La Loire - Thoba`s éditions
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La Loire - Thoba`s éditions
La Loire un fleuve de vins “La Loire, navigable depuis Roanne jusqu’à l’Océan, traversant le royaume sur un cours de deux cents lieues, peut recevoir les vins du Languedoc, du Lyonnais, Beaujolois, Mâconnois, ceux de Renaison, du Bourbonnois…” Mémoire de Balthazar-Jean-Pierre Girard-Labrely Secrétaire des Etats du Mâconnais, 1780 Préface Habitant depuis toujours sur le bord droit du fleuve, à 200 mètres à peine de son lit, bercé par son charme, affolé de ses colères, je croyais tout savoir de lui. Elevé dans ma plus belle enfance à l’ombre proche des Côtes du Forez, j’ai appris très tôt, aux côtés de mon grand-père, le respect de la vigne et du labeur des hommes. Mais je ne soupçonnais même pas qu’il y ait eu un temps, et même longtemps, des vins sur la Loire… destination Paris. Dans cette ville de Saint-Just-Saint-Rambert, située de part et d’autre de l’eau, le fleuve est bienfaiteur. Il a donné des émotions et du travail aux riverains. Il a permis l’essor de ce pays rugueux. Les “rambertes” étaient fabriquées là, sur la rive gauche, à Saint-Rambert-sur-Loire, pays des bâtisseurs, et partaient d’ici, de Saint-Just -sur-Loire, de l’autre côté, pays des mariniers. Plus personne aujourd’hui n’a connu cette époque, mais chacun peut véritablement se souvenir. En effet, la Madone des Mariniers, la rue de la Marine, le chemin des Bateliers ou encore la rue du Grand Port ou du Port Haut et les anneaux d’amarrage en aval du pont, peut-être même la cabane Nicolas, sont autant de preuves de cette période. Le parc et la maison Mellet-Mandard, la rue Bernard Robelin : les témoignages sont réels. Ces gens-là ont bien existé, ils ont construit des bateaux ou navigué sur l’eau, ils ont écrit les pages de notre histoire. Mais il fallait pour parcourir le fleuve, et remonter le temps, un ouvrage comme celui-ci. Aussi, je félicite les auteurs, Guy Blanchard et Henri Nochez, génies de la recherche, amoureux de la patience et chantres du terroir, virtuoses du texte et des images, de nous avoir donné cette preuve du passé, sans la nostalgie mélancolique du “temps des sables de l’été et des glaces d’hiver”. Ils ont (re)trouvé les mots simples et beaux qui racontent nos racines. Les détails sont précis et étonnants. On y apprend qu’il n’y a pas que l’eau qui coule sous les ponts, mais aussi les taxes, comme à Decize. Les anecdotes sont croustillantes, quand on y voit la justice rendue sur un bateau flottant. Mais le trait est vivant, et véridique aussi, parce qu’il est mémoire. Plus ludique, plus touristique maintenant, ce fleuve reste indomptable, sensuel et sauvage, vif et chaleureux. Il est encore et toujours pour chacun un élément du quotidien, comme une sève qui irrigue et donne la vie. Jean-François CHOSSY Député de la Loire-Forez. Avant propos Notre premier ouvrage, La Loire forézienne, paru en 2002, relatait le transport du charbon de la région stéphanoise sur les saint-rambertes aux XVIIIe et XIXe siècles. Au cours de nos recherches, nous avions découvert que plusieurs marchands ligériens, voituriers d’eau, se livraient au commerce du vin en même temps qu’à celui du charbon. Nous avons donc eu envie de chercher des réponses aux questions que nous nous posions : - comment, à la même époque, s’est organisé le commerce du vin ? - quelles étaient les conditions du transport, les difficultés, les obstacles ? Nous avons lu de nombreux ouvrages traitant de ces questions, mais surtout nous avons recherché des documents authentiques aux Archives de plusieurs départements, dans des bibliothèques… Comme pour notre premier ouvrage, nous avons eu la chance de rencontrer des personnes qui nous ont permis l’accès à leurs archives familiales. La plupart des documents originaux qui nous ont servi sont inédits. Modestement nous espérons apporter ainsi notre pierre à la connaissance d’un sujet extrêmement vaste et pas toujours facile à traiter. En effet les vignobles français d’aujourd’hui sont bien différents de ceux qui existaient avant l’arrivée du phylloxéra. La vigne est maintenant absente de régions autrefois productrices comme le Brionnais. Par ailleurs, il est difficile de juger de la qualité des vins produits et commercialisés il y a 200 ans. La navigation fluviale elle aussi a bien changé et il faut beaucoup d’imagination pour retrouver les emplacements des anciens ports avec leurs quais et leurs auberges. Certes des documents existent, mais leur recherche exige beaucoup de temps et de patience et les trouvailles restent partielles. Quant aux témoignages, ils sont rares et fragiles, s’appuyant sur la mémoire de personnes âgées relatant des faits qu’ils n’ont pas directement connus. Notre surprise a été de découvrir toute l’importance de ce commerce du vin en direction de la capitale, importance liée à une consommation démesurée. N’a t-on pas dit que les taxes sur le vin étaient une des causes du mécontentement populaire qui a abouti à la Révolution ? Nous avons choisi de limiter notre sujet au commerce du vin qui transitait de “haute Loire” en Seine, c’est-à-dire qui voyageait sur la Loire, le canal de Briare et la Seine pour rejoindre Paris. Au XVIIe siècle, lorsque l’on parle de la “haute Loire”, on évoque le fleuve et les régions qu’il traverse en amont de Roanne et non, bien-sûr, le département qui portera ce nom après la Révolution. à défaut d’étude exhaustive, nous avons essayé de faire vivre des évènements et des personnages pour permettre au lecteur de retrouver par l’imagination les conditions de vie et de travail des vignerons, des charretiers, des mariniers ou des marchands… Avant d’être embarqués sur la Loire, des vins provenaient du Languedoc ou de la vallée du Rhône, d’autres avaient voyagé sur l’Allier, venant d’Auvergne ou du Bourbonnais. Nous suivrons ensuite le cours du fleuve, jalonné par les ports d’embarquement vers lesquels convergeaient les “routes du vin” de l’époque. Enfin, et avec la collaboration de Gérard Vachez, que nous remercions vivement, nous verrons comment le chemin de fer a mis fin à l’épopée du transport fluvial. La vigne et le vin en Gaule En Gaule transalpine, même si des pépins de raisins ont été découverts dans des niveaux de l’Âge du Bronze au sud de la France, cela ne suffit pas pour affirmer que l’on produisait du vin à cette époque. Des origines au XVIIe siècle Quelques années après la fondation de Marseille en 600 avant J.C., la vigne est plantée dans les collines proches de Marseille. La production importante d’amphores locales marque le début de la commercialisation du vin qui prend rapidement un essor considérable dès 500 avant J.C. Au Ve siècle, le vin de Marseille est essentiellement vendu sur la côte méditerranéenne et dans la basse vallée du Rhône. On y a retrouvé un grand nombre d’amphores vinaires et de vases à boire en céramique commune. On pouvait se procurer ce vin auprès des marchands en échange de minerais, de céréales, de bétail et d’esclaves. Marseille en tira une grande prospérité et conserva le monopole de ce commerce jusqu’au IIIe siècle avant J.C., date à laquelle les vins de Sicile et d’Italie du sud apportèrent la concurrence. Le vin apprécié en Gaule Bas-relief d’un monument funéraire Découvert à Cabrières d’Aygues (84) et datant du 1er siècle après J.C., ce bas-relief montre un bateau halé transportant à la fois des tonneaux et des amphores à fond plat, dont certaines sont paillées pour éviter la casse. Musée Calvet, Avignon (84), cliché André Guerrand Les sociétés celtiques consommaient déjà des boissons alcoolisées comme la bière ou l’hydromel. Les vins italiens vont se répandre rapidement dans une grande partie de la Gaule. Vers 50 avant J.C., Diodore de Sicile écrit « Le naturel cupide de beaucoup de marchands italiens exploite la passion du vin qu’ont les Gaulois : sur des bateaux qui suivent les cours d’eau navigables ou sur des chariots qui roulent par les plaines, ils transportent leur vin, dont ils tirent des bénéfices incroyables, allant jusqu’à troquer une amphore contre un esclave, en sorte que l’acheteur livre son serviteur pour payer la boisson ». Une preuve de ce commerce nous est donnée par la diffusion des amphores Dressel qu’on a retrouvées dans le Languedoc, en Auvergne et le long de la vallée de la Saône. Dès le IIe siècle avant J.C., les Arvernes sont les meilleurs clients, mais rapidement les Ségusiaves vont aussi se livrer au commerce du vin. Les fouilles conduites sur l’emplacement des oppida de la vallée de la Loire, et particulièrement à Essalois qui est proche du port de Saint-Rambert, ont révélé des quantités impressionnantes d’amphores. Quant aux Eduens, forts de leurs liens privilégiés avec Rome, ils prennent une part importante dans ce trafic comme l’ont montré les milliers d’amphores retrouvées à Bibracte ou à Chalon-sur-Saône : en deux mois une drague y a extrait de la Saône 24 000 pointes d’amphores ! Le transport du vin dans l’Antiquité Les voies fluviales jouent un rôle important dans l’acheminement de ces vins. Le trafic, d’abord maritime, passe par Marseille. Trois directions essentielles existent : Le marchand de vin Bas-relief Musée Calvet, Avignon (84) Maquette du bateau romain (75-60 av. J.C.) dont l’épave a été découverte à la Madrague de Gien (83) Près de 7 000 amphores de vin rouge étaient transportées dans ce bateau. Certains bateaux pouvaient porter jusqu’à 10 000 amphores, soit 2 500 à 3 000 hectolitres de vin. Archives : mairie d’Hyères-les-Palmiers Des origines, au XVIIe siècle • vers Narbonne, Toulouse et la vallée du Tarn, • par la vallée du Rhône puis les chemins permettant de gagnerles Cévennes, l’Auvergne, et au-delà, le Bassin parisien, • par les vallées du Rhône et de la Saône vers le Mâconnais et la Bourgogne. Il est intéressant de noter que des vins italiens arrivant par les chemins muletiers jusqu’à Essalois et Feurs sont ensuite acheminés par la Loire en direction de la région parisienne. Dix-sept siècles avant le canal de Briare, des bateaux y conduisent déjà des vins, même si un relais par la voie terrestre est nécessaire pour passer du bassin de la Loire à celui de la Seine. Ancre Diffusion des vins depuis la Campanie par le Rhône et la Loire Villa gallo-romaine d’Anse (69) Mosaïque romaine reproduisant une ancre semblable aux ancres dites de Loire. IIe siècle après J.C. Le Rhône, voie de pénétration Dans l’histoire de notre pays, le Rhône a eu un rôle important depuis l’Antiquité. Sa vallée a permis les communications entre les provinces méditerranéennes et les pays du Nord. Ce fleuve rapide décrit par Michelet comme « un taureau furieux descendant des Alpes » a un débit important favorisant la navigation descendante et la remontée par halage. Le Rhône a été pendant des siècles une route privilégiée pour les hommes et les marchandises. Strabon écrivait au 1er siècle après J.C. : « Le plus favorable au trafic est le Rhône en raison des nombreux affluents qu’il reçoit et parce qu’il vient se jeter dans notre mer après avoir traversé les régions les plus fertiles de la Gaule ». à l’époque gallo-romaine, Arles était un port important, point de jonction entre les bateaux venus de tous les rivages de la Méditerranée romaine et les bateaux fluviaux remontant le Rhône jusqu’à Lyon. Des esclaves y déchargeaient les vins, huiles et autres marchandises transportées jusqu’ici dans des amphores pour les transvaser dans des grandes jarres, les « dolia », ou dans des tonneaux. Vienne, ancienne capitale du peuple allobroge, était également un port important jusqu’où pouvaient remonter des embarcations de fort tonnage. De là partaient plusieurs chemins muletiers traversant les contreforts du Massif Central et permettant d’acheminer dans le territoire ségusiave les vins arrivés par bateau ou produits sur place. Par la vallée du Gier, les marchandises pouvaient aussi parvenir vers la Loire et poursuivre leur voyage par un nouveau transport fluvial. Lyon était également un lieu de rupture de charge et de redistribution des marchandises. Un entrepôt découvert récemment en bordure de la Saône permettait de stocker dans des « dolia » 20 000 litres de vin. Des amphores étaient fabriquées sur place pour le transport des vins amenés en vrac. Trois ports de cette époque ont été localisés et des épaves de grands bateaux ont été dégagées. La fouille du Parc Saint-Georges a notamment permis de découvrir en 2003 six grands chalands dont trois ont été conservés pour être exposés. à partir de Lyon et de la Saône, on rejoignait les vallées de la Seine et du Doubs. Pour le transport du vin, les amphores sont les récipients les plus répandus. Elles ont l’inconvénient d’être lourdes, mais elles sont solides et permettent une bonne conservation du vin. Des outres de peau sont aussi utilisées pour les transports terrestres et pour de courts trajets. Une peinture de Pompéi montre un char à quatre roues tiré par deux chevaux et portant une outre de la taille d’un bœuf. La Loire, un fleuve de vins La vigne se répand en Gaule La colonisation du Languedoc par les Romains incita certainement les premiers colons à planter de la vigne. à Nîmes, des plantations du 1er siècle avant J.C. ont été révélées par les fouilles. La pratique du marcottage était connue et la densité des ceps a même pu être calculée : elle avoisinait 10 000 pieds à l’hectare. Amphore vinaire du type Dressel Musée d’Archéologie, Feurs (42) Amphore gauloise La distribution des vins gallo-romains se fera essentiellemnt par ce vase. Musée d’Archéologie, Feurs (42) Dolia et outres à partir de l’an 10 avant J.C., le transport du vin par voies maritimes ou fluviales et son stockage s’effectuent en partie dans un nouveau type de récipient, le dolium (au pluriel, les dolia), énorme jarre de terre cuite, haute de 1,60 à 1,80 mètres, pouvant contenir 2 000 à 2 500 litres de vins. Lourde et de faible capacité (27 litres environ), l’amphore est inadaptée aux transports terrestres volumineux. Elle est alors