JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,De victimes à
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JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,De victimes à
J. S. Foer - Dis-moi ce que tu manges ... Quoi ? Vous avez mangé de la viande à midi ? Vous préparez du poisson pour ce soir ? Tout laisse à penser que le nom de Jonathan Safran Foer vous est encore inconnu … Dans son ouvrage, l’écrivain new-yorkais se livre en effet à une étude de nos comportements alimentaires et de leurs conséquences sur les élevages et les traitements infligés aux animaux. Si vous pensiez vous abriter derrière les labels et appellations tels qu’ « élevés en plein air », « bio », et j’en passe, jetez un oeil à « Faut-il manger les animaux ? ». Loin des discours moralisateurs de certains extrémistes végétar/l/iens, J. S. Foer livre par écrit ses propres réflexions sur quelle alimentation donner à son jeune fils. Et il tient à ce que le lecteur garde à l’esprit que c’est le père de famille qui est allé visiter des élevages considérés comme traditionnels. Il a également rencontré d’anciens (ou actuels) employés d’élevages industriels (…ayant presque toujours souhaité garder l’anonymat). Ces mêmes élevages où vetusté, torture et barbarie représentent souvent le quotidien des animaux qui y sont cultivés (peut-on vraiment parler d’élevages dans ces conditions), abattus, et « préparés » en vue de les rendre « propres » à la consommation humaine. Privations, enfermement, dégénérescence génétique, démembrements à vif … les pires pratiques y passent … et créent des espèces animales mutantes, incapables de vivre à la lumière du jour ou encore de se reproduire entre elles … Des dindes assexuées, des poulets n’ayant comme espace vital que la surface d’une feuille A4, des porcs électrocutés, torturés, de jeunes boeufs castrés à vif … Il est préférable de terminer son assistte avant de reprendre sa lecture… Et pourtant, jamais l’auteur ne se pose en extrêmiste moralisateur mais se propose toujours de fournir les clés pour que chaque lecteur puisse répondre, en son for intérieur, à cette question essentielle, et universelle : « Est-il vraiment naturel de manger des cadavres d’animaux ? » Vous vous en doutez, cette lecture interroge. Retourne. Bouleverse. A découvrir de toute urgence pour se faire sa propre opinion sur la question ! Cet ouvrage, qui fait suite dans l’oeuvre de Foer au succès de « Extrêmement fort et incroyablement près » est le fruit de trois années de recherches et de rencontres. Jeune père, compagnon de la romancière Nicole Krauss, Foer s’affirme comme une vraie figure de la nouvelle littérature états-unienne. Il sort en 2011 son nouveau roman « Tree of Codes ». Bibliographie de J. S. FOER : 2009 : Eating Animals (Faut-il manger les animaux ?) 2005 : Extremely Loud and Incredibly Close (Extrêmement fort et incroyablement près) 2005 : The Unabridged Pocketbook of Lightning 2005 : A Beginner’s Guide to Hanukkah 2004 : The Future Dictionary of America 2002 : Everything Is Illuminated (Tout est illuminé) 2001 : A Convergence of Birds De victimes à bourreaux... « Où j’ai laissé mon âme » retrace le parcours de deux hommes. Deux militaires français « engendrés par la même bataille, sous la pluie de la mousson » au Viêtnam. L’un est capitaine, l’autre lieutenant. Tous deux sont coincés dans le cercle impitoyable de la violence et de leurs pensées. L’un écrit à l’autre pour dénoncer ses dérives, l’autre se débat éperdument avec sa conscience et soliloque. Tous deux sont confrontés à une profonde réflexion sur le Bien et le Mal. Mais, au beau milieu de cette si sournoise guerre d’Algérie, où est le Bien ? Un livre magistral parfois brutal sur la souffrance et la torture. Des hommes face à d’autres hommes. Des soldats face à d’autres soldats. Prêts à se battre quelle que soit la guerre et qui en oublient leur âme. Les gentils contre les méchants, cette simpliste vision de l’histoire n’a pas cours dans ce livre. Des personnages bouleversants, dont l’un des prisonniers Tahar. Victime christique de l’armée française, ce rebelle a quelque chose de douloureux et d’énigmatique. Le capitaine Degorce est une figure forte de résistant et déporté de la Seconde Guerre Mondiale. Il sera le mentor du jeune lieutenant Andréani. Des liens inaltérables naîtront lors des affrontements. Jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes les bourreaux. Sous la plume de ce professeur de philosophie, Jérôme Ferrari, le capitaine Dégorce et le lieutenant Andreani se débattent pour rester droits dans leurs bottes. Jérôme Ferrari nous propose humblement une réflexion prenante, philosophique et poignante. Une histoire bestiale et cruelle. L’Auteur : Jérôme Ferrari aborde sans détours une page noire de l’histoire. Grâce à l’alternance du discours de ses deux personnages pivots, «Où j’ai trouvé mon âme » prend un tour romanesque sans pour autant dénaturer l’importance des faits historiques. Tantôt déchaînés et accusateurs pour Andréani, tantôt littéraires et nuancés pour Degorce, les propos s’équilibrent et sonnent juste. Après s’être essayé au recueil de nouvelles avec « Variétés de la mort », c’est en 2003 que Jérôme Ferrari publie son premier roman, « Aleph Zero » aux éditions Albiana. Prolixe, Jérôme Ferrari publiera chaque année un nouveau roman chez Actes Sud toujours. En 2007, « Dans le secret », « Balco Atlantico », en 2009 « Un dieu un animal ». Extraits : en 2008 « Pendant toutes ces années, il n’a pas vraiment repensé à tous cela ; les guerres qu’il a menées ne lui ont pas laissé le temps, et les dix mois passés à Buchenwald s’étendent derrière lui comme une immense steppe grisâtre qui coupe sa vie en deux et le sépare à jamais du continent perdu de sa jeunesse, mais il n’a pas oublié. Le mois de juin 1944 s’est installé silencieusement dans sa chaire pour y inscrire l’empreinte d’un savoir impérissable qui lui a permis d’expliquer à ses sous officiers : « messieurs la souffrance et la peur ne sont pas les seules clés qui ouvrent l’âme humaine. […] N’oubliez pas qu’il en existe d’autres. La nostalgie. L’orgueil. La tristesse. La honte. L’amour. » [1] «Rappelez-vous, mon capitaine, c’est une leçon brutale, éternelle et brutale, le monde est vieux, il est si vieux mon capitaine, et les hommes ont si peu de mémoire. Ce qui s’est joué dans votre vie a déjà été joué dans des scènes semblables, un nombre incalculable de fois, et le millénaire qui s’annonce ne proposera rien de nouveau. Ce n’est pas un secret. Nous avons si peu de mémoire. Nous disparaissons comme des générations de fourmis et tout doit être recommencé. » [2] [1] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte Sud (2010), page 83 [2] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte Sud (2010), page 23 Quand souvenirs s'entremêlent ... et oubli « Le Goût des pépins de pomme » s’ouvre à la lecture des dernières volontés d’une grand-mère qui pourrait être la nôtre: « Clair comme de l’eau de roche tel était le testament de Bertha – une douche froide en vérité. Les valeurs mobilières étaient de peu de valeur, les pâturages de la pénéplaine d’Allemagne du Nord n’avaient d’attrait que pour les vaches, de l’argent il n’y en avait guère, et la maison était vieille. » Une plongée dans l’Allemagne contemporaine et une famille haute en couleur. Entre stupeur et enchantement, la jeune héritière s’expose à une psychothérapie involontaire. En effet, en acceptant ce legs, Iris entame une flânerie dans un jardin buissonnant et sauvage qui ouvre un portillon vers un passé tumultueux et non sans surprises. Trois générations de femmes, trois époques, des mœurs qui évoluent mais des pommes, encore et toujours présentes. Iris est le personnage principal du « Goût des pépins de pomme » mais je n’ai pas ressenti pour elle une excessive proximité. Son rôle est comme dilué dans les événements du passé. Je l’ai d’avantage vue comme une clé de lecture de douloureuses cicatrices ou comme un témoin silencieux qui nous permet de nous glisser dans