Diocèse d`Arras, chefs d`établissements catholiques d`enseignement

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Diocèse d`Arras, chefs d`établissements catholiques d`enseignement
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Diocèse d’Arras, chefs d’établissements catholiques d’enseignement
animateurs en pastorale scolaire, jeudi 3 avril 2014- Arras
et
Parler de la mort dans nos établissements.
Vous m’aviez initialement sollicité pour parler de la fin de vie, de l’euthanasie, du suicide assisté,
sujets à nouveau débattus à l’occasion d’un nouveau projet de loi. Vous avez modifié votre demande
en souhaitant parler plus directement de la mort, de la façon d’en parler avec les élèves lorsqu’elle
survient chez un parent, un collaborateur ou un camarade.
Je m’y risque avec prudence et avec l’expérience qui est la mienne. Je ne suis pas psychologue,
encore moins membre d’une cellule de crise d’intervention psychologique. Je le fais comme prêtre et
comme médecin, hélas familier de la mort et de la fin de vie.
Pourquoi la mort fait problème ? Tout simplement parce qu’elle a reculé ou plutôt qu’on l’a
retranchée du paysage ordinaire de la vie.
Elle a reculé…
Parce qu’on meurt moins qu’autrefois.
Parce qu’on meurt le plus souvent à un âge avancé et plutôt dans des établissements de santé ou de
soins : hôpitaux, EHPAD…
On l’a retranché du paysage. On a simplifié les rites funéraires, effacé socialement la période du
deuil.
Et pourtant elle ne cesse de faire irruption sur nos écrans de télévision et de cinéma : guerres,
meurtres, tueries… et même fins de vie mises en scène.
Pourquoi est-ce si compliqué de parler de la mort ? Pourquoi la mort est-elle tabou ? Aurions-nous
oubliés que nous sommes mortels, que cette prise de conscience est une des caractéristiques de
notre humanité, tout comme les croyances et les rites qui les manifestent disent nos tentatives
d’apprivoiser la mort, de lui donner sens ou au moins de l’intégrer dans notre système de sens ?
Pourquoi ce questionnement pour savoir s’il est opportun que les petits-enfants soient présents aux
funérailles de leur grand-père ? Cette gêne pour savoir si on peut les emmener à la chambre
funéraire ou à la mise en bière ? N’ont-ils pas intégrés depuis longtemps que nous étions mortels ?
N’ont-ils pas déjà très tôt à 4 ou 5 ans posé des questions sur notre devenir, l’endroit où se
trouvaient Papy ou Mamie décédés ?
L’annonce de la mort peut entraîner le déni ou la révolte. Elle entraîne le plus souvent une immense
souffrance qui peu à peu s’apaise.
Nous sommes en panne de sens collectif, en panne de transmission et nous avons fait de l’individu
libre et autonome le seul responsable du sens qu’il donne à son existence. Devant les grandes
questions existentielles chacun doit trouver sa réponse… et c’est parfois difficile pour celui qui est
moins armé intérieurement, pour celui qui n’a personne avec qui se confronter en confiance.
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C’est compliqué de parler de la mort car elle signifie la limite, la fragilité fondamentale et que nous
avons tout bâti sur l’illusion de puissance, le dépassement des limites. La mort, c’est l’échec où se
brise notre toute-puissance.
Parce qu’on fond, nous trichons avec la réalité en évacuant la question du salut, de l’au-delà, et que
nous l’avons rapatriée dans l’en-deçà de l’histoire, remplacée par celle du bien-être et même du
bonheur, dont nous avons fait non seulement un objectif, mais un impératif à atteindre par chacun.
Parce que nous sommes mal à l’aise avec la résurrection, la vie éternelle qui échappe à notre
expérience sensible et donc à la vérification scientifique. Parce que nous avons remplacé l’espérance
qui pousse à l’engagement pour une cause qui nous dépasse (pensez à ces jeunes gens qui il y a un
siècle partaient la fleur au fusil pour combattre l’ennemi), au profit de l’immédiateté de la jouissance
quotidienne, d’une vie que nous consommons comme un bien disponible et finalement éminemment
matériel. N’est-il pas vrai que tout s’achète ou presque et que les commerciaux savent bien jouer de
notre appétit de plaisir pour conditionner nos désirs et les canaliser vers les produits qu’ils
proposent.
