Le point sur… Au fil des jours Étude en avant

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Le point sur… Au fil des jours Étude en avant
MERCREDI 03 MARS 2010
Le point sur…
Les notions d'éditeurs et d'hébergeurs dans l'économie numérique - par L. Thoumyre
P. 02
Au fil des jours
Rééchelonner la dette à l'égard de l'un n'interrompt pas le délai de forclusion
à l'égard de l'autre
Manquement du banquier à son obligation de mise en garde :
prescription de l'action en responsabilité
Affaire Cœur Défense : exemple d'instrumentalisation de la procédure de sauvegarde
Légalisation des jeux en ligne : un nouvel obstacle franchi
P. 05
Légitimité d'un licenciement pour insuffisance professionnelle
après une mise à pied conservatoire
Le candidat à un emploi n'est pas tenu de dévoiler son passé judiciaire
CHSCT : une décision recadre la notion de « projet important » permettant de recourir
à un expert
Harcèlement au travail : faites de la prévention et agissez dès les premiers signes
Aptitude avec réserves : mode d'emploi
P. 10
Dissimulation d'un enfant lors du changement de régime matrimonial
La proposition de loi sur les détecteurs de fumée dans les lieux d'habitation a été adoptée !
P. 14
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Motivation des arrêts d'assises, peines perpétuelles et droit européen des droits de l'homme
Violation du principe contradictoire dans une procédure disciplinaire
Risque de récidive criminelle : adoption définitive
Réforme de la procédure pénale : orientations et méthode
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Les contrats d'assurance-vie restent taxables à l'ISF en dépit de l'acceptation du bénéficiaire
Marchands de biens : le retrait d'une société ne constitue pas une revente de droits sociaux
Dirigeants et salariés de sociétés de capitaux peuvent déduire les frais d'acquisition de titres
Les travaux de reconstruction ne sont pas déductibles des revenus fonciers
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Publication du décret réformant le code de justice administrative
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Étude en avant-première
Le bilan patrimonial : une approche scientifique de la gestion de patrimoine - par P. Dufour
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Le point sur…
Les notions d'éditeurs et d'hébergeurs dans l'économie
numérique
Par Lionel Thoumyre, consultant en Responsabilité dans l'économie numérique, chargé
de cours au Master II Droit du Commerce électronique et de l'économie numérique Paris I, Fondateur de Juriscom.net
L'arrêt Tiscali du 14 janvier 2010 s'apparente aux premières bourrasques précédant les grandes
tempêtes : d'un simple attendu, il fait sauter le verrou législatif qui assurait la sécurité juridique
des hébergeurs version 2.0 qui, dans la majorité des cas, se rémunèrent justement en affichant
de la publicité sur les pages personnelles des internautes.
Le calme était enfin revenu sur les rivages du web 2.0.
après qu'un flux continu de décisions eut déferlé sans
relâche, depuis l'année 2007, sur les exploitants de sites
« communautaires » ou « contributifs ». Les sociétés
Youtube, Dailymotion, MySpace, Overblog sont autant de
navires qui auraient pu y laisser leur charpente. Accusées
ici de contrefaçon, là de diffamation, ces caravelles de
l'expression multiforme échappèrent au naufrage juridique
à maintes reprises.
Si la jurisprudence en était venue à les qualifier d'éditrices,
elles auraient eu à répondre directement des actes commis
par leurs passagers, ces internautes qui publient tout et
rien sur leurs pages personnelles, parfois – souvent même
– au mépris du droit des tiers et de l'ordre public. Les magistrats ont cependant, dans la majorité des
affaires traitées, accordé à ces navires égarés le statut d'hébergeur, jusqu'à ce que le flot de décisions
finisse par s'atténuer au début de l'hiver 2009. Ce statut, créé par la directive 2000/31/CE « commerce
électronique » du 8 juin 2000, limite leur responsabilité au seul cas où ils n'auraient pas mis fin aux actes
répréhensibles dont ils connaissaient le caractère manifestement illicite (art. 6, I, 2, et 6, I, 3, de la loi n°
2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique – dite LCEN – et Cons. const., déc.
n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, D. 2005. Jur. 199, note S. Mouton, et Pan. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud
et C. Severino ; AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova, 1537, note M. Gautier et F. Melleray, et
1937, note D. Chamussy ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de
Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar). Les sites communautaires ont ainsi pu jouir d'une
sécurité, assez relative en fonction des espèces, dès lors qu'ils n'étaient pas systématiquement tenus pour
responsables des infractions et atteintes aux droits commises sur les milliers – voire milliards – de pages
personnelles et contributions de toutes sortes qu'ils emportent dans leur croisière.
Après le « calme », la tempête
Le 14 janvier 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation (D. 2010. AJ 260, obs. C. Manara)
confirme l'arrêt du 7 juin 2006 rendu par la cour d'appel de Paris qui avait retenu la responsabilité d'un
ancien navire de l'internet européen, Tiscali Media, pour les actes de contrefaçon de bandes dessinées
commis par un internaute sur son service d'hébergement de pages personnelles « chez.com ». La cour
d'appel avait considéré que la société Tiscali Media devait être regardée comme ayant la qualité d'éditeur,
et non pas seulement celle d'hébergeur, dès lors qu'il était établi qu'elle exploitait commercialement le site
en question en proposant aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants directement
sur les pages personnelles. Ce faisant, la société Tiscali Media n'a pu bénéficier des dispositions limitant sa
responsabilité.
La Cour de cassation constate, de manière laconique, qu'en plaçant des bannières publicitaires sur les pages
personnelles des internautes les services fournis « excédaient les simples fonctions techniques de
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stockage ». Ainsi a-t-elle refusé le statut d'hébergeur à un acteur qui gérait un service précurseur du web
2.0. puisqu'il fournissait les outils nécessaires à créer une page personnelle comme le font aujourd'hui les
services de blogs ou de réseaux sociaux tels que Facebook, MySpace, Blogger ou Skyblog.
Cet arrêt s'apparente aux premières bourrasques précédant les grandes tempêtes. D'un simple attendu, il
fait sauter le verrou législatif qui assurait la sécurité juridique des hébergeurs version 2.0. qui, dans la
majorité des cas, se rémunèrent justement en affichant de la publicité sur les pages personnelles des
internautes. Il siffle ainsi le départ d'une nouvelle vague de procès où les titulaires de droit viendront
demander réparation aux gestionnaires de plateformes 2.0., ici d'une atteinte à un droit de la personnalité,
là d'une contrefaçon, plutôt que de s'adresser aux internautes comme les y invite pourtant l'article 6, I, 5,
de la LCEN.
Les demandeurs rencontreront néanmoins l'obstacle suivant : l'arrêt de la Cour de cassation a été rendu
sous le visa de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 1 er août 2000,
aujourd'hui abrogé par la LCEN. L'attendu « hébergicide » de la Cour de cassation s'imposera ainsi plus
difficilement devant les juridictions du fond qui auront à appliquer la loi « nouvelle ». La LCEN propose par
ailleurs une définition de l'hébergeur sensiblement différente de la précédente. L’ « hébergement » ne
consiste plus en un « stockage direct et permanent » de contenus mais en un « stockage » de contenus
« fournis par des destinataires du service ». En supprimant les termes « direct et permanent », la seconde
définition ne s'attache plus autant au caractère technique de la prestation de l'hébergeur.
L'arrêt demeure néanmoins critiquable en soi. Le fait d'avoir statué sous le visa de l'article 43-8 de la loi du
30 septembre 1986 ne l'excuse pas d'avoir refusé d'accorder le statut de l'hébergement au prestataire qui
affichait des bandeaux publicitaires sur les pages personnelles qu'il stockait. L'article 43-8 de la loi du 30
septembre 1986, tout comme l'article 6, I, 2, de la LCEN, visent toutes personnes « physiques ou morales »
qui assurent leur prestation de stockage « à titre gratuit ou onéreux ». Le législateur n'avait donc pas
entendu exclure de ce statut les sociétés commerciales, lesquelles doivent trouver un moyen de percevoir
une rémunération en contrepartie de la prestation qu'elles offrent. Quelle différence juridique pourrait-il
exister entre une rémunération perçue directement auprès des utilisateurs et une rémunération perçue par
l'affichage d'un bandeau publicitaire ? La Cour de cassation reste muette sur ce sujet.
Aussi pensions-nous que, l'activité d'hébergement étant définie dans la loi, tout acteur répondant aux
critères positifs de la définition légale pouvait être qualifié d'hébergeur. Pourquoi donc rechercher des
critères négatifs destinés à déchoir un acteur de sa qualité d'hébergeur ? Peut-être parce que la définition
de l'hébergeur semble trop large aux yeux des conseillers de la Cour de cassation. Ne craindraient-ils pas
qu'un véritable éditeur de contenus, tel qu'un service de presse en ligne, ne vienne indûment bénéficier du
régime de l'hébergement ? C'est bien ce risque de confusion qui a hanté tous les prétoires, car hébergeurs
et éditeurs sont tous deux acteurs de la publication sur internet et exercent une activité de stockage. Le
seul critère du « stockage » n'est pas suffisant en soi pour distinguer les rôles fondamentalement différents
qu'exercent l'un et l'autre. Mais, si l'on estime que cette différence ne ressort pas clairement des textes
régissant la communication au public en ligne, ne vaut-il pas mieux la rechercher dans d'autres textes,
plutôt que d'inventer de nouveaux critères de discernement ?
À la recherche de la notion d'éditeur
L'exercice n'est certes pas aisé, les notions d'éditeur de contenus et d'éditeur de service de communication
au public en ligne n'étant pas définies au sein de la LCEN. Un premier « éditeur » apparaît cependant dans
l'article L. 132-1 du code de la propriété intellectuelle qui définit le contrat d'édition. On déduira aisément sa
fonction des droits et obligations qui lui incombent au sein de ce contrat encadré : il a le droit de
« fabriquer des exemplaires de l'œuvre » et doit en « assurer la publication et la diffusion ». Un deuxième
éditeur a surgi, plus récemment, dans la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication
audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Il s'agit de l'éditeur d'un service de médias
audiovisuels, lequel a pour rôle de contrôler la sélection et l'organisation d'un catalogue de programmes
(nouvel art. 2 de la loi n° 86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la communication audiovisuelle et au
nouveau service public de la télévision). Enfin, un éditeur de service de presse en ligne est apparu
dernièrement dans la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009. Ce dernier exerce une « maîtrise éditoriale » sur son
contenu, « consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original (...) » (art.
1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse).
Ainsi, notre éditeur de contenus pourrait remplir les fonctions suivantes : fabriquer des exemplaires de
l'œuvre (mais ce critère a-t-il réellement sa place dans l'économie numérique ?), en assurer la publication
et la diffusion, ou produire et mettre à disposition du public un contenu original, et contrôler la sélection et
l'organisation des contenus.
Les rôles de l'éditeur étant ainsi définis, la distinction avec l'activité d'hébergement apparaît plus
clairement. Leurs rôles respectifs diffèrent vis-à-vis de l'action qu'ils sont amenés à exercer tant sur la
publication des contenus que sur la qualité de ceux-ci. Celui de l'éditeur est actif : il réunit des contenus,
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sélectionne ceux qu'il souhaite publier, les modifie, les met en forme et donne l'ordre de publication. Le rôle
de l'hébergeur est davantage passif : il fournit un service, essentiellement (mais pas exclusivement)
technique, permettant à des tiers de mettre des contenus en ligne. Le pivot entre les deux notions se situe
ici : l'hébergeur ne participe pas à l'acte même de publication, alors que l'éditeur en est l'initiateur ou le
partenaire actif, puisqu'il contrôle et organise tant les contenus à publier que le rythme des publications.
Cette différence fondamentale ne peut-elle finalement se déduire du seul texte de la LCEN ? Les termes
« stockage » de contenus « fournies par un destinataire du service » ne suffisent-ils pas à suggérer le rôle
passif de l'hébergeur, lequel se contente de stocker sur demande de l'internaute ? Par ailleurs, les alinéas 2
des articles 6, I, 2, et 6, I, 3, précisent que l'hébergeur ne bénéficie plus de la limitation de sa
responsabilité lorsque les destinataires du service agissent sous son « autorité » et sous son « contrôle ».
Ainsi, contrairement à l'éditeur de contenus, l'hébergeur ne commande pas les contenus devant être publiés
ni ne les sélectionne avant leur publication (à moins que cela ne soit dicté par des contraintes légales), il ne
les modifie point (sauf à les adapter techniquement au format commun d'hébergement) et il n'entretient
aucun lien de subordination avec le destinataire du service.
Inventer des critères négatifs, qui n'existent dans aucune loi, pour refuser d'appliquer leur statut aux
hébergeurs conduit à restaurer l'insécurité juridique de ces acteurs et à vider de sens les lois qui viennent
les réglementer, alors que la loi actuelle se dit « pour la confiance en l'économie numérique ». On ne peut
que craindre que l'arrêt de la Cour de cassation parvienne, au moins temporairement, à ce résultat.
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Au fil des jours
Rééchelonner la dette
à l'égard de l'un n'interrompt
pas le délai de forclusion
à l'égard de l'autre
Civ. 1re, 11 févr. 2009, n° 08-20.800
En
cas
de
réaménagement
ou
de
rééchelonnement des modalités de règlement
des échéances impayées d'un crédit à la
consommation
consenti
à
plusieurs
emprunteurs, le report du point de départ du
délai biennal de forclusion n'est pas opposable
à l'emprunteur, fût-il tenu solidairement, qui
n'a pas souscrit l'acte de réaménagement ou
de réechelonnement, à moins qu'il n'ait
manifesté la volonté d'en bénéficier.
Même si le créancier entend consentir à tous les
emprunteurs
un
rééchelonnement
ou
un
réaménagement de la dette, événement qui a pour
effet de reporter le point de départ du délai de
forclusion, ce report ne sera opposable qu'à
l'emprunteur
qui
aura
souscrit
l'acte
de
rééchelonnement ou de réaménagement. Les autres
emprunteurs,
fussent-ils
tenus
solidairement,
pourront se prévaloir de la forclusion sauf à ce qu'ils
aient manifesté la volonté de bénéficier de ce
rééchelonnement ou réaménagement.
À notre connaissance, la Cour de cassation n'avait
encore jamais tranché directement cette question.
Certes l'affaire ayant donné lieu à un arrêt du
22 janvier 2009 (pourvoi n° 07-18.895) était assez
proche. Seulement le tribunal d'instance n'avait pas
été saisi de l'incidence du caractère solidaire des
dettes litigieuses sur l'effet interruptif de forclusion
de l'accord de réaménagement à l'égard du
codébiteur non signataire. Si bien que la Cour de
cassation ne pouvait se prononcer sur le fond. Et, si
la décision du 11 février 2010 pourrait encore être
rapprochée d'une décision du 6 novembre 2001 par
laquelle la première chambre civile a décidé que la
réduction d'une dette éventuellement prononcée par
le juge ne pouvait avoir d'effet qu'à l'égard du
débiteur concerné et ne pouvait profiter à l'autre
codébiteur solidaire, il faut immédiatement souligner
une différence : la remise était judiciaire et non
conventionnelle
(Civ. 1re,
6 nov.
