Point_Tox n°9_2014
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LE POINT’ TOX Bulletin du réseau de toxicovigilance de La Réunion N° 9 - Janvier 2014 Dans ce bulletin d’information, nous vous présentons l’évolution temporelle des intoxications à la Réunion recensées par le réseau en 2013. Nous avons ensuite souhaité faire un point sur les envenimations identifiées par le réseau en 2011 et 2012. Enfin, nous vous présentons un cas clinique d’intoxication collective lié à l’ingestion de poisson « bouffe tangue » à la Réunion. L’ÉVOLUTION DU NOMBRE D’INTOXICATIONS Sommaire • Activité du réseau (p.1) • Epidémiologie des envenimations (p.2) • Cas cliniques: intoxication collective suite à la consommation d’un poisson (p.4) • Définition de cas (p.5) Figure 1 : Evolution du nombre hebdomadaire de passages aux urgences pour intoxication, 2013, la Réunion. En 2013, 2 708 signaux ont été recensés par le réseau dont 1 certificat de décès mentionnant une notion d’intoxication. Depuis le début de l’année, 2002 expositions ont été investiguées et classées par les référents selon la définition de cas rappelée en page 5. Ainsi, 634 cas ont été classés plausibles, 1303 exclus et pour 65 cas les référents ne se sont pas prononcés (cf. tableau 1). 70 60 50 40 30 20 10 En semaine 37 (du 09 au 15 septembre 2013) et durant le mois d’octobre (S40, 41, 42, 44 et 45) la surveillance des passages aux urgences (réseau OSCOUR ®) a relevé un nombre hebdomadaire de passages aux urgences pour intoxication plus élevé que celui observé en moyenne sur les 4 années précédentes (figure 1). Aucun évènement sanitaire particulier n’a pu être identifié pour expliquer le nombre élevé de passages aux urgences durant le mois d’octobre 2012. Par contre en semaine 37, une intoxication alimentaire collective a été identifiée (cf. description du cas clinique en page 4). Max 2009-2012 2013 Tableau 1 : Activité du réseau de toxicovigilance, 2013, la Réunion. Plausible Exclu Ne se prononce pas En cours d’investigation Total 518 808 39 472 1837 Certificat de décès - - 1 - 1 Signal 1 - - - 1 Hospitalisations 115 494 25 235 869 Total 634 1302 65 707 2708 Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 S51 S47 S49 S45 S41 S43 S37 Moy 2009-2012 n’ont pas été précisées (17/634). Pour une même intoxication, plusieurs produits peuvent être mis en cause notamment lors d’intoxications volontaires. Pour 71 % des intoxications les produits mis en cause ont concerné un ou plusieurs médicaments (452/634), pour 9 % des piqûres d’animaux (59/634), pour 8 % des produits domestiques (51/634), pour 6 % des plantes (41/634), pour 5 % des produits phytosanitaires (30/634) et pour 3% un gaz (17/364). L’alcool était en association à ces toxiques pour 22 % des intoxications (140/634). Après investigation, les intoxications ont été classées accidentelles pour 22% des cas (142/634), pour 75 % elles faisaient suite à une exposition volontaire (475/634) et pour 3% les circonstances d'exposition Passages aux urgences S39 S35 S33 S31 S27 S29 S23 S25 S21 S17 S19 S15 S13 S11 S7 S9 S5 S3 S1 0 page 1 N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX Pour 62 intoxications médicamenteuses, les médicaments concernés agissaient sur le système digestif et métabolisme, pour 32 cas sur le système cardiovasculaire et pour 59 cas sur le système musculo- squelettique. Dans la majorité des intoxications médicamenteuses (383/452) les médicaments agissaient sur le système nerveux (cf. tableau 2). Tableau 2: Répartition par classe ATC des intoxications médicamenteuses, 2013, la Réunion. Accidents Volontaires Circonstances indéterminées Total 3 1 1 58 18 30 1 1 1 62 20 32 0 15 0 15 2 57 0 59 Dont les anti inflammatoires et antirhumatismaux Dont les myorelaxants Système nerveux Dont les analgésiques Dont les antiépileptiques Dont les psycholeptiques Dont les psychoanaleptiques Système respiratoire Dont les antihistaminiques à usage systémique 1 1 16 6 1 8 0 3 2 28 22 356 79 23 22 28 28 24 0 0 11 2 0 7 1 0 0 29 23 383 87 24 235 29 31 26 Autres systèmes 