Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi

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Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi
Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 15 décembre 2010
N° de pourvoi: 09-41099
Non publié au bulletin Cassation partielle
Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président), président
SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 4121-1 du code du travail ;
Attendu, d'abord, que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail,
en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit
d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit,
dans le cas contraire, d'une démission ;
Attendu, ensuite, que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en
matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette
obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou
morales, exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des
mesures en vue de faire cesser ces agissements ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que Mme X... a été engagée le 7 février 2001, en qualité
de chef comptable, par la société Eole-Res ; que le 7 juillet 2006, un vif incident l'a
opposée à son supérieur hiérarchique, M. Y..., à la suite duquel elle a été placée en arrêt
de travail ; qu'elle a pris acte de la rupture aux torts de l'employeur le 10 août 2006 et a
saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail
s'analysait en une démission et débouter Mme X... de ses demandes d'indemnités liées à
la rupture, l'arrêt retient que les manquements reprochés par la salariée sont sans
rapport avec la nature et la gravité des faits dont elle s'estime avoir été victime, qu'elle
ne saurait exiger de son employeur un soutien inconditionnel et une condamnation d'une
sévérité exemplaire à l'égard de M. Y... alors que les deux salariés ont concouru à
dramatiser un événement anodin qui aurait parfaitement pu se solutionner dans une
ambiance plus apaisée, que les violences reprochées se situent dans un épisode ponctuel,
aucun antécédent n'étant établi, que les blessures, qui ont été occasionnées dans des
circonstances indéterminées, ne présentaient aucune gravité, que la réaction de
l'employeur, qui a mis en garde M. Y... et lui a rappelé les règles élémentaires de
courtoisie, a été d'une parfaite objectivité et justement adaptée à la réalité de la situation
;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la prise d'acte de la rupture de son
contrat de travail s'analyse en une démission et déboute Mme X... de ses demandes
d'indemnités liées à la rupture, l'arrêt rendu le 13 janvier 2009, entre les parties, par la
cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans
l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Eole-Res aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme
de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt
sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président
en son audience publique du quinze décembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux conseils pour Mme
X... ;
MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la prise d'acte de la rupture de son
contrat de travail par Madame X... s'analysait en une démission et d'avoir, en
conséquence, déboutée cette salariée de ses demandes de dommages et intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse et de paiement des indemnités de rupture ;
AUX MOTIFS QUE le seul motif de rupture invoqué est le fait que l'employeur aurait
excusé le comportement de Monsieur Y... ce qui constituerait selon la salariée une faute
d'une gravité exceptionnelle ; que la circonstance qu'elle aurait hurlé et crié à l'encontre
de son supérieur ne pouvait justifier les violences dont elle a été victime ; que l'incident
qui s'est déroulé le 7 juillet 2006 est parfaitement isolé, la relation des faits qu'en donne
Monsieur Y... est sensiblement différente ; que celui précise qu'à son retour et alors qu'il
lui demandait des explications sur son attitude consistant à ne pas répondre au téléphone
alors qu'elle l'avait autorisé à utiliser son ordinateur et sa messagerie électronique sans
lui communiquer son mot de passe, Madame X... se serait emportée et se serait mise à
hurler ; que ce serait involontairement et malencontreusement que cette dernière se
serait heurtée à l'encadrement de la porte du bureau alors qu'il l'invitait à y entrer pour
éviter tout scandale dans les couloirs de l'entreprise ; que la version des faits donnée par
Monsieur Y... est confirmée par Monsieur Z..., salarié et témoin des faits qui relate que
«lors de son arrivée au bureau, et immédiatement, Matthieu l'a interpellé oralement
d'une manière directive, ce qui a provoqué la colère de Patricia et engendré des
