L`industrie minière à l`ouest du Labrador : Une crise cyclique ou une
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L`industrie minière à l`ouest du Labrador : Une crise cyclique ou une
Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 L’industrie minière à l’ouest du Labrador : Une crise cyclique ou une crise de mutation? La chute du prix du fer depuis la fin de l’année 2013 s’est accompagnée de plusieurs signaux sur des transformations qui touchent aussi bien le marché et les acteurs que le mode de production lui-même. C’est en examinant ces transformations qui se déroulent sous nos yeux que nous pouvons appréhender la nature particulière de la crise actuelle et comprendre en quoi elle se distingue nettement des crises cycliques classiques. Nous nous attacherons dans cet article à situer l’activité minière de l’ouest du Labrador et du Canada par rapport au reste du monde, puis nous allons caractériser la nature du marché en identifiant les principaux acteurs qui influencent le cours des prix, et enfin nous examinerons les stratégies concurrentielles en jeu qui permettent d’envisager les perspectives les plus probables. La baisse brutale du prix du fer en dessous de $60.00 a provoqué l’éviction des compagnies de taille modeste appelées compagnies juniors et dont les coûts d’exploitation sont proches du prix du marché voire même supérieurs. C’est ainsi que la mine Scully de la compagnie américaine Cliffs Natural Resources située à Wabush a dû fermer définitivement en mettant au chômage près de 500 employés en février 2014. Trois projets d’exploration et un projet d’exploitation minière dans l’ouest du Labrador et dont les études de faisabilité se basaient sur des prix supérieurs à $60.00 ont dû être abandonnés : Alderon Kami Project : Ce projet était arrivé à maturité et était en phase de recherche de financement complémentaire. Le permis d’exploitation était situé à proximité de Wabush et Labrador City. Le coût en capital du projet était de US$1.27 milliard avec un coût opératoire estimé à US$42.17 par tonne métrique. Le coût opératoire n’inclut pas les intérêts et frais financiers, les impôts et taxes ainsi que les redevances et le coût de transport. Ce projet avait suscité beaucoup d’enthousiasme dans les municipalités de Wabush et de Labrador City. Les trois projets d’exploration suspendus sont ceux Cap-Ex Ventures dans le Bloc 103, de Century Iron Mines en association de capital risque avec Champion Minerals, et enfin le projet d’Altius Minerals. Aujourd’hui, l’unique mine en activité est celle d’Iron Ore Company of Canada et dont le géant australien Rio Tinto détient 58.7%, Mitsubishi 26.2% et Labrador Iron Ore Royalty Income Corporation 15.1%. Le volume de production annuelle est de 18 millions de tonnes en 2014 et les effectifs employés sont de 2,500 dont 1,800 sur le site de Labrador City. La production en minerai de fer d’IOC représente près de la moitié de celle de tout le Canada. Depuis 2014 l’activité économique à l’ouest du Labrador s’est très nettement ralentie, la récession a touché toutes les autres activités qui dépendent fortement de l’industrie minière. Le nombre des pertes d’emplois dans toutes les activités est en cours d’évaluation par La Chambre de Commerce de l’ouest du Labrador. 1 Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 Le marché et son évolution L’évolution du prix du minerai de fer, comme le montre le graphique ci-dessous, nous permet de distinguer trois phases distinctes entre 2000 et 2015 : Years 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Prices 12,45 12,99 12,68 13,82 16,39 28,11 33,45 36,63 69,98 105,25 168,53 136,45 128,87 135,79 68,8 49,5 Iron Ore Fe 62 Price Evolution 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Nota: 2015 price: October 28, 2015 Sources: The Steel Index: www.thesteelindex.com 1. La phase des prix contractuels internationaux Jusqu’en 2005, les prix étaient négociés sur la base des cours de l’acier entre les compagnies minières et les sidérurgistes. Le prix gravitait autour des $20.00 et les contrats étaient signés pour une année et plus. Les crises cycliques étaient des crises dues à l’évolution des stocks disponibles, soit qu’il y avait des excédents soit des déficits. Malgré l’existence de tensions momentanées, le marché était relativement stable et son dynamisme était relié à la croissance économique mondiale. 