2001,
n° 00-04.206, Bull. civ. I, n° 269 ; D. 2002. Somm.
2444, obs. Revel ; CCC 2002, n° 20, note
Raymond). On sait en revanche - et ce n'est là que
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l'application de l'article 1285 du code civil - que la
remise conventionnelle faite au profit de l'un des
codébiteurs libère tous les autres, à moins que le
créancier n'ait expressément réservé ses droits
contre les autres.
En l'espèce, un crédit à la consommation avait été
consenti à deux emprunteurs qui s'étaient obligés
solidairement au remboursement. Le 23 novembre
2004, la banque avait conclu avec l'un d'eux un
avenant de réaménagement des modalités de
règlement des échéances impayées. Mais, le
10 juillet 2006, elle assignait les deux emprunteurs
en remboursement. Bien entendu, l'emprunteuse,
qui n'avait signé aucun réaménagement, s'est
empressée d'opposer la fin de non-recevoir tirée de
l'expiration du délai biennal de forclusion ; ce que,
évidemment, l'autre codébiteur ne pouvait plus
faire. Sans succès, dans un premier temps. Le
tribunal d'instance comme la cour d'appel ont
considéré que l'action avait bien été engagée dans
les deux ans du premier incident non régularisé
intervenu après le réaménagement des modalités
de paiement de la dette, et que ce réaménagement
avait vocation à profiter à la coemprunteuse,
intéressée aux nouvelles stipulations convenues
pour l'amortissement progressif du solde du prêt.
En d'autres termes, les juges du fond faisaient
valoir les effets secondaires de la solidarité et en
particulier la représentation mutuelle entre les
coobligés solidaires. Une fiction dont on sait qu'elle
est fortement critiquée en doctrine et qu'elle est
écartée à chaque fois qu'elle est de nature à nuire
au prétendu représenté. Si elle peut être prise en
compte lorsqu'elle a pour effet de conserver ou
diminuer les obligations du représenté, elle disparaît
lorsqu'elle est de nature à les augmenter (Civ.
16 déc. 1891, DP 1892. 1. 177, note Cohendy ; S.
1893. 1. 81, obs. Tissier ; Com. 17 mai 1994,
n° 92-13.103, Bull. civ. IV, n° 176, à propos de
l'information annuelle de la caution). Et elle semble
devoir être écartée lorsque le codébiteur peut faire
valoir une exception qui lui est personnelle (V., à
propos de la chose jugée, qui alors ne s'imposera
pas aux autres, Com. 4 oct. 1983, n° 82-12.415,
Bull. civ. IV, n° 245).
Ici, la Cour de cassation, censurant les juges d'appel
sur le fondement des articles L. 311-37 du code de
la consommation, ensemble les articles 1165 (effet
relatif des contrats) et 1208 (effets de la solidarité)
du code civil, pose très clairement que le
réaménagement de la dette ne reporte le point de
départ du délai de forclusion qu'à l'égard de celui
qui a signé l'acte. On pourrait alors en déduire qu'à
l'inverse,
celui
qui
n'a
pas
souscrit
au
réaménagement ne pourra par la suite prétendre en
profiter. Sauf que la Cour de cassation nuance
immédiatement son propos : on ne peut opposer au
codébiteur qui n'a pas signé le réaménagement le
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report du point de départ du délai de forclusion, « à
moins qu'il n'ait manifesté la volonté de bénéficier »
du réaménagement ou rééchelonnement. En
d'autres termes, le créancier qui voudrait ne faire
bénéficier du réaménagement qu'un seul codébiteur
pourrait bien être surpris si les autres venaient à
vouloir en profiter, les magistrats pouvant
parfaitement faire
jouer la théorie de la
représentation mutuelle des codébiteurs solidaires in
favorem. Ce qui nous rappelle une décision assez
récente, par laquelle la Cour de cassation a jugé
qu'un codébiteur solidaire peut invoquer la
transaction intervenue entre le créancier commun et
l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour
ce dernier un avantage dont il peut lui-même
bénéficier (Com. 28 mars 2006, n° 04-12.197, Bull.
civ. IV, n° 85 ; R., p. 396 ; D. 2006. 2381, note
Thomat-Raynaud ; LPA 5 sept. 2007, note Hazoug ;
RDC 2006. 808, obs. X. Lagarde ; RTD civ. 2006.
766, obs. Mestre et Fages ; Civ. 1re, 27 oct. 1969,
n° 68-11.254, D. 1970. 12).
Finalement, la question du report ou non du délai de
forclusion devra être tranchée par la cour de renvoi,
laquelle devra rechercher si la codébitrice avait
manifesté
la
volonté
de
bénéficier
du
réaménagement. Si tel est bien le cas, soit, par
exemple, parce qu'elle aura écrit un courrier
pouvant le laisser penser, soit parce qu'elle aura
effectué des versements suivant les mensualités de
l'acte de réaménagement, elle ne pourra alors être
libérée par l'effet de la forclusion du créancier. Il est
encore un petit espoir pour le banquier…
Manquement du banquier
à son obligation de mise
en garde : prescription
de l'action en responsabilité
Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354
La prescription d'une action en responsabilité
court à compter de la réalisation du dommage
ou de la date à laquelle il est révélé à la
victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas
eu précédemment connaissance ; le dommage
résultant d'un manquement à l'obligation de
mise en garde consistant en une perte de
chance de ne pas contracter se manifeste dès
l'octroi des crédits.
La responsabilité encourue par une banque
manquement à son devoir de mise en garde,
sait, n'est pas de nature délictuelle
contractuelle. Ce qui, pour autant, ne
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pour
on le
mais
nous
renseigne pas sur le point de départ du délai de
prescription de l'action en responsabilité.
En l'espèce, l'action devait se prescrire par dix ans
conformément à l'article L. 110-4 du code de
commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du
17 juin 2008 qui a réduit à cinq ans le délai de droit
commun, y compris dans les matières commerciale
et mixte. Et, s'agissant de son point de départ, il
existait deux possibilités. Soit la prescription devait
courir du jour de l'exigibilité de l'obligation, soit elle
courait du jour de la réalisation du dommage ou de
la date à laquelle il est révélé à la victime. Dans
cette affaire, la cour d'appel semble avoir opté pour
la première solution en retenant que « le point de
départ du délai de prescription de dix ans doit être
fixé à la date de l'inexécution de l'obligation […] ;
que l'inexécution alléguée s'est donc produite le jour
de l'octroi du crédit ». La Cour de cassation opte, au
contraire, pour la seconde en posant que « la
prescription d'une action en responsabilité court à
compter de la réalisation du dommage ou de la date
à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit
qu'elle
n'en
avait
pas
eu
précédemment
connaissance ». Sans surprise en réalité, puisque,
par analogie avec l'ex-article 2270-1 du code civil
relatif à l'action en responsabilité extracontractuelle,
les hauts magistrats fixent ainsi le point de départ
de l'action en responsabilité contractuelle (V. Soc.
18 déc. 1991, n° 88-45.083, Bull. civ. I, n° 598 ;
Com. 17 févr. 2009, n° 08-10.191 ; Civ. 1re, 9 juill.
2009, n° 08-10.820, D. 2009. AJ 1960, obs.
Delpech ; RTD com. 2009. 794, obs. Legeais).
Cela étant, l'issue du litige reste inchangée. Car la
Cour poursuit en relevant que « le dommage
résultant d'un manquement à l'obligation de mise
en garde consistant en une perte de chance de ne
pas contracter se manifeste dès l'octroi des crédits
». Ainsi, comme pour la caution, le préjudice de
l'emprunteur s'analyse en une perte de chance de
ne pas contracter (V., à propos du cautionnement,
Com. 1er déc. 2009, n° 08-17.675 ; 20 oct. 2009,
n° 08-20.274, D. 2009. Jur. 2971, note crit.
Houtcieff). Ce qui, pour la Cour, a pour conséquence
de faire courir le délai de prescription dès la date de
conclusion
du
contrat.
Dénouement
bien
évidemment favorable à la banque et qui n'aurait
probablement pas été différent sous l'empire de la
loi de 2008 qui fait partir le délai « du jour où le
titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître
les faits lui permettant de l'exercer ». Sans compter
que le délai ne sera alors plus que de cinq ans. La
solution, en tout cas, peut apparaître sévère pour
les prêts à taux variable (V., en ce sens, D. Legeais,
JCP E 2010. 1153). Reste que la Cour nuancera
peut-être sa jurisprudence comme elle a pu le faire
à propos des prêts relais laissant subsister le devoir
de mise en garde, quand bien même « les prêts
n'avaient rien d'excessif ni d'imprudent » au
moment où ils avaient été accordés (Com. 11 déc.
2007, n° 05-20.665, RTD com. 2008. 163, obs.
Legeais).
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Affaire Cœur Défense :
exemple
d'instrumentalisation de la
procédure de sauvegarde
Paris, pôle 5,ch. 9, 25 févr. 2010, RG
09/22756
La cour d'appel de Paris rétracte les jugements
d'ouverture de la sauvegarde dans l'affaire
Cœur Défense, estimant que les sociétés
débitrices n'avaient éprouvé de difficultés au
sens de l'article L. 620-1 du code de
commerce.
L'arrêt rendu le 25 février 2010 par la cour d'appel
de Paris était attendu avec un très grand intérêt par
la place de Paris. Les milieux bancaires s'étaient, en
effet, inquiétés de ce qu'ils considéraient être une
instrumentalisation de la procédure de sauvegarde
dans les dossiers de financements structurés,
aboutissant à paralyser la mise en œuvre des
sûretés librement négociées entre les parties.
Au grand soulagement des créanciers bancaires, la
cour rétracte les deux jugements du tribunal de
commerce de Paris du 3 novembre 2008, qui avaient
ouvert des procédures de sauvegarde à l'égard de la
société française Heart of La Défense (« HOLD ») et
de
son
actionnaire
unique,
la
société
luxembourgeoise Dame Luxembourg.
Principal créancier de ces deux sociétés, un fonds
commun de titrisation (représenté par sa société de
gestion) avait formé une tierce opposition à
l'encontre des deux jugements d'ouverture des
procédures de sauvegarde. Il avait été débouté en
première instance, par un jugement du tribunal de
commerce de Paris en date du 7 octobre 2009
(T. com. Paris, 7 oct. 2009, LEDEN, déc. 2009, p. 1,
obs. Lucas).
Plusieurs griefs étaient avancés par le créancier. Ce
dernier contestait tout d'abord la compétence des
juridictions françaises pour ouvrir une procédure
d'insolvabilité à l'égard de Dame Luxembourg. Il
considérait également que ces deux sociétés ne
justifiaient pas de difficultés suffisamment sérieuses
pour motiver l'ouverture d'une procédure de
sauvegarde. Enfin, il contestait le principe même de
l'ouverture de procédures de sauvegarde à l'égard
de sociétés ayant pour seul objet de détenir des
actifs (Special Purpose Vehicles), qui ne pouvaient,
selon lui, être qualifiées d'entreprises au sens que le
livre VI du code de commerce attribue à ce terme
(sur cette question, V. R. Dammann et M. Robinet,
La sauvegarde, un outil pour protéger les associés
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
du débiteur ?, Bull. Joly 2009. 1116). De leur côté,
les deux sociétés débitrices avaient soulevé une fin
de non-recevoir à l'encontre de cette tierce
opposition, au motif que le créancier n'établissait
pas avoir subi un préjudice distinct de celui de la
collectivité des créanciers.
La décision est, tout d'abord, intéressante en ce
qu'elle se prononce sur la nature des moyens
propres pouvant justifier la recevabilité de la tierce
opposition d'un créancier à l'encontre du jugement
d'ouverture d'une procédure de sauvegarde. Au
fond, la cour estime qu'en l'espèce, les difficultés
alléguées par les sociétés débitrices n'étaient pas
suffisantes pour leur permettre de se placer sous la
protection du droit des procédures collectives. En
filigrane, on comprend que la cour entend
sanctionner ce qu'elle considère comme étant un
dévoiement de la procédure de sauvegarde.
1. - Sur la recevabilité de la tierce opposition
L'arrêt rendu le 30 juin 2009 par la Cour de
cassation dans l'affaire Eurotunnel avait pu susciter
certaines interrogations. Au visa du règlement
n° 1346/2000 du 29 mai 2000 et de l'article 6 de la
Convention européenne des droits de l'homme, la
Cour avait admis la recevabilité de la tierce
opposition au motif que, dans la mesure où les
demandeurs à l'action étaient domiciliés dans un
État membre distinct de celui de la juridiction qui
avait ouvert une procédure principale d'insolvabilité,
ils ne pouvaient être privés de la possibilité effective
de contester la compétence assumée par cette
juridiction (Com. 30 juin 2009, Bull. civ. IV, no 88 ;
D. 2009. AJ 1886, obs. A. Lienhard ; ibid. Jur. 2591,
note Moreil ; ibid. Chron. C. cass. 2582, obs.
Orsini). On pouvait donc légitimement s'interroger
sur le sort procédural réservé aux créanciers
français. En d'autres termes, dans la mesure où
seuls ces derniers semblent devoir être soumis aux
rigueurs de l'article 583 du code de procédure civile,
n'allait-on
pas
assister
à
une
forme
de
discrimination à rebours à leur égard ?
La cour d'appel de Paris évite cet écueil en adoptant
une interprétation concrète et raisonnable de la
notion de « moyens propres » ouvrant aux
créanciers la voie de la tierce opposition. Elle relève
ainsi que le créancier fonde sa tierce opposition sur
le fait que les deux sociétés débitrices ont
instrumentalisé la procédure de sauvegarde aux
seules
fins
d'échapper
à
leurs
obligations
contractuelles à son égard, à savoir, pour HOLD, les
obligations accessoires à un contrat de prêt
(covenants), et, pour Dame Luxembourg, le pacte
commissoire qu'elle avait consenti pour garantir les
obligations de sa filiale HOLD.
2. - Sur les difficultés justifiant l'ouverture de
la procédure de sauvegarde
Le second intérêt de l'arrêt réside dans le fait que la
cour d'appel exerce un contrôle sur les motifs de
l'ouverture des procédures de sauvegarde. Tout en
constatant que les deux sociétés débitrices courent
des risques dans le cadre de leurs relations
Page
I7
contractuelles avec le créancier tiers opposant, elle
refuse à ces dernières la protection du droit des
procédures collectives pour deux raisons.
