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DIMITRIS TSALOUMAS
UN CHANT DU SOIR
traduit de l’anglais par pascal laurent
et présenté par helen nickas
édition bilingue
orphÉe / la diffÉrence
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FALCON DRINKING
AUTUMN SUPPER
Only this table by the draughty window
bare since the beginning of time:
a knife, black olives, a hunk of bread.
The bottle glows dark in the late
autumn light, and in the glass,
against the wind and the raging seas,
the one rose of the difficult year.
All my life long I’ve hankered
after simplicity. When night falls
don’t come to light the candles and pour
the wine. There’s not enough for two;
I cannot share my hunger.
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FAUCON BUVANT
SOUPER D’AUTOMNE
Cette table, seule en pleins courants d’air près de
la fenêtre, dégarnie depuis la nuit des temps :
un couteau, des olives noires, un quignon de pain.
La bouteille luit, noire dans la lumière
d’un automne tardif, et dans le verre,
contre le vent et la mer en furie,
la seule rose d’une année difficile.
Toute ma vie, j’ai cherché
la simplicité. Quand la nuit tombe
ne viens pas allumer les bougies et verser
le vin. Il n’y a pas assez pour deux :
Je ne peux partager ma faim.
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THE GRUDGE
Strange that your image should occur to me
as I beat the grass for snakes in this
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forsaken patch. It doesn’t seem right to me.
I have always thought your manner somewhat
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too correct, but your business dealings
are of good report. Or is it the woman
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who shares my bed ? She burns in the flesh
of many a man and I find it galling, I confess,
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that you should never look at her that way.
It kind of blunts the sting of my pleasure.
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Nor does the splendour of my house and fame
move you much. Yet there you are, my friend,
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flushed out of grass by the scouting stick
amid the knotted vines, pleasant as ever,
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tall in the haze a cut above the likes of me.
It bothers me. This is my brother’s vineyard.
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LA RANCUNE
Étrange que ton image me vienne à l’esprit
alors que je bats l’herbe pour chasser les serpents sur cette
parcelle abandonnée. Cela ne me semble pas très honnête.
J’ai toujours trouvé ta conduite par
trop correcte, mais tes relations d’affaires
ont bonne réputation. Ou serait-ce la femme
qui partage mon lit ? Elle brûle dans la chair
de plus d’un homme et cela m’exaspère, je l’avoue,
que tu ne la regardes pas de cette manière.
Cela émousse quelque peu mon plaisir.
Pas plus d’ailleurs que la splendeur de ma maison et sa renommée
ne semblent t’émouvoir davantage. Pourtant, tu es là mon ami,
forcé à t’exhiber au bout de ce bâton qui part en éclaireur
parmi les ceps noueux, toujours aussi plaisant,
grand dans la brume, bien plus que ceux de ma race.
Cela m’ennuie. Il s’agit des vignes de mon frère.
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WINTER SONG
Winter was late in coming this year
but now he’s here, for good.
He’s settled in the lounge and rocks
like a Talmud scholar in his chair
legs wrapped in a blanket, stern.
When his beard stiffens with frost
he goes to sleep. It’s hard
with not a word from him all day.
When the cloud splits, the sun puts out
his tongue inside the door
and lays it yard-long on the boards:
for a moment, snow-drift glimmers flick
along the room’s far edge. It’s then
that the scream rises in the brain.
When the cloud is livid, the snow
falls gently on the rug, like gestures
carrying words from the days of
conversation. Sometimes, in the dark
afternoon, I clear a patch in the pane
and sit to watch the vesper bells
moccasin-booted plod across the square
under wires pegged black with birds.
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CHANSON D’HIVER
L’hiver fut long à venir cette année
mais maintenant il est là, pour de bon.
Il s’est installé dans le salon et se balance
tel un talmudiste dans son fauteuil
jambes enveloppées dans une couverture, l’air sévère.
Quand sa barbe raidit avec le froid
il s’endort. C’est dur de
passer la journée sans un mot de sa part.
Quand les nuages se disloquent, le soleil
passe sa langue sous la porte
et l’étale d’un bon yard sur le plancher :
pendant un moment, des lueurs de neige scintillent
jusqu’au fond de la pièce. C’est alors
que le cri monte au cerveau.
Quand le ciel est livide, la neige se met
à tomber doucement sur le tapis, comme des gestes
rapportant les mots de ces jours de
conversation. Parfois, dans l’après-midi
assombri, j’essuie un bout de vitre et m’assieds
à l’heure des vêpres pour regarder les cloches,
chaussées de mocassins, progresser par le square
sous les fils télégraphiques épinglés d’oiseaux noirs.
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They seldom make it to the door.
This is the muffling season, the ultimate
earplug. Taps drip in the house.
I can tell by the stalactite above
the sink. Its growth in the morning
informs me of the night’s duration.
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Elles s’aventurent rarement jusqu’à la porte.
C’est la saison des sons assourdis, bouchon d’oreille
ultime. Les robinets s’égouttent dans la maison.
Je peux le dire par la stalactite au-dessus
de l’évier. Sa longueur au matin
m’informe de la durée de la nuit.
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© Dimitris Tsaloumas.
© SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2014,
pour la traduction en langue française et la préface.
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