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Le point sur les mères adolescentes au Québec Céline Goulet Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine Isabelle Marcil Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine Célestine Kamdom Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine Article original Malorie Toussaint-Lachance Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine Résumé : Cet article présente la situation actuelle des mères adolescentes au Québec et propose une avenue d’intervention qui devrait permettre de mieux répondre aux besoins de cette clientèle particulière. Les conséquences négatives qu’entraîne la maternité à l’adolescence au plan sanitaire, social et économique sont préoccupantes, même si certaines adolescentes s’en sortent mieux que d’autres. Un certain nombre de ressources et d’interventions existent pour ces mères, mais elles ne réussissent pas toujours à avoir des effets à long terme. Pour y arriver, les interventions doivent agir sur l’ensemble des facettes de la vie de ces mères et amener celles-ci à développer leur potentiel et à se prendre en main. L’approche du programme Naître Égaux –Grandir en Santé semble être la plus appropriée actuellement et pourrait répondre aux besoins des mères adolescentes, dans la mesure où cette approche serait adaptée aux particularités de cette clientèle. Mots clés : Grossesse, maternité, adolescence, intervention, habilitation. Introduction : le point sur les mères adolescentes au Québec C haque année, près de 15 millions d’adolescentes à travers le monde donnent naissance à un enfant, ce qui représente 10 % du nombre total des nouveau-nés (Black & Debelle 1995), et ce, en considérant uniquement les filles âgées de plus de 15 ans. Par ailleurs, approximativement 100 000 de ces adolescentes meurent de causes liées à la grossesse et à l’accouchement (Nations Unies, 1995). Comparativement aux autres provinces canadiennes, le Québec Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol. 8, n° 2, 2001, pp. 21-34. 22 Céline Goulet, Isabelle Marcil, Célestine Kamdom et Malorie Toussaint-Lachance connaît un taux inférieur de grossesse à l’adolescence; toutefois, il est l’une des rares provinces canadiennes à voir ce nombre en croissance constante entre 1987 et 1993 (Millar & Wadhera, 1997 ; Wadhera&Millar, 1997). En effet, au cours de cette période, le taux de grossesse chez les filles de 14 à 17 ans est passé de 12,6 à 20,1 pour 1000, soit une augmentation de plus de 60 % (Secrétariat à la condition féminine, 1997). Toutefois, un ralentissement de cette progression est observé depuis 1993 (Loignon, 1996). La grossesse précoce représente un phénomène répandu au Québec. Ce n’est pas seulement la problématique de la grossesse qui est préoccupante mais aussi les conséquences de la maternité sur la vie des adolescentes : plus grand risque pour le développement des mères et de leur bébé, décrochage scolaire, abandon de projet de vie, précarité d’emploi et, bien souvent, début du cycle de dépendance financière aux prestations d’aide sociale. En réponse à ces conséquences sur la santé des adolescentes et de leur bébé, diverses ressources se sont développées au Québec. L’absence de suivi à long terme et de coordination des ressources, ainsi que le constat d’échec des intervenants obligent à revoir les programmes postnataux offerts à cette clientèle. Il devient nécessaire que les programmes offrent aux mères adolescentes un accompagnement à long terme, qu’ils réorganisent les ressources mises à leur disposition et répondent plus spécifiquement à leurs besoins afin de développer leurs aptitudes de mères et leur potentiel individuel. La situation québécoise Selon les statistiques provinciales québécoises, en moyenne 7000 à 9000 adolescentes se retrouvent enceintes annuellement. Le taux de grossesse chez les 14-19 ans varie selon les régions du Québec. Les régions où il est le plus élevé sont Kativik (121/1000 adolescentes), les Terres Cries de la Baie James (95/1000 adolescentes) et Montréal-Centre (27 / 1000 adolescentes) (Ministère de la santé et des services sociaux [MSSS], 1993). Ces taux incluent les naissances vivantes, les avortements spontanés et les interruptions volontaires de grossesse. En conservant uniquement les naissances vivantes, les régions de Kativik et des Terres Cries de la Baie James demeurent aux premier et deuxième rangs, alors que Montréal-Centre passe à la 7e place, après l’Abitibi, la Côte-Nord, le Nord du Québec et l’Outaouais. Ces statistiques demeurent très conservatrices puisque seuls les avortements pratiqués en clinique sont enregistrés. Plusieurs cas d’avortements spontanés ne sont pas rapportés, et les avortements illégaux ou pratiqués aux États-Unis sont exclus de ce calcul (Wadhera & Millar, 1997). Au début des années 90, le taux québécois d’avortement a atteint un sommet de 37 pour 100 naissances vivantes. Chez les adolescentes, ce taux s’élève jusqu’à 60 %, les statistiques les plus élevées étant observées dans les grands centres : sur l’île de Montréal et à Laval (68 %), à Québec (66 %) et dans les Laurentides (65%) (MSSS, 1993). Quant aux naissances, selon Charbonneau (1999) et Tarabulsy, Hémond, Lemelin, Bouchard, Allaire,& Poissant (1999), entre 4000 et 5000 bébés naissent annuellement de mères adolescentes au Québec. Le profil des mères adolescentes Dans les années 70, les adolescentes enceintes étaient souvent contraintes de se marier « obligées » ou devaient confier leur enfant à l’adoption. L’avortement