Violences conjugales

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Violences conjugales
CIDFF/BAV du CALVADOS
BUREAU D’AIDE AUX VICTIMES
Violences conjugales
Prise en charge de victimes
Prise en charge d’auteurs
CIDFF
10 Rue Roger Aini – Résidence St Ursin
14100 LISIEUX
 02 31 62 32 17 – Fax 02 31 62 60 79
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DEFINITIONS DES VIOLENCES CONJUGALES
« Un processus au cours duquel un partenaire exerce à l’encontre de son conjoint, dans
une relation privée et privilégiée (mariage, concubinage), des comportements agressifs,
violents et destructeurs. »
Jean AUDET et Jean-François KATZ
Il ne s’agit pas d’une simple détérioration de l’entente du couple, mais d’une relation
inégalitaire entre les partenaires. Ces violences à caractère récurrent sont toujours dirigées
contre la même personne.
Dans le rapport HENRION de 2001
La violence conjugale est distincte de la dispute du couple ou de conflits sur des sujets
touchant l’organisation familiale. Elle suppose un rapport de force, accompagné
d’agressions physiques ou mentales, afin de faire céder l’autre, le plus souvent la femme.
Jean-Pierre VOUCHE
(in De l’emprise à la résilience - 2009)
Ces définitions révèlent que:
 la victime peut aussi bien être une femme qu’un homme, de même sexe ou de sexe
différent de l’auteur des violences,
 les violences ont un caractère répété et cyclique.
 les violences peuvent se produire durant une relation, mais également lorsqu’il y a
rupture, ou après la fin de la relation,
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Le CIDFF du Calvados a mis en place en 1998 un groupe de parole destiné à des femmes
victimes de violences conjugales. Le financement de ce groupe est assuré par la Délégation
Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité, la Caisse d’Allocations familiales, le Conseil
Général et la Direction Départementale de la Cohésion Sociale.
Par la suite, la nécessité est apparue d’ouvrir également un groupe de responsabilisation pour
les auteurs de violences. Ce document présente ici le résultat de ce travail tant auprès des
victimes qu’auprès des auteurs, avec de nombreuses citations des participantes et des
participants. Tous les prénoms ont été changés.
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PREMIERE PARTIE
GROUPE DE PAROLE
DE FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES
1. HISTORIQUE
Le 24 avril 1998, le CIDFF 14 a ouvert le « Lieu de paroles », répondant ainsi à une double
demande :
 Celle exprimée, auprès de nos services, par les femmes victimes de violences,
auprès de nos services, d’avoir un lieu où elles puissent parler de leur souffrance et partager
leur expérience annihilante en toute liberté et sans préjugés.
 Et celle émanant des structures ouvertes au public (travailleurs sociaux, police,
gendarmerie…) qui sont désarmées pour gérer ce type de situation.
Ce lieu favorise la verbalisation de leur ressenti en étant écoutées et entendues sans jugement.
Cet espace neutre constitue pour elle l’endroit de réflexion, de compréhension des
mécanismes de violences, de prise de conscience de leur situation et de leur possible
reconstruction.
2. OBJECTIFS DE L’ACTION
2.1 Objectif général :
Il s’agit de mettre à la disposition de ces femmes un lieu d’écoute et une équipe de
professionnels qui permettent de :
 Se libérer du poids du traumatisme,
 Briser l’isolement,
 Sortir du statut de victime induit par l’agression continue.
En encourageant l’affirmation de soi et la création de liens significatifs
2.2 Objectifs opérationnels :
 Verbaliser leur peur, leur souffrance, leur sentiment de culpabilité : « casser le tabou du
silence »,
 Identifier les séquelles des violences et les conséquences sur les relations avec l’entourage
 Mesurer la vulnérabilité de chacune devant la manipulation et les relations de pouvoir et
trouver les moyens pour progresser,
 Explorer les sentiments concernant les violences et l’auteur,
 S’exprimer sur l’image que chaque femme a d’elle-même, sur son estime de soi, sur son
rôle social et sur les mécanismes de survie qu’elle a mis en place,
 Prendre conscience des conséquences des violences sur la notion de vie de couple et sur
l’image de l’homme, retrouver une image positive de l’homme et permettre un
épanouissement de la vie amoureuse ultérieure (vie de couple),
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 Aider à prendre conscience

Des enjeux éducatifs

De la violence intergénérationnelle

Des risques encourus par les enfants témoins de violences conjugales

De la place de chacun au sein de la cellule familiale.

Des violences subies et causées à l’enfant

Des violences causées par l’enfant
Ce lieu de parole offre, entre autre aux mères de famille victimes de violences conjugales, la
possibilité d’exprimer leurs craintes concernant la protection de leurs enfants : risques de
violences à l’égard de leurs enfants, troubles et traumatismes psychologiques, peur du
placement d’enfant.
2.3 Témoignage
« Je rencontrais toujours Nathalie au Centre des Femmes victimes de violence. En janvier,
j'intégrai le Groupe de Parole que Nathalie menait avec Michel, psychologue et seul homme
du Groupe. Je trouvai là une famille, de la chaleur, de l'écoute, toutes choses dont j'étais
privée depuis des années. Ces femmes du Groupe étaient mes soeurs, nous nous serrions les
coudes, les mains, les genoux, nous enfouissions nos têtes dans les poitrines et dans les bras,
nous avions subi et accepté trop longtemps les mêmes violences. Les monstres étaient
présents, ils planaient autour de nous, les poings, les insultes, la haine et la brutalité déployés
en guise d'amour.
Lorsque Mady entra dans le groupe, le visage couvert de bleus, Zabeth et moi nous lui dîmes :
- Toi au moins, ça se voit.
On la croit, elle a aussi des photos. L'énorme hématome sur ma hanche ne fera pas le même
effet : "Oui, oui... mais votre mari dit que vous êtes tombée."
Les coups portés au visage sont les plus crédibles, ils se voient. Mais beaucoup d'hommes se
gardent bien de signer ainsi leurs violences. Ils évitent le visage.
Mady, boulangère, devait manger les gâteaux qu'elle n'avait pas vendus, elle grossissait. Elle
s'efforçait de les manger car ceux qui restaient lui étaient écrasés sur le visage. Il lui était
interdit de se rendre aux toilettes de sept heures le matin jusqu'à quatorze heures, pour des
raisons d'hygiène avait décrété Monsieur. Elle n'avalait rien, ni ne buvait, pour pouvoir tenir.
" Tolérance zéro !" hurlait-il à tous propos. Mady l'aimait, excusait tout. Quand il s'enferma
avec la vendeuse dans le fournil, disant qu'il n'y pouvait rien car " il l'avait dans la peau ",
Mady refusa d'accepter. Il l'a alors battue longtemps, et cette fois sans préserver le visage.
Je l'aimais, dit Mady, elle pleure. L'aime-t-elle encore ?
Il a voulu te tuer Mady ! Réveille-toi ! Ne l'écoute plus au téléphone te parler encore d'amour
! Il veut que tu retires ta plainte ! Mais il recommencera ! Raccroche ! Ne réponds plus !
Elle pleure. C'est vrai, dit-elle, il m'aurait tuée, je n'ai pas pu accepter, la vendeuse et lui,
sous mes yeux, c'était trop. Sans l'adultère, Mady supporterait sans doute encore les gifles, les
insultes et les gâteaux écrasés sur le visage. Raccroche ! Ne l'écoute plus ! Tu as bien maigri,
tu redeviens jolie ! Mady, raccroche ! Antoinette ne dit rien pendant plusieurs séances, tord
ses mains, est assise de guingois sur sa chaise, puis commence à parler, on ne l'arrête plus.
Elle dit la brutalité, les coups, les copains de Monsieur qu'elle est obligée d'accepter, l'un
d'eux ira jusqu'au viol, elle raconte. Antoinette est comme moi, inapte à partir. Zabeth
recommence, hésite, elle tremble, a été battue pendant trente ans, se débat dans les cicatrices,
ses enfants, ses enfants, quand on est ainsi détruite, tout est si difficile avec les enfants. Eux
aussi ont subi. Son fils, son fils ne veut plus la regarder. Lui écrire une lettre, nous sommes
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toutes d'accord, oui une lettre, nous racontons la lettre, oui dis-lui que tu l'aimes, c'est tout.
Mona, la belle et douce, et "le problème d'alcool de Monsieur". C'est de ta faute, Mona, a dit
la mère de Monsieur, tu n'as pas su l'aimer. Elle a raison peut-être dit Mona, je n'ai pas su
l'aimer. Nous crions toutes, nous crions : C'est un pervers, en plus il boit, il a cassé des
choses dans ta tête, il t'a humiliée au-delà de tout, tu as tout fait pour le sauver, pour sauver
ton couple et les enfants ; mes enfants, mes enfants répètes-tu, Mona tu ne pouvais pas faire
plus, tu serais morte, Mona tu sais bien. Mona est fatiguée, les enfants, le travail, lui se
pavane dans des belles voitures, toujours beau, impeccable, qui pourrait croire ? Il a tout et
je n'ai rien, c'est vrai Mona, c'est pareil pour moi. Les larmes ; la boîte de mouchoirs en
papier circule. Laure, le beau couple, la jolie famille dans son cadre, tout le monde sourit sur
la photo, tous paraissent heureux ; préserver, préserver à tout prix la belle image, on souffre,
on ne dit rien, on supporte. Un jour on ne peut plus, Laure en chemise de nuit sur le palier, les
cris, la police, les enfants à protéger, le beau cadre est brisé au sol, piétinée la belle image,
pardon, pardon, Maman n'en pouvait plus.
Toutes, nous nous regardons. Prendre soin de soi dit Nathalie. Se poser devant la glace, se
regarder, faire le tour des dégâts : la peau, les cheveux, les ongles, les vêtements, le coeur,
l'âme. L'estime de soi qu'il ne faut jamais perdre.
Je retire enfin mes bottes de jardin. " Viens, on t'emmène regarder les chaussures, si, si, des
chaussures !" Il faut se réhabituer à marcher avec des chaussures. Et une jupe aussi, mon
Dieu une jupe, depuis tant d'années !
Nathalie, au prochain Groupe, remarquera aussitôt la jupe et les chaussures.
- C'est bien, ça vous va bien, dira-t-elle simplement »1.
Ce texte écrit par l’une des participantes donne une idée du fonctionnement et du climat du
groupe de parole. Pour présenter plus en détails son fonctionnement il a été fait appel
également au témoignage et aux commentaires de quelques « anciennes » qui ont quitté le
groupe depuis plusieurs années et qui ont accepté de se retrouver pour échanger sur ce que le
groupe leur avait apporté.
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LE FONCTIONNEMENT DU GROUPE
3.1 Un groupe ouvert
Depuis sa création, l’animation de ce groupe de parole est assurée par Nathalie
PERRINGÉRARD, juriste victimologue et directrice du CIDFF 14, et Michel SUARD,
psychologue. Ce groupe existe depuis avril 1998. Il a accueilli à ce jour 81 femmes. Il s’agit
d’un groupe « semi-ouvert » : les participantes nouvelles sont accueillies dans un groupe déjà
constitué, quand des places se sont libérées (10 personnes maximum); elles s’engagent à
participer à 12 séances minimum (c’est-à-dire pendant 6 mois puisque les séances sont bimensuelles). Mais certaines femmes sont restées jusqu’à 2 ans dans le groupe. Ce type de
fonctionnement implique l’absence de programme pré-établi pour chaque séance. Les sujets
abordés émanent des membres du groupe, en fonction de l’actualité de telle ou telle (actualité
du couple, actualité d’une procédure engagée, actualité des relations avec les enfants…), ou
du besoin de telle ou telle, parce qu’elle est alors en mesure d’en parler, de faire un lien entre
les violences actuelles et d’anciennes situations de violence subies dans le passé ou dans
l’enfance. Par ailleurs, la présence dans le groupe de personnes plus ou moins « anciennes » et
1
Extrait du blog « cris dans un jardin » chapitre 13
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d’autres plus ou moins « nouvelles » permet aux membres du groupe d’être les acteurs de
l’intégration des nouvelles, de leur expliquer le fonctionnement du groupe. Les plus anciennes
peuvent faire découvrir aux nouvelles le chemin qu’elles vont parcourir (et ce sont les
anciennes qui vont chercher les Kleenex pour la nouvelle qui s’effondre en racontant ce
qu’elle subit), en même temps qu’elles constatent elles-mêmes le chemin qu’elles ont déjà
parcouru. Chaque entrée d’un nouveau membre donne lieu à une présentation de chacune, ce
qui constitue une évaluation partielle, puisque c’est l’occasion pour chacune de faire le point
sur ce que le groupe lui a apporté.