La première de ces raisons tient au caractère
insuffisant des difficultés alléguées. On sait que
l'article L. 620-1 du code de commerce exige
l'existence de difficultés que le débiteur n'est pas en
mesure de surmonter (et, à l'époque de l'ouverture
de la procédure, soit avant l'ordonnance du
18 décembre 2008, de nature à la conduire à un
état de cessation des paiements). Au terme d'une
analyse détaillée des faits de l'espèce, la cour
conclut que tel n'est pas le cas pour HOLD et Dame
Luxembourg. La première, en effet, n'allègue pas
connaître des difficultés opérationnelles dans son
activité de location immobilière. La seconde, quant à
elle, n'est garante qu'à concurrence de la valeur de
ses actions de HOLD, affectées en nantissement.
Allant plus loin, la cour porte également une
appréciation sur la légitimité des motivations ayant
poussé HOLD et Dame Luxembourg à solliciter
l'ouverture
d'une
procédure
de
sauvegarde.
Convaincue par l'argumentation des tiers opposants,
elle estime que le véritable objectif des ces
dernières était d'imposer à leur créancier une
révision judiciaire de la documentation contractuelle,
alors même que la théorie de l'imprévision n'est pas
reconnue en droit privé. Ainsi, la cour affirme que la
procédure de sauvegarde ne doit pas être conçue
comme un moyen détourné d'obtenir un délai de
grâce ou une suspension de certains effets d'un
contrat. Au passage, la cour relève que la
composition de l'actionnariat de HOLD n'est pas de
nature à avoir un impact sur l'activité de cette
dernière. Autrement dit, la procédure de sauvegarde
n'a pas pour objectif de protéger les intérêts des
actionnaires, mais seulement l'activité de la société.
Indirectement, le recours au mandat ad hoc et à la
conciliation se trouve encouragé. Avant de solliciter
la protection du tribunal, la société en difficulté est
incitée à négocier de bonne foi avec ses créanciers.
Légalisation des jeux
en ligne :
un nouvel obstacle franchi
PL relatif à l'ouverture à la concurrence
des jeux en ligne
Le Sénat a adopté, à son tour, le 24 février
2010, en première lecture, le projet de loi
relatif à l'ouverture à la concurrence et à la
régulation du secteur des jeux d'argent et de
hasard en ligne.
Si la législation française encadre strictement, à
l'heure actuelle, l'activité des jeux de hasard au
sens large - il faut, en effet, y inclure les loteries,
paris sportifs et hippiques -, force est de constater
que ces normes méritaient, à tout le moins, un
sérieux
toilettage
puisqu'elles
consistaient,
principalement et chronologiquement, en des lois du
21 mai 1836, 2 juin 1891, 15 juin 1907 et 12 juillet
1983. Depuis lors, peu ou pas d'évolution dans ce
domaine particulier et ce malgré l'arrivée des
multiples offres en la matière via l'internet.
La Commission européenne, au moyen d'un avis
motivé, s'est elle-même émue, le 27 juin 2007, des
spécificités (comprendre monopoles) française,
grecque et suédoise entravant la libre prestation
des services (art. 49 du traité CE) de paris sportifs
(V. A. Astaix, Libérez le bandit manchot, blog
Dalloz, 2 juill. 2007). Certains acteurs de ce secteur
lucratif, au premier rang desquels les casinotiers
traditionnels et diverses sociétés de droit étranger,
ont pris le risque judiciaire de braver ce monopole
et les tribunaux communautaires (V., pour une
étude détaillée, C. Roquilly, « Le casinotier aime le
risque (juridique)… », blog Dalloz, 30 oct. 2008) et
français (V. Com., 10 juill. 2007. D. 2007. Jur.
2359 ; D. 2008. Pan. 40, obs. Nourissat) ont
largement ouvert la voie d'une réforme, quand bien
même les premiers ont, de manière surprenante, pu
infléchir leur position (V. CJCE 8 sept. 2009. D.
2009. Jur. 2218, note Clergerie).
La position de l'État français devenant, cependant,
intenable, le projet de loi tant attendu, notamment
après la remise du rapport Durieux du 24 avril 2008
préconisant l'ouverture à la concurrence (V. Dalloz
actualité, 15 mai 2008, obs. Aït El Kadi) a été
présenté en Conseil des ministres, le 25 mars 2009
(V. Dalloz actualité, 26 mars 2009, obs. Lavric) puis
adopté par l'Assemblée nationale le 13 octobre
2009.
Le projet de loi organise l'ouverture du secteur des
jeux d'argent et de hasard à la concurrence, en
poursuivant, officiellement, trois objectifs : la
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Page
I8
protection
des
joueurs
et
des
populations
vulnérables ; la sécurité des opérations de jeux ; la
lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent (V.
Dalloz actualité, 25 sept. 2009, obs. Lavric). Le clou
a été enfoncé lors du passage du texte au Sénat
puisque le ministre du budget et le rapporteur du
texte ont rappelé que l'offre illégale était
pléthorique, évoquant les chiffres de 25 000 sites
proposant des jeux dans tous les domaines, pour
lesquels 5% de Français misent un montant total
avoisinant les 4 milliards d'euros.
Plus prosaïquement, le texte, qui met fin de fait au
monopole de la Française des jeux et du PMU sur le
marché des paris en ligne, cherche avant tout à
préserver les recettes de l'État sur la fiscalité des
jeux. Le projet de loi fixe ainsi des prélèvements
fiscaux et sociaux relativement élevés (7,5 % pour
les paris hippiques et sportifs et 2 % pour les jeux
de cercle en ligne).
Des définitions…
À l'initiative des sénateurs, et afin d'éviter que
n'échappent à la régulation les multiples loteries qui
se présentent comme des jeux d'intelligence, la
définition du jeu de hasard va faire son entrée dans
le corpus juridique français : est un jeu de hasard
un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté
et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention
du gain (art. 1er B. nouv.).
Dans le même ordre d'idées sémantiques, la
politique de l'État en matière de jeux d'argent et de
hasard a pour objectifs, selon le projet, de limiter on s'étonnera de cette ambition alors que la
Française des jeux ne ménage pas ses efforts pour
diversifier son offre - et d'encadrer l'offre et la
consommation
des
jeux
et
d'en
contrôler
l'exploitation afin, notamment, de prévenir le jeu
« excessif ou pathologique » le terme addiction,
probablement trop anxiogène, disparaissant du
projet de loi. En matière de prévention, justement,
un numéro d'appel téléphonique est mis à la
disposition des joueurs excessifs ou pathologiques et
de leur entourage par les pouvoirs publics sous la
responsabilité de l'Institut national de prévention et
d'éducation pour la santé. Cet appel est facturé à
l'abonné au prix d'un appel local (art. 21 ter).
…
et
une
régulation
nouvelle
instance
de
Une instance de régulation des jeux en ligne
(ARJEL), créée sous la forme d'une autorité
administrative indépendante, sera chargée de veiller
au respect des objectifs de la politique des jeux
accessibles par internet (protection des joueurs et
des populations vulnérables, sécurité des opérations
de jeux et lutte contre la fraude et le blanchiment
d'argent) et délivrera des agréments aux opérateurs
de jeux moyennant le paiement par ces derniers
d'un droit fixe sur chaque demande (entre 2 000 et
15 000 €). Tous les 1er janvier, les opérateurs
devront verser un droit dont le montant sera
compris entre 10 000 et 40 000 €. Enfin, pour le
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
renouvellement de leur agrément, ils devront à
nouveau s'acquitter d'un droit qui s'établira entre
1 000 et 10 000 € (art. 38).
La possibilité de confier à l'ARJEL les moyens de
bloquer l'accès à certains sites a donné lieu à de vifs
débats, les députés redoutant une censure du
Conseil constitutionnel identique à celle qui a frappé
la loi HADOPI (V. « Création et internet : censure
par le Conseil constitutionnel », Omnidroit, 11 juin
2009). Alors que le rapporteur du texte souhaitait
attribuer ce pouvoir à l'autorité, les députés ont
préféré que ce soit le juge, saisi par le président de
l'ARJEL, qui soit en mesure de bloquer les sites
illégaux. Les députés ont également souhaité
encadrer l'organisation des paris sportifs en
soumettant ce droit à l'accord préalable des
fédérations sportives, le refus devant être motivé.
Plusieurs amendements sénatoriaux visent, en
outre, à renforcer l'indépendance et les pouvoirs de
l'ARJEL : un délai de viduité de trois ans a été prévu
pour qu'à compter de la cessation de leurs fonctions
et durant cette période, les membres de l'autorité,
ainsi que son directeur général, ne puissent prendre
ou recevoir une participation par travail, conseil ou
capitaux dans une entreprise de jeux en ligne. Le
collège de l'ARJEL aura également la possibilité de
former un recours contentieux à l'encontre des
décisions prises par la commission des sanctions de
cette même autorité. Enfin, les sénateurs ont
désigné le TGI de Paris (au lieu du juge des
référés), compte tenu de la domiciliation de l'ARJEL,
comme juridiction pouvant être saisie par l'Autorité
afin d'ordonner l'arrêt de l'accès aux services d'un
opérateur illégal ou le référencement du site de cet
opérateur.
La liste des opérateurs retenus par l'ARJEL sera
publiée au Journal Officiel mais également dans un
quotidien national traitant de l'actualité hippique
pour les agréments délivrés pour les paris
hippiques, ou de l'actualité sportive pour les
agréments délivrés pour les paris sportifs.
L'opérateur qui ne pourra mettre en œuvre des
moyens efficaces de lutte contre le blanchiment des
capitaux et le financement du terrorisme, voire des
moyens de lutte contre l'addiction, pourra se voir
refuser l'agrément de l'ARJEL.
Le texte est désormais transmis à l'Assemblée
nationale pour une seconde lecture. Gageons qu'il
sera rapidement adopté et publié afin que le
dispositif puisse être en place pour la prochaine
coupe du monde de football (du 11 juin au 11 juill.
2010) eu égard aux retombées financières
attendues et, surtout, à la volonté affichée par le
ministre du budget qui a annoncé, en séance, que
les décrets d'application étaient quasiment rédigés
de manière à ce que tout soit prêt avant le Mondial.
Page
I9
Légitimité d'un licenciement
pour insuffisance
professionnelle après une
mise à pied conservatoire
Soc. 3 févr. 2010, n° 07-44.491
Le licenciement notifié après une mise à pied
conservatoire n'a pas forcément un caractère
disciplinaire. Il en résulte qu'il peut être
prononcé pour insuffisance professionnelle.
Le licenciement d’un salarié mis à pied à titre
conservatoire
est-il
nécessairement
d’ordre
disciplinaire ? La Cour de cassation répond
négativement à cette question dans un arrêt appelé
à une large publication.
L'article L 1332-3 du Code du travail dispose que
lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu
indispensable une mesure conservatoire de mise à
pied à effet immédiat, aucune sanction définitive
relative à ces faits ne peut être prise sans respect
de la procédure disciplinaire. La rédaction de ce
texte pourrait laisser croire que l'employeur en
prononçant une mise à pied conservatoire se place
nécessairement
sur
le
terrain
disciplinaire,
s'interdisant par là-même d'invoquer ces mêmes
faits au titre d'une inaptitude professionnelle. Mais
ce serait alors conférer à une mesure destinée à
répondre à des situations d'urgence, un effet
automatique et définitif sur la nature de la mesure
qui suit. Ce serait la négation des garanties
apportées
par
la
procédure
disciplinaire :
l’employeur ne pourrait plus quitter le terrain
disciplinaire en prenant en compte les arguments de
défense du salarié.
La nature d'un licenciement n'est pas déterminée
par une mise à pied conservatoire, mais par les
motifs finalement retenus par l'employeur et
énoncés dans la lettre de licenciement. La Cour de
cassation, reprenant une solution déjà adoptée par
le passé (Cass. soc. 16 janvier 2007 n° 04-46.414 ;
Cass. soc. 11 juin 2008 n° 07-42.180), admet donc
que l’employeur puisse changer de point de vue sur
la cause du licenciement et abandonner en cours de
procédure le terrain disciplinaire. Ceci n'interdit
nullement au juge, appelé à vérifier les motifs du
licenciement et à se prononcer sur leur réalité, de
tenir compte du prononcé d'une mise à pied
conservatoire parmi les autres éléments de fait qui
lui sont soumis en vue de restituer au licenciement
sa véritable nature.
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Rappelons qu’en tout état de cause lorsque la mise
à pied n’est pas suivie d’un licenciement pour faute
grave, la période correspondante doit être
rémunérée.
Le candidat à un emploi
n'est pas tenu de dévoiler
son passé judiciaire
Soc. 19 janv. 2010, n° 08-42.519
Ne commet pas de faute le salarié qui
dissimule à son futur employeur la mesure
d'interdiction de gérer dont il fait l'objet.
L’interdiction de gérer une activité est une
condamnation judiciaire qui relève de la vie privée
et le salarié ou le candidat à l’embauche n’est donc
pas tenu de la dévoiler spontanément à l’employeur
(Cass. soc. 25 avril 1990 : Revue de jurisprudence
sociale Francis Lefebvre 6/90 n° 450, Bull. civ. V n°
186).
Si ce dernier souhaite se renseigner sur le passé
judiciaire d’un salarié préalablement à son
embauche, il peut lui demander de fournir un extrait
du bulletin n° 3 du casier judiciaire. À défaut de
s’être renseigné, l’employeur ne peut se prévaloir
des antécédents judiciaires d’un salarié pour
justifier une sanction disciplinaire, sauf s’ils créent
un trouble dans l’entreprise compte tenu de la
nature des fonctions du salarié et de la finalité
propre de l’entreprise ou s’ils interdisent au salarié
d’exercer son activité ou rendent cet exercice plus
difficile.
En l’espèce, la cour d’appel avait retenu l’existence
d’une faute grave du salarié, vice-président d’une
société, en estimant qu’il avait manqué à son devoir
de loyauté en dissimulant cette information. Selon
les juges du fond, cette mesure d’interdiction était
de nature à affecter l’étendue de la délégation de
pouvoir consentie par l’employeur et la confiance
que les franchisés avec lesquels ils devaient
contracter devaient avoir en lui.
Cette décision est censurée par la Cour de
cassation. En effet, l’interdiction de gérer une
activité n’interdit pas l’exercice de fonctions
salariées. Aucune faute ne pouvait donc être
reprochée à l'intéressé dans le cadre de son contrat
de travail.
Page
I 10
CHSCT : une décision recadre
la notion de « projet
important » permettant
de recourir à un expert
Soc. 10 févr. 2010, n° 08-15.086
Selon la Cour de cassation, le nombre de
salariés concernés ne détermine pas à lui seul
l'importance du projet. Ce qui compte, c'est
l'impact sur les conditions de santé et de
sécurité des salariés ou sur leurs conditions de
travail.
