« Vatican II _ Présentation brève de la Constitution dogmatique sur

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« Vatican II _ Présentation brève de la Constitution dogmatique sur
« Vatican II _ Présentation brève de la
Constitution dogmatique sur la Révélation »
La constitution dogmatique sur la Révélation (Dei Verbum, abrégée DV) fait partie des
documents les mieux rédigés du Concile Vatican II. Brève (10 pages) et accessible ; peut-être
même le chef-d'oeuvre du Concile. Elle faillit pourtant ne pas voir le jour !
La vie conciliaire, long fleuve tranquille ?
Dès avant l'ouverture du Concile, le texte sur la Révélation était annoncé comme un
document de la plus haute importance, suscitant un intérêt passionné aussi bien chez les catholiques
que chez de nombreux chrétiens non catholiques. A la stupeur des Pères conciliaires eux-mêmes,
cette attente passionnée s'enlisa subitement dans la polémique un jour de novembre 1962.
L'assemblée se divisa et le texte préparatoire fut refusé sans être discuté. Peu à peu, la crise se mua
en travail patient. Un nouveau texte fut élaboré puis patiemment discuté et refondu, jusqu'à ce vote
historique d'octobre 1965 où les Pères conciliaires l'acceptèrent (2344 voix pour, 6 contre). Cette
histoire houleuse mais féconde ne nous renseigne pas seulement sur la manière dont l'Esprit-Saint
travaille dans l'Eglise, mais elle constitue surtout un indice du caractère capital de la constitution
DV. Remarque importante, tant il est fréquent aujourd'hui encore d'entendre parler de DV comme
d'un document secondaire du Concile. De quoi traite donc ce document capital ?
L'intention de DV dans son chapitre 1
Aujourd'hui encore, beaucoup pensent que DV traite essentiellement... de la Bible ! De fait,
les titres des chapitres qui le composent semblent donner raison à l'observateur pressé. L'histoire de
son élaboration permet pourtant d'affirmer que cette constitution ne parle pas d'abord de la Bible : si
l'on compare le plan de DV avec le plan du schéma préparatoire qui fut repoussé, on s'aperçoit que
l'actuel premier chapitre fut ajouté à la demande des Pères du concile. Bouleversant l'ancien
schéma, il oriente tout DV et permet d'en saisir l'intention profonde1. On voit alors que la
constitution n'exclut pas la question de l'Ecriture, mais qu'elle nous introduit dans une vue plus
large : la manière dont Dieu propose à tous hommes d'entrer en communion avec Lui (cf. I Jn 1, 23). Deux éléments se dégagent particulièrement de ce premier chapitre :
A. Tout d'abord, la Révélation est une personne : le Christ. Tout se trouve dorénavant (ré)envisagé
dans cette optique profondément personnaliste du Verbe fait chair qui constitue à la fois « le
Médiateur et la plénitude de toute la Révélation » (DV 2). C'est-à-dire le messager et le message du
Père plein d'amour, le coeur indépassable de notre foi. Qui l'a vu a vu le Père (Jn. 14, 9) et ainsi,
l'Alliance qu'il renouvelle entre Dieu et les hommes est complète et définitive. Car c'est lui, JésusChrist, qui est la Parole définitive du Père, cette « Parole de Dieu » (Dei Verbum) dont parle la
constitution. Ce qui rejaillit également sur la conception de la foi.
B. Car depuis le XVIème / XVIIème siècle environ, la Révélation était bien trop souvent vue
comme une doctrine venue d'en-haut, ensemble de choses à savoir et à faire. Une « collection de
formules », écrivait même le théologien Louis Bouyer. Or, considérer la Révélation comme
1 Cf. entre autres Henri DE LUBAC, Révélation divine, Coll. « Œuvres complètes » IV, Cerf, Paris, 2006 (1983).
concentrée dans le Christ induit une approche beaucoup plus juste où la Révélation et la foi se
trouvent comprises comme une vie communiquée et reçue. Pas seulement une affaire intellectuelle
et morale, mais une « conversation » (Paul VI), une participation empressée et joyeuse à la nature
même de Dieu : l'amour. Rapidement, le christianisme post-conciliaire allait ainsi passer d'un climat
polémique, autoritaire et défensif à une attitude positive et biblique centrée sur la beauté du dessein
de Dieu.
Ainsi, DV - tout spécialement à travers son chapitre 1 – fait la preuve de son caractère
fondamental. Grâce à lui, l'ensemble du catholicisme post-conciliaire s'engageait dans un
recentrage christologique explicite et nécessaire, réforme capitale de la pensée chrétienne et des
habitudes de l'époque.
Et la Bible, alors ?