cette famille, plutôt que comme un personnage attachant et charismatique. Elle est tenaillée par d’angoissantes histoires d’enfants revenant en écho à ses oreilles d’adultes, tant et si bien qu’on a parfois envie de la bousculer. La galerie de personnages familiaux qui s’ouvre derrière elle, réhausse la tonalité en étant subtilement mystérieuse. Quelle ironie, la maladie d’Alzheimer est la pierre d’achoppement de la mémoire commune de cette famille allemande. Avec une prodigieuse délicatesse poétique, Katharina Hagena décrit sans détours cette maladie dont le nom n’est pourtant jamais évoqué. L’auteure Ce roman intimiste traduit de l’allemand par Bernard Kreiss (« Der Geschmack von Apfelkernen » dans la langue de Goethe) a une musicalité qui lui est propre. Il fait vibrer en chacun la nostalgie des nuits d’été. Un roman dans lequel on flotte paisiblement même s’il traite entre autres de la mort, de l’homosexualité, de la maladie et de l’oubli. Délicieusement narratif et parsemé de pépins, Katharina Hagena nous confie ici un premier roman à l’humour pince-sans-rire très british. Elle enseigne à ce jour les littératures anglaise et allemande à l’université de Hambourg, et fera sans aucun doute les beaux jours de la littérature allemande. Extraits « Tante Inga portait de l’ambre. De longs colliers de pierres d’ambre polies dans lesquelles on distinguait de minuscules insectes. Nous étions convaincues qu’ils secoueraient leurs ailes et s’envoleraient à l’instant même où la coque de résine viendrait à se briser. Le bras d’Inga était cerclé d’un gros bracelet jaune laiteux. Si elle portait ces bijoux faits d’une matière soustraite à la mer, ce n’était pourtant pas pour rester dans la note de sa chambre aigue-marine et de sa robe sirène mais, comme elle le disait, pour des raisons de santé. Bébé déjà elle envoyait à quiconque s’avisait de la caresser une décharge électrique, à l’ époque à peine perceptible, certes, mais l’étincelle était bel et bien là, et la nuit notamment, quand Betha lui donnait le sein, elle avait droit à une brève décharge, presque comme une morsure, ensuite seulement le nourrisson se mettait à téter. Elle n’en parla à personne, pas même à Christa, ma mère, qui avait alors deux ans et sursautait chaque fois qu’elle touchait sa sœur. » [1] « Les mains de ma grand-mère passaient sur toutes les surfaces lisses : tables, armoires, commodes, chaises, télévision, chaîne stéréo ; elles essuyaient ces choses, constamment en quête de miettes, de poussière, de stable, de restes de nourriture. […] C’était un symptôme de la maladie, tout le monde le faisait ici, avait dit à ma mère une aide soignante de la maison de retraite – le « home », comme cela s’appelait chez nous. Un établissement cauchemardesque. D’un côté, tout était organisé de manière pratique et fonctionnelle, d’un autre côté, c’était un lieu peuplé de corps qui, chacun à sa manière et à différents degrés, avaient, avaient été délaissés par leurs esprits. » [2] [1] Katharina Hagena « Le gout des pépins de pomme », éditions Anne Carrière (2010) p.43 [2] Katharina Hagena « Le gout des pépins de pomme», éditions Anne Carrière (2010) p.149 Les titres à rallonge ont quelque chose de fascinant Le titre est copieux et l’histoire est truculente. « Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » est un recueil de lettres écrites au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Leur point commun ? Juliet, jeune romancière fantasque, utopiste qui décide de farfouiller dans les cendres encore chaudes du passé. Leur thème ? L’île de Guernesey et ses habitants. Si on a pu attifer la guerre d’adjectifs tels que « drôle » ou «froide » celle des Guernesiais est incongrue. Avec cet ouvrage on ne ressasse pas, on ne retrace pas une énième fois les horreurs de 39-45, on découvre un nouveau genre de résistants. Le témoignage des insulaires fournit un nouveau point de vue sur cette guerre au sujet de laquelle on a déjà beaucoup lu. Ils aiment la littérature, la grande, et aussi la petite depuis longtemps ou depuis peu mais c’est une fenêtre vers l’extérieur. Isolés et têtus ils le sont, mais ils ne sont pas dépourvus d’auto-dérision et d’amour. On commence par esquisser un sourire et à s’enticher de Juliet et de ces fameux correspondants. Puis, on pouffe en parcourant les récits ubuesques des indociles de cette île. Puis, on rit à gorge déployée de leur ingéniosité et surtout de leur profonde humanité. Et enfin, on a la cornée humide en éprouvant la dureté de la guerre. Même les plus coriaces ne résisteront pas et verseront une petite larme, dans le métro, sur la plage ou où qu’ils se trouvent, tant on s’attache aux personnages. Les auteures : Mary Ann Shaffer et Annie Barrows ont la plume tendre et l’humour insolite. Tante et nièce à la ville, elles nous livrent une bien belle histoire, ni « nian-nian » ni intello, tout bonnement pétillante et profondément touchante. Restée coincée contre son gré à Guernesey, Mary Ann Shaffer nous communique au travers de ces pages iodées son affection géographico-littéraire pour l’île. Mary Ann ne vivra malheureusement pas suffisamment longtemps pour savoir à quel point son œuvre eut du succès. Éditrice, bibliothécaire puis libraire elle décède en 2008 peu de temps après avoir su que leur roman serait publié. Annie Barrows, écrivain pour enfants insuffle au roman un peu de la magie qui manque parfois au quotidien. Ce récit épistolaire ne souffre certainement pas des maux habituels propres à cet exercice. Cela faisait longtemps qu’une ribambelle de personnages de roman ne vous avait pas manqué comme un vieux groupe d’amis? Alors, si ça n’est pas encore fait, faites connaissance avec ces amateurs éclairés de rognures et vous sentirez à nouveau le vertige de la dernière page. Extraits [1} « 21 Janvier 1946 Cher Sidney, Voyager en train de nuit est redevenu un bonheur ! Finies les attentes de plusieurs heures dans les couloirs, finis les stationnements en voie de garage pour laisser la place à un train militaire ; et par-dessus tout, finis, les rideaux tirés du couvre feu. Toutes les fenêtres des habitations étaient allumées et j’aime me remettre à espionner, ça m’a tellement manqué pendant la guerre. J’avais l’impression que nous étions transformés en taupes, cavalant dans des tunnels séparés.» [2] « 5 Avril 1946 Chère Juliet, Vous devenez insaisissable. Cela ne me plaît guère. Je ne veux aller au théâtre avec personne d’autre que vous. J’essaie juste de vous déloger de votre appartement. Dîner ? Thé ? Cocktail ? Balade en mer ? Soirée dansante ? A vous de choisir. Je suis à vos ordres. Je me montre rarement aussi docile, ne gâchez pas cette opportunité de m’amadouer. A vous, Mark » [3] « 31 Mai 1946 Chère Miss Ashton, Miss Pribby m’a dit que vous vous intéressiez à notre récente expérience de l’occupation de Guernesey par l’armée allemande, d’où cette lettre. Je suis un homme discret et, néanmoins, au contraire de ce que prétend ma mère, j’ai connu mon heure de gloire. […] Je suis siffleur et pendant la guerre je me suis servi de ce talent pour mettre l’ennemi en déroute. » [1] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p25 [2] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p149 [2] Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, « Le Cercle des amateurs des épluchures de patates », NIL p256 Vous n’êtes pas d’oublier Aliide Truu… prêt Dressons rapidement le tableau. En toile de fond, des territoires ruraux et bucoliques piétinés sans détour, tour à tour par l’Allemagne d’Hitler puis l’URSS de Staline. Au milieu, des Estoniens et des Estoniennes qui survivent, luttent, se révoltent ou s’inclinent. C’est l’histoire d’une rencontre, une histoire de famille mais avant tout, l’histoire d’un pays balte: l’Estonie. Il plane sur ces pages l’ombre d’un autre monde, le bloc de l’Est. Rien de bien réjouissant en somme… Cependant ce livre est une petite merveille. L’écriture de Sofia Oksanen est brutale. On n’entre certainement pas dans l’histoire comme on entrerait dans une maison