Critiques Musique
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Musique Actualité Tom Waits – Real Gone (Royaume-Uni) Blues-Rock 8/10 Rien de tel qu’une voix excessivement graissée par l’alcool, les années et les cigarettes pour se réchauffer les esprits durant les longues et froides soirées d’hiver à venir. Une voix menaçante, rocailleuse, bleusissime. Une synthèse de celles de Nick Cave, Arno et SKC. Est-ce possible ? Un nom pour vous. Waits, Tom Waits, mesdames et messieurs. Vous le connaissez peut-être de la bande originale de Shrek 2 (A Little Drop of Poison), mais en sociéte, dites surtout que vous avez Mule Variations à la maison. Vous ne le connaissez… pas ?! Ca tombe bien, Waits (54) a sorti un nouveau disque, bien qu’exceptionnellement sans piano. D’un côté, il contient de véritables chansons façon « homme des cavernes », c’est-à-dire essentiellement mélodieuses et rythmées, pleines de passion agressive et de dévouement acharné (Dont Go into That Barn, Hoist That Rag, Shake It). Dans ces chansons-là, Waits crache ses mots, hurle son désespoir, chante comme un déjanté. De l’autre côté, il y a les plages plus douces, toujours profondes et sincères, mais agencées de manière nettement moins agressive et plus subtile (Sins of My Father, Trampled Rose, Green Grass). C’est le côté plus intimiste de l’album, avec un Waits chantant de voix basse. Tous deux pôles du disque sont – fort heureusement – parfaitement complémentaires. Voix, musique… paroles ? She took all my money / and my best friend / you know the story / here it comes again, hurle-t-il dans Make It Rain. Horriblement cliché, certes; à en devenir malade, éventuellement; mais il chante son blues avec une telle furie, fatale mais foudroyante, qu’on ne peut faire que s’incliner devant le maître en respect béat. Prêtez attention, aussi, aux paroles de Day After Tomorrow, une lettre fictive d’un soldat en Iraq. De nouveau, ça peut paraître terriblement barbant, mais le résultat est plutôt touchant, par l’émotion et le coeur que Waits y met. Je citerai pour finir le Lynch-esque Circus et les savoureuses tentatives de rap/hip-hop dans Top of the Hill et autres Metropolitan Glide, avec son fils aux turntables. Laissez-vous emporter par ce disque fascinant, à ce qu’il paraît un des meilleurs de Tom Waits, et pour ma part sans aucun doute un des meilleurs albums du millésime pop-rock 2004. François Haesebroek Neil Young – Greatest Hits (Canada) Folk, Rock, Country ... 8/10 Oui, je sais : les best of, c'est Mal. Mais je ne pouvais pas passer à côté de cette magnifique occasion de vous parler de ce monstre sacré qu'est Neil Young, et inciter ceux qui n'y auraient pas encore goûté à découvrir cet homme et sa musique. Cet homme qui, en trente ans de carrière, sera passé du folk à la pop, au rock, ou encore à la country, et aura été la principale inspiration de nirvana et le parrain du mouvement grunge au passage... On peut avoir un aperçu (sommaire) de cette évolution à l'écoute de cette compilation, qui suit l'ordre chronologique. Est-il utile de préciser que cet album contient de véritables perles, comme Cowgirl In The Sand, After The Gold Rush, Harvest Moon, ou encore Hey Hey My My ? Eh ben non ! On se convaincra de l'idiotie d'une telle démarche en constatant que je n'ai pas pu m'empêcher de citer un quart de l'album, et encore, j'aurais pu continuer. Alors bien sûr, c'est mieux d'avoir les albums. Bien sûr, il y a des oublis inexcusables comme Lookin' For A Love ou Unknown Legend... Mais cela reste une excellente entrée en matière, voire une occasion de découvrir autre chose que Harvest, l'album