remplacée par un emballage souple et léger, fait d’une peau de boeuf : l’outre. Une outre de grande taille pouvait contenir jusqu’à 500 litres de vin. Des origines au XVIIe siècle Le tonneau, invention gauloise ? Le vignoble rhodanien est en place dès le premier siècle de notre ère. Les vins de l’Hermitage et des Côtes-Rôties jouissent d’une grande renommée. Le vin poissé de Vienne « la vineuse » est très apprécié des Romains. Vers l’an 70, Pline le naturaliste écrit « que les Allobroges sont très fiers de la réputation de leurs vins ». Quant au cépage Viognier, il aurait été introduit dans la région de Condrieu par Probus au IIIe siècle. Le Forez a vu arriver la vigne plus tardivement. Des pépins de raisin et des fragments ont cependant été retrouvés dans les fouilles de l’oppidum du Crêt-Chatelard, près de Roanne. La diffusion de la vigne en Gaule fut sans doute favorisée par la proximité des cours d’eau puisque des grandes régions vinicoles se trouvent le long de la Garonne, du Rhône, de la Saône et de la Loire. Le tonneau est inconnu dans l’antiquité. Dans l’Egypte ancienne, on savait cintrer le bois, fabriquer des boisseaux, mais on conservait le vin dans des vases en terre cuite. Chez les Grecs, quand on parle du tonneau des Danaïdes ou de celui de Diogène, il s’agit de grands récipients en argile ou en bronze. Le mot tonneau est donc une mauvaise traduction. On a souvent fait dire à Pline l’Ancien que le tonneau est une invention gauloise. Il n’a jamais dit ça ! Comme les Etrusques, les Celtes fabriquaient des chopes, des cuves en bois et surtout des seaux cerclés de bronze (on en a retrouvé près de 200), mais rien ne prouve qu’ils ont su fabriquer des tonneaux avant la conquête romaine. Pour la boisson de leurs banquets, ils utilisaient des cruches en argile ou des vases en bronze. Alors quel peuple a été l’inventeur ? Le Rhône et le vignoble de Condrieu La facilité des transports terrestres fut aussi un élément déterminant dans cette diffusion. Ainsi le transport sur la Loire, puis par charrois de la Loire à la Seine, ont rendu possible la formation d’un grand vignoble commercial autour d’Orléans, dont Grégoire de Tours signale l’importance au VIe siècle. Le tonneau s’est imposé plus tard pour le transport du vin, mais aussi de beaucoup d’autres marchandises comme l’huile, le sel, le poisson, le blé, la « quincaille »… On évalue d’ailleurs la capacité d’un navire en tonneaux. De nombreux documents prouvent la présence de la vigne au Moyen-Age. Dans le territoire qui est maintenant constitué par les départements de la Loire et de la Saône-et-Loire, les registres paroissiaux signalent des vignerons un peu partout, y compris dans des zones où la vigne a complètement disparu par la suite. Le Pélussinois et le Jarez, les plaines du Forez et de Roanne, le Brionnais au nord et les coteaux de la rive gauche du Rhône portent de nombreux vignobles. La Loire, un fleuve de vins 10 Effectivement on a découvert dans cette région des indices de tonnellerie : cercles, bouchons en bois, douelles cintrées… On peut donc penser que ce peuple savait fabriquer des tonneaux avant la conquête romaine. Les Romains ont probablement trouvé l’invention intéressante, tout au moins pour un usage bien particulier puisqu’on a trouvé également dans de nombreux sites des tonneaux réutilisés comme cuvelage de puits. La plupart de ces tonneaux étaient en bois de cônifères : sapin argenté, mélèze, épicéa. Le chêne sera utilisé plus tard. Malgré les avantages connus du tonneau, l’amphore a semble-t-il bien résisté puisqu’on la trouve en quantité dans les oppida et les cités gallo-romaines. La vigne au Moyen-Âge Une charte de l’abbaye de Savigny signale la présence de la vigne à Boënsur-Lignon en 980. Dans le Roannais, la vigne est attestée à Villerest en l’an 970, et il est écrit dans une charte accordée par les Bénédictins d’Ambierle, que les femmes en couches reçoivent chaque jour une miche de pain et un « méral » de vin. De plus, à la fête de Pâques, les religieux remettaient « du bon vin pur en quantité nécessaire pour le partager entre les habitants, hommes et femmes… » Bien évidemment seigneurs et religieux prélèvent chaque année leur part sur les récoltes pour « la garde des vignes ». Il faut sans doute, pour le savoir, faire confiance à Pline qui a écrit « Circa Alpes ligneis vasis condunt circulisque cingunt » : « Autour des Alpes on conserve le vin grâce à des récipients en bois entourés de cercles ». Il s’agirait donc de la région constituée par l’Italie du nord, une partie de la Suisse et du Tyrol où existait dès le Ve siècle avant.J.C., une civilisation assez méconnue : les Rhètes. Sources : Archéologia n°421 (avril 2005) Le village médiéval de Villerest (42) Le vignoble de la Côte Roannaise date sans doute de l’époque gallo-romaine, mais ce sont les moines de Cluny qui ont été les grands promoteurs de la viticulture dans la région de Roanne. à Villerest leur influence est attestée depuis le Xe siècle. In Villerest, 25000 ans d’histoire sur les bords de la Loire, Thoba’s éditions, 2006. Linteau de la chapelle Saint-Pierre La porte sud de la chapelle Saint-Pierre à Colonzelles (26) est surmontée d’un linteau, vraisemblablement en réemploi d’un monument funéraire de naute. Ce linteau sculpté de deux gros tonneaux et de fragments de deux autres, témoigne de l’utilisation du tonneau dans l’antiquité gallo-romaine. Des origines au XVIIe siècle 11 Comme dans beaucoup d’autres régions françaises, les Ordres monastiques et les grandes familles de la noblesse ont joué un rôle important dans la propagation de la vigne qui s’étend un peu partout en France au MoyenÂge. Au XIe siècle, Raoul Tortaire, moine de Saint-Benoît-sur-Loire, écrit que Sancerre regorge de vins. Lors de la reconstruction de l’église Saint Martin, alors qu’on manquait d’eau pour le mortier, André de Fleury, le maître d’œuvre, ordonna « qu’on y employât du vin, qu’on trouvait sur place en quantité ». Les vins de qualité médiocre sont consommés sur place. Par contre les vins de qualité réservés aux personnages importants sont souvent transportés fort loin. Les ¾ des vins consommés à la Cour pontificale viennent de la vallée du Rhône. En 1241, le vin de Saint-Pourçain est servi aux fêtes données par Saint-Louis à Saumur. En 1325, le sire de Cassel en Flandre achète à la Foire d’Orléans pour son hôtel, cinq tonneaux de vin de Sancerre, six de Nevers et trois de Saint-Pourçain. Ces vins sont transportés la plupart du temps par la voie fluviale. C’est par l’Allier et la Loire que le roi Louis II envoie quatre tonneaux de vin qu’il offre à Messire Jehan de Breuilh, ce qui occasionne une dépense de neuf livres « pour cause de charroy de mener par aygue de Molins à Tours ». Par les Lettres Patentes données à Paris les 23 mai 1402, Charles VI accorde aux marchands fréquentant la Loire l’autorisation de lever un droit sur les marchandises transportées par eau. On peut lire : « Pour chacun chalan portant trente pipes ou quées de vin ou le pesant d’icelles…sept sols dix deniers tournois…» et pour chacun chalan portant portant vingt pipes ou quées de vin… cinq sols tournois. et que ledit subside soit reseu à La Charité, à Moulins, à Nevers et audit lieu de Gien ou ailleurs… » Jusqu’au XVIIe siècle, les vins restèrent la principale denrée transportée sur la Loire et l’Allier. La Loire, fleuve marchand Pendant longtemps, à cause du mauvais état des routes et des chemins, la navigation sur les fleuves et les rivières a été le moyen le plus pratique, et souvent le plus rapide, de transporter des marchandises. En parlant de la Gaule, Strabon écrivait déjà au début de notre ère : « Les lits de tous ses fleuves sont les uns à l’égard des autres si heureusement disposés par la nature qu’on peut aisément transporter des marchandises de l’Océan à la Méditerranée et réciproquement, car la plus grande partie du transport se fait par eau en descendant ou en remontant les fleuves et le peu de chemin qui reste à faire est d’autant commode qu’on n’a que des plaines à traverser ». Parmi ces cours d’eau la Loire a joué un rôle déterminant. Comme l’a écrit François Beaudoin, elle est le seul cours d’eau d’Europe qui puisse être remonté à la voile sur plus de 400 kilomètres, de Nantes à Orléans, grâce aux vents d’Ouest. Dès le début du XIVe siècle, les différentes corporations dont La Loire, un fleuve de vins 12 les activités étaient liées au fleuve se sont regroupées en une puissante fédération, la Communauté des Marchands fréquentant la Rivière de Loire et autres fleuves… La chapelle saint-Pierre à Colonzelles (26) Dernier grand fleuve sauvage d’Europe, riche de ses paysages, de sa flore et de sa faune, la Loire fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Autrefois elle présentait surtout l’intérêt de porter des bateaux et de nourrir des poissons. Elle était aussi réputée pour la violence de ses crues. Il est intéressant de connaître cette description du fleuve au XVIe siècle citée par Guy Coquille dans son Histoire du Nivernois. Les boutières « La rivière de Loyre prend son origine ès hautes montagnes d’Auvergne près Le Puy Notre-Dame en Velay et commence à porter bateaux à Roanne, vingt-huit lieues au-dessus de Nevers, et dure son cours de navigation jusqu’à la mer Océane où elle s’embouche avec son nom, et est ledit cours de navigation de cent soixante lieues, séparant le Royaume presque en deux portions égales : passe près des villes de Marsigny, Bourbon-Lanseiz, Desize, Nevers, La Charité , Cosne, Gyen, Orléans, Blois, Amboise, Tours, Saumur et Nantes. Selon l’ancienne description des Gaules, cette rivière de Loyre sépare la Gaule celtique de l‘Aquitaine : rivière abondante en poisson, tant poisson naturel en icelle qu’en poisson de mer qui en certaines saisons de l’an se jette en ladite rivière tirant contre mont icelles : comme aloses et lamproyes ès mois d’avril et may, Mulets au grand été et Plies en tout tems : aucune fois des Saumons qui autrefois y ont plus abondé, et disent les pêcheurs qu’il y a trente ans qu’ils s’en sont effarouchez depuis que les mulets commencèrent à y repairer en abondance. L’état actuel de la chapelle correspond à celui qu’elle avait au XIIe siècle. On appelle « boutières » des chemins anciens partant des ports du Rhône et de la Saône et sur lesquels des marchandises diverses étaient transportées par des mulets. Le vin était une des principales marchandises ainsi transportées et l’origine du nom « boutière » est à trouver dans le mot latin « boteria » désignant « une peau dans laquelle se porte le vin par les lieux malaisés au charroy ». Ces chemins muletiers se retrouvent aussi bien dans l’ancien Vivarais que dans la Bourgogne du sud. Les mulets circulaient en convois de plusieurs bêtes chargées qu’on appelait « coubles ». Là est peut-être l’origine du mot « coublage » désignant des sapines liées par deux pour naviguer et qu’on a traduit par le mot « couplage ». Cette même rivière qui apporte plusieurs commoditez apporte aussi grands dommages par ses inondations, parce qu’elle n’est retenue de rives hautes naturelles, vray est qu’au-dessous d’Orléans elle est retenue par levées faites de main d’homme : l’inondation est ordinaire au mois de May, comme les Histoires disent du Nil en Egypte, qui croît tous les ans au mois de juin : la creuë de May en Loyre vient par l’occasion de ce que les sapins qui sont ès hautes montagnes de Forests et d’Auvergne en ce tems jettent une humeur qui est tiède, laquelle avec les pluies douces qui ont accoutumé de cheoir du Ciel en ce même tems, font fondre les neiges qui sont ès dites montagnes hautes outre laquelle crueuës ordinaire elle inonde aussi par les grandes pluyes en Hyver, au Printemps et en Automne. Aussi cette rivière fait grand dommage inconstance , car étant sablonneuse et ses rives étant de terre légère elle change souvent son cours et son profond jettant grande quantité de sable ès lieux où souloit être le sable : en sorte que les mariniers (ainsi appelle-t-on les bateliers navigans sur icelle) ne peuvent être experts pour la conduite du gouvernail sinon avec une longue expérience et bon jugement naturel pour sçavoir discerner à l’œil de quelle part est le profond ». L’histoire de la Marine de Loire est émaillée de difficultés et d’accidents, malgré tous les efforts pour améliorer son cours et rendre plus sûre la navigation. C’est le roi Henri IV qui lancera une série de grands travaux, avec la réalisation du premier canal à bief de partage : le canal de Briare. Les Gorges de la Loire à Semène, en amont de Saint-Just Saint-Rambert. Les canaux à bief de partage Ils réunissent des cours d’eau appartenant à des bassins-versants différents, séparés par une ligne de partage des eaux, ainsi nommée parce que les eaux de ruissellement coulent vers l’un ou l’autre bassin. Des écluses à sas - invention de la fin du XVe siècle permettent de franchir le dénivelé. Le bief est la portion de canal comprise entre deux écluses. Le bief de partage est le bief le plus élevé, celui qui franchit la ligne de partage des eaux. La principale difficulté rencontrée dans le fonctionnement de ces canaux était l’approvisionnement en eau, obligatoirement assuré par des cours d’eau ou des étangs situés au moins au niveau du bief le plus élevé. Des origines au XVIIe siècle 13 « Considérons que le principal commerce de notre royaume se fait sur la dite rivière de Loire ». édit du 31 décembre 1559 de François II. « Les véritables chemins pour les grandes communications sont les mers, les rivières et les canaux navigables ». Gauthey, inspecteur principal des Ponts et Chaussées, Mémoire sur les canaux de navigation, 1777. « Les transports sur la Loire comprennent principalement la houille de SaintEtienne, les vins récoltés dans l’arrondissement (de Roanne), les vins du Beaujolais et les marchandises du Midi ». Lettre du sous-préfet de Roanne au préfet de la Loire, le 21 janvier 1832. La Loire, un fleuve de vins 14 Vins d’Auvergne et du Forez , le transport dans les sapines