de famille douillette où l’on retrouve ses chaussons. On doit s’accrocher aux personnages, on se heurte à leurs destins chaotiques, on se bat pour recoller aux bribes de l’histoire de l’après-guerre. Et puis, avant qu’on ait eu le temps de s’en rendre compte, on est coincé dans le terrible engrenage invisible qu’on croyait pourtant propre aux polars. La narration est alternée et décapante, moitié à l’Est moitié à l’Ouest. Les chapitres ont des titres à rallonge aussi évocateurs que « C’est toujours la mouche qui gagne », ou « Aliide avale un lilas à cinq pétales et tombe amoureuse », ou encore « Un intérieure ». passeport, ça se met dans la poche Aliide et Zara, des prénoms pas communs, pour des héroïnes peu conventionnelles. Ces deux femmes que deux générations séparent ont en commun un destin bouleversé par la folie des hommes. Leur rencontre est un choc, quasiment une rencontre du 3ème type. Le face à face de ces deux femmes est un huis-clos oppressant. Au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps, on comprend la haine, la rage, la jalousie, la rancœur, la douleur et la peur. On assiste, impuissant, à la naissance d’un tyran malgré elle dans un pays déshonoré. Une tragédie moderne et puissante comme on en rencontre rarement. Aliide n’est pas une méchante au rire diabolique qui retentit jusqu’aux confins de l’enfer mais elle est implacable. Zara, elle, est innocente, peut-être aussi inconsciente. Alors, purge-t-on le bébé ? Oui c’est sûr. Jette-t-on le bébé avec l’eau du bain ? Sûrement pas ! L’auteur Sofi Oksanen écrit en finnois, son père est finlandais et sa mère estonienne, elle a peut être reçu de celle-ci l’amour de ces terres méconnues. Passionnée de Marguerite Duras, cette trentenaire ne fait pas mentir l’adage qui dit que « L’habit ne fait pas le moine ». La plume a beau être rigoureuse et le style recherché, Sofia Oksanen est une punk au look anticonformiste. Qui l’eût cru ? Prix Femina étranger en 2010 et véritable best seller, son troisième roman remue, secoue, bouleverse et fait découvrir une partie obscure de l’Histoire. Au même titre que le personnage de « Grenouille » de Patrick Süskind ou que le personnage Dexter de la série américaine éponyme, vous n’êtes pas prêt d’oublier Aliide Truu. Extraits « 1991, BERLIN La photo que Zara tient de sa grand-mère Sur la photo, deux jeunes filles étaient assises côte à côte et regardaient fixement l’objectif, sans oser lui sourire ? Leurs robes qui tombaient sur les hanches étaient un peu bizarres. L’ourlet de l’une des filles était plus haut à droite qu’à gauche.[…] Et tandis que Zara observait la photo, elle remarqua quelque chose qui lui avait échappé jusque-là : les visages des filles avaient quelque chose de très innocent, et cette innocence rayonnait sur leurs joues rondes jusqu’à elle si bien qu’elle se sentit gênée. » [1] « 1952, ESTONIE OCCIDENTALE L’odeur du foie de morue, la lumière jaune de la lampe L’odeur du chloroforme flottait par la porte. Dans la salle d’attente, Aliide se cramponnait à un numéro tout corné de Femme soviétique, où Lénine était d’avis que la femme, dans le capitalisme est doublement soumise, esclave du travail ordinaire du capital et du travail domestique. » [2] [1] « Purge » (2010) , p114 Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock [2] « Purge » Sofi Oksanen, édition la Cosmopolite chez Stock (2010) , p265 Berthet One: les bulles au delà des barreaux C’est lors d’ un passage en prison suite à un cambriolage, que Berthet s’est mis à dessiner pour raconter, non sans humour, son expérience carcérale. Après avoir été lauréat du concours de BD Transmurailles d’Angoulême, Berthet expose en grandes pompes à la Wild Stylerz Gallery et la galerie 3F à Paris. Depuis, le jeune homme multiplie les projets avec la jeunesse des quartiers populaires et fignole sa BD à paraître en octobre. Coup d’œil sur ce curieux faiseur de bulles qui emportent avec elles les clichés. Pourquoi une Bande Dessinée sur la prison ? Je me suis inspiré de ce que je vivais. C’est aussi un moyen de parler de choses que les gens imaginent autrement. Beaucoup se font des fantasmes sur la prison, les jeunes pensent que celui qui est allé en taule est un caïd. Au contraire, nombreux sont ceux qui en pleurent tellement c’est difficile… Je donne des informations qui éclairent sur le principe une planche de dessin/une histoire. La première case évoque toujours une vérité autour de laquelle je brode ensuite avec humour. Comment s’est passé ton séjour là-bas ? La prison n’est une chose souhaitable pour personne. C’est l’enfermement, l’isolement, la famille et les enfants qui manquent et surtout, c’est l’impuissance totale: si ta mère tombe malade par exemple, tu ne peux rien faire… Justement, dans ta BD, tu en parles avec humour alors que c’est difficile… J’aime bien rigoler ! L’humour est une arme redoutable qui permet que les choses passent mieux. J’utilise le rire pour dénoncer et m’éclater aussi. Comment t’es tu mis à dessiner? Je tiens le crayon depuis que j’ai 12 ans et j’ai dessiné jusqu’à 14 ans… Toujours à l’école. Mais lorsque l’on grandit, on fait des choix. J’avais des copains qui faisaient les 400 coups et ça leur apportaient de l’argent. À la fin du compte, ils avaient des Nike et moi des baskets deux bandes, ils partaient en vacances, moi non… Bref, j’ai vite réfléchi et j’ai fini par me laisser embarquer. Après, ça va vite. Au départ tu veux un vélo puis une moto, une voiture, un appart… Et plus ça va, plus les petites bêtises deviennent grandes… En arrivant en prison, j’avais envie d’utiliser ma peine à bon escient et j’ai donc repris mes études. J’ai passé mon bac et en retournant à l’école, j’ai repris mes petites habitudes : dessiner dans un coin du cahier. Un jour, j’ai crayonné le prof avec des dents de cheval et des oreilles de lapin. Un collègue l’a montré au professeur qui a aimé ! Il en a parlé à ses collègues et le dessin a circulé de main en main avant d’atterrir entre celles d’un surveillant qui a adoré et m’a conseillé d’en faire quelque chose… Tu prépares un autre projet autour de la banlieue. Peux-tu nous en parler ? Tout comme la prison, les gens se font des films sur la banlieue. Il s’y passe pourtant des choses superbes et personne d’ici n’en parle. On laisse ça à des gens qui ne sont pas d’ici, qui ont fait des études et qui viennent en parler… Ce sera l’histoire d’Abigaëlle, une nana qui vient de la campagne et qui vient poursuivre ses études en ville. Et en guise de ville, elle arrive en banlieue. Elle avait ses idées arrêtées et elle se rend compte qu’il y a plein de gens mortels ! C’était un moyen pour moi de mettre du melting-pot dans mes dessins : mélanger les cultures, les couleurs… On y retrouve Nadia et Fatou, deux nanas qui vont à la fac, qui ont un travail à côté et qui ont du mal à avancer dans la vie. Parce que c’est une réalité, un jeune de cité, avec un bac + 72, a moins de chance de réussir. Abigaëlle est moche. Elle a une vraie tête de vieille comme l’expression. Ceux qui ne connaissent pas l’univers de la banlieue apprendront à la connaître. En gros, ce que j’aimerais, c’est que la personne qui lira ma BD puisse se dire la prochaine fois qu’elle verra un mec en casquette, baskets et survêtement : « si ça se trouve, c’est un mec bien ». C’est rare de se mettre dans la peau d’un personnage féminin quand on est un homme, non ? Les gens s’attendent à un mec de banlieue qui crache et qui parle mal. Pour prendre le contre-pied, j’ai décidé de parler d’une fille qui vient de la campagne, qui va a l’école et qui est gentille ! Mais il fallait quand même qu’elle ait un super pouvoir: elle est super moche et elle peut avoir un sale caractère si tu la cherches ! C’est pour ça qu’ici, on est tous des Abigaëlle, garçons et filles… Si grâce à mes dessins, j’arrive à créer des ponts entre les mondes, je serai ravi. L’évasion, premier album de Berthet à paraître à le 17 novembre Berthet s’expose à la galerie 1161 du 13 octobre au 13 novembre ! Vernissage le jeudi 13 