était par ailleurs illégal. Ainsi, l’adolescente qui poursuivait sa grossesse élevait son bébé dans un contexte familial où l’homme assumait son rôle paternel. La nouvelle famille pouvait alors évoluer dans un contexte relativement indépendant de toute aide financière extérieure. Aujourd’hui, le portrait des mères adolescentes diffère grandement. Les rapports des centres de réadaptation qui les accueillent et les ressources qui les soutiennent mentionnent qu’à partir du début des années 1990, la situation des mères adolescentes s’est aggravée. Leur moyenne d’âge a diminué (MSSS, 1993) et beaucoup d’adolescentes préfèrent vivre la maternité en célibataires (Gordon, 1996 ; Cournoyer, 1995) ; elles affirment ne pas désirer la présence ou la cohabitation avec le père. Au Québec, en 1990, 32 % des mères de moins de 18 ans n’ont pas déclaré l’identité du père. Plus les mères sont jeunes, plus le père semble absent; à 15 ans, le taux de non-déclaration grimpe à 45 % (MSSS, 1993). En comparaison, ce taux se situe autour de 4 % pour l’ensemble des femmes québécoises. Parmi les pères reconnus par les mères adolescentes, seulement 6,2% ont moins de 18 ans (Charbonneau, 1998; MSSS, 1993). Le point sur les mères adolescentes au Québec 23 La proportion des mères de 15 à 17 ans qui ont un partenaire âgé d’au moins six ans de plus qu’elles est de 33% au Québec, comparativement à 24 % dans l’ensemble du Canada (Millar & Wadhera, 1997). Plusieurs pères adolescents nient leur paternité et ne se sentent pas concernés. Leur présence auprès de l’adolescente serait influencée par la naissance de l’enfant et leur implication serait relative à la nature du sexe de l’enfant (Rhein et al., 1997). Ils se marient rarement avec la mère adolescente. Ils offrent du soutien et du support durant une certaine période mais quittent souvent la mère au cours des deux années suivant la naissance de l’enfant (Adams&Kocik, 1997; Charbonneau, 1999 ; Léonard & Paul, 1996 ; Osofsky, Hann, & Peebles, 1993). Cependant, il semble que plusieurs pères se plaignent de rencontrer de la résistance de la part de la mère, ce qui nuit à leur participation aux soins à l’enfant. À l’inverse, certaines mères rapportent plutôt cette situation comme un désintéressement du père (Rhein et al., 1997), ce qui amplifie davantage leurs difficultés de communication. Certains pères adolescents sont aussi confrontés à la résistance des parents des adolescentes. Ces derniers encourageraient la restriction de l’implication des pères auprès de l’enfant. Finalement, l’insécurité financière et le manque de connaissances de ces derniers quant aux soins de l’enfant s’ajoutent aux obstacles qui mènent éventuellement à un désintérêt de leur part (Rhein et al., 1997). Si les grossesses chez les adolescentes surviennent dans tous les milieux et toutes les couches de la société, les adolescentes provenant d’un milieu socio-économiquement défavorisé poursuivent leur grossesse en plus grand nombre (MSSS, 1993). Sur le plan économique, les deux tiers des adolescentes qui ont donné naissance à un enfant en 1990 dépendaient de prestations de la sécurité du revenu, 80% vivaient en situation de monoparentalité (MSSS, 1993) et 96% de celles qui ont opté pour l’avortement étaient célibataires (Wadhera & Millar, 1997). De plus, les mères de familles monoparentales de moins de 35 ans avaient un revenu annuel moyen d’environ 10000$ (Secrétariat à la condition féminine, 1997). Dans la plupart des cas où le père adolescent est présent, la famille entière vit grâce aux prestations de l’aide sociale. S’ils ne vivent pas de l’aide sociale, les parents adolescents occupent généralement des emplois peu rémunérateurs, ce qui les maintient au niveau ou même sous le seuil de la pauvreté (Charbonneau, 1999). Souvent, le jeune homme quittera l’école pour accepter un emploi mal rémunéré afin de subvenir aux besoins de sa famille (Roye & Balk, 1996). Facteurs explicatifs Il n’y a pas d’explication unique au phénomène de la grossesse à l’adolescence. Les éléments de réponses relevés dans les écrits paraissent variés et se rapportent autant au développement personnel, social et affectif qu’au milieu socioéconomique et culturel. À propos du développement, les études rapportent que les comportements sexuels des adolescents ne sont pas toujours responsables. Selon Drake (1996), leur stade de développement cognitif les empêche souvent de comprendre ou d’envisager les conséquences à long terme de leurs comportements et la pensée magique demeure un obstacle majeur à l’utilisation de moyens contraceptifs (Loignon, 1996; Secrétariat à la condition féminine, 1997). Les relations sexuelles à l’adolescence sont marquées par leur caractère spontané et non planifié (Charbonneau, 1999 ; Melançon, 1996) et les premières expériences se distinguent généralement par une absence ou une mauvaise utilisation de moyens contraceptifs (Loignon, 1996). Qui plus est, choisir d’avoir un enfant à l’adolescence semble constituer une actualisation du désir d’adopter des comportements à risque, particularité de cette période de la vie (Cournoyer, 1995). Encore aujourd’hui, un trop grand nombre de parents, d’éducatrices et d’éducateurs se taisent parce qu’ils éprouvent un malaise et des réticences à aborder franchement les questions de nature sexuelle avec les jeunes. Les médias (revues, films, messages publicitaires, etc.) véhiculent l’image d’une société ouverte et permissive face à la sexualité alors qu’en contrepartie un vide persiste en matière d’enseignement et d’apprentissage d’une sexualité saine et responsable (Melançon, 1996). Le manque d’ouverture face à la sexualité a d’ailleurs été pointé du doigt comme l’un des facteurs contribuant au taux élevé des grossesses à l’adolescence aux États-Unis (Gordon, 1996) ; il en va de même chez nous (MSSS, 1993). 