3.2 L’entretien préalable
Il prépare et favorise l’entrée de la femme dans le groupe. Cet entretien permet d’évaluer la
situation et de donner les règles de fonctionnement.
Cette rencontre est, selon les participantes, primordiale. Elle est le fondement même de la
prise de conscience des violences subies, mais surtout le point de départ d’une relation de
confiance avec les professionnels.
Au cours de cet entretien sont déterminés :
 le type de violences subies,
 la présence ou l’absence de conscience de l’existence des violences subies, (ainsi
en groupe cette problématique pourra être abordée par les paires)
 les capacités à pouvoir en parler,
 l’existence d’un réseau de soutien,
 l’attribution de la responsabilité
Le besoin essentiel des femmes lors de ce premier entretien est d’être rassurée tant par le
fonctionnement du groupe que par la déontologie du professionnel. Cette pratique mise en
place en 1999 est maintenue.
3.3 Les modalités concrètes
Jour de la semaine : le vendredi après-midi tous les quinze jours.
L’après-midi est un moment privilégié pour les femmes. Elles sont libérées de leurs
obligations parentales et ménagères. Par ailleurs, le mari ou le concubin ayant une activité
professionnelle ou non est moins suspicieux de voir leur épouse ou compagne s’absenter
l’après-midi. Les femmes qui ont un emploi s’arrangent pour trouver un accord avec leur
employeur.
Horaires et durée : 14h00 à 16h00
Cet horaire permet aux mères de famille d’accompagner leurs enfants à l’école et d’être à
l’heure pour les récupérer à la sortie. La durée du groupe est de 2 heures. En réalité, en raison
des thèmes abordés, de la charge émotionnelle et du nombre important de participantes, la
réunion dure souvent 2h30.
3.4 Le « règlement » du groupe
Il s’agit d’un « contrat de participation » qui se fonde sur le respect de la parole comme du
silence de chaque participante. Ceci implique une écoute attentive des autres et une absence
totale de jugement ou de réaction violente.
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Chaque participante s’engage à :
Respecter de manière absolue la confidentialité des échanges,
Ne pas communiquer à l’extérieur d’informations sur les autres participantes,
Venir régulièrement pendant au minimum 12 séances,
Etre présente à l’heure convenue,
Venir seule pour participer aux séances,
Prévenir les animateurs en cas d’absences,
Informer le groupe (participantes et animateurs) de l’intention de mettre fin à la
participation au groupe.
Certaines séances pourront être enregistrées sur bande vidéo à des fins de perfectionnement.
Les animateurs s’engagent à respecter la confidentialité et l’anonymat des participantes et à ne
faire aucune diffusion publique.
Ce lieu est ouvert à toutes les femmes quel que soit
 leur âge,
 leur situation sociale et professionnelle
La gratuité et la confidentialité sont de règle.
3.5 L’arrivée dans le groupe
On notera tout d’abord que très peu de femmes se présentent au CIDFF14 avec une demande
de participer à un groupe de parole, bien que l’information ait circulé dans la presse. C’est
donc le plus souvent lors d’entretiens individuels pour aborder un problème de violence
conjugale que la proposition est faite d’entrer dans un groupe. Cette offre est parfois refusée,
et quand elle est acceptée, c’est toujours avec une certaine réticence, et avec la crainte d’avoir
à parler de problèmes très personnels devant d’autres personnes.
Certaines participantes entrent dans le groupe aussitôt après avoir déposé une plainte à la
police, quitté leur conjoint, et consulté le CIDFF 14. Dans ce cas, elles viennent pour trouver
du soutien face à toutes les démarches qui les attendent.
D’autres connaissent la violence depuis un temps plus ou moins long (entre une récente scène
violente et 30 années de violence..), vivent toujours en couple et se posent la question de la
séparation ou du maintien du couple. Le groupe est là pour les aider à analyser leur situation
afin qu’elles prennent elles-mêmes la décision qui leur convient : rupture du couple ou bien
aménagement de la relation. La majorité de ces femmes décide finalement de se séparer. Et il
appartient aux animateurs d’être vigilants dans la conduite du groupe pour ne pas donner
l’impression que la règle du groupe est la séparation des couples, et pour que celles qui
décident de rester en couple trouvent dans le groupe les ressources dont elles ont besoin, sans
que celles qui divorcent cherchent à imposer leur choix.
La réflexion sur le maintien possible de sentiments amoureux pour le conjoint violent chez
celles qui restent en couple, comme chez celles qui sont séparées, tient une place non
négligeable dans les échanges du groupe.
Pour celles qui se sont engagées dans un divorce, à côté de l’éventuelle action en
correctionnelle pour les violences subies, la lenteur et la longueur de la procédure judiciaire
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expliquent les longues durées de participation au groupe, dans la mesure où ces femmes
éprouvent le besoin d’un soutien, différent de celui apporté par l’avocat, surtout si le jugement
de divorce se prolonge d’un appel. De plus, aussitôt après une décision judiciaire qui peut être
vécue comme une libération, il n’est pas rare que l’arrêt de la lutte entraîne une période plus
ou moins dépressive pour laquelle le soutien du groupe est aussi une nécessité.
De même, après une décision de séparation, après le départ du conjoint ou l’entrée dans un
nouveau logement, le sentiment de satisfaction et de liberté n’exclut pas la souffrance de la
solitude. Et, s’il n’est pas rare d’entendre des phrases du genre : « plus question de se remettre
avec un homme, ils sont tous les mêmes », l’expérience de telle ou telle femme du groupe qui
a fait une nouvelle expérience avec un autre homme, les amène à se poser la question de leur
devenir affectif et sentimental, à réfléchir au « besoin d’une épaule où poser ma tête ». Mais,
« grâce au groupe, nos sens ont été mis en alerte… on repère vite les signaux d’alarme… » Et
lorsque la nouvelle relation n’aboutit pas, elle n’est pas vécue comme un échec, mais comme
une expérience « Je suis fière d’avoir pu lui dire Non, de lui donner mes raisons, sans aucune
culpabilité. J’ai fait un choix libre, pour moi, c’est une victoire »
Parler de soi dans un groupe n’est pas toujours facile. Estelle, membre du groupe, a écrit ce
qu’elle a vécu, et qu’elle n’avait pas pu dire dans le groupe. « Si j’ai écrit ça, c’est pour vider
le sac poubelle que j’ai au fond de moi. Nathalie et Michel, grâce à vous je peux comme « me
nettoyer à l’intérieur » et même si mes mots ne savent pas toujours s’exprimer, c’est par mon
vécu que je peux vous aider aussi à défendre la cause des autres qui n’osent pas encore
parler. Car peut-être que si je n’arrive pas à m’exprimer par la voix, mes écrits le
remplaceront. C’est à trois heures du matin, dans mes toilettes, que je peux écrire.
Pourquoi ? C’est plus facile de salir une feuille blanche que de parler de vive voix pour se
sentir encore plus sale ».
3.6 La sortie du groupe
Parmi les 30% de femmes qui n’ont participé qu’à une ou deux séances, certaines n’ont pas
donné suite du fait d’une embauche attendue. D’autres ont pu exprimer lors d’un suivi
individuel au CIDFF 14 qu’elles n’avaient pas pu entrer dans le cercle perçu comme très
fermé des membres du groupe. Enfin celles, qui ne sont pas revenues sans donner
d’explication, ont sans doute eu aussi des difficultés à intégrer un groupe, alors que l’accueil
des nouvelles par les anciennes est toujours extrêmement chaleureux, convivial et le plus
souvent libérateur de la parole et de l’émotion. Mais on peut comprendre que certaines
femmes ne soient pas prêtes à partager leurs souffrances.
Pour celles qui s’intègrent au groupe et qui expriment leur satisfaction de se sentir écoutées et
comprises par d’autres femmes qui ont vécu elles aussi des violences, la participation peut
devenir un besoin, voire un réel plaisir. L’humour prend d’ailleurs alors une place non
négligeable dans le déroulement des séances. La sortie du groupe intervient soit par
nécessité : nouveau travail, déménagement, soit parce qu’une réorganisation de la vie
personnelle le permet : aménagement des relations du couple, ou au contraire, nouveau
conjoint ou obtention du divorce. Mais il est toujours conseillé aux femmes qui viennent de
divorcer ou de se séparer de rester encore quelque temps dans le groupe afin de tenir compte
du risque dépressif lorsqu’il n’y a plus à lutter.
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De plus, tout n’est pas toujours terminé avec le jugement de divorce, lorsque les droits de
visite et d’hébergement des enfants, la pension alimentaire ou le partage des biens sont encore
l’occasion de conflits et de harcèlement.
Certaines femmes restent très longtemps (plus d’un an) parce que, par exemple, après s’être
résolues à la séparation, il a fallu trouver un logement, déménager quelques meubles, mettre
en route la procédure, rechercher des témoignages, attendre le jugement, puis la procédure
d’appel qui réactive les angoisses. Ces « anciennes » viennent pour elles-mêmes, parce
qu’elles ont encore besoin d’aide sur le plan personnel, psychologique, social ou juridique,
mais elles se veulent alors aussi aidantes pour les autres, en les faisant profiter de leur
expérience. Il importe alors à veiller à ce que ce soutien des anciennes vers les nouvelles
n’entraîne pas des relations « dominant-dominé » qui risqueraient de reproduire ce que ces
femmes ont vécu dans leur couple.
La vigilance est également nécessaire face au risque de dépendance au groupe, et aux
animateurs, ce qui amène parfois à préparer telle ou telle à quitter le groupe dans un délai
raisonnable lorsque l’intervention n’est plus nécessaire.
Mais, des relations amicales se sont tissées en dehors du groupe entre certaines qui se
retrouvent pour des repas, des sorties, des échanges téléphoniques plus ou moins fréquents.
Ces rencontres extérieures se sont révélées un complément très positif au travail réalisé
pendant les séances. Elles brisent leur isolement. Et ce réseau relationnel est aussi la
concrétisation du soutien mutuel que peuvent s’apporter ces femmes unies par une
problématique commune.
« La décision vient de nous. On n’a pas eu le sentiment d’être mise dehors. Vous nous donnez
simplement le tempo.
Au bout d’un moment, on n’est plus au même stade. Le discours des autres est trop plein
d’émotions et donc ça aide à partir. On a évolué, on a avancé et on est passé à autre chose.
Ce qui manque c’est le côté « cocon protégé, nid »
Avec le temps, il n’y a plus de manque, on a franchi une autre étape ».
3.7 Commentaires à propos de l’absence de « programme »
« On ne peut pas établir un programme du type : aujourd’hui on va parler de… parce que
j’aurai autre chose de plus profond à sortir… C’est en fonction de l’état d’âme de l’une ou de
l’autre, et d’où elle en est dans son histoire… Pas de thème cela laisse de la liberté. Sinon la
parole n’aurait pas été aussi libre.
J’étais là pour raconter mes problèmes, j’ai bien vu que j’ai évolué, mais je n’ai pas eu la
notion d’un travail. Il n’y avait pas de thème à chaque séance, mais on sentait qu’il y avait un
suivi : vous reveniez toujours sur des choses évoquées à la séance précédente ».
S’il n’y a pas de « programme » pré-établi, et si l’objectif n’est pas de donner des conseils,
(« Vous nous guidez, mais on peut aller où notre chemin nous mène. Vous nous tendez des
perches, pour que la réflexion vienne de nous. On a une entière liberté, on fait notre travail
nous-mêmes ») l’évolution des situations individuelles de chacune, présentées au cours de la
séance, peut amener à « prescrire » une tâche individualisée à telle ou telle : écrire son
ressenti, faire un brouillon de lettre à sa mère, reprendre contact avec son fils qui s’éloigne,
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demander des attestations en vue de l’audience de divorce, faire coucher son enfant ailleurs
que dans le lit de la mère…), tâches qui donnent lieu à un « retour » à la séance suivante,
moins sur la réalisation elle-même que sur les difficultés de sa faisabilité.
3.8 Commentaires sur l’animation par une femme et par un homme
« J’ai été choquée à la première séance. Je ne m’y attendais pas. Michel me faisait peur, ou
plutôt l’image de l’homme. C’est mon corps qui avait peur parce que j’avais encore trop de
souvenirs physiques négatifs. Mais ça s’est estompé très rapidement. Et ça a permis d’avoir
une image différente de l’image qu’on a habituellement de l’homme. En fait, c’est très positif,
parce que vous formez un duo très complémentaire : vous aviez parfois des avis différents. Et
on a appris qu’on peut avoir des opinions différentes, avoir le respect de l’opinion de l’autre
tout en étant dans la même direction. Et d’ailleurs, quand l’un de vous deux manquait, on
n’aimait pas. Il manquait quelqu’un.