hurlements de sa part avec comme sujet le fait qu'elle puisse prendre une demi journée
sans que Matthieu ne la chercher ou veuille la joindre» ; que Monsieur A..., autre salarié
a ajouté «j'ai entendu des cris proférés par Patricia venant du couloir» ; que les
blessures que déplore l'intimée se limitent à une égratignure constatée par le médecin du
travail, cette blessure étant survenue dans des circonstances imprécises ; que s'il est
indéniable que l'employeur se doit d'assurer en toute circonstance des conditions de
travail exemptes de tout risque notamment en usant de son pouvoir disciplinaire pour
sanctionner des faits émanant d'autres salariés préjudiciables à ses collègues de travail,
en l'espèce compte tenu des circonstances de la dispute intervenue entre Madame X... et
Monsieur Y..., il n'était guère envisageable de prendre à l'égard de ce dernier une mesure
autre qu'une mise en garde et de lui rappeler les règles élémentaires de courtoisie ;
qu'en aucun cas cet épisode ne rendait impossible la poursuite du contrat de travail de
l'intimée ; que dans le courrier du 26 juillet 2006 l'employeur reconnaissait que le geste
de Monsieur Y... lui paraissait inapproprié et lui indiquait qu'il avait pris les mesures
nécessaires afin qu'un tel comportement ne se reproduise plus au sein de l'entreprise ;
qu'il poursuivait qu'en raison des cris proférés avant même qu'elle n'ait été appréhendée
par le bras, les comportements respectifs des deux salariés étaient déplacés et
inappropriés ; qu'ainsi l'employeur avait pris les mesures adaptées à une telle situation
et en proportion avec l'incident qui en était à l'origine ; que les manquements reprochés
par la salariée sont sans rapport avec la nature et la gravité des faits dont elle s'estime
avoir été victime ; qu'elle ne saurait exiger de son employeur un soutien inconditionnel et
une condamnation d'une sévérité exemplaire à l'égard de Monsieur Y... alors que les
deux salariés ont concouru à dramatiser un évènement anodin qui aurait parfaitement pu
se solutionner dans une ambiance plus apaisée ; que les violences reprochées se situent
dans un épisode ponctuel, aucun antécédent n'étant établi, les blessures ont été
occasionnées dans des circonstances indéterminées ; qu'elles ne présentaient aucune
gravité, la réaction de l'employeur a été d'une parfaite objectivité et justement adaptée à
la réalité de la situation ; qu'en l'absence de manquement grave de l'employeur à ses
obligations, à défaut de toute faute caractérisée de sa part, la prise d'acte de la rupture
de son contrat de travail s' analyse nécessairement en une démission ;
ALORS D'UNE PART QUE lorsque le salarié démissionne en raison de faits qu'il reproche à
son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte et produit les effets d'un
licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le
cas contraire, d'une démission ; que l' atteinte à l'intégrité physique ou morale de son
salarié constitue un grave manquement de l'employeur à ses obligations; que dès lors, la
Cour d'appel qui a constaté la réalité des violences exercées par Monsieur Y..., supérieur
hiérarchique de Madame X... à l'encontre de celle-ci, peu important qu'il s'agisse d' un
épisode ponctuel, n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui
en découlaient au regard des articles L 1231-1 et L 1235-1 du Code du travail (anciens
articles L 122-4 et L 122-14-3) et a violé lesdits textes ;
ALORS D'AUTRE PART QU' il résultait des pièces versées aux débats que les faits
survenus le 7 juillet 2006, qui avaient provoqué chez Madame X... un état de choc
émotionnel constaté le jour même par le médecin du travail, suivi d'une anxiété
persistante, constatée par son médecin traitant et ayant nécessité la prolongation de son
arrêt de travail, avaient été reconnus comme accident du travail par la CPAM du
VAUCLUSE ; qu'il importait peu dès lors que les blessures physiques présentées par la
salariée se soient limitées à une simple égratignure, les séquelles d'ordre psychologiques
portant atteinte à son intégrité morale étant de nature à établir un manquement grave
de l'employeur à ses obligations et à justifier la prise d'acte de la rupture par cette
dernière ; qu'en excluant néanmoins tout manquement grave de l'employeur à ses
obligations contractuelles sans rechercher si les séquelles psychologiques et morales
ressenties par Madame X... n'étaient pas de nature, à elles seules, à justifier la prise
d'acte de la rupture, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale
au regard des articles L 1231-1 et L 1235-1 du Code du travail (anciens articles L 122-4
et L 122-14-3).
Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes du 13 janvier 2009