Parce que nous sommes devenus des analphabètes de la dimension spirituelle de l’existence. Que
notre monde, bruyant et saturé, laisse peu de place au silence et à l’intériorité. Les codes sociaux, les
rites et les coutumes ont disparu ou presque. Le langage religieux et ses symboles nous semblent
inaccessibles.
Parce que notre société a déserté la sagesse pour succomber à l’euphorie d’une adolescence
perpétuelle où tout est toujours possible, y compris de concevoir un homme augmenté, immortel
(Laurent Alexandre). D’où notre difficulté à nous positionner face à des ados qui aiment défier les
limites, chatouiller la mort, voir la provoquer dans des attitudes à risque. J’ai été frappé plusieurs fois
à l’Université Catholique lors de célébrations mises en œuvre par des étudiants lors de la mort
brutale et violente d’un ou d’une d’entre eux par l’accent mis sur les prouesses, la multiplication
d’expériences positives, la célébration de l’existence à force de photos magnifiques et de musiques
entraînantes, comme s’il était impossible de faire silence, de prendre acte que tout s’était arrêté, de
se recueillir et de découvrir le fil d’un lien qui pourrait se déployer au-delà de la séparation. Comme
si la vie n’était que jeunesse, succès, expérience positive, réussite, gloire !
Alors que faire ?
Apprivoiser la mort comme un élément de l’existence : l’école est bien placée pour cela et
notamment la classe de français qui par la littérature, la poésie, la découverte des textes sacrés. Elle
peut ouvrir au mystère de l’existence et aux questions de sens, mais aussi bien sûr la philosophie, les
arts plastiques, la musique, la littérature étrangère, l’histoire... Les jeunes ont besoin de miroirs sur
lesquels ils pourront projeter leurs interrogations. Ils ont besoin d’univers où naviguer pour
apprivoiser les sentiments contradictoires qui les habitent, découvrir qu’ils ne sont pas seuls à les
éprouver, bref qu’ils font partie d’une communauté humaine qui depuis des siècles a déployé les
trésors de sa créativité pour permettre à l’homme de réguler son existence. Bref, le jeune
d’aujourd’hui n’est pas uniquement un consommateur, cible des publicitaires, ni une future valeur
sur le marché du travail, il est aussi un homme infiniment respectable, un être spirituel appelé à
apporter sa pierre à la vie familiale et sociale. Bref, je fais ici un véritable plaidoyer pour la culture et
les humanités qui contribuent largement à l’éducation humaine et à l’éveil des consciences que nous
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appelons de nos vœux et dont nous touchons les carences ou même les impasses quand la question
de l’annonce de la mort nous paralyse.
Considérer notre limite non comme une frontière sur laquelle nous buttons mais une limite qui
définit l’espace où nous nous réalisons. Il s’agit d’une opération vérité, d’un travail proprement
philosophique, d’un éveil à la sagesse. Accepter la limite, l’interdit. Depuis le récit de la Genèse,
jusqu’à Lacan, nombreux sont ceux qui ont pointé que le respect des limites et des interdits était une
condition du vivre ensemble. C’est d’ailleurs parce que notre temps est compté chaque jour et dans
notre vie, que nous sommes capables de faire tant de choses, d’avoir des projets, de faire preuve de
créativité, de développer de l’art ou de la littérature, de chercher du sens…
Plus largement, il s’agit en fait de développer la dimension spirituelle de l’existence et pour cela
poser les bases d’une véritable anthropologie chrétienne en la fondant d’abord sur la raison :
l’homme n’est pas que biologie. Le vivant est en perpétuelle interaction. Les gènes ne déterminent
pas tout. Leur fonctionnement est déterminé par des facteurs hérités (polymorphisme génétique),
les interactions avec l’environnement (stress, substances chimiques…) et des éléments aléatoires. Si
importante soit l’étude du fonctionnement neuronal, des neurotransmetteurs, des différentes
interactions entre neurones, la biologie ne dira jamais pourquoi vous êtes tombés amoureux de
Gertrude plutôt que de Brigitte, ni pourquoi vous êtes croyants ou pas. L’homme est un être
physique, mais aussi psychologique, social, spirituel. Surtout c’est un être unique, singulier, inscrit
dans l’histoire dont la vie sur terre s’écoule entre naissance et mort. Il a une âme. L’homme est tout
entier corps et âme, nous dit la tradition chrétienne : corpore et anima unum, corps et âme
indissociables.