Vous êtes très différents tous les deux : C’est Nathalie qui mène le groupe, et qui est parfois
provocatrice. Et Michel intervient en arrière, en prenant du recul par rapport aux choses. Le
fait qu’il a un regard différent sur les auteurs, parce qu’il a entendu des auteurs, ça nous a
aidés. Non pas pour les excuser, mais pour accepter que l’autre peut avoir des problèmes. Ça
permet de se dire que ce n’est pas nous qui avons des problèmes… Ca m’a permis de me
déculpabiliser de me rendre compte qu’il n’était pas un Dieu, qu’il n’était pas parfait, mais
qu’il avait aussi des soucis, des problèmes en dehors de moi, et en particulier avec sa mère…
C’est vrai que parfois, je n’aimais pas que le psychologue trouve des excuses aux auteurs de
violence. Mais c’est important qu’il soit là, sinon on resterait là entre nous à casser du sucre
sur le même personnage
C’était bien de pouvoir être écoutées par un homme, et en plus qui ne répliquait pas ! …, un
homme qui parlait normalement, et qui mettait le doigt sur des choses qu’entre femmes on
n’aurait peut-être pas abordées ».
La présence d’un homme dans le groupe a bien pour fonction première d’aider ces femmes à
réhabiliter l’image de l’homme. De plus, nous n’avons jamais exclu la possibilité (mais qui ne
s’est pas réalisée à ce jour) d’accepter dans le groupe des hommes qui seraient victimes de
violences conjugales. Et si cela se produisait, la présence d’un animateur homme serait
d’autant plus nécessaire.
3.9 Statistiques de participation
La participation au groupe de parole est proposée lors des entretiens individuels assurés par
les permanents du CIDFF 14.
Après 12 années d’activité, le groupe s’est réuni 320 fois (soit 25 fois par an).
 24 personnes, soit 30%, ne sont restées dans le groupe qu’une ou deux séances.
 31 personnes (38%) ont participé au groupe entre un et six mois, soit 3 à 12 séances
 Les 26 autres ont prolongé leur participation au-delà des 6 mois proposés au départ, la
moitié entre 6 mois et 2 ans, l’autre moitié, plus de 2 ans.
Le nombre de participantes à chaque séance varie entre 3 et 8 personnes.
Les entrées et les sorties du groupe sont nécessairement irrégulières. Toute fois, le
renouvellement annuel de l’effectif des participantes s’établit autour de 5 entrées et 5 sorties.
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3.10 Commentaires sur l’intérêt du groupe
« C’est quand même extraordinaire ce qu’on a vécu dans le groupe…
Je ne pouvais parler de tout ça que dans un groupe…
Où peut-on être aussi bien entendue qu’avec d’autres femmes qui vivent plus ou moins la
même chose ?…
Ca m’a permis de voir que d’autres femmes très bien vivaient la même chose, que les
violences, c’est pas seulement dans les milieux défavorisés.
Les femmes du groupe sont de niveau social très différent …
Ca m’a aidé à sortir de la honte….
On a appris à parler à la première personne et à ne plus parler sans cesse de lui !
On est des sœurs ; ça crée des liens. On a créé des amitiés en dehors du groupe, un réseau de
relations, où on partage la même façon de penser, parce qu’on a besoin de parler.
Voir la violence chez les autres, ça nous permet de découvrir celle qu’on a subie. On a pu
accepter que ce qu’on a subi, c’est bien de la violence»
On n’a pas besoin d’expliquer pour que l’autre comprenne. On accepte la remarque de
l’autre sans être vexée en toute confiance.
Il y a un grand respect mutuel
Même si on est différente, même si on a vécu des choses différentes, il y a des similitudes dans
les situations. On peut transposer, ça fait effet miroir ».
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LES VIOLENCES
4.1 Les violences subies
Ces femmes viennent pour parler des violences subies dans leur vie conjugale, pour découvrir
qu’elles ne sont pas les seules à subir de tels comportements violents, pour accepter l’idée
qu’il s’agit bien de violences. Et l’assurance de confidentialité du groupe, l’écoute et le
soutien mutuels, leur permettent de se libérer du poids de la culpabilité entretenue par ces
violences. « Le plus important dans l’animation du groupe, c’est que vous nous écoutez et que
vous nous croyez. Ca, c’est le premier pas vers la guérison ».
Elles peuvent ainsi, progressivement, parler des différentes formes de violence subie :
violences physiques (ayant nécessité parfois des hospitalisations), violences psychologiques
(insultes, brimades, humiliations…), violences économiques (privation d’argent, contrôle
tatillon des dépenses…), association entre ces différentes formes de violence. Il reste difficile
pour ces femmes, au début de leur participation au groupe, et encore souvent par la suite, de
se souvenir des diverses formes de violences subies, ou de considérer que ce qu’elles ont vécu
devait être nommé « violence ». Laure a décidé de quitter son mari dès la première scène de
violence. Mais les informations qu’elle apporte sur la relation du couple révèlent que dès
avant le mariage, elle avait dû éponger les dettes de son futur époux. Et les remarques sur la
tenue du ménage n’ont pas tardé. Mais tout cela ne pouvait être considéré comme de la
violence. Il est intéressant de noter que les femmes du groupe parviennent très bien à repérer
ce qu’il en est de la violence subie par les autres femmes, alors que lorsqu’il s’agit d’ellesmêmes, le sentiment amoureux, la culpabilité, l’emprise subie, empêchent d’apprécier la
réalité de la violence.
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4.2 Les violences physiques
Les violences physiques laissent rarement autant de traces que celles de Mady évoquées dans
le témoignage introductif. Mais l’éventail des violences physiques citées dans le groupe est
très large : bousculades, gifles, coups de poing avec fracture du nez ayant nécessité une
hospitalisation, crachats, étranglements, coups de pied, menace avec une arme.
Les menaces de coups, voire de mort, sont aussi des violences physiques. Il en est de même
pour les coups de poing dans le mur ou dans les portes, qui sont peut-être pour l’homme une
manière d’éviter de frapper la conjointe, voire de se faire mal et de se punir, mais qui ont
inévitablement pour effet de provoquer la crainte que le prochain coup ne soit pour elle.
Les jets et bris d’objets, de vaisselle, de meubles ont le même résultat. « Mon mari doit tuer
des veaux ce week-end. J’espère qu’il s’arrêtera à eux. Une fois, il était tellement en colère
parce qu'enceinte je n'arrivais plus à traire les bêtes. Il a frappé une de ses bêtes qui en est
morte. Des voisins ont appelé la SPA ».
« Le soir du réveillon, mon mari est rentré très tard, l'un de mes fils lui en a fait le reproche.
Alors ce fut un désastre, il a tout détruit la table que nous avions préparée, la vaisselle, le
sapin, les cadres avec les photos... Nous étions terrorisés mes enfants et moi. Il avait tout
gâché, mais au fond j'ai préféré qu'il s'en prenne aux affaires plutôt qu’à nous »
Lorsque l’on demande au groupe – et cette question est régulièrement retravaillée – quelle
forme de violence est la plus destructrice, entre violence physique et violence psychologique,
le débat est toujours très riche sans qu’il soit jamais possible d’aboutir à un accord. Pour
certaines, il est clair que c’est la violence physique qui est la plus insupportable, alors que les
insultes, le contrôle, les humiliations n’ont pas été vécues comme violentes. Pour d’autres au
contraire, la gifle ou la brutalité passent alors que la phrase méprisante reste et détruit.
C’est souvent dans l’histoire personnelle de chacune que se trouve la source de ces
différences. Telle personne qui a été habituée dans son enfance à prendre des coups ou à voir
sa mère battue par son père supportera plus facilement la violence physique vécue comme un
mode relationnel normal, voire comme une marque d’affection. Par contre, celles qui n’ont
pas vécu de violences physiques lourdes dans l’enfance ou avec leur compagnon (coups de
poing, coups de pied, strangulation, menaces avec arme…) considèrent les violences
physiques plus graves que les violences psychologiques. Toutefois, les anciennes victimes de
violences à la fois psychologiques et physiques lourdes estiment que les violences
psychologiques sont les plus déstructurantes.
4.3 Les violences verbales, non-verbales et psychologiques. « L’emprise »
4.3.1 Les violences verbales
Elles passent par des mots : les injures, les grossièretés, les obscénités, les menaces.
Elles se concrétisent, dans la majorité des cas révélés, à des insultes, à caractère sexuel: « T'as
vu comme tu es habillée. Tu vas faire ta traînée!! »
« Connasse, Pouffiasse, Salope, sale pute » sont les termes les plus usités.
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Certains propos vont concerner le comportement, les compétences ou le physique de la
personne pour lequel la victime a manifesté un certain complexe fondé ou non.
« T'es qu'une grosse truie. » « Bonne à rien »« Où as tu appris à cuisiner ?...T'es nulle mais
je t'aime bien »
Les violences verbales se matérialisent également par des remarques humiliantes,
dévalorisantes et à double sens :
« T'es gentille » « Dans une réunion de famille ou avec les amis, il disait souvent quand on
s'adressait à moi: Vous savez, elle n'y connaît rien ».
Ces propos peuvent également être discriminants. « Parce que je suis étrangère, il n'arrêtait
pas de me dire que je ne savais pas m'adapter et comprendre le mode de vie français. Il me
disait souvent : Tu ne sais rien, heureusement que je suis là pour t'apprendre »
4.3.2 Les violences non-verbales
Elles passent par des attitudes apparemment anodines, mais qui deviennent destructrices par
leur répétition ou leur systématisation. Elles ne se traduisent pas de manière verbale. Ce sont
les violences psychologiques et économiques.
Elles consistent à détruire l’autre par
 des moqueries « Etant étrangère, je faisais des fautes de français, il se moquait de moi
avec sa mère »
 des allusions : Mady dira « En raison de ma grossesse, j’avais pris beaucoup de kilos.
Dans la rue quand il voyait des femmes minces, il me disait : tu vois, il faudrait faire
des efforts »
 des suggestions : « A ta place, moi je me suiciderais… »
 des menaces : Yvonne parlera de sa grossesse non désirée à l’âge de 48 ans. « Mon
compagnon m’a conseillé d’avorter si je ne voulais par le perdre. Il m’a laissée seule
faire face à cette épreuve »
 des non-dits des mimiques de mépris : « Lorsque nous avons emménagé, j’ai fait des
travaux de décoration. Je lui demandais ce qu’il en pensait, il levait les yeux au ciel et
ne me répondait pas. »
 de la jalousie : Lucie indiquera « Il voulait un enfant, j’ai pris beaucoup de poids,
alors le soir il me regardait avec du dégoût, je n’osais plus me déshabiller devant lui.
Il m’a dit que puisque je les avais pris pour ma fille, je pouvais faire l’effort de les
perdre pour lui. Il a voulu que j’allaite ma fille. Je n’étais pas trop pour, mais quand
il a vu que j’y prenais du plaisir il a fait des crises de nerfs. Je ne devais pas l’allaiter
quand il était là »
4.3.3 Les violences psychologiques
Elles s’expriment parfois par une relation punitive qui consiste à ignorer l’autre ou à refuser
de communiquer. Ainsi, Aline ne devait pas lui répondre ou recevoir ses propres amis sinon il
détruisait les fleurs du jardin qu’elle aimait tant.
Certaines consistent en du chantage au suicide, des menaces de mort ou/et des destructions de
biens.
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Elles se matérialisent très souvent par un contrôle
 des horaires
 de l’activité professionnelle exercée
 des courses « Je ne devais pas choisir une autre marque de yaourts que celle qu’il
avait choisie »
 des dépenses, du budget : pour Mona « C’était simple toutes les charges du ménage je
devais les assurer, lui son argent servait dans ses costumes et son alcool. J’étais trop
dépensière. Moi je n’avais pas le droit de m’acheter des dessous, sauf ceux qu’il
choisissait pour son plaisir personnel et qui me faisaient passer pour une pute ».
Pour Thérèse, « Il m’a interdit d’avoir accès au compte joint. Ne travaillant pas, je
n’avais plus aucun moyen de subsistance. J’étais contrainte de le supplier de me
donner de l’argent. Pour l’entretien du ménage, il m’accordait 10€ par semaine ».
 des relations de travail, amicales, familiales « Tu ne devrais plus les voir, ils sont nuls,
ils nous font perdre du temps »
 des moyens de contraception utilisés : Lola, mère de 4 enfants, ne souhaitait plus
enfanter. « Je voulais reprendre le travail, les enfants avaient été conçus les uns
derrière les autres. Je suis allée voir mon gynécologue qui m’a donné la pilule. Je la
prenais en cachette de mon mari. Il voulait que je reste à la maison et que j’aie
d’autres enfants. Après plusieurs mois, il n’a pas compris que je ne tombe pas
enceinte. Il a eu des soupçons. Un matin, pendant que j’étais aux courses il a fouillé
dans mes affaires. A mon retour, il m’a conseillé de ne plus recommencer et a détruit
toutes les plaquettes. Il a accentué son contrôle, venant avec moi chez le médecin.