24 Céline Goulet, Isabelle Marcil, Célestine Kamdom et Malorie Toussaint-Lachance Du point de vue affectif et social, plusieurs adolescentes désirent être enceintes (Burns, 1999; Cournoyer, 1995). Parmi les raisons les plus couramment mentionnées, on retrouve le désir des adolescentes de combler des carences affectives ou un manque de stabilité et de compenser pour une vie familiale perturbée, bouleversée par la séparation des parents ou l’arrivée de plusieurs conjoints successifs [beaux-parents] (Charbonneau, 1999). Elles cherchent aussi à compenser pour l’inceste et la violence subie ou encore à reproduire un modèle familial idéal. Des résultats d’études rapportent qu’entre 50 % et 66 % d’entre elles auraient subi des abus physiques ou sexuels (Boyer&Fine, 1992; Tarabulsy et al., 1999). Par le biais de la maternité, certaines adolescentes tentent également de fuir ou de contourner les difficultés scolaires et d’accéder à un avenir meilleur. Souvent, elles ne considèrent pas que la maternité risque de limiter leur avenir. La maternité peut même leur apparaître comme un moyen d’accéder à un statut particulier (Loignon, 1996). Les adolescentes éprouvent ainsi le sentiment d’acquérir une identité qui leur est propre, d’avoir une emprise sur leur vie et de jouer un rôle dans la société. Selon Charbonneau (1999), le désir de combler un manque affectif et d’accéder à un nouveau statut par la maternité apparaîtrait au moment de la prise de décision quant à la poursuite ou non de la grossesse (Charbonneau, 1999). Si les recherches ont démontré que les taux de grossesse diffèrent selon l’appartenance à un groupe culturel ou à une origine ethnique, peu d’études ont porté sur les différences entre les motivations et facteurs explicatifs de la grossesse à l’adolescence, selon ce critère. Il faut consulter les écrits américains pour apprécier ce facteur. Selon Merrick (1995), chez les adolescentes afro-américaines de milieu défavorisé, la maternité devient la meilleure option possible parmi les choix restreints qui s’offrent à elles. La maternité correspond alors à un choix de « carrière », une trajectoire de vie normale. Elle définit « choix de carrière » comme la sélection d’un rôle par lequel une personne développe son identité et qui représente le travail d’une vie. Les filles choisissent la maternité comme rite de passage à la vie adulte. Certains groupes culturels peuvent avoir des valeurs ou des attitudes particulières quant à la maternité à l’adolescence, mais il est parfois difficile de dissocier l’effet de l’ethnicité de celui du statut socio-économique. Les résultats de l’étude de Merrick (1995) s’apparentent aux raisons invoquées par les jeunes filles québécoises de milieu défavorisé qui, nées de mères adolescentes et emmaillées dans une culture de dépendance sociale, perçoivent la grossesse comme la solution à l’obtention d’un statut social et à « l’indépendance » financière. Par ailleurs, sur le plan socio-économique, il semble qu’un lien pourrait exister entre l’augmentation des grossesses à l’adolescence et les perceptions négatives des jeunes face à l’avenir, bien que cette hypothèse ne soit pas vérifiée empiriquement (Secrétariat à la condition féminine, 1997). La maternité pourrait alors constituer une réponse à une détresse psychologique chez les jeunes. En effet, en 1993, 46% des Québécoises âgées de 15 à 19 ans montraient un indice élevé de détresse psychologique, alors que la proportion était de 36 %, en 1987. De plus, elles sont six fois plus déprimées que les garçons du même âge et présentent deux fois plus d’idées suicidaires (Secrétariat à la condition féminine, 1997). Aussi, dans les milieux défavorisés socio-économiquement, la grossesse s’apparente souvent à une stratégie de survie pour l’adolescente visant d’abord à changer sa situation. Devenir enceinte représente alors tout simplement un moyen pour devenir un agent actif de changement sur sa propre vie (MSSS, 1993). Si les facteurs explicatifs de la maternité précoce demeurent multiples, il en va de même des répercussions qu’elle entraîne. Devenir enceinte et donner naissance à un enfant entraîne d’importants changements dans la vie de l’adolescente. Les conséquences sanitaires, sociales et économiques qui en découlent sont importantes et ressenties aussi bien par elle que par son enfant et les proches qui l’entourent. Les conséquences Selon certaines sources, les adolescentes seraient plus susceptibles que les femmes adultes de présenter des problèmes liés à la grossesse et à l’accouchement. Selon Tarabulsy et al. (1999), les complications de grossesse sont en partie attribuables à des problèmes fréquents d’alimentation, de consommation de drogue ou d’alcool ou à un certain désintéressement face à leur grossesse. Celles de moins de 15 ans courent un plus grand risque de présenter des problèmes d’anémie ou d’hypertension, des troubles urinaires ou des hémorragies Le point sur les mères adolescentes au Québec 25 postnatales (Secrétariat à la condition féminine, 1997). Toutefois, d’autres recherches sur l’issue des grossesses des mères adolescentes tendent à démontrer le contraire (Creastas et al., 1991 ; Scholl, Hediger, & Belsky, 1994 ; Stevens-Simon, Kaplan,&McAnarney, 1993). Scholl et ses collaborateurs (1994) ont procédé à une métaanalyse des études sur les complications de la grossesse et les comportements à risque associés à des issues défavorables. La majorité de ces études démontre que, chez les adolescentes enceintes, le tabagisme et l’usage de l’alcool et de drogues sont moins courants que chez leurs pairs. Ces auteurs notent également une diminution significative du risque d’anémie, d’hypertension gravidique et de césarienne chez les adolescentes comparativement aux gravidités adultes. Toutefois, les études recensées dans la métaanalyse de Scholl et al. (1994) montrent aussi qu’elles courraient un plus grand risque d’accouchement prématuré et de bébés prématurés ou de faible poids. Ce risque est particulièrement accru chez les adolescentes de milieux vulnérables (Jones & Collins, 1996). Au Québec, les mères de moins de 20 ans auraient des bébés prématurés dans 8,3% des cas et un bébé de faible poids dans 7,3% des cas (MSSS, 1993). Les études québécoises portant sur les conséquences sanitaires de la maternité à l’adolescence ne distinguent généralement pas les adolescentes selon qu’elles proviennent de milieux favorisés ou non. Quant aux bébés, ils sont plus susceptibles de développer des troubles d’adaptation et du comportement, d’avoir des accidents (blessures physiques), (MSSS, 1993) ou de présenter une anomalie congénitale immédiatement reconnaissable (Wadhera et Millar, 1997). Au plan socio-économique, la seule façon pour l’adolescente de s’extraire d’un milieu familial difficile et de devenir légalement autonome est d’avoir un enfant. Deviennent alors accessibles l’aide sociale (sécurité du revenu) et la vie en appartement. En outre, la maternité à l’adolescence est aussi associée au décrochage scolaire et à la marginalisation sociale. Alors qu’aux États-Unis, le ministère de l’Éducation estime que 40 % des décrocheuses ont abandonné l’école parce qu’elles étaient enceintes, au Québec, on conclut plutôt qu’un bon nombre d’entre elles montrent déjà un profil de décrocheuses avant de devenir enceintes (Secrétariat à la condition féminine, 1997). Certaines études appuient d’ailleurs ce point de vue (Gordon, 1996 ; Holden, Nelson, Velasquez, & Ritchie, 1993). Toutes les mères adolescentes ne sont pas condamnées au cycle de la pauvreté et de l’appauvrissement. En fait, Charbonneau (1998) classe les jeunes mères en trois catégories: celles qui s’en sortent bien à long terme, celles dont l’existence est marquée par de grandes difficultés persistantes à long terme et celles qui connaissent un cheminement intermédiaire aux deux premières situations. Ainsi, celles qui parviennent à bien s’en sortir financièrement proviennent souvent d’un milieu socio-économiquement élevé, bénéficient du soutien parental et de leur réseau social de même que d’un système de gardiennage de l’enfant leur permettant d’étudier et de travailler (MSSS, 1993). De plus, l’étude de Charbonneau (1999) a mis en lumière qu’un retour rapide sur les bancs d’école ou sur le marché du travail à la suite de l’accouchement était souvent le gage d’une trajectoire de vie plus facile (Charbonneau, 1999). Par ailleurs, dans son rapport publié en 1991, Bouchard mentionnait que «l’un des pires handicaps que doit surmonter une jeune mère adolescente a trait à la certitude des gens qui l’entourent et de la société en général qu’elle est condamnée à la misère pour le reste de sa vie » (p.23). Facteurs d’influence du cheminement des mères adolescentes Les mères adolescentes se sentent plus isolées et restreintes par leurs responsabilités parentales que leurs congénères plus âgées (Passino, Whitman, Borkowski,&Schellenbach, 1993). Par contre, elles ont une perception très positive de leurs capacités parentales (Arenson, 1994 ; Charbonneau, 1999). Des études démontrent que, comparativement à des femmes plus âgées, les adolescentes en savent souvent moins sur le développement de l’enfant, ont des interactions moins appropriées avec lui et nourrissent des attentes moins réalistes au sujet de ses comportements et habiletés (Samuels, Stockdale, & Crase, 1994 ; Stoiber & Houghton, 1993; Tarabulsy et al., 1999; Thompson, Powell, Patterson,&Ellerbee, 1995). De plus, elles sont plus exigeantes et choisissent davantage les punitions physiques pour leur enfant, manifestent une plus grande insensibilité aux indices qu’il émet, adoptent un style d’interaction non-verbal 26 Céline Goulet, Isabelle Marcil, Célestine Kamdom et Malorie Toussaint-Lachance avec lui, le touchent et lui parlent moins que les parents plus âgés (Porter, 1990 ; SmithBattle, 1996). En fait, la compétence maternelle des mères adolescentes pourrait être le reflet de la façon dont leur famille leur a prodigué des soins et de l’attention (Apfel&Seitz, 1991; SmithBattle, 1996). La compétence, la confiance en soi et une réponse attentive aux besoins du bébé seraient le fruit d’une relation parentale positive avec les grandsparents du bébé dans laquelle ceux-ci reconnaissent le potentiel et les capacités de l’adolescente et lui prodiguent toute leur attention parentale et leur confiance. Le soutien qu’elles reçoivent de leurs parents joue souvent un rôle déterminant sur la capacité des mères adolescentes à briser leur isolement, à passer par-dessus les difficultés et à retourner éventuellement à l’école en vue d’entreprendre une carrière (Charbonneau, 1998). Sans cette aide, peu de mères adolescentes retournent sur les bancs d’école ou, quand elles le