Voici une décision qui tranche avec la jurisprudence
habituelle de la Cour de cassation, laquelle a eu
plutôt tendance ces derniers temps à reconnaître
largement au comité d'hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (CHSCT) la faculté de recourir à
une expertise en cas de « projet important modifiant
les conditions de santé, de sécurité ou les conditions
de travail ».
Remarque : rappelons ici ce qu'est un « projet important » :
l'article L. 4614-12 du code du travail prévoit que le CHSCT
peut faire appel à un expert agréé « en cas de projet important
modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions
de travail » au sens de l'article L. 4612-8 du même code. Selon
l'article L. 4612-8, constitue un « projet important » toute
« décision d'aménagement important modifiant les conditions
de santé et de sécurité ou les conditions de travail, et,
notamment toute transformation importante des postes de
travail, découlant de la modification de l'outillage, d'un
changement de produit, ou de l'organisation du travail » ou
soit « de la modification des cadences et des normes de
productivité ».
I. - À l'origine, un projet emportant
modification du secteur d'intervention
de deux vendeurs
Dans cette affaire, le CHSCT de l'établissement
« Région Sud-Est PACA » d'une grande entreprise
souhaitait recourir à une expertise pour apprécier
les conséquences sur les conditions d'hygiène, de
sécurité et les conditions de travail d'un projet
emportant réorganisation du service commercial.
L'employeur (qui avait agi en référé) objectait que si
un
projet
d'aménagement
de
l'organisation
commerciale avait bien été envisagé au départ, il y
avait rapidement été renoncé. Selon ses dires, au
moment où le CHSCT avait décidé de recourir à un
expert, il n'était déjà plus question que d'une
modification de la sectorisation et que de la
suppression du « secteur TPE » qui allait être sous
traité. Le nombre de salariés concernés par le projet
ne représentait en réalité que le 1/10e du total des
vendeurs de la région Sud-Est. Et sur ces 10
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
salariés, seuls deux d'entre eux connaissaient une
extension du nombre de communes visitées. Le
CHSCT avait sans doute surestimé l'envergure du
projet.
Du côté du CHSCT, on réfutait cette argumentation,
en affirmant qu'un « projet important s'entend d'un
changement significatif des conditions de travail des
salariés, indépendamment du nombre de salariés
concernés ».
Verdict de la Cour de cassation : « si le nombre de
salariés concernés ne détermine pas à lui seul
l'importance du projet », encore faut-il « que le
projet en cause » soit « de nature à modifier les
conditions de santé et de sécurité des salariés ou
leurs conditions de travail », ce qui n'était pas le cas
en l'occurrence.
II. - Le nombre de salariés touchés ne
détermine pas à lui seul l'importance du
projet
Ainsi, pour la jurisprudence, au-delà du nombre
(significatif ou non) de salariés concernés par le
projet envisagé, l'élément déterminant qui semble
l'emporter, s'agissant d'apprécier l'importance du
projet permettant de recourir à un expert, c'est
avant tout l'impact du projet sur la santé et la
sécurité des salariés ou bien sur leurs conditions de
travail. Cette décision signifie-t-elle qu'une réelle
modification des conditions de travail, quand bien
même elle n'affecterait que deux salariés d'une
entreprise, pourrait justifier le recours à un expert.
Sans aller jusque-là, on voit bien que le nombre
minime de salariés affectés par le projet ne
constitue qu'un indice.
III. - Ce qui compte : l'impact sur la
santé et la sécurité ou sur les conditions
de travail
Ce qui compte, c'est l'impact sur la santé et la
sécurité ou sur les conditions de travail. Or, en
l'espèce, pour les juges, le fait que deux vendeurs
connaissent une extension de leur secteur
d'intervention ne permettait pas d'établir une
modification des conditions de travail. Pourtant,
compte tenu de l'augmentation du nombre de
communes visitées, on pouvait imaginer que ces
vendeurs risquaient d'avoir plus de travail ?
Apparemment, cet argument n'a pas porté.
Au contraire, dans une précédente décision (Cass.
soc., 16 sept. 2008, n° 07-18.754, CHSCT de l'unité
de production maintenance de Clichy c/ SNCF), la
Cour de cassation avait estimé que le projet
d'extension du périmètre d'action de salariés
chargés de manœuvrer des trains (qui, là non plus,
ne touchait pas un nombre significatif de salariés)
« modifiait de façon significative les tâches et
l'organisation et les cadences de travail ». Certes, il
s'agissait ici de travaux techniques (alors que dans
la première affaire, il s'agissait de vente), et
l'extension du secteur d'intervention donnait,
semble-t-il, lieu à de nouvelles procédures, plus
Page
I 11
lourdes en terme de travail (alors qu'une extension
du secteur de ventes ne modifie pas a priori la façon
de procéder des salariés, même si on peut imaginer
un certain accroissement du travail).
Finalement, on en revient à la définition du « projet
important » qui a été donnée en 2001 dans une
décision de principe : constitue un « projet
important » au sens de l'article L. 4612-8 du code
du travail celui qui implique notamment une
transformation
des
postes
de
travail,
un
changement de métier, de nouveaux outils, ou une
modification des cadences ou des normes de
productivité
(Cass.
soc.,
26 juin
2001,
n° 99-16.096, CHSCT de l'ORI de la région
parisienne
d'EDF-GDF
c/ EDF).
La
simple
modification du secteur des ventes, à l'égard de
deux vendeurs, n'entre pas dans un tel cadre.
Harcèlement au travail :
faites de la prévention
et agissez dès les premiers
signes
Soc. 3 févr. 2010, n° 08-40.144
Soc. 3 févr. 2010, n° 08-44.019
L'employeur manque à son obligation de
sécurité de résultat lorsque des actes de
harcèlement se sont produits au sein de
l'entreprise.
Par deux arrêts du 3 février 2010, la Cour de
cassation aggrave la responsabilité des employeurs
face aux phénomènes de harcèlement au travail.
Quoi qu'il arrive, l'entreprise est responsable si l'un
de ses salariés est victime de harcèlement, peu
importe qu'elle ait tenté d'y mettre fin. Dans les
deux affaires, la Cour de cassation estime que
l'employeur a manqué à son obligation de sécurité
de résultat puisque des actes de harcèlement se
sont produits au sein de l'entreprise.
prend acte de la rupture de son contrat de travail.
L'employeur estime qu'on ne peut pas lui reprocher
l'absence de sanction car le directeur associé a
démissionné de lui-même. La cour d'appel,
convaincue par cette argumentation, requalifie la
prise d'acte en démission, estimant que les mesures
prises par l'employeur étaient adaptées à la
situation. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel
et condamne l'employeur.
Dans la seconde affaire, la responsable de cafétéria
d'un hôtel dénonce le harcèlement moral dont elle
est victime de la part du directeur de
l'établissement. La cour d'appel requalifie sa prise
d'acte en démission, estimant que l'employeur,
après avoir eu connaissance des faits, a délivré au
directeur de l'hôtel deux avertissements et a voulu
muter la salariée dans un autre établissement, ce
qu'elle a refusé. Selon les juges, l'employeur avait
adopté « l'attitude d'un employeur responsable pour
prévenir tout nouveau conflit entre les antagonistes,
(…) aucun reproche ne saurait lui être adressé ». Là
encore, la Cour de cassation condamne l'entreprise.
Dans un arrêt du 21 juin 2006, elle avait pour la
première fois rattaché les mesures que devait
prendre l'employeur contre le harcèlement moral à
l'obligation de sécurité de résultat, et en déduisait
que l'absence de faute de la part de l'employeur ne
l'exonérait pas de sa responsabilité (Cass. soc.,
21 juin 2006, n° 05-43.914).
Dans un arrêt du 21 février 2007, elle reprochait à
l'employeur de ne pas avoir pris les mesures
propres à mettre un terme aux agissements en
cause (Cass. soc., 21 févr. 2007, n° 05-41.741).
Elle en déduisait logiquement, dans un arrêt du
29 septembre 2009, que, lorsque l'employeur avait
pris les mesures destinées à résoudre les difficultés
rencontrées par le salarié, le manquement qui lui
était reproché ne justifiait pas une résiliation du
contrat de travail à ses torts (Cass. soc., 29 sept.
2009, n° 08-41980).
Ce n'est plus le cas. Prendre les mesures
nécessaires ne suffit plus. On peut ainsi se
demander si les juges ne vont pas, à l'avenir,
systématiquement requalifier en licenciement sans
cause réelle et sérieuse la prise d'acte d'un salarié
qui estime être victime de harcèlement, dès lors
que ce dernier est avéré. On est tenté de le penser.
Sa position est donc sévère à l'égard des
employeurs en matière de harcèlement : ils ne
doivent pas se contenter de prendre des mesures en
vue de faire cesser les agissements de harcèlement,
ils doivent empêcher leur survenance. En somme de
tels agissements ne doivent pas se produire.
Dans la première affaire, une salariée se plaint de
harcèlement moral et sexuel de la part du directeur
associé de l'entreprise. Bien que l'employeur ait pris
« des mesures conservatrices et protectrices » à son
égard, la salariée lui reproche de n'avoir pas
sanctionné l'auteur des faits de harcèlement. Elle
OMNIDROIT
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I 12
Aptitude avec réserves :
mode d'emploi
Soc. 28 janv. 2010, n° 08-42.616
Soc. 28 janv. 2010, n° 08-42.702
Plusieurs arrêts récents de la Cour de
cassation ont précisé les obligations de
l'employeur face à un avis d'aptitude avec
réserves établi par le médecin du travail.
I. - Un constat : l'avis d'aptitude avec
réserves n'est pas un avis d'inaptitude
Lorsque le médecin du travail déclare le salarié apte
à son poste de travail, fût-ce au prix de multiples
contre-indications, cette déclaration ne peut être
assimilée à une déclaration d'inaptitude :
•
•
ni par l'employeur (Cass. soc., 4 juin 2009,
n° 08-40.071). C'est ce qui a été jugé à
propos d'un salarié, agent de maintenance
d'une piscine, qui avait été déclaré « apte au
poste antérieur (maintenance piscine) si en
équipe ; poste isolé déconseillé ; conduite
automobile professionnelle déconseillée ».
L'employeur estimait que ces réserves
équivalaient à une inaptitude et l'a licencié
pour ce motif ;
ni par les juges du fond (Cass. soc., 10 nov.
2009, n° 08-42.674). Dans un litige, un
agent de production affecté à un poste de
finition comportant une multiplicité de
tâches avait été déclaré apte par le médecin
du travail mais l'avis médical précisait que le
salarié ne pouvait effectuer qu'une partie de
ces tâches (dégraissage et retouche) sous
des conditions très restrictives : « travaux
légers et divers de lustrage, de retouche, de
dégraissage sur table, de chargementdéchargement de chaîne pour des pièces
légères faciles à manipuler, aide à l'atelier
photos » ainsi que « pas de manutention
difficile, pas de travaux bras en l'air, ni
épaules décollées, pas de ponçage ». Devant
de telles restrictions, l'employeur avait cru
pouvoir considérer que le salarié était inapte
et l'avait licencié pour ce motif. Pour rejeter
la demande de dommages-intérêts pour
licenciement abusif, les juges du fond ont
suivi l'employeur en considérant que sous
couvert d'aptitude avec restrictions, ce
salarié avait été déclaré inapte à son emploi.
Pour la Cour de cassation, pas question de
requalifier l'avis du médecin du travail. Le
licenciement pour inaptitude prononcé sur la base
d'un avis d'aptitude avec réserves est donc sans
cause réelle et sérieuse.
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
II. - Conséquence : l'employeur est tenu
de réintégrer le salarié à son emploi
antérieur en suivant les préconisations
du médecin du travail
Si les réserves émises par le médecin du travail ne
rendent pas impossible la reprise par le salarié de
son précédent poste, l'employeur est tenu à une
obligation de réintégration à son précédent emploi.
L'employeur est tenu de respecter les réserves
émises par le médecin du travail ; à défaut, le
salarié pourrait réclamer des dommages-intérêts.
Ainsi, à la suite d'un avis d'aptitude avec réserves,
un plan d'action de maintien dans l'entreprise a été
élaboré et avalisé par le médecin du travail
prévoyant notamment un changement de véhicule
de fonction par un autre muni d'une boîte
automatique, un travail à domicile toléré pour éviter
les déplacements au siège de l'entreprise ainsi que
le remplacement de la salariée par un technicien
pour le suivi des chantiers éloignés. Ce plan
prévoyait par ailleurs, un nouvel examen 2 mois
plus tard sur l'état de santé du salarié. Or,
l'employeur a failli dans le suivi médical de la
salariée puisqu'il n'a jamais repris contact avec la
médecine du travail et qu'il ne démontre pas qu'il a
respecté le plan d'action. L'employeur n'a pas
respecté les préconisations du médecin du travail
prévues à l'article L 4624-1, il a donc commis une
faute en exécutant de façon déloyale le contrat de
travail entraînant pour la salariée un préjudice
(Cass. soc., 7 juill. 2009, n° 08-42.300).
En effet, l'employeur est tenu d'une obligation de
sécurité résultat en matière de protection de la
santé et de la sécurité des salariés dans l'entreprise,
il doit en assurer l'effectivité en prenant en
considération
les
propositions
de
mesures
individuelles
telles
que
mutations
ou
transformations de postes, justifiées par des
considérations relatives notamment à l'âge, à la
résistance physique ou à l'état de santé physique et
mentale des salariés que le médecin du travail est
habilité à faire en application de l'article L 4624-1
(Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 08-426.29).
En tout état de cause, dès lors que le médecin du
travail n'a pas rendu d'avis d'inaptitude, l'employeur
ne peut pas licencier pour inaptitude le salarié
concerné même si ce dernier a fait l'objet de
plusieurs avis d'aptitude comportant des réserves à
occuper son emploi de plus en plus importantes
(Cass. soc., 28 janv. 2010, n° 08-42.616). C'est ce
qui a été confirmé dans une espèce où le salarié,
responsable du rayon décoration d'un magasin a été
déclaré, suite à des visites de reprise répétées, apte
à reprendre son poste mais sans port de
manutention. L'employeur a fait des offres de
reclassement car il estimait que le poste du salarié
imposait d'effectuer, au moins ponctuellement, des
tâches de manutention. Le licenciement pour
inaptitude suite au refus du salarié est abusif.
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I 13
III. - Difficultés : que peut faire
l'employeur lorsque les préconisations
du médecin du travail accompagnant
l'avis d'aptitude sont incompatibles avec
l'exercice de l'emploi du salarié ?
Si l'employeur ne peut pas appliquer les
préconisations du médecin du travail, il ne peut pas
passer outre et imposer au salarié un poste
incompatible avec ces préconisations. Le refus du
salarié n'est pas constitutif d'une faute.