N’ayant plus de contraception j’ai eu mon cinquième enfant. »
 des maternités : plusieurs révèleront avoir été contraintes à faire une IVG. Dans ces
cas, elles ont du faire face seule à cette épreuve.
Ces violences non verbales peuvent également prendre la forme « d’ordre et de contre ordre ».
Mariette dira à ce sujet « Il ne s’occupait que de sa réussite professionnelle. Je devais
m’occuper des enfants, de la maison et de mon travail. Un jour il s’est plaint d’avoir mal à la
tête. Je lui ai proposé de prendre un rendez vous chez le médecin. Il a refusé en m’indiquant
que ce n’était pas mon affaire. Le soir quand il est rentré il m’a reproché de ne pas avoir pris
le temps de lui prendre un rendez vous chez le médecin. J’étais une bonne à rien »
Ces violences ont pour conséquence de déstabiliser la victime dans ses croyances et ses
connaissances, au point de perdre toute confiance en elle-même. Ainsi, des victimes diront
« Je ne savais plus où était la vérité. Je ne suis plus capable de prendre une décision seule ».
Leur libre arbitre semble annihilé.
4.4 Les violences sexuelles
Ce n’est qu’après une longue phase de mise en confiance que toutes ces femmes en arrivent à
parler de violences sexuelles, situations très chargées émotionnellement et qui ont la
particularité d’être en même temps des violences physiques et des violences psychologiques.
Ces violences n’ont toutefois pu être abordées pour la première fois qu’un jour où l’animateur
–homme- était absent.
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Depuis ce jour, non seulement il devient possible d’aborder ce sujet, mais, curieusement, le
climat du groupe permet que les nouvelles entrantes dans le groupe annoncent parfois
d’entrée de jeu l’existence de violences sexuelles subies.
4.4.1 Les viols et les sévices sexuels
Il leur reste difficile de qualifier ces violences sexuelles de « viols », dans la mesure où
l’éducation parentale et religieuse leur a appris la nécessité de se soumettre au « devoir
conjugal ». Il leur est apparu plus facile de « nommer » ces violences : « relations sexuelles
non consenties » ou « relations forcées » plutôt que viols. Estelle est toutefois d’accord pour
parler de viol dans la mesure où les actes sexuels subis se sont accompagnés de violences
physiques. Il est en effet courant que la représentation classique du viol soit associée à des
violences physiques. « Un jour, il m’a tapé et refait l’amour aussitôt. Un autre jour, il m’a
frappé tellement que j’en avais perdu connaissance. Lorsque je suis revenue à moi, il finissait
de faire son affaire…. » « ..Le temps de m’endormir, et c’était reparti de plus belle. Il me
prenait de force par l’arrière. Je souffrais tellement que j’en étais au bord du malaise.
J’avais des sueurs froides. Il a fallu que je me fasse hospitaliser car j’en avais des
saignements, et opérer car je ne pouvais plus stationner debout »
Mais si l’on se réfère à la définition pénale, en France, de l’agression sexuelle qui implique
« menace, violence, contrainte ou surprise » (art. 222 du Code pénal), il faut admettre que
sont des viols :
 Ces rapports sexuels par surprise pendant le sommeil de l’épouse, ces rapports
imposés, sous la menace,
 Ou accompagnés d’insultes à caractère sexuel (« putain », « tu es nulle au lit »,
« prépare toi, salope » ou « écarte les cuisses, connasse »).
 Et même s’il n’y a pas eu de violences physiques, dans la mesure où ces relations
sexuelles sont alors subies passivement, sans révolte extérieure, par peur de violences
physiques, par soumission à la règle du devoir conjugal, mais aussi pour protéger les
enfants.
« Cela durait depuis sept ans, cette vie infernale. J’avais eu mes deux garçons que j’essayais
d’élever avec un paravent devant leur père. Je laissais faire pour ne pas faire d’histoire la
nuit, pour ne pas réveiller les enfants. Protéger toujours mes enfants, c’était mon seul but »
« … et pour que ça aille plus vite, il fallait surtout dire que j’aimais ça ».
Certaines femmes parviennent toutefois –après coup(s)- à agresser verbalement leur agresseur
avec des remarques du style « T’es content ? Tu t’es bien vidangé ? », comme pour tenter de
retrouver une certaine dignité après l’humiliation subie, en cherchant à rabaisser ou à salir
également le partenaire.
La difficulté à mettre des mots sur ces souvenirs, les pleurs en les évoquant, en disent long sur
la souffrance subie au moment de ces rapports imposés. Souffrance longtemps restée indicible
(ou inentendable par des tiers quand l’une d’entre elles a voulu en parler, mais inévitablement
de façon violente), accompagnée de la honte de l’humiliation, de la culpabilité d’avoir accepté
de subir, mais aussi de la culpabilité de ne pas avoir « obéi » au « devoir conjugal ». « Il n’y
avait pas de respect, pas de tendresse, ni de beauté de l’amour. Que de la bestialité et de la
vulgarité. Toujours, il fallait serrer les dents, serrer les poings. Je n’avais pourtant pas
d’ongles, mais j’arrivais à rentrer mes ongles dans mes mains tellement j’étais crispée. Et
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moi, toujours perdue de chez perdu. Je pensais me suicider, mais n’en avais pas le courage,
et mes enfants m’en donnaient la lâcheté. ».
Pour celles qui ont décidé de quitter leur conjoint, ces viols ont été un élément important dans
la décision de séparation, même si cet argument n’est pas utilisé dans la procédure du fait de
leurs sentiments de honte et de culpabilité, et aussi du fait de l’impossibilité d’en apporter la
preuve. Pour certaines, la décision de séparation n’exclut pas la persistance de sentiments
amoureux à l’égard d’un homme qu’elles ne peuvent réduire à ces actes violents. On
s’aperçoit ainsi que le vécu du viol conjugal de ces femmes est très voisin du vécu des enfants
victimes d’agressions sexuelles intra-familiales (emprise, soumission, affection…)
En ce qui concerne les hommes « violeurs », on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit d’hommes
dont le comportement d’emprise et de domination viendrait compenser une immaturité
importante et du caractère insupportable de la dépendance maintenue à la mère (et à la
conjointe qui a pris la place de la mère). L’abus sexuel vise une femme qu’il peut
« posséder », qu’il pense avoir le droit de posséder, par opposition à la mère qui le
« possède ». Cette recherche d’une jouissance sexuelle, refusée par la partenaire, peut en outre
avoir une composante incestueuse, la conjointe jouant le rôle d’un double de la mère
inaccessible et interdite. Les femmes du groupe ont évoqué par ailleurs le désir d’enfant
exprimé par ces hommes pour « tenir » la mère au foyer. On peut voir là un reste d’attitude
« macho » avec l’idée que le corps de la femme est fait à la fois pour le plaisir de l’homme et
pour enfanter. L’époque n’est pas très éloignée où régnait le pouvoir médical et la mainmise
de gynécologues hommes sur le corps des femmes pour les obliger à enfanter ou les punir de
vouloir avorter.
4.4.2 L’utilisation de la pornographie
Il s’agit de forcer à
 voir ou écouter du matériel pornographique
 poser pour photos ou vidéos
 prendre des positions dégradantes
 avoir des relations sexuelles devant témoins, etc.…
La complexité pour les participantes est de discerner cette violence. Il faut distinguer ce qui
est véritablement consenti de ce qui est consenti uniquement pour le plaisir de l’autre en
s’oubliant totalement, et de travailler sur ces points. Elles deviennent à leur insu, alors
qu’elles sont à l’origine « consentantes », un simple objet sexuel. Ce qui provoque un fort
sentiment d’écœurement à l’égard de leur propre personne.
Marina parlera de son sentiment de dégoût face à ses propres attitudes (positions
dégradantes..).
« Comment ai-je pu en arriver là ?!
Il m’a dit que s’il buvait et n’était pas gentil avec moi, c’est parce que je n’étais pas
intéressée par le sexe ; alors que lui avait besoin de se satisfaire plusieurs fois par jour.
Alors pour l’aider à arrêter de boire, j’ai tout fait pour l’exciter par mes tenues, mes
attitudes. Je sollicitais des relations alors que je n’en avais pas envie. J’étais épuisée de faire
semblant d’avoir envie. Je me sentais sale, mais c’était pour son bien pour qu’il guérisse »
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4.4.3 La prostitution
Il s’agit là d’une autre forme de violence sexuelle, peu discutée dans le groupe mais bien
présente car estimée par les femmes comme la dégradation suprême. La majorité d’entre elles
n’ont pas subi cette violence et portent un jugement très dur sur celles qui ont été amenées à
accepter ou plutôt à subir.
La division du groupe sur ce thème, voire l’hostilité de certaines a été difficile à gérer. Il a
fallu revenir sur les conflits et les mésententes engendrées.
Si toutes sont unanimes à reconnaître que l’instigateur est le compagnon, elles ont du mal
pour certaines à admettre qu’il n’y ait pas eu d’opposition et de refus suffisamment fort de la
victime.
« C’est l’avilissement complet. Je n’avais pas le choix, ma belle mère nous avait prêté de
l’argent. Elle a exigé d’être remboursée rapidement ; mon mari ne voulait pas faire de peine
à sa mère. Il ne fallait pas avoir de problèmes avec elle. C’est parti d’une boutade, t’as une
femme ; elle n’a qu’à faire la pute. Au départ, je pensais que c’était une mauvaise
plaisanterie. Mais, ma belle mère nous a mis le couteau sous la gorge, on n’avait plus que
quelque mois pour rembourser. Elle réduisait sans cesse les délais. Alors mon mari m’a fait
monter à Paris. Et là j’ai trouvé, malgré la situation, une famille. Je travaillais dans un club.
Il y avait une grande solidarité entre les filles. Les clients étaient gentils. Au moins là, on ne
me criait pas dessus sans cesse. C’était dur, mais il y avait des rapports chaleureux entre
nous les filles ; ce que je n’avais jamais connu ».
4.5 La répétition de la violence
L’analyse des situations de violence conjugale vécues par ces femmes et l’échange autour de
leurs histoires personnelles ont permis de mettre en évidence les éléments suivants.
La violence subie dans le couple apparaît dans tous les cas comme la répétition de violences
subies dans l’enfance : violences physiques, surtout violences psychologiques (humiliations,
rejet parental), et parfois violences sexuelles : par exemple Myriam qui a vécu comme un
véritable viol par sa mère un examen gynécologique (à 12 ans) pratiqué par un médecin
homme à la demande de sa mère et en sa présence – mais sans en avertir l’enfant- pour
s’assurer de sa virginité. Toutes ces violences infantiles ont été subies sans possibilité de
révolte et comme un apprentissage de la nécessaire soumission à l’autorité.
Autre exemple, cité par Estelle : « Quand j’avais environ sept ans, un jour, un de mes oncles
avec qui j’étais élevée, m’a emmenée sur le guidon de son vélo, et dans un chemin de
campagne, a sorti son sexe et il voulait que je le touche. Je savais que c’était mal. Je ne
comprenais pas ce qui se passait. Fort heureusement, quelqu’un est arrivé et il s’est rhabillé.
Je suis restée longtemps avec cette vision du mal et je n’en ai jamais parlé à personne.
Lorsque j’avais seize ans, j’étais placée dans une famille comme employée de maison. La
patronne venait de partir pour accoucher et en pleine nuit, j’ai brutalement été réveillée par
une présence dans mon lit. C’était le patron qui était nu et qui me touchait. Il avait mis sa
main sur ma bouche en disant : sois gentille, ne réveille pas les enfants. J’étais pétrifiée. Je
n’avais personne à qui me plaindre. Soit je me laissais faire car chez eux, je mangeais à ma
faim, ou je repartais chez mes parents où c’était l’enfer. Ca s’est produit une dizaine de fois
avec la peur et la conscience du mal. Jusqu’au jour où j’ai fait une fugue et où je me suis
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trouvée enfermée dans une église, car c’est le seul endroit où je me croyais en sécurité.
C’était sans compter la peur de la nuit où j’ai cru devenir folle »
Aline : « Moi, ma mère m’obligeait à coucher avec mon beau-père. Parfois le soir pour éviter
ceci, j’allais me coucher dans le panier avec les chiens ».
Lucie : « Ma mère ne m’aimait pas. Je prenais des coups à la place de mes frères et sœurs
quand ces derniers faisaient des bêtises. Je mangeais toujours en dernier. C’étaient les restes.
