l`affirmation du québec - Voyage en francophonie canadienne

Transcription

l`affirmation du québec - Voyage en francophonie canadienne
Coordination
Richard Lacombe, ACELF
Aide à la coordination
Maude Lafleur et Étienne Ferron-Forget, ACELF
Rédaction (1re et 2e éditions)
Michèle Matteau
Illustration (2e édition)
Thomas B. Martin
Recherche historique (1re édition, 2004)
Pauline Matteau
Validation historique (1re édition, 2004)
Jean-Pierre Charland, professeur,
Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Gilles Lesage, directeur général, Centre du patrimoine, Manitoba
Léon Thériault, professeur, Département d’histoire et de géographie,
Université de Moncton
L’ACELF remercie les membres de son Comité des outils d’intervention
ainsi que les autres collaborateurs au projet : Ronald Boudreau,
Paule Buors, Alexis Couture, Simon de Jocas et Raymonde Laberge.
© Association canadienne d’éducation de langue française
Dépôt légal 2014 (2e édition)
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN 978-2-923737-48-5 (en ligne)
ISBN 978-2-923737-49-2 (imprimé)
Financé par le gouvernement du Canada et par
le Secrétariat aux affaires intergouvernementales
canadiennes du Québec
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
1960 À 1970
BALISES
1960 : début de la Révolution tranquille au Québec; fondation du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN); Louis Robichaud élu premier ministre au Nouveau-Brunswick
1962 : réélection des libéraux de Jean Lesage au Québec; création de la Commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton par Ottawa
1963 : élection de Lester B. Pearson comme premier ministre du Canada
1964 : arrivée du French Power à Ottawa; samedi
de la matraque à Québec
1965 : dépôt du rapport préliminaire de la commission Laurendeau-Dunton
1967 : exposition universelle Terre des Hommes
à Montréal
1968 : Pierre Elliott Trudeau élu premier ministre
du Canada; fondation du Parti Québécois
1969 : promulgation à Ottawa de la Loi sur les langues officielles; fondation de l’Agence
de coopération culturelle et technique (ACCT)
Bien que toujours en opposition, les deux blocs idéologiques que sont le communisme et le capitalisme
s’influencent mutuellement. Dans les deux camps et
dans les pays non alignés, qu’on nomme alors le Tiersmonde, le temps est à la libération politique, culturelle,
sociale et religieuse. On assiste à un bouleversement des
valeurs dans tous ces domaines.
C’est à ce moment que s’entame le mouvement de décolonisation. Des pays comme la France, l’Angleterre, la
Belgique et le Portugal, qui conservaient encore un
empire colonial sur les continents africain et asiatique,
accordent de bon gré ou poussés par les événements,
l’indépendance à leurs colonies. Certaines décolonisations se font dans un climat de calme relatif, mais ailleurs
le départ de l’administration européenne engendre des
conflits ethniques qui ne sont pas près – 50 ans plus tard
– d’une résolution pacifique. Une cinquantaine de nouveaux
pays prennent ainsi place sur l’échiquier mondial et sont
invités à participer à l’alignement est-ouest (communisme vs capitalisme). Ce mouvement de libération
suscite l’admiration et n’est pas sans influencer les mentalités
jusqu’au Canada.
À cette époque, un début de détente perce entre les
deux blocs. L’accession de John Fitzgerald Kennedy à la
présidence des États-Unis en janvier 1961 semble
donner lieu à un autre style de gouvernement, à une
approche de conciliation. Les chefs communiste et
capitaliste se visitent, créent un lien grâce au téléphone
rouge. Cependant, l’illusion ne dure guère : Kennedy est
assassiné en novembre 1963. Mais son passage a laissé
dans le cœur de la génération montante le sentiment que
tout est possible.
Les valeurs changent. La révolution dite « culturelle »
commence dans la Chine de Mao. Elle fascine les jeunes
du monde entier. Dans la foulée de ce rejet des anciennes
valeurs, on parle partout, ou presque, sur la planète de
culture populaire et non plus de Culture. On rejette
même cette dernière, souvent avec ressentiment. La
culture se définit désormais par ce que vit une population
dans son quotidien et elle couvre les préoccupations et
les combats de la classe ouvrière, et non plus celles de
l’élite intellectuelle. La langue populaire s’avère le véhicule
de choix de cette nouvelle mentalité.
Les cadres de la religion catholique évoluent eux aussi.
En 1962, quatre ans après son élection, le pape Jean
XXIII proclame l’ouverture du Concile Vatican II qui veut
renouveler l’esprit du catholicisme dans le monde moderne.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
Le latin est abandonné au profit des langues parlées par
les populations. Les laïcs sont invités à prendre davantage
part aux rites de l’Église. Des traditions millénaires
tombent. Un vent de renouveau souffle sur toute la
catholicité et atteint profondément les francophones
du Canada qui restent majoritairement d’allégeance
catholique romaine.
Ces changements de valeurs culturelles et religieuses
sont soutenus par une montée démographique jeune
et dynamique : les baby-boomers arrivent aux études
secondaires, collégiales ou universitaires. Grâce à la télévision, ils sont au courant des événements mondiaux. Ils
sont témoins des tensions politiques qui se manifestent
dans les pays de l’Est contre la présence soviétique, de
l’horreur des interventions militaires américaines au
Viêt-Nam, de la violence des luttes d’indépendance sur
le continent africain. Ils réclament pour eux et pour tous
le pouvoir du Peace and Love.
Leur musique et leurs idoles deviennent omniprésentes.
Cette culture se propage. Des courants révolutionnaires,
d’influence marxiste et socialiste, se répandent aussi
dans les universités américaines, canadiennes et européennes. Par ces mouvements de contestation,
les jeunes et les adultes qui rapidement leur emboîtent
le pas s’attaquent à l’ordre social – libération sexuelle et
libération de la femme – et à l’ordre politique et militaire
– guerre au Viêt-Nam et montée du Black Power.
On remarque bientôt l’émergence de maints regroupements internationaux de professionnels et d’entreprises :
médecins, professeurs, compagnies de navigation
maritime et aérienne, etc. et d’associations d’entraide
bilatérale dans les domaines des communications, des
sciences et technologies et de l’éducation. Ces contacts
engendrent un climat d’ouverture aux autres et
d’affirmation de soi.
Dans la foulée de ces rencontres internationales est
fondée, le 17 février 1969, l’Agence de coopération
culturelle et technique (ACCT). Les représentants de
23 États francophones se retrouvent à Niamey au Niger.
L’ACCT veut maintenir un lien d’entraide entre les pays
francophones de la planète et devenir un instrument
de dialogue et de solidarité.
LES REVIREMENTS
POLITIQUES
En 1960 commence une période décisive sur le plan
politique au Canada français. Coup sur coup, deux
événements majeurs surviennent.
Au Québec, le 22 juin, les libéraux de Jean Lesage sont
portés au pouvoir après que l’Union nationale de
Maurice Duplessis eut monopolisé la scène politique
pendant 20 ans. Les libéraux entreprennent alors cette
réforme hardie et rapide de la société québécoise qu’on
appelle la Révolution tranquille.
Au Nouveau-Brunswick, quelques jours plus tard, soit
le 27 juin, Louis J. Robichaud arrive au pouvoir. Il est le
premier Acadien à être élu premier ministre de sa
province15. C’est un moment crucial et déclencheur pour
tous les Acadiens. Les réalisations du gouvernement
Robichaud seront nombreuses : la Loi sur les langues
officielles de 1969, la réforme fiscale, les réformes du
système de santé, les réformes dans l’éducation, etc.
Le 10 septembre de cette même année est fondé au
Québec le Rassemblement pour l’Indépendance
Nationale (RIN). Ce groupe est, depuis l’éphémère
Alliance laurentienne de 1957, le premier qui parle
ouvertement de l’indépendance politique du Québec.
La pensée politique et nationaliste bouillonne. Le règne
politique de Duplessis est qualifié de dictature et un vent
de liberté souffle sur le Québec, faisant écho à celui qui
secoue maints endroits de la planète. D’étape en étape,
les politiciens québécois nourrissent et entretiennent la
démarche d’affirmation. Le 24 mars 1961 est créé
l’Office de la langue française. La campagne électorale
15 L’Acadien Pierre-Jean Véniot avait assumé le poste de premier ministre du Nouveau-Brunswick, de 1923 à 1925, en remplacement
de Walter Foster, mais sans élection.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
de 1962 s’amorce avec le slogan « Maîtres chez nous ».
Le Parti libéral de Jean Lesage qui est reporté au pouvoir
s’engage à nationaliser l’électricité et à former un ministère
de l’Éducation. Le temps est aux réformes dans tous
les domaines.
Le fédéral répond bientôt aux revendications de plus en plus
précises des francophones du Québec, des Maritimes et
d’ailleurs. Le 14 novembre 1962, la Commission royale
d’enquête Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le
biculturalisme reçoit son coup d’envoi. Quelques mois
plus tard, en 1963, le libéral Lester B. Pearson, initiateur
de la force de paix de l’ONU, est élu premier ministre du
Canada. Il pose aussitôt un geste qui aura des répercussions
sur la francophonie de tout le pays. Il appelle à Ottawa
trois personnes que l’on désignera très vite comme le
French Power : le chef syndical Jean Marchand, le
journaliste Gérard Pelletier et le professeur Pierre Elliott
Trudeau. Ce dernier devient ministre de la Justice et fait
passer des lois qui donnent à chaque citoyen canadien
une plus grande liberté d’expression de soi. Ces réformes
sociales permettent une évolution rapide de toute la société.
En 1965, la Commission royale d’enquête LaurendeauDunton dépose son rapport préliminaire. Les recommandations sont sans équivoque : déclarer le français
langue officielle aux Parlements du Canada, de l’Ontario
et du Nouveau-Brunswick, ainsi que dans l’administration
fédérale et devant ses tribunaux, créer des districts
bilingues là où les francophones sont en nombre suffisant
et faire adopter par les législatures une loi sur les langues
officielles au Canada.
L’AFFIRMATION
DU QUÉBEC
Pendant que se poursuit l’enquête Laurendeau-Dunton,
des éléments extrémistes se manifestent au Québec.
En mars 1963 éclatent les premières bombes de l’armée
de libération du Québec (ALQ) et du Front de libération
du Québec (FLQ). Ces attentats ciblent ce qui apparaît,
aux yeux des membres de ces groupes, comme des symboles
de la domination britannique : les casernes militaires
et les boîtes aux lettres d’un quartier anglophone huppé
de Montréal.
En 1964, une manifestation organisée par le RIN tourne
à la violence. Les manifestants expriment pacifiquement
leur opposition à la visite de la reine Élizabeth II dans
la capitale provinciale du Québec. Sans qu’il y ait eu
provocation de la part des manifestants, la police les
charge et exerce une répression brutale. Des dirigeants
du RIN sont arrêtés et des gens, matraqués. Ce « Samedi
de la matraque » laisse un goût amer chez la population.
Toutes les occasions sont bonnes pour s’affirmer
politiquement, socialement et linguistiquement. En
1964, Jean Lesage, premier ministre libéral de la province
et fédéraliste convaincu, déclare pourtant : « Le Québec
cherche à obtenir tous les pouvoirs nécessaires à son
affirmation économique, sociale et politique. Dans la
mesure où les provinces ne poursuivent pas ce même
objectif, le Québec se dirigera, par la force des choses,
vers un statut particulier qui tiendra compte à la fois des
caractéristiques propres de sa population et du rôle plus
étendu qu’elle veut conférer à son gouvernement. » Le
fédéral cède à la pression en votant une loi qui permet
le retrait d’une province canadienne d’un programme
fédéral avec compensation financière.
Un événement crée une effervescence dans tout le pays
et met le Québec en vedette sur le plan international.
En 1967 a lieu l’exposition universelle de Montréal.
Toute la planète a les yeux tournés sur cette fête des
nations qu’on dit la plus importante tenue jusqu’alors.
D’avril à octobre, les chefs d’État étrangers se succèdent
au Canada. Selon le protocole établi, ils visitent d’abord
Montréal et le pavillon de leur pays, puis se rendent à
Ottawa rencontrer le premier ministre Pearson. Le
président de la France est alors le Général De Gaulle.
Quand, au soir de son arrivée à Montréal, il lance à la fin
de son discours officiel « Vive le Québec libre ! », il
provoque un incident diplomatique. En une minute, les
problèmes politico-linguistiques qui agitent le Canada
sont connus dans le monde entier.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
LA RUPTURE
À l’automne 1967, du 23 au 26 novembre, les États
généraux du Canada français tiennent leurs assises
nationales à Montréal, regroupant plus de 2 300 délégués
de toutes les provinces canadiennes, nommés ou élus
par leurs associations, afin de discuter de l’avenir constitutionnel de la nation canadienne-française et la définir.
Pour ce faire, il est important de déterminer les pouvoirs
essentiels aux Canadiens français habitant à l’extérieur
du Québec. Les délégués de ces provinces n’acceptent
pas le statut que se donne le Québec, c’est-à-dire celui
d’État national des Canadiens français. Les délégués de
l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario
provoquent la rupture en refusant de participer à la
poursuite des discussions. Soudain, le Canada français
tel que vécu depuis la Confédération n’existe plus.
Les combats que se livrent le Québec et le Canada
mettent à l’ordre du jour la réalité des francophones
de partout au pays. Les provinces doivent faire face aux
demandes de leur population. Certaines le font en prenant
les devants, d’autres en attendant les protestations
officielles. Souvent après de longues revendications,
d’importantes victoires sont gagnées, Par exemple, en
1968, l’usage du français est autorisé à l’Assemblée
législative de l’Ontario. L’année suivante (1969) est signée
la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.
Elle n’entrera cependant en vigueur qu’au milieu des
années 1970, après qu’aura été complétée la traduction
des lois de la province.
VERS
DE NOUVELLES
IDENTITÉS
Si le Canada français s’efface en tant que composante
du pays, les Canadiens de langue française continuent,
eux, d’exister, et ils sont plus conscients que jamais de
leur pouvoir et de la nécessité de défendre leurs droits.
Les Canadiens français du Québec ayant choisi de
s’appeler dorénavant Québécois, ceux du reste du pays
sont forcés de s’identifier à leur tour en se référant à leur
province d’appartenance : Franco-Terre-Neuviens,
Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, Fransaskois,
Franco-Albertains, Franco-Colombiens, Franco-Yukonnais
et Franco-Ténois. Quant aux Acadiens des Maritimes,
ils conservent l’appellation qui les désigne depuis des
siècles, se contentant de préciser, au besoin, la province
où ils habitent : Acadiens de la Nouvelle-Écosse, du
Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard. En
1975, ces francophones du Canada se regroupent sous
le nom de Francophones hors Québec (FHQ), qui deviendra l’actuelle Fédération des communautés francophones
et acadienne (FCFA).
En pleine Révolution tranquille, le président français Charles
de Gaulle visite le Canada dans le cadre de l’Expo 67.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
L’année 1969 marque l’adoption de la Loi sur les langues
officielles au Canada. Désormais existent officiellement
deux langues au Canada : l’anglais et le français. Toutes
les institutions fédérales doivent devenir bilingues. Ce
bilinguisme obligatoire concerne les institutions et non
des individus. L’objectif est clair : permettre aux francophones de recevoir des services dans leur langue, où
qu’ils se trouvent au Canada.
Par conséquent, les institutions fédérales ont un pressant
besoin de traducteurs pour que les documents administratifs soient disponibles dans les deux langues et de
professeurs, pour permettre aux membres de la fonction
publique qui le désirent de parler les deux langues officielles du pays. Jusqu’alors, en effet, les membres bilingues
de la fonction publique canadienne étaient généralement
des francophones. Le bilinguisme devenant maintenant
un atout, plusieurs fonctionnaires unilingues anglais
voient dans l’apprentissage du français une chance
d’avancement professionnel.
L’ENVERS DE LA
MÉDAILLE
En 1969, le gouvernement du Québec dépose une loi
pour promouvoir l’enseignement de la langue française.
La loi 63 vise à ce que les Québécois anglophones
acquièrent une bonne connaissance du français à l’école
et à ce que les nouveaux immigrants puissent, dès leur
arrivée, apprendre la langue de la majorité. Cette loi
donne toutefois le choix aux parents.
Un tollé suit le dépôt de la loi, car une partie de la population québécoise n’accepte pas qu’il y ait choix. Le Front
commun du Québec français réclame rien de moins que
l’unilinguisme français puisque l’unilinguisme anglais
reste la norme dans presque toutes les provinces et
territoires du Canada. Diverses manifestations font
éclater la violence. Le 31 octobre 1969, une intervention
de la police tourne au vinaigre. Les débats parlementaires
s’enveniment à Québec et débordent largement du
domaine de l’éducation auquel est liée la loi en question.
Des députés s’activent pour que des changements soient
apportés. La loi est renommée Loi pour promouvoir la
langue française au Québec. Le 20 novembre, elle est
adoptée à 67 contre 5, avec deux abstentions.
