Plébiscite en faveur du péage urbain
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Plébiscite en faveur du péage urbain
EUROPE ITALIE Milan L’ intitulé de la démarche référendaire qui a été initiée en 2010 résume parfaitement la logique de mobilité urbaine menée depuis trois ans au centre de Milan. Cette consultation populaire, organisée par l’ancienne municipalité de la capitale économique italienne, était intitulée « Milano si muove » (« Milan bouge ») et visait à mettre en place un plan de restriction de la circulation automobile dans l’hypercentre, c’est-à-dire les rues environnantes de la célèbre Piazza Duomo. Le professeur Edoardo Croci, directeur de recherche à l’université Bocconi, était chargé à l’époque de mener à bien cette action politique en tant qu’adjoint à la Mobilité : « Nous avons recueilli dans un premier temps 15 000 signatures en quatre mois seulement, se souvientil, ce qui nous a permis de proposer un vote par référendum à la population ». Et les Milanais ont répondu «oui» à 80 % : «oui» à l’aménagement d’une zone de 8 km² au centre-ville, où les automobilistes ne peuvent pénétrer sans s’acquitter d’un péage. Cet espace, baptisé « Area C », a été inauguré le 16 janvier 2012 par Pierfrancesco Maran, successeur d’Edoardo Croci au poste d’adjoint à la Mobilité dans l’équipe du nouveau maire, Giuliano Pisapia. Un passage de témoin qui en dit long sur le consensus autour d’une stratégie pourtant très contraignante, inspirée des exemples de Londres et de Stockholm. Il faut dire que le terrain avait été préparé en amont, avec la mise en place dès 2009 d’un « Ecopass » dont devaient s’acquitter Plébiscite en faveur du péage urbain La ville s’est appuyée sur un référendum populaire pour restreindre l’accès des véhicules motorisés à l’hypercentre. Une zone protégée vouée à s’élargir. RAINER_81 / FOTOLIA PAR FRANCIS MATÉO 54 JUILLETAOÛT 2012 /// ACTEURS URBAINS Taxe d’entrée Concrètement, l’accès des automobilistes à l’Area C, contrôlé par vidéosurveillance, est soumis à une taxe d’entrée de 5 euros pour les particuliers et 3 euros pour les véhicules de livraison qui approvisionnent les commerces. Même les résidents sont mis à contribution, à raison de 2 euros pour chaque entrée. Toutefois, un créneau d’accès libre à l’Area C est prévu entre 19 h 30 et 7 h 30. Le reste du temps, seuls les véhicules propres, automobiles électriques et GPL, sont dispensés de cette taxe. Bilan de l’opération : la circulation en centre-ville a baissé d’environ un tiers en quelques mois. Le trafic ayant même diminué hors de la zone de péage grâce au développement des transports en communs. Naturellement, la restriction d’accès a également impacté les activités de distribution urbaine dans les mêmes proportions que celles des particuliers. Notamment parce que les véhicules de livraison qui choisissaient auparavant de passer par le centre pour traverser la n n n MILAN EN CHIFFRES 4e aire urbaine en Europe. Le territoire milanais comptait plus de 7 millions de résidents en 2009. 1,3 million d’habitants Milan est, après Rome, la deuxième ville d’Italie. 9 000 véhicules entrent quotidiennement dans le centre-ville de Milan parmi lesquels entre 500 et 900 sont liés à l’approvisionnement des commerces. RÉSEAU. Les tramways jaunes font partie intégrante du paysage urbain milanais. Ils représentent l’un des réseaux les plus étendus du monde avec près de 300 km de lignes parcourant l’ensemble du Grand Milan. LA CIRCULATION EN CENTREVILLE A BAISSÉ D’UN TIERS EN QUELQUES MOIS. ELLE A MÊME DIMINUÉ HORS DE LA ZONE DE PÉAGE GRÂCE AU DEVELOPPEMENT DES TRANSPORTS EN COMMUN. KATATONIA / FOTOLIA Milan les véhicules les plus polluants. « Cette première mesure avait nécessité une grande négociation avec les commerçants et autres professionnels, pour faire accepter le projet aux habitants », explique Edoardo Croci. Même si ce dispositif ne concernait que la moitié des véhicules entrants dans le centre-ville, les bénéfices en termes de réduction du trafic ont été fondamentaux dans l’acceptation du référendum ayant abouti à la création de l’Area C. La réalisation de cette première étape a fortement contribué au maintien du calendrier prévisionnel de cette politique de mobilité urbaine, et ce malgré l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale en 2011. ACTEURS URBAINS /// JUILLETAOÛT 2012 55 DOMENICOSALICE / FOTOLIA LES TAXES LIÉES AUX RESTRICTIONS DE CIRCULATION