Mon père ne disait jamais rien ».
Julie : « Ma mère était dépressive et alcoolique à cause des tromperies de mon père. Après
qu’elle ait fait une tentative de suicide, mon père m’a ordonné de faire attention à elle.
J’avais 5 ans et j’avais toujours peur qu’elle meurt. Je devais constamment la surveillait et
voir si elle prenait bien son traitement ».
Cette expérience de violences subies dans l’enfance, qui apparaît comme une constante chez
toutes les femmes rencontrées, semble avoir un double effet. C’est d’une part un
apprentissage de la soumission qui permet d’accepter à l’âge adulte des relations où la
violence est à peine perçue comme telle. Ceci peut expliquer la difficulté permanente que ces
femmes ont pour retrouver le souvenir des premières violences subies dans le couple, et pour
faire le lien entre ces dernières et les violences subies dans l’enfance.
D’autre part, et paradoxalement, le caractère insupportable de cette souffrance vécue dans
l’enfance peut engendrer un désir inconscient de protéger les membres de l’entourage,
conjoint et enfants, et orienter inconsciemment le choix amoureux vers quelqu’un de fragile et
immature, quelqu’un à sauver.
On sait que les violences subies dans l’enfance peuvent aussi se répéter sous la forme de
violences agies sur les enfants ou sur le conjoint. Suite à une révélation, par une mère, de
maltraitance sur son enfant, nous avons été conduits, après l’en avoir informée, à faire un
signalement. Cette femme qui avait été maltraitée par son père, puis par son conjoint nous
avait expliqué que « Il ressemble tellement à son père que quand il n’obéit pas, je le frappe et
je ne peux plus me contrôler »
5
LES ENFANTS
5.1 La place des enfants dans les violences
La question de la place des enfants est abordée de manière récurrente lors des séances du
groupe.
Estelle disait qu’elle s’arrangeait toujours pour que ses enfants ne soient pas témoins des
violences du conjoint. Plusieurs femmes ont dit rester avec leur conjoint « à cause des
enfants », c’est-à-dire pour maintenir un semblant d’unité familiale estimé nécessaire à
l’équilibre et à la construction des enfants.
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Or, les propos tenus par les enfants et leurs comportements, montrent que, quoi qu’on fasse,
ils sont au courant des disputes, des conflits, soit parce qu’ils entendent les bruits ou les cris,
soit parce qu’ils sont présents à l’insu des parents, soit lorsque l’un ou l’autre des enfants
tente de s’interposer entre les parents, au risque de recevoir lui-même un coup qui ne lui est
pas destiné. Et, même lorsqu’ils ne sont pas physiquement victimes, ils subissent une violence
psychologique, faite de peur, d’insécurité, de colère, qui aura des conséquences sur leur avenir
affectif.
Le souhait exprimé par la mère de rester en couple « pour les enfants » apparaît ainsi comme
une illusion. Il s’agit surtout de préserver l’image rêvée de la famille idéale, souvent bien plus
belle que la famille que l’on a connue dans son enfance, avec le profond désir de réussir
mieux que sa propre mère ou ses propres parents.
Les enfants vont jouer un rôle important lorsque va se poser la question douloureuse de la
possible séparation. La plupart des femmes confrontées à ce problème ont dit leur besoin
d’être approuvées par leurs enfants, en particulier lorsque ceux-ci ont atteint l’âge adulte. Et
lorsque l’un des enfants désapprouve, ou prend le parti du père, voire témoigne contre sa mère
à la demande du père, la souffrance de la mère se trouve décuplée. Cette dépendance de l’avis
des enfants témoigne bien de la difficulté à se prendre en charge seule, à être autonome dans
les décisions à prendre. Mais, elle souligne aussi de la peur de la perte et de l’abandon, peur
liée à des peurs anciennes en même temps qu’à la dépendance au conjoint violent.
Certains enfants ont la sagesse de se situer en dehors du conflit parental, avec l’intention de
garder des contacts avec chacun des deux parents, tout en refusant d’entrer dans le jeu des
transmissions d’information. Cette situation n’est pas toujours bien acceptée par la mère
victime de violences, qui reste en recherche du soutien et de l’approbation de ses enfants.
Dans un certain nombre de situations de séparation, avec un fils aîné adolescent resté auprès
de sa mère, il n’est pas rare que ce fils « prenne la place » du père violent et cherche à
imposer autorité et emprise sur sa mère. Il est arrivé de conseiller à une mère de porter plainte
contre son fils, comme elle avait réussi à le faire précédemment contre son mari.
Avec des enfants plus jeunes, voire très jeunes, la solitude de la mère après la séparation crée
un risque de relation fusionnelle où c’est la mère elle-même qui fait prendre à l’enfant la place
de l’absent. Il est intéressant de noter que les conseils des autres femmes du groupe, par
exemple pour que la fillette de 6 ans ne dorme plus dans le lit de sa mère, sont souvent plus
efficaces que ceux des animateurs.
Autre risque rencontré couramment : l’inquiétude maternelle lors des droits de visite et
d’hébergement du père. Cette inquiétude peut porter sur les conditions d’hygiène,
d’éducation, mais aussi sur les risques d’abus sexuels (ce que l’on peut comprendre surtout si
la mère a subi elle-même des violences sexuelles de son conjoint). La tâche est alors délicate,
car si l’on sait qu’un certain nombre d’actes incestueux sont commis par des pères qui se
sentent abandonnés par leur compagne, il importe de ne pas dramatiser, mais au contraire de
rassurer la mère et aussi de lui rappeler les droits du père sur un enfant qu’ils ont fait
ensemble. Il appartient aussi de souligner qu’après une séparation, et quelle que soit l’ampleur
des désaccords, lorsque le père a son enfant près de lui, il en a l’entière responsabilité, même
si son travail ne lui permet pas d’être toute la journée avec l’enfant. Et ce n’est donc pas à la
mère de décider du mode d’éducation du père, ni même de chercher à savoir comment
s’organise le séjour de l’enfant.
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Ce n’est qu’en cas de doutes sérieux qu’il appartient à la mère de saisir la Justice pour
demander une enquête sociale ou la suppression des visites chez le père.
Pour ces situations difficiles à vivre pour les mères, l’expérience des animateurs s’avère fort
utile, la juriste étant par ailleurs chargée de missions d’administrateur ad hoc par les
magistrats, et le psychologue intervenant pour des expertises familiales à la demande de Juges
des Enfants ou de Juges aux Affaires Familiales.
Il est donc clair aujourd’hui que l’enfant qui vit dans un climat de violence entre ses parents,
est lui-même victime, sinon des coups de l’auteur des violences, du moins de la situation de
violence. C’est encore plus vrai lorsque l’enfant est utilisé par l’un des parents ou par les deux
comme un enjeu dans le conflit et la possible séparation. De même lorsqu’il est l’objet de la
lutte entre les deux parents à propos de sa résidence principale quand la séparation est
décidée. Ou bien quand le moment du passage vers l’autre parent est l’occasion de disputes
sur le palier entre les deux parents (de même quand l’enfant doit attendre devant la porte
l’arrivée de l’autre parent sans aucun contact entre les deux). Enfin le droit de visite du père
est parfois un prétexte pour revoir la mère. Ces violences subies par l’enfant ne l’empêchent
pourtant pas d’avoir besoin d’une relation suivie avec son père. Mais ces souffrances restent
ancrées dans la mémoire et sont parfois évoquées comme des souvenirs douloureux par les
femmes victimes de violence à l’âge adulte, et aussi par les hommes auteurs de violences.
5.2 Les enfants nés de viols conjugaux
On parle beaucoup de violences conjugales qui commencent avec la naissance du premier
enfant, qui prive l’homme de la relation fusionnelle du couple (cf. le colloque Fondation de
France 2000 sur violences conjugales et violences parentales). Mais ce qui est apparu chez
plusieurs femmes du groupe de parole, c’est l’existence de viols conjugaux qui ont donné
naissance à un enfant. L’ami de Pauline disait qu’il voulait un enfant, mais lorsqu’elle s’est
retrouvée enceinte d’un viol, il lui a reproché de lui avoir « fait un enfant dans le dos ».
Liliane s’est retrouvée enceinte d’un viol par son mari malgré une contraception qu’elle était
obligée de prendre en cachette en raison du désir de famille nombreuse du mari. Aucune de
ces femmes n’était opposée à la maternité (elles ont toutes entre 3 et 5 enfants). Mais toutes
rêvaient de concevoir « normalement » leurs enfants dans une relation fondée sur l’accord et
sur l’amour. Les trois grossesses résultant d’un viol ont été mal acceptées par ces femmes qui
peuvent exprimer aujourd’hui leur désir du mort du fœtus pendant le temps de la grossesse.
Leurs tentatives d’avortement ont échoué. Et l’enfant a été accepté et chéri dès sa naissance.
Mais il reste une profonde culpabilité de ces mères d’avoir eu des désirs de mort sur ces
enfants. Culpabilité d’autant plus forte que les trois enfants concernés présentent des troubles
psychiques ou psychosomatiques plus ou moins importants. L’une a présenté, depuis
l’enfance, de gros troubles de la personnalité. Devenue majeure, elle est aujourd’hui en
hôpital de jour. Une autre, encore toute jeune, présente des spasmes du sanglot. La troisième
est aujourd’hui une jeune adolescente qui souffre d’anorexie mentale sévère.
Ces mères ont tellement rejeté ce viol qui les a salies qu’elles en arrivent à nier l’existence du
géniteur de l’enfant né du viol. Tout se passe dans leur tête comme si elles avaient fait ces
enfants toutes seules. Il n’est donc même pas possible qu’elles rendent le violeur responsable
des difficultés de l’enfant. Elles sont seules à pouvoir en porter la culpabilité, avec le risque
de relation fusionnelle mère-enfant, en compensation de l’échec douloureux de leur idéal de
couple. Et lorsqu’il est demandé de dire aux enfants qu’ils ont été conçus dans un viol, la
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réponse est unanimement négative, tant il est difficile – et on peut le comprendre –
d’ « avouer » aux enfants la honte d’avoir subi de telles violences. Et il est plus facile de
justifier le silence sur ces viols par le souci respectable de ne pas salir l’image du père dans
l’esprit des enfants. Esprit de sacrifice, qui caractérise très fortement ces femmes victimes.
Lorsqu’elles parlent d’agissements sexuels imposés, la difficulté de les évoquer est identique,
mais son fondement est différent. Elles sont, en effet, consentantes pour avoir des relations
sexuelles, mais leur désaccord porte sur la pratique imposée par le compagnon. Leur
culpabilité est importante, car elles s’estiment être l’instigatrice de ce comportement.
« Je l’aime et j’aime avoir des relations sexuelles avec lui. Pour lui faire plaisir, j’ai accepté
la sodomie que je n’approuve pas. Je n’y trouve aucun plaisir. Il le savait, plus cela allait et
plus il m’imposait cette pratique et riait quand je me plaignais. C’est de ma faute, je n’aurais
jamais du accepter ».
6
LE DROIT A L’AMBIVALENCE DES SENTIMENTS
La décision de se séparer du conjoint violent est parfois prise avant l’entrée dans le groupe qui
est là, alors, pour aider à la gestion des conséquences de la séparation. La décision est prise
parfois à l’issue d’un temps de réflexion plus ou moins long favorisé par les échanges dans le
groupe. Mais certaines femmes restent avec leur conjoint parce qu’elles ont réussi à aménager
la relation du couple devenue supportable et non violente.
Il est donc très important que nous rappelions à chaque entrée d’une nouvelle participante que
notre objectif n’est pas d’encourager la rupture du couple (alors que la pression du groupe va
plutôt dans le sens de l’invitation à la séparation), mais bien de permettre à chacune de
trouver sa propre solution, en en pesant tous les avantages et les inconvénients.
Le témoignage cité en introduction présente les « hommes violents » comme étant tous
pervers. La lecture, par la plupart des femmes, des livres de Marie-France HIRIGOYEN (Le
harcèlement moral. Femmes sous emprise), qui présente l’avantage de les aider à mieux
cerner les violences qu’elles ont subies, a toutefois l’inconvénient de les conforter dans le
diagnostic généralisateur de la perversion masculine. Certes, les propos de certaines femmes
font effectivement penser que leur conjoint peut bénéficier du diagnostic de « pervers
narcissique ». Mais très souvent, c’est l’immaturité et l’égocentrisme, bien décrits par Roland
COUTANCEAU (Amour et violence), qui transparaissent des comportements masculins
décrits par la plupart des femmes, avec en particulier le maintien d’une dépendance de
l’homme à sa propre mère, chez qui, ce n’est pas rare, il va se réfugier après la séparation.