octobre à 18heures. En savoir plus sur Berthet Les mots pour le dire - Hervé Guibert Hervé Guibert, autoportrait Tandis que la treizième édition des Solidays bat son plein dans l’hippodrome de Longchamp, Hervé Guibert repose sous terre depuis vingt ans. Très connu pour être « l’écrivain du sida », l’homme qui a fait de sa maladie un documentaire – «La pudeur et l’impudeur » diffusé en 1992 à la télévision-, ce dandy gay subtil qui savait s’entourer des plus grands n’en est pas moins un génie brutal qui manie les mots avec virtuosité. Son œuvre mérite d’être sans cesse relue : « Et c’est vrai que je découvrais quelque chose de suave et d’ébloui dans son atrocité, c’était certes une maladie inexorable mais elle n’était pas foudroyante, c’était une maladie à paliers, un très long escalier qui menait assurément à la mort mais dont chaque marche représentait un apprentissage sans pareil, c’était une maladie qui donnait le temps de mourir et qui donnait à la mort le temps de vivre, le temps de découvrir enfin la vie, c’était en quelque sorte une géniale invention moderne que nous avaient transmis ces singes verts d’Afrique […] le sida, en fixant un terme certifié à notre vie, six ans de séropositivité, plus deux ans dans le meilleur des cas avec l’AZT ou quelques mois sans, faisait de nous des hommes pleinement conscients de leur vie, nous délivrait de notre ignorance.[1] » Et relue. «En regardant le paysage grisâtre de la banlieue parisienne défiler derrière la vitre du taxi, que je considérais comme une ambulance, et parce que Jules venait de me décrire des symptomes qu’on commençait d’associer à la fameuse maladie, je me dis que nous avions tous les deux le sida. Cela modifiait tout en un instant, tout basculait et le paysage avec autour de cette certitude, et cela à la fois me paralysait et me donnait des ailes, réduisait mes forces tout en les décuplant, j’avais peur et j’étais grisé, calme en même temps qu’affolé, j’avais peut-être enfin atteint mon but. [2]» Et re-relue. « C’est quand j’écris que je suis le plus vivant. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux, n’en déplaise à David, qui a été scandalisé par le slogan publicitaire : « La première victoire des mots sur le sida. » En m’endormant je repense à ce que j’ai écrit pendant la journée, certaines phrases reviennent et m’apparaissent incomplètes, une description pourrait être encore plus vraie, plus précise, plus économe, il y manque tel mot, j’hésite à me relever pour l’ajouter, j’ai quand même du mal à descendre du lit, à chercher dans le noir à tâtons la lampe de poche à travers la moustiquaire, ramper sur le côté au bord du matelas comme me l’a enseigné le masseur, et laisser tomber doucement mes jambes, jusqu’à ce que mes pieds rencontrent la pierre nue.[3] » Il s’est éteint depuis vingt ans et on y pense encore. [1] Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, Paris, 1990. [2] Hervé Guibert, A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Gallimard, Paris, 1990. [3] Hervé Guibert, Le protocole compassionnel, Gallimard, Paris, 1991. Michel-Ange au éléphants ... pays des Et si quelques semaines oubliées de la vie d’un des maestri de la Renaissance vous donnaient un éclairage nouveau sur son œuvre ? Si comme tout le monde vous ne connaissez de Michel-Ange que ses œuvres : le plafond de la chapelle Sixtine, le David de Florence ou la Pietà de Saint-Pierre de Rome, il est temps de faire connaissance avec l’homme. « Parle-leur des batailles des rois et des éléphants » est le récit de son escapade dans la capitale cosmopolite du monde Ottoman : Constantinople. Bien que les faits et personnages soient réels, ce que nous propose Mathias Enard n’est ni une autobiographie ni une fresque historique. Celui qui enseigne aujourd’hui l’arabe à l’université de Barcelone, nous offre un rêve. Un rêve étrange et pénétrant d’amour interdit et de sang mêlés où plane un envoûtant parfum d’Orient. Le roman commence à l’arrivée de Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni dans la ville où trône l’inébranlable Sainte Sophie. L’artiste italien est venu remplir une mission dans cette contrée bercée par les appels à la prière et l’ivresse charnelle des nuits roses. Une mission hautement symbolique qui fut un échec pour le grand Léonard de Vinci : la construction d’un trait d’union entre les deux rives de la ville. Dans les rues tièdes si loin du vent salé de l’Adriatique, Michel-Ange imprègne son art de cette culture rayonnante à la confluence de plusieurs civilisations. Ce conte nostalgique est un pont aérien vers les mystères d’une cité et les dessous d’un génie acharné. L’auteur. Féru d’arabe et de persan il dépeint fidèlement dans ce court récit la Constantinople esthète et européenne qui a su accueillir les catholiques. Européens chassés par des rois trop Mathias Enard démonte le mythe qu’était Michelangelo. Il construit un homme égaré, troublé, empêtré dans son siècle et contemplateur. Il s’approprie le personnage et bâtit une intimité simple entre le maestro et le lecteur. Pour finalement conquérir nos cœurs ! Mathias Enard transmet son amour contagieux du monde arabe dans un style lyrique et pragmatique. L’orientalisme et le tantrisme prégnants nous ramènent à son précédent roman, déjà chez Actes Sud, qui avait reçu le prix du Livre Inter en 2009 : « Zone ». »Parle-le leur des batailles des rois et des éléphants » a quant à lui décroché le Prix Goncourt des Lycéens (2010). Laurent Binet : "Pour que quoi que ce soit entre dans les esprits, il faut le transformer en littérature" On pourrait commencer en bonne ancienne élève de prépa, qui a bien lu son « Qu’est-ce que la littérature ? », et écrit d’interminables bafouilles dessus. On pourrait en rédiger des pages, sur le rapport que tisse l’auteur de HHhH* et Goncourt du premier roman avec la chose littéraire, avec la fiction et la réalité. On pourrait aussi lui demander, en fait. Entretien avec Laurent Binet. Dans HHhH, vous ouvrez le livre sur l’inutilité du personnage de fiction, en citant Kundera. Et en même temps vous soulignez l’impossibilié de s’attaquer réellement à l’Histoire, de la reproduire. Alors pourquoi et comment écrire ? En fait, pour que quoi que ce soit entre dans les esprits, il faut le transformer en littérature. C’est vrai que c’était un problème pour moi, sinon un regret. Mais disons que j’ai voulu voir si on pouvait changer ce principe qui fait qu’aujourd’hui, dans la tête des gens, littérature égale roman. Et c’est vrai que la fiction, c ‘est sa spécificité première. Mais le genre a une histoire très longue, qui a beaucoup muté. Du coup j’ai voulu voir si je pouvais raconter cette histoire comme un roman, mais sans recourir à la fiction. Soit en utilisant les outils offerts par le genre, qui ne se limitent pas à l’invention, mais qui permettent les effets de suspense, de style, etc. C’est pour ça que j’ai forgé ce concept d’infra-roman. Aviez-vous dès le début cette intention de vous prêter au jeu d’esquisser un nouveau genre ? Oui, c’est un fantasme d’écrivain un peu mégalo, j’imagine, de vouloir inventer. Inventer un nouveau genre ou révolutionner le genre ? Je ne sais pas. Peut-être que mon sentiment s’est infléchi en cours de route. Je crois qu’à la base j’avais une méfiance vis-à-vis du roman, mais des auteurs comme Kundera m’ont fait réfléchir au fait que le genre était assez complexe pour ne pas le cataloguer. On me posait souvent la question au début pourquoi il y avait écrit roman sur la couverture. Je disais que c’était un choix marketing. Mais finalement, je pense que le roman est un genre qui a encore de l’avenir, car il a cette formidable capacité à se renouveler, à se transformer. Du coup ça ne me dérange pas l’idée de me dire que j’ai fait un roman qui a aussi comme intention de renouveler le genre. Et pas un truc qui serait hors roman. J’assume, oui, d’avoir fait un roman ! Reste que vous semblez avoir un rapport complexe à la littérature, entre amour et méfiance… Disons que pour moi, la littérature est l’arme