Le physique, le biologique, la masse de carbone, d’azote, d’hydrogène et d’oxygène… que nous
formons redeviendra poussière et retournera à la source cosmique qui la constitue. C’est un fait. « Tu
es poussière et tu redeviendras poussière » comme nous le signifions lors de l’imposition des
cendres. Est-ce à dire que l’être que nous sommes sera anéanti ? Si cadavre qu’il soit, le corps d’un
défunt porte la trace de son histoire unique. C’est bien pourquoi, on l’entoure de soins, que les
proches sont attentifs à sa présentation, à sa dignité, qu’on se rend à l’endroit où on l’a enterré ou
déposé ses cendres. Il est aussi présent un temps dans la mémoire de ceux qui se souviennent de lui,
de ses descendants, mais nous-mêmes serions bien en panne pour donner les prénoms de nos
ancêtres au-delà de 3 ou 4 générations, à moins que nous ne soyons férus de généalogie. Alors
disparu cet être unique qui a transmis la vie, non seulement en donnant la moitié de son patrimoine
génétique à ses descendants, mais aussi par tout ce qu’il a apporté, construit, étudié, bâti comme
relations… la part qu’il a eue dans la vie de la cité, dans la pensée… que sais-je encore ? Nous sentons
bien qu’il n’est pas si simple d’affirmer l’immortalité de l’âme, sans nous ouvrir à une dimension
transcendante, à un au-delà de l’histoire, à un amour qui nous crée et nous permet d’exister au-delà
de la mort biologique.
La Bible traduit bien le questionnement humain à ce propos. Il a fallu attendre le 2ème siècle avant
Jésus Christ pour que se répande la croyance en une résurrection personnelle. C’était l’époque des
Maccabées, des persécutions des martyrs d’Israël au temps de la domination grecque. Auparavant, la
croyance juive, c’était que les morts gagnaient le Shéol, un monde qui ne respirait pas la vie, et d’où
il était impossible de louer Dieu. Les morts « se continuaient » surtout à travers leur lignée, la vie
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qu’ils avaient transmise. Avec les persécutions nait l’idée d’une résurrection personnelle. Dieu ne
peut pas abandonner ceux qui ont donné leur vie pour défendre son saint nom.
Au temps de Jésus, nous en avons la trace dans les Evangiles. Les avis divergent parmi les sousgroupes qui composent la communauté juive, notamment entre sadducéens et pharisiens, tenants
d’une résurrection personnelle. Avec la résurrection de Jésus, la question sera tout autre. La
résurrection est comprise comme la vie donnée par Dieu au-delà de la mort biologique. Elle est
inséparable de la foi en un Dieu Père qui fait de nous ses enfants et nous associe à sa vie en nous
donnant son Esprit Saint. Ainsi, s’il nous est impossible de nous représenter la vie après la mort, il
nous est possible de faire dès maintenant l’expérience d’une vie reçue de Dieu, d’une vie
transformée par l’Esprit Saint. C’est ce que signifie le baptême qui nous plonge dans la mort avec le
Christ pour ressusciter avec lui. Le baptême signifie que la vie individuelle est promise à la mort si
elle ne s’ouvre pas au don de Dieu, si elle n’accepte de naître à la vie nouvelle des enfants de Dieu.
