Mre-fille, mme garde-robe

Transcription

Mre-fille, mme garde-robe
Le style mère-fille (je cherche encore un titre…)
Il n’y a pas si longtemps, les ados fantasmaient sur le sac Hermès, le tube Rouge Baiser ou le
solitaire de leurs mères. Quelques années plus tard, les mêmes ont grandi et veulent désormais
le slim, les Converse et le perfecto de leurs filles ! Le phénomène n’est pas nouveau, on le
voit placarder en 4x3, depuis une dizaine d’années, dans les campagnes d’affichage Comptoir
des Cotonniers. Ces couples « mère-fille » posant ensemble face à l’objectif, qui affichent un
style vestimentaire commun et semblent être de la même génération. Alors concept marketing
ou réalité sociologique ? Sûrement un peu des deux. Le magazine anglais In Style faisait
paraître en octobre dernier, une étude révélant que 54% des mères partagent leur garde-robe
avec leur adolescente. Que viennent-elles y chercher et qu’est-ce qui est en jeu dans cette
appropriation ? Enquête.
La féminité reboostée
« La mode des années 1970 mettait en avant un look androgyne et les jeunes filles exhibaient
fièrement leurs pantalons, comme un symbole du combat féministe. Pour être l’égale des
hommes, il fallait s’habiller comme eux. Aujourd’hui, les choses sont différentes. Les
adolescentes des années 2000 affichent une féminité exacerbée », observe le sociologue
Michel Fize (1). Ces dernières offriraient-elles à leur mère l’accès à une féminité épanouie et
assumée ? « Je pioche dans la garde-robe de ma fille parce que je sais que son style est plus
moderne, plus jeune. Mes limites ? Je ne porterai pas un haut moulant ou une jupe trop courte,
déplacés à mon âge » confie Paola, 55 ans, mère d’une adolescente de 15 ans. Fini le modèle
bourgeois du XIXe siècle et la femme placardisée passée la cinquantaine. Allongement de la
vie et augmentation des divorces, entre autres, ont changé la donne. Et niveau féminité, les
Sharon Stone et Monica Belluci n’ont rien à envier à leurs consœurs lolitas. Conséquence :
« mère et fille se retrouvent désormais dans le rôle de femme désirable au même moment, et
cela peut entraîner une rivalité. Lorsque l’adolescente grandit et se féminisme, sa mère se sent
en danger, perdant son rôle de reine du foyer. Le mari et les amis de cette dernière jouent
alors un rôle très important. Si elle est bien entourée, elle comprendra qu’il y a de la place
pour toutes les deux, à condition de "régner" dans deux royaumes différents », explique la
psychanalyste Isabel Korolitski. En admettant qu’il existe encore des univers propres à chaque
génération.
Un même idéal pour toutes ?
Les frontières entre vêtements homme/femme, enfant/adulte ne sont plus ce qu’elles étaient,
et les marques l’ont bien compris. The Kooples jouent la carte unisexe (l’uniforme slim - tee-
shirt col v - veste noire, ça vous dit quelque chose ?) ; Antik Batik, Isabel Marant ou encore
Les Petites ont toutes lancé des lignes destinées aux filles de leurs clientes. Nos adorables
petites têtes blondes peuvent s’habiller comme môman qui de son côté, affiche une
impressionnante collection multicolore de tee-shirts Petit Bateau (et même pôpa qui s’est
offert l’édition limitée signée Kitsuné). Pionnier du genre, Comptoir des Cotonniers en a fait
son fond de commerce depuis 1997. Leurs publicités mettent en scène deux, voire trois
générations de femmes au même style. « On a le sentiment qu’elles partagent le même modèle
de féminité, rêvant du même corps et des mêmes vêtements », remarque Catherine Monnot
(2). Et Isabel Korolitski d’enchérir : « on vit dans un monde de l’image où la différence est
mal vécue. C’est l’ère du tout le monde pareil. » Au-delà d’une complicité plutôt attractive,
quels sont les véritables enjeux de ce mimétisme ? « Quand la mère a peur de perdre sa fille,