UNE NOUVELLE
VOIE
Le 18 novembre 1967, René Lévesque, journaliste et ancien
député libéral à Québec, fonde le Mouvement SouverainetéAssociation (MSA), Le 20 avril 1968, le Canadien français
Pierre-Elliott Trudeau entame le premier de ses mandats
en tant que premier ministre du Canada. Cette année-là,
le défilé de la Saint-Jean, à Montréal, tourne à l’émeute.
La présence du premier ministre du Canada est perçue
comme une provocation et exacerbe les mouvements
indépendantistes. Des cocktails Molotov éclatent près
de l’estrade où ont pris place les invités d’honneur. Violence.
Arrestations. Le 12 octobre suivant, René Lévesque
fonde le Parti Québécois. Les pièces du jeu politique
qui animera les prochaines décennies sont maintenant
en place.
Toutefois, si les années 1960 voient éclore une révolution
politique plus ou moins tranquille au Québec, toutes les
régions francophones du Canada évoluent, de leur côté,
avec une rapidité sans précédent dans les secteurs clés
de l’éducation et de la culture. L’heure est à la prise
de parole.
QUI S’INSTRUIT
S’ENRICHIT
Dans la francophonie canadienne, l’accent est mis sur
l’éducation secondaire et supérieure. Les méthodes
pédagogiques ont évolué, laissant plus de place à l’individu et à son expression personnelle, au travail en petits
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
groupes suivi de mise en commun, aux émotions, au
ressenti plutôt qu’au développement d’ordre purement
rationnel. On crée donc des institutions d’enseignement
d’un nouveau genre pour s’intégrer au grand mouvement
qui secoue le monde. Dans les provinces où les francophones sont minoritaires, ces derniers exigent d’apprendre
dans leur langue maternelle, et ce, du primaire à l’université.
AU QUÉBEC
En 1961 est mise sur pied la Commission Parent qui
a pour mission de se pencher sur l’état de l’éducation au
Québec. Le 11 mai 1966, elle présente son rapport qui
recommande la création d’un ministère de l’Éducation et
la mise au point d’une structure qui permettrait de faire
le pont entre le niveau secondaire et l’université. En
1967, cette recommandation mène à la création des
Collèges d’enseignement général et professionnel : les
cégeps. Douze d’entre eux ouvrent leurs portes au début
de l’année scolaire 1967-1968. Cette même année, le
gouvernement du Québec inaugure Radio-Québec, un
service de radio, de télédiffusion et de production de
documents audiovisuels, et adopte la loi qui permet la
fondation de l’Université du Québec, une institution de
haut savoir répartie en campus dans des villes importantes
de la province dont certaines, jusque-là, étaient sans
université. Dès 1969, trois campus offrent des cours
à Montréal, à Trois-Rivières et à Chicoutimi.
EN ACADIE
En Acadie, les années 1960 marquent un temps de turbulence dont les répercussions se font encore sentir de nos
jours. Une commission royale d’enquête sur l’enseignement
supérieur au Nouveau-Brunswick ayant reconnu que le
nombre de francophones de la province justifiait la création
d’une université qui dispenserait ses cours en français,
on assiste à la création de l’Université de Moncton, le
19 juin 1963. Cette institution d’enseignement supérieur
est constituée à partir d’institutions universitaires de
langue française déjà existantes qui suspendent leur
charte pour devenir les collèges affiliés de la nouvelle
université. Divers campus se forment dans les années
qui suivent et servent non seulement la population de
Moncton, mais l’ensemble de la province.
De conception moderne, cette institution joue un rôle de
premier plan dans la prise de conscience et l’affirmation
de l’Acadie contemporaine et dans l’épanouissement
de sa culture et de sa langue. Le 27 avril 1967, une école
normale de langue française ouvre ses portes sur le
campus de l’Université de Moncton et devient, en 1973,
la faculté des Sciences de l’éducation. Les associations
des professionnels de l’enseignement se modernisent
elles aussi : l’Association des instituteurs acadiens du
Nouveau-Brunswick devient l’Association des enseignants
et enseignantes francophones du Nouveau-Brunswick
(AEFNB).
EN ONTARIO
Au milieu des années 1960, les francophones de l’Ontario
ne bénéficient toujours pas d’écoles secondaires de
langue française dans le système public d’éducation.
Pour poursuivre des études en français, les jeunes
doivent fréquenter des institutions privées. Celles-ci
sont en pleine expansion à cause de la natalité d’aprèsguerre et de la migration de familles québécoises et
acadiennes dans la province. En avril 1965, les écoles
secondaires privées franco-ontariennes se regroupent
en une association. Une enquête provinciale est instituée
et le rapport rendu à la fin de l’année. La principale
recommandation de la commission est le droit à l’éducation
secondaire en français dans le système public.
Le ministre de l’Éducation charge un comité d’examiner
la situation. Le rapport Bériault de 1968 conduit aux lois
140 et 141 qui consacrent l’établissement d’écoles
secondaires de langue française ou de classes francophones au secondaire dans le système public partout
dans la province, « là où le nombre le justifie ». Le besoin
de telles écoles est évident : plus de 20 000 jeunes
s’inscrivent dans les écoles secondaires françaises en
septembre 1969. La formation de maîtres compétents
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
est assurée par un programme de la faculté d’Éducation
de l’Université d’Ottawa qui accueille ses étudiants à la
rentrée de cette même année.
L’Ontario se donne des véhicules éducatifs d’éveil culturel
et d’affirmation linguistique, telle l’Université Laurentienne.
Le Collège du Sacré-Cœur fondé par les Jésuites à
Sudbury en 1913 devient en 1957 l’Université de Sudbury.
En 1960, le gouvernement provincial constitue
l’Université Laurentienne, une fédération bilingue de
collèges ontariens. En 1963, le Collège de Hearst s’affilie
à cette fédération. En 1964, la construction du campus
est complétée. Au cours des années 1960, plusieurs
collèges et écoles supérieures se joignent à la fédération
et, à partir de 1969, des programmes de maîtrise sont offerts.
UNE CULTURE À
PORTÉE POLITIQUE
L’enquête Laurendeau-Dunton fait son œuvre. Le caractère biculturel du pays est mis en lumière. Le nationalisme
pancanadien et les associations nationales francophones
doivent être redéfinies et leurs objectifs précisés.
Les jeunes francophones veulent s’affirmer comme
groupe et comme individus. Dans plusieurs régions, ils sont
maintenant en mesure d’accéder à l’éducation supérieure
dans leur langue maternelle. Les universités entretiennent
un bouillon de culture et favorisent une prise de
conscience linguistique et politique. Des mouvements
DANS L’OUEST
Les bouleversements de cette décennie touchent profondément les Canadiens de langue française des provinces
de l’Ouest, car ils ébranlent le réseau d’institutions qui
assuraient jusque-là leur survie culturelle et éducative.
Les collèges classiques, fleurons de l’éducation française
et catholique, abandonnent dans certains cas leurs
affiliations et s’associent aux universités de leur province.
D’autres, tels le Collège Saint-Jean en Alberta et le Collège
de Saint-Boniface au Manitoba, qui possèdent déjà des
chartes universitaires, continuent d’assurer l’éducation
supérieure aux francophones de ces provinces. Le Collège
Mathieu s’affilie en 1968 à l’Université de Regina qui
met sur pied le Centre d’études bilingues. Ce centre
deviendra en 1988 l’Institut de formation linguistique.
Certaines provinces de l’Ouest amendent leurs lois
scolaires et permettent l’enseignement en français. En
1968, en Saskatchewan, la Loi scolaire est modifiée pour
permettre la création d’écoles désignées où jusqu’à 80 %
des cours peuvent être offerts en français. Une loi de ce
genre est promulguée la même année en Alberta.
Dans les années 1960, les Canadiens français du Québec ayant choisi
de s’appeler dorénavant Québécois, les francophones « hors-Québec »
développent des identités liées à leur propre province ou territoire.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
de revendication s’amorcent en leur sein, tel celui contre
le maire de Moncton, en 1969, lorsque de jeunes Acadiens
descendent dans la rue et réclament haut et fort le droit
de cité du français dans cette ville.
Garçons et filles trouvent dans ces lieux de haut savoir
une force collective qui les pousse à se définir et à se
donner une identité au moyen de diverses formes
d’expression artistique et culturelle. Les productions
collectives de nature artistique commencent à se développer et, au fur et à mesure qu’elles prennent corps,
elles marquent, non seulement la jeune génération, mais
l’ensemble de la population à qui elles donnent ainsi la
parole. L’art et la culture ne sont plus affaire d’élite, mais
s’adressent à toutes les couches de la société. On organise
des ateliers et des expositions et on offre des cours
d’histoire de l’art pour les adultes. L’art s’affirme comme
une réalité vivante. L’élan est donné.
Des associations culturelles se forment, se regroupent
ou réorientent leurs interventions et deviennent les
instruments de frappe sur les scènes politiques provinciales. L’Association catholique franco-canadienne de la
Saskatchewan devient en 1964 l’Association culturelle
franco-canadienne de la Saskatchewan (ACFC) et poursuit
sa mission de défense de la communauté de langue française. En 1968, l’Association acadienne d’éducation
(AAE) se fusionne à la Société nationale des Acadiens
(SNA) alors que l’Association d’éducation de la NouvelleÉcosse (AENE) fait place à la Fédération acadienne de la
Nouvelle-Écosse (FANE). L’Association d’éducation des
Canadiens français du Manitoba (AECFM) devient en
1968 la Société franco-manitobaine (SFM) et travaille à
l’épanouissement de la communauté francophone dans
les domaines vitaux de la culture et de l’éducation.
LES JOURNAUX
ET LES AUTRES
MÉDIAS
Dans ce monde qui s’ouvre aux médias, les journaux,
la radio et la télévision en langue française s’avèrent
essentiels au soutien des mouvements en cours. De
nouveaux journaux apparaissent ou se redéfinissent.
Ainsi, en 1967, le journal La Survivance devient Le FrancoAlbertain et plus tard, en 1979, Le Franco.
De nouvelles stations de radio entrent en ondes et les
groupes francophones exigent que la télévision atteigne
aussi les régions éloignées du pays. Les luttes sont souvent
longues et ardues. Au cours des années 1960, la télévision
de Radio-Canada commence à servir l’ensemble de
l’Ontario français, mais bien d’autres communautés
francophones du pays doivent toujours attendre.
Les mouvements de jeunes prennent un essor sans
précédent. Par exemple, en mai 1968, est fondée
l’Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de
l’Ontario français. Elle a pour but de promouvoir le
mieux-être culturel des mouvements membres et met
sur pied divers services dans ce but. Elle représente la
jeunesse franco-ontarienne auprès de différents organismes
et même auprès du gouvernement ontarien.
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
DÉFENDRE
SON IDENTITÉ
Ce désir de renouveau, de dire autrement les choses
et de défendre ce qu’on est se développe grâce à la
présence dynamique de centaines de jeunes étudiants
conscients de leur pouvoir politique et culturel. En ce
milieu des années 1960, un phénomène illustre parfaitement l’époque : les boîtes à chanson.
La chanson n’est plus uniquement un divertissement,
elle devient un engagement. Les poètes expriment, sur
de la musique nouvelle ou à saveur folklorique, leur sentiment d’appartenance, ils chantent leur coin de pays avec
des expressions peu populaires jusqu’alors. Ils mettent
des mots sur l’affirmation d’être. Ils sont au centre de
tous les rassemblements. Les célébrations francophones
donnent lieu à des fêtes qui réunissent des milliers de
jeunes et d’adultes. C’est ainsi que la langue acadienne,
le joual montréalais, le français tel que parlé par les francophones de l’Ontario et des provinces de l’Ouest
commencent à occuper la scène artistique, musicale
et culturelle francophone. À la fin des années 1960,
la langue populaire est devenue un instrument identitaire.
Louis Robichaud, premier Premier ministre francophone
élu du Nouveau-Brunswick. La population le surnomme
affectueusement «P’tit Louis».
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
SAVAIS-TU QUE...
-
le symbole de l’opposition des deux blocs communiste et capitaliste est la construction en 1961 du Mur de Berlin qui coupe l’ancienne capitale allemande en deux, séparant ainsi familles et amis ?
-
« Qui s’instruit s’enrichit » fut le slogan électoral
du Parti libéral du Québec qui voulait promouvoir l’éducation des jeunes ? L’enrichissement que donne
le savoir s’est aussi traduit, dans la majorité des cas, par un revenu supérieur à celui des jeunes
moins scolarisés.
-
la création des Belles-Soeurs de Michel Tremblay
au Théâtre du Rideau Vert de Montréal fut l’événement majeur de la saison théâtrale de 1968 ? Bien que le langage de la classe ouvrière ait déjà été utilisé dans des revues de cabaret, jamais encore il n’avait été employé par les personnages d’une pièce de théâtre.
107
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
1970 À 1982
BALISES
1970 : crise d’octobre et mise en vigueur
de la Loi des mesures de guerre
1972 : fondation du Parti Acadien
1974 : adoption de la loi 22 au Québec
1975 : fondation de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ); début de l’Affaire Forest au Manitoba
1976 : élection du Parti Québécois, le 15 novembre
1977 : adoption de la loi 101 au Québec;
adoption officielle du drapeau franco-ontarien
1979 : jugement de la Cour suprême du Canada
au sujet de la loi 101; adoption officielle
du drapeau fransaskois
1980 : premier référendum sur la souveraineté
au Québec; adoption officielle du drapeau franco-manitobain
1981 : début de l’affaire Mercure en Saskatchewan
1982 : rapatriement de la Constitution canadienne par Ottawa
LA CRISE
D’OCTOBRE
Au Québec, la situation sociopolitique s’envenime. Des
cellules révolutionnaires utilisent les techniques de la
guérilla urbaine. Le 5 octobre 1970, le diplomate
britannique James Richard Cross, en poste à Montréal,
est enlevé par une cellule du Front de Libération du
Québec, le FLQ. Le 10 octobre, le ministre de la Justice,
Jérôme Choquette, refuse de négocier avec les felquistes.
Quelques minutes plus tard, une autre cellule de ce
groupe enlève le ministre du Travail, Pierre Laporte.
À 4 heures du matin, dans la nuit du 15 au 16 octobre,
le premier ministre Trudeau décrète la Loi des mesures
de guerre qui suspend l’habeas corpus16. L’armée canadienne prend le contrôle de points chauds au Québec
à la demande du premier ministre, Robert Bourassa. Elle
s’installe dans les quartiers anglophones de Montréal
et devant les édifices gouvernementaux dans le but
de les protéger et procède, sans mandat, à des centaines
de perquisitions et à 457 arrestations de citoyens.
Ces derniers sont le plus souvent des comédiens, des
chanteurs, des poètes, des journalistes, des écrivains
et des syndicalistes considérés suspects pour avoir manifesté de la sympathie ou de l’indulgence envers le FLQ.
Le 17 octobre, dans le coffre d’une auto abandonnée,
la police trouve le cadavre de Pierre Laporte. Ce n’est
qu’au mois de décembre que le diplomate James R. Cross
est retrouvé vivant. Les felquistes sont arrêtés, emprisonnés ou exilés. Les événements ont pris une tournure
violente que la population est loin d’approuver, mais il
devient évident que le mouvement d’affirmation enclenché,
lui, ne peut être endigué.
16 Droit qui garantit à une personne arrêtée de passer rapidement devant un juge afin qu’il établisse la validité de son arrestation.
Le délai est habituellement de 48 heures.
108
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
L’AFFIRMATION
DES FRANCOPHONIES
Le 31 juillet 1974 est votée la loi 22 qui stipule que le
français devient la seule langue officielle au Québec et la
langue de travail de sa fonction publique. Par cette loi, les
élèves qui désirent fréquenter une école anglaise doivent
passer des tests d’aptitude linguistique. On veut
s’assurer ainsi que seuls les jeunes de langue maternelle
anglaise fréquentent ces écoles. En janvier 1976, le gouvernement précise la loi 22 en décrétant que le français doit
dorénavant apparaître sur toutes les étiquettes
et les affiches publicitaires.
Le soir du 15 novembre 1976, le Parti Québécois est
porté au pouvoir : il a réussi à faire élire 71 députés sur
110. Cette arrivée au pouvoir d’un parti indépendantiste
sidère bien des gens, en affole d’autres et rend la majorité
euphorique. L’unanimité se fait autour d’une chose : la
surprise! Tous sont sous le choc : les anglophones et les
francophones de partout au pays, tout autant que les
partisans et les dirigeants du Parti Québécois eux-mêmes !
Ces derniers se mettent rapidement et vaillamment au
travail et, le 26 août 1977, sanctionnent la Charte de la
langue française, dite la loi 101, qui fait du français la seule
langue officielle au Québec et la seule permise dans
l’affichage publicitaire. En novembre 1979, le livre blanc
sur la souveraineté-association D’égal à égal : La nouvelle
entente Québec-Canada est déposée à l’Assemblée nationale.
Le 13 décembre, la Cour suprême du Canada déclare
anticonstitutionnels trois des chapitres de la loi 101.
