Lecture et utilisation de la carte marine : initiation

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Lecture et utilisation de la carte marine : initiation
Lecture et utilisation de la carte marine : initiation
Le propos ci-dessous est didactique : il s'agit de faire découvrir à des gens qui, à priori, ne savent rien. Je sais que c'est un peu agaçant, parce qu'on
croit toujours savoir quelque chose, même sur les cartes marines. Mais l'expérience montre que l'approche empirique (qui est la plus répandue, au
point que c'est celle qui est préconisée par le Cours des Glénans !) laisse toujours des zones d'ombre dans notre savoir et notre compréhension. Ces
lacunes, on les paie toujours tôt ou tard. En lisant la « bible » 5° édition, j'ai été stupéfait de lire (je cite page 940 !) : « Pour apprendre à lire une
carte, il n'y a qu'un seul moyen : la regarder longtemps, et la confronter au paysage qu'elle décrit. Nous ne donnerons donc pas de précision
supplémentaire sur ce sujet. » C'est comme si on disait que pour apprendre les maths, il suffisait de réinventer le théorème de Thalès !
Il s'agit de pratique et pas de théorie ! Nous sommes d'accord. Mais, tonnerre de Brest, la pratique, çà s'apprend. Voilà donc quelques propositions.
La théorie sera cependant en réserve, au cas où ! En pratique donc, l'enseignement des bases comporte les 5 points suivants; en fait, je trouve que les
points 4 et 5 relèvent déjà d'un approfondissement, mais, naturellement, çà se discute !
1. le principe fondamental : les repères cartésiens (longitude et latitude), la projection Mercator, la représentation des distances (le mille
nautique)
2. la représentation des amers et des balises, la représentation des altitudes
3. la représentation des éléments du paysage marin et sous-marin : repérage et mémorisation des principaux symboles et abréviations
4. les isobathes et les sondes, la représentation de l'estran et celle des obstacles divers, l'incertitude et les marges d'erreur à respecter, le pied de
pilote
5. la représentation des courantslLa pratique comporte deux aspects différents, le premier étant la lecture de la carte et sa relation avec le
paysage, le second étant le tracé sur la carte de la position et de la route du navire.
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D'abord savoir où on est :
Le premier est associé à la découverte de ce que c'est que naviguer (niveaux 1 et 2 voiles). Il est donc associé à l'identification des amers, aux
B-A-BA du pilotage, à l'apprentissage de l'orientation et de la situation sur l'eau. Dans cette première phase de l'apprentissage de la carte, le
marin (et le bateau qui le porte) est au centre de l'univers. Il cherche d'abord à savoir où il est pour permettre à son équipage de s'orienter.
Ensuite, savoir où on va :
Le second est associé à un jeu très cérébral, étrange et spéculatif : deviner où on va arriver, passer de la navigation subie à la navigation
anticipée. Il se sert de la carte pour étudier, analyser et comprendre la grande aire de jeux qu'est le périmètre de navigation, tous les
paramètres qui influencent la route à suivre. Son but n'est plus d'aider le barreur et ses équipier à se reconnaître; il est de les diriger et de les
conduire. C'est la navigation proprement dite, dont l'exercice culminant est l'estime.
Cette pratique demande d'acquérir de bonnes habitudes, en particulier le maintien des cartes rangées, propres et au sec, le soin du tracé, le pliage
attentif et respectueux, etc ...Elle demande aussi l'apprentissage d'un certain nombre d'outils, avec lesquels il faut atteindre une certaine dextérité
pour être efficace :
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le compas à pointe sèche pour mesurer les distances.
la règle de l'amiral Cras, ou le rapporteur Breton pour tracer les points (que ce soient des points GPS ou des points relevés au compas).
la ficelle pour déterminer des alignements !
On verra, à ce propos, que les cartes électronique présentent des commodités mais ne dispensent pas de cet apprentissage, pas plus que le clavier
d'un ordinateur ne dispense de l'apprentissage de l'écriture. Cependant, dans la mesure où l'on dispose du matériel informatique (un PC ou un Mac
et un bon logiciel, comme Maxsea), l'utilisation de celui-ci est possible et peut-être souhaitable dès les premiers pas. Une seule condition: toujours
utiliser simultanément et concurremment l'ordinateur et les cartes-papier (qui sont de toute façon obligatoires à bord). Je m'efforcerai donc de
proposer des exercices à tous les niveaux sur les deux supports à la fois.