C’est pourquoi le baptême est si important et que longtemps on a diffusé l’idée que les non-baptisés
étaient damnés. Le baptême signifie tout simplement que la vie, la vie éternelle n’est pas un bien que
nous possédons, mais un don que nous accueillons dès ici-bas et au-delà, si Dieu le veut. Pas
étonnant dès lors que le rituel catholique des funérailles emprunte plusieurs éléments au
baptême notamment la lumière allumée au cierge pascal, l’eau dont on asperge le corps.
Ainsi, parler de la mort avec des enfants ou des jeunes, dans une perspective chrétienne, c’est
habiter à nouveaux frais la foi chrétienne en matière de mort et résurrection. C’est réfléchir à la vie
éternelle et immanquablement revenir au Christ et au salut dans le Christ. « Nous ne sommes pas
menacés de mort mais de résurrection », comme le dit de façon très belle un chrétien du Guatemala,
emprisonné pour des raisons politiques dans les années 70.
N’ayons pas peur de la vérité chrétienne ! Réfléchissons un instant et mesurons combien ce qu’elle
avance est non seulement le fruit de la révélation de Dieu en Jésus Christ et de la rédemption
obtenue par la Pâque de Jésus, mais aussi une vérité que nous pouvons approcher par l’expérience
humaine. Que serions-nous si nous n’étions pas aimés de nos parents, de notre conjoint, de nos
enfants, de nos amis, de nos éducateurs ? Que serions-nous si nous étions acculés à nous en sortir
par nos propres moyens ? C’est à donner le vertige et on comprend que certains en soient tout
troublés ou viennent à désespérer de la vie. Deux phrases évangéliques peuvent nous aider à
comprendre : « Qui veut sauver sa vie la perdra, qui accepte de perdre sa vie à cause de moi et de
l’Evangile la sauvera ». Ou la proposition de Jésus au jeune homme riche qui désire la vie éternelle
et que Jésus admire car il observe les commandements : « va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux
pauvres, puis viens suis moi ! »
Ces phrases évangéliques apparaissent en contradiction flagrante avec la logique actuelle de
consommation. Elles viennent contester l’idéologie qui consiste à croire que le bonheur est dans ce
que nous pouvons posséder. Plus largement, elles disent la valeur du lien d’amour qui nous lie à
Dieu, la valeur du spirituel, l’importance de cultiver des relations familiales, amicales et sociales de
qualité, où chacun fait l’expérience d’être aimé et d’aimer, de recevoir et de donner, et où des
modèles s’offrent en référence pour se construire. Vous l’avez compris, parler de la mort, c’est parler
de la vie, du sens de la vie. C’est se placer au cœur des questions essentielles, celles-là même que les
cultures humaines développent de bien des manières.
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Dans notre monde en rupture de transmission, les adolescents n’ont souvent pas les mots pour dire
leurs questions existentielles et ébaucher des réponses. A nous de les aider à acquérir une
grammaire minimale de l’essentiel, à les sortir de l’analphabétisme spirituel dans lequel notre
société les a plongés. En effet, cette absence de langage, verbal ou symbolique pour habiter les
apories de l’existence est source de violence, violence contre eux-mêmes (mésestime de soi,
désespérance…) ou envers les autres. Si nous leur donnons pas un minimum accès à ces questions
existentielles ou spirituelles, ils chercheront ailleurs, dans le supermarché des croyances, sur internet
ou ailleurs, quitte à les retrouver faire le djihad en Syrie ou à se dépatouiller avec un groupe sectaire
ou être pris au piège de l’alcool et de la drogue, pour tenter de trouver une réponse ou oublier les
questions qui les taraudent.
Se posent alors des questions concrètes : quelle place au silence, à l’intériorité, à la prière, à l’écoute
de la Parole de Dieu ? Quelle place pour l’art, la littérature, la poésie, le rêve… ? Quelle expérience du
don de soi, de l’ouverture à l’autre différent, à la gratuité ? Quelle place pour les fêtes, les
célébrations, la liturgie chrétienne ? Voilà comment nous préparons une confrontation la plus
sereine possible à l’annonce de la mort de proches.
