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t du soir.indd 5 DIMITRIS TSALOUMAS UN CHANT DU SOIR traduit de l’anglais par pascal laurent et présenté par helen nickas édition bilingue orphÉe / la diffÉrence 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 14 FALCON DRINKING AUTUMN SUPPER Only this table by the draughty window bare since the beginning of time: a knife, black olives, a hunk of bread. The bottle glows dark in the late autumn light, and in the glass, against the wind and the raging seas, the one rose of the difficult year. All my life long I’ve hankered after simplicity. When night falls don’t come to light the candles and pour the wine. There’s not enough for two; I cannot share my hunger. 14 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 15 FAUCON BUVANT SOUPER D’AUTOMNE Cette table, seule en pleins courants d’air près de la fenêtre, dégarnie depuis la nuit des temps : un couteau, des olives noires, un quignon de pain. La bouteille luit, noire dans la lumière d’un automne tardif, et dans le verre, contre le vent et la mer en furie, la seule rose d’une année difficile. Toute ma vie, j’ai cherché la simplicité. Quand la nuit tombe ne viens pas allumer les bougies et verser le vin. Il n’y a pas assez pour deux : Je ne peux partager ma faim. 15 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 16 THE GRUDGE Strange that your image should occur to me as I beat the grass for snakes in this É a forsaken patch. It doesn’t seem right to me. I have always thought your manner somewhat p J’ too correct, but your business dealings are of good report. Or is it the woman tr o who shares my bed ? She burns in the flesh of many a man and I find it galling, I confess, q d that you should never look at her that way. It kind of blunts the sting of my pleasure. q C Nor does the splendour of my house and fame move you much. Yet there you are, my friend, P n flushed out of grass by the scouting stick amid the knotted vines, pleasant as ever, fo p tall in the haze a cut above the likes of me. It bothers me. This is my brother’s vineyard. g C 16 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 17 LA RANCUNE Étrange que ton image me vienne à l’esprit alors que je bats l’herbe pour chasser les serpents sur cette parcelle abandonnée. Cela ne me semble pas très honnête. J’ai toujours trouvé ta conduite par trop correcte, mais tes relations d’affaires ont bonne réputation. Ou serait-ce la femme qui partage mon lit ? Elle brûle dans la chair de plus d’un homme et cela m’exaspère, je l’avoue, que tu ne la regardes pas de cette manière. Cela émousse quelque peu mon plaisir. Pas plus d’ailleurs que la splendeur de ma maison et sa renommée ne semblent t’émouvoir davantage. Pourtant, tu es là mon ami, forcé à t’exhiber au bout de ce bâton qui part en éclaireur parmi les ceps noueux, toujours aussi plaisant, grand dans la brume, bien plus que ceux de ma race. Cela m’ennuie. Il s’agit des vignes de mon frère. 17 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 18 WINTER SONG Winter was late in coming this year but now he’s here, for good. He’s settled in the lounge and rocks like a Talmud scholar in his chair legs wrapped in a blanket, stern. When his beard stiffens with frost he goes to sleep. It’s hard with not a word from him all day. When the cloud splits, the sun puts out his tongue inside the door and lays it yard-long on the boards: for a moment, snow-drift glimmers flick along the room’s far edge. It’s then that the scream rises in the brain. When the cloud is livid, the snow falls gently on the rug, like gestures carrying words from the days of conversation. Sometimes, in the dark afternoon, I clear a patch in the pane and sit to watch the vesper bells moccasin-booted plod across the square under wires pegged black with birds. 18 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 19 CHANSON D’HIVER L’hiver fut long à venir cette année mais maintenant il est là, pour de bon. Il s’est installé dans le salon et se balance tel un talmudiste dans son fauteuil jambes enveloppées dans une couverture, l’air sévère. Quand sa barbe raidit avec le froid il s’endort. C’est dur de passer la journée sans un mot de sa part. Quand les nuages se disloquent, le soleil passe sa langue sous la porte et l’étale d’un bon yard sur le plancher : pendant un moment, des lueurs de neige scintillent jusqu’au fond de la pièce. C’est alors que le cri monte au cerveau. Quand le ciel est livide, la neige se met à tomber doucement sur le tapis, comme des gestes rapportant les mots de ces jours de conversation. Parfois, dans l’après-midi assombri, j’essuie un bout de vitre et m’assieds à l’heure des vêpres pour regarder les cloches, chaussées de mocassins, progresser par le square sous les fils télégraphiques épinglés d’oiseaux noirs. 19 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 20 They seldom make it to the door. This is the muffling season, the ultimate earplug. Taps drip in the house. I can tell by the stalactite above the sink. Its growth in the morning informs me of the night’s duration. 20 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 21 Elles s’aventurent rarement jusqu’à la porte. C’est la saison des sons assourdis, bouchon d’oreille ultime. Les robinets s’égouttent dans la maison. Je peux le dire par la stalactite au-dessus de l’évier. Sa longueur au matin m’informe de la durée de la nuit. 21 26/11/2013 09:52 t du soir.indd 4 © Dimitris Tsaloumas. © SNELA La Différence, 30, rue Ramponeau, 75020 Paris, 2014, pour la traduction en langue française et la préface. 26/11/2013 09:52