ou d’un moyen détourné11.
En l’espèce, aucune preuve d’une manœuvre ou d’un moyen détourné n’était établie.
En outre, l’élément intentionnel nécessaire à caractériser la fraude et selon lequel le marché aurait été
sciemment trompé par l’opération n’était pas non plus rapporté.
Enfin et surtout, la volonté d’éluder une loi impérative semblait d’autant plus délicate à établir que les
protagonistes s’étaient au contraire contentés d’appliquer une réglementation qui avait expressément
prévue l’hypothèse d’une cession en cours d’offre, laquelle déclenchait précisément la procédure de
surenchère automatique.
En conséquence, la transaction réalisée par les protagonistes ne correspondait effectivement pas, selon
nous, à la définition du principe de loyauté dans la compétition.
Dès lors qu’aucun des deux principes sous-jacents, qu’il s’agisse du principe d’égalité entre les
compétiteurs, ou du principe de loyauté dans la compétition n’était applicable, la commission des
sanctions ne pouvait effectivement reconnaître une quelconque atteinte au libre jeu des offres et des
surenchères.
III.
MODALITES
D’INTERPRETATION DU PRINCIPE DE LIBRE JEU DES OFFRES ET DES SURENCHERES DE
L’OPERATION
La décision de la commission des sanctions mérite surtout l’attention dans la mesure où elle prend
position sur les modalités d’interprétation du principe de libre jeu des offres et des surenchères en
indiquant expressément que ce principe « doit s’apprécier dans le cadre de la réglementation ».
Cette affirmation permet de préciser que le strict respect par les protagonistes de la réglementation
spécifique relative aux acquisitions en période d’offre et à la procédure de surenchère automatique
interdit par suite à la direction des enquêtes d’invoquer à leur encontre un principe général sans avoir
établi l’existence d’un véritable manquement à ces textes, ou une volonté de les éluder.
A ce titre, la décision de la commission des sanctions contredit clairement la position exprimée dans la
notification des griefs par la direction des enquêtes et énonce la seule interprétation qui pouvait prospérer
au regard du principe de légalité des textes.
11
VIDAL, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, 1957.
9
Dans la mesure où aucune définition prétorienne antérieure ne semblait correspondre à la situation
d’espèce, la commission des sanctions ne pouvait se contenter d’une analyse économique de la situation
en se bornant à constater que les protagonistes avaient privé le marché de toute surenchère pertinente
au delà du prix de 66,50 €, l’autre compétiteur n’ayant pu s’interposer.
En effet, hors procédure de sanction, il est admis en doctrine que les textes de droit financier et boursier
ne doivent pas être interprétées strictement, mais selon une analyse téléologique, au regard de leur
finalité et de l’esprit qui a présidé à leur mise en place12.
Cette interprétation, compréhensible dans le cadre normal et courant des affaires, se trouve en revanche
en contradiction avec un principe fondamental dès lors que les parties se trouvent engagées dans le
cadre d’une procédure de sanction.
En effet, la notion de « matière pénale » au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme, laquelle inclut les procédures de sanction administrative, implique au contraire le respect du
principe de légalité, duquel découle directement le principe d’interprétation stricte des textes pénaux et
assimilés.
Dans cette situation, l’interprétation téléologique qui prévaut habituellement dans le droit boursier et
financier et qui permet de prendre en compte le seul effet économique d’une transaction pour apprécier
sa conformité à la réglementation, doit nécessairement s’effacer, dans le cadre d’une procédure de
sanction, devant une interprétation stricte des textes, garante des droits de la défense.
Cette exigence d’interprétation stricte des textes dans le cadre d’une procédure de sanction explique en
partie pourquoi le principe de libre jeu des offres et des surenchères a essentiellement été utilisé dans les
décisions antérieures comme un instrument de régulation du marché qui offre, en amont, aux autorités la
faculté de s’opposer à la recevabilité d’un projet d’offre publique plutôt que, comme un instrument de
sanction, en aval, permettant d’apprécier la licéité d’une transaction.
En effet, au stade de la seule recevabilité, l’analyse téléologique peut effectivement être maintenue, seul
l’effet économique et financier étant pris en compte pour apprécier la conformité de la transaction à la
finalité des textes.