2 44 3 49 Total des expositions 26 413 * pour une même intoxication, plusieurs médicaments peuvent être impliqués 13 452 Système digestif et métabolisme Dont les médicaments utilisés en cas de diabète Système cardio-vasculaire Dont les médicaments agissant sur le système renineangiotensine Système musculo-squelettique * LES INTOXICATIONS PAR ENVENIMMATION Intoxications par envenimation à la Réunion A.Cadivel, Samu 974, Centre Hospitalier Universitaire, site Félix Guyon, Saint-Denis, La Réunion Un beau jour au fond d’un vallon, Un serpent piqua Jean Fréron. Que croyez-vous qu’il arriva? Ce fut le serpent qui creva. Voltaire (1694-1778). Le sujet de l’envenimation était abordé de manière sarcastique par Voltaire nous mettant face à la diversité de la nature mais aussi à celle de ses dangers…Sur terre, l’île de la Réunion ne comporte pas d’animaux réellement dangereux, mais en mer mieux vaut regarder où on met les pieds pour éviter les oursins ou poissons pierres. En France, les accidents dus aux hyménoptères sont responsables de 10 décès par an et les piqûres de scorpions représentent 1% des intoxications (1). A la Réunion, l’épidémiologie sur le sujet est quasi inexistante mais les quelques passages aux urgences pour piqûres de poissons pierres nous rappellent leurs présences sur le territoire. Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 Données générales du réseau L’activité du réseau repose sur l’analyse des données complémentaires : les appels au centre 15, les passages aux urgences (réseau Oscour®), les hospitalisations (données du PMSI), les signalements d’intoxication et les certificats de décès qui sont recueillis par la cellule de veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) de l’Agence de santé océan Indien (ARS-OI). Les appels au Samu 974 pour envenimation sont identifiés par le diagnostic codé par le régulateur. Les codes extraits sont les codes X29.9 (piqûres), T63.0 (venin de serpent), T6.9 (animal venimeux) et W57.9 (morsure ou piqûre non venimeuse d’insectes ou autres arthropodes dans un lieu sans précision). Les variables extraites sont la date et l’heure de l’appel, le sexe, l’âge (ou tranche d’âge), la commune de provenance de l’appel, le code extrait et les commentaires notés par des régulateurs sous forme de texte libre. Puis ces données sont exportées dans un fichier Excel. Un champ « animal mis en cause » a été créé prenant comme valeurs le nom de l’animal noté dans les commentaires (par exemple abeille, animal non identifié, araignée, cent-pied, page 2 N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 Figure 2 : Nombre d’appels au Samu 974 pour piqûres de guêpes, 2008-2012, la Réunion. 60 50 40 30 20 10 page 3 7 10 4 0 janv.-12 Malgré le faible nombre d’exposition par envenimation recensé par le réseau, on relève un nombre de signaux plus important en janvier pour les envenimations par animaux marins et un nombre plus important de piqûres d’insectes pour les mois de mars et décembre. Afin de confirmer cette tendance et d’identifier les animaux mis en cause, nous avons complété cette analyse avec les données issues de la base du Samu 974. L’analyse des données du Samu974 nous permet de mettre en évidence une saisonnalité d’exposition durant la période de mars-avril (figure 2). 7 Pour une très grande majorité, les signaux d’envenimations ont été classés comme plausibles par les référents (89%), pour 9% l’exposition a été exclue et pour 3% les médecins ne se sont pas prononcés. Le sexe ration H/F est de 1,6 et la moyenne d’âge des personnes exposées de 37 ans. On note que les hommes sont majoritairement exposés entre 30 et 40 ans alors que les femmes le sont davantage entre 20 et 30 ans (figure 1). L’âge moyen des patients exposés était de 33,5 ans et le sexe ratio H/F de 1,4. La fréquence de ces expositions était plus importante au cours des mois de mars et décembre. 