Les animateurs mettent certes en garde les femmes qui décident de rester avec leur conjoint
après des actes violents. Il est fondamental de respecter leur choix qui tient compte du
maintien de leurs sentiments amoureux et aussi de leur désir de préserver l’image de la
famille. Mais il leur est rappelé que d’une part il importe de ne jamais oublier les violences
qu’elles ont subies, et que d’autre part une relation sans violence suppose de leur part
d’abandonner la fonction de « sauveur » de l’être aimé. La volonté de changer l’autre (le
guérir de son alcoolisme, de ses sorties entre copains, de sa dépendance à sa famille…) peut
précisément être l’une des sources de ses comportements violents.
22
Dans quelques cas, après la séparation, le conjoint cherche à renouer le contact avec le désir
de reprendre la vie commune. Cela prend parfois la forme d’un nouveau harcèlement. Parfois,
par contre, l’homme est reçu au nouveau domicile de la femme, nourri, couché, sollicité pour
quelques menus travaux, puis renvoyé, jusqu’à une autre visite. Le fait qu’il accepte
passivement cette situation montre à l’évidence que cet homme-là relève plus de l’immaturité
et de la dépendance que de la perversion. Et l’attitude de la femme témoigne tout à la fois du
désir de « faire payer » les violences subies naguère (en lui laissant croire à une possible
reprise de la vie commune), mais aussi de l’ambivalence des sentiments, entre amour, besoin
d’être aimée, et haine, ambivalence qu’il nous appartient de respecter.
L’ambivalence des sentiments envers les hommes peut prendre une autre forme. Les femmes
qui se sont séparées de leur conjoint après les actes violents évoquent toutes le soulagement
de se retrouver seules (ou avec les enfants), libres de leurs mouvements, de leur temps et de
leurs pensées. Et elles expriment clairement le rejet de l’homme en général, refusant
d’envisager toute idée de reconstruire un nouveau couple. Pourtant, le sentiment de solitude,
le besoin d’affection, les conduisent le plus souvent, et plus ou moins rapidement, à risquer
une nouvelle relation, par exemple en cherchant activement sur un site de rencontres, ou à
l’occasion de thés dansants.
Dès lors, et tout en valorisant ce naturel besoin d’affection, la question de la nécessaire
vigilance et des « signaux d’alerte » qu’il ne faut pas laisser passer est travaillé avec elles.
Dans l’union précédente, la femme avait bien perçu, précocement, des comportements qui la
dérangeaient, mais elle n’y avait pas attaché d’importance, convaincue que cela ne durerait
pas, ou qu’elle pourrait « le changer » et contrôler la situation. Il est nécessaire, dans cette
nouvelle rencontre, qu’elle nomme très vite ce qui ne lui convient pas, ce qui la choque, voire
qu’elle mette fin à la relation, ce qui a été le cas pour une dizaine de femmes au cours de leur
participation au groupe de parole.
Il est à noter que celles qui ont quitté le groupe et qui ont reconstruit un nouveau couple n’ont
pas donné d’informations sur leur devenir.
CONCLUSION
La relation de tous ces couples apparaît comme une relation de type « complémentaire »,
avec, paradoxalement, une femme « forte », plus mature que l’homme, en position de mère,
désireuse d’aider, de sauver ou de faire grandir un homme immature, parfois alcoolique, le
plus souvent encore lié très fortement à sa propre mère. Et on peut faire l’hypothèse que la
violence de l’homme sur sa partenaire surgit lorsqu’il ne supporte plus cette situation
d’infériorité.
Le groupe est bien un groupe de parole et non un groupe thérapeutique. Toutefois, le mieuxêtre ressenti par la libération de la parole et le soutien des autres membres du groupe, la
reconstruction de l’estime de soi, l’amélioration de l’image de soi, la prise de conscience des
liens entre les violences conjugales et les violences subies dans l’enfance, constituent bien des
changements qui sont des effets « thérapeutiques » du groupe.
23
DEUXIEME PARTIE :
LE GROUPE DE RESPONSABILISATION
DES AUTEURS ET LES STAGES DE CITOYENNETE
1.
HISTORIQUE
Les propos tenus par les femmes du groupe sur leurs conjoints violents ont très tôt donné, aux
animateurs, l'envie de connaître et de rencontrer ces hommes afin d'arriver à mieux travailler
la problématique des violences au sein du couple et des interactions.
La majorité des victimes reconnaissent les bienfaits de ce suivi et regrettent qu’un tel
« travail » sur la compréhension des violences, leur mise en mots, leur fonctionnement et
leurs conséquences ne soit pas réalisé par leur agresseur. Cette prise de conscience mettrait fin
au cycle de la violence (répétition) et pourrait éviter la rupture du couple.
La prise en charge du partenaire violent doit être concomitante à celle de la victime. En effet,
elle ne doit pas se faire au détriment du travail de reconstruction nécessaire de la victime.
C'est lorsqu'elles ont demandé clairement, en fin d'année 1999, de faire un travail avec les
hommes violents qu’il a été décidé, avec l’accord du Conseil d’Administration du CIDFF 14,
d'entreprendre les démarches en vue de la création d'un groupe réservé à des auteurs de
violences.
Ce sont les deux mêmes professionnels (une femme, juriste victimologue et un homme,
psychologue) qui animent les groupes de victimes et les groupes d’auteurs, ce qui leur permet
de parler très librement dans un groupe d’expériences ou de témoignages évoqués dans
l’autre. Dans les groupes d’auteurs de violences, ce soutien apporté aux victimes n’est apparu
à aucun moment comme un obstacle ou un parti pris contre les auteurs. Quant aux victimes,
elles avaient fait la demande de travailler aussi avec les auteurs.
Compte tenu du renouvellement des participantes du groupe de victimes, il est demandé
régulièrement aux femmes si l’action auprès des hommes leur paraît justifiée, et en particulier
si le fait que ce soient les mêmes professionnels qui interviennent auprès des victimes et des
auteurs peut leur occasionner une gêne ou une perte de confiance. Les réponses de ces
femmes sont toujours unanimes :
« Cela permet de mieux comprendre le problème dans sa globalité. C'est complémentaire. Ça
permet de faire avancer les deux dans le couple. Il faudrait que nos maris y soient. Ainsi le
suivi se ferait en même temps. Le CIDFF a une bonne connaissance des femmes et de leurs
problèmes. Qui mieux que lui peut les prendre en charge »
L'expérience de Michel SUARD qui anime en prison des groupes de thérapie d'auteurs de
violences sexuelles intrafamiliales (inceste) représentait une garantie pour la gestion d'un
groupe d'hommes. En même temps, ce projet de travail auprès des auteurs de violences
conjugales coïncide avec les objectifs d’aide du CIDFF 14. En effet, la prévention de la
récidive des violences, la protection des victimes potentielles et la proposition systématique
24
de rencontres individuelles pour les victimes des auteurs rentrent bien dans un programme
centré sur l'aide aux victimes.
La possibilité d'accueillir dans le groupe des personnes volontaires a été prévu. Mais, en
réalité, l'essentiel des participants est composé d'hommes condamnés par le Tribunal
correctionnel. Outre la peine principale d'emprisonnement avec ou sans sursis, l'obligation de
participer au « groupe de responsabilisation » peut être prononcée par le tribunal mise en
œuvre par le Juge de l’Application des Peines (JAP) et contrôlée par le Service Pénitentiaire
d’Insertion et de Probation (SPIP).
Le Parquet peut aussi prononcer une telle obligation. Il s'agit dans ce dernier cas d'une
alternative aux poursuites. Si l’intéressé ne se soumet pas à cette obligation, il est alors
convoqué devant le tribunal correctionnel.
Après plusieurs rencontres avec le Procureur de la République, le Juge de l’Application des
Peines, la direction du SPIP et l’assurance d’un financement par l’Agence Régionale de
Santé, le groupe a pu démarrer en décembre 2007.
En 2009, le Parquet et le SPIP du TGI d’un département voisin (Bernay) a sollicité le CIDFF
du Calvados pour animer des « Stages de Citoyenneté » destinés à des hommes condamnés
par le tribunal correctionnel pour des violences conjugales, mais aussi pour des maltraitances
sur enfants. Le stage est prononcé soit comme peine principale, soit comme une obligation
particulière d’un sursis avec mise à l’épreuve.
2.
OBJECTIFS
Ces deux formes d’intervention de groupe : groupe de responsabilisation et stages de
citoyenneté ont les mêmes objectifs :
 Prévention de la récidive, afin de protéger les conjointes, victimes potentielles
 Prise de conscience du vécu de la victime
 Intégration des règles élémentaires de vie en société, et des valeurs de respect, de
tolérance et de dignité
 Modifier la représentation du rôle de la femme dans la société
 Permettre une amélioration des relations de couple sur un mode plus égalitaire ;
 Expérimenter, grâce au groupe, une relation différente avec les autres, afin de
retrouver leur place dans la société avec leurs droits et leurs devoirs
 Travailler le sens et la place de la loi dans la sphère privée (rappel des sanctions)
3.
NATURE DU GROUPE DE RESPONSABILISATION ET DU STAGE DE
CITOYENNETE
3.1 Le groupe de responsabilisation
Cette appellation « groupe de responsabilisation » a été choisie en fonction de l’objectif de
départ. Pour parvenir à une protection des victimes, il importe que les auteurs, dont on sait
qu’ils ont tendance à banaliser voire à nier leur violence, prennent conscience des dommages
causés à leurs victimes, avant d’espérer un changement de comportement.
25
L’expérience a prouvé que des auteurs de violences ont souhaité intégrer le groupe en dehors
de toute obligation judiciaire.
Le groupe fonctionne comme un groupe « semi-ouvert ». L’obligation du suivi impose la
participation à 12 séances consécutives. Les séances durent une heure et demie et ont lieu tous
les quinze jours. L’obligation des 12 séances s’étale donc sur 6 mois. Les entrées se font au
fur et à mesure des décisions dont nous informe le SPIP ou le Parquet. A chaque nouvelle
entrée dans le groupe, toujours précédée d’un entretien individuel avec les deux animateurs,
les « anciens » se présentent et font part de leur cheminement déjà réalisé. Un autre entretien
individuel est prévu après 6 séances, de même qu’un entretien bilan au terme des 12 séances.
Un état des présents est adressé après chaque séance au SPIP et au Parquet. Les absents
justifient directement leurs empêchements (maladie, vacances, travail) auprès du SPIP ou du
Parquet, le rôle des animateurs étant d’apporter une aide dans le cadre de l’obligation, mais
pas de gérer les éventuelles entorses à l’obligation. Une attestation pour chaque participant est
envoyée après les 12 séances. Le contenu de cette attestation, qui rend compte du degré de
participation et d’évolution du participant, est porté à sa connaissance lors du bilan final.
Les membres du groupe qui souhaitent poursuivre au-delà des 12 séances peuvent le faire à
titre volontaire, et donc sans compte-rendu aux autorités.
Durant toute la mesure, la victime peut également bénéficier d’un accompagnement si elle le
souhaite en vue de sa reconstruction. Elle est tenue informée à tous les stades du déroulement
de la mesure. Deux femmes seulement, sur les 19 qui vivent encore en couple, ont demandé à
bénéficier d’un entretien individuel pendant la prise en charge du conjoint.
3.2 Les stages de citoyenneté
Chacun de ces stages s’étale sur un mois avec une première séance d’entretiens individuels
préliminaires, 5 demi-journées de groupe, et des entretiens individuels de bilan donnant lieu à
une éventuelle proposition d’orientation. Des comptes rendus individuels et un bilan global du
stage sont adressés au SPIP. Ce sont des groupes fermés de 7 personnes pour le premier stage,
8 personnes pour le second, et 6 pour le troisième. Comme pour le groupe de
responsabilisation, le SPIP est informé de l’état des présences et gère pas les éventuelles
absences. En fait, seule la neige a empêché, une fois, deux personnes de participer à une
séance. Par contre, un homme de 33 ans, au chômage et ne disposant pas de moyen de
locomotion, a fait à pied 20 kilomètres aller et 20 kilomètres retour pour chacune des 7
séances !
4.
LE FONCTIONNEMENT DU GROUPE DE RESPONSABILISATION ET DU
STAGE DE CITOYENNETE
Dans les deux cas, il s’agit d’une action collective qui consiste en une prise en charge du
partenaire violent dans la perspective d’éviter la récidive ou de rompre avec le processus de
réitération de l’agression, qu’il y ait reprise de la vie commune avec la victime ou non.
26
4.1 Les principes préalables :
 Nécessité d’un rappel à la loi préalable à l’entrée dans le groupe. Ce rappel à la loi
permet de poser clairement les responsabilités : il y a un agresseur et une ou des
victimes, la compagne et les éventuels enfants. Il est indispensable à la prise de
conscience de l’auteur des violences et à la reconstruction de la victime.