Ainsi, comme le souligne M. Alain Viandier dans son commentaire sous l’arrêt OCP, la Cour d’appel de
Paris « se place uniquement sous l’angle de la validité de la décision de recevabilité prise par le Conseil
12
En ce sens, M.A Frison-Roche et M. Germain, sous CA Paris 27 avril 1993, in Revue de droit bancaire et bourse,
1993, p. 134, lesquels exposent que « dans un droit boursier encore en friche, l’esprit et les principes doivent
prévaloir […] pour éviter de donner prise à une habileté excessive des acteurs économiques ».
10
des Bourses de Valeurs. L’arrangement considéré n’est pas illicite, mais il affecte la recevabilité du projet
d’offre13. »
Cette analyse est confirmée par Mme Marie-Anne Frison-Roche dans son article relatif au « Principe
juridique d’égalité des compétiteurs sur le marché boursier » qui estime que, dans l’arrêt OCP, « c’est
bien l’ensemble du dispositif mis en place, fût-il parfaitement licite, qui, analysé concrètement, fausse le
jeu et implique l’irrecevabilité, sans qu’il soit même nécessaire de poser la question de la licéité des
engagements14 ».
L’ensemble des décisions postérieures montrent également que le principe de libre-jeu des offres et des
surenchères a essentiellement été utilisé au niveau de la recevabilité15.
La doctrine a en conséquence pu affirmer que :
« […] l’annulation d’une décision de recevabilité est la réponse judiciaire adéquate à un comportement
qui enraye le libre jeu de l’offre et de la surenchère, le droit économique spécial ayant pour fin d’assurer
le fonctionnement harmonieux du marché, notion qui s’identifie à ce jeu16 ».
La commission des sanctions ne pouvait donc se fonder sur le seul effet économique de la transaction
pour constater un manquement au libre jeu des offres et des surenchères, d’autant que le caractère
minimal du préjudice pour le marché, suite à la surenchère automatique, rendait particulièrement
malvenue une analyse purement économique.
La commission des sanctions a en conséquence pu motiver sa décision par le fait que :
« si la rapidité de réalisation de l’opération qui a mené à sa victoire a permis au Groupe Partouche
d’empêcher toute surenchère pertinente et a ainsi privé le marché de toute opportunité de vente à un prix
supérieur à 66,50 €, il reste que tous les détenteurs d’actions de la société visée ont pu vendre à e prix,
qui est supérieur de 2,30 % à celui qui leur était jusque là proposé par son concurrent, en application de
la règle de la surenchère automatique ».
La commission des sanctions a donc pu logiquement justifier la mise hors de cause des intéressés sur
cette question.
*
13
*
*
ère
A. Viandier, Note sous Paris 1 ch. Sec CBV 27 avril 1993, JCP E, n°25, jurisprudence 457, p 157.
Marie-Anne Frison-Roche, « Le principe juridique d’égalité des compétiteurs sur le marché boursier », in Bulletin
Joly Bourse et Produits Financiers, novembre-décembre 1993, p 721.
15
CA Paris, CBV n°9317254, 27 octobre 1993, Balland et autre / Comité d’entreprise de la Sucrerie-Raffinerie de
Châlon-sur-Saône, Bulletin Joly Bourse et Produits Financiers novembre décembre 1993 p 749. Voir également,
Rapport annuel de la COB, 1994, p 192 et communiqué AMF du 23 avril 2004, bulletin AMF janvier 2004, p. 156.
16
Marie-Anne Frison-Roche, op.cit.
14
11
La décision de la commission des sanctions de l’AMF en date du 15 septembre 2006 permet de mieux
cerner la définition et les modalités d’interprétation du principe de libre jeu des offres et des surenchères,
qui n’a fait l’objet que de rares décisions.
L’utilisation de ce principe directeur comme fondement inhabituel d’une procédure de sanction, ne
pouvait en effet qu’obliger la commission des sanctions à adopter une interprétation stricte des
dispositions de la réglementation et à constater qu’aucun des éléments constitutifs d’une éventuelle
atteinte à ce principe n’était établi.
Une lecture par défaut de la décision permet également de préciser les contours de la notion d’accord
susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’offre publique et reconnaît donc la licéité de la
technique de l’application en période d’offre, comme le souligne le communiqué de presse publié le
même jour sur le site de l’AMF.
Paris
Eric Cafritz
Patrick Jaïs
Sophie Touhadian-Giely
Cédric Chanas
33.140.62.2200
33.140.62.2200
33.140.62.2200
33.140.62.2200
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