10 Après investigations des données recensées, le réseau à recensé 96 piqûres d’animaux entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2012 : 39 par piqûres d’insectes, 56 par animaux marins et aucune envenimation par reptile. Pour 1 envenimation, le patient n’a pas pu identifier l’animal mis en cause. Le réseau a recensé 39 envenimations par piqûre d’insecte entre 2012 et 2012. Trente deux d’entre elles ont été classées plausibles par les référents et 3 cas graves ont été recensés. En mars 2011, une patiente de plus de 80 ans était victime de multiples piqûres de guêpes. Elle a été prise en charge par le Groupe Hospitalier Est Réunion suite à un tableau clinique associant un malaise, des éruptions cutanées multiples, une tachypnée de 26/mn et des signes digestifs. Un patient de 62 ans a présenté en janvier 2012 un choc anaphylactique à la suite d’une piqûre de guêpe et a été pris en charge par le Centre Hospitalier Gabriel Martin. Enfin en mars 2012, un enfant de 8 ans, pris en charge par le service d’urgences pédiatriques du CHU Nord a présenté une urticaire généralisée et une dyspnée à la suite d’une piqûre de guêpe. 4 Pour tout les autres signalements (Oscour®, PMSI, Décès, signaux de la CVAGS) , une fiche toxicologique est renseignée afin d’évaluer la relation entre le toxique et les symptômes cliniques présentés par le patient, le niveau de gravité ainsi que l’intérêt toxicologique. A cette occasion, les circonstances d’expositions (accidents, volontaires, infligées), la voie d’exposition (orale, cutanée, respiratoire, oculaire, autre) et les produits mis en cause (médicaments, produits domestiques, plantes, animaux, produits phytosanitaires, gaz, autres, inconnus) sont renseignés. Description des envenimations par piqûres d’insectes janv.-11 frelon, guêpe, insecte sans précision, hyménoptère, méduse, mille pattes, oursin, physalie, poisson, poisson pierre, reptile, scolopendre, scorpion, puce, serpent, tique, …) ou dossier exclu (pour les piqûres de seringue, de moustique, morsure de rat ou de chat, coupure avec du fer, épine végétale…). 7 [10-2 0[ [20 -30 [ [30 -40 [ [4 0-50[ [50-60[ [60 -70 [ [70 -8 0[ [80 e t + [ 10 [0 -10 [ 4 0 janv.-10 2 Sur 5 années, le Samu 974 a reçu 7 appels pour morsure de couleuvre/serpent. Ces appels sont répertoriés sur l’ensemble de l’île (2 Sainte-Marie et 1 à Saint-Denis, au Port à Saint-Paul, Saint-Leu et aux Avirons) et se sont étalés de janvier 2009 à juillet 2012. A la suite de ces appels, aucun patient n’a été orienté vers un centre hospitalier. 7 4 10 6 4 8 janv.-09 10 7 H om m e 12 10 Fe m m e 14 Entre 2011 et 2012, le réseau n’a recensé aucun cas d’envenimation par morsure de reptile. Ceci suggère l’absence de reptile venimeux sur le territoire réunionnais malgré l’arrivée des nouveaux animaux de compagnie (iguanes, scorpions, araignées, reptiles…). 4 16 Description des envenimations par les reptiles janv.-09 Figure 1 : Nombre de piqûres d’animaux recensé par le réseau par sexe et tranche d’âge, 2011-2012, la Réunion. N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX A cette période, on observe un nombre d'appel au centre 15 plus important que le reste de l'année pour des demandes de conseils médicaux suite à des piqûres de guêpes. La consommation de larves de guêpes grillées ou en carry est une pratique très encrée dans les mœurs des réunionnais. Pendant la période de Pâques, bon nombre de réunionnais armés d'un enfumoir artisanal, partent à la recherche des nids de guêpes pour récolter les larves. La fumée chasse les guêpes du nid, permettant au chasseur de le récupérer. Si la larve de guêpe est un met recherché et dispendieux, l'adulte est en revanche redouté à cause de ses piqûres. En mars 2008, on relève un nombre important d’appel au Samu 974 pour piqûres d’hyménoptères. Pour le moment aucune hypothèse n’est posée pour expliquer ce phénomène. Au-delà des appels au Samu 974 pour piqûres de guêpes, les réunionnais ont composé le 15 pour des demandes de conseils médicaux concernant les piqûres d’animaux de la famille des scorpions (mille patte, cent pied, scolopendre, …), des piqûres d’araignées, fourmis, de puces, de punaises, de tiques, de frelons… La RTU est basée