font, elles y retournent seulement au moment où l’enfant entre à l’école. Le soutien parental permet également de diminuer le niveau de stress de l’adolescente relié à la maternité et les bouleversements qu’elle entraîne dans sa vie, à augmenter son estime de soi (Bogat, Caldwell, Guzman, Galasso, & Davidson, 1998 ; Lackrovic-Gregin, DeKovic,&Opacic, 1994; Giblin, Poland, & Ager, 1990) et son sentiment de sécurité (Giblin et al., 1990). En dépit du fait que la mère de l’adolescente constitue souvent sa principale source de soutien (SmithBattle, 1996) et que l’adolescente envisage parfois sa grossesse comme un moyen susceptible d’améliorer sa relation conflictuelle avec sa propre mère (Charbonneau, 1999), le soutien parental ne constitue pas toujours la meilleure solution pour elle. Lorsqu’elle s’occupe beaucoup du bébé, la grandmère maternelle en vient parfois à s’approprier la responsabilité de celui-ci (Charbonneau, 1999). Des études vont même jusqu’à suggérer que les mères adolescentes qui reçoivent du soutien maternel dans le cadre d’une relation mère-fille conflictuelle vivent plus de symptômes dépressifs (Kalil, Spencer, Spicer, & Gilchrist, 1998), de frustrations dans les soins à donner au bébé (SmithBattle, 1996) et ressentent plus de stress et une baisse d’estime de soi (Bogat et al., 1998). Nitz, Ketterlinus et Brandt (1995) ont d’ailleurs identifié que la mère des adolescentes représente une source de conflit pour plusieurs d’entre elles. Les adolescentes se tournent vers d’autres sources d’aide lorsque cette source de soutien est absente ou insuffisante (Bogat et al., 1998; Hoffman, Ushpiz,&Levy-Shiff, 1988). Le soutien pré- et post-natal offert par les membres du réseau de l’adolescente peut engendrer chez elles des comportements et attitudes maternels plus positifs (Bogat et al., 1998). L’âge de la mère ne constitue pas le seul facteur d’influence lorsqu’il est question de maternité. C’est plutôt la combinaison de celui-ci avec des conditions socio-économiques difficiles, une faible scolarité (MSSS, 1993) et une marginalisation sociale (Secrétariat à la condition féminine, 1997) qui représente un danger pour la santé et la qualité de vie des mères et des nouveau-nés. En somme, les mères adolescentes qui s’en sortent à long terme sont celles qui retournent rapidement à l’école ou au travail, suite à l’accouchement. Elles démontrent une capacité à se remettre en question, à faire face aux conflits familiaux, à conserver un certain réseau social, à développer leur sens des responsabilités, et la volonté d’être indépendantes financièrement. Souvent, elles rompent aussi avec le père de l’enfant et se lient à un conjoint plus responsable (Charbonneau, 1999). Les ressources et les interventions Au Québec, un certain nombre de ressources offrent une variété de services aux adolescentes. Les principales ressources mises à leur disposition et utilisées par elles sont les CLSC, les cliniques de jeunes, les écoles, les centres jeunesse, les centres hospitaliers et les organismes communautaires dont les maisons de jeunes (Cardinal Remete, 1999). Il existe également des ressources spécialisées comme des centres d’accueil et de réadaptation et d’autres qui offrent des services de soutien et d’écoute spécifiquement pour les jeunes filles enceintes. Ces ressources dédiées aux adolescentes et jeunes mères visent trois objectifs, à savoir les préventions primaire, secondaire et tertiaire. La prévention primaire, soit la prévention de la grossesse, est principalement prise en charge par les écoles et par les CLSC. Des infirmières donnent, dans le cadre des programmes scolaires, des cours de base portant essentiellement sur la sexualité, la contraception et la prévention des maladies transmissibles sexuellement. Le point sur les mères adolescentes au Québec 27 La prévention secondaire vise à prévenir les conséquences négatives de la grossesse et à permettre un développement sain des adolescentes. Ce sont particulièrement des interventions de soutien et d’accompagnement offertes aux adolescentes (CLSC, cliniques de jeunes, écoles, centres hospitaliers et organismes communautaires). Une même ressource propose habituellement plusieurs types de service: la scolarisation (École Rosalie-Jetté, Elizabeth High School, École secondaire Le Virage à Laval, École Joseph-François-Perrault à Québec et Villa Marie-Claire à Sherbrooke), l’hébergement (Maison Marie-Lucille, centre d’accueil Elizabeth House, appartements Augustine Gonzales) et la préparation à la vie autonome (L’Envol et la Maison Marie-Lucille, appartements Augustine Gonzales). Finalement, la prévention tertiaire se définit comme une intervention visant à aider l’adolescente à solutionner les difficultés quotidiennes et à améliorer sa qualité de vie ainsi que celle de son enfant. Au Québec, plusieurs programmes de ce type utilisent diverses stratégies d’intervention : suivi postnatal personnalisé (L’Envol et son programme d’intervention en milieu familial «Les Chanterelles»), atelier de formation et de développement des habiletés parentales (L’Envol et la Maison MarieLucille, Le Petit Revdec, le centre d’accueil Elizabeth House, Le Bureau de Consultation Jeunesse), programmes de retour à l’école ou de soutien scolaire (Le Petit Revdec, la Maison Joie de Vivre de l’Ordre de Malte à Laval) répit-gardiennage et garderie (L’Envol et sa garderie «les Oisillons», Le Petit Revdec, le centre d’accueil Elizabeth House, la Maison Joie de Vivre de l’Ordre de Malte à Laval), soutien psychologique