 Intérêt d’attribuer un caractère obligatoire à la prise en charge psycho-éducativosociale compte tenu des résistances à un tel comportement par l’auteur de violences.
4.2 L’entretien préalable
Il est toujours assuré par les deux animateurs. Outre les renseignements sur l’identité et
l’activité, et sur le maintien ou non de la vie commune avec la victime, il permet de connaître
la nature des violences commises, la décision judiciaire, le niveau de reconnaissance des faits
et le ressenti relatif à la sanction prononcée. L’interrogation porte, en particulier, sur le degré
de responsabilité qu’ils s’attribuent dans les violences commises, et éventuellement sur celle
de la victime. L’histoire de la personne est également abordée de façon très succincte et
spécifiquement les relations avec la famille d’origine et les conditions d’éducation dans
l’enfance.
Lors de l’entretien préalable, les participants nous disent majoritairement leur opposition à
parler, en groupe, d’eux-mêmes et des actes commis. Mais, dès la première séance du groupe,
les plus opposés se révèlent les plus prolixes. Et ils expriment très vite leur soulagement « Ici,
je ne suis pas jugé. Je me suis inquiété pour rien… Je suis en confiance »
L’absence de « jugement », tant de la part des animateurs que des autres membres du groupe,
la découverte que les autres participants vivent des situations plus ou moins similaires, la
convivialité du groupe, facilitent la liberté de parole et créent un sentiment de bien-être qu’ils
reconnaissent souvent lors des bilans individuels.
4.3 Le lieu des séances.
Il est apparu très important que le groupe de responsabilisation ne se réunisse pas dans les
mêmes locaux que le groupe de parole de victimes. Les victimes ont leur place dans les
locaux du CIDFF 14, à Lisieux. Les auteurs sont invités à se réunir dans les locaux du Centre
Social CAF voisin, ce qui différencie bien les deux activités, et permet en outre
occasionnellement que le directeur du Centre vienne donner à ces hommes des informations
sur les activités du centre CAF.
Les stages de citoyenneté se déroulent dans un lieu tout à fait neutre : la maison des
Associations de Bernay.
27
5.
STATISTIQUES SUR LA PARTICIPATION AU
RESPONSABILISATION ET AU STAGE DE CITOYENNETE
GROUPE
DE
Ces mesures concernent 63 hommes soit 43 dans le cadre du groupe de responsabilisation
mené à Lisieux et 20 dans le cadre des stages de citoyenneté à Bernay.
 Âge lors du premier entretien : entre 21 et 71 ans. Âge moyen : 40 ans
Entre 20 et 30 ans : 16 personnes
Entre 30 et 40 ans : 17 personnes
Entre 40 et 50 ans : 19 personnes
Entre 50 et 60 ans : 7 personnes
Entre 60 et 70 ans : 4 personnes
 Activité professionnelle
20 sont demandeurs d’emploi. Plusieurs d’entre eux ont commencé un stage de formation au
cours de la période de groupe
5 sont sans activité avec un handicap
4 sont retraités
Les 34 autres ont une activité professionnelle : ouvriers, employés, chauffeurs, chefs
d’équipe, pilotes, artisan, auto-entrepreneur.
 Situation conjugale :
31 sont toujours en couple, mariés ou en concubinage, avec la victime
32 sont séparés ou divorcés (ou divorce en cours) parmi lesquels 6 ont eu une
interdiction de contact avec la victime. Interdiction rarement respectée dans la mesure où,
dans un cas, le couple a demandé et obtenu la levée de l’interdiction, dans deux autres cas,
l’épouse appelle quotidiennement son conjoint, et pour deux autres, le couple se rencontre
malgré l’interdiction. Un seul respecte l’obligation.
 Dépendance :
25 ont une problématique alcool ou/et autres toxiques soit 40% des participants.
Tous les participants ont :
 Soit vécu des violences lourdes pendant l’enfance : maltraitances, abandons
 Soit été témoins des violences conjugales commises au sein du couple parental
 Soit ont eu une relation fusionnelle voire incestuelle avec leur mère
Il est à noter qu’ils n’ont pas repéré toutes les formes de violences, notamment parmi :
 les violences physiques : le fait de secouer ou de soulever sa compagne, cracher à la
figure, tirer les cheveux, lui tenir les poignets
 les violences verbales : certaines insultes, notamment à caractère sexuel, leur
paraissent pour certains « naturelles »
 les violences psychologiques : les ordres et contre ordres
 les violences sexuelles : les « relations forcées » avec la justification : « elles finissent
par être d’accord »
28
6.
LE CONTENU DES SEANCES. LES « EXPLICATIONS » DE LA VIOLENCE
Face aux tentatives d’explication le plus souvent linéaires et univoques (d’une part le
comportement de la conjointe, d’autre part l’alcool) proposées par les participants de ces
groupes, il nous appartient de proposer des explications pluri-factorielles de ces phénomènes.
La très grande majorité des participants reconnaît la réalité des violences commises, tout en
les banalisant. Mais ils attribuent souvent la responsabilité du déclenchement des actes
violents à leur partenaire : « C’est elle qui m’a provoqué… C’est toujours elle qui frappe la
première… Je n’ai pas supporté qu’elle me trompe… ».
Une dizaine de ces hommes évoque en effet des violences physiques de la part de la
conjointe. D’où un sentiment, souvent vite partagé par l’ensemble des groupes, d’être
victimes du pouvoir des femmes : elles sont violentes, physiquement et psychologiquement ;
elles portent plainte, et de plus ce sont très souvent des femmes qui jugent et condamnent en
correctionnelle !
Et lorsqu’on leur demande pourquoi ils n’ont pas porté plainte contre leur compagne
lorsqu’elles les ont frappés, la réponse est unanime « On ne va quand même pas porter plainte
contre une femme ! »
Le souci de promouvoir auprès de ces hommes l’égalité des droits entre les hommes et les
femmes (droit au respect, mais aussi droit de porter plainte !) se heurte ainsi à ce constat
paradoxal récurrent : leur machisme s’exprime même dans le sentiment d’être victime de la
gent féminine2. Il faut souvent revenir sur la définition des termes « victime » et « coupable »,
afin d’éviter toute confusion entre les aspects judiciaires et émotionnels. Il est tout aussi
nécessaire de travailler, de manière constante, la question de la place de la femme dans la
société « Pourquoi elles ont plus de droits maintenant ? », et l’utilisation de vocabulaire de
dénigrement « gonzesse » « elles ont ce qu’elles méritent, une tarte dans la gueule… ».
Ceci a fait l’objet de rappels et de discussions multiples sur la différence entre « vocabulaire
normal et vocabulaire blessant ». A ce sujet, des efforts et donc une évolution ont été notés.
Ainsi, le terme « gonzesse » a été remplacé par « bonne femme » puis par femme au fur et à
mesure des regroupements.
C’est souvent un sentiment d’infériorité qui est à l’origine de leur violence. D’où la nécessité
de travailler en profondeur sur le déclenchement du comportement agressif ou rejetant de leur
compagne. Les animateurs cherchent à mettre en évidence l’enchaînement des interactions dans lesquelles chacun porte une part de responsabilité dans le conflit originel – qui aboutit à
un acte de violence injustifié pour lequel ils sont clairement et seuls coupables. Face à cette
part de « responsabilité » de la conjointe dans le déclenchement du conflit, et dans la mesure
où ils confondent conflit conjugal et scène de violence, nombreux sont ceux qui regrettent que
leurs victimes ne soient pas incitées, voire obligées, comme eux, à participer à des groupes de
parole.
2 Cette évocation de la violence féminine, qui peut surprendre, se trouve cependant corroborée par la dernière
enquête de victimation de l’Observatoire National de la Délinquance et de la Répression Pénale. Cette enquête
de l’ONDRP, en collaboration avec l’INSEE, fait état de victimes féminines de violences conjugales certes
nettement plus nombreuses que de victimes masculines, mais « seulement » trois fois plus nombreuses.
L’estimation est de 208 000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part du conjoint ou de
l’ex-conjoint au cours de l’année 2009, contre 78 000 hommes victimes de la conjointe ou ex-conjointe. Les cas
de violences réciproques, ou quand la violence de l’un entraine la violence de l’autre, sont évidemment contenus
à l’intérieur de ces chiffres.
29
Lorsque les violences sont réciproques dans le couple, violences de même type, ou bien
violences physiques d’un côté et violences verbales et psychologiques de l’autre, on se trouve
dans une situation de conflit de pouvoir, qui peut se prolonger dans une escalade symétrique,
qui peut durer très longtemps, et déboucher sur les actes ou les paroles violents. Les
désaccords à propos de l’éducation des enfants peuvent aussi provoquer ce type d’escalade,
avec l’inconvénient supplémentaire de faire des enfants les enjeux de la violence.
Une seconde cause invoquée pour expliquer les actes violents est l’abus d’alcool, reconnu par
20 des participants (avec en plus pour 5 d’entre eux une dépendance à d’autres toxiques
interdits : cannabis…). Ces personnes toxico-dépendantes ont reçu du tribunal une obligation
de soins dans un service d’addictologie. Quelques-uns sont encore dépendants. Face à cette
explication de l’alcoolisation comme cause de la violence, il est nécessaire de dissocier le
problème de la violence et le problème de l’alcool. L’alcoolisation peut certes lever les freins
qui permettent à une personne de contrôler son agressivité. Mais il importe de travailler sur
cette agressivité préexistant, qui apparaît d’ailleurs parfois sans avoir besoin de l’excès
d’alcool. (Le même genre de discours dans le groupe des femmes victimes, en particulier
lorsque celles-ci tendent à « excuser » la violence du conjoint en raison de son abus d’alcool).
Et c’est dans l’histoire personnelle de chacun que se fait le lien avec l’actualité des
comportements violents.
Tous les hommes rencontrés dans ces groupes ont connu des situations de violence dans leur
enfance, soit comme victimes directes d’une maltraitance parentale (physique, psychologique,
ou sous forme de négligences), soit comme témoins des violences dans le couple parental.
Pour quelques-uns, la violence ou les humiliations ont été surtout subies dans le cadre
scolaire.
«Je n’ai jamais subi de violences de la part de ma famille. C’est au collège que j’ai fait
l’objet de moquerie à cause de ma taille et de mon poids. Cela a duré très longtemps. Pour
les faire taire, j’ai dû me défendre avec mes poings. »
Ces violences subies sont souvent banalisées « Je n’ai jamais reçu de volées. Enfin, si, une
bonne rouste de temps en temps. Mais jamais de coups de balai… Ah ! si, plusieurs fois, ma
mère m’a cassé un manche à balai sur le dos ». « Mes parents ne m’ont jamais battu. J’ai
reçu des paires de claques comme tout le monde ». Ces violences subies, banalisées,
considérées comme « normales » et justifiées, sont devenues un véritable apprentissage de la
violence comme mode de régulation des conflits, autant en ce qui concerne l’éducation des
enfants que dans les relations de couple : « Une gifle, ça n’a jamais fait de mal à personne ».
Il est d’ailleurs assez rare que les membres des groupes cherchent à justifier leur violence agie
par les violences subies. Ce sont surtout les animateurs qui cherchent à faire le lien entre la
violence agie et la violence subie, en veillant toutefois à considérer ce lien comme une
explication et surtout pas comme une justification.
Pour une bonne minorité des participants, les violences subies dans l’enfance sont encore très
présentes à la conscience et le traumatisme vécu ne facilite pas le travail de responsabilisation.
C’est en acceptant de prendre en compte dans un premier temps leur situation d’anciennes
victimes de violence qu’il est possible de rechercher ensuite les stratégies qui pourront
permettre l’évitement de la répétition des conduites violentes.
Mais il reste difficile de faire admettre que la violence conjugale qui ne posait guère de
problème à la justice à la génération de leurs parents (c’est-à-dire à une époque où l’intimité
30
familiale ne concernait pas la justice) les conduise aujourd’hui à des obligations de participer
à des stages, voire à des peines de prison.
S’il y a bien dans ces situations de répétition transgénérationnelle quelque chose qui
s’apparente au mécanisme bien connu de l’identification à l’agresseur, il faut aussi considérer
que cette violence agie est une façon de « parler » (en actes) de la violence subie, et qu’elle
exprime aussi un mouvement de colère contre l’ancien agresseur, mais colère détournée vers
un autre destinataire. On peut même faire l’hypothèse, du moins pour certaines situations, que
lorsque la violence subie dans l’enfance était le fait de la mère, ou de la belle-mère, la
violence agie à l’âge adulte contre la conjointe s’adresse bien en fait à la femme qui a élevé
cet homme devenu violent.