Tel a été le cas dans une entreprise où à l'issue de
la visite de reprise, une salariée, réceptionneuse, a
été déclarée par le médecin du travail apte à un
travail à un mi-temps en évitant le poste de
réceptionneuse ; un poste de triage étant préconisé.
L'employeur l'a invité à reprendre son poste à temps
plein tout en lui proposant un poste de
« dépiauteuse » à mi-temps. La salariée, ayant
refusé
d'occuper un
poste
qu'elle
estimait
incompatible avec l'avis du médecin du travail, a été
licenciée
pour
absence
injustifiée.
Un
tel
licenciement est abusif selon la Cour de cassation
(Cass. soc., 23 sept 2009, n° 08-42.629).
Par conséquent, si les réserves émises par le
médecin
du
travail
posent
des
difficultés
d'interprétation ou d'application, l'employeur a tout
intérêt à interroger à nouveau le médecin du travail.
Si les difficultés ou le désaccord sur la portée de
l'avis d'aptitude avec réserves délivré par le médecin
du travail persistent, l'employeur doit alors exercer
le recours prévu par l'article L. 4624-1 du code du
travail, auprès de l'inspecteur du travail (Cass. soc.,
10 nov. 2009, n° 08-42.674).
En effet, selon l'article L. 4624-1 : « L'employeur est
tenu de prendre en considération les propositions du
médecin du travail et, en cas de refus, de faire
connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit
donné suite. En cas de difficulté ou de désaccord,
l'employeur ou le salarié peut exercer un recours
devant l'inspecteur du travail. Ce dernier prend sa
décision après avis du médecin inspecteur du
travail ».
Remarque : le désaccord motivant l'intervention de
l'inspection du travail porte sur l'état de santé du salarié et le
type de reclassement envisagé. Il ne porte pas sur
l'appréciation des qualités professionnelles du salarié à occuper
un poste, la possibilité de l'employeur d'aménager un poste,
l'existence d'un poste disponible, la non-réalisation par le
médecin du travail de l'étude du poste et des conditions de
travail dans l'entreprise.
L'employeur est tenu de prendre en considération
l'avis de l'inspecteur du travail. Si cet avis conduit à
l'aptitude alors que le médecin du travail avait
prononcé un avis d'inaptitude, l'employeur qui avait
affecté le salarié à un autre emploi du fait de cette
déclaration d'inaptitude, doit le réintégrer dans ses
précédentes fonctions. En cas de difficultés,
l'employeur est tenu de solliciter à nouveau l'avis du
médecin du travail (Cass. soc., 28 janv. 2010,
n° 08-42.702).
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
À défaut de recours devant l'inspecteur du travail,
l'avis du médecin du travail sur l'aptitude du salarié
à occuper un poste de travail s'impose aux parties,
employeur et salarié (Cass. soc., 16 sept. 2009,
n° 08-42.212). S'il n'a pas utilisé le recours
administratif pour contester l'avis du médecin du
travail, l'employeur ne peut plus remettre en cause
cet avis y compris devant le conseil de
prud'hommes.
Dissimulation d'un enfant
lors du changement
de régime matrimonial
Civ. 1re, 17 févr. 2010, n° 08-14.441
La dissimulation de l'enfant de l'un des époux,
lors du changement de régime matrimonial et
de l'adoption d'une séparation de biens,
n'entraîne pas la nullité de la convention, dès
lors qu'elle n'avait pas pour but de faire échec
aux droits successoraux de cet enfant.
Dans cet arrêt rendu le 17 février 2010, destiné à
connaître une diffusion certaine (classement en
P+B+I), la première chambre civile contribue à cet
effort de précision (sur l'apport de la jurisprudence
à cette définition, V. Egéa, La fonction de juger à
l'épreuve du droit contemporain de la famille,
Defrénois 2010, spéc. n° 226 s. et not. n° 232).
Plus exactement, en rejetant le pourvoi, la Cour de
cassation décide que la dissimulation de l'enfant de
l'un des époux (qualifié d'enfant « naturel » dans
l'arrêt), n'entraîne pas nécessairement la nullité de
la convention d'adoption du régime de séparation de
biens. En somme, le sort de la convention dépend
de la finalité de cette fameuse dissimulation. Faite
sans fraude dans la présente espèce, elle ne vicie
point l'acte de volonté du couple et ne fausse pas
l'appréciation judiciaire.
En principe, les intérêts des enfants doivent faire
l'objet d'une protection lors du changement de
régime matrimonial. S'il est exact d'affirmer que la
loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a déjudiciarisé le
changement de régime matrimonial, encore faut-il
préciser que cette déjudiciarisation demeure
partielle. En effet, l'homologation judiciaire du
changement de régime matrimonial s'avère toujours
nécessaire, selon l'article 1397 du code civil, en
présence d'enfants mineurs et lorsque des enfants
majeurs s'opposent au changement envisagé. Dans
cette dernière hypothèse, d'ailleurs, la Cour de
cassation n'a pas manqué de préciser que
l'opposition de l'enfant majeur ne faisait pas
basculer pour autant la procédure dans le champ de
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I 14
la juridiction contentieuse mais que l'on se trouvait
toujours en matière gracieuse (Civ. 1re, 19 mai
2008, D. 2008. Jur. 2042, note crit. Le Ninivin ; RTD
civ. 2008. 725, obs. Perrot ; Dr. fam. 2008, n° 75,
note Egéa).
Cela étant, pour que l'intérêt de la famille soit
correctement apprécié, il paraît indispensable de
connaître l'existence de tous les enfants. Or, les
hypothèses de dissimulation d'un enfant lors de la
procédure de changement de régime matrimonial
suscitent un contentieux récurrent, notamment en
cas d'adoption d'un régime de communauté
universelle. On comprend sans mal que, dans cette
hypothèse, les droits successoraux de l'enfant « d'un
premier lit » risquent d'être altérés par le jeu du
nouveau
régime
matrimonial.
L'action
en
retranchement de l'article 1527, alinéa 2, du code
civil, dont le champ a été étendu par la loi
n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, peut permettre
dans une certaine mesure de pallier cette difficulté
(V. le rappel opéré par Civ. 1re, 14 juin 2005, RTD
civ. 2005. 818, obs. crit. Vareille ; Defrénois. 2005.
1511, obs. Champenois ; Dr. fam. 2005, n° 218,
obs. Beignier ; JCP 2006. I. 141, n° 6, obs.
Wiederkher).
Dans la présente affaire, l'enfant de l'un des époux,
dont l'existence avait été cachée lors du
changement de régime matrimonial, demandait la
nullité de la convention par laquelle le couple s'était
soumis au régime de la séparation de biens, quittant
alors l'ancien régime de la communauté de meubles
et acquêts. Il ne s'agissait donc pas d'une hypothèse
de soumission à un régime communautaire. Ce point
est important, car la première chambre civile
apprécie l'existence d'une éventuelle fraude au
regard
de
l'économie
générale
du
régime
séparatiste. Le changement de régime matrimonial
faisait certes très directement suite à la révélation
de l'existence de cet enfant. Cela étant, une telle
révélation avait conduit les époux à adopter leur
nouveau régime pour identifier et séparer leurs
patrimoines respectifs et délimiter les masses
successorales futures, et non pour amoindrir le
patrimoine du mari. Aucune atteinte frauduleuse aux
droits successoraux futurs de l'enfant n'était donc
démontrée.
A contrario la dissimulation dictée par une intention
frauduleuse vicie à coup sûr la convention (sur la
fraude en cette matière, V. M. Goré et C. PhiliponneSchamber, Droit patrimonial de la famille, préc.,
n° 123.62). Cette référence à l'absence d'intention
frauduleuse ne surprend guère (V., par ex., Civ. 1re,
14 juin 2005, préc., où il s'agissait d'adopter le
régime de la communauté universelle). Cet arrêt
vient donc garnir les rangs des décisions qui
permettent de mieux définir la notion d'intérêt de la
famille. L'intérêt de la famille ne saurait être réduit à
l'intérêt d'un membre de la famille (Civ. 1re, 6 janv.
1976, D. 1976. Jur. 253, note Ponsard ; RTD civ.
1978.123, obs. Nerson ; JCP 1976. II. 18461, note
Patarin). De même, la dissimulation de l'enfant lors
du changement de régime matrimonial n'engendre
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
pas, à elle seule, nullité de la convention. Cet arrêt
rappelle donc l'importance de la fraude en ce
domaine.
Plus largement, il apporte une contribution à l'étude
de la fonction judiciaire d'homologation. Cette
dernière est devenue centrale en droit de la famille
et permet de combiner l'essor de la liberté
conventionnelle et le maintien d'un contrôle étatique
des situations familiales (V. Hauser, Le juge
homologateur en droit de la famille, in Le
conventionnel et le juridictionnel, ss. la dir. de
P. Ancel et M.-C. Rivier, Economica, 2001, p. 114 ;
V. Egéa, La fonction de juger à l'épreuve du droit
contemporain de la famille, préc., spéc. n° 113 s.).
La proposition de loi
sur les détecteurs de fumée
dans les lieux d'habitation
a été adoptée !
PL visant sur les détecteurs de fumée
dans tous les lieux d'habitation
Le Parlement a définitivement adopté, le 25
février 2010, la proposition de loi sur les
détecteurs de fumée.
Déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le
28 septembre 2005, la proposition de loi visant à
rendre obligatoire l'installation de détecteurs de
fumée dans tous les lieux d'habitation vient enfin
d'être
définitivement
adoptée.
Initialement
intégrées à la loi de mobilisation pour le logement et
la lutte contre l'exclusion (V. sur la question, Dalloz
actualité, 19 juin 2008, obs. Vincent ; « Adoption
définitive du projet de loi « Boutin » », Lettre
Omnidroit, 25 févr. 2009, p. 15) les dispositions
afférentes aux détecteurs de fumée, considérées
comme un cavalier législatif, avaient été annulées
par le Conseil constitutionnel dans sa décision
n° 2009-578 DC du 18 mars 2009.
Après deux lectures, l'Assemblée nationale et le
Sénat s'opposaient sur la question de la prise en
charge de l'installation des détecteurs de fumée. Le
Sénat estimait que cette responsabilité devait
incomber au propriétaire des lieux, l'Assemblée
penchant, quant à elle, pour l'occupant.
À l'issue de la Commission mixte paritaire qui a
rendu son rapport le 13 janvier 2010, il a été décidé
que c'est au propriétaire de locaux à usage principal
d'habitation
qu'incombera
l'installation
de
détecteurs de fumée normalisés, à charge pour le
locataire d'assurer l'entretien du dispositif. Cette
Page
I 15
dernière
obligation
reviendra
cependant
au
propriétaire dans les hypothèses visées à l'article 2
de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (locations
saisonnières, logements foyers, locaux meublés,
logements de fonction, locations consenties aux
travailleurs saisonniers). L'installation de détecteurs
de fumée pourra entraîner une minoration de la
prime d'assurance.
Un décret en Conseil d'État viendra préciser les
différentes mesures d'application (caractéristiques
techniques,
conditions
de
normalisation,
d'installation,
d'entretien,
de
remplacement,
mesures d'information des occupants).
Rappelons qu'une proposition de loi tendant à
rendre obligatoire l'installation de détecteurs de
monoxyde de carbone a été déposée au Sénat le
29 avril 2008.
Motivation des arrêts
d'assises, peines perpétuelles
et droit européen des droits
de l'homme
Crim. 20 janv. 2010, n° 08-88.301
Satisfait
aux
exigences
légales
et
conventionnelles
la
condamnation
à
la
réclusion criminelle à perpétuité prononcée par
un arrêt d'assises qui, pour toute motivation,
ne fait que reprendre les réponses qu'en leur
intime conviction, magistrats et jurés, statuant
dans la continuité des débats, ont donné aux
questions sur la culpabilité.
Les faits étaient simples, les solutions données par
la Cour de cassation sans grande surprise…
Condamné en appel à la réclusion criminelle à
perpétuité sans possibilité de se voir accorder l'une
des mesures prévues à l'article 132-23 du code
pénal, monsieur B… décide de se pourvoir en
cassation.
À l'appui de son pourvoi, il soutient, en premier lieu,
que l'arrêt est dépourvu de motifs et ne répond pas
aux exigences du procès équitable en ce qu'il l'a
déclaré coupable de faits qu'il a toujours niés « sans
expliquer les raisons de la décision et sans motiver
celle-ci autrement que par des réponses affirmatives
à des questions posées de façon abstraite, ne
faisant aucune référence à un quelconque
comportement précis (…) et se bornant à rappeler
chacune des infractions, objet de l'accusation et ses
éléments constitutifs légaux ». Cet arrêt intervient
alors que le débat sur la motivation des arrêts de
cours d'assises a récemment ressurgi en France
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
suite à la condamnation de la Belgique par la Cour
européenne des droits de l'homme début 2009,
pour violation du droit à un procès équitable (V.
CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique,
n° 926/05, D. 2009. Chron. 1058, obs. Renucci).
Malgré la similarité des systèmes juridiques belge et
français, la Cour de cassation française n'a pas été
convaincue par l'argumentation de la Cour
européenne qui estime, en substance, que les
« réponses laconiques à des questions formulées de
manière vague et générale » peuvent donner
l'impression d'une justice arbitraire et peu
transparente, que sans au moins un résumé des
principales raisons pour lesquelles la cour d'assises
se déclare convaincue de la culpabilité du
condamné, celui-ci n'est pas à même de
comprendre - et donc d'accepter - la décision de la
juridiction, et que, dans ces conditions, la Cour de
cassation
n'est
pas
en
mesure
d'exercer
efficacement son contrôle et de déceler, par
exemple, une insuffisance ou une contradiction de
motifs.
La chambre criminelle a, en effet, récemment
arrêté, dans une formule identique à celle du
présent arrêt, que « dès lors qu'ont été assurés
l'information préalable sur les charges fondant la
mise en accusation, le libre exercice des droits de la
défense
ainsi
que
le
caractère
public
et
contradictoire des débats », satisfait aux exigences
légales et conventionnelles du procès équitable
l'arrêt d'assises d'appel qui « reprend les réponses,
qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés,
statuant dans la continuité des débats, à vote secret
et à la majorité des deux tiers, ont donné aux
questions sur la culpabilité, posées conformément
au dispositif de la décision de renvoi et soumises à
la discussion des parties » (V. Crim. 14 oct. 2009,
n° 08-86.480, D. 2009. Chron. 2778, note Pradel ;
ibid. 2010. Chron. C. cass. 39, note Leprieur ; AJ
pénal 2009. 495, obs. Lasserre Capdeville). La Cour
de cassation persiste donc dans cette voie et il
faudra sans doute attendre le prochain arrêt de la
grande chambre de la Cour européenne des droits
de l'homme (l'audience devant la grande chambre
s'est tenue le 21 octobre 2009 et l'arrêt devrait être
rendu prochainement) pour voir se profiler - comme
certains l'appellent de leurs vœux (V. J. Pradel,
préc.) - un éventuel revirement jurisprudentiel et,
dans cette hypothèse, une vraisemblable refonte
des textes français de procédure pénale relatifs aux
décisions d'assises.