que tout le monde laisse traîner Décembre 2004 - Le Marais -10- Musique Actualité quelque part au fond de sa discothèque... Je terminerai donc par une injonction : avant d'écouter toute autre galette que ce soit, assurez-vous de vous être procuré du Young. Maxime Lambrecht Nick Cave & The Bad Seeds - Abattoir Blues / The Lyre of Orpheus (Australie) Rock 7,5/10 Alors que Nocturama (2003) était bien loin d’enthousiasmer tous ses fans, son nouvel opus fait plus ou moins l’unanimité auprès de la presse et du public. D’une certaine manière, c’est mérité. Cave nous livre ici un album cohérent, intègre, acide parfois, amoureux souvent, débordant d’ énergie. Les paroles sont toujours aussi intrigantes ; une touche d’humour par-ci (The Lyre of Orpheus), une touche d’horreur par-là (O Children), un zeste d’amour ou de foi pour balancer le tout (Breathless). Comme d’habitude ballades amoureuses côtoient – ou émergent en – ballades obscures (Abattoir Blues, Easy Money). On ne peut qu’apprécier le fait que celles-ci sont des à présent à nouveau rejointes par du bon vieux Nick Cave plein de rage, façon Red Right Hand et autres Mercy Seat. Et c’est précisément là que se trouve le principal bémol. Si, auparavant, cette rage était fascinante puisque obscure, amère, aujourd’hui les morceaux les plus enragés (Get Ready for Love, Supernaturally) sont remarquablement positifs textuellement, voire même dans leur essence musicale. Cela rend l’affaire nettement moins intéressante. On pourrait aligner les causes : c’est la faute au chœur gospel (qui pour moi ne fait qu’enrichir tout l’album), c’est la faute au départ de Blixa Bargeld, au fait que Nick Cave vieillirait tout doucement, qu’il écrit désormais ses chansons from 9 to 5 au bureau, … Le disque n’en vaut pas moins la peine. Nick Cave anno 2004 ; c’est encore du Nick Cave pur et dur, même si les plages rock sont un tant soit peu moins diaboliques. De tout façon, il y aura toujours le titre Hiding All Away pour radicalement contredire ma thèse. Quelle force ! François Haesebroek The Music – Welcome To The North (Royaume-Uni) Pop-Rock 2/10 C'est en écoutant cet album que je me suis rendu compte à quel point j'ai été sévère avec The Hives... La première chose qu'on remarque avec ce groupe, c'est son nom. The Music. On se dit qu'avec un nom pareil, ils ont plutôt intérêt à être vraiment originaux pour compenser... Eh ben c'est raté. C'est aussi, et surtout, vachement arrogant comme nom. Et, plus que la dissonance de certains de leurs morceaux, c'est peut-être ça qui est le plus gênant avec ce groupe : ce côté grandiloquent, cet aspect énorme que prend leur musique lorsque les refrains montent chacun plus haut les uns que les autres, un ensemble qui paraît dire "Regardez comme on est géniaux !!"... Sans qu'aucune de leurs chansons ne vienne confirmer cette prétention. Cependant, il me faut bien admettre que tout cela n'est pas complètement inécoutable. Bien sûr, ça ne dépasse pas le niveau de la bouillie commerciale que nous servent régulièrement les radios et les chaînes musicales, mais tant que l'oreille ne souffre pas, on tolère. Citons par exemple des morceaux comme Into The Night, ou Cessation. Mais là où on tique, c'est en écoutant des trucs Breakin, la chanson de la honte, avec ses petits "oh ah oh" qui semblent tout droit sorti d'un tube des The Rasmus. Et une bonne partie de l'album est de la même fibre kitsch. Il paraît que le ridicule tue toujours... à la longue. Espérons juste que, dans leur cas, ça ne prendra pas trop longtemps. Maxime Lambrecht Décembre 2004 - Le Marais -11- Musique Vieilleries Cette voix qui a