Mais la violence agie peut aussi trouver son origine dans des difficultés vécues dans le
présent, la violence apparaissant alors comme une projection sur la conjointe de la colère ou
la frustration contre le collègue de travail, le chef d’atelier, le chômage, ou contre soi-même
parce qu’on n’a pas su réagir face une situation difficile.
Et toutes ces « explications » peuvent bien sûr se cumuler.
7.
LA PERSONNALITE DES AUTEURS
La violence agie trouve ainsi son sens dans les interactions de l’auteur tant avec sa conjointe
qu’avec sa famille d’origine et l’environnement social. Mais qu’en est-il de la personnalité de
cet auteur de violences ?
Les hommes des groupes ne ressemblent pas au portrait classique de l’homme violent qui bat
sa femme, voire qui la tue. La quasi totalité des participants appartient à ce que Roland
Coutanceau nomme les « immaturo-névrotiques ». Certes, ils ont tendance à banaliser la
violence commise, mais ils reconnaissent le plus souvent qu’ils ont dépassé les limites
permises, même s’ils tiennent à partager la responsabilité du déclenchement de la violence
avec la compagne. La moitié des hommes rencontrés sont toujours en couple avec leur
victime. Force est de constater que le travail réalisé dans le groupe a permis une amélioration
de la qualité de la relation du couple. Quelques participants présentent des difficultés réelles
pour se décentrer de leurs problèmes et ne parviennent pas à se préoccuper du devenir de leur
compagne, même lorsque la vie commune est maintenue. Ce petit nombre appartient sans
doute au groupe des « immaturo-égocentriques » défini par Coutanceau. Quant aux
« immaturo-pervers », un seul parmi les membres du groupe « diagnostiqué » comme tel.
Si peu de « pervers » sont présents dans les groupes, c’est que les personnalités structurées sur
un mode pervers sont certainement très peu nombreuses. De plus, les violences qu’ils
commettent sont certainement plus graves que celles des hommes qui viennent dans les
groupes. Ils bénéficient donc très probablement directement d’une peine d’emprisonnement, à
moins que certains d’entre eux parviennent, du fait de leur personnalité, à éviter les foudres de
la justice.
31
8.
LES STRATEGIES D’EVITEMENT DE LA VIOLENCE.
L’un des intérêts essentiels du travail en groupe est de faire vivre aux participants
l’expérience d’une communication claire, directe, et confiante entre les membres du groupe et
avec les animateurs. Il s’agit bien d’expérience puisqu’il arrive de revenir « en direct » sur les
situations de malentendus, de projections, d’incompréhensions, de sentiments non exprimés,
au cours des échanges. Et très vite, les participants reconnaissent que c’est précisément ce qui
a manqué dans la relation du couple (comme cela a manqué également le plus souvent dans la
relation avec les parents).
« Le groupe m’a apporté des solutions. J’arrive maintenant à privilégier le dialogue ».
La capacité des deux membres du couple d’exprimer leurs émotions, leurs ressentis,
constituera une première garantie de protection contre les risques de violence (et on peut
comprendre que les hommes qui ont fait cette « découverte » dans le groupe réclament le
même type de travail pour la conjointe).
L’important est bien de parvenir à éviter ces situations d’escalade où la règle était de chercher
qui a commencé à avoir tort.
Certains participants ont trouvé des solutions de mise à distance partielle : chacun chez soi, et
on se retrouve quand on en a envie. Ou bien accord mutuel pour que chacun bénéficie de
moments, voire de week-ends, séparés. Ou bien, accord pour que dans les moments de
tension, l’un ou l’autre parte chez un ami. Ces diverses solutions n’ont d’efficacité que si
elles sont décidées d’un commun accord, signe d’un changement profond dans le mode de
gestion des relations du couple. Autrement dit, il ne suffit pas de quitter la scène, de fuir la
dispute ou le risque de débordement, sans rien en dire à la conjointe. Cela serait vécu comme
une fuite ou comme une accusation. Là encore, des mots sont nécessaires pour expliquer à la
conjointe que c’est pour éviter de s’emporter et de lui faire du mal qu’il préfère sortir de la
pièce pour aller faire un tour.
Le travail de groupe ne pouvant suffire à lui seul à régler tous les problèmes, il a été conseillé
à quelques participants de tenter de convaincre leur partenaire d’engager ensemble une
thérapie de couple. Pour d’autres, et en particulier pour ceux qui ont vécu des situations de
violence extrême dans leur enfance, il a été conseillé de poursuivre le travail de groupe par
une thérapie individuelle.
9.
COMMENTAIRES DES PARTICIPANTS SUR LEUR EVOLUTION DANS LE
GROUPE
« A la première séance, je me suis demandé ce que je faisais là. Ça m’a permis de m’ouvrir
sur moi-même. J’étais dans ma bulle. J’étais isolé. Ça m’a permis de communiquer
différemment avec ma femme. De voir que j’avais des œillères. »
« J’avais personne à qui me confier, j’avais honte. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il faut
arriver à se donner des limites, pour que l’autre puisse vivre ».
« Aujourd’hui la communication avec ma femme est devenue possible. Elle m’a dit qu’elle
était moins stressée…vous vous rendez compte, je ne savais même pas que je lui faisais cet
effet.. ;je pensais que c’était elle qui me stressait ».
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« J’ai appris beaucoup de choses sur la loi, les violences et leurs conséquences sur ma
femme. Je suis seul responsable de cette situation. ».
« Pour moi le groupe m’a permis de voir les différentes situations et de changer ma façon de
penser et d’agir. J’ai pu parler avec mon amie de ce que je ressentais réellement. Je n’attends
plus de déborder. J’ai aussi appris à l’écouter et à prendre en considération son avis. Je suis
moins renfermé ».
« Ce que vous faites c’est bien, car ça évite la prison. Je pense que je n’aurais pas autant
réfléchi et partagé avec ma compagne. ».
« Au début je n’osais pas parler, j’avais honte. Et puis je me suis lancé, car l’ambiance était
bonne. On n’est pas jugé une 2ème fois. J’ai beaucoup appris sur moi et sur mes erreurs. »
« J’ai compris que la violence ne mène à rien. Le groupe ça permet d’éviter de garder tout en
nous. »
« Ça m’a aidé à savoir ce que j’ai fait ».
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CONCLUSION
1. L’INTERET DES GROUPES
Recevoir en groupe des personnes confrontées à une même problématique, en l’occurrence,
les violences conjugales, présente d’abord l’intérêt, reconnu par tous les participants, de se
rendre compte que l’on n’est pas le seul confronté à ce type de situation. Même si cette
thématique est aujourd’hui présente dans tous les médias, les participants des groupes,
victimes comme auteurs, disent être en quelque sorte rassurés de constater que d’autres vivent
des difficultés voisines.
« Ça permet de voir ce qui se passe ailleurs.
On se rend compte que l’on n’est pas tout seul dans ce cas là, même si tous les cas sont
différents ».
Cette découverte crée souvent un sentiment de solidarité qui se manifeste concrètement, dans
le groupe des femmes victimes, par des rencontres à l’extérieur du groupe, repas, sorties, et
parfois maintien de liens d’amitié même après la sortie du groupe. Lors des séances de
groupe, cette entraide mutuelle apparaît dans la capacité d’écouter l’autre, voire de donner des
conseils, sans se référer à ses propres difficultés. Dans le groupe de responsabilisation des
auteurs de violences, les relations à l’extérieur des séances se limitent à du co-voiturage pour
venir au lieu de regroupement. L’écoute mutuelle et la prise de parole pour aider l’autre ont
aussi été très pratiquées. Ces groupes deviennent ainsi des lieux où chacun peut devenir à tout
moment un « co-thérapeute », même s’ils ne sont pas définis comme groupes thérapeutiques.
Pourtant, certains ont pu dire : « ça fait partie d’une thérapie de groupe. C’est mieux c’est
plus facile en groupe. Ça permet de se comprendre les uns les autres ».
La satisfaction d’ensemble exprimée par tous les participants lors des bilans collectifs ou
individuels doit toutefois être modulée. Près d’un tiers des femmes entrées dans le groupe n’a
participé qu’à une, deux ou trois séances. Ces personnes n’ont sans doute pas trouvé dans ce
dispositif ce qu’elles pouvaient attendre.
Pour les hommes, l’obligation judiciaire a nécessairement limité le nombre des défections.
Les rares insatisfaits qui ont quitté rapidement le groupe ont ainsi pris le risque d’une
incarcération. Mais tous ceux qui ont respecté la consigne des 12 séances obligatoires ont dit
leur satisfaction d’avoir pu s’exprimer librement sans se sentir jugés, ce qui vient confirmer
que l’obligation n’empêche pas l’aide, et peut même la faciliter.
Les animateurs de ces groupes ont eu en effet le souci constant de ne pas porter de jugement
et de prendre en compte la souffrance vécue. Souffrance de la victime de violence, d’abord et
surtout. Mais c’est aussi en prenant en compte les souffrances passées et présentes subies par
les auteurs qu’une alliance s’est révélée possible pour un travail en profondeur sur les
violences commises. Cette prise en compte, sans jugement, de la souffrance, ne signifie pas
pour autant complaisance ou compassion passive. Les recherches d’explication de la violence
impliquent de mettre en relief la responsabilité propre de chacun dans le processus de
déclenchement du passage à l’acte, ce qui peut même amener à avoir des attitudes de
« provocation » afin de mobiliser les participants. La mise en évidence et l’analyse de la
volonté de telle femme de sauver, soigner, materner, son conjoint constituent un exemple de
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ces « provocations ». De même, lorsque les animateurs amènent un homme à prendre
conscience que le fait de cogner dans le mur ou dans l’armoire pour éviter de frapper sa
conjointe, crée chez elle une peur panique. Cette terreur a le même effet chez elle qu’un coup
réellement reçu (ce qui est aussi une manière de travailler sur l’amélioration de l’empathie
pour la victime).
La création du groupe de responsabilisation des auteurs, à côté du groupe de parole de
victimes concrétise le souci de montrer, aux victimes comme aux auteurs, l’intérêt égal porté
aux unes comme aux autres. Et le fait que les mêmes professionnels animent les deux groupes
- de victimes et d’auteurs - permet d’utiliser dans un groupe des réflexions, des commentaires
des analyses, fournis par l’autre groupe.
2. LA REGULATION DES ANIMATEURS
L’animation de ces groupes nécessite des temps de « régulation ». A l’issue de chaque séance,
un temps d’échange entre les animateurs est consacré sur les ressentis par rapport au climat
global de la séance, et par rapport aux propos et attitudes de chacun des participants :
empathie, compassion, irritation, énervement, incompréhension…
L’expression de ces émotions, qui permet la prise de distance, diffère nécessairement entre les
deux animateurs, de sexe, âge, formation, expérience, différents. Mais il n’est pas rare que si
un(e) participant(e) agace l’un des animateurs, l’autre soit plus à l’écoute et ressente plutôt le
besoin d’aider. Et lorsque les deux animateurs éprouvent les mêmes difficultés face à tel(le)
ou tel(le) participant(e), ce temps de régulation permet de rechercher comment il sera possible
à la séance suivante de connoter positivement ces sentiments négatifs.
Les participants savent que ces échanges ont lieu entre les séances. Cela leur est dit. Elles et
ils savent que les animateurs peuvent ne pas toujours être d’accord. La communication faite
aux participant(e)s sur ces échanges, et l’expression occasionnelle de désaccords à l’intérieur
des séances, constituent un complément de l’apprentissage de la communication et en
particulier de l’expression des émotions, déjà vécu entre elles, entre eux, lors de chaque
séance de groupe.
La violence est un mode de communication inadapté.
Permettre aux participants, femmes et hommes, de ces groupes d’exprimer leur ressenti est un
premier pas pour limiter les risques du renouvellement des situations de violence.
Nathalie PERRINGERARD
Michel SUARD
30 Avril 2011
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BIBLIOGRAPHIE
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prévention » Ministère de la Cohésion sociale et Parité 2006
COUTANCEAU Roland « Les blessures de l’intimité » Odile Jacob 2010
FONDATION DE FRANCE « De la violence conjugale à la violence parentale » Erès 2001
HIRIGOYEN Marie France « Femmes sous emprise, les ressorts de la violence » Pocket 2006
HIRIGOYEN Marie France « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » La
découverte 2003
PERRONE Reynaldo « Violences et abus sexuels dans la famille » ESF 1995
PONCET-BONISSOL Yvonne « Pour en finir avec les tyrans et les pervers dans la famille »
Chiron 2003
VOUCHE Jean-Pierre « de l’emprise à la résilience » Fabert 2009
WELZER-LANG Daniel « Les hommes violents » Payot 2005
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