la plus puissante du monde. Ensuite il faut voir ce qu’on en fait. Ce que je lui reproche, et qui n’est pas forcément de sa faute, c’est d’être sacralisée. C’est-à-dire qu’au nom de la littérature on peut tout se permettre, tout faire. Pour moi ce n’est pas correct. Je suis contre toute forme de sacralisation. La littérature a quelque chose de beau, fort, puissant, mais aussi de dangereux, de plein de mauvaise foi, de défauts. Je ne suis pas déçu par la littérature, mais j’en ai une idée qui n’est pas celle qui est dominante aujourd’hui. Et l’Histoire, vous la sacralisez ? Je suis fasciné par le réel. Le fait de savoir que telle histoire est réellement advenue m’impressionne plus qu’une histoire fictive. Qui me plaira pour d’autres raisons. Pour moi l’Histoire est une plusvalue du réel. Même si je pense que, sans être une construction, elle est au moins une reconstruction. Et que la grande Histoire est faite de petites histoires. Sans qu’elle soit une fiction. Je crois vraiment que Heidrich est mort comme ça, même si j’ai pu faire quelques petites erreurs à la marge. Mais alors comment est-ce qu’on approche l’Histoire quand on est écrivain ? Je crois que non seulement on a le droit, mais le devoir, de l’approcher. Mais il faut le faire avec circonspection, avec humilité et honnêteté. C’est sûr que c’est un cahier des charges compliqué. D’une manière générale, je ne veux pas parler de l’Histoire comme d’un scénario, comme de quelque chose que j’aurais inventé. En plus dès qu’on touche à la deuxième guerre c’est encore plus sensible. Quand on vous lit, on a l’impression parfois que vous êtes cet auteur fictif dont parle Borgès et qui essaie de réécrire le Don Quichotte mot à mot, sans y parvenir. C’est marrant que vous disiez cela, car à un moment dans mon livre, je disais que je me sentais comme un personnage de Borgès, mais cela n’a pas été gardé. Donc en effet, la problématique Pierre Ménard, c’est quelque chose que j’ai vécu ! Avec la peur d’avoir l’impression à la fin de ne pouvoir que recopier des documents historiques. Pour continuer avec Borgès, il écrit sur Le Livre de sable, qu’il a voulu « conjuguer avec un style simple, parfois presque oral, un argument impossible ». Votre démarche ne se rapproche t-elle pas de cette vision ? C’est vrai, c’est assez proche de ma conception du naturel. Pour moi le naturel de l’écriture a à voir avec une forme de réalité, relative évidemment. Là encore une fois c’est peut être un goût personnel, mais je pense qu’il vaut mieux éviter trop d’effets de manche, trop d’effusions lyriques, auxquelles je cède dans certains chapitres d’ailleurs. Si vous voulez, ce relâchement était aussi un moyen de conjurer le risque de la grandiloquence dans laquelle on peut facilement tomber avec un sujet pareil. Le risque de tomber dans la grandiloquence et dans l’effet de réel, que vous dénoncez. Mais en même temps, vous le reproduisez un peu dans votre livre, par votre présence. Vous êtes la caution qui rattache au réel. Sauf que l’effet de réel c’est inventer un épisode qui a priori ne sert à rien pour donner l’impression que c’est vrai. Dans HhhH, les éléments d’ambiance ne sont pas inventés. Je conçois qu’il y ait des gens qui ne voient pas la différence. Mais pour moi savoir que sur le bureau du président tchèque en exil il y avait un petit speed flyer en étain, ce que j’ai vu en photo, ça m’intéresse beaucoup plus de lire ça, sachant que c’est vrai, plutôt que de lire la même scène, conscient qu’il s’agit uniquement d’un effet. A ce moment-là, je préfère même qu’on n’en parle pas, qu’on me dise juste qu’il est dans son bureau, que je m’imaginerai comme je veux. Quel rapport avez-vous du coup avec des ouvrages comme ceux de Bukowski, qui mettent en scène un personnage – ici Chinaski – qui est une sorte d’avatar de son auteur ? Là ça me plaît, parce qu’il y a un jeu, il y a une dimension ludique. C’est la fiction qui joue à plein de sa supériorité sur la réalité, qui est dans le récit de ce qui est fantastiqiue, impossible, de ce qui est irréel. Mais quand elle se contente d’être une pâle copie du réel, ça ne m’intéresse pas. Même si elle peut être tirée jusqu’à la perfection ! Ce que je déteste vraiment c’est le roman réaliste psychologique. C’était intéressant à l’époque, mais il faut arrêter avec ça maintenant. Est-ce que le rapport entre la réalité et la fiction est un thème que vous souhaitez encore explorer ? Oui, ce sera du coup la problématique de mon prochain livre. Sauf que là, j’ai eu envie d’aborder ça sous l’angle opposé, celui de la fiction. Ca se passera dans les années 80. Dans HhhH j’ai vraiment essayé d’être transparent, de faire participer le lecteur à mes doutes. Dans mon nouveau roman, il s’agira plus d’un jeu de chat et de souris. Mais pour moi c’est deux traitements différents d’une même question. Quelque chose qui m’a vraiment intéressé sur ce thème, ça a été le film de Quentin Tarentino, Inglorious Basterd : la première scène est une réécriture de Il était une fois dans l’ouest qui est absolument magistrale. C’est tellement intelligent, notamment parce que ça a ce parti pris de réflexivité : Tarentino s’appuie toujours sur l’histoire du cinéma pour donner sa vision de ce qu’est le cinéma. Ce que j’aime dans le roman moderne – depuis Don Quichotte en gros – c’est que c’est un genre qui passe beaucoup de temps à réfléchir sur lui même, sur ce qu’il est, et à se poser des questions sur son existence. Et ça je trouve que c’est très bien. Cela implique tout une réécriture incessante et une réflexion sur cette réécriture. J’adore ça, parler d’autres films et romans quand moi j’écris une histoire. Finalement, quand vous réfléchissez à votre travail, à votre démarche, vous vous sentez plutôt écrivant ou écrivain ? Ecrivant. Socialement, statutairement, j’ai toujours pensé qu’écrivain est un métier comme un autre, même s’il peut être plus cool qu’un autre. On peut se dire écrivain à partir du moment où ça devient notre occupation principale. Mais le problème c’est la mythologie qui est charriée par ce terme, et qui me déplaît globalement. C’est comme la littérature, il y a une sacralisation du statut qui me déplaît. Dans l’art en général. C’est grotesque de dire « Je suis un artiste », je trouve. Le mot écrivain est un peu touché par ce ridicule là. Derrière, on sent qu’il y a une telle posture. Alors après évidemment, je suis quand même sensible au fait que ce prestige rejaillisse sur moi, c’est flatteur. Mais qu’on en parle franchement. Ce que je déplore, c’est qu’il y a beaucoup de livres qui font semblant de parler d’autre chose, mais qui en fait ne font que ça, viser le « Regardez comme je fais de la littérature ». Quand on attaque Angot, sa réponse est « C’est la littérature qu’on assassine ». Elle s’en sert comme d’une arme à tous les niveaux. Mais c’est vrai que ce n’est pas toujours facile. Moi qui ai fréquenté simultanément le milieu de l’éducation nationale et de l’édition, je peux vous dire qu’on n’est pas traité pareil, c’est le jour et la nuit ! C’est parfois dur de ne pas devenir complètement mégalo ! *HHhH a été publié chez Grasset. Le livre revient à la fois sur l’histoire de l’opération Anthropoïde, tentative d’assassinat par le gouvernement tchèque en exil du « cerveau d’Himmler », Reinhard Heydrich. Et sur la difficulté de raconter l’Histoire sans se laisser dépasser par la fiction. Efraim Medina Reyes : « Ecrire, c'est aussi laisser les choses derrière soi, comme on sortirait les poubelles d'une maison » « Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer » est le Bildungsroman hallucinant et halluciné, sous acide, d’Efraim Medina Reyes, auteur originaire de Ville Immobile a.k.a Carthagène, Colombie. De ces romans, qui te brûlent les doigts rien qu’à les toucher, tant les mots sont incandescents. Frappée, tu le dévores en une nuit. Le matin venu, la plume d’Efraim Medina Reyes t’a laissé fiévreuse, un poil tourmentée mais repue. C’est donc avec un peu d’appréhension que je m’apprête à rencontrer la « Bête », auteur de ce trip éveillé. Une heure durant, il répondra avec calme et beaucoup d’humour. Extraits. Commençons par le début. Tu pourrais me raconter ta rencontre avec la littérature ? La littérature, c’est elle qui m’a trouvée. J’ai grandi dans un contexte où ces choses-là n’avaient pas d’intérêt. Je me suis d’ailleurs d’abord intéressé aux sciences. J’ai même étudié la médecine. Ma relation avec l’art s’est longtemps résumée à la musique. C’est un élément important de ma culture. A l’âge de 21 ans, je suis tombé en dépression et ai été hospitalisé parce que ma situation psychologique était incontrôlable. J’ai pris beaucoup de médicaments. Mon psychiatre m’a alors offert quelques livres. Il pensait que ce serait une bonne idée que je lise. J’avais des problèmes d’insomnie, à l’époque. Il me les a donnés comme des somnifères. Un peu comme on donnerait de la dope à un sportif. Parmi ces livres, il y avait « Le métier de vivre » d’un auteur italien, Cesare Pavese. Le psychiatre n’avait pas dû le lire. Pour un dépressif, ça peut être un livre dangereux. A la fin du livre, l’auteur dit que ce n’est plus la peine. Trois jours après, il se suicide. Curieusement, le livre de Pavese a eu un effet extrêmement fort et bénéfique sur moi. Je me suis relaxé. Et après l’avoir lu, j’ai pu dormir une dizaine d’heures d’affilée. Comme ça a marché, tout le monde a commencé à m’offrir des livres. De tout et n’importe quoi. Et je lisais tout. Je consommais. Peu importe. Ma mère allait m’acheter des livres. Elle ne connaissait pas grand-chose à la littérature : elle me prenait juste les plus gros. Ce qui est très ironique, c’est que je me suis mis à lire tellement que j’ai fini par abandonner mes études de médecine. Au grand désespoir de ma mère qui, du coup, a voulu me soigner de la littérature. Et un peu comme l’homme qui au bout de plusieurs années de vie commune avec une femme, finit par l’épouser, je suis devenu écrivain. Et ça correspondait à quelle période? Si je me souviens bien, la première fois que j’ai écrit, c’était pour dire à une fille que je l’aimais. Une actrice de théâtre. C’était mon premier écrit: une lettre de quarante pages! Et elle n’a dû lire que les quinze premières parce que je n’ai jamais eu de réponse. J’ai donc commencé par un échec. En tant qu’écrivain mais aussi en tant que séducteur. Justement, la notion de l’échec dans ton oeuvre me fascine beaucoup. Dans ton dernier roman, la boîte de production s’appelle « Fracaso Limitida ». Le label que tu as créé « Fracaso Records ». Le titre, le cœur même du livre raconte un échec amoureux – « fracaso » en espagnol. C ‘est une obsession? J’ai grandi dans un quartier très difficile, très pauvre et aussi, très violent. Les gens ne mourraient pas de faim. Mais ils n’avaient absolument rien. Il n’y avait pas de place pour l’ambition. Avec mes amis, notre passe-temps préféré se résumait à chasser des gringas à la plage, et attaquer des gringos sur les remparts. Avec ces amis, j’ai eu envie de monter un groupe de musique. Ca ne les intéressait pas vraiment. Mais je suis très têtu. J’ai réussi à les convaincre. Aucun d’entre nous n’avait vraiment de connaissances musicales. Mais en Colombie, si tu demandes à quelqu’un dans la rue, tu peux m’emmener sur la lune, il ne te dira jamais non. Il te répondra qu’il va essayer. On s’est donc lancés, avec un talent plus que bancal. Le nom de notre groupe en a découlé: 7 Torpes. Les sept maladroits. Alors qu’on n’était que trois. Un peu comme les sept plaies d’Egypte ? Mais oui, certainement! (Rires). On a joué dans des bars. Le patron nous faisait jouer à la fin parce que ça correspondait au moment où il avait envie que les gens s’en aillent. Notre premier enregistrement sur cassette – il y en avait 30 copies, on l’a intitulé « Chansons médiocres ». On a dû en vendre 9. Comme ça devenait une petite entreprise, on a décidé de lui donner un nom: Fracaso Limitada. Notre slogan: « Là où il y a un échec, nous sommes là ». Même quand ça a commencé à marcher, j’ai voulu garder ce nom parce que pour moi, c’est comme une manière de me protéger. Dans cette devise, j’y ai trouvé un peu ma manière d’ « être » au monde. Et tu te considères d’abord en tant que musicien ou en tant qu’écrivain? Ou aucun des deux? Quand on me propose un travail, j’ai pour habitude de répondre que je ne sais rien faire. Mais j’ai une façon bien à moi de ne pas savoir faire. A mon sens, il n’existe pas de disciplines, d’arts ou de gens différents. Mais juste des langages. Ce qui m’importe, c’est d’ « exprimer » mon langage. Quelque soit le medium. Je pourrais tout aussi bien le faire en étant serveur dans un restaurant. C’est quelque chose qu’on retrouve dans ton œuvre. Dans le roman, il y a plusieurs couches de narration, comme plusieurs angles cinématographiques. Plusieurs chapitres, plusieurs arts représentés. Tu sous-titres ton roman « musique des Sex Pistols et de Nirvana ». C’est un concept? Parler de littérature, c’est obsolète. C’est comme les Italiens qui adorent le tango, en ce moment. C’est absurde! Je ne suis pas un écrivain au sens de la littérature. Je suis un écrivain au sens d’écrire. Ce qui m’importe, ce n’est pas la littérature mais écrire. Si je pouvais, j’utiliserais les mots comme des artefacts, des legos pour créer des structures. Écrire « pour » la littérature, ça reviendrait à apprendre le tango. Il faudrait apprendre les mouvements, mais aussi les émotions. Comme si c’était quelque chose qu’on pouvait transmettre. A Rome, j’ai déjeuné un jour avec deux fans de tango. La fille n’a pas voulu s’asseoir sur sa chaise parce que ça ne correspondait pas à une posture de tango. Au fond, c’est comme si elle était dans un cercueil. Si j’écrivais « pour » la littérature, je serais aussi dans un cercueil. Dans ton dernier roman, le héros Big Rep te ressemble furieusement. Est-ce ton double ou personnage purement fictionnel ? La réalité est absurde. On ne peut pas faire de la réalité un langage. C’est pour cela qu’il faut fictionnaliser la réalité pour la rendre langage. J’ai eu une existence absurde. La seule chose qui puisse me faire du bien, c’est de faire du réel un objet littéraire. Un auteur ne peut pas être un seul personnage puisqu’il les a tous créés. Il y a quelque chose de moi dans chaque personnage. Si j’ai été Rep un jour, je ne le suis plus. Ca appartient au passé et n’existe plus aujourd’hui. Écrire pour moi, c’est aussi laisser les choses derrière moi, comme on sortirait les poubelles d’une maison. Il était une fois l’amour mais j’ai dû le tuer d’Efraim Medina Reyes, à 13e Note Editions. Disponible dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre. Merci à Jeanne Chevalier, co-traductrice du roman et à Isabelle Louis, les anges gardiens de cet entretien! Et bien sûr, Efraim! La couleur de l’aube est rouge sang – Yanick Lahens Depuis longtemps, Haïti fascine. Quand la terre tremble, quand l’Etat capitule, lorsque les hommes se battent pour vivre mieux ou pour vivre seulement… Port-au-Prince et ses habitants suscitent l’intérêt jusque dans la richesse de sa littérature. Comme nombre d’auteurs haïtiens autour d’elle, Yanick Lahens puise dans son quotidien la matière dont ses livres sont faits. « La vie tue d’abord les cœurs purs » . Au départ de l’histoire, un drame. Angélique et Joyeuse découvrent un matin que leur jeune frère Fignolé n’est pas rentré. Leur mère aussi a vu le lit fait. Militant déçu du « Parti des démunis », rêveur et musicien, il est une proie facile pour la rue. Dans un contexte apocalyptique, cette disparition est des plus inquiétantes. Les émeutes sanglantes de la veille, auxquelles il semble avoir participé, laisse présager le pire. En trente courts chapitres, incroyablement fluides et poétiques, vont s’alterner les voix de ces deux sœurs qui nous présentent, chacune à leur manière, un quotidien misérable où règne pourtant en maître le désir de survie. Portraits. Angélique est une fille-mère de trente ans qui traîne son buste droit du banc de l’Eglise aux couloirs de l’hôpital