ONT PERMIS D’ENCAISSER ENTRE 30 ET 40 MILLIONS D’EUROS CETTE ANNÉE. MARIUSZ PRUSACZYK / FOTOLIA EUROPE PRESTIGE Capitale mondiale de la mode et du design, Milan accueille près de 2 millions de visiteurs chaque année. Son centre-ville regorge de monuments remaquables, comme la Galleria Vittorio Emanuele II construite du XIXe siècle (à gauche) ou le récent Palazzo Lombardia inauguré en janvier 2010 (à droite), qui contribuent au prestige de la cité lombarde. n n n cité ou se rendre d’un quartier à l’autre préfèrent désormais faire un détour. Habitudes À l’origine, cette mutation apparaissait difficile à entreprendre, surtout au sein d’une ville où l’automobile dispose d’une place prépondérante dans les habitudes de déplacement. Il suffit, pour le constater, de se déplacer dans les quartiers périphériques du centre-ville où les véhicules encombrent parfois même jusqu’aux trottoirs. À ces incivilités locales s’ajoutent certaines spécificités du transport de marchandises en Italie, que détaille le transporteur Fabiano Benazzi, dirigeant d’une entreprise affiliée au réseau Astre : « Dans notre pays, et plus spécialement à Milan, près de 90 % du transport de marchandises est assuré par la route. Cela pèse d’autant plus, à Milan, le cœur économique de l’Italie, où une grande quantité de produits est fabriquée et commercialisée sur place ». La ville est ainsi entourée par une véritable ceinture logistique dont le développement n’est pas nécessairement en adéquation avec la logique de mobilité durable souhaitée par la municipalité et les habitants. D’autant plus que le nouveau maire, Giuliano Pisapia, a en partie été élu pour sa volonté de poursuivre et d’accentuer cette politique. Aussi, pour les professionnels du transport, il semble donc n’y avoir d’autre alternative que de s’adapter par l’acquisition de véhicules qui correspondent le plus possible à ces nouvelles exigences écologiques. « La nouvelle réglementation de l’Area C n’a pas eu d’impact significatif pour l’entreprise dans la mesure où nous avions intégré, depuis plusieurs années, cette réflexion écologique au sein de notre organisation. Pour nos activités de transport de meubles, nous étions déjà équipés de véhicules adaptés pour travailler en centre-ville. En revanche, certains concurrents ont été écartés de ce trafic urbain faute de posséder les véhicules idoines », précise, sans hésitation, Fabiano Benazzi. Interrogations Si, en Italie, Milan a été la première ville à réglementer de cette manière le transport urbain de marchandises, d’autres municipalités, comme Rome et Turin, s’intéressent de près à cette expérience. Une perspective jugée parfois inquiétante 56 JUILLETAOÛT 2012 /// ACTEURS URBAINS La stratégie de mobilité urbaine écologique coïncidera dans trois ans avec l’organisation de l’exposition universelle de 2015 pour laquelle les estimations les plus optimistes promettent jusqu’à 25 millions de visiteurs. Un événement majeur à l’origine d’investissements conséquents au niveau des infrastructures de transport public. L’État a ainsi financé la réalisation de deux nouvelles lignes de métro, actuellement en cours de construction et prévues pour être opérationnelles pour le début de l’événement. Ces travaux d’aménagement s’inscrivent dans le cadre de la mutation FOTOLIA COMUNE DI MILANO VERS PLUS DE VERTICALITÉ de certains secteurs de la ville, à l’image de la rénovation des quartiers situés autour de la gare Garibaldi. Comme l’explique Matteo Prioschi, journaliste au quotidien économique Il Sole 24 Ore : « Cet espace urbain est celui où les changements sont déjà les plus évidents, avec la construction des premiers immeubles qui vont s’intégrer dans ce qui sera probablement l’une des zones les plus actives de Milan dans un futur proche ». Reliée à l’ensemble de la métropole par le métro, elle symbolise le nouveau plan d’urbanisme milanais visant à faire évoluer la ville vers plus de verticalité en multipliant le nombre d’immeubles hauts. « Cette architecture de gratte-ciels ne faisait pas partie jusqu’à présent de la culture de Milan. Elle a été initiée par l’ancienne municipalité, qui a laissé dans les cartons les projets d’une cinquantaine de grands édifices avec l’intention de créer à terme un quartier d’affaires de grande envergure. Lorsque la nouvelle municipalité a été élue en juin 2011, les plans ont été redimensionnés, sous l’effet de la crise économique. Mais ce modèle de