Pour agir, les diverses francophonies canadiennes
n’avaient pas attendu l’arrivée des indépendantistes à la
tête du gouvernement du Québec. En 1972, le Parti acadien
est fondé par de jeunes intellectuels du nord-est du NouveauBrunswick qui proclament leur mécontentement et
pensent créer une province entièrement acadienne en
divisant le Nouveau-Brunswick. Ils acceptent bien mal
l’idéologie des vieilles élites. Ils se veulent les porte-parole
de la nouvelle communauté acadienne et offrent une
solution de rechange aux partis traditionnels. Ils
cherchent à éduquer et à politiser la société acadienne.
Actif durant une quinzaine d’années, ce parti disparaîtra
en 1986.
Même aux prises avec la loi 101 nouvellement votée au
Québec, la situation de la minorité anglophone ne peut
se comparer à celle des minorités francophones des
autres provinces. En effet, dans la plupart des régions du
Canada, l’assimilation menace, malgré les lois sur le bilinguisme officiel et la promesse de services en français.
Les francophones qui vivent en dehors du Québec sentent
le besoin de faire front commun, de se regrouper et de se
munir d’une force de frappe en créant des fédérations
pancanadiennes de défense des droits des francophones.
POUR ALLER
DE L’AVANT
Dans la foulée de ces débats, l’Association canadienne
d’éducation de langue française (ACELF) s’avère être
l’organisme capable de faciliter la coopération et la
concertation. Cette association possède déjà la particularité de réunir à une seule table des représentants de
toutes les provinces, y compris le Québec, et des territoires
canadiens en vue d’établir des passerelles de communication entre les ministères de l’Éducation et les associations francophones du pays. Elle prend donc part à la
formation de plusieurs regroupements tels que la Fédération des jeunes canadiens-français (FJCF) en 1974
et la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ)
le 26 novembre 1975. Ses objectifs sont d’élaborer
un cadre de planification d’actions qui servira de guide
aux associations provinciales, d’établir des mécanismes
de consultation auprès d’organismes et d’individus, de
véhiculer les besoins locaux et de soutenir les associations
provinciales dans leurs actions. En 1978, la FFHQ
poussera plus loin ses stratégies en donnant aux francophones hors Québec une association d’information,
de développement et d’élaboration de projets pour
atteindre des objectifs fixés en commun. L’ACELF collabore
en 1979 à la fondation de la Commission nationale des
parents francophones (CNPF) qui jouera un rôle déterminant
dans les combats juridiques de la décennie suivante.
De son côté, l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFEO) élargit son mandat et s’engage
dans l’action et le développement communautaires. Pour
illustrer pleinement ce changement, elle prend le nom
d’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO).
109
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
En 1975, à l’Université de Sudbury, l’historien Gaétan
Gervais et ses étudiants élèvent au mât de leur institution
un drapeau. Sur fond blanc et vert, un trillium côtoie une
fleur de lys. En 1977, l’ACFO adopte cet emblème qui
devient ainsi officiellement le drapeau franco-ontarien.
Le 20 mai 1980 a lieu le premier référendum du Parti
Québécois. Les électeurs du Québec doivent dire si, oui
ou non, ils donnent à leur gouvernement le mandat de
négocier la souveraineté-association avec le gouvernement
canadien : 59, 56 % répondent NON !
L’année 1973 marque la fondation de la Société des
Acadiennes et des Acadiens du Nouveau-Brunswick
(SAANB). Au cours de cette décennie, l’association
s’avérera le principal porte-parole de la population acadienne et revendiquera haut et fort des services en français.
Presqu’en même temps, les associations francophones
de Terre-Neuve-et-Labrador telles que l’Association
francophone de Saint-Jean, l’Association francophone
du Labrador, l’Association régionale de la Côte-Ouest
et Franco-jeunes de Terre-Neuve et du Labrador se
regroupent et deviennent la Fédération des francophones
de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL). La nouvelle
fédération intervient principalement dans les dossiers
de l’éducation, de l’économie, de la culture et du tourisme,
des communications et des services gouvernementaux.
En 1978, c’est au tour des francophones des Territoires
du Nord-Ouest de se regrouper en association.
La Fédération franco-TéNOise apparaît. L’année d’après,
l’Association franco-yukonnaise (AFY) devient active
à son tour.
Ce tournant des années 1980 marque dans les communautés francophones, plusieurs victoires qui feront
jurisprudence au pays.
AU TOURNANT
DE LA DÉCENNIE
Après une absence de moins de neuf mois, le Parti libéral
du Canada revient au pouvoir. À sa tête, Pierre Elliott
Trudeau. Le 21 avril 1980, les premiers ministres de
l’Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et de la
Colombie-Britannique rejettent le concept de souverainetéassociation du gouvernement du Québec et refusent
même d’en négocier les modalités. Toutefois, ils en profitent
pour émettre un avertissement clair au premier ministre
du Canada : le statut quo constitutionnel est inacceptable.
L’AFFAIRE FOREST
ET L’AFFAIRE
BILODEAU
L’affaire Forest commence par un incident banal : des
contraventions pour stationnement illégal. Le Manitobain
Georges Forest les reçoit à Winnipeg en mars 1975 et
en février 1976. Les contraventions sont rédigées
uniquement en anglais. Georges Forest, niant la validité
de l’Official Language Act de 1890, décide de les contester
en vertu de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870,
loi constitutive de la province. Il fait face à un véritable
barrage d’actions juridiques du gouvernement et à des
refus répétés des cours de justice locales. Persévérant,
il porte sa cause à la Cour d’appel du Manitoba où il
obtient gain de cause, puis il se rend à la Cour suprême
du Canada. En décembre 1979, la plus haute cour du
pays proclame l’inconstitutionnalité de la loi de 1890 sur
l’unilinguisme du Manitoba. L’application du jugement
exige de longs débats politiques et de pénibles démêlés
juridiques. Une entente intervient en décembre 1982
et est entérinée en mai 1983.
La province du Manitoba est alors tenue « d’établir le
caractère officiel du français et de l’anglais, de traduire
un nombre déterminé de lois et de reconnaître le droit
aux services en français dans certains bureaux gouvernementaux. » Les répercussions politiques sont graves.
Une crise s’ensuit au gouvernement. Finalement, en juin
110
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
1985, la Cour suprême du Canada rend son verdict final :
toutes les lois passées au Manitoba sont déclarées inconstitutionnelles et doivent être traduites en français ! Toutefois,
pour assurer l’ordre public, elles sont dites valides
jusqu’à ce que leur traduction soit complétée.
Une affaire parallèle commence en 1980. Après avoir
reçu une sommation en anglais seulement, le FrancoManitobain Roger Bilodeau conteste à son tour la validité
de toutes les lois de sa province en raison de l’unilinguisme
de la Loi sur la circulation routière (Highway Traffic Act).
En 1986, la Cour suprême du Canada tranche dans cette
affaire : la délivrance de sommations, qu’elles soient
unilingues ou bilingues, ne découle pas d’une exigence
constitutionnelle. L’article 23 de la Loi sur le Manitoba
de 1870 garantit des droits au personnel judiciaire –
avocats, juges, témoins – mais pas aux personnes à qui
l’on donne une sommation.
L’AFFAIRE
MERCURE
En Saskatchewan, en 1981, le père André Mercure
reçoit une contravention rédigée exclusivement en anglais,
comme ce fut le cas au Manitoba pour Georges Forest.
Invoquant l’article 110 de l’Acte des Territoires du NordOuest amendé en 1877 et plaidant la nullité de l’ordonnance du Conseil des Territoires de 1892 qui faisait de la
langue anglaise la seule langue officielle, le père Mercure
conteste le document. Un tribunal de première instance
rejette la position de Mercure. En 1985, la Cour d’appel
de la Saskatchewan en fait autant. La situation s’embrouille.
Certains tribunaux jugent en faveur de la validité de
l’article 110, mais l’affaire n’est pas terminée pour autant.
seconde. Depuis la proclamation de la Loi sur les langues
officielles, un changement d’attitude à l’égard de la langue
française commence à poindre chez une portion de l’élite
anglophone. Au cours de la décennie 1970, plusieurs
écoles d’immersion française ouvrent leurs portes dans
les grands centres urbains du pays sous l’égide de l’association anglophone Canadian Parents for French.
Le bilinguisme officiel permet à de nombreux francophones
du pays d’accéder à des emplois au gouvernement d’un
océan à l’autre. Un exode important de francophones
s’ensuit vers Ottawa et vers plusieurs capitales provinciales. Aux emplois fédéraux s’ajoutent ceux qui sont offerts
dans les écoles d’immersion. Ce mouvement migratoire,
qui s’étend et grossit, change la dynamique francophone
au Canada.
En Ontario, la loi sur les écoles secondaires de langue
française n’a pas été accueillie avec ouverture d’esprit
et enthousiasme dans certains milieux anglophones. Le
flou de la formule « là où le nombre le justifie » des lois
140 et 141 donne lieu à bien des interprétations.
À maints endroits, les conseils scolaires font traîner les
choses en longueur ou s’opposent carrément à l’ouverture
d’écoles de langue française. Au tournant des années
SUR LE FRONT
DE L’ÉDUCATION
À partir de 1970, le fédéral établit des ententes avec les
provinces et accorde des subventions à l’éducation dans
la langue de la minorité et à l’enseignement d’une langue
Georges Forest et Roger Bilodeau au Manitoba ainsi qu’André
Mercure en Saskatchewan reçoivent des contraventions rédigées
uniquement en anglais. En décidant de les contester, ils deviennent
des symboles de la lutte des francophones dans l’Ouest canadien.
111
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
1970, plusieurs conflits s’amorcent à North Bay,
à Penetanguishene, à Cornwall, à Elliot Lake, à Windsor
et à Sturgeon Falls. Les parents intensifient leurs pressions
auprès des conseils scolaires et font du lobbying auprès
des politiciens. Finalement, ils obtiennent gain de cause.
Mais la vigilance s’impose.
du Nouvel-Ontario (CANO) est créée et encadre la vie
socioculturelle de toute une génération. En mars 1973,
à l’occasion du congrès Franco-Parole, a lieu à Sudbury
la première Nuit sur l’Étang. Chansonniers, poètes,
comédiens, musiciens se réunissent cette année-là et le
feront chaque année par la suite.
En 1979, Penetanguishene devient la scène d’un nouveau
conflit scolaire. Les services éducatifs offerts en français
sont loin de satisfaire un groupe de parents. Certains
d’entre eux retirent leurs adolescents de l’école secondaire
et, avec l’aide de l’Association canadienne-française de
l’Ontario (ACFO) et de l’Association d’éducation francoontarienne (AEFO), ouvrent un établissement parallèle
dans les locaux du centre culturel. Les tensions s’avivent
entre les groupes linguistiques. Le gouvernement
provincial reconnaît finalement la création de l’école
de la Huronie qui offre aux élèves du secondaire un
programme d’enseignement en français.
En Acadie aussi, on prend la parole. La langue vernaculaire
devient un cri de ralliement autant qu’un cri de colère
et de joie d’être. L’essor de la chanson acadienne reflète
la montée de son nationalisme. On chante l’Acadie et on
s’affirme aussi bien dans la repossession de son passé
que dans des projets d’avenir. La danse et la musique
sont intimement liées. Les accents folkloriques deviennent
un signe d’appartenance. Après les petites boîtes à
chansons des années 1960, on passe aux grands rassemblements, aux fêtes gigantesques, aux démonstrations
d’affirmation avec une force sans équivoque.
PRENDRE
LA PAROLE
Le militantisme est l’arme la plus courante. Il entraîne
une action directe des gens concernés. On n’hésite plus
à en appeler aux tribunaux, à recourir au boycott et à
s’allier l’opinion publique. On a saisi le rôle que peuvent
jouer les médias dans la lutte pour l’égalité et l’on
apprend à travailler avec eux. Durant ces années 1970,
les jeunes, surtout ceux du monde étudiant, se mobilisent
avec force et détermination. Les universités, notamment
celles qui se sont formées au cours de la décennie précédente, constituent d’ardents foyers d’éducation à la
vigilance et à la prise de position.
En Ontario, à la suite de la publication du rapport La vie
culturelle des Franco-Ontariens par un comité d’études
que préside Roger Saint-Denis, on assiste à la création
de centres culturels. Les étudiants de l’Université
Laurentienne à Sudbury vivent une affirmation identitaire et rompent avec la culture issue de France ou du
Québec. Le parler franco-ontarien devient l’instrument
de leur prise de parole. La Coopérative des artistes
Au cours de ces années 1970, maintes associations
de jeunes sont créées dans les provinces de l’Ouest.
On met sur pied des festivals de théâtre, des ateliers de
musique, d’arts visuels et de danse. En 1979, les quatre
provinces de l’Ouest convoquent leurs associations
de jeunes à un grand rassemblement de trois jours,
à Saint-Laurent, en Saskatchewan. L’événement « On
s’accroche à Batoche » permet à plus de 1 000 jeunes de
découvrir leur histoire, de vivre leur culture, de discuter
et de s’amuser en français.
En 1977 est fondé, à Saint-Boniface (Manitoba), le
Conseil culturel des francophones hors Québec
(CCFHQ). Il réunit des intervenants qui travaillent à
l’évolution culturelle des Canadiens français. Au cours
de ses premières années d’existence, le conseil organise
des spectacles et permet aux artistes de se faire
connaître, non seulement dans leur communauté, mais
aussi dans d’autres régions du pays.
112
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
LES MOTS
POUR SE DIRE
Les pièces de Michel Tremblay jouées à Montréal déclenchent une révolution de la dramaturgie francophone.
Le théâtre ose enfin faire parler les gens ordinaires
comme ils parlent tous les jours ! Ce choix linguistique
devient en soi une affirmation et fait vite des émules. Au
cours des années 1970, une pièce de théâtre qui n’est
pas écrite en joual n’a pas grande chance d’être montée
dans certains cercles artistiques du Québec. Certains
comédiens trop identifiés à une parfaite diction et à un
français « de France » attendront en vain qu’on fasse
appel à eux pour la saison théâtrale qui s’annonce…
et les suivantes.
En Acadie, le théâtre devient palpitant... La Sagouine,
de l’auteure acadienne Antonine Maillet, dont le
personnage est interprété par Viola Léger, est créée en
novembre 1971 en Acadie. Mais cette pièce s’avère aussi
un grand moment de la saison théâtrale montréalaise de
1974. Ce triomphe prouve que la langue d’Acadie est
exportable. Les Productions de l’Étoile sont fondées en
1974 à Caraquet et deviennent, deux ans plus tard,
le Théâtre populaire d’Acadie (TPA). Le TPA cherche
d’abord à promouvoir la dramaturgie acadienne, mais
il veut aussi faire connaître le théâtre d’ailleurs. Il tisse
des réseaux de tournée structurés qui lui permettent
d’être reconnu dans d’autres régions du pays. Parallèlement
à cette évolution du théâtre, la littérature acadienne
fleurit. En 1972, les Éditions d’Acadie sont mises sur pied
et ont comme objectif de promouvoir la culture acadienne
et de développer la création littéraire17. En 1979, un
grand honneur échoit à l’Acadie et confirme la valeur de
sa littérature : Antonine Maillet reçoit le Prix Goncourt,
prix littéraire de renommée internationale, pour son roman
Pélagie-la-Charette.
L’effervescence théâtrale anime aussi la francophonie
de l’Ouest. Le Cercle Molière est de plus en plus actif
à Saint-Boniface. Il embauche, dès 1967, son premier
directeur à plein temps, Roland Mahé, qui n’hésite pas
à monter des pièces avant-gardistes d’auteurs de partout.
La littérature n’est pas en reste : en 1974, toujours
à Saint-Boniface, naissent les Éditions du Blé. En 1969,
Ian Nelson fonde l’UniThéâtre à Saskatoon. Il s’agit d’un
théâtre universitaire qui se produit aussi à Regina. En
Alberta, les troupes de théâtre évoluent autour des
collèges et universités. En 1970, naît la compagnie du
17 Les Éditions d’Acadie ont, depuis, été remplacées par les Éditions de la francophonie.
113
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
Théâtre français d’Edmonton (TFE). À Vancouver, en
1973, est créée la Troupe de la Seizième. Ces compagnies
suivent le mouvement moderne, montent des pièces de
dramaturges d’ici. Après avoir surmonté le choc de la
langue, les spectateurs francophones reconnaissent la
vérité profonde de personnages qui parlent d’eux, dans
une langue qui est la leur.
En Ontario, le Théâtre du P’tit Bonheur, qui existait depuis
1967, devient une troupe professionnelle en 1974
et prend le nom de Théâtre français de Toronto. Une
entreprise difficile, car il n’est guère évident de servir le
public francophone de cette ville, un public mouvant
d’origines diverses. À Sudbury, en 1971, le Théâtre du
Nouvel-Ontario présente sa première production et
devient un des piliers de l’émergence d’un espace culturel
franco-ontarien. Dans la région d’Ottawa, on cherche à
se démarquer de l’identité québécoise si proche. On
crée des troupes qui mettent l’accent sur la différence :
le Théâtre de la Vieille 17, le Théâtre d’la Corvée et
Théâtre Action qui se veut un instrument d’animation
communautaire. Le magazine culturel Liaison est mis sur
pied et on voit aussi apparaître des maisons d’édition,
telle Prise de Parole à Sudbury.