pour les parents adolescents (Groupe de support Paradoxe), stimulation précoce pour les bébés (L’Envol et sa garderie « les Oisillons »), etc. Limites des ressources et des interventions existantes Si ces ressources réussissent à diminuer l’isolement et à augmenter les compétences parentales à court terme, les interventions échouent souvent à sortir les parents adolescents de leur situation d’appauvrissement et à les habiliter à long terme (Cardinal Remete, 1999 ; Marsh & Wirick, 1991). Trop fréquemment, les nombreuses ressources existantes ne parviennent pas à établir des collaborations entre elles et, conséquemment, n’arrivent pas à répondre aux besoins spécifiques des mères adolescentes. Les divers intervenants clament la nécessité de développer des liens et une cohésion entre les ressources qui desservent les adolescentes (Cardinal Remete, 1999 ; Loignon, 1996). Cette cohésion devient d’autant plus importante que les besoins des mères adolescentes québécoises sont multiples, allant de besoins fondamentaux comme la nourriture et un toit à une reconnaissance sociale de leur travail de parent, en passant par de l’aide pour développer leurs compétences parentales et du soutien pour leur développement personnel comme le retour à l’école ou sur le marché du travail (Zitzelsberger & Mann, 1999). Dans le réseau de la santé, les CLSC représentent les premiers mandataires des suivis postnataux. Mais peu d’entre eux offrent un suivi postnatal personnalisé et adapté à la réalité des mères adolescentes et aucun n’offre de suivi précoce et intensif. Lorsque ces suivis existent, les adolescentes ne sont pas enclines à y participer en raison de leur méfiance envers les intervenants; plusieurs d’entre elles sont marquées par un lourd passé de rapports avec les centres d’accueil et les travailleurs sociaux (Loignon, 1996). Toute intervention auprès des mères adolescentes nécessite donc en premier lieu l’établissement et la consolidation d’une relation de confiance (Hern, Miller, Sommers,&Dyehouse, 1998). De plus, les intervenants se sentent souvent mal outillés pour faire face à la complexité du phénomène de la maternité à l’adolescence (Loignon, 1996). Les intervenants, éducateurs, professeurs et professionnels de la santé mettent beaucoup d’efforts à informer les adolescents sur les façons de prévenir à la fois la grossesse et les maladies transmissibles sexuellement. Toutefois, le manque de maturité des adolescents en matière de sexualité (Burns, 1999) ainsi que d’autres facteurs importants comme la décision de changer sa situation, la volonté ferme d’avoir un enfant (MSSS, 1993), la perception positive de ses capacités parentales, la perception négative en regard de l’utilisation des ressources communautaires du milieu et le fait de considérer l’aide sociale comme un salaire pour élever un enfant (Charbonneau, 1999) nuisent à l’efficacité des programmes de prévention et d’intervention concernant la grossesse précoce. En fait, il a été démontré que les cours d’éducation sexuelle ont peu d’impact sur la prévention de la grossesse (Olsen, Jensen, & Greaves, 1991). De plus, peu de jeunes Québécoises enceintes profitent des services des centres d’assistance et d’hébergement 28 Céline Goulet, Isabelle Marcil, Célestine Kamdom et Malorie Toussaint-Lachance conçus pour elles parce que le nombre de ceux-ci est restreint et leurs critères d’admission sont restrictifs (Cardinal Remete, 1999). Qui plus est, les adolescentes ne sont pas enclines à participer aux rencontres prénatales offertes par les CLSC (Loignon, 1996). Par ailleurs, peu de ressources existent spécifiquement pour les pères adolescents ou à la fois pour la mère et le père. Et il semble qu’il soit plus difficile d’intervenir auprès du père parce qu’il démontre moins d’intérêt pour ce type d’activités (Wadhera & Millar, 1997). Conditions pour des interventions efficaces D’après le «Programme d’action 1997-2000 pour toutes les Québécoises » (Secrétariat à la condition féminine, 1997), même si la prévention primaire apparaît être la plus profitable des voies de solutions pour améliorer le futur des adolescentes, il reste impérieux de leur apporter un soutien de qualité lorsqu’elles deviennent enceintes. À ce même titre, il est essentiel de les informer adéquatement de façon à ce qu’elles prennent une décision éclairée et de rendre accessibles des programmes de même que des services éducatifs à celles qui choisiront de mener leur grossesse à terme. Pour permettre aux mères adolescentes de se sortir de leur situation d’appauvrissement et les habiliter à long terme, les programmes d’intervention doivent agir sur l’ensemble des facettes de la réalité des mères adolescentes, amener ces dernières à développer leur potentiel et à se prendre en main (Cardinal Remete, 1999). Les interventions doivent alors favoriser un développement sain en fonction de l’âge des parents adolescents et de leur enfant, elles devraient aussi améliorer les habiletés décisionnelles et de communication des adolescentes, en plus de les informer des ressources qui sont à leur disposition (Thompson et al., 1995). Un autre rapport, celui de la Canadian Association of Family Resource Programs (Zitzelsberger& Mann, 1999), mentionne dans ses recommandations que les programmes d’interventions efficaces auprès des mères adolescentes sont basés sur une approche holistique de la problématique où les intervenants mettent en valeur les forces de l’adolescente et encouragent ses efforts ainsi que le développement d’un réseau