C`EST ICI - Marie Claire

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C`EST ICI - Marie Claire
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J’observe ma femme sur le balcon. Elle arrose ses
plantes. Je l’ai vue faire ça mille fois, pour autant je n’ar‑
rive pas à la quitter des yeux. Elle porte un bas de survê‑
tement gris qui était à moi avant et un tee-­shirt décoloré.
Elle a noué ses cheveux et mis ses gants de jardinage.
De temps en temps elle pose son arrosoir et arrache
une fleur sèche, fixe une branche du bougainvillée à la
balustrade, ramasse les feuilles qui s’accumulent dans les
pots empêchant la terre de respirer. Des gestes savants,
presque zen. Pour Paola, entretenir le balcon équivaut à
une heure de yoga.
Je prends mon cahier Zoff, de plus en plus froissé.
Je m’installe dans un fauteuil depuis lequel, à travers le
rideau qui voile la fenêtre, je devine ma femme en plein
jardinage.
La page du jour s’intitule : Ce qui me manquera de
Paola.
Le dimanche matin, son gâteau aux poires, cannelle
et raisins secs.
Cette manie quand elle mange des cerises de faire cla‑
quer les noyaux dans sa bouche comme des castagnettes.
Le fait d’espionner quand elle se change avant de
sortir, parce qu’elle ne se trouve jamais bien.
Ses yeux fatigués qui se ferment doucement alors qu’elle
lit un livre calée contre son oreiller.
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Les jours d’été où elle se fait des nattes de petite fille.
Sa voix calme qui, dans la pièce voisine, raconte une
histoire aux enfants pour les endormir, et qui souvent
m’endort moi aussi.
Nos disputes au supermarché, quand je remplis le
charriot de cochonneries et qu’elle le vide.
Ce moment où nous faisons le sapin de Noël tous
ensemble. Elle s’occupe des boules en verre, les enfants
des guirlandes en papier et moi des guirlandes lumi‑
neuses.
Les couvertures en laine sur le lit, qui l’hiver ne lui
suffisent jamais.
La voir courir sur la plage avec son maillot de bain une
pièce, celui en lycra sans bretelles.
Le soir, sur le canapé devant la télé, quand elle met
ses pieds toujours gelés dans mes mains pour que je les
masse.
Le parfum de sa peau tiède et dorée après une journée
à la mer. C’est une odeur délicieuse, difficile à définir, de
gâteau au chocolat tout juste sorti du four.
Les fois où pendant une discussion un peu trop animée
– mais vous le savez déjà – elle me cloue le bec en disant
sérieusement qu’elle est un chat et que, en tant que chat,
elle ne comprend pas la langue dans laquelle je parle.
Alors immédiatement les tensions se transforment en
éclats de rire.
Ses fesses italiennes.
Son nez qui se retrousse lorsqu’elle doit prendre une
décision.
La table de la cuisine que je trouve envahie par les
copies de ses élèves qu’elle lit et corrige avec une atten‑
tion presque sacrée.
Ses vraies larmes devant le journal télévisé qui pointe
les abus, les injustices, les violences, la précarité et le
désespoir.
Sa passion d’adolescente pour Renato Zero.
Son rire argentin qui accentue les fossettes sur ses
joues.
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Le moment où, après avoir éteint la lumière, juste
avant de s’endormir, elle s’accroche à mon bras droit
comme un koala.
Ses jambes minces et musclées qu’elle cache trop sou‑
vent sous des jupes trop longues.
Le matin avant de partir au travail quand elle me
saluait d’un « Ciao mon amour », me rappelant que cet
« amour », c’était moi, moi et personne d’autre. Elle ne
le fait plus depuis un moment. Et c’est uniquement ma
faute. Je ne sais pas si elle le refera un jour.
Je pourrais encore poursuivre la liste. Je ne pensais pas
être attaché à autant de choses chez Paola. Je la connais
par cœur maintenant et ne l’en aime pas moins. Comme
les passionnés de Dante qui, après avoir lu plusieurs fois
La Divine Comédie, en apprécient encore plus profondé‑
ment la poésie.
Paola est ma Divine Comédie.
Et j’espère qu’elle m’autorisera bientôt à sortir de mon
Purgatoire personnel.
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