sur un interrogatoire téléphonique. L’âge des patients était renseigné pour 99% des appels pour piqûres d’insectes et le sexe pour tous les appels. Le sexe ratio H/F était de de 0,94 (307/325) et plus du tiers des patients était âgé de moins de 10 ans contre 19% des patientes. Description des envenimations par piqûres d’animaux marins Le réseau a recensé 56 envenimations par piqûres d’animaux marins entre 2011 et 2012. Cinquante trois d’entre elles ont été classées plausibles par les référents et aucun cas grave n’a été identifié. L’âge moyen des patients exposés était de 40 ans et le sexe ration H/F de 1,5 (30/20). Plus des deux tiers des envenimations par piqûres d’animaux ont été prises en charge par le Centre Hospitalier Gabriel Martin et près du tiers par le CHU Sud réunion. Les envenimations par piqûres d’animaux marins étaient plus fréquentes pendant les mois de décembre et janvier. Les animaux mis en cause étaient les poissons pour 50 expositions (poisson pierre, poisson chat, poisson rascasse…) et les méduses pour 5 expositions. Pour 1 piqûre seule la notion d’animal marin était précisée. Figure 3 : Nombre d’appels au Samu 974 pour piqûres par animaux marins, 2008-2012, la Réunion. 35 30 25 20 15 10 5 13 13 13 8 8 8 3 3 3 2008 2009 2010 2011 Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 2012 -2 2008 2009 2010 2011 9 11 3 5 7 11 janv.-12 Piqûres de poissons Piqûres de méduses Piqûres d'oursins -2 9 5 7 3 11 janv.-11 9 5 7 3 11 janv.-10 9 3 5 7 9 11 janv.-09 5 7 3 janv.-08 0 2012 -2 2008 2009 2010 page 4 2011 2012 N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX En complément de cette analyse, les données du Samu 974 permettent de mettre en évidence une saisonnalité d’exposition durant la période estivale de décembre à janvier (cf. figure 3). Cette saisonnalité est imputée aux appels au Samu 974 pour des piqûres de poissons, d’oursins ou de méduses. Pendant la période estivale (décembre-janvier), les baigneurs sont plus fréquents sur les plages réunionnaises et aucune zone n’est épargnée par la présence des poissons pierres sur nos côtes. Une fréquentation plus importante des plages en cette saison engendrerait une exposition plus importante à des envenimations par animaux marins. Les poissons pierres sont difficiles à repérer car ils se confondent avec le sable et les méduses sont difficilement repérables dans l’eau car elles sont transparentes et gélatineuses. Pour éviter les piqûres de poissons pierres il faut éviter de marcher sur les fonds coralliens et les fonds rocheux, éviter de manipuler les débris de corail que l’on peut trouver dans le lagon, un poisson pierre pouvant s’y cacher. Concernant les méduses, lorsqu’on en voit, il faut sortir de l’eau sans affolement afin d’éviter les risques de noyade. Lors de la RTU, la provenance de l’appel est renseignée pour une éventuelle intervention sur site. Plus de la moitié des appels provenait de la commune de SaintPaul (55%), 11% de la commune de Saint-Pierre, 9% de la commune de saint-Leu et 6% de celle de l’Etang Salé (cf. figure 4). Conclusion Cette analyse de sources de données complémentaires a permis de mettre en évidence des saisonnalités par piqûres d’animaux: les piqûres de guêpes courant mars-avril à la période de chasse aux nids de guêpes et les piqûres par animaux marins courants décembre- Figure 4 : Provenance des appels au Samu 974 pour demandes de conseils médicaux suite à une envenimation par piqûres d’animaux marins, 2008-2012, la Réunion. janvier durant la période estivale. Aucune piqûre par reptiles venimeux n’a été recensée sur la période de surveillance. Les passages aux urgences nous rappellent toutefois que les envenimations peuvent être dangereuses surtout lorsqu’il s’agit de piqûres de guêpes ou de poissons pierres. Au-delà de leurs piqûres, les animaux peuvent aussi être toxiques à la consommation (cf. cas clinique en page 4). Bibliographie (1) Rouvin B. Envenimations graves par piqûres d’hyménoptères In : Les envenimations graves, Mion G et Goyffon M, Arnette : 155. (2) Martelly