de soutien. Ils adoptent une approche flexible auprès des adolescentes, mettant un accent particulier sur l’apprentissage, dans un climat plaisant de respect et de confiance (Zitzelsberger & Mann, 1999). Il semble que plus longtemps l’adolescente participe à un programme structuré (suivi médical, information, développement des compétences parentales, éducation sur le développement de l’enfant, résolution de problèmes quotidiens, etc.), plus elle repousse la probabilité de devenir enceinte dans un avenir rapproché, plus son développement et celui de son enfant sont favorisés et plus les apprentissages sont acquis et appliqués dans la vie de tous les jours (Marsh&Wirick, 1991). Des programmes générant des effets positifs à plus long terme peuvent aussi permettre un retour à l’école, éventuellement l’obtention d’un diplôme et d’un emploi. Il est démontré que l’habilitation des adolescentes par des programmes structurés ont une influence positive importante sur leur santé (Wallerstein, 1992) et ce, particulièrement pour les mères adolescentes de milieu défavorisé (Augoyard & Renaud, 1998). C’est justement l’approche privilégiée par le programme Naître Égaux – Grandir en Santé (NE-GS), développé et coordonné par la Direction de la santé publique de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre (Beauregard, Piché, Ménard, Tremblay, 1998). Le programme NE-GS s’adresse aux mères et aux enfants de 0 à 2 ans vivant dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté. Il a été conçu pour permettre à cette clientèle de mieux profiter des services disponibles en périnatalité, en adoptant une intervention globale et intégrante adaptée à leurs besoins. Ce programme est toujours à l’essai dans certains territoires de CLSC, mais les résultats préliminaires de l’évaluation du volet prénatal montrent que les mères adultes ayant bénéficié des services du programme présentent moins de symptômes de dépression que les mères du groupe témoin. Ce programme repose sur une approche de promotion de la santé et sur l’approche du développement écologique de Bronfenbrenner (1979). L’approche de promotion de la santé promue par NE-GS considère la santé comme une ressource importante; pour favoriser son maintien, il est nécessaire de miser sur les forces des individus et de considérer toutes les influences qui s’exercent sur la santé, aussi bien les caractéristiques de l’individu que celles de son environnement. Cette première approche s’harmonise également bien avec celle du développement écologique de Bronfenbrenner (1979) Le point sur les mères adolescentes au Québec 29 selon laquelle l’individu se développe en interagissant et en s’adaptant constamment avec son environnement. S’inspirant de ces approches, les interventions du programme NE-GS auprès des mères et de leur bébé visent donc à : renforcer le potentiel des parents dans l’éducation de leurs enfants, créer des milieux favorables à la vie familiale, renforcer l’action communautaire et tenir le rôle d’avocat auprès des pouvoirs en place afin de donner aux familles défavorisées les moyens de s’en sortir (Martin & Boyer, 1995, p. 15). L’intervenant qui cherche à améliorer la situation d’une mère et de son enfant considère les caractéristiques personnelles de la mère (personnalité, situation économique) ainsi que ses interactions avec l’environnement. Ces approches déterminent les stratégies d’intervention qui sont de trois types, soit le renforcement du potentiel individuel, celui du milieu et l’influence des principaux décideurs envers l’élaboration de politiques en matière de santé pour les familles vivant une situation d’extrême pauvreté. Le programme NE-GS est mis en œuvre par des intervenants qui assurent un suivi intégré et personnalisé de la clientèle à domicile de la vingtième semaine de grossesse à la deuxième année de vie de l’enfant. Au cours de ce suivi personnalisé, l’intervenant rencontre la famille pour déterminer ses besoins: information sur le développement de l’enfant, un suivi de santé ou encore un soutien matériel et psychosocial. Au cours des rencontres, l’intervenant travaille avec la famille à développer ses capacités et lui enseigne des stratégies d’habilitation en plus de fournir l’information nécessaire pour répondre à ses besoins. Le programme NE-GS n’est pas spécifiquement conçu pour la clientèle des mères adolescentes. Cependant, puisque sa finalité consiste à améliorer la probabilité d’une issue de grossesse favorable et l’adaptation au rôle parental, ainsi qu’à amener les personnes à exercer un contrôle réel sur leurs conditions de vie (Beauregard et al., 1998), il comprend les éléments de base pour une intervention efficace auprès des mères adolescentes. De plus, considérant les résultats préliminaires du programme NE-GS auprès des mères adultes, réduire la détresse psychologique chez les mères adolescentes constitue en soi un bénéfice important qui pourrait entraîner d’autres retombées positives. En effet, il a été démontré que le soutien social comme l’aide offerte par un intervenant réduit l’isolation sociale des adolescentes, les aide à mieux faire face à leur situation et les encourage à reprendre leur projet de vie en retournant à l’école ou sur le marché du travail (Charbonneau, 1998). Le soutien social a aussi été identifié comme facteur primordial d’ajustement au rôle de parent. L’adaptation du programme NE-GS pour la clientèle adolescente pourrait inclure, par exemple, un suivi personnalisé où un intervenant privilégié rencontre systématiquement