LA SCIENCE DÉCORTIQU E LA PUB POLÉMIQUE

14
ÉCONOMIE
15
ÉCONOMIE
LE MATIN JEUDI 5 MAI 2016
JEUDI 5 MAI 2016 LE MATIN
LE CHIFFRE
L’ENTREPRISE
1,21 milliard
ADIDAS Malgré le grand retour du golf CREDIT SUISSE En francs, le montant
de créances douteuses qu’a vendues
la banque pour réduire son exposition
à des actifs risqués.
DR
aux JO cette année, l’allemand veut vendre cette division. Il abandonne les clubs et équipements, et ne vendra plus que des chaussures et vêtements techniques sous sa marque Adidas Golf.
COURS DES DEVISES
1$
1€
1£
0,9566 fr.
1,0995 fr.
1,386 fr.
COURS DU PÉTROLE
Prix du baril de brent à Londres, en dollars
50
45,60
45
40
35
5 avril
4 mai
LE CHANGEMENT
LA DEVISE
ROAMING Surprise désagréable: les Suisses qui 500 euros
passent par l’aéroport de Bâle­Mulhouse devront, dès le 24 mai, téléphoner sur réseau mobile français, avec les frais de roaming que cela implique. Swisscom et Sunrise ont ordre de débrancher leurs antennes.
CESSATION La Banque centrale européenne va mettre fin à la production et à l’émission des billets de 500 euros, une décision liée aux «craintes que cette coupure puisse faciliter les activités illicites».
LA SCIENCE DÉCORTIQU E LA PUB POLÉMIQUE
MARKETING Raciste ou pas? En 2014,
une campagne Migros avait suscité un vif débat. A l’aide d’analyses quasi médicales, des chercheurs livrent leur verdict.
e n’est pas souvent que
des petites peluches
toutes mignonnes font
scandale. Pourtant, à la
fin de l’année 2014, Migros avait créé un joli pataquès
avec une pub pour la lessive Total.
Déclinée en trois versions, elle
montrait des animaux foncés (scarabée, panthère noire ou ours
brun) «redevenir» leur créature
d’origine (coccinelle, tigre ou ours
blanc), après avoir été dépouillés
de leur couche de crasse.
C
Une méthode futuriste
Noir = sale: cette association
d’idées avait choqué des militants
antiracistes, qui avaient demandé
au géant orange, sans succès, de
ranger sa réclame au placard. A
tort? C’est la question à laquelle
une étude menée en février entend
répondre. Aux commandes, Julien
Intartaglia, professeur en communication à la HEG Arc de Neuchâtel,
et Arnaud Pêtre, un neuroscientifique basé en Belgique. Leur recherche croise les résultats de deux méthodes d’analyse: l’eye tracking, qui
consiste à analyser le mouvement
des yeux, et l’IRMf, qui permet
d’observer l’activité cérébrale.
Pour ce volet, les «cobayes» ont
notamment dû passer à l’Hôpital
universitaire de Bruxelles. En tout,
neuf Suisses et neuf Belges ont servi
de cobayes pour l’expérience.
Des résultats troublants
Alors, raciste ou pas, cette pub? En
tout cas problématique, selon les
auteurs. En comparant la manière
dont les sujets observaient l’affiche de l’ourson, les scientifiques
ont découvert que les Helvètes
étaient bien plus préoccupés par
son changement de couleur que les
Belges, qui s’intéressaient surtout
au visage de l’animal. «Cela démontre que nous ne décodons pas
la pub de la même façon, nous lisons les campagnes différemment
selon la culture du pays», explique
Julien Intartaglia. Selon lui, des
pubs comme celle du célèbre mouton noir de l’UDC pourraient avoir
conduit à cet «amorçage négatif».
Du reste, la pub pose problème à
d’autres niveaux, selon la recherche: si les sujets ne l’ont pas consciemment perçue comme raciste,
l’analyse par IRMf a décelé une activité élevée dans les zones du cerveau concernée par les pensées négatives et la détection d’erreur.
Plutôt troublant.
Migros droit dans ses bottes
Pas de quoi décontenancer Migros,
toutefois. «Cette étude montre
surtout que notre publicité est excellente, estime Tristan Cerf, porte-parole. Le regard des clients se
focalise exclusivement sur quatre
points: le sujet – soit le petit ours
polaire qui retrouve son aspect
d’origine grâce à la lessive Total –,
le message de la campagne, le produit et enfin le logo de Migros.»
Pour lui, la comparaison entre les
sujets suisses et belges n’a pas grand
sens: «Total est le produit de lessive
le plus vendu en Suisse, il n’existe
pas en Belgique. Il est donc normal
que les Suisses s’attardent un peu
plus sur le message que leur transmet leur marque favorite. Tandis
que les Belges, eux, s’attardent sur le
visage craquant de l’ourson mais >>
VU PAR LES BELGES
INDIFFÉRENTS
Au contraire des sujets suisses, les Belges effectuent un balayage rapide sur la partie blanche de l’ourson, se concentrant surtout sur son visage. Comme si, pour eux, la notion de couleur jouait un rôle moins important que chez les Suisses.
>> passent sur le message général
de l’affiche.» Il laisse aux auteurs la
responsabilité de leurs conclusions
sur les «sentiments» que provoque
la contemplation de l’affiche.
«Les résultats de l’expérience
vont dans le sens de la thèse du Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme antinoir, juge pour sa
part Kanyana Mutombo, secrétaire
général. A savoir que la publicité de
Migros est objectivement raciste,
même si elle ne l’est pas intentionnellement.» Il se réjouit que la
science, qui a plutôt servi à justifier
le racisme à travers l’histoire, devienne un outil de combat.
Un combat qui, visiblement,
commence dès l’analyse des résultats des études.
● RAPHAËL POMEY
raphael.pomey
@lematin.ch
Suite au tollé, la notion d’«ours blancs», visible
ici, a été remplacée par
celle d’«ours polaires».
g L’étude souligne
la présence de pensées
VU PAR LES SUISSES
fortement négatives»
Julien Intartaglia, professeur en communication
Les résultats de deux types d’analyses ont été croisés: l’«eye tracking», effectué au moyen de lunettes spéciales (ci­dessus), et l’IRMf (ci­dessous), effectué dans un hôpital.
ABSORBÉS
Chez les sujets helvétiques de l’étude, le regard se focalise spécialement longtemps sur la différence de couleur de l’ours. Une observation rendue possible par la méthode dite de l’eye tracking, qui permet de retracer la «stratégie visuelle» du public au moyen de zones de chaleur. En l’occurrence, la couleur rouge indique un secteur particulièrement scruté.
Photos Jean­Guy Python­DR­Migros