Lisez « cinq méditations sur la mort, c’est-à-dire que la vie » de François Cheng et vous verrez
combien apprivoiser la mort, en parler, c’est faire œuvre de culture, c’est contribuer à
l’humanisation.
Je voudrais pour finir répondre à quelques questions concrètes qui m’ont été posées :
Immortalité de l’âme et résurrection de la chair. Que dit l’Eglise ? J’y ai déjà en partie répondu. Il
nous faut d’abord lever une ambiguïté sur le mot chair ; Il est la résultante d’un dialogue complexe
entre la foi chrétienne et la pensée grecque. Retenons que chair ne signifie pas ici la chair et le sang
dont parle la Bible, les muscles et les os qui nous constituent, dirait-on aujourd’hui. La chair, c’est le
corps au sens d’existence unique, singulière, capable d’entrer en relation. La chair c’est l’homme
dans sa réalité, l’homme que le Verbe de Dieu est venu rejoindre dans son incarnation. Voilà ce que
je peux dire en quelques mots. A côté de la résurrection de la chair qui est proclamée dans le credo,
l’Eglise affirme l’immortalité de l’âme. C’est une autre manière de dire que notre être singulier
continue à être aimé de Dieu, à compter pour lui, qu’il est appelé à reposer en Dieu et à vivre de la
vie éternelle. Comment ? Cela dépasse notre entendement comme l’expliquait déjà Saint Paul aux
Corinthiens ( 1 Cor 15, 44) en parlant de corps spirituels.
Inhumation et crémation : Nous sommes là dans l’ordre du symbolique, des rites funéraires. A la
suite du judaïsme, le christianisme a toujours proposé l’inhumation des défunts, à la fois pour rendre
à la terre ce qui en est issu et pour signifier que le mort repose dans l’attente de la résurrection.
Nous sommes évidemment dans l’ordre du symbolique et si quelques peintures représentent des
corps jaillissants du tombeau, nous imaginons bien qu’il ne s’agit que d’une image pour dire la
résurrection que nous ne pouvons nous représenter. La pratique de la crémation est répandue dans
d’autres cultures, je pense notamment à l’Inde. Elle a surgi en Europe comme une contestation de
l’Eglise et de la foi chrétienne dans des courants laïcs, de la libre pensée. Très idéologique en ses
débuts, elle a beaucoup progressé sous l’influence des sociétés de pompes funèbres, avec
l’éclatement géographiques des familles, la moindre fréquentation des cimetières, l’influence
d’arguments présentés comme rationnels ou écologiques sur la place perdue des cimetières,
l’hygiène ou que sais-je encore. Elle est surtout l’illustration d’un embarras contemporain face au
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corps mort, à la dégradation lente, la régression de la croyance en la résurrection. L’homme accélère
la disparition d’un corps devenu inutile, d’un témoin gênant d’une existence dont on ne sait plus trop
bien quoi faire. Inutile de vous dire que pour ces raisons, je suis personnellement hostile à la
crémation, même si la conservation maintenant obligatoire des cendres dans un lieu précis et dédié
facilite le travail de deuil. J’y suis hostile pour des raisons symboliques et culturelles, même si je sais
bien que l’Eglise tolère officiellement cette pratique tout en rappelant (insuffisamment à mes yeux)
que l’inhumation reste recommandée.