De nouveaux journaux sont fondés, comme Le Soleil
de Colombie qui sert la région de Vancouver. En 1971,
l’entente entre le Manitoba et la Saskatchewan qui
permettait la publication de La Liberté et Le Patriote prend
fin. L’Eau vive commence alors à s’adresser à la population
francophone de la Saskatchewan et La Liberté, à celle du
Manitoba. En juin 1975, La Voix acadienne publie son
premier numéro à Summerside à l’Île-du-PrinceÉdouard. Ce journal devient le porte-parole de la communauté, sa conscience et sa source d’idées nouvelles.
Il s’agit d’un tabloïd bimensuel et le seul journal des communautés francophones de l’Île.
DES MICROS ET
DES CAMÉRAS
À cette époque, plusieurs institutions, dont l’Office national
du film, changent d’optique. Le Programme français de
l’ONF réunit des créateurs qui accordent une large part
à l’expression personnelle au cinéma et à la prise de position
sociale dans l’esprit du cinéma vérité. En promenant leur
caméra et leur micro jusque dans les communautés éloignées du pays, de jeunes cinéastes révèlent des facettes
inconnues de la vie des francophones, leurs besoins,
leurs déchirements et leur grandeur.
La radio et la télévision de langue française se répandent :
la télévision de Radio-Canada arrive à Vancouver
à l’automne 1973 et en Saskatchewan, en 1976. En
1978, la station CBON affiliée à la Société Radio-Canada
sert les communautés francophones du nord de l’Ontario
et devient active dans la création d’un imaginaire
nord-ontarien. Au tournant des années 1980, toutes les
régions acadiennes des Maritimes ont accès à la radio
communautaire en langue française.
Au Québec, la saison télévisuelle 1972-1973 apporte
un changement : Radio-Québec ne se contente plus
de concevoir, de produire et de réaliser des documents
éducatifs. La station inaugure un service de télédiffusion,
à Québec et à Montréal, d’une durée de deux heures
chaque soir. Le 19 janvier 1975, le réseau de RadioQuébec est inauguré et, à partir de 1977, il prendra
de l’expansion avant de devenir, le 12 septembre 1996,
Télé-Québec.
114
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
LES NOUVEAUX
VOYAGEURS
Dans la population étudiante, les échanges d’étudiants
s’intensifient entre provinces canadiennes. Plusieurs
voyages sont organisés entre l’Ouest, le Québec et
l’Acadie. Par exemple, le Saskatchewan Étudiant Voyage
(SEV) permettra, de 1968 à 1979, à plus de 600 jeunes
fransaskois de partir à la découverte de la culture francophone du pays. Cette expérience enrichissante poussera
nombre d’entre eux à devenir des leaders dans
leur communauté.
L’animation culturelle qui règne au Québec attire des
ressortissants de toute la francophonie canadienne.
Certains membres des communautés acadienne et francophones de l’Ontario et de l’Ouest ne peuvent résister
au rêve, fort légitime, de vivre complètement en français.
Ils optent donc pour le Québec. Un temps... ou définitivement. Plusieurs artistes sont attirés par la possibilité
d’épanouir leur art dans un environnement de plus de
cinq millions de francophones.
Parallèlement, des centaines de Québécois trouvent de
l’emploi en dehors de leur province natale ou la quittent
pour partir à l’aventure. Plusieurs jeunes gens, en quête
d’un contact différent avec la nature ou d’un retour à la
terre, voyagent à la recherche de lieux reculés pour vivre
selon leurs idéaux. D’autres sont mus par un désir bien
tranché de vivre en marge de la société établie et de son
matérialisme. C’est ainsi que commence un grand brassage
démographique. De jeunes francophones s’installent
dans des coins reculés des provinces ou se rendent
vers le lointain Yukon, en Colombie-Britannique ou aux
Territoires du Nord-Ouest. Parfois, ils s’y établissent
à demeure, s’intègrent à la communauté d’accueil,
exigent le respect de leurs droits linguistiques et
viennent grossir les effectifs francophones de la région,
lui apportant du sang nouveau.
L’arrivée au pouvoir du Parti Québécois en 1976 en a effrayé
plusieurs dans le monde des affaires et de l’économie.
De grandes institutions financières et industrielles décident
alors de déménager leurs usines ou leur siège social ailleurs
au Canada. Leurs employés francophones se voient forcés
de quitter le Québec pour conserver leur emploi.
D’autres familles se déplacent pour combler les postes
vacants dans les bureaux de traduction du fédéral, les
écoles de langues destinées aux fonctionnaires, les nouvelles stations de radio, les chaînes de télévision et les
écoles d’immersion. Dans l’Ouest, au moment des booms
économiques, des travailleurs sont attirés par les offres
des compagnies pétrolières et celles qui assurent
l’exploitation des sables bitumineux.
Ces nouveaux arrivants demandent que leurs enfants
profitent d’une éducation en français et exigent des services
et des informations écrites et télévisuelles dans leur
langue. Ces francophones traversent le pays avec l’enthousiasme de leurs ancêtres : ils deviennent en quelque
sorte les nouveaux voyageurs !
S’OUVRIR
AU MONDE
Les contacts culturels s’accentuent aussi entre les nations.
L’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT)18
regroupe alors 28 États francophones du monde dont le
Canada et des gouvernements dont ceux du Québec
et Nouveau-Brunswick. Cet organisme francophone
propose une entraide internationale dans les domaines
de l’économie, du développement de la technologie, de la
santé, de l’éducation et de la culture. Elle tient à tous les
deux ans des Sommets qui avivent les échanges entre
pays et parmi les jeunes du monde francophone.
Depuis la visite remarquée du général De Gaulle
à l’Exposition universelle de Montréal en 1967, des liens
culturels étroits se sont tissés entre la France et le
Québec. L’Office franco-québécois pour la jeunesse
(OFQJ) est créé en 1968. Au fil des ans, quelque 100 000
jeunes professionnels ou universitaires participent à des
échanges entre la France et le Québec. Dans le même
esprit, à la fin des années 1960, la Société nationale des
Acadiens développe des liens avec la France et la
Belgique et devient progressivement une fédération qui
18 L’ACCT est devenue en 1996 l’Agence de la Francophonie internationale (AFI).
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Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
regroupe les associations et fédérations acadiennes
de Terre-Neuve et des Maritimes. De nombreux étudiants
d’Acadie et du Québec bénéficient de ces échanges
internationaux et de bourses d’études en Europe.
Si les francophones se déplacent en plus grand nombre
qu’auparavant vers d’autres pays du monde et s’ils
partent travailler en Afrique française ou en Asie dans
les domaines de l’éducation et de la santé, beaucoup de
ressortissants d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Afrique et
des Antilles arrivent au Canada. Les lois de l’immigration
changent : le pays ouvre ses portes, non plus à des ressortissants de telle ou telle origine, mais à des compétences.
La société se diversifie. Le multiculturalisme s’accélère.
Le 18 septembre 1981, la Cour suprême du Canada
donne son aval à Trudeau « bien que la résolution ne respecte pas les procédures normales en matière constitutionnelle ». La Cour suprême incite le premier ministre
à entreprendre des pourparlers en vue de s’allier les
provinces avant de pousser plus avant son action.
À Ottawa, le 2 novembre 1981, commence une ronde de
négociations. Les provinces et le gouvernement fédéral
jouent dur. Les alliances se font et se défont. Le Québec
cherche à se rallier d’autres provinces, y réussit presque,
mais le vent tourne subitement et, le 5 novembre 1981,
les représentants de neufs provinces et le fédéral en
viennent à un consensus qui va à l’encontre des demandes
UNE NOUVELLE
CONSTITUTION
Le 2 octobre 1980, Pierre Elliott Trudeau annonce son
intention de rapatrier la Constitution du Canada avec ou
sans le consentement des provinces, d’adopter un mode
de révision et d’inclure dans ce document une Charte
canadienne des droits et libertés qui aurait préséance sur
toute loi fédérale ou provinciale19.
L’Ontario et le Nouveau-Brunswick lui donnent leur appui.
Il n’en est guère de même dans les autres provinces.
Certains articles de la future Charte sont loin de plaire
à tous, notamment l’article 23, dite Clause Canada, qui
prévoit pour les minoritaires de langue officielle le droit
à l’école dans leur langue maternelle. Si elle ouvre la
porte aux francophones désireux d’obtenir des écoles
françaises, elle permet aussi à tout enfant anglophone
habitant le Québec de recevoir une éducation en anglais.
Cet article contredit la Clause Québec de la loi 101 qui
prévoit que seul l’enfant dont l’un des parents a reçu
l’enseignement en anglais au Québec a le droit de fréquenter
l’école anglaise dans la province.
En 1982, Pierre Elliott Trudeau rapatrie la Constitution du Canada
et y inclut une Charte canadienne des droits et libertés sur laquelle
s’appuieront les francophones pour faire valoir leurs droits.
19 L’article 33 de ce document est appelé « clause nonobstant ». Il stipule que le Parlement d’une province peut adopter une loi qui va à l’encontre de certains articles de la Charte canadienne. Il s’agit des articles 2 et 7 à 15 seulement.
116
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
du Québec. La nouvelle Constitution contiendra des
dispositions qui diminueront les pouvoirs du Québec en
matière de langue et d’éducation.
Au Nouveau-Brunswick, le premier ministre Richard
Hatfield continue l’œuvre de son prédécesseur, Louis
Robichaud, et son gouvernement adopte la loi qui reconnaît
l’égalité des deux communautés linguistiques de la province.
Cette loi sera enchâssée dans la Constitution du Canada
en 1993 à la demande des organismes acadiens.
Le 25 mars 1982, la Chambre des Lords de GrandeBretagne adopte le Canada Bill qui autorise le rapatriement de la Constitution. Le texte reçoit la signature de la
reine le 29 mars 1982. Dorénavant, le Canada n’a plus
besoin du consentement de Londres s’il veut amender
un article ou apporter des changements à sa constitution.
À ce jour, le Québec n’a jamais entériné cette Constitution.
SAVAIS-TU QUE...
- la première Francofête remonte à 1974 ? Elle s’appelait la Superfrancofête et a eu lieu à Québec.
-
la première Nuit sur l’Étang à Sudbury a attiré plus
de 1 200 personnes ? Ce premier rassemblement de l’imaginaire et de l’identité franco-ontarienne s’articulait autour de trois disciplines : la chanson, la poésie
et le théâtre.
-
les Sommets de l’Agence de coopération culturelle
et technique (ACCT) et les réunions préparatoires suscitaient régulièrement des tensions entre le Québec et le Canada ? En effet, le Québec voulait être traité comme un État et pas uniquement comme une province du Canada.
-
le 1er juillet 1980, le Ô Canada est proclamé hymne national du pays, un siècle après sa création ?
Cet hymne est l’œuvre de deux Canadiens français : Adolphe-Basile Routhier, qui en a écrit les paroles,
et Calixa Lavallée, qui en a composé la musique. Un texte a été rédigé en anglais sur la musique de Lavallée, mais il ne s’agit pas d’une traduction du poème
de Routhier.
-
en 1982, Anne Hébert, écrivaine québécoise, reçoit
à Paris le Prix Fémina ? Il s’agit d’un prix littéraire français créé en 1904 à Paris et qui a la particularité d’avoir un jury exclusivement féminin.
Le 1er juillet 1980, 100 ans après avoir été chanté la 1re fois lors du
Congrès national des Canadiens français, le Ô Canada est proclamé
hymne national du pays. Cet hymne est l’œuvre de deux Canadiens
français. Toujours dans les années 1980, la pièce La Sagouine, de
l’auteure acadienne Antonine Maillet, connaît un grand succès.
117
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
1982 À 2000
BALISES
1982 : entrée en vigueur de la nouvelle Constitution du Canada et de la Charte canadienne des droits et libertés; adoption officielle des drapeaux franco-albertain et franco-colombien
1984 : arrivée au pouvoir à Ottawa des conservateurs de Brian Mulroney; René Lévesque accepte de prendre « le beau risque »; adoption officielle du drapeau franco-yukonnais
1986 : adoption de la loi 8 sur les services en français en Ontario; adoption officielle
du drapeau franco-terre-neuvien
1988 : jugement de l’affaire Mercure en Cour suprême du Canada; deux provinces, l’Alberta et la Saskatchewan se déclarent unilingues anglaises; Loi sur les langues
au Yukon
1990 : jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mahé
1992 : adoption officielle du drapeau franco-ténois
1993 : enchâssement de la Loi sur l’égalité
des communautés linguistiques
du Nouveau-Brunswick dans
la Constitution canadienne
1995 : second référendum au Québec
1999 : création du Nunavut
Le 17 avril 1982, la nouvelle Constitution canadienne est
officiellement promulguée. Toute loi lui est assujettie, ce
qui signifie qu’une loi provinciale en désaccord avec des
articles de la Charte canadienne des droits et libertés peut
être renversée. Les articles 16 et 21 consacrent le français
et l’anglais comme langues officielles du Canada et,
en 1993, de la province du Nouveau-Brunswick. L’article
23 spécifie les droits à l’instruction dans la langue de la
minorité... « là où le nombre le justifie ». Il demeure
possible de demander un amendement à cette Constitution
mais, pour ce faire, Ottawa et au moins sept provinces
représentant la moitié de la population du pays doivent
l’appuyer.
CHANGEMENT
DE SCÈNE
Bien que le gouvernement de René Lévesque n’ait jamais
donné son accord, le Québec, en tant que province canadienne, se voit soumis au gouvernement fédéral et donc
à la nouvelle Constitution. La blessure est profonde pour
une grande partie de la population québécoise.
Les événements politiques se succèdent rapidement au
cours des années 1984 et 1985. Les acteurs politiques
jusque-là au centre des tensions entre Ottawa et le Québec
quittent la scène, laissant derrière eux regrets et espoirs
nouveaux. Trudeau démissionne à l’hiver 1984, satisfait
de ce qu’il a accompli, soit le rapatriement de la Constitution
et la création de la Charte canadienne des droits et libertés.
John Turner le remplace, mais il est défait aux élections
de septembre de la même année.
En arrivant au pouvoir à Ottawa, le 4 septembre 1984,
Brian Mulroney promet de réintégrer le Québec dans la
famille canadienne « dans l’honneur et l’enthousiasme ».
Cette intention dictera sa conduite en politique intérieure
durant ses deux mandats. René Lévesque prend ce qu’il
appelle « le beau risque » en acceptant de travailler au
consensus national au cours des négociations fédéralesprovinciales, ce qui ne fait pas l’affaire de tous les
118
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
membres de son parti. Six mois plus tard, le 20 juin 1985,
le chef du Parti Québécois quitte la vie politique laissant
Pierre-Marc Johnson aux rênes d’un parti divisé.
Le 2 décembre 1985, les libéraux prennent le pouvoir
à Québec et au printemps 1986, le nouveau gouvernement
énonce les cinq conditions pour que le Québec appose sa
signature à la Constitution canadienne :
1. reconnaissance du Québec
comme société distincte
2. droit de veto sur tout changement
à la Constitution
3. garanties concernant la nomination
des juges québécois à la Cour suprême
du Canada
4. garanties aux provinces refusant de prendre part à des programmes fédéraux de recevoir des compensations financières
5. prise en charge complète par le Québec
de l’immigration sur son propre territoire
Le 9 mai 1987, le premier ministre Mulroney convoque
les premiers ministres provinciaux pour dégager un
consensus qui respecterait les conditions émises par le
Québec. Les négociations aboutissent à l’Accord du Lac
Meech qui, pour prendre force de loi, doit être entériné
par chacun des Parlements provinciaux du Canada avant
le 23 juin 1990. L’entente s’effrite au fil des changements
de gouvernements et, finalement, devant le refus de
Terre-Neuve et du Manitoba de signer l’accord, ce dernier
est déclaré caduc.
Quelques députés du Québec quittent alors le Parti
conservateur et fondent le Bloc québécois, dont Lucien
Bouchard devient le chef. Les sondages montrent que 60 %
de la population du Québec désirent l’indépendance,
bien que ce soit le Parti libéral qui soit au pouvoir dans
cette province. L’Assemblée nationale met sur pied la
Commission Bélanger-Campeau sur l’avenir politique
et constitutionnel du Québec. Le rapport est déposé le
27 mars 1991. Selon le rapport, le Québec a le choix
entre deux voies : un fédéralisme décentralisé ou la
souveraineté. Même les libéraux parlent maintenant
d’indépendance. Brian Mulroney est en train de perdre
son pari politique.