elle devient comme elle afin de conserver le lien fusionnel. Inconsciemment, elle se dit "tu ne
t’habilles plus comme moi, mais moi, je vais m’habiller comme toi". Un vêtement pour deux
signifie un corps pour deux », poursuit la psychanalyste. Tout reste donc une question de
dosage, jouer les Demoiselles de Rochefort avec son ado, c’est risqué, mais chiper un
foulard…
Et l’ado dans tout ça ?
« S’habiller comme sa fille peut être culpabilisant pour elle. Si l’on achète systématiquement
les mêmes vêtements, elle va se sentir inconsciemment en rivalité et avoir du mal à trouver sa
place dans le monde des femmes », remarque Isabel Korolitski. Détrôner sa mère pour
devenir femme ? Un parcours délicat pour certaines adolescentes qui préfèrent virer gothique
pour afficher leurs différences. Car sans la diaboliser, cette appropriation du style peut
entraîner des difficultés sur la voie de l’autonomie, « l’habillement symbolise l’affirmation de
la personnalité, de la classe d’âge, de la génération » rappelle Catherine Monnot. « Pour la
mère, piocher dans la garde-robe de sa fille peut signifier lutter contre le vieillissement mais
aussi conserver une emprise sur son enfant. Mieux vaut éviter le mimétisme intégral et la
confusion des générations qu’il entraîne, car si la mère n’est plus dans son rôle d’adulte, à qui
la fille peut-elle se référer ? », questionne Michel Fize. Qu’on se rassure tout de même,
emprunter un t-shirt ou une paire de ballerines à sa fille ne nuit pas à sa santé. A consommer
avec modération tout de même.
Vicky Chahine
(1) Auteur du livre Les Adolescents, éditions Cavalier Bleu, nouvelle édition 2009.
(2) Auteur de Petites filles d’aujourd’hui, l’apprentissage de la féminité, Autrement, 2009.
3 questions à Michael Bonzom, responsable prêt-à-porter et accessoires femmes au bureau de
styles Nelly Rodi
Mère et fille partageant leur garde-robe, peut-on encore parler de tendance ?
Tout à fait. Nous avons dégagé pour l’été 2009 un thème "double jeu" basé sur le conflit
intergénérationnel. A l’instar de Demi Moore et Madonna, les mères veulent rajeunir pour
plaire et cela passe aussi bien par la chirurgie esthétique que l’accessoirisation. Nous avons
mis cette tendance en parallèle avec les adolescentes, adeptes du lady like, c’est-à-dire qui
s’habillent en s’inspirant de la mère bourgeoise du 16e arrondissement. Ni poupée, ni rebelle,
elles veulent se donner une assise intellectuelle et parler comme des adultes. On le voit bien
dans les marques ado comme New Look qui proposent désormais blazer, stilettos, tailleurs ou
encore trench que les jeunes filles n’auraient jamais porté il y a quelques années.
Les femmes, toutes générations confondues, tendraient donc vers le même modèle ?
Kate
Moss,
Jennifer
Aniston,
Gwyneth
Paltrow
sont
devenues
des
icônes
transgénérationnelles qui font rêver les femmes de 13 à 65 ans. Les marques moyen de
gamme l’ont bien compris. Sandro, Maje, Iro, Les Prairies de Paris s’adressent à la fois aux
mères et aux filles. On se rend compte par exemple, que Zara Woman et Trafaluc, les lignes
femmes et ados de Zara, proposent désormais les mêmes produits, seules les matières et
couleurs changent. L’uniforme type ? Une tunique, un cardigan, un legging ou un jean, des
ballerines ou des talons très hauts.
Cette tendance à l’uniformisation est donc loin d’être terminée ?
Je déplore cette homogénéisation mais elle ne cesse de se prendre de l’ampleur. De la ligne
unisexe Wo(man) d’Etam à la collection capsule d’Yves Saint-Laurent baptisée Edition
Unisex, tout le monde s’y met. Enfant/adulte, homme/femme, les frontières sont brouillées.
Comme en témoigne également le monogramme Louis Vuitton qui vient d’être taggé aux
couleurs de l’artiste Stephen Sprouse. Et les derniers salons que j’ai visités montrent que cette
tendance perdura au moins jusqu’à l’hiver 2009.

Documents pareils