- I - DECOUVERTE DE LA CARTE
un exercice valable pour tout support nautique
En effet, il est utile aussi bien en voile légère (même si on n'en a pas trop l'habitude sur ce genre de support) qu'en croisière. On peut profiter d'un
coup de vent ou d'une pétole pour le faire, mais je pense que, quel que soit le temps, il faut passer par là !
a - échelle des cartes
** Observer d'abord comment elles sont faites : expliquer la projection Mercator (elle sert à compenser la courbure
de la terre de façon à ce que les distances angulaires ne soient pas déformées; ce sont donc les distances qui seront
déformées. Cette déformation est de plus en plus importante à mesure qu'on s'approche des pôles. Elle est bien
visible sur une mappemonde. Sur une carte marines de nos latitudes, elle se voit par la différence entre la graduation
des longitudfes et celle des latitudes. L'échelle des cartes marines est la graduation des latitudes (à droite ou à
gauche de la carte. Elle peut se voir aussi par la forme du quadrillage des longitudes et des latitudes : il n'est pas
carré mais rectangulaire. On remarquera aussi que les graduations ne sont pas en système métrique mais en degrés,
minutes et secondes. Normal, puisque les distances représentées sur cette carte sont des distances angulaires !
** Les cartes sont à différentes échelles selon l'usage qu'on en fait. Il y a le plus souvent les cartes "routières", les
cartes d'atterrissage, les cartes de pilotage, les cartes spéciales. Il y a donc des cartes à différentes échelles, plus ou
moins précises.
Prendre deux cartes à différentes échelles du point où on se trouve, demander aux stagaires de trouver où ils sont et
la distance entre la tourelle et la
d'examiner les différences en termes de précision de la description et en terme d'espace visible décrit.
bouée est mesurée à l'aide de la
graduation des latitudes : 1 minute, On peut faire la même chose avec les cartes enregistrées sur l'ordinateur : le "zoom" est en fait un changement
d'échelle; sur les cartes scannées, la précision des indications change, tandis que sur les cartes vectorisées, elle ne
soit 1 mille nautique
change pas. On fera une comparaison entre la carte sur ordinateur et la carte-papier.
b - carte et paysage, première approche :
Quand on a localisé le lieu où l'on se trouve, on explore avec soin tout ce qui l'entoure, et d'abord tout
ce qu'on voit. On s'aperçoit alors qu'il faut faire sans cesse des "aller-retours" entre la carte et le
paysage : c'est le principe de base de la navigation, sur lequel il faut insister. On s'exerce à nommer ce
qu'on voit à l'aide de la carte : port, cap, île, gros rocher, tout ce que les stagiaires observent.
S'approprier un paysage, c'est lui donner un nom. tant qu(à faire, que ce nom soit le même pour tous,
c'est-à-dire celui de la carte. On verra aussi que tout ce qu'on voit n'est pas sur la carte : celle-ci est
dédiée à la navigation. On verra enfin qu'on peut repérer un élément du paysage de trois façons : par ses
caractéristiques propres, par les autres éléments qui l'entourent et par son orientation.
Voici le quadrillage des parallèles et des
méridiens, tel qu'on pourrait le voir près de
l'équateur. C'est un rectangle !
A cette occasion, on découvrira une supériorité de la carte-papier sur la carte informatisée : la carte
papier est facile à transporter, et on peut la regarder en même temps que le paysage. C'est plus
difficile avec un ordinateur !
c - les distances, le mille nautique :
En regardant la carte, on est souvent surpris de voir qu'un point qui nous paraît proche est en réalité
assez loin. On peut s'exercer à essayer de
deviner la distance de plusieurs point à
l'oeil, puis de vérifier sur la carte les
distances réelles. On peut faire cela
d'abord avec une règle graduée.
Et voici le même quadrillage sous nos latitudes ;
c'est aussi un rectangle, mais dans l'autre sens !
** On en profitera pour faire une
première utilisation de la règle Cras.
Mais ... à quoi correspondent ces
graduations ? Sont-elles à l'échelle de la
carte qu'on utilise ?
** Il faut vérifier avec les graduations de la carte, qui sont celles des latitudes. On
annonce alors qu'une minute de latitude égale 1 mille nautique. Combien çà fait-il de
kilomètres ? Peu importe, puisque toutes les distances sur l'eau seront mesurées de
cette façon : un noeud égale 1 mille nautique à l'heure.