dans lequel elle travaille. Soucieuse mais contenue, brisée mais droite, elle tente de faire vivre sa petite famille en repoussant tout ce qui pourrait agrémenter son quotidien. Sa sœur cadette, Joyeuse, représente l’engouement, la joie et la vitalité. Elle occupe une place prisée dans un petit magasin luxueux du centre ville. Grâce à son oncle, elle a pu suivre des études qui l’ont aidée à se faire une maigre place dans la société haïtienne. Dévorée par l’ambition, révoltée par son quotidien, elle contient difficilement sa colère et sa rage en toute circonstance. Contrairement à sa sœur, elle rejette toute forme d’autorité, qu’elle soit politique, culturelle ou religieuse et joue du rapport de force qu’elle instaure entre elle et les hommes par sa beauté. Toutes les deux vivent encore sous le toit de leur mère, une vieille femme que le poids des malheurs commence à voûter mais qui résiste à l’âpreté du quotidien. Pendant la journée, chacun mènera l’enquête à sa manière : Angélique la raisonnable porte plainte auprès du commissariat et se heurte à l’incompétence des fonctionnaires dans un pays en faillite. Joyeuse fouille les affaires de Fignolé et trouve une arme, un papier avec des coordonnées téléphoniques et le nom d’Ismona, l’amoureuse de Fignolé. Mère cherche dans les rites vaudous et l’évocation des esprits les réponses que la réalité lui refuse. Si la mort de Fignolé plane sur chacun d’entre eux, aucun ne renonce à trouver la pénible vérité. Parce que se battre, c’est vivre encore. Et qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Une mosaïque douloureuse. Dans ce second ouvrage de l’écrivaine Yanick Lahens, les personnages n’ont pour seule réalité que les sentiments qui les animent. Mais ceux-ci ont maintes et maintes fois été partagés par les Haïtiens et prennent tout leur sens lorsqu’il s’agit de parler du quotidien de l’île. Dans sa manière de peindre une société en difficulté, où vivent des hommes tantôt vaillants, tantôt vaincus, elle s’inscrit parfaitement dans une longue tradition de littérature afro-caribéenne. Réalistes et éprouvants, ces propos sont riches d’une langue soignée, d’un rythme maîtrisé et d’une orchestration du récit parfaite. Il y a Gabriel, l’enfant innocent déjà devenu le témoin silencieux de la violence du monde dans lequel il vit, Ti-louze, la bonne noire, battue pour n’être que ce qu’elle est, John, le jeune blanc arrogant et prétentieux, porteur de toute la morale occidentale et tout aussi incapable que les autres d’apporter des solutions concrètes aux problèmes quotidiens, Mme Jacques la riche patronne de la boutique dans laquelle travaille Joyeuse, qui illustre parfaitement la classe supérieure méprisable de l’île, Lolo la jeune courtisane intéressée par « l’argent qui ouvre les frontières »… L’auteure. Malgré sa triste réputation de pays pauvre et désorganisé, l’île d’Haïti a une longue tradition littéraire. Elle est riche d’une grande communauté d’auteurs en diaspora, telle que Dany Laferrière ou Louis-Philippe Dalembert, et regorge d’écrivains qui témoignent des réalités de leur île de par le monde. Yanick Lahens appartient à cette catégorie de la population soucieuse de témoigner de son histoire quotidienne, des aspirations déçues de sa jeunesse et de l’incroyable vitalité qu’elle abrite néanmoins. Née en Haïti en 1953, elle a effectué une grande partie de son parcours scolaire en France avant de retourner s’installer à Port-au-Prince où elle a travaillé comme universitaire, conseillère du Ministère de la Culture et écrivain. Comme le disait le poète haïtien René Depestre avant elle, « La littérature haïtienne est « au bouche à bouche avec l’histoire » ; dégager la création littéraire de la vie politique de l’île quel que soit le stade de l’histoire d’Haïti observé, n’est pas chose facile, tant la première se nourrit de la seconde, y trouve souffle et inspiration. Et jusqu’à la dernière page de ce livre, on respire avec eux. Yanick Lahens , La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008 Extraits: « Le quartier de tante Sylvanie est à la limite de plus pauvre encore que lui. Parce que dans cette île, la misère n’a pas de fond. Plus tu creuses, plus tu trouves une autre misère plus grande que la tienne. Alors entre Sylvanie et ce qui n’a pas encore de nom, il n’y a qu’une eau prisonnière. Gonflée de limon et de boue. A faire remonter vos viscères en boules nauséeuses. Là-bas, de l’autre côté, là où les vies tiennent en équilibre entre les pelures de tout ce qui se mange, les cadavres d’animaux, les incontinences des vieillards, les visages poisseux de morve des enfants et l’eau aigre que rejettent les estomacs affamés. A côté des chiens et des porcs, surgissent souvent des silhouettes sinistres. Le dos voûté, elles se mélangent aux bêtes. Quand elles ne leur disputent pas les restes, elles fouinent furtivement à leurs côtés dans la puanteur et la pourriture des immondices. » [1] « Quand en fin d’après-midi, il est revenu à la maison, un poste de télévision posé sur la tête, je l’ai vertement réprimandé. […] Et à mesure que ma colère s’endormait, j’ai regardé Fignolé avec une admiration qui m’a moi-même surprise. Au fond de moi un feu étrange s’est mis soudain à crépiter. Et j’ai senti qu’il crépitait parce que je l’approuvais. Oui, je l’approuvais. Je compris ce jour-là qu’il y a de quoi devenir méchant quand on est asservi. Quand la vie est sans issue pour vous et tous ceux qui vous ressemblent depuis le commencement du monde et qu’un homme, un jour, une fois, vous indique une sortie. Alors si étroite, si basse, si sombre soit-elle, vous vous y engouffrez. Tête baissée. Et j’ai baissé la tête. » [2] [1] Yanick Lahens, La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008, p. 50. [2] Yanick Lahens, La couleur de l’aube, Sabine Wespieser, Paris, 2008, p. 59. Salon du Livre Jeunesse – Des invitations à gagner ! La 26ème édition du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse ouvre ses portes pour une semaine à partir du 1er décembre. A cette occasion, Arkult vous offre des invitations pour découvrir et redécouvrir toutes les animations proposées à l’Espace Paris-Est-Montreuil. Et autant vous dire que le programme de cette nouvelle édition est riche et varié : des centaines d’exposants et des milliers de livres en tout genre une grande librairie européenne de jeunesse une immense exposition sur le thème des princes et princesses un festival de cinéma d’animation des rencontres, des lectures, des ateliers des parcours et des prix littéraires une journée professionnelle et des formations et de nombreux autres rendez-vous avec la littérature jeunesse Pour gagner une invitation, il vous suffit de nous envoyer un mail à l’adresse contact[at]arkult.fr en répondant à la question suivante : Combien d’auteurs et d’illustrateurs ont participé à l’édition 2009 du salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil ? Indice ici. Le site de la 26ème édition du Salon du Livre et de la Presse Jeunesse. Bonne chance et à bientôt au Salon et sur Arkult ! La Porte des Enfers, Laurent Gaudé La Porte des Enfers La mort est sans doute le dernier refuge de la religion dans nos sociétés contemporaines. La mainmise sur la cellule familiale s’estompe peu à peu, les positions d’une grande partie de l’Eglise sur la sexualité de la société semble anachronique. La vie sur Terre n’est quasiment plus considérée comme un passage obligé avant d’atteindre un autre monde, on a vu ainsi se développer des sociétés entières basées sur le désir, la consommation, la jouissance quotidienne et polymorphe. Mais la mort reste propriété de l’Eglise. Les cimetières ne sont-ils pas les derniers lieux à connotation religieuse qui subsistent dans nos sociétés, aux côtés des lieux de culte ? Ils représentent d’ailleurs un culte à eux seuls : le culte des morts. C’est à ce culte qu’est consacré le roman de Laurent Gaudé, La Porte des Enfers. Au commencement est un enfant, Pippo de Nittis. Jeune Napolitain, du haut de ses 6 ans, il a toute la vie à