Le fédéral entame des discussions serrées avec les
provinces et crée des commissions d’étude. Les gouvernements de neuf provinces et de deux territoires
ainsi que des représentants de groupes autochtones
présentent, en juillet 1992, un nouveau projet : l’Accord
de Charlottetown, du nom de la ville où il a été négocié.
Cet accord est signé par tous les gouvernements du
pays, y compris celui du Québec. Mais le dernier mot
revient à la population. Le 26 octobre de cette année-là
a lieu un référendum pancanadien : 56,68 % des citoyens
du pays disent NON à l’Accord de Charlottetown. Les
milieux anglophones sont en désaccord avec ce projet
parce qu’il fait au Québec des concessions qu’ils jugent
inacceptables. Quant à lui, le Québec est contre parce
que ce projet ne satisfait pas ses revendications
historiques. Brian Mulroney a perdu son pari. Il démissionne
quelques mois plus tard.
UNE SOCIÉTÉ
JUSTE...
POUR TOUS
Pendant que les stratèges politiques cherchent à rallier
les provinces derrière un accord commun, l’article 23
de la Charte canadienne des droits et libertés se voit
interprété de diverses façons au pays. Ces interprétations
provoquent rapidement maintes luttes juridiques qui se
portent des cours provinciales aux plus hauts tribunaux
du pays. Les francophones possèdent maintenant un
outil indéniable. Ils apprennent vite à s’en servir pour
faire reconnaître leurs droits dans les domaines de la justice,
de l’éducation et des services à la population.
119
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
Le Parti Québécois proclame, dès le 30 septembre 1983,
l’entrée en vigueur de la Charte québécoise des droits et
des libertés de la personne du Québec adoptée en 1975.
Le gouvernement du Québec donne préséance à cette
Charte sur toute autre loi de juridiction québécoise.
En 1984, l’Ontario adopte sa Loi sur les tribunaux judiciaires, qui donne au français le statut de langue officielle
devant les tribunaux ontariens, à l’égal de l’anglais. De ce
fait, un francophone obtient le droit civil d’avoir un procès
dans sa langue maternelle. Dans l’Ouest, l’affaire Forest
et l’affaire Mercure ont ouvert un sentier que d’autres
reprennent avec courage.
L’AFFAIRE
PIQUETTE
APPRENDRE
DANS SA LANGUE
Les regroupements de parents testent bientôt la portée
de la Charte canadienne des droits et libertés en éducation.
En Ontario, appuyés par l’Association canadiennefrançaise de l’Ontario (ACFO) et l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEEFO), des
parents de Cochrane, de Mattawa, de Penetanguishene
et de Wawa cherchent à faire clarifier par les tribunaux
ontariens les limites de l’article 23. La Cour d’appel de
l’Ontario reconnaît que le droit à l’éducation des FrancoOntariens tel qu’il est défini dans la Charte implique le
droit à la gestion de leurs écoles. Le gouvernement de
En 1987, en Alberta, le député néo-démocrate Léo Piquette
pose une question en français en Chambre. Le président
de l’Assemblée législative lui retire le droit de parole, car
cette langue ne jouit selon lui d’aucune reconnaissance
juridique. On exige des excuses du député parce qu’il a
défié l’autorité du président de l’Assemblée législative.
Le député refuse. L’affaire est portée en haute instance.
Dans sa décision, la Cour suprême du Canada confirme
le bilinguisme de l’Alberta et, du fait même, celui de la
Saskatchewan en statuant que l’article 110 de la loi
de 1877 des Territoires du Nord-Ouest s’applique
toujours et que l’ordonnance de 1892 de l’Alberta et de
la Saskatchewan n’est pas valide.
Les deux provinces ont le pouvoir de légiférer en matière
de langue officielle en vertu de l’amendement de 1891
à l’article des Territoires du Nord-Ouest. La Cour ajoute
que, pour éviter le vide juridique, chacune des deux
provinces doit opter rapidement pour le bilinguisme ou
pour l’unilinguisme et accompagner sa décision d’une loi
qui valide la législation unilingue antérieure. À la suite de
ce jugement, la Saskatchewan adopte le projet de loi 2
et l’Alberta, le projet de loi 60 dans lesquels ces deux
provinces se proclament unilingues anglaises. Ces
lois accordent un droit limité d’utilisation du français
à l’Assemblée législative et devant les tribunaux. Ce
droit est toutefois moins limitatif en Saskatchewan
qu’en Alberta.
Les années 1980 voient l’adoption officielle de plusieurs drapeaux
représentant les communautés francophones provinciales
et territoriales.
120
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
l’Ontario en prend acte. Les années 1987 et 1988 voient
la création des conseils scolaires francophones dans les
régions d’Ottawa-Carleton et de Toronto.
(APF) avait fait appel en cour au droit à l’instruction dans la
langue de la minorité et, dans l’esprit du raisonnement
présenté dans l’Affaire Mahé, au droit à la gestion scolaire.
Mais les minorités francophones du Canada ont leur
pendant : les minorités anglophones du Québec. Ce qui
vaut pour les unes vaut nécessairement pour les autres.
Les parents anglophones résidant au Québec font pression
contre la loi québécoise 101. Le 26 juillet 1984, la Cour
suprême déclare anticonstitutionnelle l’obligation pour
les parents anglophones nés ailleurs qu’au Québec
d’inscrire leurs enfants à l’école française. Ce jugement
s’appuie sur la Constitution de 1982.
SUMMERSIDE
L’AFFAIRE MAHÉ
Un autre jugement historique et retentissant est celui
de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mahé.
L’association Bugnet, composée de parents albertains,
a mené les droits des francophones d’abord devant les
cours de la province, puis aux plus hautes instances du
pays quant à l’ouverture et au maintien d’écoles de
langue française dans la province.
Cet arrêt de 1990 a permis de préciser l’article 23 de la
Charte canadienne des droits et libertés et de lui donner
une plus grande étendue, laquelle servira d’assise à des
jugements subséquents. Il confirme en effet le droit des
minorités linguistiques à leurs propres écoles et à la
gestion de ces dernières en ce qui concerne les aspects
essentiels de l’éducation. De plus, il établit que les minorités sont les entités les mieux placées pour décider de
ce qui leur convient, de sorte qu’un gouvernement ne
peut agir sans tenir compte de leur perception de leurs
propres besoins.
La communauté francophone de l’Alberta n’a pu obtenir
de conseil scolaire avant 1992-1993, car la Loi scolaire de
la province a été jugée non valide en 1990 et a dû être
modifiée. Mais ils ont maintenant le droit de gérer leurs
écoles. En Colombie-Britannique, le Francophone Education
Regulation, qui met en œuvre le droit à la gestion scolaire,
est adopté en 1995. L’Association des parents francophones
Le jugement dans l’Affaire Mahé a été suivi d’autres jugements, dont celui de Summerside. En 1995, les parents
francophones de Summerside (Île-du-Prince-Édouard)
demandent l’établissement d’une école de langue française
destinée aux enfants de la première à la sixième année.
Le ministère de l’Éducation de cette province refuse leur
demande sous prétexte qu’un nombre d’élèves de 34
est insuffisant. Les parents portent leur cause devant
les tribunaux.
C’est finalement la Cour suprême du Canada qui, unanimement et sans équivoque, statue en janvier 2000 que
l’égalité des minorités de langue officielle au pays exige
une nouvelle approche. Justice et uniformité sont, en ce
qui concerne la Cour, deux choses bien distinctes. Le
jugement s’appuie sur l’article 23 de la Charte canadienne
des droits et libertés, dont l’intention n’est pas seulement
de garantir les droits scolaires, mais de réparer les torts
du passé. Cette décision crée un précédent dont peuvent
bénéficier les francophones de toutes les provinces
et territoires du pays. Six mois plus tard, cette interprétation juridique de l’article 23 permet à la Cour
suprême d’ordonner la création d’écoles de langue française
homogènes en Nouvelle-Écosse.
C’est grâce au dynamisme et au soutien structuré de la
Commission nationale des parents francophones
(CNPF) que ces revendications sont menées à bien et
aboutissent à des législations qui permettent aux francophones vivant en dehors du Québec de faire éduquer
leurs enfants dans leur langue. Cet organisme s’est
donné comme mission d’appuyer les organismes de
parents, provinciaux et territoriaux, pour promouvoir
l’établissement d’un milieu familial, éducatif et communautaire qui favorise le plein épanouissement des familles
francophones, acadiennes et métisses du Canada.
121
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
DÉFENDRE SES
DROITS
En 1990, la Fédération des associations de parents
et instituteurs de langue française de l’Ontario devient
la Fédération des associations de parents francophones
de l’Ontario (FAPFO). L’information sur les droits devient
une priorité. La FAPFO représente ses membres dans
les dossiers chauds en éducation et cherche à promouvoir
le fait français. En 1997, la fédération ajoute à ses
objectifs de stimuler la collaboration entre le foyer et
l’école en facilitant l’établissement d’associations locales.
Ses effectifs, qui regroupaient en 1955 quelque 75 écoles,
réunissent en 1997 six sections régionales et 375 écoles.
Les associations se transforment aussi pour mieux
répondre aux besoins contemporains de leurs membres.
La Fédération des femmes canadiennes-françaises
(FFCF), qui n’a cessé d’évoluer depuis sa fondation au
début du XXe siècle, prend un tournant nettement politique et assume le leadership de dossiers sociaux et
économiques relatifs au droit des femmes canadiennesfrançaises en soutenant leur action collective et politique.
En 1997, s’ajoute l’objectif d’assurer la liaison et la
concertation entre les groupes de femmes francophones.
Dans les premières années suivant sa formation,
la FFCF compte seulement 9 sections paroissiales,
alors qu’en 1997, elle regroupe 40 organismes totalisant
7 000 membres.
Au cours des décennies 1980 et 1990, grâce à l’initiative
de l’Association canadienne d’éducation de la langue
française (ACELF), le Réseau d’enseignement francophone
à distance (REFAD) prend forme et l’Alliance canadienne
des responsables et des enseignantes et des enseignants
en français langue maternelle (ACREF) est créée.
L’ACELF met sur pied des symposiums, des échanges
entre jeunes, des tables de concertation et des stages
de perfectionnement favorisant ainsi une synergie des
groupes francophones qui œuvrent en éducation.
Les francophones ne s’appliquent pas qu’à faire valoir
leurs droits et libertés devant les tribunaux en matière
d’école et de justice. Parallèlement, ils se donnent les
instruments pertinents pour défendre ce qu’ils sont
et s’affirmer avec fermeté partout au pays dans diverses
circonstances et différents secteurs de la vie quotidienne.
Plusieurs regroupements de femmes apparaissent. En
1980, est fondé au Manitoba l’organisme féminin
Réseau et, à partir de 1982, l’organisme Pluri-elles se
voue à la promotion des Franco-Manitobaines. En 1986,
la Société acadienne de l’Alberta (SAA) est fondée dans
le but de représenter les Acadiens résidant en Alberta.
En 1986, adoption par l’Ontario de la Loi sur les services
en français (Loi 8).
122
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
En juin 1991, la Fédération des francophones hors Québec
(FFHQ) devient la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFAC). Elle se veut
« le porte-parole privilégié auprès du gouvernement
fédéral et du gouvernement du Québec sur les questions
relatives aux francophones de l’extérieur du Québec »
et cherche à « convaincre les autorités politiques du
bien-fondé des revendications des francophones qu’elle
représente » en ce qui a trait aux droits et services
en français dans les domaines socioculturel, juridique
et législatif ainsi que dans le domaine de l’éducation.
En 1992, elle regroupe déjà 15 organismes.
En Saskatchewan, l’ACFC devient en 1999 l’Assemblée
communautaire fransaskoise (ACF) et a des représentants
dans toutes les régions de la province.
RECEVOIR DES
SERVICES EN
FRANÇAIS
Mai 1986 voit la présentation du projet de loi 8 sur les
services en français en Ontario. Vingt-trois régions sont
principalement visées. Cette loi prévoit la création d’une
commission des services en français et stipule que
les lois ontariennes doivent être présentées en versions
anglaise et française. La loi 8 amène la mise sur pied
de l’Office des affaires francophones qui doit aider les
Franco-Ontariens à se sentir membres à part entière de
la communauté ontarienne. Le mandat de l’Office est de
tout mettre en œuvre pour permettre aux francophones
de l’Ontario de s’épanouir et de sauvegarder leur langue,
de mieux faire connaître et comprendre la communauté
francophone aux organismes gouvernementaux et aux
ministères, dans le but de développer les services en
français dont elle a besoin.
Une loi similaire est promulguée en 1999 à l’Île-duPrince-Édouard. Elle reconnaît la dualité linguistique
du pays et fait en sorte que les communautés acadienne
et francophone de son territoire puissent obtenir les
outils nécessaires à leur épanouissement et contribuer
encore davantage au développement de la société de l’Île.
Les cours provinciales et la Cour suprême du Canada ne
chôment pas. Les demandes de jugements s’accumulent.
On découvre toutes les interprétations possibles de la
Charte. Le 22 décembre 1986, la Cour d’appel du Québec
déclare que l’article 58 de la loi 101, qui fait du français
la seule langue autorisée pour l’affichage commercial
dans la province, est inconstitutionnel. Le 19 décembre
1988, la Cour suprême déclare illégales certaines
dispositions de la même loi 101: le français peut être
prépondérant dans l’affichage, mais on ne peut interdire
qu’une autre langue y figure. Recourant à la clause
nonobstant, le gouvernement québécois répond au
moyen de la loi 178 : l’affichage sera en français à l’extérieur
et bilingue à l’intérieur, à condition que le français soit
nettement prédominant. L’affichage mobilise aussi les
francophones vivant ailleurs au Canada. La Fédération
des communautés francophones et acadienne du Canada
(FCFA) lance en 1996 une campagne afin que les marchands
de la capitale fédérale donnent le ton. Elle réclame
que 12 chaînes de magasins qui possèdent des filiales
à Ottawa affichent dans les deux langues officielles du
pays. Huit des douze chaînes obtempèrent à la demande.
Même si elle n’a pas été complète, cette victoire a servi
d’exemple.
Les francophones doivent demeurer constamment vigilants.
Ce que l’on croit acquis peut vite devenir aléatoire.
L’accession au pouvoir d’un gouvernement moins ouvert
oblige parfois à reprendre une lutte urgente et vitale.
C’est ce qui arrive aux Franco-Ontariens le 24 février
1997 lorsque la Commission de restructuration des
soins de santé (CRSS) de l’Ontario recommande la
fermeture de l’hôpital Montfort, seul hôpital de langue
française de la région d’Ottawa et de l’Est ontarien. C’est
le tollé chez les francophones.
Dès le lendemain est créé le mouvement SOS Montfort
sous la présidence de Gisèle Lalonde. Le 22 mars, plus
de 10 000 Franco-Ontariens envahissent le Centre
123
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
municipal d’Ottawa et exigent le renversement de la
décision de la CRSS en scandant « Montfort fermé :
Jamais ! » qui devient le slogan d’une intense campagne
de presse. Cinq mois plus tard, la CRSS revient sur sa
décision, proposant uniquement la fermeture de l’urgence
et des services spécialisés de l’institution. Le mouvement
SOS Montfort refuse. L’hôpital de langue française ne
deviendra pas une clinique... Un an plus tard, le mouvement s’adresse aux tribunaux pour régler le litige. Le
Fonds de la résistance est créé et recueille 400 000 $ qui
serviront à payer les frais juridiques.
En 1999, la CRSS perd son pouvoir décisionnel et,
le 29 novembre, SOS Montfort gagne sa cause devant la
Cour divisionnaire de l’Ontario. Mais le combat se poursuit,
car le gouvernement de Mike Harris porte aussitôt la
cause en appel. Le 7 décembre 2001, la Cour d’appel
tranchera en faveur du maintien intégral d’hôpital considérant que « Montfort est une institution essentielle à la
survie de la communauté franco-ontarienne, affaiblie
par l’assimilation ».
VIVRE SA CULTURE
L’effervescence des arts et de la littérature des années
1970 a porté ses fruits. En cette fin du XXe siècle, les artistes
francophones s’expriment comme jamais auparavant
et s’adonnent à toutes les facettes de l’art : la danse,
le théâtre, la littérature, le cinéma, les arts visuels, la
musique et la chanson. La vie culturelle francophone
occupe un espace de plus en plus large grâce à un
réseautage de ses éléments. En Acadie, dans l’Ouest
et en Ontario, plusieurs maisons d’édition sont fondées.
De nouvelles troupes de théâtres s’établissent, assurent
une programmation francophone de répertoire et de
création et parfois se regroupent afin de pouvoir acquérir
un lieu physique où présenter leurs spectacles, comme
dans le cas de La Nouvelle Scène à Ottawa. Des salons
ou festivals du livre sont organisés, des centres francophones sont construits qui deviennent rapidement des
lieux importants de rassemblement et d’événements
culturels, tel le Mouvement d’implication francophone
d’Orléans (MIFO) créé à Ottawa en 1978 et qui grandit
rapidement au cours des décennies suivantes.