** On utilise alors le compas à pointes sèches, qui est beaucoup plus commode pour
mesurer les distances. On peut le manipuler de toutes les façons, y compris pour
les outils du navigateur (il manque la ficelle)
mesurer la distance à parcourir si on fait un projet de ballade ...
d - l'entretien des cartes :
Pour finir cette première séance, on explique les règles d'entretien: sur ordinateur, on n'oubliera jamais de donner les consignes pour sauvegarder et
déconnecter en sécurité; il faut faire de même pour les cartes-papier qui sont très fragiles :
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plier toujours sur le même pli et dans le même sens
maintenir au sec
utiliser un crayon facile à gommer etgommer les traits de crayon au fur et à mesure
ranger les cartes après usage
- II - les amers et balises sur la carte
Selon le support, itinéraires différents, mais démarche identique
En voile légère, le principe de base est la navigation préparée à terre. On peut emporter des cartes plastifiées, ou des photocopies de cartes, mais à
mon avis, le mieux est de préparer : repérer à l'avance sur un papier ce qu'il faut voir, papier qu'on emportera dans une pochette plastifiée. En
croisière côtière, et à fortiori en croisière hauturière, la démarche est rigoureusement la même, en fait. Cependant, quel que soit le support, l'étude de
la carte commence toujours par la découverte du paysage. Je préconise donc que la premiére séance de cette séquence soit une petite ballade sur
l'eau, pilotée par le moniteur, pour découvrir les amers et balises du périmètre.
On remarque que cette étape de la lecture de la carte est très proche de celle de l'initiation au pilotage côtier. Mais ce qui est spécifique à
l'apprentissage de la lecture de la carte, c'est qu'il faut faire le rapprochement entre les symboles dessinés sur la carte et l'aspect réel des repères dans
le paysage.
a - découvrir et reconnaître les balises :
D'abord apprendre les balises cardinales et latérales, marques spéciales, marques de plage et dangers isolés. On utilisera pour cela le résumé succinct
de la légende des cartes marines (reproduite ci-dessous).
Le premier exercice sera pour les stagiaires de suivre le moniteur (en file serrée s'il s'agit
de voiles légères; le moniteur à la barre s'il s'agit d'un croiseur) sur un itinéraire balisé
préparé par lui. Ils devront donc identifier sans erreur possible les balises rencontrées : les
premières seront identifiées au passage, puis il leur faudra rechercher et identifier les
suivantes avant de les croiser et dire où il faut passer par rapport à elles.
Au retour, on fera un bilan d'expérience : les stagiaires dessineront de mémoire la forme et
l'aspect des balises rencontrées. Ils verront qu'il y a plusieurs sortes de balises : les
tourelles, les bouées, les perches, les balises à sifflet, les balises lumineuses; ils verront
aussi que la forme de ces balises est très variable, et parfois surprenante; ils verront enfin
que leur couleur est moins visible de loin que leur forme, et qu'il faut tenir compte des
conditions de visibilité (la brume, certes, mais aussi la pluie et encore le contre-jour ! ).
b - identifier et respecter un périmètre délimité par des balises :
Bien vérifier ce que signifient les balises, d'abord : une balise Est pare un danger situé à
l'Ouest de cette balise (il faut la laisser à l'Est); une balise tribord pare un danger situé à
bâbord de cette balise (il faut la laisser à tribord en entrant au port). Il faut aussi expliquer
et respecter la règle du pouce : sur une carte, ne pas approcher le bateau (sur la carte biensûr) à une distance inférieure à l'épaisseur d'un pouce du danger.
Le second exercice, qui prolonge le premier, est la démarche inverse. Les stagiaires vont
préparer une reconnaissance de parcours ou de périmètre de navigation (la baie dans
laquelle ils évoluent en voile légère; une entrée de port ou un chenal en croiseur). Ils
dresseront sur un tableau la liste des balises qu'ils devront rencontrer sur l'itinéraire qui
leur sera donné (de tel à tel point) en notant le nom et les caractéristiques identificatrices
de chacune (à ce propos, on pourra se servir des Instructions Nautiques qui contiennent des
photos de balises).
Alors, sur l'eau, les stagiaires devront guider le barreur (en croiseur) ou prendre la tête de
la file (en voile légère) pour suivre le parcours.
Au bilan, on insistera sur le fait qu'ils auront fait ainsi leur première "nav". On relèvera aussi la difficulté pour le navigateur de repérer les balises
quand le bateau va vite, et l'importance d'une vitesse contrôlée à la demande du navigateur, y compris l'arrêt au besoin.
Sur ordinateur, on ne travaillera que sur des cartes scannées, pour respecter la règle du pouce. Cet exercice est bien adapté à l'ordinateur,
puisqu'il est impossible de le déplacer de la table à cartes. C'est une bonne habitude de procéder ainsi pour permettre au navigateur de guider
l'équipage en étant placé dans le cockpit, et non dans la cabine, le nez collé sur son écran.
c - découvrir et reconnaître des amers remarquables : le tour d'horizon Au préalable, connaître quels sont les amers remarquables signalés sur une carte marine : châteaux d'eau, clochers, maisons, tours, antennes,
sémaphores et phares, sommets, tombées franches des côtes, rochers toujours visibles et cotés, etc ... Sur une carte on peut les rechercher, puis en
voir la liste sur l'ouvrage ad hoc du SHOM.