M., Morbidelli P. Les envenimations par poisson pierre l’île de la Réunion : la fin d’un mythe. Réan. Soins Intens. MED. URG., 1996, 12, 63-69. ETUDES DE CAS Intoxication par ingestion de poisson « bouffe tangue » B. Batsalle, R. Girerd, C. Gradel, service des urgences, Centre hospitalier Gabriel Martin, Saint Paul, La Réunion Dans la nuit du 10 septembre 2013, suite à l’ingestion d’un poisson appelé localement « bouffe tangue » (cf photo), 10 personnes d’une même famille ont été admises aux urgences du centre hospitalier de Saint Paul de l’île de la Réunion. La première patiente, une femme âgée de 65 ans, est diabétique et hypertendue. Trente minutes après avoir Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 mangé le poisson pêché par son fils le matin en baie de Saint Paul à 70 mètres de profondeur, elle présentait une asthénie intense associée à des paresthésies buccales et des membres, et une difficulté d’élocution. En moins d’une heure, son état neurologique se dégradait avec apparition d’une tétraparésie, d’une hyporéflexie généralisée, d’une mydriase aréactive bilatérale puis d’un coma avec un score de glasgow à 3 avec des difficultés respiratoires. Après sédation par 30 mg d’Etomidate et 80 mg de Célocurine®, une intubation orotrachéale avec ventilation mécanique était effectuée. Sur le plan hémodynamique, la patiente présentait une importante labilité tensionnelle. page 5 N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX Le deuxième patient, son mari, âgé de 74 ans, aux antécédents de bronchopneumopathie obstructive chronique, présentait une heure après l'ingestion une agitation avec myoclonie et incoordination motrice. Lui aussi était intubé après sédation par 20 mg d’Etomidate, 70 mg de Célocurine® et 100 mg de Propofol. Le couple, qui avait consommé le foie, les œufs et la chair du poisson en grande quantité, était transféré dans le service de réanimation polyvalente du centre hospitalier universitaire de Saint Denis. Le sevrage de la ventilation mécanique était réalisé en 24 heures pour la patiente et 36 heures pour son mari. Ils sortaient du service de réanimation le 14 Septembre sans séquelle. Sur le plan biologique, seule une thrombopénie inexpliquée (75000 pour la femme et 56000 pour l'homme) a été observée. Deux autres patients, âgés respectivement de 46 et 49 ans, présentaient des nausées, des paresthésies péri buccales, une incoordination motrice sans difficulté respiratoire, ni trouble de la vigilance. Cette symptomatologie apparaissait une heure après avoir consommé la chair, les œufs et le foie du poisson mais en moindre quantité. Après quelques heures, des vertiges avec un syndrome cérébelleux s’installaient et ne disparaitraient qu’au bout de 4 jours d’hospitalisation. Deux adultes, âgés de 36 et 23 ans, présentaient une heure après le repas des paresthésies péri buccale et des membres inférieurs résolutives en quelques heures autorisant leur retour à domicile. Ils n'avaient consommé que la chair du poisson. Quatre enfants avaient également participé au repas. L’un d’entre eux âgé de 10 ans avait consommé 4 morceaux de chair du poisson et les 3 autres âgés respectivement de 13, 9 et 4 ans avaient consommé 1 seul mor- Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 ceau. Tous les enfants étaient stables sur le plan hémodynamique. L’enfant ayant consommé la plus grande quantité de poisson présentait dans l’heure qui a suivi l’ingestion des paresthésies péri-buccales ainsi qu’un prurit généralisé. Devant la persistance de signes neurologiques ataxique qui se sont secondairement amendés au bout du deuxième jour d’hospitalisation, son retour à domicile n’a été autorisé qu’au bout de 48 heures. Les autres enfants sont restés asymptomatiques au bout de 24 heures de surveillance clinique et leurs retours à domicile ont été autorisés. Aucun traitement spécifique n'a été nécessaire pour les patients gardés en surveillance sur l'hôpital Gabriel Martin. L’identification du poisson par les médecins urgentistes a pu être réalisée grâce à