En 1983, l’ancien Comité culturel des francophones hors
Québec (CCFHQ), qui deviendra la Fédération culturelle
canadienne-française (FCCF), publie un mémoire qui
tente de définir la place de la culture dans la francophonie.
En 1986, la FCCF déménage son siège social de SaintBoniface à Ottawa. Elle prend un tournant nettement
plus politique en vue de soutenir l’enracinement des
communautés francophones et leur épanouissement
culturel. Elle s’emploie à demeurer vigilante à l’égard des
politiques culturelles des gouvernements.
La société culturelle Mamowapik est fondée à Edmonton
en 1986. Elle se donne comme mission de développer
des projets à caractère culturel et historique dans
l’Ouest canadien et de tisser des liens entre les diverses
communautés francophones. Elle cherche à mettre en
valeur la contribution des Franco-Albertains au développement économique de l’ouest du pays. En février 1990,
quatre associations franco-albertaines s’associent et
ouvrent le Centre francophone d’Edmonton. On le
nomme Centre culturel Marie-Anne-Gaboury, du nom
de la grand-mère de Louis Riel et première femme
blanche à vivre dans la région. La mission du Centre est
d’assurer l’épanouissement des Canadiens de langue
française, de promouvoir la culture francophone dans
l’Ouest canadien et d’aider les communautés francoalbertaine et acadienne à prendre le virage technologique
en développant, entre autres, des réseaux d’apprentissage
communautaires. Des centres de ce genre prennent
différentes formes au pays et partout, ils s’avèrent des
points de ralliement et de véritables bouillons de culture
dans les grandes villes du Canada.
L’affirmation de soi et de ses origines, commencée
dans les années 1970, se perpétue chez les artistes,
mais ces derniers s’engagent de plus en plus sur la voie
de l’universalité. L’origine de l’artiste n’est plus le thème
unique de son œuvre, comme c’était souvent le cas
jusqu’à maintenant. Des artistes nés au Québec, en
Acadie, en Ontario et dans les provinces de l’Ouest
occupent une place sur la scène culturelle nationale
et certains entreprennent une carrière internationale
fructueuse. Il est certain que la densité culturelle d’une
ville comme Montréal attire les artistes de langue française,
mais un fait demeure : la culture francophone est bien
vivante dans l’ensemble du pays.
124
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
VOIR SON REFLET
DANS LES MÉDIAS
Pour s’épanouir, la vie culturelle d’un pays a besoin des
médias. Ils sont là pour informer de ce qui se passe, se
fait ou se défait. Ils sont importants car ils annoncent,
promeuvent et analysent les événements artistiques.
Les journaux sont des reflets essentiels de la culture
aussi bien que de la vie quotidienne d’une population
donnée. La nécessité d’une presse francophone se fait
sentir partout et donne lieu à la fondation de plusieurs
journaux au cours des années 1980. Par exemple : en
1984, la Fédération des francophones de Terre-Neuve
et du Labrador fonde le premier journal en français de la
province. Le bimensuel Le Gaboteur se veut un outil de
communication entre francophones et un instrument de
rayonnement à l’extérieur de la province.
En 1982, à la suite d’une grève, le journal L’Évangéline
disparaît. En 1984, le quotidien L’Acadie nouvelle, destiné
à la population du Nord-Est, est publié à Caraquet.
Un magazine acadien mensuel Ven’d’est commence
à paraître en 1985. Il aborde surtout des thèmes
économiques et sociaux. Sa publication se poursuit
jusqu’en 1999. En 1986, à Moncton, paraît Le Matin
qui s’adresse aux francophones de toute la province.
Lorsqu’il doit fermer ses portes, en 1988, L’Acadie nouvelle
lui succède comme journal provincial, ce qui n’empêche
nullement la publication d’une dizaine d’hebdomadaires
francophones dans les Maritimes.
La radio et la télévision communautaires se développent
et encouragent les artistes locaux. La radio et la télévision
nationales diffusent maintenant d’un océan à l’autre
pour les francophones. Entre 1977 et 1998, le réseau
de télévision de Radio-Canada étend ses services de
télédiffusion en français à l’ensemble des provinces
de l’Atlantique. En 1986, Halifax obtient son centre de
télévision francophone alors que Charlottetown obtient
le sien en 1996. Un bémol cependant. Les émissions
diffusées à la radio et à la télévision de langue française
font presque intégralement partie de la programmation
de Montréal. Les francophones qui n’habitent pas la
métropole ne peuvent que rarement percevoir dans ces
émissions le reflet de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils sont.
Un pas important est accompli dans le secteur de la
télévision éducative de langue française. Le 1er janvier
1987 entre en ondes à Toronto la chaîne de langue française
de TVO. TVO a été créé en 1970; la programmation française
ne représentait alors que 17 % des heures de diffusion.
Au début des années 1980, les émissions en français
étaient diffusées le dimanche, de midi jusqu’en fin de soirée.
Le Soleil de Colombie doit fermer ses portes en avril 1998,
mais le Centre culturel francophone de Vancouver fonde
une nouvelle publication : L’Express du Pacifique dont le
premier numéro paraît en juillet 1998. Au tournant
du millénaire, plusieurs journaux francophones fondés
des décennies auparavant ou depuis les années 1960
sont toujours publiés : L’Aquilon, L’Aurore Boréale, Le Chinook,
Le Franco, L’eau Vive, La Liberté, Le Droit, en plus de
nombreux autres hebdos francophones qui paraissent
dans l’ensemble du Canada.
S’appuyant sur la Charte des droits et libertés, les francophones font
régulièrement valoir leurs droits jusqu’à la Cour suprême.
125
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
En 1995, la chaîne est renommée TFO et devient le seul
télédiffuseur francophone du Canada dont les activités
principales se situent à l’extérieur du Québec. Quelques
années plus tard, TFO étend son territoire de diffusion
jusque dans les Maritimes et au Manitoba.
DE NOUVELLES
DONNES
En 1991, le pourcentage des francophones qui immigrent
au Canada tourne autour de 5 % de la totalité des immigrants. La grande majorité de ces francophones s’installe
au Québec, ceux qui vont vers d’autres provinces se
dirigent vers les grandes villes : Toronto, Vancouver
et Ottawa. Les lieux d’origine de ces nouveaux venus
diffèrent. L’Europe reste encore la principale source
d’immigration francophone. Mais, au milieu des années
1990, l’immigration haïtienne devient aussi importante
et celles en provenance de l’Afrique du Nord et de
l’Afrique subsaharienne s’intensifie.
La donne politique aussi évolue. Un second référendum
sur l’indépendance du Québec a lieu en octobre 1995.
La lutte est serrée. Le camp du NON l’emporte par un
peu plus de 1 %.
Dans les autres provinces, les francophones sont de plus
en plus fréquemment représentés par des députés
francophones, aussi bien au fédéral qu’au provincial.
Le 7 juin 1999, des élections ont lieu au NouveauBrunswick. Pour la première fois de son histoire, la population de la province doit faire son choix entre deux francophones : Camille Thériault et Bernard Lord. Le Manitoba
a de 1993 à 1999 un lieutenant-gouverneur francophone,
l’honorable Yvon Dumont.
Le 1er avril 1999, une nouvelle entité politique fait son
apparition au Canada : le Nunavut. Sa francophonie
s’organise sans attendre.
SAVAIS-TU QUE...
- du 12 au 22 août 1994, a eu lieu le premier congrès mondial acadien ? Retrouvailles 1994 a réuni 200 000 Acadiens venus de partout au monde.
-
que le Sommet de la Francophonie internationale
de 1999 s’est tenu en Acadie, à Moncton ? Le thème
en était la Francophonie et la jeunesse, et les jeunes
y ont assuré une présence remarquée.
-
depuis les années 1980, plusieurs chanteurs
et chanteuses francophones du Canada remportent
de brillants succès en France ? Daniel Lavoie du Manitoba, Rock Voisine et Marie-Jo Thério des Maritimes en sont des exemples. D’autres s’illustrent aux États-Unis et dans le monde entier, telle Céline Dion du Québec.
-
plusieurs peintres, cinéastes, musiciens, acteurs francophones d’ici sont reconnus internationalement ? Parmi eux, Alfred Pellan, Jean-Paul Riopelle, Denis Arcand, Robert Lepage, Louis Lortie, Marc-André Hamelin, Geneviève Bujold, Joe Fafard... et bien d’autres !
-
de plus en plus de multinationales d’origine québécoise ou canadienne-française soutiennent brillamment
la compétition internationale ? Deux exemples parmi d’autres : Bombardier et Le Cirque du Soleil.
-
la première femme nommée au poste de gouverneur général du Canada a été Jeanne Sauvé, une francophone née à Prud’homme en Saskatchewan ? Avant d’occuper de 1984 à 1990 la plus haute fonction du pays, elle s’était fait connaître en tant que journaliste et membre du gouvernement libéral du Canada.
126
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
DEPUIS 2000
BALISES
2001 : jugement de la Cour d’appel de l’Ontario concernant l’Hôpital Montfort d’Ottawa
2003 : nomination de l’Acadien Herménégilde Chiasson au poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick
2004 : adoption de la Loi sur les services en français en Nouvelle-Écosse
2005 : premier Sommet des intervenants et des intervenantes en éducation dans la mise
en œuvre de l’article 23 en milieu
francophone minoritaire
2006 : adoption de la Loi sur le Centre de la
francophonie des Amériques par le Québec
2007 : Sommet des communautés francophones
et acadiennes
2007 : création du Commissariat des services
en français de l’Ontario
2008 : création du Programme d’appui
aux droits linguistiques (PADL)
2011 : modification importante aux règles
du recensement canadien qui rend
l’exercice volontaire
2012 : deuxième Sommet sur l’éducation
de langue française en contexte minoritaire
UNE TECHNOLOGIE
POUR LE 21e SIÈCLE
En ce début du 21e siècle, les moyens de communication
futuristes vus dans les films d’anticipation prennent
graduellement place dans notre quotidien. On ne peut
plus concevoir un monde sans Internet, sans téléphone
intelligent, sans liseuse, sans tablette, sans GPS... Quoi
de plus normal aujourd’hui que d’avoir à portée de main
tout ce qu’il faut pour communiquer avec ses amis et
sa famille, pour écouter de la musique, pour regarder
des films, pour acheter ses billets de spectacle, pour se
distraire, pour faire des recherches, pour savoir l’heure
précise du passage de l’autobus, pour se diriger dans une
ville, pour donner son opinion, pour livrer ses émotions
et pour publier ses photos dans le cyberespace ! Difficile
de croire que le premier navigateur Web ne date que
de 1993.
Pour les francophones du Canada, Internet est à la fois
un outil rassembleur qui brise l’isolement et un moyen
pour les communautés et les individus de se réseauter.
Alors qu’il fallait autrefois faire des efforts importants
pour se procurer un livre ou voir un film en français,
de nombreux sites Web permettent aujourd’hui de télécharger un grand nombre de ressources pour alimenter
la culture francophone des régions les plus éloignées.
Pourtant, vingt ans après l’émergence d’Internet, le français
n’occupe que 5 % du cyberespace, arrivant bon troisième
derrière l’allemand et, bien sûr, l’anglais. Si le Web apparaît
donc comme un formidable outil de communication pour
la francophonie, il pose en même temps à celle-ci un défi
de taille en raison de l’omniprésence de l’anglais.
2013 : approbation par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
du projet de télévision UNIS
127
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
PORTRAIT DE LA
FRANCOPHONIE
CANADIENNE
En 2011, au Canada, 7 274 090 personnes déclaraient
avoir le français comme langue maternelle. C’est environ
20 % de la population totale du pays. Mais, lors des
recensements, par souci de précision, de nombreux
citoyens déclarent le wolof, le créole, le kirundi, etc.,
comme langue maternelle, alors qu’ils utilisent le français
dans leur vie quotidienne, au travail et à la maison. Si
l’on tenait compte de cette donnée, le pourcentage des
francophones atteindrait près du quart de la population
canadienne, la majorité résidant bien entendu dans la
province de Québec.
Les communautés francophones et acadiennes en dehors
du Québec représentent environ 14 % de ce groupe
et sont réparties dans neuf provinces et trois territoires.
L’Ontario demeure la province qui compte la population
francophone la plus nombreuse, suivie par le NouveauBrunswick. À elles seules, ces deux provinces regroupent
77 % des francophones qui habitent à l’extérieur du Québec.
Le pourcentage des francophones par province donne
toutefois une autre image. Si l’on excepte le NouveauBrunswick, où la population francophone atteint près du
tiers de la population totale, dans les autres provinces –
y compris en Ontario – ce pourcentage n’atteint pas 5 %.
Certains milieux sont parfois très homogènes. C’est le
cas de plusieurs régions du Nouveau-Brunswick ou de
comtés comme ceux de Prescott et Russell, en Ontario,
dont 68 % des habitants sont francophones, ou encore
des carrefours historiques de la francophonie, tels certains
quartiers d’Ottawa ou de Winnipeg. Mais la plupart
des communautés vivent dans des localités où la langue
française est minoritaire : les francophones qui vivent en
dehors du Québec forment généralement une collectivité répartie sur un territoire immense qui offre un vaste
éventail de milieux et de situations démographiques
et géographiques.
Ces francophones ont accès à des écoles, à des centres
culturels, à des organismes communautaires, à des
journaux, à des stations de radio et à des chaînes de télévision en langue française, mais il demeure que la vie
publique et citoyenne qui les entoure n’est pas le miroir
de ce qu’ils sont. Cette situation influence l’usage qu’ils
font de leur langue maternelle.
MIGRATIONS
La population francophone est devenue très mobile.
Comme toute population migrante, elle montre une
attirance pour les milieux économiquement forts en
raison des perspectives d’emploi. Ainsi, entre 2006 et
2011, les francophones ont connu une augmentation
de plus de 18 % dans les provinces de l’Alberta et de
la Colombie-Britannique, comparativement à un taux
habituel de 5 à 6 %. On remarque aussi des augmentations
significatives au Yukon, au Nunavut et dans les Territoires
du Nord-Ouest. Dans les autres provinces, les chiffres
demeurent plus stables.
Si certaines régions francophones se dépeuplent, d’autres
croissent à la suite de mouvements de migration économique
entre provinces ou grâce à l’arrivée d’une immigration
de langue française. Au cours de la décennie 2001-2011,
le Canada a accueilli plus de 372 000 immigrants
de langue française, dont 77 500 se sont installés dans
les communautés francophones et acadiennes en dehors
du Québec.
L’Europe est le lieu d’origine de 38,9 % des francophones
immigrants, l’Asie, de 26,6 %, et le Moyen-Orient
et l’Afrique, de 21,1 %.
La venue d’immigrants francophones et la présence dans une
région de compatriotes d’autres provinces canadiennes
ont favorisé la création de milieux de vie en français dans
des villes comme Edmonton, Toronto ou, encore, Fort
McMurray. Toutefois, ces francophones ne peuvent
ignorer le défi de taille qu’ils doivent relever chaque
jour : la vie professionnelle implique la plupart du temps
l’usage de l’anglais.
128
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
Ces mouvements ont des effets sur les populations.
Par exemple, comme ce sont souvent les plus jeunes
qui partent travailler ou étudier dans les grands centres,
certaines communautés francophones comptent une
forte population de 50 ans et plus.
QUI EST
FRANCOPHONE ?
En dépit de la croissance de certaines communautés
francophones et de l’arrivée d’immigrants de langue
française, l’assimilation se poursuit. Entre 1981 et 2011,
la population canadienne dans son ensemble a augmenté
de presque 38 %, alors que celle de langue maternelle
française n’a augmenté que de 16 %. L’usage du français
comme langue parlée le plus souvent à la maison est
passé de 24,6 % en 1981 à 21 % en 2011.
Lors du Congrès mondial acadien 2014 qui se tenait
à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, cette nouvelle
réalité était bien représentée par la création d’un volet
néo-acadien permettant à ces immigrants bien établis
dans les régions acadiennes de se retrouver et de célébrer
avec leur communauté d’accueil.
OÙ S’INSTALLER ?
Pour les immigrants francophones qui s’installent à
l’extérieur du Québec, deux villes constituent les principaux
pôles d’attraction : Toronto (45 %) et Vancouver (11 %).
La raison en est simple : non seulement ces grandes villes
offrent des occasions d’intégration économique, mais
elles permettent aussi l’intégration sociale grâce aux
Les raisons? Tout d’abord, quelque 80 % de l’immigration
internationale qui n’a ni le français ni l’anglais comme
langue d’usage opte pour l’anglais quand elle s’installe
à l’extérieur du Québec. Il faut aussi souligner les faibles
taux de fécondité des francophones et de transmission
de la langue maternelle française des parents aux enfants,
le plus souvent dans les familles exogames.