Vignes à Saint-Romain-le-Puy Au pied du prieuré, datant du XIe siècle, la vigne a retrouvé son droit de cité, grâce à Daniel Mondon. Les vins d’Auvergne Loin d’être enclavée comme on pourrait le penser, l’Auvergne était à l’époque gallo-romaine, une zone de passage et de transit pour de nombreuses marchandises. Un itinéraire méridional empruntait la basse vallée du Rhône, puis la vallée de l’Ardèche sur 120 km et rejoignait les rives de l’Allier par le col du Pal. Cette voie, moitié par eau, moitié par terre, partait de Marseille. Elle existait déjà avant la conquête romaine Un autre itinéraire permettant éventuellement de rejoindre l’Allier partait de Beaucaire et passait par Nîmes et Le Puy. Jusqu’au XVIIIe siècle, il fut préféré au Rhône pour acheminer à dos de mulets des marchandises du Languedoc et de Provence. Des renseignements précis nous sont fournis par les cahiers de comptes tenus par le « maître de garnison » du duc de Bourbonnais Louis II à la fin du XIVe siècle. Le vin est transporté dans des tonneaux contenant chacun quatre « asnées1 ». En décembre 1389, le duc achète dix-huit tonneaux qu’il fait « conduire au rivage de l’Allier » par un nommé Charpentier, marchand batelier qui se charge de les transporter par voie d’eau jusqu’à Moulins. Dans les Lettres Patentes données par le roi Charles VI à Paris en 1402, les Marchands fréquentant la Loire sont autorisés à lever un subside sur les marchandises transportées par eau. Le vin y figure en bonne place : « pour chacun chalan portant trente pipes ou quées de vin, sept sols six deniers tournois, et pour chacun chalan portant vingt pipes ou quées de vin, cinq sols tournois, et que ledit subside soit reseu à La Charité, à Moulins, à Nevers et au lieu dit de Gien ou ailleurs… » Lorsqu’on l’expédiait à la Cour pontificale d’Avignon, le vin était acheminé par voie de terre jusqu’à Chalon-sur-Saône. De là, il descendait la Saône et le Rhône. Les ducs de Bourbon et les comtes de Forez appréciaient aussi ces vins. Porte Panessac, au Puy en Velay (43) Passant devant les portes de la ville, les muletiers transportent des outres de vins. Le vin constituait la majeure partie de ce transport. Les nombreuses amphores vinaires découvertes dans la vallée de l’Allier démontrent l’importance du trafic. Même après que la culture de la vigne se fût répandue en Gaule, on continuait à faire venir des vins méditerranéens. Les Arvernes étaient de sérieux clients. Les Grecs ont vanté le luxe et la splendeur des fêtes données par leur roi. On y trouvait « des cuves emplies de vin ». Récemment, au cours des fouilles entreprises sur l’oppidum gaulois de Cadole, au sud-est de Clermont-Ferrand, on a retrouvé plusieurs dizaines d’amphores intactes contenant encore du vin. Plaque muletière La Loire, un fleuve de vins 24 Les coteaux d’Auvergne et du Bourbonnais étaient déjà plantés de vignes au Moyen-Age. Certains vins étaient réputés comme celui de Saint-Pourçain, servi aux fêtes données par Saint Louis à Saumur en 1241. Il en fut également servi à l’occasion du sacre de Philippe de Valois en 1328. Ce vin était transporté par l’Allier et la Loire jusqu’à Briare ou Gien, puis après un bref charroi, par le Loing et la Seine. L’Allier à Apremont-sur-Allier Jusqu’au XVIIe siècle, les vins resteront la principale denrée exportée par la voie d’eau depuis l’Auvergne et le Bourbonnais. Ces deux provinces n’étaient pas concurrentes, puisque l’une exportait son vin blanc, et l’autre son vin rouge. Les grands ports aux vins de la vallée de l’Allier se trouvaient à Monétay-la-chaise, Châtel de Neuvre, et Moulins dans le Bourbonnais, à Mirefleurs, Les Martres-de-Veyre et Pont-du-Château en Auvergne. L’ouverture du canal de Briare, en 1642, facilitera ce transport. Très vite les sapines auvergnates acheminent en grandes quantités vers Paris les charbons et les vins des bassins d’Auvergne et du Bourbonnais. Note : 1. Asnée ou ânée : charge d’un âne correspondant à un peu plus de 100 litres Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 25 « Si vous n’êtes en lieu pour vendre votre vin, que feriez-vous d’un grand vignoble... La débite sera la règle de notre vignoble » Olivier de Serres Théâtre d’agriculture et Mesnage des champs. (1600) En 1743, des vins d’Auvergne étaient vendus à l’Hôtel des Invalides à Paris. Souvent ces vins n’étaient utilisés que pour en colorer d’autres. On leur reprochait de « manquer de consistance et de corps », et aussi, d’être trop chers. Il faut dire que les fraudes étaient nombreuses. Le vin était souvent additionné d’eau. Les mariniers disposaient d’un fût sur vingt et un pour compenser le coulage et pour s’abreuver. S’ils étaient contraints de « mettre en fosse », ce qui prolongeait la durée du voyage, ils buvaient aux tonneaux et compensaient avec de l’eau. En effet, l’insuffisance du volume d’eau dans l’Allier et la Loire, mais aussi parfois dans le canal de Briare, contraignait les mariniers à s’arrêter. Ils laissaient un gardien et s’en retournaient dans leur pays. Auguste Mahaut, célèbre marinier, raconte que des bateaux restèrent en fosse si longtemps que la femme du gardien accoucha deux fois avant qu’il ne vienne assez d’eau pour « déraper ». On estime à 240 le nombre de bateaux de vin d’Auvergne ayant franchi en 1752 le canal de Briare. Chacun d’eux pouvait porter de 150 à 200 pièces, ce qui représente un volume d’environ 100 000 hectolitres pour l’année. Toutefois les vins auvergnats subissaient le handicap des taxes à payer à la sortie de la Province. Leur commerce reprit de l’extension à la période révolutionnaire lorsque la douane de Vichy et les péages furent supprimés. En 1825, 35 000 pièces de vin, jauge d’Auvergne, passent par le canal de Briare. Ces expéditions importantes de vins ne vont pas sans poser des problèmes. La Chambre de commerce de Clermont-Ferrand écrit en 1827: « Les vins, eaux de vie, se mènent facilement par eau, et à peu de frais… » Vauban (1633-1717) « Les principales embarcations de vins sur l’Allier ont ordinairement lieu par les crues de Novembre. Chacun s’empresse de profiter d’une circonstance qui n’est que passagère. La précipitation fait renchérir souvent le prix des bateaux, des futailles et le salaire des mariniers. Les vins arrivent en masse au canal de Briare où l’encombrement est tel qu’ils sont forcés d’y faire un long séjour ; enfin leur arrivée simultanée au port de la Rapée fait naître une concurrence souvent préjudiciable aux vendeurs et toujours aux propriétaires… » Malgré tous ces inconvénients, le transport par la voie d’eau restait attrayant. « En effet cent pièces de vin descendaient l’Allier sur un bateau , alors que, par la route, ce même transport aurait demandé 33 charrettes et 33 chevaux ». Les sapines auvergnates Les deux centres principaux de fabrication des sapines auvergnates correspondent aux deux régions minières de Brassac-les-mines et de Moulins. La navigation possible sur l’Allier, la présence du charbon et la proximité des grandes forêts de sapins de Champagnac-le-Vieux et de La Chaise-Dieu expliquent que les premiers ateliers de construction se soient installés dans la région de Brassac. C’est à Brassaget, quartier de Brassac qu’apparaissent en 1670 les premiers noms de charpentiers en bateaux. Les bateaux destinés à La Loire, un fleuve de vins 26 « l’avalaison », c’est-à-dire à la descente du courant, sont faits en longues planches de sapin. La proximité des forêts de Champagnac-le-vieux, Saint-Hilaire, La Chaise-Dieu, favorise l’implantation d’ateliers sur les rives de l’Allier. Les techniques de fabrication des sapines furent apportées par des charpentiers en bateaux comme cet Antoine Simonnet qui venait d’Iguerande, un port sur la Loire du diocèse de Mâcon. C’est surtout à Jumeaux - appelé autrefois Gimeaux-sur-Allier - que s’établit un centre important de fabrication des sapines. En 1780 on y comptera 200 ouvriers fabriquant 2 000 bateaux par an. Un voyageur trace en 1788 le tableau suivant : «… le long de la rivière on ne voit que chantiers, amas de planches, constructions, actions, sapinières à toutes les époques de travail, enfin un ensemble d’industries si ravissant à voir et si rare en Auvergne. Ces bateaux sont entièrement en sapin. Destinés à ne faire qu’un seul voyage et devant être vendus ou dépecés en arrivant dans la métropole, il n’a fallu leur donner que la solidité nécessaire à la navigation. Mais en même temps, ayant à voguer sur une rivière ayant très peu d’eau, il les fallait extrêmement légers. Nulle ferrure que celle des avirons et autre absolument indispensable. Leurs pièces ne sont même assemblées qu’avec des chevilles de sapin, et de là vient le nom de sapinière qu’on leur donne… » Comme à Saint-Rambert, centre de construction des sapines foréziennes, les ateliers, d’une surface d’environ 700 m2, s’échelonnaient le long des rives. Le travail s’effectuait en plein air. Une simple cabane de planches servait au rangement des outils. Deux grands bateaux pouvaient être construits simultanément dans chaque atelier. Ils avaient en moyenne une vingtaine de mètres. Chargés de quinze à vingt tonnes dans la partie supérieure de l’Allier, ils étaient surchargés en cours de route jusqu’à quarante tonnes. Chaque année vingt mille grands sapins étaient nécessaires à la construction des bateaux. Un grand marché de bois se tenait à La Mothe, près de Brioude. La foire de Notre-Dame des Neiges à Saint-Germain-Lherm donnait lieu à d’importantes transactions. Les bois arrivaient dans les différents ateliers par flottage ou par charrois. D’autres chantiers de construction s’implantèrent à Moulins et au Veurdre. On y fabriquait des bateaux en sapin de plus grandes dimensions appelés « toues » et aussi des « chênières », bateaux en chêne plus robustes. Toutes ces embarcations, souvent nommées « auvergnates », transportaient du charbon de terre et des vins en direction de la capitale. Il ne faut pas oublier que de nombreux trains de bois étaient acheminés par l’Allier et la Dore. Pour les taxes on distinguait deux sortes de trains de bois, selon qu’ils étaient « chargés » ou « non chargés ». La charge était souvent constituée de poinçons de vin. Fontaine au Veurdre, « le coin des fénéants » Ici se rassemblaient les ouvriers occasionnels du port en l’attente d’une embauche. Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 27 Les vins du Forez bateaux. Cette industrie est devenue beaucoup plus active : on a porté ce nombre pendant plusieurs années à 2 200 ; dans ce moment de stagnation, il ne dépasse guère mille. Dès le Moyen-Age, et peut-être même avant, la vigne est cultivée en de nombreux endroits du Forez. Malgré des conditions climatiques peu favorables, notamment les gelées tardives du printemps, la vigne couvre les pentes rocailleuses et bien exposées des Monts du Lyonnais et des Monts du Forez. Tous les bourgeois un peu aisés possèdent quelques arpents de vigne fournissant leur consommation familiale. Les inventaires après décès font souvent état de stocks de vin. Ainsi en 1288, Jean de Sal bourgeois de Montbrison, en possède 186 « ânées », environ 200 hl. En 1314, Mathieu Chambon a une réserve de 267 « ânées » dont une partie, il est vrai, est du vin tourné. Les bateaux partent chargés d’une petite partie du produit des manufactures de SaintEtienne, de Saint-Chamond, et surtout du charbon de terre. Arrivés à Roanne, où la Loire ne présente plus d’écueils, la charge est augmentée dans la proportion de 10 à 15, et quelquefois à 18, suivant la hauteur des eaux. Les bateaux vidés par cette opération, ainsi que ceux qui se fabriquent à Roanne, au nombre d’environ 300, servent au transport des vins du Roannais, et des marchandises expédiées du midi. La charge augmente ensuite en descendant le fleuve : au canal de Briare on renouvelle la manœuvre faite à Roanne ; on ajoute les deux tiers ou la moitié du poids. Les bateaux vides sont employés dans l’ouest au chargement des vins, bois, charbons de bois et autres approvisionnements pour la capitale. La charge y est augmentée dans les mêmes proportions, pour ceux qui suivent la Loire jusqu’à Nantes. La consommation semble élevée, mais la production forézienne couvre sans doute les besoins locaux, car le trafic du vin est peu important. Sa qualité médiocre n’en fait pas un produit recherché. Les bateaux sont tous construits en bois de pin ou sapin, de la manière la plus frêle, quoique sur une longueur commune d’environ trente mètres : aussi sont-ils déchirés dès qu’ils sont arrivés à Paris ou à Nantes, à l’exception de ceux du chantier de Roanne, construits en partie en bois de chêne. à Saint-Rambert, bourgade située sur la « haute Loire », à 60 km environ en amont de Roanne, on construit déjà des bateaux au Moyen-Âge. La vigne étant répandue sur les coteaux bordant la plaine du Forez, il est probable que ces bateaux de Saint-Rambert transportent des tonneaux de vin à destination des bourgs proches de la Loire. En 1572, l’ingénieur Craponne se dit capable « par des écluses et autres ouvrages, par brisement de rochers, [de] rendre la rivière navigable pour les barques portant la pesanteur de trente poinçons de vin… ». Avant la Révolution, un bateau coûtait à Saint-Rambert environ 200 francs ; il en coûte aujourd’hui 5 à 600. Ceux de Roanne peuvent être évalués de 6 à 700 francs ; et multipliant le prix moyen 650 par 1 200, nombre de bateaux construits annuellement, on a un produit de 780 000 francs, que cette industrie laisse dans le département. Champdieu, vigne et prieuré Les travaux de La Gardette Tant d’avantages seraient au moment de disparaître par le manque de bois de construction : mais l’ouverture de la nouvelle route d’Annonay à Roanne, la confection presque achevée des chemins de Montbrison aux bois des montagnes de l’ouest, et surtout de Pierre-surHaute, offrent des ressources prochaines, et peut-être suffisantes pour alimenter les chantiers de Saint-Rambert. Lorsque Pierre de la Gardette obtient en 1702 la concession de la navigation sur la Loire, il