Communiquer avec les morts ? Communion des saints ? Vivre la séparation, apprivoiser l’absence
n’est jamais simple. Nombreuses sont les personnes en deuil qui vont diront communiquer avec leur
défunt, avoir l’impression qu’il leur parle, leur suggère tel ou tel comportement. C’est tout à fait
respectable et cela mérite d’être accueilli. Souvent eux-mêmes ont des doutes sur le caractère autosuggestif de leur impression. Il est parfois opportun de marquer quelque réserve sur leur
interprétation. La tradition biblique juive était très ferme sur ce point. On ne communique pas avec
les morts. Je vous invite à mesurer le poids d’une telle mesure et mesurer à l’inverse l’impact d’une
telle pratique répandue dans différents animismes, comme je l’ai rencontré à Madagascar, où, pour
faire court le monde des morts semble plus réel que le monde des vivants et semble gouverner
largement des existences humaines. La tradition chrétienne considère que les morts reposent dans la
paix, dans l’attente de la résurrection. Il est intéressant que notre époque pressée a tendance à les
considérer déjà ressuscités dès leur mort, vivants dans la pièce à côté, selon ce texte répandu qu’on
attribue à saint Augustin. L’Eglise espère les morts vivants dans la communion avec Dieu, dans une
grande communion des saints qu’elle célèbre à la Toussaint. L’éternité n’est pas l’étirement indéfini
du temps. En Dieu, mille ans est comme un jour, et un jour comme mille ans, selon la formule du
psaume. Nous croyons que c’est dans le Christ ressuscité, que nous vivons depuis notre baptême
dans ce grand corps qu’est l’Eglise, dont le Christ est la tête. L’Eglise célèbre aussi l’assomption de la
Vierge Marie qu’elle croit vivante dès sa mort dans la communion du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Elle espère les martyrs, les saints, les bienheureux et tous ceux qui ont vécu de la vie de Dieu vivants
en lui. Elle propose même de prier la Vierge Marie et les saints pour qu’ils intercèdent pour nous.
Voilà ce que représente la communion des saints, la communion des vivants sur terre et des vivants
en Dieu dans le corps de l’Eglise, corps du Christ ressuscité.
Et le suicide ? Il reste largement inexpliqué et imprévisible. Si certains suicides compliquent des
maladies psychiatriques graves, la plupart surviennent sans crier garde, notamment chez des jeunes.
Est-ce en relation avec un événement insupportable : rupture amoureuse, trahison, souffrance
insupportable ? Parfois. En relation avec un raptus anxieux ou une détermination froide au terme
d’une réflexion désespérante ? Parfois. D’une fascination pour la mort comme expérience ultime ?
Peut-être. Force est de constater que tous les suicides ne s’expliquent pas, qu’il faut accompagner
chez les proches l’incompréhension et la culpabilité. Dédramatiser, déculpabiliser, insister sur le fait
que rien probablement n’y aurait changé.
Cela n’empêche pas d’être attentifs à ceux qui présentent des signes de dépression ou manifestent
des signes délirants qui peuvent évoquer une psychose débutante. Suffit-il de donner des objectifs
communs, de nourrir l’espérance pour que disparaissent les suicides. Ce serait trop simple. Les
suicides sont certainement plus fréquents quand le milieu familial et social est fragilisé, quand la
drogue, une sexualité débridée ou des abus sexuels font des ravages. Mais peut-on vraiment bâtir
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une politique de prévention si ce n’est en agissant sur tous les fronts et en acceptant largement
notre impuissance.
Au terme de ce parcours, j’espère avoir éclairé quelque peu votre approche de la mort et de son
annonce aux collégiens et lycéens. Je n’ai pas donné de recettes. J’ai essayé d’approfondir le
contexte culturel dans lequel nous sommes et qui fait que l’annonce de la mort fait problème. J’ai
largement plaidé pour une annonce de l’Evangile du salut, en amont des situations dramatiques que
vous avez en tête, convaincu qu’elle nourrit l’espérance qui fait que la mort n’a pas le dernier mot :
« mort, où est ta victoire ? ». Je l’ai fait de façon claire et convaincue, ce qui a peut-être surpris
certains d’entre vous. Je l’ai fait en lien avec des éléments d’anthropologie chrétienne que nous
devrions avoir sans cesse à l’esprit dans notre tâche éducative et sur laquelle des enseignants noncroyants peuvent s’accorder volontiers comme ils l’ont fait lors des assises qui ont placé la personne
au centre du projet de l’enseignement catholique. Je mesure cependant combien la tâche est ardue,
dans le contexte culturel qui est le nôtre. Je suis donc ouvert à toutes les questions et compte sur la
poursuite du dialogue entre nous.
Père Bruno CAZIN,
prêtre du diocèse de Lille, président-recteur délégué de l’Université Catholique de Lille, praticienhospitalier en hématologie clinique au CHRU de Lille.