Par ailleurs, la définition de « francophone » évolue. Par
exemple, celle utilisée par le gouvernement de l’Ontario
dans la Loi sur les services en français de 1986 était
basée sur le critère de la langue maternelle, ce qui fait
qu’elle ne reflétait plus la diversité de la communauté
franco-ontarienne d’aujourd’hui. En effet, plusieurs
familles immigrantes qui communiquent régulièrement
en français dans leur vie professionnelle et souvent
même dans leur vie familiale n’ont pas cette langue
comme « langue maternelle ». L’Office des affaires francophones (OAF) a donc élaboré une définition plus
inclusive des différentes réalités de la francophonie
franco-ontarienne que le gouvernement a adoptée
en 2009. On parle maintenant aussi de « langue d’intégration ». Cette situation n’est pas propre à l’Ontario :
le gouvernement fédéral s’est également penché sur
la question.
En 1997, les Franco-Ontariens se mobilisent contre la fermeture
de l’hôpital Montfort, seul hôpital de langue française de la région
d’Ottawa et de l’Est ontarien. Réunis dans le mouvement
SOS Montfort, ils obtiennent gain de cause.
129
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
groupes ethniques déjà présents sur place qui font le
pont entre « là-bas » et « ici ». L’immigrant et sa famille y
trouvent la plupart du temps un réseau de contacts qui
les informe sur les valeurs et les coutumes de la société
d’accueil, les nécessités et les habitudes de vie quotidienne
(nourriture, vêtements), etc.
La communauté d’accueil a aussi un rôle à jouer à cet
égard. D’ailleurs, elle apprend rapidement à mieux
accueillir. Elle apprend à renseigner les arrivants sur les
services, les lois, les ressources de travail, les cours de
langue. Elle apprend à faire taire ses préjugés, à communiquer avec clarté en s’assurant que le français tel qu’on
le parle dans la communauté est bien compris (accent,
idiomes, expressions courantes, marques de produits, etc.)
par les nouveaux venus. Elle apprend aussi à former
ses enseignants, ses travailleurs sociaux et ses divers
intervenants aux réalités non seulement politiques des
pays d’origine, mais aussi aux réalités sociales et psychologiques de l’immigration.
Une étude de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada publiée en 2004
a fait état des lacunes dans le domaine de l’immigration.
Elle déplorait l’absence de services d’accueil et de services
d’intégration. En 2006, un comité directeur composé
de représentants de Citoyenneté et Immigration Canada
(CIC) et des communautés francophones en situation
minoritaire (CFSM) a lancé le Plan stratégique pour favoriser
l’immigration au sein des communautés francophones en
situation minoritaire. Ce plan reconnaît l’importance
d’une coordination au niveau national et de la création
de réseaux locaux. Ces réseaux permettent d’engager
les communautés dans le développement de collectivités
francophones ouvertes et inclusives capables de répondre
aux besoins des immigrants d’expression française, de
les accueillir et de faciliter leur intégration en tenant
compte de la réalité sur le terrain. Le plan prévoit
l’accroissement du nombre d’immigrants francophones
en visant une cible de 10 000 nouveaux venus par année
pour l’année 2020.
Il ressort de ces documents qu’en matière d’immigration
il ne s’agit pas uniquement d’attirer. Il faut aussi mettre
en place des mesures aptes à favoriser l’insertion autant
économique que sociale des nouveaux arrivants, leur
intégration, leur rétention et, à plus long terme,
leur enracinement dans les communautés francophones.
DES RÉPONSES
PROMETTEUSES
Dans les années qui ont suivi l’étude de la FCFA, toutes
les provinces et tous les territoires ont développé leurs
réseaux respectifs en immigration francophone. Ces
réseaux permettent aux communautés francophones
d’exercer un leadership en matière de planification et de
mise en œuvre d’initiatives et de projets dans le domaine
de l’immigration. Réunissant plus de 250 organismes
et institutions de différents secteurs de la francophonie,
ils travaillent de concert avec des représentants des
gouvernements provinciaux et fédéraux.
On constate par ailleurs une multiplication des ressources.
On utilise des DVD, des bandes dessinées, des groupes
de formation, des sites Internet, etc. Tous les moyens
sont bons pour répondre aux besoins pressants de
cohésion sociale.
En avril 2009, la stratégie du Manitoba a été désignée
par le Commissaire aux langues officielles du Canada
comme la meilleure au pays. Depuis 1999, le Manitoba
a attiré 2 100 immigrants francophones. En 2008, la
province a vu une augmentation de 172 % par rapport
à 1999. Sa stratégie d’établissement et d’intégration a en
outre permis une rétention de 85 %.
Chaque région du pays a ainsi ses propres moyens
d’encourager l’intégration réussie des familles immigrantes
francophones. Il reste encore beaucoup à faire, mais une
chose est certaine : on comprend de mieux en mieux
la nature des besoins.
130
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
QUAND
L’ASSURANCEEMPLOI AFFECTE
LES COMMUNAUTÉS
FRANCOPHONES
Lorsque l’économie est précaire et que la reprise reste
lente, les emplois se raréfient. Le chômage s’étend.
Or, plusieurs réformes de l’assurance-emploi ont eu lieu
depuis les années 1990, à l’initiative de différents
gouvernements. Au fil de ces réformes, les prestations et
le nombre des chômeurs bénéficiant du programme sont
réduits de manière significative.
Ces réformes affectent de nombreuses communautés
francophones partout au pays, notamment dans les
régions rurales où l’économie se fonde souvent sur des
activités saisonnières. Par exemple, dans les provinces
de l’Atlantique, les emplois disponibles dans les villages
francophones situés sur la côte sont en grande majorité
axés sur la pêche, qui ne se pratique qu’à certains
moments de l’année. Comme l’exploitation de cette
ressource est par ailleurs contrôlée par divers moratoires,
les travailleurs dits « saisonniers » réussissent à boucler
leur budget grâce aux prestations de l’assurance-emploi.
Les régions dont l’économie tourne autour du tourisme
estival vivent une situation semblable.
COURT OU LONG,
LE QUESTIONNAIRE
DU RECENSEMENT ?
Au Canada, on effectue un recensement tous les cinq ans :
2011, 2016, 2021 et ainsi de suite. Les statistiques qui
découlent de l’exercice sont précieuses pour détecter les
grands changements sociaux et démographiques que vit
le pays, pour élaborer des politiques qui répondent aux
besoins réels des citoyens et pour préparer l’avenir en
déterminant les grands courants de la vie de la nation.
Les statistiques issues des recensements font partie
du patrimoine national depuis 1918.
Pour que des statistiques soient valables – c’est une
règle de base –, elles doivent porter sur l’ensemble de la
population ou, du moins, sur un échantillonnage représentatif de toutes les strates de la population qui respecte
les pourcentages d’âge, de sexe, de conditions sociales,
d’éducation, etc. Pour maintenir sa valeur statistique,
le recensement canadien avait toujours été obligatoire.
Jusqu’à celui de 2011.
Cette année-là, le gouvernement canadien l’a rendu
volontaire. Statistiquement, les chiffres recueillis perdent
ainsi leur valeur, puisqu’on ne sait plus comment vivent
tous les Canadiens, mais uniquement ceux qui ont
répondu aux questions. Qui risquent de ne pas répondre ?
Ceux pour qui cela est une tâche difficile : les personnes
sous-scolarisées, les aînés, les malades et les nouveaux
immigrants, qui ne connaissent pas encore toutes les
procédures de leur terre d’accueil. Les statistiques
recueillies laissent donc échapper une partie de la population et gonflent le pourcentage de certaines strates de la
population.
Pour les francophones, l’enjeu est important. L’offre
de services en français est souvent déterminée par le
nombre de personnes qui ont indiqué utiliser le français
lors de ces enquêtes, jusqu’alors obligatoires. Or, non
seulement le recensement devient-il volontaire, mais les
questions qui portaient sur la langue d’usage au travail et
au domicile se résument désormais à demander quelle
est la première langue apprise et encore comprise,
toutes langues confondues. Par exemple, si un Chinois
a appris le mandarin à sa naissance, le recensement ne
révèlera pas qu’il parle maintenant français à la maison
et au travail. Cette absence de référence aux langues
officielles a poussé la Fédération des communautés francophones et acadienne à mener une lutte devant les tribunaux
qui en a laissé plus d’un amer devant de minces gains.
131
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
UNE ÉDUCATION
SOLIDE
L’éducation a toujours été et demeure encore la clé de la
vitalité des communautés francophones au Canada.
C’est la raison pour laquelle les francophones qui vivent
en dehors du Québec se sont tant battus pour la gestion
de leurs écoles. En 2014, on compte au Canada – dans
les provinces et territoires sauf au Québec – 28 entités
administratives scolaires (conseils, districts ou commissions). Ces administrations regroupent 135 674 élèves
de la maternelle à la fin du secondaire et leurs 10 620
enseignants, et gèrent 654 écoles.
Depuis le tournant des années 2000, la petite enfance a
été ciblée comme lieu privilégié d’apprentissage de la
langue et de développement identitaire. À titre
d’exemple, l’Ontario a créé en 2013 plus de 266 nouvelles
places de garderie dans des écoles de langue française
et investi 1,24 milliard de dollars en éducation de langue
française, la somme la plus importante de son histoire.
Des programmes ont été mis en place pour favoriser la
construction identitaire et plusieurs partenariats familleécole-communauté favorisent le sentiment d’appartenance
à la francophonie.
En matière d’études postsecondaires, d’alphabétisation
et de formation aux adultes, les francophones bénéficient
d’un large éventail de possibilités. Ils peuvent ainsi
poursuivre leurs études en français grâce à un réseau
d’institutions et d’organismes couvrant toutes les provinces
et territoires, notamment 14 universités de langue française. Et, grâce aux nouvelles technologies, l’éducation
à distance prend de plus en plus d’ampleur, tant au niveau
universitaire qu’aux niveaux collégial et secondaire.
Toutefois, les écarts en éducation restent importants
entre les centres urbains et les milieux ruraux, de même
qu’entre les régions du pays. Malgré les progrès réalisés,
certaines communautés demeurent sous-scolarisées.
On constate que 26,5 % des francophones n’ont pas
terminé leurs études secondaires, comparativement à
23,4 % de la population générale à l’extérieur du Québec.
Malheureusement, ce taux grimpe à 45 % dans plusieurs
régions rurales francophones.
La francophonie des grandes villes reste plus avantagée.
Dans les villes universitaires comme Moncton, le taux
des diplômés rejoint celui de villes comme Montréal
et Québec. À Toronto, le nombre de francophones ayant
fait des études universitaires affiche un intéressant 37 %,
comparativement à 26,7 % pour la population générale.
À Vancouver, ce taux est de 32,5 %.
En demandant de choisir entre le français et l’anglais, les formulaires
de recensement ne permettent pas de comptabiliser l’ensemble
des francophones du pays, notamment ceux qui parlent plusieurs
langues à la maison.
132
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
LE GOÛT DE LA
CONCERTATION
Depuis le début des années 2000, on constate un désir
de concertation francophone au niveau national.
Dès 2003, la Fédération nationale des conseils scolaires
francophones (FNSCF), en collaboration avec la Table
nationale sur l’éducation française, mène une étude pour
mesurer l’ampleur des besoins. Un sommet en éducation
a lieu en juin 2005. Le Plan d’action – article 23. Afin
de compléter le système scolaire de langue française
au Canada est validé et un comité tripartite composé
de représentants d’institutions fédérales, des ministères
de l’Éducation des provinces et des territoires ainsi que
d’organisations à vocation éducative et culturelle est créé
pour mettre de l’avant des initiatives pour la réalisation
du plan d’action. Le seul fait de réunir des représentants
de la communauté, des gouvernements des provinces
et des territoires ainsi que du Canada dans un climat
de confiance et de collaboration peut être qualifié de pas
de géant en éducation. Pour faire le point sur l’avancement
des travaux, un second sommet est organisé en 2012.
Il est alors décidé que la convergence des forces s’appliquerait à quatre priorités : la petite enfance, la pédagogie,
l’immigration et la construction identitaire.
Ce virage vers plus de dialogues et de mises en commun
dans la francophonie canadienne se vit également dans
le monde communautaire. Le Sommet des communautés
francophones de 2007, coordonné par la Fédération
des communautés francophones et acadienne (FCFA),
regroupe 43 organismes. Cette vaste rencontre permet
d’instaurer des mécanismes de concertation dans le but
d’élaborer un plan stratégique communautaire qui
couvre tous les aspects de la vie des communautés
francophones en milieu minoritaire. Le Forum des leaders
est chargé d’assurer la mise en place du plan stratégique
sur cinq grands chantiers relatifs aux communautés
francophones : la population, l’espace, la gouvernance,
l’influence et le développement.
Cette cohésion des forces du monde de l’éducation
et des communautés permet aux francophonies du pays
de mettre en commun leurs expériences et de relever les
défis qui se présentent de manière concrète, originale
et pertinente.
EN TOUTE JUSTICE
Le fait que l’article 23 ait été inscrit dans la Charte des
droits et libertés de 1982 ne signifie pas que tous les
problèmes soient pour autant réglés. Rappelons que la
gestion des écoles de langue française par les communautés francophones et acadiennes ne s’est pas accomplie
sans de nombreuses luttes. De nouvelles conditions
surgissant, il arrive que des causes soient encore portées
devant les tribunaux provinciaux et parfois même devant
la Cour suprême.
Ces luttes ont bénéficié pendant de nombreuses années
du Programme de contestation judiciaire qui avait été
lancé en 1978 dans le but d’offrir de l’aide pour des litiges
en matière de droits linguistiques. Lorsque la Charte
canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur
en 1985, ce programme a été élargi pour couvrir l’ensemble
des droits relatifs à l’égalité. Ainsi, les personnes qui se
sentaient discriminées en raison de leur pauvreté, de
leur origine ethnique, d’un handicap, de leur sexe ou de
leur orientation sexuelle pouvaient également profiter
d’un appui financier si leur cause devait être entendue
par les tribunaux. En 2006, le programme en entier a été
aboli. Les réactions ne se sont pas fait attendre.
Vouée avant tout à la défense du volet des droits
linguistiques des communautés, la FCFA a mené une
chaude lutte au gouvernement en vue du rétablissement
du programme. C’est d’ailleurs dans le cadre d’un
règlement hors cour que les deux parties en sont venues
à un accord qui redonnait aux communautés linguistiques
minoritaires un programme d’appui au respect
de leurs droits.
133
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
En juin 2008, le gouvernement fédéral crée ainsi le
Programme d’appui aux droits linguistiques (PADL).
Il s’agit d’un partenariat entre la Faculté de droit de
l’Université d’Ottawa et l’Institut des langues officielles
et du bilinguisme (ILOB) qui gère ce programme. Sa mission
est d’informer les Canadiens de leurs droits linguistiques
et de promouvoir ces droits, d’offrir un appui financier
aux personnes, aux groupes ou aux organismes sans but
lucratif qui pensent que leurs droits linguistiques constitutionnels n’ont pas été respectés. Grâce à cet appui,
il devient possible de recourir à la médiation et à la négociation et, si de tels modes de résolution de conflits
échouent, d’avoir recours aux tribunaux. Plusieurs
causes touchant à la gestion scolaire ont pu ainsi être
entendues depuis 2010, notamment dans les Territoires
du Nord-Ouest, en Colombie-Britannique et au Yukon.
UNE CULTURE
VIBRANTE
Si la construction identitaire et le sentiment d’appartenance prennent racine dans la famille et se développent
à l’école et dans la communauté, les arts et la culture sont
les instruments privilégiés de leur épanouissement.
La Fédération culturelle canadienne-française (FCCF),
qui cherche à promouvoir les arts et la culture dans les
communautés francophones et acadiennes du pays,
regroupe plusieurs organismes artistiques, gère des
partenariats qui favorisent le rayonnement des arts dans
les grands centres francophones – le Québec inclus – et
produit, seule ou en partenariat, des documents de
recherche et des outils éducatifs. Cependant, dans un
contexte de stagnation économique, plusieurs organismes
dont elle est la porte-parole connaissent des difficultés.
Plusieurs programmes qui encouragent les arts subissent
des coupes budgétaires importantes, tandis que les
milieux culturels passent par une période de transformations cruciales.
L’industrie du livre, par exemple, est en pleine transition.
D’une part, les grandes chaînes de librairies ont pris
d’assaut le marché et l’achat par Internet a connu un essor
fulgurant. L’avènement du livre numérique a aussi changé
la donne. Les seize membres du Regroupement des éditeurs
canadiens-français (RECF) répartis au NouveauBrunswick, en Ontario, au Manitoba et en Saskatchewan
sont pour la plupart passés au livre numérique. Ce mode
de lecture franchit l’espace et est en mesure de desservir
une population francophone que les librairies n’ont
jamais pu vraiment atteindre.
Du côté musique, l’Association des professionnels de la
chanson et de la musique (APCM) travaille à la promotion
des artistes (auteurs, compositeurs et interprètes), à la
diffusion de leurs œuvres et au développement de la
chanson et de la musique francophones en Ontario et dans
l’Ouest canadien. En Atlantique, le Réseau atlantique de
diffusion des arts de la scène (RADARTS) joue un rôle
similaire en soutenant 33 diffuseurs dans leur mission de
promotion des artistes francophones professionnels.