entreprend des travaux importants destinés à rendre la Loire navigable pour de grands bateaux en amont de Roanne. Dans les gorges redoutées qui séparent la plaine du Forez de celle de Roanne, il dégage à grand renfort d’explosifs le lit du fleuve des rochers qui l’encombrent et fait construire des digues destinées à freiner les flots impétueux de la Loire dans les périodes de crues importantes. A cela on peut joindre le prolongement plusieurs fois proposé de la navigation de le Loire au-dessus de Saint-Rambert jusqu’à Bas-en-Basset, qui fut reconnue possible jusqu’au Chambon, par des essais faits en l’an 5. Une Compagnie de Saint-Etienne offre de faire remonter à ses frais la navigation jusqu’à Saint-Paul-en-Cornillon. Cette entreprise, accueillie favorablement, rapprochera les bois nécessaires au transport du combustible et des marchandises ». Bien entendu La Gardette percevra un important droit de navigation sur les bateaux empruntant la Loire au départ de Saint-Just. Il était également autorisé par le roi à ouvrir des mines de charbon de terre dans la région de Saint-Etienne. Le transport du charbon fera naître une navigation très importante dont bénéficiera le commerce du vin. Les saint-rambertes La navigation ligérienne au XVIII siècle e On peut lire, dans le Journal du département de la Loire du 16 décembre 1809 l’article suivant : « De 1710 à 1789, il s’est fabriqué à Saint-Rambert, année commune, environ 1 200 La Loire, un fleuve de vins 28 Couplage de saint-rambertes Aquarelle de E. Chassagne, 2002, réalisée pour le musée de saint-rambertes transportant des tonneaux de vins. Saint-Bonnet-les-Oules, figurant un couplage de Les bateaux destinés à ce transport seront des sapines appelées ici « saintrambertes » car les ateliers de construction sont installés à Saint-Rambert, sur la rive gauche du fleuve. Le premier de ces bateaux aurait été construit par Bernard Robelin, un charpentier originaire du village de Melay en Saône-etLoire où existait un chantier de construction de bateaux. Les saint-rambertes étaient de grands bateaux de 23 à 27 mètres de long, dont l’avant était relevé, Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 29 Saint-Just Saint-Rambert Négociant en charbon à Saint-Just l’arrière formant un tableau vertical. Construits en longues planches de sapin se chevauchant partiellement dans un montage dit « à clin », ces bateaux à fond plat pouvaient naviguer sur les eaux irrégulières et encombrées d’obstacles de la Loire. Une longue rame servait de gouvernail, et des bourdes, longs et solides bâtons ferrés, étaient utilisés pour éviter les obstacles. Calfatés sommairement avec de la simple mousse des bois, ils pouvaient porter une vingtaine de tonnes au départ de Saint-Just sur Loire. Consolidés et surchargés en cours de route, il n’était pas rare de les voir arriver dans la région parisienne chargés de plus de soixante tonnes de marchandises. Construits de manière économique puisqu’ils effectuaient en principe un seul voyage, c’étaient néanmoins des bateaux parfaitement adaptés à la navigation fluviale. Essentiellement utilisées jusqu’à Roanne pour le transport du charbon, de nombreuses saint-rambertes libérées de leur cargaison seront ensuite chargées de pièces de vin. Dans les années 1830-1840, ce sont près de 3 000 bateaux fabriqués dans les ateliers de Saint-Rambert qui descendront la Loire chaque année. Du charbon, mais aussi du vin ! Charge du Forez Charge utilisée par Daniel Mondon pour la vendange 2000. Voiturier à Saint-Rambert La Loire, un fleuve de vins 30 Un chargement de charbon d’une vingtaine de tonnes se répartissait sur une hauteur n’excédant pas 40 centimètres, on pouvait compléter le chargement avec des tonneaux de vin. C’est sans doute ainsi que des voituriers par eau de Saint-Just sur Loire ont ajouté au négoce du charbon de terre celui du vin. Dans son Histoire de la vigne et du vin, R. Dion affirme même qu’une des fonctions principales de la voie navigable Saint-Rambert - Roanne était le transport du vin. Ce qui est certain, c’est que l’ouverture du canal de Briare avait rendu intéressante la navigation sur la Loire pour les vins de la vallée du Rhône, de Languedoc ou de Provence. En effet la distance à vol d’oiseau entre Condrieu et Saint-Rambert n’est que de 40 km. Après un trajet terrestre par les chemins muletiers du Pilat on pouvait embarquer les vins sur la Loire pour une descente au fil de l’eau. On évitait ainsi les taxes importantes payées à Lyon, dans le Mâconnais ou en Bourgogne. Dans un compte-rendu du directoire du district de Saint-Etienne du 27 mars 1791 on peut lire : « [il y a ] nécessité d’entretenir la route de Saint-Chamond à la Loire, très fréquentée pour le transport des vins du Rhône, du Languedoc et de la Provence sur les rives de la Loire pour y être embarqués… » Quant à Marcel Lachiver, il écrit, dans son Histoire du vignoble français : « … Pour échapper à la fiscalité pesante de Lyon à Dijon, il était possible, à partir de Condrieu, qui marque la limite méridionale du vignoble de Côte-Rôtie, par un col de 650 mètres d’altitude, de gagner la vallée du Gier et du Furens, et de rejoindre la Loire à Saint-Rambert… L’ouverture du canal de Briare, en 1642, incitait à essayer cette voie devenue moins incommode… On travailla jusqu’en 1749 à la rectification du lit du fleuve. A ce moment-là Saint-Rambert devenait pour les vins des Côtes-du-Rhône, l’équivalent de Pouilly pour les vins du Beaujolais, mais le parcours demeurait malheureusement plus long et plus coûteux, empêchant les expéditions de masse comme on en vit pour le Beaujolais dans le seconde moitié du XVIIIème siècle… » Naufrages entre Saint-Rambert et Roanne La navigation entre Saint-Rambert et Roanne était particulièrement difficile et dangereuse. Combien de bateaux chargés de charbon ou de vin ont-ils été accidentés ? S’il est impossible de répondre précisément à cette question, un rapport de Charles Pierre Normand, ingénieur en chef du roi, apporte tout de même quelques éléments de réponse. Dans un rapport de 1779, il écrit : « …nous nous sommes fait représenter l’état des bateaux naufragés depuis environ cinq ans, c’est-à-dire depuis le premier janvier 1774, duquel état il résulte que sur plus de 4 000 bateaux qui, depuis ce temps, sont partis de Saint-Rambert, il n’en a été naufragés que 37, dont 14 perdus dans les ports ou gares avec leur charge par la débâcle des glaces… Il en a été endommagé 6 mais qui ont été réparés et conduits au port de Roanne, par imprudence, défaut de manœuvre ou pour avoir été mal surveillés ou enfin parce qu’étant ensablés d’autres bateaux trop proches sont tombés dessus et les ont fracassés , 3 ont été perdus sans ressource, dans un desquels trois hommes ont été noyés, et 7 autres ont été réparés et conduits à Roanne. Les coups de vent ont causés 4 accidents, quatre hommes noyés. Un bateau a été endommagé à la digue du moulin de Vezolin et un perdu sans ressource au barrage construit par les fermiers du M. le duc d’Harcourt seigneur de Roanne, pour la pêche du saumon… Des 37 accidents, 9 seulement sont arrivés dans les rochers. Les ¾ de ces accidents sont arrivés dans la plaine du Forez. » Si l’on en croit ce rapport, c’est en moyenne un peu moins de un bateau sur cent quittant Saint-Rambert qui était accidenté avant Roanne. Ce pourcentage paraît relativement faible, mais il faut bien considérer que jusqu’à Roanne c’est seulement une petite partie du parcours qui est franchie. Le trajet jusqu’à Paris, destination pour la plupart des bateaux, est encore long et les risques d’accidents nombreux. Par ailleurs dans les années 1830-1840, ce seront plus de 4 000 bateaux chargés qui quitteront chaque année les ports de Saint-Just sur Loire ou Andrézieux. On peut estimer qu’en 150 ans de navigation, plus de 2 000 bateaux ont été accidentés. Des tricheurs chez les charpentiers Les charpentiers en bateaux de SaintRambert avaient leurs ateliers sur la rive gauche de la Loire. Travaillant en petites équipes, souvent en famille, ils étaient liés par contrat à des marchands voituriers de la région. Ils étaient payés à la tâche, et non à la journée, fournissant les outils et la mousse destinée au calfatage. L’apprentissage durait quatre ans. En été les charpentiers travaillaient jusqu’à 14 heures et 16 heures par jour. L’hiver le travail, qui se faisait en plein air, était souvent interrompu par les intempéries. Les bateaux achevés traversaient la Loire pour être chargés sur la rive droite où se trouvaient les entrepôts. Ils devaient être marqués et la fabricant était tenu de déclarer « le nom, surnom et demeure de ceux à qui il les aura vendus », afin que les droits de navigation dus à la Compagnie Lagardette soient perçus avant le départ des bateaux. Comme toujours, certains tentaient de se soustraire à ces obligations. Ainsi, le 22 floréal de l’an V de la République, suite à une plainte des actionnaires de la Compagnie Lagardette, le citoyen Relave, huissier patenté immatriculé au greffe de la Justice de paix de Saint-Rambert cite à comparaître le nommé Hugues Déchandon, fabricant de bateaux sur le lieu dit « le petit port ». Ce dernier refusait de marquer ses bateaux et oubliait de se présenter au bureau de la Compagnie pour prendre des acquits. Lors de la visite de l’huissier il avait refusé de montrer ses registres. Toute sa famille faisait aussi de la résistance puisque l’huissier ajoute dans son procès-verbal : « J’ai laissé copie de la présente citation en son domicile, en parlant à une fille ou femme qui a refusé de dire son nom, de ce sommée… » La profession de garde-port sera créée pour faire appliquer les règlements, mais à Saint-Rambert en 1813, c’est un Claude Déchandon qui refusera de payer le rétribution du garde-port pour les seize bateaux qu’il a fait « glisser à l’eau » depuis le 20 avril jusqu’au 31 juillet. Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 31 Des marchands de Saint-Just sur Loire Les trois bateaux de Montargis arriveront le 15 février à Bercy. Nous connaissons plusieurs voituriers par eau de Saint-Just-sur-Loire qui faisaient le transport des vins au début du XIXe siècle. Des courriers de la Maison Mandard font allusion à ce commerce. Quelques jours plus tard, c’est une « équipe » de 5 bateaux de vin qui arrive. Le déchargement des bateaux se fait difficilement « vu la grande foule de marchandise qui est arrivée… » La culture de la vigne dans le département de la Loire au milieu du XIXe siècle. Un document concernant la faillite des frères Vincent en 1809 précise qu’ils conduisaient du vin à Paris depuis 1806 et qu’ils ont perdu 15 000 francs sur ces voitures. En 1809 c’est un bateau chargé d’eau-de-vie qui est perdu, ce qui aggrave encore leur situation. Les magasins de La Râpée sont encombrés car les vins se vendent mal. Les évènements nationaux ont une influence certaine sur cette situation : « quant au commerce, il va toujours bien mal … sur toutes sortes de marchandises en général … les uns disent que nous allons avoir la guerre, on ne sait à quoi s’en tenir, c’est ce qui tient le commerce suspendu, non seulement pour nos charbons, mais toutes les marchandises et le plus sage parti, c’est d’aller piane à piane jusqu’à ce que ce mauvais temps soit passé ». Les vignobles du département sont, dans la proportion de plus des deux tiers, situés dans l’arrondissement de Roanne, puisqu’il en contient environ 9 350 hectares répartis dans les cantons de Roanne, Perreux, Charlieu et Saint-Just-en-Chevalet. Dans l’arrondissement de Montbrison ce sont plus de 3 000 hectares dans les cantons de Boën, Saint-Rambert, Montbrison, Chazelles-sur-Lyon, Feurs et Saint-Galmier. Les vignes proches du Rhône occupent à l’époque environ 1 000 hectares. « On cultive la vigne à peu près de la même manière dans tout le département : aux approches de l’hiver, on enterre le pied du cep qui est ordinairement peu élevé : puis on le découvre au retour du printemps pour rendre la taille plus facile. En mai un labour profond ; à la bêche ou à la pioche, est donné au terrain, suivant qu’il est plus ou moins pierreux : vers la floraison, une seconde façon a lieu ; au mois d’août la vigne reçoit le dernier labour. Ces trois opérations s’appellent dans le pays, essartir, biner et tiercer. Le provignage (marcottage), qui se fait en hiver et au printemps, est indispensable dans la plupart des vignobles : sans cette méthode le plant ne durerait pas douze ans et malgré cet usage, la vigne ne rapporte guère au-delà de vingt-cinq ans, dans les terrains pierreux qui produisent les meilleurs vins… » Mais la Maison de commerce la plus importante pour ce négoce est la Société Vial/Grenetier. Laurent Grenetier, gendre de Martin Vial est installé à Paris d’où il gère les commandes, l’acheminement et le débarquement des bateaux, le salaire des mariniers. Une correspondance suivie pendant l’année 1806 nous renseigne sur l’importance de leur affaire. C’est une période particulièrement difficile pour le commerce en France. Les charbons, comme les vins, se vendent mal à Paris. Pourtant Laurent Grenetier évoque dans ses courriers de nombreux chargements de vins. Ainsi il écrit le 28 janvier 1806 : « Nos trois bateaux de vin ne sont qu’à Montargis… ceux qui ont passé l’hiver dans le canal y sont encore rapport à la Seine qui est débordée… et les derniers vins, dont mon frère est dedans (sic) je les attends aujourd’hui ». Le mauvais temps s’en mêle : « Je vous apprends avec peine que la nuit du 12 mars, il a fait un gros coup de vent de mer qui a mis 15 bateaux de vin au fond… » ; « Le canal est débordé et la Seine est sur 18 pieds et le temps est toujours à la pluie (25 mars) ; au contraire le 26 juin « … la Seine se met bien basse… ». Mais on espère des jours meilleurs : « peut-être que ça reprendra vu l’arrivée de l’empereur à Paris… » ; « on espère que ça reprendra pour la fête du premier mai… » . « Nous avons la paix signée avec la Russie et les négociants de Paris désireraient que celle d’Angleterre soit