l’adolescente à chaque semaine pendant les six premiers mois suivant la naissance de son enfant. Durant les six mois subséquents, ce suivi se poursuit par le biais de contacts hebdomadaires, soit un appel téléphonique ou une rencontre (visite à la maison ou accompagnement de l’adolescente dans des démarches). Après cette période, l’intervenant pourra répondre aux demandes ponctuelles de l’adolescente. Il est important d’établir des priorités dans le choix des éléments sur lesquels intervenir auprès de la mère adolescente. En effet, plutôt que de surcharger les jeunes mères d’information, il semble préférable d’identifier les considérations prioritaires, tout en essayant de couvrir l’ensemble des éléments essentiels à un suivi global. L’adaptation du programme doit également tenir compte des caractéristiques particulières de la clientèle adolescente. Les spécificités régionales constituent un exemple de caractéristique particulière des mères adolescentes. Ainsi, en milieu urbain, les besoins de soutien sont plus grands, puisque la taille des réseaux des mères adolescentes y est plus restreinte (Charbonneau, 1999). Pour tenter de combler ces manques, les intervenants sociaux et communautaires devraient s’ajouter au réseau social des mères adolescentes. En milieu rural, à l’opposé, les mères adolescentes s’appuient sur un plus grand réseau de soutien mais sont souvent éloignées des ressources (Charbonneau, 1999), elles ont donc davantage besoin d’un soutien de type informatif et instrumental. 30 Céline Goulet, Isabelle Marcil, Célestine Kamdom et Malorie Toussaint-Lachance Le programme devrait tenir compte également des pères adolescents. On l’a vu précédemment, peu de ressources existent pour ces pères. Pourtant, un programme de prévention ou une intervention auprès d’eux ou encore une approche intégrée père-mère-enfant pourrait s’avérer encore plus efficace qu’une intervention uniquement auprès de la dyade mère-enfant. Intervenir à la fois auprès des mères et des pères adolescents leur permettrait de maximiser leurs chances d’être des parents compétents et de faire front commun face aux difficultés de la vie (Wadhera&Millar, 1997). Une autre idée qui mérite réflexion est celle de la transmission des savoirs entre générations. Le programme pourrait avoir recours à des « grands-mamans » bénévoles qui seraient prêtes à offrir soutien et conseils aux mères adolescentes et ainsi élargir leur réseau de soutien. D’autres caractéristiques de la clientèle des mères adolescentes semblent importantes. En effet, il apparaît primordial de cibler les mères adolescentes qui vivent des problèmes d’adaptation à la maternité, qui n’ont pas de soutien familial postnatal ou qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale, car elles sousutilisent le plus les services du réseau de la santé (Cardinal Remete, 1999). Le cumul des difficultés rencontrées par les mères adolescentes implique donc le déploiement d’une intervention post-natale précoce, intense et globale. Afin d’obtenir des résultats concluants avec les mères adolescentes et leur enfant, il importe d’agir le plus tôt possible dans la vie de l’enfant (Boyer & Laverdure, 2000 ; KoniakGriffin, Mathenge, Anderson,&Verzemnieks, 1999), afin de prévenir les effets néfastes de la négligence parentale et de la carence affective sur son développement à long terme (Heinicke, Fineman, Ruth, Recchia, Guthrie,&Rodning, 1999; Tarabulsy, Robitaille, Lacharité, Deslandes,&Coderre, 1998). L’efficacité des interventions postnatales repose en grande partie sur l’intensité des services offerts et utilisés au cours des premiers mois de vie de l’enfant (Boyer & Laverdure, 2000). Enfin, il paraît essentiel d’agir selon une approche globale afin d’attaquer de front les multiples sphères de cette problématique et en combattre ainsi les effets dévastateurs (Boyer & Laverdure, 2000). Il semble évident que la qualité du soutien de la famille, des proches, de l’école, voire de la société peut être déterminante pour la qualité de vie et l’avenir des mères adolescentes et de leurs enfants. S’il paraît irréalisable d’enrayer complètement les conditions et conséquences difficiles de la maternité précoce, il est du moins certainement possible de comprendre où les nombreux programmes et services réussissent et échouent dans leur mission et de trouver des solutions, ensemble, à ces problèmes.❑ Le point sur les mères adolescentes au Québec 31 Références Adams, D. & Kocik, S. M. (1997). 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Biographie Céline Goulet est professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et directrice de la recherche en sciences infirmières au Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine. Elle travaille depuis plusieurs années dans le domaine de la périnatalité. Isabelle Marcil est titulaire d’un doctorat de psychologie à l’Université de Montréal. Elle travaille, en collaboration avec Céline Goulet, au développement de la recherche en sciences infirmières à l’Hôpital Sainte-Justine. Elle s’intéresse au domaine de la santé publique et aux facteurs humains dans les organisations. Célestine Kandom, infirmière bachelière, termine présentement sa maîtrise en sciences infirmières à l’Université de Montréal. Ses intérêts de recherche portent sur la périnatalité. Malorie Toussaint-Lachance est détentrice d’une maîtrise en psychologie. Elle travaille à la Direction de la santé publique de la Montérégie à titre d’agente de planification et de programmation socio-sanitaire.