développement vertical n’est pas remis en cause ». pour nombre d’entreprises de transport. Les opérateurs qui disposent aujourd’hui d’équipements écologiques pour intervenir en ville sont souvent des grands groupes dont les capacités financières leur ont permis d’investir dans ce domaine. À l’opposé, les acteurs plus modestes, dont la trésorerie est d’autant plus limitée qu’ils sont durement touchés par la crise économique italienne, risquent de ne pouvoir répondre à ces nouvelles contraintes. D’autant plus que cette tendance coercitive se développera. À Milan, la mise en œuvre du plan soumis au référendum prévoit l’expansion graduelle de la zone soumise à péage, jusqu’à intégrer l’ensemble du grand centre-ville. La municipalité y est particulièrement favorable compte tenu de la conjoncture économique difficile : les taxes liées aux restrictions de circulation lui permettront tout de même d’encaisser cette année entre 30 et 40 millions d’euros. Une enveloppe que la mairie compte réinvestir dans les transports publics. « Mais, comme cela s’est fait dans un certain nombre de villes européennes, il faudra également réfléchir à l’aménagement de zones logistiques périphériques pour permettre une meilleure distribution des marchandises », prévient Edoardo Croci. Un axe de développement que partage totalement son successeur, Pierfrancesco Maran : « Nous devons poursuivre nos efforts dans ce sens, programmer l’élargissement de la zone délimitée aujourd’hui par l’Area C et adapter nos transports au modèle de distribution durable. Cela renforcera l’attractivité de notre ville ». Sur ce dossier, au moins, la route semble tracée au-delà des divergences politiques. Ce qui n’est pas chose si courante en Italie. INTERVIEW PIERFRANCESCO MARAN, ADJOINT À LA MOBILITÉ ET À L’URBANISME DE LA MAIRIE DE MILAN UN FACTEUR D’ATTRACTIVITÉ POUR LE CENTREVILLE Acteurs Urbains : Cinq mois après la mise en place du péage urbain, quel est votre bilan ? Pierfrancesco Maran : Le résultat s’avère être très positif en termes de réduction des émissions polluantes puisque nous avons réduit la circulation de 35 % dans le centre-ville. Cela s’explique notamment par un plus grand recours aux transports en commun : tramway, métro et autobus. Et comme l’usage des transports publics a globalement augmenté, le trafic a également diminué hors de la zone de péage où on constate une baisse des accidents de circulation et de la pollution. Nous avons donc incontestablement réussi à positionner le centre-ville de Milan dans une logique de développement durable. Les piétons et les cyclistes ont pu se réapproprier cet espace libéré des voitures. Cette zone du cœur de ville est considérée comme le secteur urbain le mieux desservi par les transports publics dans toute l’Italie. Comment les professionnels ont-ils réagi à son instauration ? P.M. : Cet aménagement est arrivé au pire moment de la crise économique, ce qui naturellement a suscité les inquiétudes des transporteurs, des commerçants et de l’ensemble des professionnels qui interviennent dans le centre-ville. Cela dit, je pense que le péage de 3 euros imposé aux professionnels pour l’accès à l’hypercentre n’est pas si dissuasif. Malgré tout, nous réfléchissons à la possibilité d’adapter le tarif pour certaines catégories d’entreprises comme les artisans par exemple. Nous avons également autorisé l’accès gratuit aux véhicules GPL, en plus évidemment des véhicules électriques. Même si nous ne voulons pénaliser personne, nous devons maintenir des mesures contraignantes pour demeurer dans notre logique de mobilité durable. Cela risque-t-il d’avoir des effets négatifs sur les activités commerçantes ? P.M. : Je crois au contraire que cette politique est un facteur favorable à l’attractivité du centre-ville et qu’il peut permettre de créer davantage d’animation commerciale. D’autre part, la restriction de la circulation représente également un moyen de donner davantage de vie au coeur de ville. Très concrètement, nous profitons de cette stratégie de mobilité durable pour mettre en place, à compter du mois de juin, l’opération des « jeudis de Milan ». L’idée consiste à créer l’événement un soir par semaine, ce qui n’est pas actuellement le cas dans le centreville milanais. Evidemment, les commerces ont été associés à cette opération et nous adapterons pour l’occasion les dessertes par les transports en commun. ACTEURS URBAINS /// JUILLETAOÛT 2012 57