Le demandeur au pourvoi, condamné à la réclusion
criminelle
à
perpétuité
sans
possibilité
d'aménagement de peine soutient en second lieu
que l'infliction d'une telle sentence « sans aucune
possibilité offerte au condamné de bénéficier du
moindre aménagement de peine, ni de possibilité
éventuelle de sortir, à titre temporaire ou définitif,
en dehors d'un décret de grâce » constitue une
peine inhumaine et dégradante au sens de l'article 3
de la Convention européenne des droits de
l'homme. La Cour de cassation balaye cette
argumentation aux motifs que l'article 720-4 du
Page
I 16
code de procédure pénale prévoit, dans une
situation comme celle du demandeur, et à l'issue
d'une période de trente ans, que le tribunal de
l'application des peines peut, au vu de gages sérieux
de réadaptation sociale, mettre fin à l'application
d'une telle mesure. Rappelons que, s'agissant d'un
individu condamné à perpétuité pour meurtre
aggravé, puis libéré au terme de quarante et une
années de détention, la Cour européenne des droits
de l'homme a estimé que la peine de réclusion
criminelle à perpétuité ne constituait pas en soi un
traitement inhumain et dégradant contraire à
l'article 3, dès lors que le condamné n'était pas privé
de tout espoir d'obtenir un aménagement de peine,
ce qui est le cas lorsque l'intéressé a pu introduire
des demandes de libération conditionnelles (V.
CEDH 11 avr. 2006, Léger c/ France, n° 19324/02,
D. 2006. Jur. 1800, note Céré ; AJ pénal 2006. 258,
obs. Enderlin ; RSC 2006. 134, obs. Massias ; ibid.
2007. 362, obs. Poncela). La décision de la Cour de
cassation paraît donc logique au regard des
exigences européennes dans la mesure où
l'article 720-4 précité laisse (en théorie !) au
condamné « l'espoir d'un aménagement de peine ».
Reste que la Cour européenne, au grand regret
d'une doctrine autorisée, n'a jamais tranché cette
question de principe, la requête de l'affaire Léger
ayant été radiée du rôle de la grande chambre du
fait du décès du requérant (V. CEDH, gr. ch.,
30 mars 2009, Léger c. France, D. 2009. Jur. 1453,
note Renucci ; RSC 2009. 436, obs. Poncela).
Violation du principe
contradictoire dans
une procédure disciplinaire
CEDH 18 févr. 2010, n° 22584/06
Le respect du droit à un procès équitable, pris
sous l'angle particulier du principe du
contradictoire, exige que le défendeur à une
procédure disciplinaire ait pris connaissance de
toute pièce, notamment lui étant défavorable,
dont les juges ne peuvent être assurés qu'elle
n'a pas eu d'incidence sur l'issue du litige, y
compris lorsque cette pièce est issue d'une
procédure civile distincte et n'a été que citée
dans la procédure disciplinaire.
Dans un arrêt du 18 février 2010, la Cour
européenne des droits de l'homme revient sur
différents aspects des droits de la défense. Le
requérant alléguait en effet plusieurs défauts
d'équité de la procédure disciplinaire suivie devant le
conseil national de l'ordre des médecins, duquel il
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
fut radié pour avoir pratiqué plusieurs interventions
chirurgicales non justifiées sur une patiente, et
réclamé des honoraires exorbitants. Ses griefs
avaient notamment trait à l'absence de caractère
contradictoire de la procédure, au dépôt tardif des
conclusions adverses, à l'absence d'examen par les
juges disciplinaires de pièces produites par le
requérant, enfin, à l'absence de renvoi de l'affaire
alors que son avocat habituel ne pouvait être
présent. Quelques-uns des arguments soulevés se
révèlent intéressants, particulièrement en raison de
leur applicabilité - au-delà des procédures
disciplinaires - à l'ensemble des procédures pénales.
D'emblée, la Cour européenne rappelle en effet
qu'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle le
droit de continuer à exercer une profession est mis
en jeu entre dans le champ d'application de l'article
6 de la Convention (CEDH 23 juin 1981, Le Compte,
Van Leuven et De Meyere c. Belgique).
Concernant
en
premier
lieu
le
caractère
contradictoire de la procédure - seul moyen accueilli
par la Cour - le requérant se plaignait de ne pas
avoir eu communication d'un certain pré-rapport
d'expertise. Ce document avait été rédigé dans le
cadre d'une procédure civile menée parallèlement à
la procédure disciplinaire. L'expert était cependant
décédé en cours de procédure, et son pré-rapport
n'avait pas eu de suite, un autre expert ayant été
nommé et l'expertise ayant été recommencée ab
initio. Le document était néanmoins visé dans la
décision du conseil national de l'ordre des médecins,
et se montrait effectivement très défavorable au
requérant. La Cour constate sur ce point une
violation de l'article 6. Elle relève que les garanties
du procès équitable impliquent le droit pour les
parties au procès de prendre connaissance de toute
pièce ou observation présentée au juge et de la
discuter le cas échéant (V. not., CEDH, 20 févr.
1996, Lobo Machado c. Portugal, § 31, Recueil des
arrêts et décisions 1996-I), hormis les hypothèses
où la pièce litigieuse n'a aucune incidence sur le
litige et où la solution juridique ne prête pas à
discussion. Or, elle constate en l'espèce que cela
n'est pas le cas. On notera avec intérêt l'opinion
dissidente - et partagée - du juge Costa qui, tout en
reconnaissant « la pertinence de principe » de la
solution, pense qu'en l'espèce c'était « verser dans
le formalisme de considérer que la procédure suivie
n'[avait] pas été contradictoire ».
Un second point retiendra l'attention : le requérant
estimait que le refus du conseil national de renvoyer
l'affaire à une autre audience en raison de l'absence
de son avocat habituel avait également emporté
violation de l'article 6 de la Convention. Néanmoins,
la Cour note qu'un collaborateur de son avocat était
présent à cette audience, et avait pris la parole pour
exposer la défense de son client. Partant, elle juge
mal fondé le grief invoqué. Si la Cour de Strasbourg
se montre en effet plus protectrice que la chambre
criminelle de la Cour de cassation du droit pour une
personne mise en cause d'être assistée par le
défenseur de son choix, la protection ne peut tout
de même pas s'étendre infiniment. Car, si le fait
Page
I 17
d'être représenté par un avocat commis d'office qui
ne connaît pas le dossier plutôt que par son
défenseur habituel est indéniablement préjudiciable
à la défense, celui d'être représenté par un
collaborateur à qui l'avocat a pu exposer le dossier
l'est beaucoup moins (sur ces questions, V. F. SaintPierre, La nature juridique des droits de la défense
dans le procès pénal, D. 2007. 260 ; Crim. 24 mai
2006, AJ pénal 2006. 412, obs. Leblois-Happe ; RSC
2006. 847, note Filniez).
Pour terminer, on notera le montant de la
satisfaction équitable réclamée par le requérant :
plus de 4 400 000 € en réparation du préjudice
matériel né de sa perte d'activité et de la perte
d'une partie de sa retraire, ainsi que 2 000 000 au
titre du dommage moral ! L'appréciation de la Cour,
qui estime, d'une part, qu'aucun lien de causalité ne
se trouve établi entre la violation de l'article 6 et le
préjudice matériel allégué, et d'autre part, que le
tort moral subi par le requérant est suffisamment
réparé par le constat de violation auquel elle est
parvenue, sera de nature à rassurer contre la
mercantilisation excessive du contentieux de la
réparation devant la Cour européenne des droits de
l'homme… (V. J.-F. Flauss, Réquisitoire contre la
mercantilisation excessive du contentieux de la
réparation devant la Cour européenne des droits de
l'homme ; à propos de l'arrêt Beyeler c. Italie du
28 mai 2002, D. 2003. 227).
Risque de récidive
criminelle :
adoption définitive
PL tendant à amoindrir le risque
de récidive criminelle
Le Parlement a définitivement adopté, le 25
février 2010, le projet de loi tendant à
amoindrir le risque de récidive criminelle et
portant diverses dispositions de procédure
pénale. Ce texte complète la loi n° 2008-562
du 25 février 2008 et renforce les obligations
auxquelles peuvent être soumis, après leur
libération, dans le cadre des mesures de
sûreté, les criminels condamnés à de lourdes
peines.
Le texte présenté par le gouvernement entendait,
rappelons-le, tirer les conséquences de la censure
prononcée par le Conseil constitutionnel le 21 février
2008 (V. Dalloz actualité, 25 févr. 2008, obs.
Allain),
en
s'appuyant
notamment
sur
les
conclusions du rapport commandé par le président
de la République à Vincent Lamanda (V. Omnidroit,
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
13 juin 2008). Il avait été durci par les députés et
enrichi d'un volet consacré à la « castration
chimique » (sur l'examen du texte par les députés,
V. « Risque de récidive criminelle : adoption en
première lecture par les députés », Lettre
Omnidroit, 2 déc. 2009, p. 16).
En ce qui le concerne, le Sénat avait accepté de
porter de un à deux ans la durée des périodes de
surveillance de sûreté et accepté de réduire de dix à
sept ans la durée des condamnations pouvant
donner lieu à l'application de la surveillance
judiciaire ; en revanche, il avait refusé de modifier
la durée minimale de quinze ans d'emprisonnement
pour les condamnations entrant dans le champ de la
surveillance de sûreté. Il avait, en outre, modifié
l'encadrement législatif proposé pour la prescription
médicale de traitements inhibiteurs de la libido aux
criminels sexuels, afin de concilier la protection de
la société et le respect des règles de déontologie
médicale
(saisine
systématique
du
médecin
coordonnateur en cas de cessation, contre l'avis du
médecin traitant, du traitement médical dans son
ensemble, et non seulement antihormonal ;
possibilité et non-obligation pour le médecin,
d'informer le juge de l'application des peines du
refus de commencer ou de poursuivre un traitement
anti-libido).
Au terme des lectures à l'Assemblée nationale et au
Sénat, le nombre d'articles est passé de neuf dans
le projet de loi initial à vingt-deux. Six ont été
adoptés conformes, dont l'article 1er, A, qui permet
de placer en rétention ou surveillance de sûreté une
personne condamnée en récidive pour les crimes
non aggravés de meurtre, torture ou actes de
barbarie, viol, enlèvement ou séquestration, ou
encore l'article 8, qui permet l'inscription au casier
judiciaire des décisions d'irresponsabilité pénale
assorties d'une hospitalisation d'office. Des points
de désaccord subsistaient sur cinq articles et,
précisément, sur les points suivants : le seuil de
placement en surveillance de sûreté (art. 4 et 5
ter), l'enregistrement de certaines données au
répertoire des données à caractère personnel
collectées dans le cadre des procédures judiciaires
et l'inscription dans la loi d'une durée maximale de
conservation (art. 5 bis), l'avis obligatoire de la
commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté
avant un placement sous surveillance électronique
mobile dans le cadre d'une surveillance judiciaire
(art. 5 ter) et l'entrée en vigueur des dispositions de
la loi (art. 8 ter).
Au final, la commission mixte paritaire a adopté la
plupart des modifications adoptées par les
sénateurs pour « rééquilibrer » le texte. Ainsi, sur la
possibilité de prononcer une surveillance de sûreté à
l'encontre
d'une
personne
soumise
à
une
surveillance judiciaire et à laquelle toutes ses
réductions de peine ont été refusées (art. 4 ;
art. 723-37 c. pr. pén.), il a été décidé de maintenir
à quinze ans le seuil - abaissé à dix ans par les
députés - à partir duquel la surveillance de sûreté
peut être ordonnée.
Page
I 18
S'agissant de la création d'un répertoire des
données à caractère personnel dans le cadre des
procédures judiciaires (art. 5 bis), il a été proposé
de rétablir l'enregistrement des « examens »
(vocable jugé trop flou par les sénateurs) dans le
répertoire, en chargeant le gouvernement de tenir
compte de ces observations dans la rédaction du
décret d'application qui fixera la liste précise des
documents qui seront conservés ; il a, en outre, été
décidé de maintenir à trente ans la durée de
conservation des données.
Sur le renforcement de l'efficacité des dispositions
relatives à l'injonction de soins et à la surveillance
judiciaire (art. 5 ter), il a été décidé de rendre
facultatif l'avis de la commission pluridisciplinaire
des mesures de sûreté pour le placement sous
surveillance électronique mobile dans le cadre de la
surveillance judiciaire ; par ailleurs, le médecin
traitant sera autorisé, en cas d'absence du médecin
coordonnateur, à informer directement le juge de
l'application des peines de l'interruption de
traitement.
Enfin, il a été décidé que la loi entrerait en vigueur
immédiatement après sa publication - et non au
1er janvier 2012, comme en avait décidé le Sénat.
l'enquête », qui sera confiée à un « juge de
l'enquête et des libertés », magistrat du siège
« présentant les mêmes garanties statutaires
d'indépendance que l'actuel juge d'instruction ».
Pour la ministre, l'avant-projet place tous les
citoyens, victimes ou parties, à égalité dans
l'exercice de leur droit, permettant aux uns et aux
autres de contester les actes ou l'inaction du
parquet.
La garde à vue sera également réformée, dans le
sens d'une limitation de son usage aux « strictes
nécessités de l'enquête » ; un régime d'audition
libre devrait être créé et les modalités d'intervention
de l'avocat redéfinies (sur ces propositions, V. déjà,
« Garde à vue : absence d'avocat validée par la
cour d'appel de Paris », Lettre Omnidroit, 17 févr.
2010, p. 14).
La ministre a précisé qu'une « très large
concertation », de deux mois environ, serait menée
sur cet avant-projet associant, « dans un esprit de
transparence et d'écoute », « l'ensemble des
acteurs de la procédure pénale » (syndicats de
magistrats, de fonctionnaires du ministère de la
justice,
de
policiers,
représentants
de
la
gendarmerie, des avocats, associations de victimes,
représentants
institutionnels
et
associations
professionnelles de la justice).
La même méthode sera adoptée pour le futur texte
portant réforme des phases de jugement et
d'application des peines.
Réforme de la procédure
pénale :
orientations et méthode
La ministre de la justice a présenté, lors du
conseil des ministres du 23 février 2010, une
communication portant sur les orientations et
la méthode de la réforme de la procédure
pénale.