faite car le traité avec l’empereur de Russie a fait un peu augmenter les eaux-de-vie. Les marchands y perdaient la moitié auparavant ». Les vins sont vendus à la pièce de 220 litres. « Le bon vin Mâcon vaut 106 à 108 F et celui d’Arnaison (Côtes Roannaises) 80 F ». L’origine des vins transportés par la Maison Vial-Grenetier est rarement précisée. S’il est probable que c’étaient parfois des vins du Forez chargés à Saint-Just ou dans un autre port de la région, la plupart du temps les vins étaient chargés sur les saint-rambertes à Roanne ou à Pouilly-sous-Charlieu. Ils arrivaient par charrois de la région roannaise, du Brionnais, du Beaujolais ou du Mâconnais. Pourtant, comme en Auvergne, les vins étaient abondants en Forez, au point que plusieurs demandes d’autorisation pour l’installation de verreries autour de Saint-Etienne avaient été faites avant 1789. Elles furent toutes refusées par l’Intendant de Lyon qui voulait préserver les intérêts de sa ville. Les arguments ne manquaient pourtant pas : Portrait de Jean Grenetier Marinier de Saint-Just-sur-Loire, décoré en 1846 pour « acte de dévouement » lors de la grande crue de la Loire de cette même année. Lettre de Laurent Grenetier. La Loire, un fleuve de vins 32 - il n’existait aucune verrerie dans le Forez - l’éloignement des verreries et les difficultés du transport faisaient renchérir le prix des produits : le cent de bouteilles valait 15 livres en Lyonnais et 24 livres en Forez - les vins du Forez pourraient être vendus le long de la Loire jusqu’à Nevers… Touchard Lafosse Les vins du Forez descendaient-ils la Loire sur les saint-rambertes ? Nos recherches ne nous ont pas permis d’apporter une réponse définitive à cette question. Si l’on en croit Touchard-Lafosse, « les vins du département de la Loire ne Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 33 Poème Jadis en taillis maigre, un fourré de broussailles, Prolongeait au couchant le bois jusqu’aux murailles ; Que j’ai mis là d’argent, de sueurs et d’ennui ! Mais cent tonneaux de vin en coulent aujourd’hui ; Et ma vigne, si haut sur les monts reculée, Y mûrit sans subir ni brume, ni gelée, Tant l’héritage entier, sur un sol attiédi, Reçoit un bon soleil du levant au midi. Victor de Laprade Poète forézien né à Montbrison (1812-1883) se conservent pas » ce qui pourrait induire qu’ils ne se transportent pas. Pourtant de nombreux indices nous incitent à penser que le vin produit dans la région de Montbrison et Boën-sur-Lignon a pu être expédié sur la Loire. Le seul fait que des marchands voituriers de Saint-Just-sur-Loire se soient livrés à ce commerce, implique qu’ils aient eu une source d’approvisionnement locale. De même, les nombreux textes évoquant le transport des vins entre Saint-Just et Roanne ne peuvent concerner que les vins locaux. Un arrêt du Conseil d’état de 1749, fixe par exemple les droits de navigation sur la Loire entre Saint-Just et Roanne, en précisant qu’il sera perçu quarante sols pour chaque poinçon de vin. Dans les archives de Nervieux, une pièce datée du 18 novembre 1823 concernant le chemin de Bussy-Albieux à Nervieux précise que « ce chemin est suivi par les marchands de poissons et par les marchands de vins des coteaux situés entre Boën et Saint-Germain », or Nervieux est à cette époque un port. Marcel Lachiver, enfin, écrit : « dans le Roannais, les marchands vont chercher des vins renommés, comme ceux de Renaison, et poussent même leurs achats un peu plus haut, sur la rive gauche de la Loire, autour de Montbrison, là où se situe aujourd’hui le petit vignoble des Côtes du Forez ». Le vin des Côtes d’Aurec était apprécié à Paris ! Légende ou réalité ? Aurec était au début du XIXe siècle une bourgade de quelques centaines d’habitants située dans les gorges de la Loire « haute », en amont de Saint-Rambert. Un vignoble y existait depuis longtemps puisqu’en 1090, le comte de Forez donne à l’hôpital de Montbrison « la dîme du pain et du vin provenant du castrum d’Aurec ». Dernière vigne à Aurec-sur-Loire Photo, Jean Pestre, 1980. « Monsieur Torti, dernier vigneron d’Aurec, avait construit un « vinoduc » en poteries enterrées permettant de descendre le vin depuis le coteau, jusqu’au bord de la Loire d’où il l’acheminait, par barque, à son domicile ». Note page 35 1. Les Mandard, de Saint-Just-sur-Loire, étaient des voituriers par eau. M. Lutton était un riche négociant d’Orléans marié à la fille de M. Mandard aîné qui dirigeait depuis sa « maison » de Paris le transport de charbon et de vin sur la Loire. La Loire, un fleuve de vins 34 En 1819, la vigne installée sur les pentes de la rive gauche de la Loire couvrait une centaine d’hectares, d’Aurec à Saint-Paul-en-Cornillon. Pour retenir les terres régulièrement emportées par les orages, des kilomètres de terrasses avaient été aménagées. Ce vignoble de coteau orienté vers le sud/sud-est, à une altitude ne dépassant pas 500 mètres, produisait un vin jugé le plus souvent médiocre. En effet le milieu est difficile à cause des gelées tardives de printemps, des orages fréquents, de la grêle… La vendange avait lieu à partir de la mi-octobre. Curieusement le ban de vendange est encore en vigueur au milieu du XIXe siècle. En 1836, le Pan de Chazourne doit récolter les 19 et 20 octobre, le Pan d’en bas le 21 octobre. Le travail ne pourra se faire que du lever au coucher du soleil, et les grapilleurs ne pourront entrer dans les vignes avant le lundi 24 octobre. Par contre, les propriétés closes pourront être vendangées sans tenir compte du ban. Dans la commune voisine de Saint-Paul-en-Cornillon, le Conseil municipal vote le texte suivant le 1er juin 1845 : « Il est défendu de commencer les vendanges de toute vigne non close de murs avant l’époque qui aura été fixée par les membres du Conseil municipal auxquels seront adjoints cinq propriétaires de vignobles choisis parmi les quinze plus fort imposés de la commune ». à Aurec les vignerons possédaient dans leurs vignes une cabane - appelée une loge en Forez - dans laquelle ils rangeaient leurs outils, mais le raisin était pressé au bourg, le plus souvent dans le pressoir communal. Il fallait donc descendre la récolte sur son dos, par les sentiers et les marches bâties dans les murs des terrasses. C’est ensuite en bateau que le raisin traversait la Loire, puisque le bourg d’Aurec est bâti sur la rive droite. à cette époque de l’année, la rivière était souvent grossie par les pluies d’automne, et en 1811, une crue emporta le bateau du port utilisé pour « desservir les propriétés et les vignes que les habitants du bourg possèdent de l’autre côté de la Loire ». Qui buvait le vin d’Aurec ? Les documents sont rares, ce qui a pu faire naître des hypothèses devenues des affirmations… non fondées, ou en tout cas non prouvées. Jusqu’au XVIe siècle les vins du Forez étaient consommés sur place. Au début du XIXe, avec l’ouverture du port de la Noirie destiné à l’embarquement des charbons de Firminy, des bateaux seront construits à Aurec, et plus en amont, à Retournac. Ces bateaux transportèrent certainement du vin d’Aurec à destination des mariniers foréziens. Ce vin allait-il parfois jusqu’à Paris pour y être vendu ? C’est peu vraisemblable, si l’on en croit cette délibération du 5 mai 1828 : « la qualité du vin est tellement médiocre qu’il ne souffre pas le transport, et que le propriétaire est obligé de le donner à vil prix pour le faire consommer sur les lieux ». Une confirmation nous est donnée par un courrier adressé le 7 novembre 1826, par le sieur Monterrad, actionnaire de la Compagnie des mines de Roche la Molière-Firminy, à Messieurs Mandard et Lyonnet, négociants foréziens en charbon et en vins : « J’ai fait beaucoup de démarches pour remplir la commission de Mr Lutton1, mais à mon grand regret, elles ont été jusqu’ici infructueuses. Le vin d’Aurec de la dernière récolte n’est pas encore en état d’être mis en bouteilles ; celui de la récolte précédente tout ce qui se trouvait en bonne qualité a été enlevé : je ne pense pas qu’il faille envoyer du vin aussi loin, s’il n’a pas le mérite d’être bon… » Ce qui est certain, c’est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle et jusqu’à l’arrivée du phylloxéra vers 1880, la région industrielle de Firminy et Saint-Etienne constitua un marché important, car la consommation de vin y atteignait des records. Mais depuis l’arrivée à Firminy du chemin de fer de la Compagnie du PLM (Paris-Lyon-Marseille) en 1859, des viticulteurs d’Aurec et aussi des ouvriers de la région faisaient venir du raisin du Midi de la France. Le chemin de fer particulier de la Compagnie des Mines transportait même du raisin pour ses ouvriers mineurs. La réputation du vin des Côtes d’Aurec a peut-être été véhiculée par les mariniers foréziens désireux de vanter les produits de leur région. La Loire, département de trois vignobles. Le département de la Loire, point de départ des sapines foréziennes qui ont transporté vers la région parisienne des millions d’hectolitres de vin, est plus connu pour ses industries que pour son vignoble. Pourtant trois secteurs géographiques du département portent des vignes qui couvrent en tout un peu plus de mille hectares et produisent annuellement environ 50 000 hectolitres, dont la moitié en AOC. Le Piémont rhodanien et les coteaux qui dominent le Rhône portent des vignes dont le produit jouit depuis longtemps d’une réputation méritée. Ce sont notamment les Château-Grillet, les Condrieu et les Saint-Joseph de la région de Chavanay. Le vignoble forézien appartient à la catégorie des vignobles en bordure de montagne. La présence de vignerons montagnards est attestée depuis le Moyen-Age. Ils utilisaient la charge pour transporter la récolte et faire leur vin. Le plant est essentiellement du Gamay. Aujourd’hui, le développement de la Coopérative de Trelins, l’obtention de l’AOC, ont contribué à la réputation des « Côtes-du-Forez ». Certaines vignes sont plantées sur des terrains basaltiques, ce qui donne un vin aux caractéristiques intéressantes. Dans les Côtes Roannaises, les vignes sont établies sur des coteaux bien orientés au pied des Monts de la Madeleine qui font suite aux monts du Forez. La proximité du fleuve et donc la facilité des transports ont favorisé l’expédition des vins vers la capitale. Une longue tradition viticole a permis, à partir de plants de Gamay comme dans le Beaujolais proche, d’obtenir des vins de qualité qui conservent une notoriété bien assise. Comme dans beaucoup de régions, la vigne a disparu de nombreux secteurs, mais les exigences du marché, l’amélioration des techniques et du matériel, ainsi que le savoir-faire des vignerons concourent à une progression constante de la qualité. Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines 35 Daniel MONDON, paysan-vigneron forézien Attaché au patrimoine viticole du Forez, Daniel Mondon fait revivre les vignes du prieuré millénaire de SaintRomain-le-Puy. C’est un paysan, un homme qui est né, qui travaille et qui vit au pays. Il a vu le jour et a grandi dans la ferme familiale que sa famille exploite depuis au moins le début du XVIIe siècle. Une petite ferme de 25 hectares, en polyculture : un petit troupeau de vaches laitières, quelques chèvres, des pommes de terre, des betteraves, et un hectare de vigne. En 1974, après avoir suivi une formation de paysagiste, Daniel Mondon s’installe avec son frère sur l’exploitation familiale. Il se lance dans la culture du tabac qu’on veut alors développer, mais qu’on abandonnera au bout de quelques années dans les régions qui n’y sont pas traditionnellement consacrées. Il développe alors son élevage de vaches laitières et il plante de la vigne, doublant sa surface. Car la vigne, c’est sa passion. Si le paysan est fier de ses vaches, il l’est encore plus de son vin ! La Cave coopérative de Trelins lui prend sa production de gamay. Daniel Mondon vit maintenant de ses vignes. Il a conservé les cépages traditionnels de l’exploitation familiale et il commercialise son « viognier » qui intéresse des œnologues et des grands chefs. Mais là ne s’arrête pas l’originalité de ce « paysan-vigneron », comme il se définit lui-même. à l’inverse de la pratique habituelle dans les zones pentues, il a planté les rangs de ceps dans le sens de la pente, en lignes convergentes vers le sommet, ce qui met en audacieux qui ont fait du Forez une terre valeur la beauté du site. d’innovations. On l’aura compris, Daniel Mon- En 1999, une proposition lui est faite don est un vrai paysan, un travailleur par la mairie de la commune voisine, attaché à la terre et aux valeurs tra- Saint-Romain-le-Puy : replanter de la ditionnelles de ceux qui en vivent, vigne sur les pentes du piton volcanique mais il est aussi un novateur qui sait qui s’élève au-dessus de la plaine. En prendre des risques. Fidèle héritier effet, ce sommet de basalte couronné d’une longue lignée de gens du ter- par un prieuré millénaire et mainteroir, défenseur de la nature et du pay- nant envahi par une végétation sauvage, sage, il appartient à cette race de gens portait autrefois des vignes sur ses flancs. La Loire, un fleuve de vins 36 Le projet passionne immédiatement Daniel Mondon qui trouve là l’occasion d’allier sa passion de la vigne et son intérêt pour le paysage. La mairie fait débroussailler, nettoyer et défoncer le sol. Il faut ensuite planter la vigne, mettre des piquets. Les racines des arbres et arbustes arrachés sont infectées par un champignon « On fait de grands trous, on enlève les racines touchées et on change la terre. Quand les orages descendent la terre, on la remonte… » La colline de basalte retrouve sa vocation : la vigne s’y installe et s’y sent bien ! Et quelle vigne ! Daniel Mondon a eu l’idée de planter du viognier, ce cépage aristocratique du nord de la vallée du Rhône qui produit le fameux vin blanc de Condrieu et qui avait bien failli disparaître. En 1972 il n’en restait que six hectares au monde. Un pari fou: jamais on n’avait planté ce cépage en Forez ! Et l’intuition était bonne. La production