découvrir. Et pourtant, c’est sa vie qui va brutalement le quitter, un matin de marché, dans les rues animées de Naples. Un matin de marché ordinaire. Un matin où il craint d’être en retard à l’école. Un matin. Naples. Des règlements de compte. Des échanges de tirs. Une balle perdue. Un enfant. Pippo. Cette vie qui s’achève prématurément laisse Matteo et Giuliana désemparés. Ensemble et pourtant si seuls. Aucune communication n’est plus possible entre eux. Le spectre de leur fils se dresse désormais comme une véritable barrière dans leur couple. Chaque regard qu’ils échangent, chaque parole qu’ils souhaiteraient prononcer viennent se heurter à la vision de leur enfant mort. Seules deux choses pourraient les réunir à nouveau : que leur fils leur soit rendu, ou que leur vengeance soit consommée. Décor posé. Le moment est venu de plonger dans l’aventure. L’auteur joue avec les nerfs et les émotions de son lecteur. L’atmosphère étouffante, la chaleur, la puanteur, la saleté. Dans la lignée de L’Etranger et de La Peste de Camus, du Soleil des Scorta et de La Mort du Roi Tsongor du même Laurent Gaudé, le lecteur est opprimé, il suffoque. Il ne reprend son souffle qu’une fois le livre terminé, l’histoire achevée, les secrets enfouis dans un oubli volontaire. Et pourtant, dès que l’occasion se présente de replonger dans les univers oppressants que dépeint Laurent Gaudé, je ne peux m’empêcher d’y aller à pieds joints ! Et toujours sans le moindre regret ! Laurent Gaudé, La Porte des Enfers, éditions Actes Sud Acheter ce livre sur PriceMinister Sniper, Pavel HAK Confessions d’un tireur embusqué. Récits des exactions commises en toute impunité aux enfants, aux femmes, aux hommes, aux vieillards. Témoignage d’un groupe de fuyards, bravant les dangers naturels et humains pour se soustraire à la terreur environnante. Trois points de vue qui se complètent dans le deuxième roman de Pavel HAK, et qui plongent le lecteur au cœur d’une guerre civile qu’on ne s’imagine que trop bien. Elle n’est jamais localisée précisément, et pourtant, tout nous semble limpide, tant l’actualité des dernières années remonte facilement dans l’imaginaire collectif. Et avec elle, remonte également un goût amer dans la gorge du lecteur, un dégoût franc vis-à-vis de l’homme et du champ de ses possibles dès lors qu’il est autorisé, plus ou moins sciemment, à plonger dans l’horreur et la terreur et laisser libre cours à son imagination pour asseoir sa domination sur ses semblables en prétextant, qui d’une religion supérieure, qui d’une couleur de peau dominante, qui de mœurs étrangères et impures. Parfois à la limite du supportable tant la description des supplices se veut réaliste et variée, ce roman pose la question de la nature humaine et de la soumission de l’homme , des excuses qu’il se crée pour s’autoriser à battre ses semblables, les piéger, les torturer, les exécuter, les anéantir. La crainte qui naît dès les premières pages du récit se trouve bien vite affirmée et confirmée : l’homme ne connaît pas de limites dès qu’il est assuré – par ses supérieurs, par une doctrine, par ses gouvernants, par ses semblables – de faire le bien et surtout de se voir garantir une impunité totale, tant l’œuvre qu’il accomplit est sensée et contribue à la prospérité des valeurs auxquelles il croit ou est forcé de croire. Ce récit redonne, paradoxalement, espoir en la nature humaine, en sa capacité à résister, à défendre ses opinions, même si ce comportement est directement synonyme de mort. Héroïsme lyrique, romantisme de bas étage, ou courage devant l’adversité, optimisme illusoire certes, mais ô combien glorieux. A travers ce livre s’affirment ainsi le combat pour la liberté, l’affranchissement face au pouvoir militaire, face au pouvoir de la terreur. Pavel HAK, Sniper Acheter Sniper sur PriceMinister J'abandonne aux chiens (et aux autres) l'exploit de nous juger Sale. Violent. Incompréhensible, voire intolérable. Expulsons tout de suite ces adjectifs qui ont effleuré (presque) tous les lecteurs dès les premières pages de ce livre. Pas de doute, il s’agit bien d’une histoire d’amour comme l’annonçait la quatrième de couverture. Mais l’amour n’exclut pas l’inceste, accrochez-vous, ça va vous remuer les tripes. Sarah, dix-sept ans et des poussières, rencontre son père pour la première fois. Fruit d’un amour de jeunesse bâclé, elle est une étrange surprise pour Benoît, architecte à Londres. Elle n’est plus une enfant et il n’est pas un père. Entre « celle qui pensait ne pas l’aimer » et « celui qui ne savait pas qu’elle existait », l’attraction est immédiate. Au fil des rencontres, ils apprennent à se découvrir, au sens propre comme au figuré. Commence alors un étrange voyage, en dehors des limites, qui sonne comme une chanson de Brel. Beau mais triste, juste mais sulfureux. Il mènera le lecteur de Stockholm à Paris, de la rue au lit et de l’amour à la mort. Furieusement biographique, ce récit nous offre de nombreuses parenthèses littéraires, historiques et psychologiques qui nous changent des habituelles niaiseries amoureuses. « Mais ces deux déchirés Superbes de chagrin Abandonnent aux chiens L’exploit de les juger » Jacques Brel, Orly Paul M. Marchand, l’auteur Grand spécialiste de l’indicible, Paul M. Marchand est plus journaliste qu’écrivain. Reporter de guerre, englué dans l’horreur du Liban et de la Bosnie, il a raconté les conflits en choquant tant par ses actes que par ses paroles. Provocateur par nature dans les années 90, il n’hésitait pas (par exemple) à écrire sur sa voiture « I’m immortal » à l’attention des snipers de Sarajevo. Malgré l’avertissement, c’est une balle qui le forcera à rentrer se soigner en 1993. Mais rien n’arrêtait ce dandy des ruines. Ni guerre, ni société, ni convenances. Rencontrer une jeune fille meurtrie par la disparition de son amour, faire le récit de son histoire quelques années plus tard n’était finalement, pas si compliqué que ça. Dérangeant tout au plus. Mais les combats ont besoin de l’être. Là où l’écrivain double le journaliste, c’est dans le choix des mots et l’organisation du récit. Elle est jeune et brillante. Il est son amant et son père biologique. Elle l’aime et elle vous emmerde. Il en meurt. Dans les trois premières pages, vous avez tout compris. Ce qui ne rend pas moins délicieux la suite du livre. Au fond, seuls ceux qui aiment « le goût du vinaigre » comprendront et Paul M. Marchand s’en moque. Jusqu’à son suicide, en 2009, il n’a eu de cesse de mettre en scène ces petites vérités en marge, qui dérangent les bien-pensants. Pour lui, les frontières sont faites pour être déplacées, les interdits interrogés et les libertés conquises. Sans personne pour les énoncer, les combats n’auraient pas lieu d’être. Celui de Sarah et Benoît n’en est qu’un parmi tant d’autres et il a le mérite d’être expliqué. Extrait : « Être homosexuel était considéré comme une maladie et comme un délit, même un crime chez les plus bornés des obscurs … » J’ai détaillé toutes les persécutions, les traques, le cortège vertigineux mais ordonné des châtiments, la sainte ivresse de tous les bien-pensants dans les représailles orchestrées ; et surtout et par-dessus tout l’arrogance imbécile de ces primates convaincus de leur bon droit dans la chasse aux « déviants » et autres « pervertis », et aussi la « Nature », la « Bonne Morale » appelées en renfort, échos de leur rigorisme, de leurs peurs et de leurs haines scélérates. Après le temps des murs rasés, de l’échine courbée, était arrivé celui de la difficile bataille pour la reconnaissance de la différence, avec ses excès et ses dérapages nécessaires, et enfin, pour finir, la lente acceptation d’une diversité tout bonnement humaine. Je riais encore de plus belle, j’étais heureuse, alors j’ai fait l’intelligente, une brève réminiscence de mes cours de philosophie, et j’ai lancé à travers la porte un truc de Brecht: « Je suis contre toute réglementation dans une porcherie. » Paul M. Marchand, J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, Grasset , 2003.