Michèle Alliot-Marie a précisé qu'un avant-projet de
loi relatif à la phase d'enquête, répondant aux
souhaits exprimés par le président de la République
en janvier 2009 (sur le discours prononcé par le
président lors de la rentrée solennelle 2009 de la
Cour de cassation, V. not. « Modernisation du droit
pénal : les orientations présidentielles », Lettre
Omnidroit, 14 janv. 2009, p. 19) et suivant les
recommandations de la commission Léger (sur le
rapport consacré à la phase préparatoire du procès
pénal, V. « Rapport d'étape sur la phase
préparatoire du procès pénal », Lettre Omnidroit,
18 mars 2009, p. 13), a été préparé par un groupe
de travail comprenant des magistrats, des
universitaires, des avocats et des parlementaires. Ce
texte consacre « une véritable séparation entre
l'autorité d'enquête et la fonction de contrôle de
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Les contrats d'assurance-vie
restent taxables à l'ISF
en dépit de l'acceptation
du bénéficiaire
Rép. Dolez : AN 16 févr. 2010 p. 1691
n° 18648
Un contrat d'assurance-vie conserve son
caractère rachetable en dépit de l'acceptation
par le bénéficiaire et doit donc être compris
dans le patrimoine imposable à l'ISF du
souscripteur.
1. Le régime fiscal des contrats d'assurance-vie au
regard de l'ISF résulte des dispositions de
l'article 885 F du CGI qui tiennent compte du
caractère rachetable ou non de ces contrats.
Durant
la
phase
d'épargne,
les
contrats
d'assurance rachetables sont soumis à l'ISF sur
la base de leur valeur de rachat au 1er janvier de
l'année d'imposition. Ce principe d'imposition est
Page
I 19
applicable quels que soient l'âge de l'assuré et la
date de conclusion du contrat.
Lorsque le contrat n'est pas rachetable, seules
sont imposables les primes versées après l'âge de
soixante-dix ans au titre des contrats d'assurance
souscrits depuis le 20 novembre 1991.
2. La loi du 17 décembre 2007 a expressément
prévu qu’ « après acceptation du bénéficiaire, le
stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et
l'entreprise d'assurance ne peut lui consentir
d'avance sans l'accord du bénéficiaire ». Le droit de
rachat étant alors purement conditionnel, peut-on
encore analyser le contrat comme rachetable et, par
suite, imposable à l’ISF chez le souscripteur ?
Oui, répond l’administration. Pour elle, le contrat
accepté conserve son caractère rachetable en dépit
du fait que l’exercice de ce droit de rachat est
subordonné à l’accord du bénéficiaire. Sa valeur de
rachat doit donc être comprise dans le patrimoine
taxable à l’ISF du souscripteur.
Reste à savoir si les tribunaux feront la même
analyse.
l’associé retrayant. Dans l’affaire soumise à la Cour,
celui-ci avait reçu, en contrepartie, des immeubles
appartenant à la société.
Juridiquement, l'opération de retrait s'analyse
comme un rachat de droits sociaux. Le
contribuable en déduisait qu’il s’agissait donc d’une
vente au sens de l’article 1115 du CGI.
Mais l'opération de retrait ne confère à l'associé que
le droit au remboursement de la valeur de ses
droits sociaux (Cass. 1e civ. 3-6-1998 n° 982 D). La
Cour de cassation refuse en conséquence de
l’assimiler à une vente, que le remboursement se
traduise par le paiement d'une somme d'argent ou
par l’attribution, comme en l’espèce, d’un bien en
nature.
3. La solution garde tout son intérêt à compter de
l'entrée en vigueur au lendemain de la publication
de la loi de finances rectificative pour 2010 de la
réforme « Warsmann » (opérant une profonde
modification des règles de TVA applicables à
l'immobilier). Celle-ci maintient le régime des
achats en vue de la revente en l'étendant à tous les
assujettis et en allongeant à cinq ans le délai de
revente.
Marchands de biens :
Dirigeants et salariés
le retrait d'une société
de sociétés de capitaux
ne constitue pas
une revente de droits sociaux peuvent déduire les frais
d'acquisition de titres
Com. 2 févr. 2010, n° 09-10.384
Applicant les principes du droit civil, la Cour de
cassation refuse, pour l'application du régime
de faveur des marchands de biens, d'assimiler
le retrait de société à une revente des titres.
1. À l’exclusion de celles entrant dans le champ
d’application de la TVA immobilière, les acquisitions
de titres de sociétés immobilières peuvent bénéficier
d’une exonération de droits de mutation si le
marchand de biens s’engage à les revendre dans un
délai de quatre ans (CGI art. 1115). Le défaut de
revente dans le délai entraîne la déchéance du
régime.
Si la cession de droits sociaux à un tiers constitue
sans conteste une revente, la question du retrait de
l’associé était inédite.
2. Le retrait volontaire d'un associé peut être prévu
par les statuts ou autorisé par une décision des
autres associés prise à l'unanimité. Le retrait
s’effectue au moyen d'une réduction du capital social
réalisée par annulation des parts sociales de
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Inst. 28 janv. 2010, 5 F-6-10
Lorsqu'ils sont utiles à l'acquisition ou à la
conservation de leur revenu, les frais
supportés par les salariés et dirigeants pour
acquérir les titres de la société dans laquelle
ils exercent leur activité sont déductibles de
leur revenu imposable.
1. Afin de faciliter la transmission des titres de
sociétés de capitaux, la loi de finances rectificative
pour 2008 autorise sous certaines conditions les
salariés et dirigeants à déduire les intérêts
d’emprunt
et
autres
frais
supportés
pour
l’acquisition des titres de l’entreprise dans laquelle
ils exercent leur activité principale.
2. Ouvrent droit à la déduction les acquisitions de
titres d’entreprises soumises à l’impôt sur les
sociétés, de plein droit ou sur option, qui exercent
dans les secteurs industriel, commercial, artisanal,
agricole ou libéral.
Page
I 20
Sont exclues de la mesure les sociétés ayant une
activité de gestion d’un patrimoine mobilier ou
immobilier (sociétés civiles de portefeuille, SCI…).
En revanche, l’administration accepte sa mise en
œuvre en cas d’acquisition de titres d’une holding
animatrice.
3. La loi pose en outre une condition relative à
l’utilité des titres pour l’acquisition ou la
conservation des revenus du salarié ou dirigeant, qui
doit être établie au vu des circonstances de fait.
Dans un certain nombre de situations concrètes,
l’administration estime qu’elle est remplie. Tel est le
cas s’agissant des titres de sociétés constituées en
vue de l’exercice d’une profession réglementée,
lorsqu’un pourcentage minimal de leur capital doit
être détenu par des professionnels. Les avocats,
experts-comptables ou encore les pharmaciens sont
ainsi assurés de la déduction des frais supportés
pour l’acquisition des titres d’une SEL au sein de
laquelle ils exercent leur activité.
D’une manière plus générale, toute acquisition de
titres qui permet à un contribuable d’accéder à des
fonctions de dirigeant ou de prendre le contrôle
de la société qu’il dirige ouvre droit à la déduction.
L’administration refuse en revanche l’application du
dispositif lorsque l’acquisition n’a aucun effet sur la
situation professionnelle de l’intéressé.
4. Les frais admis en déduction s’entendent de
toutes les dépenses supportées pour l’acquisition ou
la
souscription
des
titres :
commissions
d’intermédiaire, honoraires, frais d’actes, frais liés
aux emprunts (intérêts, frais de dossiers, cotisations
d’assurance). Sont en revanche exclus les frais de
garde des titres.
5. Les frais financiers admis en déduction de la
rémunération
imposable
sont
ceux
qui
correspondent à la part de l’emprunt dont le
montant est proportionné à la rémunération
annuelle perçue ou escomptée à la date de sa
souscription. L’administration estime que cette
condition de proportionnalité est satisfaite
lorsque le montant de l’emprunt n’excède pas le
triple de la rémunération allouée ou escomptée.
Son respect est vérifié en prenant en compte le
revenu net imposable dans la catégorie des
traitements et salaires perçu par le contribuable au
titre de son activité dans la société, avant déduction
des frais professionnels. Les sommes réparties au
titre des différents dispositifs d’épargne salariale
(participation, stock-options, attribution gratuite de
titres ou intéressement) ne sont pas retenues.
Les travaux
de reconstruction
ne sont pas déductibles
des revenus fonciers
CAA Douai 17 nov. 2009 n° 08-473
Même effectués en vue de la conservation du
revenu foncier, les travaux de reconstruction
ne sont pas déductibles de ce revenu.
1. L’article 31 du CGI énumère les dépenses
déductibles des revenus fonciers. Parmi ces
dépenses, figurent notamment les dépenses
d’entretien et de réparation, les primes d’assurance
ainsi que certaines dépenses d’amélioration à
l’exclusion des frais correspondant à des travaux de
construction,
de
reconstruction
ou
d’agrandissement.
Cette liste n’est cependant pas limitative. En effet,
conformément au principe général posé par l’article
13 du CGI, sont admises en déduction l’ensemble
des dépenses effectuées en vue de l’acquisition ou
de la conservation du revenu. Ainsi, bien que non
visées par l’article 31 du CGI, sont déductibles
des revenus fonciers sur le fondement de l’article 13
:
•
•
•
les dépenses de mise en service d’un
immeuble (mise en marche de la chaufferie,
de l’ascenseur…) en vue de permettre
l’installation des locataires ;
les indemnités d’éviction versées par le
propriétaire au locataire en vue de relouer
les locaux dans de meilleures conditions ;
les frais liés à la souscription d’un emprunt
substitutif.
2. Lorsqu’une dépense est expressément exclue
des charges déductibles par l’article 31 du CGI, le
propriétaire peut-il se prévaloir de l’article 13 afin
d’obtenir la déduction de sa dépense ?
La cour administrative d’appel de Douai répond par
la négative. La règle spéciale (art. 31) l’emporte
sur la règle générale (art. 13), conformément à
l'adage « speciala generalibus derogant ».
L’objectif de conservation du revenu est indifférent
dès lors que la dépense est exclue des charges
foncières déductibles par l’article 31 du CGI ; ainsi
en est-il des dépenses de reconstruction.
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Page
I 21
Publication du décret
réformant le code de justice
administrative
Décr. n° 2010-164, 22 févr. 2010, JO 23
févr.
Un décret publié au Journal officiel du 23
février 2010 limite la compétence en premier
et dernier ressort du Conseil d'État.
Le volet réglementaire de la réforme du code de
justice administrative (V. AJDA 2009. 2316) a été
publié au Journal officiel du 23 février 2010 décret
n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux
compétences et au fonctionnement des juridictions
administratives procède, tout d'abord, comme l'avait
annoncé le président de la section du contentieux
(V. AJDA 2009. 1220) à une réduction de la
compétence en premier ressort du Conseil d'État.
Ainsi, s'agissant des fonctionnaires nommés par
décret du président de la République, la haute
juridiction n'examinera plus que les litiges
concernant le recrutement et la discipline. Le décret
fixe une liste limitative des autorités administratives
indépendantes
dont
les
décisions
relèvent
directement du Palais-Royal. Les actes dont le
champ d'application dépasse un seul tribunal seront
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
attribués au tribunal dont relève l'autorité première
dénommée dans l'acte contesté. Le contentieux des
refus de visa est attribué au tribunal administratif
de Nantes. Enfin, c'est au tribunal administratif de
Paris que reviendront les litiges qui ne relèvent de la
compétence territoriale d'aucun tribunal.
Le décret, par ailleurs, crée un certain nombre
d'outils devant permettre aux magistrats d'accélérer
les procédures. Il introduit ainsi les « calendriers de
procédure » et précise les modalités de clôture de
l'instruction. Il crée également de nouvelles
formations de jugement. Au Conseil d'État, aux
traditionnelles
(deux)
sous-sections
réunies,
s'ajoute la possibilité de trois ou quatre soussections réunies, créant une alternative au renvoi
devant l'assemblée ou la section. De même, devant
les tribunaux, sont créées des formations de
chambres réunies, alternative, outre la formation
élargie, à la formation plénière. On notera
également l'introduction de la possibilité de rejet
par ordonnance au niveau de l'appel dans le
contentieux des obligations de quitter le territoire.
Le décret comporte aussi des dispositions relatives à
l'expertise, organisant notamment la récusation de
l'expert ou permettant au juge de faire face à la
carence des parties. Est également créée une
nouvelle mesure d'instruction : la demande d'avis
sur une question technique. Enfin, le texte instaure
l'amicus curiae (V. AJDA 2008. 4). Le juge pourra
inviter « toute personne, dont la compétence ou les
connaissances seraient de nature à l'éclairer » à
produire « des observations d'ordre général ».
Page
I 22
Étude en avant-première
Le bilan patrimonial : une approche scientifique de la gestion
de patrimoine
Par Patrick Dufour, Directeur associé, ASP Consulting, Fondateur et administrateur de
CGPC
La gestion de patrimoine repose sur une technique sophistiquée pour atteindre les objectifs
recherchés par un client et sur des fondements scientifiques. L'adaptation de l'approche dite
« systémique » à l'élaboration d'un vrai service de diagnostic patrimonial en est la preuve.
1. Tous les organismes financiers ou indépendants ayant une
clientèle privée à flux (revenus élevés) ou à stocks (actifs
financiers diversifiés et de précaution) offrent un service dit de
« bilan » ou « diagnostic » patrimonial.
Cette démarche recouvre plusieurs aspects selon l’intervenant :
de l’outil marketing pour vendre davantage de produits financiers à
une véritable approche technique aidant l’épargnant ou
l’investisseur dans ses prises de décisions et tendant à le protéger.
La gestion de patrimoine, métier encore méconnu, a-t-elle une
autonomie et des fondements ?
Pour une présentation juridique des différentes professions intervenant dans la
gestion de patrimoine, voir le Mémento Droit de la famille 2010-2011, Editions
Francis Lefebvre, n°s 76000 s.
I. La technicité pour distinguer conseil financier et
conseil en gestion de patrimoine
2. Pendant de nombreuses années, le terme « gestion de
patrimoine » a été utilisé à tort et à travers faute de définition
précise. Aujourd’hui, les professionnels du monde entier se sont
entendus sur une définition commune en créant la norme ISO (ISO/FDIS 22222 - 2005) : « En tant que
service fourni par un conseiller en gestion de patrimoine, le processus de conseil en gestion de patrimoine
doit comprendre, sans s’y limiter, six étapes pouvant se répéter tout au long de la relation entre le client et
le conseiller en gestion de patrimoine ; le conseiller doit utiliser des procédures documentées pour résoudre
toutes les plaintes et réclamations du client et être soutenu par des plans financiers de sécurité, des
opérations, de gestion des risques et de continuation de l’activité ».
3. La finalité est donc de déterminer les forces et les faiblesses d’une situation familiale patrimoniale
incluant son environnement :
•
•
•
juridique : situation maritale, libéralités, mise en société civile, mode de détention d’actifs, etc. ;
financier : revenus/dépenses, allocation d’actifs, passifs ;
social : protection contre les risques de la vie (décès, invalidité, maladie, perte d’activité, vieillesse,
etc.).