se révèle d’une qualité extraordinaire. Le terrain volcanique donne au vin sa personnalité : il est aromatique, très structuré, de bonne garde. Roanne et les vins du Roannais Vue de Roanne vers 1690 - 1700 Monnet, huile sur toile, 185 x 104 cm, Musée Joseph Déchelette, Roanne. Le château, l’église des Jésuites, la chapelle Saint-Nicolas-du-Port..., édifices toujours visibles de nos jours, se reconnaissent sur ce grand tableau naïf. Trois bateaux à cabanes et deux bateaux gréés d’une grande voile latine confirment l’importance de la navigation à Roanne au XVIIe siècle. Le bac à traille permet la traversée du fleuve quelles que soient les conditions. Roanne : un port ancien Roanne a longtemps été un port de commerce très important à cause de sa situation géographique. Situé au point extrême à partir duquel la navigation vers l’amont devenait impossible, mais où la jonction avec la vallée du Rhône était relativement facile, la ville s’est développée pour devenir un des ports fluviaux français les plus importants. En août 1528, un certain Navagero vient à Roanne, il écrit : « Un peu hors de Roanne, on passe la Loire en barque, et souvent on peut la passer à gué. Là se trouvent beaucoup de barques pour naviguer en aval de la Loire, qui se vendent ensuite et ne retournent plus en amont à cause de la rapidité du fleuve. Ce sont des barques couvertes, et un grand nombre sont ornées à la façon d’une chambre. On pêche là encore des saumons, à une si grande distance de la mer. » Les vins du Roannais Le vignoble roannais est ancien puisque la présence de la vigne est attestée à Villerest en l’an 970. En 1253, le Comte de Forez accorde aux habitants de cette bourgade le privilège de vendre leurs vins « en toute saison ». Au Moyen-Age les vins de la Côte, notamment ceux de Saint-Haon étaient déjà appréciés. On les envoyait en Bourbonnais ou même en Normandie pour les garnisons du Comte ou pour l’hôtel de la duchesse. Une charte octroyée en 1583 par les moines Bénédictins d’Ambierle, nous apprend que les femmes en couches recevaient chaque jour une miche de pain et un méral de vin et aussi qu’à la fête de Pâques les religieux remettaient du bon vin en quantité nécessaire pour le partager entre les habitants, hommes et femmes. Vendanges à Renaison Dès le XVIe siècle, le petit bourg de Roanne grandit. Les marchandises affluent et les auberges se multiplient pour accueillir les voyageurs. Le vignoble de la Côte Roannaise se mêle au bocage et aux forêts des pieds des monts de la Madeleine. Au milieu du XVIIe siècle, la mise en service du canal de Briare, puis celle du canal d’Orléans ouvrent la route vers Paris et les provinces du Nord de la France, ce qui aide encore à son développement. Papire Masson écrit : « Roanne est un entrepôt célèbre dans toute l’Europe. C’est le premier port sur la Loire, fleuve qui offre à la navigation un parcours de plus de soixante et dix lieues, le plus long qui soit en Europe après la Danube. Les bois de sapin qui croissent en abondance aux environs de cette ville, servent à construire des bateaux beaucoup plus légers que tous les autres. Ces bateaux, servis par de bons rameurs, descendent le fleuve avec une telle rapidité qu’ils semblent voler plutôt que marcher. Souvent les courriers pressés quittent leurs chevaux pour aller plus vite par cette voie ». Une gravure de la même époque porte cette légende : « Roanne est à douze lieues de Lyon, dans un terroir fertile et dans une belle situation… Son passage la rend fort peuplée, particulièrement de grand nombre de gens qui n’ont autre métier que de conduire et descendre sur la rivière de Loire dans de petits bateaux couverts qu’on appelle cabanes, ceux qui viennent à Paris d’Italie ou des provinces du Dauphiné, Provence ou Languedoc et autres voisines. La diligence que l’on fait sur ladite rivière, pour peu que le vent soit favorable, oblige souvent à prendre cette commodité ». La peinture (photo page précédente) conservée au musée de Roanne montre le port au XVIIe siècle. On y voit plusieurs bateaux chargés de marchandises diverses. Certains portent une voile, ce qui démontre que l’on remontait la Loire jusqu’à Roanne. Les vins des Côtes Roannaises et du Beaujolais, les charbons de Saint-Etienne donneront un nouvel essor dès le début du XVIIIe siècle. En 1790, Roanne comptera environ 7 000 habitants La Loire, un fleuve de vins 38 Pied de Gamay Cépage unique de l’appellation Côtes Roannaises, le Gamay est utilisé dans sa variété Gamay Saint-Romain. Dès le XVe siècle, grâce au Grand Chemin Royal qui longe la Loire de Nevers jusqu’à Roanne, la ville se développe pour devenir « la rivière marchande de Lyon ». Pourtant ce n’est qu’au XVIIe siècle, après l’ouverture du canal de Briare, que le commerce du vin en direction de la capitale va s’organiser. Le curé de Noailly écrit vers 1650 que les meilleurs vins de la Côte - on ne disait pas encore les Côtes roannaises - sont ceux d’Ambierle, de Saint-Haon et de Renaison. En 1697 Lambert d’Herbigny écrit dans son Mémoire pour le gouvernement de Lyon : « Vers Roanne ce ne sont pas de très grandes montagnes, mais des coteaux qui portent de très bons vins, d’autant meilleurs pour les gens du pays, qu’ils se transportent par la Loire. Ceux de Renaison ont le plus de réputation ». Roanne et les vins du Roannais 39 Le coup de coeur d’un Grand Chef : Pierre Troisgros Depuis ses origines, aux premiers siècles de notre ère, la Côte Roannaise a gagné ses lettres de noblesse. Les sols de granit et de porphyre de ce coteau confidentiel par sa taille, 200 hectares situés sur la rive gauche de la Loire, conviennent parfaitement au Gamay Saint Romain, cépage unique de l’appellation. Grâce au savoir-faire et à la ténacité des vignerons, les vins de la Côte Roannaise ont été récompensés en 1994, par l’accession à l’Apellation d’Origine Contrôlée (A.O.C.). Pierre Troisgros n’est pas étranger à cette ascension et à la reconnaissance qui en découle. Installé à Roanne depuis un demi siècle, il ne renie pas ses origines bourguignonnes, mais partage avec les vignerons locaux l’amour de leurs vignes et de leur terroir. La célèbre table roannaise a constitué la meilleure vitrine pour ce vin dit « de mâchon » à ses débuts, qui avec l’âge est devenu un compagnon apprécié des viandes grillées et des fromages régionaux. Chaque année Pierre et Michel Troisgros accompagnés de leurs sommeliers sélectionnent sur le domaine Sérol une cuvée qui porte leur nom. Issue de vignes de soixante à quatre-vingts ans d’âge, à faible rendement, elle se caractérise par l’harmonie et la concentration des arômes et des tanins. Mais Pierre Troisgros ne pouvait en rester à ce seul stade d’ambassadeur. Aimer et promouvoir un vin est une satisfaction, le produire est une aventure, la réalisation d’un rêve. Avec la complicité de quelques amis et les encouragements de Paul Bocuse, il donne naissance en 1992-1993, au vignoble des Blondins, parcelle de deux hectares conquise sur les sapins. Ce coteau escarpé, exposé plein sud, sur un sol sablonneux est situé sur le domaine de la famille Sérol établie depuis le XVIIIe siècle au lieu-dit Les Estinaudes à Renaison. Texte et photo : René Fessy Depuis, Pierre Troisgros produit chaque année, avec Robert et Stéphane Sérol, 15 000 bouteilles d’un vin très fruité aux arômes de cassis, dont la qualité ne cesse de progresser avec le vieillissement naturel de la vigne. En savoir plus Musée Alice Taverne, Ambierle (42) La Loire, un fleuve de vins 40 Roanne et les vins du Roannais 41 à Paris, les vins de la région roannaise sont connus sous le nom de vins d’Arnaison, ancienne dénomination de la commune de Renaison. Les vidanges à Roanne « Sur trois bateaux qui arrivent d’Andrézieux, on fait une vidange à Roanne ; avant la construction du chemin de fer, les vidanges étaient utilisées pour le transport des vins... ». Etudes du canal de Roanne au Rhône - 1843 Ce commerce des vins est important. Un auteur anonyme écrit en 1788 : « Roanne me parut une ville considérable. Elle fait grand commerce d’entrepôts et de commissions. De petites charrettes traînées par des bœufs viennent journellement apporter des vins que l’on dépose sur son port pour être chargés sur des bateaux que la Loire transporte à Paris ou ailleurs. » Les notes d’un curé de Renaison décrivent les aléas de la culture de la vigne et l’importance du commerce du vin pour de nombreux habitants de la Côte : La principale route des vins de Languedoc au XVIIIe siècle. En 1779, « s’embarquent à Roanne et descendent la Loire... les liqueurs, les vins du Languedoc. » La réputation des vins languedociens est établie depuis de nombreux siècles. Philippe le Bel (1268-1314) affirmait : « il n’est de bon vin que de Tavel ». Dans Pantagruel, Rabelais cite Frontignan produisant « le bon vin de Languedoth ». Au XVIIIe siècle, ce vin de Frontignan est vendu à Paris, mais aussi exporté en Angleterre et en Hollande, comme le rapporte l’intendant de Basville en 1734. « L’an 1740… le peu de vin que l’on a fait est sans couleur et vert d’une façon que les Parisiens n’ont point voulu en acheter crainte qu’il ne s’aigrisse… » Port de Roanne sous la neige Emile Noirot, Musée Joseph Déchelette, Roanne « 1742… pour le vin il s’en est pas trop ceuilly dans cette côte, la trop grande sécheresse a gâté le raisin qui n’a pas pu bien mûrir, après les pluies, par rapport aux gelées qui sont survenues. Les Parisiens en ont pris fort peu dans ce pays… » « Une charge de deux couplages formant quatre bateaux dits saint-rambertes... de 409 pièces de Languedoc et 2 pièces d’Arnaison ». Sources : Etude de Maître Hugues Grenot, notaire public à Decize. Onze ventôse de l’an sept (29 février 1799). « L’année 1769 a été remarquable par la bonne vente des vins en cette côte… toutes les vignes des païs bas ont été entièrement endommagées… le Parisien a donné dans la côte… » Le transport et le commerce du vin Le Barrot Assiette - faïence de Roanne - 23 cm Musée Joseph Déchelette, Roanne Le « barrot », charrette à deux roues, servant au transport du vin de la Côte au port de Roanne n’a totalement disparu que dans les premières années du XXe siècle. C’est vers 1790 qu’on crée la route de Renaison à Roanne pour le transport des vins de la Côte. à la même époque on commence aussi la route de Roanne à Charlieu et à Marcigny, destinée à faciliter le transport des blés du Charolais et des vins du Beaujolais. Des expéditions de vin sont faites par voie terrestre, notamment avec le Bourbonnais par la route royale rejoignant La Palisse. Ce vin est souvent échangé contre des marchandises diverses : grains, bois, huiles, chanvre… Les vins produits dans les paroisses du sud de la Côte comme Renaison sont acheminés vers le port de Roanne où ils sont embarqués alors que ceux des vignobles situés plus au nord sont dirigés vers Briennon, en face de Pouillysous-Charlieu. Le commerce est géré par les voituriers par eau de Roanne dont la plupart habitent des maisons proches du port. Le port de Briennon La Loire, un fleuve de vins 42 Un certain nombre de mariniers et de voituriers par eau demeurent sur le Coteau situé sur la paroisse de Parigny, en Beaujolais. Ils sont spécialisés dans le commerce du vin, importé du Beaujolais viticole ou du Languedoc, qui arrive ici par un transport terrestre. Au Coteau existent deux ports : le port de Varenne où arrivent les saint-rambertes chargées du charbon de la région stéphanoise et le port des Balmes où sont chargés les vins. Carte dressée par Gérard Vachez La route du Languedoc Pour accéder au marché parisien, dès la fin du Moyen-Âge, des vins du Languedoc et de la vallée du Rhône ont été charroyés sur cette route dite « du Languedoc ». Quai de Beaucaire point de départ des vins du Languedoc Roanne et les vins du Roannais 43 On connaît plusieurs voituriers par eau qui conduisaient du vin à partir de Roanne : Antoine Perrot, Jean Plossard, Claude Brissat. Les Berry-Labarre, les frères Vincent, Martin Vial, les frères Mandard, de Saint-Just-sur-Loire, avaient une succursale de leur maison de commerce à Roanne et se livraient également au commerce du charbon de la région stéphanoise. Des marchands de vin parisiens, comme les sieurs Rondet et Chanal, possédaient un entrepôt à Roanne et employaient par contrat un voiturier par eau roannais. Ainsi Antoine Perrot s’était engagé « à n’entreprendre pour son compte particulier, ni pour autre, voiture ni commerce séparé… pendant tout le temps que les sieurs Chanal et Rondet auront des vins dans leur dépost ». Les marchands fournissaient les sommes nécessaires pour l’achat des bateaux et payaient pour le transport. à titre d’exemple, pour une demi-pièce jauge du Languedoc : - 16 livres 15 sols pour du vin du Languedoc - 12 livres 10 sols pour du vin du Forez - 9 livres 13 sols pour du vin de Renaison ou du Beaujolais D’après le registre d’entrée des vins dans Paris pendant les années 17021705, pour les vins qui viennent du Beaujolais et du Roannais, le port d’embarquement est Roanne, plutôt que Digoin. En moyenne on a chargé à Roanne chacune de ces années, 35 000 hectolitres de vin, ce qui représente le chargement d’une centaine de bateaux, alors qu’à Digoin, à la même époque, on en charge trois fois moins. C’est en 1792, avec l’ouverture du canal du Charolais appelé plus tard canal du Centre que les vins de Mâcon voyageront par Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines pour rejoindre la Loire à Digoin. On estime qu’au XVIII siècle et au début du XIX , ce sont 40 à 50 000 pièces de vin des Côtes de Roanne qui étaient transportées chaque année par la Loire pour être vendues dans la région parisienne. e e Des mariniers de mauvaise réputation La corporation des mariniers roannais était puissante. Sur 665 chefs de famille dont la profession est indiquée, on note pour les années 1701-1702, 94 mariniers et 45 charpentiers en bateaux, ce qui représente plus d’un cinquième de la population active. Le tableau des professions fait apparaître, pour l’année 1801, 163 mariniers, ce