Le troisième exercice : il se pratique à terre, ou bien sur un bateau immobile (au mouillage ou au coffre de préférence à la cape pour cette première
fois, mais on peut le répéter ensuite souvent au cours d'une navigation par une mise à la cape de 5 ou 10 minutes). Chaque stagiaire a en main un
crayon de mine et une feuille de papier sur laquelle est imprimé un cercle (ou un arc de cercle si on est à terre). Chacun est censé être au centre du
cercle (ou de l'arc de cercle). Chacun dessine tous les amers remarquables qu'il voit autour de lui sur le cercle.
Puis, avec l'aide de la carte, chacun va donner un nom à tous les amers qu'il a dessiné. Ensuite, on compare les productions de chacun.
Quatre problèmes doivent apparaître :
1/ l'orientation : combien auront eu l'idée de s'orienter par
rapport au nord, au soleil (en notant l'heure) ou par rapport
à un amer bien visible dont l'identification ne fait aucun
doute ?
On peut alors orienter les croquis par rapport au Nord, puis
les amers remarqués par rapport à la rose des vents (NE, E
SE, S, etc ...) et enfin leur donner une valeur chiffrée (en
faisant mémoriser les valeurs des points cardinaux en
degrés).
2/ les distances : combien auront noté les différences entre
les amers les plus proches et les plus lointains ?
On peut alors chercher comment distinguer la distance
relative des amers d'après leur couleur et leur distance à
l'horizon (et non d'après leur taille).
3/ la marée : combien auront noté que certains amers ne
sont visibles qu'à certaines heures (lesquelles ?) et que
d'autres changent complètement d'aspect à pleine mer et à
basse mer ?
On peut alors aborder la question de la marée, de son
calcul, et desroches affleurantes à telle ou telle heure qui
peuvent ainsi devenir d'excellents amers. On apprendra
comment les profondeurs sont indiquées sur les cartes en
distinguant :
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les sondes, toujours submergées, et parfois reliées
par des lignes, les isobathes
les zones découvrantes, qui font partie de l'estran, et
signalées soit par des cotes entre parenthèses, soit
par des cotes soulignées
les altitudes
4/ les amers repérés sont-ils identifiables : soulever la
question de la mise à jour des cartes (les AVURNAV, la
datation des cartes, etc ...)
Le moniteur peut préparer à l'avance quelques questions un peu pointues sur tel ou tel amer que les stagiaires ne penseront peut-être pas à relever. Il
peut aussi faire une démonstration de l'utilisation de la ficelle pour balayer l'horizon et trouver des amers auxquels on n'aurait pas pensé.
On concluera à l'importance de cet exercice en préparation de l'apprentissage du point par trois relèvements et du pilotage côtier. Mais on insistera
sur l'importance qu'il y a à s'arrêter pour s'orienter, quel que soit le support nautique ! On peut faire cela sans aucun instrument : le soleil et une
observation méthodique peuvent suffire.
Un exemple de "cercle" à distribuer. On avantage (ou son inconvénient, c'est selon), c'est qu'il suggère
une orientation par rapport au Nord .
Pour cette séance, la carte-papier est plus commode que la carte informatisée, car elle est utilisable en groupe et permet de couvrir une plus grande
surface que l'écran. Par contre, avec le logiciel, on peut vérifier immédiatement si l'orientation des amers par rapport au Nord est correcte.
d - préparer et suivre un itinéraire avec les amers et balises
Il faudra, avant cette séance, que le calcul de marées soit fait, et que les stagiaires soient capables de calculer la hauteur d'eau sous la quille (ou la
coque) selon l'heure-marée. On peut proposer aux stagiaires un itinéraire adapté à leur support nautique et leur demander de préparer son exploration
sur la carte en utilisant tous les acquits des précédentes séances.
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Ils préparent la navigation en notant tous les amers et balises repérables sur l'itinéraire (à bâbord et à tribord) dans l'ordre de leur apparition.
ils vérifient que l'itinéraire est navigable en fonction de la marée et dessinent une courbe de marée à emporter.
ils peuvent explorer avec la ficelle quelques alignements de sécurité.
Ensuite, la navigation se fait comme pour une ballade (en voile légère), ou une croisière de la journée, mais de façon que les stagaires soient des
participants actifs. On s'arrêtera à chaque fois qu'il y aura un doute sur l'identification d'un amer pour faire un tour d'horizon.
Le moniteur reprendra les stagiaires sur la nécessité d'un vocabulaire précis et d'une méthode sans ambiguité pour identifier les amers.
Au retour, le bilan servira à consolider chaque acquit de cette séquence. La séquence suivante pourra être consacrée au pilotage, au relèvement ou à
la navigation au sondeur, comme on voudra. Dans les trois cas, l'utilisation de la carte sera approfondie.