L’Association des théâtres francophones du Canada
(ATFC) représente quatorze compagnies de théâtre
professionnelles qui travaillent en français dans six
provinces canadiennes à majorité anglophone (NouveauBrunswick, Ontario, Manitoba, Saskatchewan, Alberta
et Colombie-Britannique). Ces compagnies théâtrales
connaissent des réalités géographiques et sociales bien
différentes, mais elles ont en commun d’évoluer et de
créer dans des contextes linguistiques minoritaires.
Elles ont donc des besoins semblables sur les plans de
l’organisation et du développement artistique, de la
formation, de la diffusion et de la promotion. Les membres
de l’ATFC se réunissent tous les deux ans lors des Zones
théâtrales au Centre national des Arts d’Ottawa, une
vitrine unique qui favorise la discussion, la consultation
et la concertation.
134
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
QU’EST-CE QUE
TU REGARDES ?
Si, en milieu minoritaire, les francophones ont besoin des
organismes culturels pour faire s’épanouir leur sentiment
d’appartenance, ils ont également besoin de l’apport du
monde des communications pour se voir vivre et grandir.
Ce reflet de soi dans les médias est un élément crucial de
l’ancrage dans une communauté. C’est ce qui explique le
succès des chaînes de télévision communautaires et des
journaux régionaux.
Les grandes chaînes nationales francophones demeurent
elles aussi fort actives. La chaîne internationale TV5
Monde existe depuis 1984. Elle est certainement une
source d’information unique sur la francophonie internationale. Elle est reçue par plus de 207 millions de
foyers répartis dans 200 pays et territoires dans le
monde. Elle diffuse, 24 heures sur 24, une intéressante
programmation culturelle et historique et des reportages
aussi émouvants qu’éducatifs.
Depuis les années 1980, la chaîne de Radio-Canada
diffuse dans toutes les provinces et territoires du pays.
À la suite de compressions importantes en avril 2012,
elle a dû réduire – et parfois abolir – les émissions locales.
De nouvelles coupes en avril 2014 viennent accentuer
encore la tendance. Il est difficile pour la société d’État
de joindre les gens avec une programmation « nationale »
qui est largement le reflet du grand centre francophone
majoritaire qu’est Montréal. De l’Atlantique au Pacifique, et
même dans les régions éloignées du Québec, de nombreux
téléspectateurs ne se reconnaissent pas suffisamment
dans les émissions à l’affiche de la chaîne nationale.
En Ontario, depuis 1985, une chaîne éducative de langue
française apporte aux Franco-Ontariens ce reflet si
important. Un développement important arrive en 1997
alors que TFO obtient du CRTC la permission de diffuser
son signal au Nouveau-Brunswick et lance son site web.
Dès l’année suivante, TFO devient disponible dans tout
le pays via satellite. En 2002, elle a coproduit FranCœur,
la toute première série dramatique en français créée
à l’extérieur du Québec qui mettait en relief la vie d’agriculteurs franco-ontariens. Depuis juin 2008, la chaîne
diffuse également son signal au Manitoba.
Mais les Acadiens et les Canadiens français qui vivent en
situation minoritaire rêvent aussi d’une télévision bien
à eux. Ce besoin de voir son reflet dans le téléviseur
amène deux groupes à proposer des projets au Conseil
de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes
(CRTC) en août 2013. La Fondation canadienne pour le
dialogue des cultures dépose le projet ACCENTS,
un projet de création d’une nouvelle chaîne de télévision
entièrement destinée aux communautés francophones
du pays. De leur côté, les chaînes existantes ARTV
et TV5 proposent le projet UNIS, qui offrirait une
programmation consacrée aux communautés francophones à compter de septembre 2014. C’est ce dernier
projet qui a reçu l’aval du CRTC. En acceptant un projet
de cette nature, le Conseil reconnaissait du même coup
les lacunes bien réelles qui existent au niveau du reflet
des communautés francophones et acadiennes au petit
écran à l’échelle nationale.
TU TEXTES DANS
QUELLE LANGUE ?
Selon une étude effectuée par le Media Technology
Monitor, les nouvelles technologies seraient adoptées
moins vite par les francophones que par les anglophones.
Alors que 34 % des anglophones possèdent une tablette
électronique, seulement 20 % des francophones en ont
une. Quand la liseuse est adoptée par 19 % des anglophones, elle ne l’est que par 4 % des francophones.
Les chercheurs supposent que ce retard est dû au fait
que les traductions arrivent plus tard.
Évidemment, dans notre monde de l’instantanéité où
chacun cherche à posséder les outils les plus récents sur
le marché, ce ne sont pas tous les francophones du pays
135
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
qui attendent que soit produite la version française des
nouveaux instruments technologiques. Surtout quand
on parle fort bien l’anglais! Les contacts avec les produits
médiatiques anglophones sont, de ce fait, beaucoup plus
fréquents qu’avec les produits traduits. Et les échanges
qui en découlent se font davantage en anglais, même
entre francophones.
Quelques constats font réfléchir : les communications
avec les pairs et avec les parents, de même que l’écoute
de la musique, se font en anglais chez 67 % des francophones vivant en milieu minoritaire. Et, chez 90 % des
jeunes qui sont membres d’au moins un réseau social,
l’affichage est à 72,5 % en anglais.
Le pouvoir des nouvelles technologies pour faciliter la
participation au développement de l’identité francophone est évident. Ces technologies permettent aux
francophones de franchir l’espace, de se rapprocher les
uns des autres, d’offrir des sources d’information, de
recréer des communautés francophones virtuelles. Bref,
il n’en tient qu’aux francophones de développer leur
cyberespace francophone !
DES JOURNAUX
QUI PARLENT
DE NOUS
La presse écrite traverse, elle aussi, une délicate période
de transformations. Le ralentissement ou l’abandon pur
et simple de l’abonnement au format papier oblige les
administrateurs des grands quotidiens, dont certains
existent depuis plus de cent ans, à s’adapter aux
changements et à utiliser d’autres moyens pour rejoindre
les lecteurs, notamment les sites d’information en continu
et l’abonnement électronique.
Par contre, lorsqu’il s’agit de journaux régionaux, la situation
apparaît fort différente. L’Association de la presse
francophone (APF) est un réseau qui réunit 22 journaux
répartis en Ontario (12), dans l’Ouest et les territoires
(5) et en Atlantique (5). En desservant les communautés
francophones et acadiennes en situation minoritaire, ces
journaux contribuent largement à la vitalité de ces
groupes. À leur pérennité aussi. Et, contrairement
à l’ensemble de l’industrie de la presse au Canada, les
journaux membres de l’APF connaissent une croissance
étonnante. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils reflètent
la vie de leur lectorat, un apport qu’aucun autre média ne
leur offre. Ces journaux analysent l’actualité provinciale
et locale sous l’angle d’une francophonie en situation
minoritaire. Ils traitent d’enjeux d’actualité dans la communauté, parlent des spectacles et des artistes locaux et
commentent des joutes sportives régionales. Ils font
part des dilemmes, des défis, des projets de l’espace
francophone. Le lecteur s’y reconnaît. De plus, le contenu
du journal local ne fait aucunement compétition aux
grands quotidiens ou à la presse électronique. Il les complète
plutôt admirablement. À preuve, le journal La Liberté du
Manitoba a reçu le prix Boréal en 2013 pour souligner sa
contribution importante à la communauté.
EN FRANÇAIS,
S’IL VOUS PLAÎT !
Si les provinces et territoires du Canada reconnaissent
la constitutionnalité des services en français, force est
de constater que le chemin de la théorie à la pratique est
parfois long et raboteux et que même ce qui semble
acquis reste fragile. Le cas de l’Hôpital Montfort en est la
parfaite illustration, avec sa bataille politique et judiciaire
qui a duré plus de quatre ans et qui aura donné, à tous les
échelons juridiques, pleinement raison aux francophones.
Partout au pays, les communautés restent vigilantes
et des mesures viennent assurer l’évolution des services
en français.
La loi de 2004 sur les services en français en NouvelleÉcosse a été suivie en 2006 par le Règlement sur les
services en français. Dans cette province, chaque année,
les ministères du gouvernement doivent préparer un
136
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
plan de services en français pour faire état des progrès
réalisés au cours de l’année précédente. Ces efforts
se manifestent par la prestation de services en langue
française, par la qualité de la communication orale
et écrite avec les membres de la communauté et entre
employés. Il faut noter aussi qu’on s’occupe de la traduction
de documents officiels de la province, comme de son site
Web et de certains documents ministériels pertinents
pour les employés et la communauté acadienne et francophone. L’accent est mis sur la sensibilisation, la formation
et le recrutement.
En 2007, l’Ontario a mis sur pied le Commissariat aux
services en français, dont l’objectif est d’assurer le respect
des droits de la communauté francophone. À cette fin,
le Commissariat traite des plaintes relatives à la Loi sur
les services en français, mène les enquêtes nécessaires
et soumet un rapport annuel à la ministre. En Ontario, 85 %
de la population a maintenant accès à des services
en français. Depuis 2003, on a vu la désignation de
32 nouveaux organismes de soins de santé et des services
de soutien pour les enfants, la jeunesse et les femmes
victimes de violence, ce qui porte à plus de 200 le nombre
d’organismes reconnus comme pouvant offrir des services
en français.
Pour sa part, le nouveau territoire du Nunavut, avec sa
Loi sur les langues officielles de juin 2008, prévoit des
services en français à l’échelle municipale.
ET QU’EN PENSE
LE COMMISSARIAT
AUX LANGUES
OFFICIELLES ?
Les services en français se multiplient, quoique discrètement, dans les territoires et les provinces du pays.
Toutefois, le Canada, dont la Loi sur les langues officielles
a été proclamée dès 1969, ne réussit pas encore à faire
pleinement respecter sa propre loi par les administrations
fédérales et les sociétés de la Couronne. Année après
année, dans son rapport annuel, le Commissariat aux langues
officielles, qui a pour mission de promouvoir les deux
langues officielles du pays et de protéger les droits
linguistiques des communautés de langue française et
anglaise, souligne les lacunes du système. Depuis 1970,
cet organisme en dénonce les lenteurs et les reculs.
L’unilinguisme anglais qui a marqué la cérémonie
d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques
d’hiver de Vancouver en 2010 a notamment été soulevé.
Le Commissariat a aussi effectué une étude sur les possibilités d’apprentissage en langue seconde dans les universités canadiennes et trois autres sur la vitalité des communautés de langue officielle. Il s’est penché sur le
système sportif canadien ainsi que sur le leadership au
sein de la fonction publique. Lorsqu’en 2009-2010 CBC/
Radio-Canada a décidé d’éliminer la quasi-totalité de la
programmation locale à la station de radio de langue
française CBEF de Windsor (Ontario), générant ainsi
876 plaintes officielles, il a demandé à la Cour fédérale
d’enquêter sur la situation.
Dans son rapport de 2013, le Commissariat aux langues
officielles s’inquiète du laxisme du gouvernement fédéral
dans l’application de la politique de bilinguisme chez les
hauts fonctionnaires car, malgré des progrès certains, la
fonction publique est encore loin d’être bilingue. Un
glissement subtil fait que les postes affichés présentent
137
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
la maîtrise du français non plus comme une exigence,
mais comme un atout. Dans la région d’Ottawa, seulement
65 % des postes au fédéral sont occupés par des fonctionnaires qui parlent les deux langues officielles, et ce taux
baisse à 40 % dans l’ensemble du pays.
INVENTER
L’AVENIR
Au début des années 1960, le Canada français s’est fracturé.
La francophonie canadienne est devenue plurielle. Puis
les années ont passé. Grâce aux principes insérés dans la
Constitution de 1982, les francophones vivant en milieux
minoritaires dans les diverses provinces et territoires
du Canada ont pu mettre en place les assises qui leur
ont permis d’aller plus loin dans leur affirmation
et leur détermination.
Graduellement, au cours de la première décennie du
21e siècle, ces mêmes francophones ont aussi mis l’accent
sur leurs ressemblances; ils se sont regroupés autour
d’une vision commune face aux défis de l’heure. Cette
vision qui les anime assure maintenant leur cohésion.
Mais la francophonie canadienne a retrouvé aussi un
partenaire majeur.
En 2003, le gouvernement du Québec reconnaît en effet
la pérennité du fait français au Canada et manifeste
l’intention de « redevenir membre à part entière de la
francophonie canadienne ». Il évoque la nécessité de
resserrer les liens entre communautés francophones du
continent et d’entamer une consultation auprès des communautés francophones. Le ministre responsable des Affaires
intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie
canadienne rappelle la responsabilité historique du
Québec à l’endroit des communautés francophones
et acadiennes et la nécessité d’exercer un « leadership
rassembleur » et respectueux.
Une nouvelle politique est établie qui propose un véritable
engagement envers les communautés francophones et
acadiennes. Elle prône la concertation, les partenariats
et le réseautage et présente différents axes dont celui,
prioritaire, des arts et la culture, et d’autres comme les
communications, l’éducation, le développement économique, la santé et la jeunesse.
Le 13 décembre 2006, après une démarche de consultation
auprès des communautés francophones, l’Assemblée
nationale du Québec adopte à l’unanimité la Loi sur le
Centre de la francophonie des Amériques, un projet qui
vise à resserrer les liens entre les 12 millions de locuteurs
francophones de tout le continent.
Le Centre a pour mission « de contribuer à la promotion
et à la mise en valeur d’une francophonie porteuse
d’avenir » et mise pour ce faire sur un réseautage et sur
la complémentarité d’action des francophones et des
francophiles des Amériques. Il véhicule des valeurs
comme la fierté d’être, le respect de soi, la solidarité,
l’ouverture aux autres, la modernité et l’innovation. La
langue française et les cultures d’expression française
bénéficient ainsi d’une nouvelle puissance de rayonnement.
La jeunesse y jouant un rôle clé, le Centre de la francophonie des Amériques favorise les échanges entre les
étudiants du Québec et ceux issus des autres communautés de langue française du Canada et d’ailleurs sur
le continent. Parmi tous ses projets novateurs, citons
la Radio Jeunesse des Amériques, la Forum des jeunes
ambassadeurs de la francophonie des Amériques et la
Bibliothèque numérique de la francophonie des Amériques.
Dans la foulée de cette nouvelle politique québécoise,
Québec accueille 400 délégués en mai 2012 au Forum
de la francophonie canadienne qui célèbre le fait français
et ravive les liens qui unissent Québécois, Acadiens et
francophones de partout au Canada. En juillet de la
même année, la ville de Québec est cette fois l’hôte du
premier Forum mondial de la langue française, auquel
participent 2000 personnes.
En 2014, le Congrès mondial acadien innove en regroupant dans son giron la région du Nord-Ouest du
Nouveau-Brunswick, du Témiscouata au Québec et du
Nord-Est de l’État américain du Maine.
138
Voyage en francophonie canadienne - ACELF
S’affirmer
UNE DÉCISION
ET UNE ACTION
Parce que vivre, c’est se transformer, les mots vie et vitalité
ne seront jamais compatibles avec immobilisme.
Et, comme aujourd’hui les changements se font à la vitesse
grand V, il est devenu difficile de prévoir, d’une décennie
à l’autre, ce qu’engendreront le progrès des technologies
et les soubresauts politiques et économiques, et où
mèneront les migrations démographiques. Ces mouvements nous imposent d’être perspicaces et accueillants.
Ils nous obligent aussi à constater que rien ne sera jamais
totalement acquis pour les francophones du Canada en
ce qui a trait à leurs droits linguistiques, juridiques,
sociaux et éducatifs.
Dans notre monde en perpétuel changement, il faut
apprendre à penser autrement, à réagir sans attendre,
à se créer de nouvelles balises sociales et politiques.
La francophonie a besoin de citoyens concernés,
allumés, responsables, capables de prendre la parole
et prêts à se réinventer au besoin afin de pouvoir mettre
en place des solutions justes et pertinentes face aux
nouvelles conjonctures.
Il faut surtout se rappeler qu’être francophone c’est, bien
sûr, hériter de valeurs profondes et d’un puissant bagage
culturel. Mais, d’abord et avant tout, il s’agit d’une décision
à prendre qui engage une action à entreprendre.
Marc Garneau est le premier astronaute canadien à voyager
à bord d’une navette spatiale, alors que Julie Payette est la première
Canadienne à visiter la Station spatiale internationale,
où elle a manipulé le Bras canadien.
139
Un voyage dans le temps et dans l’espace. Plus
de 400 ans d’histoire pour comprendre ce qui nous
rassemble, nous, francophones du Canada. Les espoirs
qui nous ont amenés en terre canadienne, les combats
vécus, les droits acquis, les valeurs que nous défendons
et les défis qui nous restent encore à relever. Une prise
de conscience du présent et une réflexion sur l’avenir.
Voyage en francophonie canadienne, u n outil
pédagogique multiplateforme c onçu pour aider
les jeunes de 14 à 17 ans à intégrer des référents
culturels à saveur historique dans leur démarche
personnelle de construction identitaire francophone.