2. La phase des prix au comptant (Spot Price) déterminés par la demande chinoise À partir de 2004, les importations chinoises en minerai de fer se sont accrues à un tel rythme qu’elles sont passées de 200 Millions de tonnes à 820 Millions de tonnes en 2014. La demande chinoise d’acier a évolué de manière importante pendant ces dix dernières années qui ont vu des villes entières pousser comme des champignons. Depuis, le prix est fixé sur les ports chinois où transite 80% du minerai de fer mondial total transporté sur mer, soit 1,3 milliard de tonnes. La forte demande chinoise a fait plus que compenser le recul de la sidérurgie en Europe et en Amérique du Nord. Les prix ont ainsi subi une augmentation considérable en dix ans, soit une 2 Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 multiplication par 13, passant de $12.48 au 31/12/2000 à $168.53 au 31/12/2010. La très forte dépendance de la demande intérieure chinoise constitue en soi un bouleversement notable dans la nature du marché. 3. La phase du déclin de la demande chinoise et de l’augmentation de l’offre C’est à partir de 2013 que la chute brutale commence, le prix passe ainsi de $135.79 en décembre 2013 à $68.8 en décembre 2014 et à $49.50 le 28 octobre 2015. Le sort de l’industrie ne dépend-il que de la demande intérieure chinoise? Paradoxalement, et concomitamment à la chute brutale du prix, les plus grandes compagnies minières inondent le marché par une production excédentaire qui pousse le prix vers la baisse. Il s’agit là d’un fait nouveau qui relève de la guerre de position stratégique qui se joue à l’échelle mondiale et que nous verrons plus loin. L’offre par pays Pour bien comprendre les guerres de positions sur le nouveau marché qui se dessine, il y a lieu de situer la production du minerai de fer par pays. Le tableau ci-dessus donne la répartition de la production mondiale par pays : World Mine Production and Reserves (crude ore): Unit= Million Metric Ton China Australia Brazil India Russia Ukraine South Africa U.S.A Iran Canada Other Countries World Total Mine Production 2014 1,500 660 320 150 105 82 78 58 45 41 131 3,220 Reserves Crude Ore Iron Ore Content 23,000 7,200 53,000 23,000 31,000 16,000 8,100 5,200 25,000 14,000 6,500 2,300 1,000 650 6,900 2,100 2,500 1,400 6,300 2,300 18,000 190,000 9,500 87,000 Source: U.S Geological Survey, Minerals Commodity Summaries, Summary 2015 On voit bien que le Canada occupe une position marginale dans la production mondiale. La bonne teneur en fer du minerai de la fosse du Labrador n’est pas un facteur significatif étant donné les faibles quantités commercialisées. La Chine produit un minerai à faible teneur en fer et les coûts d’extraction sont très élevés. L’industrie minière chinoise est fortement subventionnée par le gouvernement. La sidérurgie chinoise utilise le procédé de réduction par le charbon et constitue une source très importante 3 Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 de la grave pollution atmosphérique que le gouvernement cherche à réduire depuis les trois dernières années. Le gouvernement encourage la modernisation de la sidérurgie par l’utilisation progressive de la réduction par le gaz naturel et l’utilisation de minerai de fer importé. La baisse de la croissance en Chine a rendu disponibles des excédents de production en acier que la Chine écoule sur les marchés internationaux à des prix nettement inférieurs à ceux des sidérurgistes européens et nord-américains. Les entreprises sidérurgiques chinoises cherchent à éliminer le plus de sidérurgistes concurrents pour dominer le marché. L’Inde connait une forte croissance économique et décourage l’exportation de son minerai de fer par des forts tarifs douaniers. Le Brésil et l’Australie se livrent une forte concurrence pour gagner de meilleurs parts de marché et acquérir plus de gisements dans le monde, en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Ces dix dernières années plus de 100 Milliards de Dollars ont été investis par les grandes minières dans l’expansion de gisements existants et dans de nouveaux grands gisements : « Iron ore miners invested north of $100 billion in new projects and expansions since the start of the decade and most of those projects are now delivering or will do so soon.” Source: InfoMines. Frik Els. October 28, 2015. Le tableau ci-dessous donne les 10 gisements les plus importants dans le monde en 2014: Source: IntelligenceMine cité par Iron Ore News Digest du 17 septembre 2015 On voit bien que les capacités de production sont non seulement importantes mais qu’elles se développent. Une guerre de positions est en train de se jouer entre les compagnies et leurs pays. 4 Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 La Chine cherche à dominer le marché mondial