Les forces représentent les fondations sur lesquelles les solutions vont pouvoir être bâties.
4. Cette approche dite « patrimoniale » requiert du savoir dans un nombre important de domaines (droit,
immobilier, finance et patrimoine social) ainsi que du savoir-faire (pratique et connaissance des étapes
nécessaires). Les opérations doivent se dérouler dans le respect des lois françaises (inscription à l’Orias,
inscription au registre des conseillers en investissements financiers ou CIF sur le site de l’Autorité des
marchés financiers, détention de cartes immobilières, de cartes de démarchage, assurances, compétence
juridique appropriée, etc.), des directives de Bruxelles (Mifid) et des conventions inter-pays. La directive
européenne 2004/39/CE, modifiée par la directive 2006/31/CE, vise notamment « à renforcer la protection
OMNIDROIT
I Newsletter N°88 I 03.03.2010
Page
I 23
des investisseurs en fixant des normes minimales concernant le mandat et les pouvoirs dont doivent
disposer les autorités nationales compétentes et en établissant des mécanismes efficaces de coopération en
temps réel pour instruire les cas d'infraction à la directive et engager des poursuites ».
5. Il ne faut pas confondre conseil financier et conseil en gestion de patrimoine. On peut les distinguer de
la façon suivante :
•
•
le conseiller financier règle un problème patrimonial de l’épargnant/investisseur (fiscalité,
allocation d’actifs, complément retraite…) en s’assurant que son client a la capacité de mettre en
œuvre la solution préconisée (risque et financement) ;
le conseiller patrimonial réalise un diagnostic global et intervient sur au moins deux problèmes
(Conseil international Financial Planning Standards Board, Tokyo 21 avril 2009).
Seule la technicité du gestionnaire de patrimoine apportera une réponse efficiente globale. L’offre est
pléthorique mais peu d’intervenants répondent à ces standards.
II. La recherche de fondements scientifiques : l’approche systémique
La gestion de patrimoine : un système complexe
6. La gestion de patrimoine peut être qualifiée de situation complexe où il faut pouvoir comprendre,
raisonner et agir en embrassant une multitude de critères et de paramètres en interaction. Le fait de
toucher un élément (changer une allocation d’actif, introduire une action de défiscalisation, se dessaisir d’un
bien par donation, etc.) peut produire un effet « de château de cartes » et une modification apportée à
l’équilibre originel peut déboucher sur une instabilité dangereuse, voire une catastrophe. Pour l’observer, il
faut faire appel à des outils sophistiqués largement utilisés par les scientifiques.
L’approche systémique
7. L’approche dite « systémique » a été créée au milieu du XXe siècle par des scientifiques conscients des
limites de l’approche analytique (voir notamment : Daniel Durand « La systémique » Que sais-je ? PUF).
Déjà, pour Goethe (reprenant Aristote) : « Le tout est plus que la somme des parties ». Jusqu’alors, toute
approche scientifique était calée sur la méthodologie cartésienne qui consistait à découper, à décomposer
en éléments de base (par exemple l’électron pour expliquer l’électronique) et à regarder un nombre défini
d’éléments réagir entre eux (Descartes : « Le tout est la somme des éléments »). L’approche systémique
est une méthode de réflexion et d’action visant à décoder des situations hypercomplexes. Pour
l’économiste René Passet : « Le relationnel prime sur la rationalité de chaque composant ». Il est plus
important d’étudier les liens que les éléments. L’originalité de la méthode réside également dans le
traitement simultané des effets et des causes : les deux sont étroitement imbriqués et l’étude des effets
permettra de faire apparaître les causes et les remèdes possibles.
8. L’unité d’étude est le système constitué d’un ensemble d’éléments en interaction. En gestion de
patrimoine, l’enveloppe du système est la cellule familiale et son contenu, à savoir l’ensemble des
revenus, dépenses, actifs et passifs, etc. Ces éléments réagissent entre eux et avec l’extérieur (influence du
CAC 40, des lois de finances, etc.). L’objectif commun est l’équilibre financier du client.
9. Au lieu de dissocier les éléments du plus compliqué au plus simple (méthodologie cartésienne), on
observera globalement la réaction de l’ensemble à toute sollicitation (retraite, décès, augmentation des
revenus ou des dépenses, changement d’allocation d’actifs, etc.). En systémique, on ne travaille pas sur la
réaction d’un élément isolé mais bel et bien sur le comportement de l’ensemble.
10. Exemple pratique en gestion de patrimoine : la défiscalisation immobilière. Pour établir le bienfondé d’un tel investissement, il est indispensable de regarder l’impact fiscal immédiat, mais ce n’est pas
suffisant. Tout investissement consiste à arbitrer entre plusieurs opportunités : la même somme pourra être
investie pour accroître ses revenus, préparer sa retraite ou sa succession, par exemple. Il faudra également
regarder l’évolution dans le temps : à un terme de 10 ans, l’investissement aura-t-il bien été créateur de
richesse ? La prise de risque additionnelle était-elle pertinente ? L’investissement a-t-il bien compensé le
retard pris dans la constitution d’une réserve retraite ou successorale ?
Illustrons notre propos avec l’arrêt de la cour d’appel de Paris où la première condition d’impact fiscal n’avait pas été appréhendée
correctement compte tenu de la situation fiscale particulière du client (CA Paris 07/4094 du 29-1-2009 : L’Actualité Vos droits, votre
argent, Editions Francis Lefebvre n° 5/2009 p. 30). Il s’agissait d’un agent général d'assurance à la recherche d'un produit de
défiscalisation. Un professionnel de la gestion de patrimoine lui recommande un investissement outre-mer sous forme de prise de
participation dans une société en nom collectif (SNC). L'investisseur fait par la suite l'objet d'un redressement fiscal sur ses revenus
professionnels. En effet, l'abattement de 20 % dont il bénéficie est exclusif de la perception de tout autre revenu professionnel. Il est donc
remis en cause du fait de sa participation à la SNC. L'intéressé assigne alors le conseil en gestion de patrimoine pour manquement à son
devoir de conseil et d'information et obtient 40 000 € de dommages et intérêts, soit la quasi-totalité du montant du redressement. Le CGPI
aurait dû procéder aux vérifications qui s'imposaient avant de proposer une solution à son client. Il a donc commis une faute en lui
conseillant un produit de défiscalisation inadapté à sa situation personnelle et de nature à le priver d'un avantage fiscal.
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Le processus systémique
11. La systémique est un processus qui comporte les étapes suivantes pour comprendre le fonctionnement
d’un système, en définir les forces et faiblesses et corriger ses défauts :
Étape 1 : définition du système (en gestion de patrimoine, ce sera la collecte des données) ;
Étape 2 : modélisation du comportement (analyse de la situation ; constat chiffré de la situation actuelle
et de l’impact dans le futur : retraite, décès) ;
Étape 3 : détermination des points forts et des points faibles (diagnostic proprement dit) ;
Étape 4 : simulations pour définir le scénario le plus approprié (simulations proposées par les fournisseurs
de solutions). La démarche de vente arrive en 4e position au lieu d’être au 1er rang.
Étape 5 : contrôle régulier (mise à jour régulière du bilan patrimonial).
À ces étapes, il faut ajouter quelques constats pour caractériser un système.
Les constats fondamentaux
12. Notion de plus grande entropie (ou de chaos). Un système qui n'échange pas avec l'extérieur ne
peut s'améliorer et tend à disparaître puisqu'il n'y a pas de régulation. En gestion de patrimoine, on observe
une dégénérescence des situations patrimoniales qui ne sont pas sous contrôle : un portefeuille de
valeurs mobilières non géré devient une source de pertes, au mieux de non-enrichissement par nonéchange avec l'extérieur (achat d'immobilier, de valeurs, d'assurance, etc.). Pour le conseiller patrimonial,
c’est un argument à faire valoir pour auditer régulièrement la situation du client (tendance au désordre).
Son travail consiste à remettre sans cesse en cause ce qui a été fait : un patrimoine restructuré se
déstructure immédiatement (sollicitation d’une introduction en Bourse, proposition d’un nouveau produit
bancaire, etc.). Il y a toujours une action nouvelle à envisager, contrairement à ce que pense (en toute
sincérité) un client qui s’interroge sur ce que peut (encore) lui apporter un conseiller par rapport à des
actions menées récemment.
13. Finalité. En gestion de patrimoine, on devra avant toute chose se poser la question du "pourquoi".
14. Régulation. À la fin d'une analyse, on vérifiera qu'il n'y a pas de dysfonctionnement dans les
mécanismes de régulation. Ce sera le diagnostic de l'étude patrimoniale, la détermination des forces et des
faiblesses.
15. Échange. Un système a tendance à rejeter ce qui lui est inutile et à s'approprier ce qui lui est utile.
Les excédents sont stockés dans des réservoirs.
En gestion de patrimoine, la création d’un nouveau produit financier peut être l’occasion d’une intégration
(par exemple un fonds garanti) ou d’un rejet (par exemple un Perp si la tranche supérieure d’imposition de
l’individu étudié est faible). De même, un portefeuille de valeurs mobilières, une assurance-vie, un bien
immobilier sont des réservoirs à excédent de flux.
16. Rétroaction. C’est le principe de régulation des entrées en fonction du niveau de sorties, ce qui
représente une boucle logique.
En gestion de patrimoine, une boucle sera, par exemple, le lien entre revenus et imposition : tout
accroissement de revenus sera, sauf exceptions, source d'imposition ; on devra donc moduler cet
accroissement pour que la résultante soit bien un enrichissement et non un appauvrissement et
corresponde bien à un besoin. Il est aberrant d’accroître des revenus, sources de fiscalité, pour créer de la
capacité d’épargne additionnelle (arbitrage entre Sicav de capitalisation et Sicav de revenus par exemple).
17. Coexistence des problèmes et des solutions. Dans une étude systémique, on conçoit aisément que
tout ne pourra être quantifié pour parvenir à un modèle parfait. Mais l’étude conduira à définir des
tendances : comparaison de scenarii et détermination de l'optimum en sachant qu'on n’arrivera jamais à
un absolu. Ces tendances vont révéler des absences de produits ou suggérer des ingénieries correctives.
III. De la systémique à la gestion de patrimoine
18. La systémique peut s'adapter à la gestion de patrimoine. Nous sommes bien face à un système
complexe et ouvert. Les phases du bilan patrimonial peuvent se caler sur les étapes vues précédemment
dans le processus systémique. La méthodologie développée est l’ « Approche Systémique Patrimoniale » ou
ASP.
19. Collecte des données. Cette première étape reprend la définition du système. Qu’étudie-t-on et quels
sont les éléments constitutifs de l’environnement (famille, revenus/dépenses, immobilier, assurance,
portefeuille, emprunts, objectifs) ?
20. Analyse. Dans cette étape, il s’agit de rassembler les éléments par affinités (l’immobilier, les
différents éléments de la rémunération du travail, c’est-à-dire salaire, protection sociale, systèmes de
retraite en place, etc.). Ensuite, il faut quantifier les interactions internes et externes (ceci comprend
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notamment des tableaux de budget ou des tableaux de rentabilité, de risque). Les échanges avec
l'extérieur se matérialisent, notamment, par la valeur des titres en Bourse au jour de l'analyse et les règles
fiscales. Puis l’analyste devra dynamiser en introduisant le facteur temps : quelle évolution dans le temps
si on ne touche à rien (budget retraite, budget en cas de décès, droits de succession, évolution de la
protection sociale, etc.) ?
21. Diagnostic. Le médecin traitant ne formule un diagnostic et ne peut attaquer un traitement que s'il a
reçu les analyses de sang, radiographies, IRM, scanner... nécessaires à une vision globale de son patient ; il
ne se borne pas à répondre à une question posée par le malade et ne s’arrête pas à un simple symptôme.
L’analyse patrimoniale fournit au conseiller en gestion de patrimoine ses « IRM ». Il peut ensuite définir les
points forts et faibles et les hiérarchiser (du plus urgent au plus futile).
22. Préconisations. Cette phase regroupe la recherche des différentes solutions possibles pour
corriger les faiblesses. Les solutions seront juridiques, financières, immobilières, bancaires (emprunt) et/ou
d’assurance. Il n’y a pas de solution miracle ; on peut soit trouver un meilleur compromis en panachant
plusieurs possibilités, soit sélectionner la moins nocive sur le reste du patrimoine. On sait bien qu'avec un
« traitement » sous forme de réduction d'impôts, on a une réaction en chaîne qui provoque un gain en
impôt (sauf bouclier fiscal) mais qu'on peut perdre en plus-value potentielle ; on accroît souvent un risque,
on baisse le niveau de protection sociale, on augmente les droits de succession.
La comparaison pourra se faire par le biais de simulations.
23. Mise en œuvre. En gestion de patrimoine, il s'agit de la mise en œuvre du plan défini en concertation
avec le client : sélection des produits, intervention du juriste, discussion avec son assureur, visite de biens
immobiliers, etc.
24. Suivi. Les éléments du système peuvent changer (modification de la situation familiale avec la
naissance d'un enfant, changement professionnel, etc.) ; il en est de même pour les dépendances avec le
milieu extérieur au système : modification des lois fiscales ou civiles, effondrement des cours de la Bourse
ou du marché immobilier. Il est donc indispensable de vérifier très régulièrement si les solutions retenues
sont toujours en adéquation avec les problématiques du client et l’environnement juridique, fiscal et
économique.
IV. Conclusion
25. La gestion de patrimoine, telle que nous la définissons avec son processus rigoureux et les codes de
bonnes pratiques sous-jacents, est un métier à part entière qui dispose d’un fondement technique très
rigoureux, calé sur une approche scientifique. Son application nécessite de la part des praticiens une
excellente connaissance des savoirs (droit, fiscalité, marchés) et une parfaite maîtrise du processus (savoirfaire).
Les directives européennes et leurs applications nationales (CIF en France) cherchent plus à protéger les
opérations financières, essentiellement boursières. D’autres qualités sont requises en plus de la régularité
des transactions, du contrôle des capacités financières du client et de sa capacité à faire face au risque : ce
sont la formation, l’éthique, l’expérience, le comportement avec le client pour parfaire le service qui lui est
rendu. L’approche globale de sa situation n’est pas encore suffisamment examinée (aspect juridique, aspect
budgétaire, protection et prévoyance de la famille notamment).
Ces qualités doivent être acquises, entretenues et attestées par des tiers dans leur spécificité (diplôme de
master en gestion de patrimoine pour le savoir et certification professionnelle tels CGPC / Certified Financial
Planners et ISO 22 222 pour le savoir-faire) pour apporter des garanties à l’épargnant/investisseur et bien
défendre ses intérêts.
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