la photo du pêcheur (cf photo). Il s’agissait du Lagocephalus sceleratus, de la famille des tétrodons dont le corps peut se gonfler d’où le nom de « poisson boule » ou « poisson globe » et localement appelé poisson “bouffe tangue“ ou “boulletangue” Les 2 patients intubés avaient consommé une grande quantité de poisson avec notamment la chair, le foie et les œufs. Ceux présentant un syndrome cérébelleux en avaient consommé mais en moindre quantité. Les analyses toxicologiques réalisées par l’ARVAM ont permis de retrouver la tétrodotoxine (TTX) en grande quantité dans les restes du poisson cuisiné avec une concentration de TTX 5 fois plus importante dans le foie que dans la chair. L’ensemble des manifestations cliniques qui résulte de l’intoxication à la TTX forme le tétrodotoxisme. Leurs manifestations cliniques ont été classifiées en 4 grades de sévérité allant des paresthésies péribuccales (grade 1) au coma avec paralysie des muscles respiratoires (grade 4) constatés chez les 2 patients le plus graves de notre intoxication (1). Ces patients avaient présenté en cours d’hospitalisation une thrombopénie périphérique, symptôme non décrit auparavant comme faisant partie du tétrodotoxisme sévère. Il faut noter également que 3 patients ayant mangé des quantités modérées étaient restés hospitalisés plusieurs page 6 N° 9 - Janvier 2014 Point’TOX jours pour un syndrome ataxique persistant et sévère (grade 2). Les intoxications à la TTX secondaires à l’ingestion de poisson coffre surviennent majoritairement en Asie, notamment au Japon où le Fugu est un mets de choix, ou encore dans l’Océan Pacifique (2). De part les échanges commerciaux mais aussi la probable migration du poisson coffre, des cas d’intoxication à la TTX ont été décrits aux États Unis ou au pourtour du bassin méditerranéen (3). Le risque inhérent à ces espèces est assez bien connu des pêcheurs locaux ce qui explique la rareté des expositions. La commercialisation de ces espèces est interdite par arrêté préfectoral numéro 3621/2009/SG/DRCTV enregistré le 24 décembre 2009. Il s'agit de la première intoxication familiale à la TTX à la Réunion depuis 25 ans, où la ciguatera représente la majorité des cas d’intoxication secondaire à l’ingestion de fruits de mer (4). La TTX est une neurotoxine extrêmement puissante, la dose létale chez l’homme étant estimée à 10 µg/kg, soit 275 fois plus puissante que le cyanure (5). Elle se fixe sur les canaux sodium-dépendant au niveau cellulaire, et bloque les potentiels d’action au niveau des nerfs et des muscles entraînant une paralysie neuromusculaire. Il n’existe pas d’antidote spécifique. Son action est totalement réversible en 12 à 24 heures. Sa concentration est maximale dans les gonades et le foie, expliquant la sévérité clinique des patients les ayant consommés dans notre cas. quantité de toxine ingérée (6). Afin de prévenir une nouvelle intoxication, l’Agence Régionale de Santé (ARS OI) a diffusé un communiqué de presse dès le 11 septembre rappelant à la population que les poissons de la famille des tétrodons, molidaes, diodontidae, et canthigasteridae sont toxiques et interdits à la vente. Bibliographie (1) Bentur et al, Lessepsian migration and tetrodotoxin poisoning due to Lagocephalus sceleratus in the eastern mediterranean, Toxicon, 2008 ; 52 : 964-968 . (2) Islam QT et Al, Puffer fisf poisoning in Bangladesh : clinical and toxicological results from large outbreaks in 2008, Transaction of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 2011 ; 105 : 74-80.) (3) Bentur et al, Lessepsian migration and tetrodotoxin poisoning due to Lagocephalus sceleratus in the eastern mediterranean, Toxicon, 2008 ; 52 : 964-968 . (4) Quod JP, Turquet J, Ciguatera in Réunion Island (SW Indian Ocean) : epidemiology and clinical patterne, Toxicon, 1996 ; 34 (7) : 779-785.) (5) Moczydlowsk EG, The molecular mystique of tetrodotoxin, Toxicon 2013 ; 63 : 165-183 (6) Chorng-Kuang How, Chii-Hwa Chern, Yin-Chieh Huang, Lee-Min Wang, Chan-Hsen Lee. Tetrodotoxin Poisoning. American Journal of