qui représente 11,4% des citoyens actifs de Roanne. Au XVIIe siècle, ces mariniers roannais n’ont pas bonne réputation. Un voyageur, Thévenot, s’en plaint : « Les gens de Roanne ne valent rien, principalement les mariniers qui vous vendent, si La Loire, un fleuve de vins 44 vous n’y prenez garde, c’est-à-dire qu’ayant fait marché avec eux et leur ayant tout donné l’argent, car ils veulent tout recevoir, sous prétexte d’acheter un bateau, ils vous donnent à conduire à un autre à bon marché, de sorte que lorsque vous voulez partir, croyant d’avoir trois mariniers, vous n’en trouvez qu’un que vous n’avez jamais vu, lequel, si vous n’y prenez garde, vous laisse au premier lieu où vous descendez et s’en retourne. C’est pourquoi il fait bon connaître à Roanne quelqu’un qui vous choisisse vos mariniers et fasse votre marché. » Cent ans plus tard, les choses n’ont pas changé. Dans un courrier adressé à l’Intendant de Lyon M. de Flesselles, M. Thévenon, subdélégué de Roanne, écrit : « Depuis la suppression du coche d’eau établi sur la Loire, il est resté libre à toutes personnes de conduire les voyageurs et les marchandises. Les mariniers de notre ville comme plus au fait de la navigation se sont emparés de cet emploi, parce qu’ils y trouvent un avantage considérable… Cependant tantôt ils abusent de l’ignorance, de la bonne foi, ou du pressant besoin qu’ont les voyageurs d’arriver à leur destination, pour exiger d’eux des prix de conduite exorbitants ou, lorsque ce piège ne réussit pas, ils promettent de les conduire au prix ordinaire et les laissent compter sur l’embarquement jusqu’au moment du départ pour leur dire ensuite qu’ils ne mettront pas le pied dans le bateau s’ils ne donnent tant ; tantôt, au lieu de se rendre à leur destination, ils les conduisent seulement à quelques lieues de Roanne, et sous prétexte que la Loire est trop forte ou trop basse, ou enfin qu’on ne peut aller sur l’eau sans danger, ils les mettent à terre et leur font continuer la route à pied sans néanmoins leur rendre l’argent qu’ils ont reçu, et reviennent tranquillement à Roanne chercher de nouvelles dupes ; tantôt, ils ont l’imprudence de faire conduire le bateau par un homme seul souvent sans expérience ; tantôt enfin après s’être fait payer d’avance fort chèrement la conduite, ils disposent à leur profit d’une partie de l’argent, et remettent l’autre à un marinier en sous-ordre ou même à un étranger inconnu qu’ils chargent de la conduite qu’ils ont promis de faire eux-mêmes… Ce n’est pas tout. L’avidité et l’imprudence des mariniers sont cause de bien des accidents qui semblent devenir plus fréquents. En peu de temps, plusieurs bateaux ont péri et une partie des voyageurs se sont noyés. Je ne peux surtout me dispenser de vous rendre un compte détaillé du dernier de ces accidents. Le nommé Melot, marinier en cette ville, avait promis d’embarquer le 25 juillet dernier et de conduire lui-même jusqu’à Orléans 14 personnes. Au lieu de s’exécuter il chargea de cette conduite un nommé Mamecy, jeune garçon marinier très peu au fait de la navigation et qui conduisait seul le bateau chargé de ces 14 personnes et de différentes marchandises. Le lendemain 26 à 7 heures du matin, sur la paroisse d’Avrilly à une lieue de Marcigny ce bateau coula à fond par l’imprudence ou l’impéritie du conducteur. De ces 14 personnes il en périt cinq, et parmi ces cinq la femme enceinte et le fils d’un nommé Guérin, cy-devant soldat de la compagnie de Monval au régiment de Hainaut, infanterie qui se retirait à Versailles, lieu de sa naissance et dans le sein de sa famille. Ce malheureux s’est présenté à moi dans l’état le plus déplorable ayant les reins écorchés et le corps singulièrement meurtri. Je le fis sur le champ entrer à l’hôpital… Il est à craindre que bientôt on n’ose plus s’embarquer sur la Loire ni y embarquer aucune marchandise, ce qui priverait cette ville d’une branche de commerce considérable… » Roanne et les vins du Roannais 45 Fortes-têtes ! Les mariniers manifestaient un esprit d’indépendance qui les poussait parfois à braver l’autorité. Ainsi, en 1795, pour protester contre leurs conditions de vie difficiles, ils refusent d’acheminer jusqu’à Orléans des caisses de fusils. Les autorités décident que le départ de tous les bateaux de vin sera stoppé jusqu’à ce qu’un bateau soit cédé pour le transport des armes. En 1797, plusieurs mariniers remplacent les flammes tricolores ornant la girouette de leur bateau par des flammes blanches, ou même par une couronne. Un arrêté pris aussitôt leur interdira d’afficher sur leurs bateaux « des signes rappelant la royauté ou la féodalité… ». Des incidents fréquents opposaient les mariniers à la Compagnie Lagardette qui avait obtenu du roi la concession du transport sur la Loire. à partir de 1793, ils refusèrent d’acquitter les droits dûs à la Compagnie. Une corporation qui sait se défendre Si les mariniers de Roanne ont souvent su se faire respecter, c’est parce qu’ils formaient une corporation solidaire. Cette solidarité se manifestait notamment quand des négociants voulaient embaucher des mariniers extérieurs moins exigeants pour la conduite de leurs bateaux. Les exemples sont nombreux. Une véritable émeute survint lorsqu’un négociant roannais voulut confier la conduite de ses bateaux à des mariniers de Digoin moins exigeants. Plus tard, c’est Madame Mandard qui devra, devant les menaces, renoncer à engager des hommes de Pouilly-sous-Charlieu. Marinier Assiette - faïence de Nevers, 24,5 cm Début XIXe siècle Collection particulière 1 Note Médiathèque de Roanne 25-32 La Loire, un fleuve de vins 46 « Les soussignés maîtres-mariniers demeurant soit à Roanne, soit à Saint-Just-sur-Loire, unis dans un intérêt commun, ont réciproquement pris les engagements suivants : - à dater du quinze septembre présente année il sera perçu sur chaque bateau chargé de houille, de toutes autres marchandises ou vide, arrivant à Roanne ou se chargeant à Roanne au chemin de fer et appartenant aux soussignés, une somme de cinquante centimes. - Les dits cinquante centimes seront provisoirement versés entre les mains de Monsieur le Receveur de la navigation qui seul délivrera quittance et tiendra note des payements effectués. - Cette contribution aura lieu de la part des soussignés jusqu’à concurrence d’une somme de seize cents francs ; elle devra durer tout le temps nécessaire pour atteindre à ce résultat. - Le montant de la contribution qui fait l’objet du présent engagement sera affecté en premier lieu à l’établissement de vingt-huit pieux d’amarre qui doivent être prochainement placés par l’Administration des Ponts et Chaussées sur les deux rives de la Loire, établissement pour la dépense duquel les maîtres-mariniers soussignés ont offert de coopérer pour une valeur de six cents francs. Les mille francs restants seront destinés soit à augmenter ultérieurement le nombre de pieux, soit à pourvoir à tous les autres besoins généraux du commerce de la marine. Ces dernières dépenses imprévues jusqu’ici ne pourront avoir lieu que du consentement de la majorité représentée par des syndics choisis par elle. - Fait à Roanne le dix septembre mille huit cent trente cinq. » Suivent une trentaine de signatures parmi lesquelles on relève les noms de plusieurs maîtres mariniers de Saint-Just : les Labarre, Olivier, Barrallier, Guitton, Didier… Les Bords de Loire (détail) Emile Noirot - 1886 - collection particulière Peint sur la rive droite de la Loire, au Coteau, ce tableau montre le quai commandant l’Herminier et l’ouverture d’alimentation du canal. Mais cette solidarité se manifesta aussi par la création, en 1819, de la Caisse de secours mutuels et de prévoyance entre les mariniers de Roanne qui deviendra plus tard Société de bienfaisance. Les voituriers par eau à Saint-Just-sur-Loire comme à Roanne, dès le début du XVIIIe siècle, des mariniers se livrent aussi au commerce. Ces « maîtres mariniers », comme ils s’appellent eux-mêmes, deviennent voituriers par eau. Certains, comme les Labarre et plus tard les Mellet-Mandard, fondent des maisons de commerce importantes. Ils font établir des contrats avec des charpentiers pour la construction de leurs bateaux, ils emploient des dizaines de mariniers, ils ont des dépôts et des bureaux à Saint-Just-sur-Loire, à Roanne, à Briare. Ils savent unir leurs forces pour la défense de leur profession, prenant ensemble des décisions. Un document daté du 10 septembre 18351 montre qu’ils acceptent même de participer financièrement à des travaux qui devraient être à la charge de l’Administration : Roanne et les vins du Roannais 47 Les charpentiers, les bateaux Un obstacle à la navigation : les pêcheries De nombreux constats concernent des plaintes de mariniers ou des accidents de bateaux causés par les piquets de bois plantés dans le lit de la rivière et destinés à soutenir les filets pour la pêche des saumons. On peut lire dans un courrier adressé à un « Citoyen administrateur » et daté de fructidor an 11 : à Roanne et dans la région on construit des bateaux depuis très longtemps. Au début du XVIIIe siècle, leur corporation est regroupée dans un quartier situé proche de ce qui sera plus tard le bassin du canal. « Avant la Révolution, c’est-à-dire avant 89, l’on ne connaissait depuis la mer en remontant le cours de la Loire, fleuve navigable jusqu’au-dessus de Saint-Rambert dans le département de la Loire, d’autres barrages fixes pour la pêche aux saumons et aloses que celui du duc d’Harcourt ci-devant seigneur de Roanne en qualité d’époux de la dame La Feuillade. Depuis l’époque ci-dessus, c’est-à-dire depuis la suppression de ce barrage chacun des propriétaires riverains croyait user de la pêche vis-à-vis sa propriété comme du droit de chasse, et des individus de toutes classes se sont permis d’aller parcourir les bords de la Loire pour y faire à l’envie une quantité de barrages les uns partiels, les autres traversant la totalité du lit. Leurs maisons étaient construites en bordure du fleuve, bâties en cailloux de Loire et non en pisé pour mieux résister au débordement des eaux en cas de crue importante. Elles se composaient d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, rarement d’un second. Dans le vaste grenier, séchaient tasseaux, chevilles, couvre-joints… Comme à Saint-Rambert, l’espace qui sépare chaque maison du fleuve servait de chantier pour la construction des bateaux. Pour sauvegarder l’outil de travail, lorsqu’un événement familial donnait lieu à un partage entre héritiers, la maison était partagée en deux, mais la cour servant de chantier était toujours attribuée à une seule personne. Des réclamations justement fondées sur ces abus ont été faites auprès des administrations de district et département, sans qu’aucune exécution s’en soit ensuivie. Le gouvernement s’étant emparé des fleuves et rivières navigables ne mettra-t-il pas un terme à ce que sous peu aucun individu ne se permette impunément d’encombrer la Loire de piquets qui entravent partie ou la totalité du lit. L’affermage d’une étendue déterminée dans chaque département lui serait avantageux et productif, mais le mode de pêche devrait être de ne pouvoir pêcher qu’avec des filets dont la maille fût conforme à l’ordonnance de 1669… (la pêcherie) dont la marine se plaindrait comme nuisible au cours de la navigation, après que procès-verbal aurait été légalement rédigé par un notaire ou huissier assisté de deux ou quatre mariniers… serait détruite de suite aux frais de celui qui l’aurait établie… » Les barrages sur la Loire à Villerest en amont de Roanne, un riverain avait érigé des petits barrages La Loire, un fleuve de vins 48 Les bateaux étaient construits en plein air et les matériaux stockés sur place. On travaillait tant qu’il faisait jour. En hiver, quand la nuit tombe vite, les charpentiers poursuivaient leur travail dans la grande salle du rez-de-chaussée de leur maison, qui servait à la fois de cuisine, de chambre à coucher et d’atelier. Ils y confectionnaient les petites pièces nécessaires à la construction. Quand les bateaux étaient achevés, on les acheminait jusqu’à la Loire sur des sortes de rouleaux appelés « roualets » actionnés avec des barres de bois ou de fer. Les ateliers de fabrication de sapines à Roanne en 1851. Lithographie de Louis Noirot, Musée Joseph Déchelette, Roanne Roanne et les vins du Roannais 49 La sapine de Roanne, dite « roannaise » « On construit à Roanne des bateaux en sapin dits roannaises, qui sont mieux confectionnés que ceux de Saint-Rambert ». Source : études du canal de Roanne au Rhône, 1843. Les roannaises en sapin et chêne, (de 1705 à 1860) sont de dimensions et de formes semblables à celles des saintrambertes Leur construction est cependant plus solide grâce à des plats-bords en chêne. Elles naviguaient aussi bien sur la Loire que sur les canaux et servaient aux transports des vins et de diverses marchandises. Chantier de Roanne Gravure - Médiathèque de Roanne Le bâtard Conçu pour naviguer sur le canal de Roanne à Digoin, mis en service en 1838, ce bateau est construit dans les chantiers navals de Roanne. Tout en chêne, le bâtard peut transporter 120 tonnes et durer douze ans. On le retrouve jusqu’au XXe siècle sur le canal du Nivernais. Les cabanes Conçues pour naviguer sur la Loire, elles sont en activité jusqu’en 1790. L’abri qu’elles portaient était couvert soit d’un toit arrondi soit d’une toiture aiguë à double pente. Cabanes dans le port de Roanne Détail du tableau de Monnet conservé au Musée Joseph Déchelette à Roanne La Loire, un fleuve de vins 50 Ces bateaux étaient souvent des sapines, très semblables aux auvergnates ou aux saint-rambertes. Surtout utilisés pour le transport du charbon, ces roannaises construites en bois de sapin avaient l’avantage d’être peu chères et parfaitement adaptées à la navigation sur la Loire. Mais on fabriquait aussi à Roanne des bateaux plus solides, en chêne, destinés à naviguer plusieurs années et à faire des trajets « à la remontée ». C’étaient des toues, encore appelées