marqué le jazz La fenêtre de ma chambre est ouverte. Dehors, la grisaille. Le rideau vole gracieusement. Et la voix de Billie Holiday résonne. Assis là, sur mon fauteuil, je regarde, écoute... frissonne. Larme au coin de l'oeil, sentiment de solitude. Seul, je paresse. Quel délice... Southern trees bear strange fruit, Blood on the leaves and blood at the root, Black bodies swinging in the southern breeze, Strange fruit hanging from the poplar trees. Pastoral scene of the gallant south, The bulging eyes and the twisted mouth, Scent of magnolias, sweet and fresh, Then the sudden smell of burning flesh. Here is the fruit for the crows to pluck, For the rain to gather, for the wind to suck, For the sun to rot, for the trees to drop, Here is a strange and bitter crop. Billie Holiday a marqué le jazz et a troublé, bouleversé tous ceux qui aiment la Etrange Fruit musique. Petite biographie et évocation d’une de ses Indiana (Etats-Unis), 7 Août 1930. La ségrégation fait rage et les chansons (voir encadré). lynchages fréquents. Ce soir, c’est le tour de deux jeunes. Ils s’appèlent Abram Smith et Thomas Shipp, le premier âgé de 19 ans, « Même si vous êtes une l’autre de 18… noirs tous les deux. Leur seul « crime ». Pourchassé, traînée, vous ne voulez pas pris au piège… pendus à un arbre. Strange Fruits. qu'on vous viole. Même une Café Society (premier cabaret afro-américain), 29 décembre 1938. pute qui ferait vingt-cinq mille Les lumières sont éteintes, le service interrompu et les yeux rivés sur passes par jour ne voudrait pas la scène. Billie Holiday interprète pour la première fois Strange Fruit. se laisser violer. C'est la pire Fin de la chanson, silence de mort. des choses qui puisse arriver à Vous l’aurez compris, les deux faits sont parallèles. A la veille du une femme et ça m'est arrivé second, Billie Holiday chantait dans le même bar. C’est à la fin de son quand j'avais dix ans » (extrait spectacle que Lewis Allen lui montra la photo du lynchage du 7 août de son autobiographie Lady 1930, avec un poème, s’appelant Strange Fruit (retranscription cisings the blues). C’est comme dessus). Allen n’avait pas besoin de la convaincre de l’interpréter. Le ça qu’elle commença... Pas sur soir même, elle arrangea la chanson pour la chanter le lendemain. des chapeaux de roue. A 13 ans, Cette chanson, récit poignant et cri de désespoir, a été à de mainte fois reprise. Et pour cause. Strange Fruit n’est pas seulement une elle fuit à New York… pour s’y chanson, c’est surtout un symbole : celui de la dénonciation de la prostituer (ce qu’il lui vaudra ségrégation raciale. Car le double lynchage du 7 Août 1930 n’est pas d’aller en prison). Plus tard, un cas isolé. Nul ne doit l’oublier. elle se fait engager dans un café. C’est par hasard qu’elle d’émotions… une voix violée, rencontra un jour un pianiste jazz, elle collabora avec les plus mais si intense. qui lui demande si elle sait grands noms, tel Ellington, Aujourd’hui encore, cette chanter. C’est la révélation. Wilson, Armstrong et surtout voix résonne. Pour notre plus Lester Young, qui lui a donné Elle se fera bientôt engager par grand bonheur… de par sa plus son surnom de Lady Day. Des le producteur de Louis grande douleur. plus petites salles au grand Armstrong et enregistrera avec Cotton Club, elle éclabousse lui une série d’albums (savoir plus : http://www.lady-day.org) maintenant devenus des tous les publics par la sensualité classiques (la fameuse série « d’une voix fragile, pleine de Jean-Pierre Wilvers douleurs, The Quintessential Billie Holliday », 6 volumes). Première grande chanteuse Décembre 2004 - Le Marais -12-