Emergency Medicine. Volume 21, Number 1. January 2003. Un dosage spécifique est possible au niveau sanguin ou urinaire, de même que la détection de la TTX au niveau des restes du poisson comme c’est le cas dans notre observation. Une prise en charge symptomatique rapide est associée à un meilleur pronostic lors des intoxications sévères. Comme décrit dans la littérature, la plupart de nos patients ont développé comme premiers symptômes des paresthésies péribuccales plusieurs minutes après l’ingestion du poisson coffre. Une patiente est venue d’elle-même à l’hôpital pour l’apparition d’une sensation de faiblesse avec paresthésies 30 minutes après l’ingestion. Classiquement les symptômes se développent dans les 6 heures post ingestion et progressent rapidement en fonction de la Point’Tox / N°9 / Janvier 2014 page 7 Point’Tox N° 9 - Janvier 2014 Définition de cas d’intoxication Après investigation des données extraites de la base des passages aux Urgences ou des hospitalisations, les cas ont été classés selon les définitions suivantes: • Cas plausible : patient ayant été exposé à un toxique identifié et dont les signes cliniques et/ou paracliniques sont reliés à cette exposition • Cas exclu : patient ayant été exposé à un toxique et qui ne présente aucun signe clinique/paracliniques OU patient n’ayant été exposé à aucun toxique OU patient ayant été exposé à un toxique identifié mais dont les signes cliniques/ paracliniques ne peuvent pas être reliés à cette exposition • Cas « ne se prononce pas » : manque d’éléments cliniques, paracliniques ou sur l’exposition pour se prononcer. • Cas grave : tout cas plausible dont l’exposition a entrainé une hospitalisation avec un niveau 3 du PSS (poison severity score), une mise en jeu du pronostic vital immédiat, une incapacité fonctionnelle permanente ou temporaire, une invalidité, une anomalie ou une malformation congénitale ou un décès. Codes d’extraction utilisés par le réseau Pour les appels au Samu 974 H82 T39.9 T40.7 T42.7 T44.0 T45.5 T49.3 T52.9 T57.3 T60.1 T62.0 X48.2 X48.8 X68.2 X68.8 Y18.0 Y18.6 J68.3 T40.1 T40.9 T43.0 T44.1 T46.0 T50.9 T53.2 T58 T60.2 T63.0 X48.3 X49 X68.3 X68.9 Y18.1 Y18.7 T37.2 T40.2 T42.0 T43.2 T44.2 T46.1 T51.0 T54.0 T59.4 T60.3 T65.9 X48.4 X49.9 X68.4 X69.9 Y18.2 Y18.8 T38.3 T40.3 T42.3 T43.3 T44.5 T46.5 T51.1 T54.9 T59.9 T60.4 X48 X48.5 X64.9 X68.5 X77.9 Y18.3 Y18.9 T39.0 T40.5 T42.4 T43.4 T44.7 T46.9 T52.0 T56.0 T60 T60.8 X48.0 X48.6 X68 X68.6 Y16.9 Y18.4 T39.1 T40.6 T42.5 T43.9 T45.0 T48.6 T52.3 T57.0 T60.0 T60.9 X48.1 X48.7 X68.1 X68.7 Y18 Y18.5 • Cas non grave : tout autre cas plausible. Pour les passages aux Urgences et les hospitalisations • Cas avec intérêt toxicologique: cas grave ou avec un caractère rare OU inhabituel, OU ayant nécessité une prise en charge spécifique comme l’administration d’un antidote. F110 F170 T38 T54 T60 T96 F120 F180 T39 T55 T61 X4 F130 F190 T4 T56 T62 X6 F140 P93 T50 T57 T63 Y1 F150 T36 T52 T58 T64 Y351 F160 T37 T53 T59 T65 Y352 Contact Réseau de toxicovigilance de la Réunion Remerciements SAMU 974 Centre Hospitalier de La Réunion Site Félix GUYON Allée des Topazes CS 11021 97400 SAINT DENIS A l’ensemble des services qui participent à ce réseau: les médecins urgentistes, le personnel des services porte, le personnel de la régulation médicale du SAMU974, l’ensemble des CAP-TV Notamment Dr Michel Borher Pr Xavier Combes Dr Olivier Fels Dr Yves Jacques-Antoine Tél : 02 62 90 60 86 /Fax : 02 62 90 57 01 Email : [email protected] Dr Pierre-Jean Marianne Dit Cassou Dr Albert Montbrun Dr Katia Mougin-Damour Dr Francois Simonnet Responsable et coordonateur du réseau: Mme Agnès Cadivel Directeur de publication : Mr L. Bien (Directeur du CHU Félix Guyon) Rédacteur en chef : Pr X. Combes (CHU-SAMU Réunion) Comité de rédaction : Dr F. Abinader (CHGM) - Pr X. Combes (CHUSAMU974) - Mme A. Cadivel (CHU-SAMU974) - Mr L. Filleul (Cire OI) Dr H. Flodrops (CHU site GHSR) - Dr L. Balu (CHU site Félix Guyon) - Mr J-L. Solet (Cire OI) - Dr A. Vague (CHU site GHSR) - Dr M. Weber (GHER) Page - 8