La Parole de Dieu, donc, c'est le Christ. Mais si la Bible est seconde, elle n'est pas
secondaire. C'est pourquoi elle forme la trame de la suite de la constitution DV dans progression
(théo)logique qui va comme en cascade : depuis l'origine de la Révélation (chapitre 1) jusqu'à sa
réception pratique dans la vie de l'Eglise (chap. 6), en passant par les canaux de cette
communication/réception (chap. 2 à 5). A partir du chapitre deux, nous entrons donc véritablement
dans la partie biblique de DV.
DV, chap. 2 : plutôt technique, ce chapitre fit couler beaucoup (trop ?) d'encre. Il traite de la
manière dont la Révélation divine se transmet depuis les Apôtres. Ce faisant, il aborde la question
délicate du rapport entre l'Ecriture et la « Tradition » (c'est-à-dire l'ensemble de la vie de l'Eglise par
laquelle se transmet la Bonne Nouvelle du Salut). Le débat était historiquement piégé, mais grâce
aux considérations christologiques du chap. 1, DV parvient à dépasser les blocages pour mettre en
valeur la complémentarité de l'Ecriture et de la Tradition. On ne peut dissocier la Bible de la vie de
l'Eglise qui tiennent ou tombent ensemble.
DV, chap. 3, traite principalement de l'inspiration et de l'interprétation de l'Ecriture. Nous sommes
plongés en plein dans le paradoxe chrétien issu du paradoxe de l'Incarnation (DV 13), car la Bible
vient de Dieu et de véritables auteurs humains (« hagiographes »). 100 % divine et 100% humaine,
elle a pour but final notre salut. Elle n'est pas d'abord un reportage scientifique et historique, mais sa
complexité nécessite qu'on l'aborde dans une démarche à la fois spirituelle et intellectuelle. Ainsi,
DV vient confirmer définitivement la bienveillance toute récente de l'Eglise envers les exégètes.
DV, chap. 4, traite de l'Ancien Testament toujours neuf ! En tant que traduction écrite de l''histoire
du Salut et de sa progression jusqu'au Christ, les livres de l'Ancien Testament « conservent une
valeur impérissable » (DV 15). Il ne faudrait pas passer trop vite sur cette affirmation, tant il est vrai
que la tentation d'écarter l'Ancien Testament est ancienne et puissante. Face à cette pente toujours
glissante, DV livre des pages lumineuses sur la profondeur de l'Ancien Testament.
DV, chap. 5, traite du Nouveau Testament et de l'excellence des Evangiles. Avec l'ensemble de la
Tradition, le Concile leur reconnaît une prévalence sur l'ensemble des Ecritures dont ils constituent
le sommet et la clef de lecture indispensable.
Dei Verbum aujourd'hui : du chap. 1 au chap. 6
Avec son sixième et dernier chapitre, DV expose l'importance primordiale de la Bible dans
la vie de l'Eglise. Avec des passages d'une audace qui fit frémir de nombreux Pères du Concile
(partisans, pour certains, d'en rester à la publication de florilèges bibliques !), DV présente la Bible
en un parallèle saisissant avec l'Eucharistie :
L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps même
du Seigneur, elle qui ne cesse pas (…) de prendre le pain de vie sur la table de la Parole de
Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles (DV 21).
Quittant nos vieux réflexes anti-protestants, il faut sans doute aller jusqu'à parler de sacramentalité
de l'Ecriture2. Et ce chapitre 6 est celui qui permet de mesurer le mieux à la fois le changement de
mentalité qui s'est opéré durant le Concile et le chemin qu'il nous reste à parcourir aujourd'hui.
Sans tomber dans une identification simpliste de la Bible et de la Parole de Dieu (qui est le
Christ), on peut espérer que cette phrase brûlante de St Jérôme entre peu à peu dans la conscience
catholique du vingt-et-unième siècle : « Ignorer les Ecritures, c'est ignorer le Christ » (DV 25). Mais
cette prise de conscience est encore loin d'être faite, tant la réception de DV fut handicapée par
divers facteurs dont, ces dernières années, par l'inflation surprenante des études et des discours sur
l'Eglise. Malgré les fruits nombreux de ces dernières décennies (études et groupes bibliques,
renouveau de liturgie...), cette tentation du tout ecclésiologique demeure sans doute aujourd'hui
encore un obstacle majeur. Mais l'Esprit-Saint travaille. Il saura faire en sorte que nous continuions
d'entrer dans les vues de Dei Verbum et de nous laisser progressivement transformer par le Christ,
Parole de Dieu qui se donne par l'Ecriture. C'est peut-être l'enjeu et la grâce spécifique de notre
temps.
Bertrand Dumas
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2 A ce propos, cf. BENOÎT XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, 2010, n. 56.

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