de l’acier, mais elle a une faiblesse qui tient au régime de subventions et à l’insoutenable pollution de ses usines sidérurgiques. Les trois plus grandes compagnies minières s’attaquent au marché chinois en poussant les prix à la baisse pour acculer le gouvernement chinois à renoncer aux subventions. La stratégie des trois compagnies majeures Les trois plus grandes compagnies minières qui dominent le marché à l’exportation sont indiquées ci-dessous, avec les volumes de production pour l’année 2014 : 1. VALE (Brésil) avec 340 Millions de Tonnes 2. RIO TINTO (Australie) avec 330 Millions de Tonnes 3. BHP Billiton (Australie) avec 250 Millions de Tonnes Ces trois compagnies ont des plans d’expansion ambitieux depuis une décennie et ont fortement accentué leurs programmes de modernisation et de gains en productivité pour pousser les prix à la baisse et éliminer le plus de concurrents et notamment les compagnies minières chinoises. « Some experts argued that higher-cost producers, mainly from China, are falling victim to a strategy pursued by the biggest producers of iron ore, namely BHP Billiton, Rio Tinto and Vale.” Source: InfoMines, Frik Els. Édition du 17 septembre 2015. Ces compagnies ont investi d’importants capitaux pour améliorer la productivité et la production de masse en tirant avantage des technologies les plus récentes en robotique et contrôle à distance. Selon InfoMines du 6 juin 2015, Rio Tinto a investi US$500 millions dans les trains autonomes sans personnel de conduite. Rio Tinto dispose d’une flotte de camions sans chauffeurs et compte les utiliser progressivement dans tous ses gisements. Les coûts de la main d’œuvre en termes salariaux et en sécurité sont ainsi progressivement réduits. Mais les effets sur la productivité et la production sont extrêmement importants, les camions sans chauffeurs circulent 24h/24 et 7 jours semaine, et sont plus sécuritaires! Les concentrateurs sont contrôlés à distance. Le concentrateur de Labrador City est opéré à partir du centre de contrôle de Brisbane en Australie. Le président de Rio Tinto, en présentant son bilan du premier trimestre 2015, a fait la déclaration suivante : « la construction d’une minière résiliente, grâce à des réductions drastiques des coûts qui lui permettront de survivre à n’importe quelles conditions de marché. » Source : Rio Tinto, revue interne M2M de mai 2015. Les coûts de production par tonne étaient à la fin de 2014 autour de $20.00 : Rio Tinto : $20.8 VALE : $23.6 BHP Billiton: $25.89 Source: InfoMines-By K. Paul A. Brown, janvier 2015. 5 Mustapha Fezoui RDÉE TNL Labrador 2 Nov 2015 Dans son édition du 28 octobre 2015, InfoMines reprend l’annonce du président de VALE d’élever la production pour 2016 à 450 millions de tonne avec coût étonnamment bas de $12.70! Les deux autres compagnies ont la même ambition de faire baisser leur coût de production au-dessous de $20.00. Ainsi le contrôle du coût de revient est le facteur de positionnement stratégique dans la nouvelle configuration du marché, ceci fera sortir de nombreux producteurs qui ne pourront pas survivre avec des prix plus bas encore que ceux d’aujourd’hui. Ceci induit aussi une élévation de la barrière à l’entrée pour les compagnies futures. On voit bien qu’un projet comme celui d’Alderon n’a aucune chance de voir le jour avec un coût à la tonne de $42.17. * * * En conclusion, l’industrie minière du fer est en cours de reconfiguration et sera fondamentalement transformée par l’automation des procédés et la forte baisse des couts d’exploitation. Le marché verra la restructuration de l’offre en forçant les compagnies juniors à s’allier en conglomérats ou associations de capital risque (Joint-Venture) pour pouvoir faire face aux compagnies géantes qui dominent le marché. Quant à l’évolution des prix pour 2016 et 2017, tous les experts et les institutions financières s’accordent sur la poursuite de la baisse. A l’ouest du Labrador, il n’est pas surprenant que la seule compagnie minière encore en exploitation est celle où Rio Tinto est actionnaire majoritaire. IOC met en œuvre la stratégie de sa maison mère, donnons, pour conclure, la parole à Kelly Sanders, Président & CEO de IOC : « Le recours accru à la technologie est un autre volet important du plan d’avenir d’IOC. Certains secteurs de l’entreprise constatent déjà les avantages des éléments technologiques qu’ils ont adoptés, tels qu’une technologie de surveillance radar, un drone muni d’une technologie d’imagerie, ainsi que de l’équipement contrôlé à distance. » Source : Bulletin Info-entreprise d’octobre 2015. 6