coches d’eau ou cabanes, qui ramenaient parfois les futailles vides… et les mariniers. On peut lire, dans un courrier adressé au duc de la Feuillade par un maîtrecharpentier en bateaux : « Les petits bateaux, ou thoues qu’on appelle cabanes, qui servent au coche c’est-à-dire depuis dix toises jusqu’à onze et douze se fabriquent partie à Rouane et le reste depuis deux lieues jusqu’à cinq plus bas que Rouane. Celles qui se font à Rouane sont toutes en planches de chesne qui sont d’un poulce et demy d’épaisseur et le bord de deux poulces que l’on met au dessus… lesquelles thoues ou cabanes pour les faire servir au coche il faut leur faire un dessus de planche de sapin pour les mettre en état de servir…» Ces « petits bateaux », selon l’expression du maître-charpentier, avaient tout de même de 20 à 24 mètres de long ! Ils étaient surtout destinés au transport des voyageurs. Comme il est expliqué en détail, page suivante, les bois servant à la construction des bateaux de Roanne venaient des Monts de la Madeleine, des Bois-Noirs et parfois du Beaujolais. Le plus souvent, les marchands achetaient une coupe de bois et passaient un marché avec des bûcherons et des scieurs de long. Des paysans assuraient le transport des planches pendant la morte-saison. Les sapines fabriquées à Saint-Rambert et qui arrivaient à Roanne chargées de charbon avaient souvent souffert du voyage et il fallait les remettre en état pour qu’elles puissent continuer leur voyage. Quant à celles qu’on libérait de leur chargement, elles étaient la plupart du temps utilisées pour le transport du vin. Les bateaux en chêne appelée chênières, plus solides, avaient plus de valeur que les sapines, si l’on en croit le désaccord entre Antoine Berland, voiturier par eau de Digoin, et le sieur Sauvagnat, aussi voiturier par eau. Un marché a été conclu entre eux en décembre 1816 : Sauvagnat s’est engagé à fournir à Berland cinq bateaux. Deux ont été livrés rapidement, mais six mois plus tard les trois autres, qui devaient être livrés à Chalon, ne le sont toujours pas. Sauvagnat propose de livrer trois saint-rambertes, mais Berland veut trois chênières ou trois roannaises. Le notaire établira un procès-verbal Les bois pour la construction des bateaux Les marchands charpentiers en bateaux cherchaient évidemment à acheter les bois nécessaires dans les forêts les plus proches. Les forêts de sapins du Livradois approvisionnaient les chantiers de construction des sapines auvergnates. Les monts du Forez et quelquefois du Pilat fournissaient le bois des saint-rambertes. Les charpentiers du Roannais et du Brionnais achetaient des arbres dans les Monts de la Madeleine ou dans des forêts de feuillus de leur région. Ils passaient ensuite un contrat devant notaire avec un ou plusieurs scieurs de long chargés de débiter les arbres. En voici deux exemples. Le 7 octobre 1743, un marchand de Charlieu, Jean Baptiste Collet, et deux marchands charpentiers en bateau, Guillaume Ginet de Saint-Pierre-la-Noaille et Jean Lapillonne d’Iguerande, signent un contrat avec Sébastien Trunel, scieur de long de la paroisse de Job, en Auvergne. Sébastien Trunel s’engage à fabriquer pour ces trois marchands des plateaux de chêne ou de fayard (nom local du hêtre), de 12, 15 et 18 pieds de longueur (de 4 à 6 mètres). La largeur de ces plateaux est généralement de 0,40 m et l’épaisseur varie de 6,5 à 11 centimètres. Le contrat est très précis. Les croûtes, premières planches de sciage des troncs, seront de la même longueur que les plateaux et auront une épaisseur de 2 pouces et demi, soit 6,7 cm. Les pointes, parties sommitales des arbres, seront de la plus grande longueur possible. Les arbres seront coupés à un demi-pied du sol (16 cm). Le scieur ne pourra quitter la forêt avant d’avoir fini de scier les bois en question. Le prix convenu est de 22 livres par cent toises de bois, 200 mètres. S’il arrivait que les dimensions fixées ne soient pas respectées, Turnel ne pourrait réclamer aucun salaire pour les bois « rebutés ». Enfin le travail devra être livré dans le courant du mois de février, quatre mois plus tard. Un autre contrat est établi le 18 mars 1780 entre René Lapillonne et L. Berthellier, tous deux marchands charpentiers en bateaux de Pouilly-sous-Charlieu et trois scieurs de long. Damien et Pierre Chantegré, père et fils, sont natifs de la paroisse de Job en Auvergne, comme Sebastien Trunel, dont il est question plus haut, et Guillaume Costille, de la paroisse de Bertignat en Auvergne. Les scieurs mettront en planches et bords de bateaux 5000 toises de bois que les marchands ont acheté dans la paroisse de Chénelette. Le prix convenu est de 15 livres par cent toises de bois. Un acompte de 48 livres est versé par les marchands à la signature du contrat. Le travail devra être terminé à la Saint-Jean prochaine, le 24 juin. L’achat des bâtons nécessaires à la conduite des bateaux faisait également l’objet d’un acte écrit et signé en présence de témoins. Le 28 octobre 1722, Claude Fouilland, habitant de la paroisse de Jarnasse en Lyonnais, vend à Jean Gal, bâtonnier en bateaux de la paroisse de Pouilly-sous-Charlieu, la quantité de quatre-vingt-un arbres « propres à faire des bâtons de bateaux pour mener deux bateaux attachés ensemble, lesdits bois à prendre dans les bois dudit vendeur situés dans la paroisse de Jarnasse ». Le prix fixé est de 92 livres. Roanne et les vins du Roannais 51 Louis Prélange, marinier au Coteau Né en 1784, Louis Prélange était un de ces mariniers qui conduisaient à Briare, et parfois jusqu’à Paris, des sapines foréziennes ou roannaises chargées de marchandises diverses. Il savait écrire et nous a laissé son livre de bord dans lequel il a consigné ses activités professionnelles et parfois des évènements de sa vie privée survenus entre 1809 et 1843. Ce livre de bord commence ainsi : « Ce livre appartient à moi, Louis Prélange. Je prie ceux qui le trouveront de me le rendre, je paierai tout ce qu’il faudra. Je demeure sur le coteau de Roanne. L’année 1806. » Pas seulement marinier ! Les mariniers de Roanne Gravure de 1821 Archives de la Médiathèque de Roanne En 1809 Louis Prélange a 25 ans et commence son métier de marinier, sans doute après une longue période d’apprentissage. Le 31 janvier, il « se loue », suivant l’expression de l’époque, pour conduire un bateau à Briare, mais le bateau ne peut aller au terme de son voyage. Stoppés près de Nevers pour une raison qu’on ignore, peut-être le mauvais temps, les mariniers « mettent en fosse » à Decize. Deux semaines plus tard, Louis Prélange se loue à nouveau pour aller à Fourneau, près de Bourbon-Lancy. L’année suivante, en 1810, il accomplit plusieurs voyages sur la Loire , à Briare, à Orléans, à Paris. Outre son activité de marinier, il fabrique des tonneaux, greffe des arbres… En 1811 il fait plusieurs voyages à Briare, et en avril il plante 4 000 sapins. Au passage, il donne une recette pour avoir des œillets doubles : « il faut cueillir la graine le 14 de la lune et les semer le 14 de la lune ». Il signale une période de mauvais temps : « le 10 avril il y a tombé de la neige au moins trois jours la vigne a toute gelé les 11 et 13 avril mais les blés n’ont pas eu grand mal, Dieu merci ». Un voyage particulièrement long ! En 1812 il nous fait le récit d’un voyage particulièrement long : « un voyage que j’ai fait pour messieurs Destras frères et Marque de Roanne. Je suis parti le 19 décembre de Roanne l’année 1812 pour Paris. Nous sommes arrivés le 24 au port de S... où nous avons gardé l’hiver. Nous en sommes partis le 6 janvier 1813 et nous sommes arrivés le 13 à Briare. Et nous sommes partis le 16 de Briare pour Paris. Nous sommes arrivés le 21 à Rogny où nous avons été obligés de rester là pour l’hiver. Nous sommes partis de Rogny le 10 février pour Paris. Nous sommes arrivés le 22 à Paris. J’ai vu le petit Roi de Rome le 28 février 1813 aux Tuileries. Je suis parti le 1er mars de Paris pour venir à Roanne. Je suis arrivé le 4 mars dans mon pays. » Son voyage a donc duré deux mois et demi ! Il ne se plaint pas pour autant, nous rapportant seulement qu’il y a appris un remède contre les maux de dents. Pour chacun des voyages qu’il entreprend, Louis Prélange tient soigneusement ses comptes La Loire, un fleuve de vins 52 Louis Prélange est mobilisé en décembre 1813 « je suis parti dans le mois de Décembre pour la levée de trois cent mille hommes pour servir l’empereur Napoléon. On m’a tiré le 2 février dans les grenadiers dans le 24ème de ligne, 6ème Bataillon, 1ère Compagnie ; Nous sommes partis le 9 mars du côté de Villefranche pour nous battre contre certains des Carga… A Lyon nous avons commencé à nous battre à deux lieues de Villefranche. Le 11 mars à 8 heures du matin nous avons repoussé l’ennemi jusqu’à la porte de Mâcon. De là ils nous ont crap… à Lijieux et ils nous ont repoussé à une lieue et demie proche de Villefranche. Nous les avons tenus là jusqu’au 18 que nous avons recommencé le feu et ils sont entrés dans Villefranche. De là nous avons battu en retraite à Limonest. Nous avons recommencé à nous battre le 20 à 8 heures du matin. Ils nous ont repoussé jusqu’au village proche de Lyon. C’est là que nous sommes battus comme il faut. Nous étions à peu près 25 000 hommes et l’ennemi était 80 000 hommes toute de... Ils n’ont pas entré ce jour-là à Lyon ; ils n’y ont entrés que le lendemain parce que l’on nous a fait évacuer dans la nuit du côté de Vienne en Dauphiné. De là à Valence et puis de là à Loriol quatre lieues plus bas que Valence . C’est là que la paix ( ?) s’est décidée. De là nous sommes partis pour aller au Puy-en-Velay, dans le département de la Haute-Loire. Je suis parti le 5 mai du Puy pour revenir chez nous. Je suis arrivé le 7 auprès de mon père et de ma mère. Je n’ai emporté que mon habit. Ma capote, mon shako et ma feuille d’ordonnance …, ma giberne, tout ça je l’ai laissé pour le bataillon. Rappelé Fait le 12 mai 1814. » « J’ai été rappelé le 7 mai à Montbrison pour repartir à la guerre. J’ai demandé au général que je désire bien d’entrer dans la deuxième légère. Mon départ était à Paris. Je me suis fait donner une feuille de route pour moi tout seul. Je suis parti de Roanne le 15 mai et je suis arrivé le 20 juillet chez nous auprès de mon frère et de ma mère en bonne santé, Dieu merci. Nous sommes partis, ma mère et moi le 31 mai 1816 pour Lyon pour accomplir un vœu que nous avions promis il y a 11 ans. Nous y avons fait tous les deux nos dévotions auprès de notre Bonne Mère de Fourvière le jour de la Pentecôte. Cette Bonne Mère qui m’a sauvé d’une maladie. Et du feu de la guerre. Nous sommes revenus à Roanne le 4 juin… » Une vie de marinier « J’ai fait un voyage pour M. Benoit Labarre et Cie le 6 novembre pour aller à Briare. J’ai reçu de conduite 30 F J’ai refait un voyage pour M. Benoit Labarre pour aller à Briare . Je suis convenu de prix 80 F ; Reçu de conduite 25 F 13 décembre. J’ai refait un voyage pour M. Benoit Labarre. Le prix est de 60 F. Reçu de conduite 30 F ; Ces trois voyages sont payés. 16 janvier Voyage à Briare pour M. Giton de Briare 18 avril Voyage à Briare pour M. Giton 20 juin Voyage à Collonges, une lieue sous Nevers, pour M. Mandard (20 F). Retour le 25 juin Le village de Rogny-les-sept-écluses Vue de Rogny et du canal de Briare Comptes relevés dans le carnet de bord « le 22 octobre 1812 je commence à travailler pour M. Destras frères et Marque Voyage à Orléans : 60 F Dépense pour revenir : 25 F Acheté deux bonnets de coton à Orléans : 4 F Donné à ma mère : 20 F Donné à mon père : 1 F Gardé pour moi : 10 F Mémoire de l’argent que j’ai reçu l’année 1813. Voyage pour M . Destra et Marc. Je suis parti le 19 janvier 1813 pour Paris et je suis arrivé le 5 mars 1813. J’ai reçu : Pour mon compte : 3 F A Cosne : 1 F À Rogny : 6 F A Paris : 15 F Et puis en partant de Paris : 125 F Total : 150 F Dépenses pour venir de Paris à Roanne : 48F, ça fait 102 F que j’ai pour mon compte. Donné à chez nous : 52 F Acheté une montre à Paris : 15 F Gardé pour moi : 35 F Total : 102 F J’ai vendu à ma tante Ganot la ferblantière 5 aunes et demie de toile à cinquante sous l’aune. Il se monte à 13 F 15 sous. J’ai reçu un acompte de 10 F. Le 27 mars 1813. » Roanne et les vins du Roannais 53 Je me suis loué à la Société de monsieur Peicoret pour aller à Briare dans le charbon. Il me donne 80 F pour le voyage. J’ai reçu de conduite à Briare 35F. Je me suis loué le 17 novembre 1816 pour monsieur Berrau et Compagnie pour aller à Briare dans un couplage de charbon. ; Il me donne 53 F pour faire le voyage. J’ai reçu de conduite à Briare 30 F, une voie de charbon que nous avons pris vers lui : 38 F. ; Ca fait 68 F ; Je touche ou en argent ou en marchandise. Je redois donc 15 Fà monsieur Berrau de Saint-Rambert et Compagnie. J’ai fait un voyage pour M. Berrau le 26 mai 1811. J’ai gagné dans ce voyage 40 F pour aller à Briare. J’ai reçu de conduite à Briare 30 F. Sapine Assiette - faïence de Roanne, 24,5 cm Début XIXe siècle Collection particulière Je suis parti dans un couplage de charbon pour aller à Briare le 18 avril 1819 pour Madame Mandard. J’ai gagné 105 F . J’ai reçu acompte à Briare 35 F. Je suis parti dans un couplage de charbon pour aller à Briare le 19 juin 1819 pour Messieurs Détras frères. J’ai gagné 135 F. Nous avons été que trente-six lieues de Roanne. Nous avons laissé le bateau faute d’eau. J’ai reçu de conduite 30 F. J’ai à recevoir du voyage 67 F 4 sous... » On peut s’étonner des différences de tarif pour le même trajet RoanneBriare. Il faut rappeler qu’il n’existait aucun barème de référence et que le salaire des mariniers était fixé au coup par coup. A certaines époques la concurrence était rude et faisait baisser les prix. On peut aussi penser que les risques accrus de la navigation étaient pris en compte. Autour du vin Louis Prélange ne semble pas avoir conduit beaucoup de bateaux de vin. Par contre il se livre à de nombreuses activités relatives au vin. Il fabrique des tonneaux, il les répare, il soutire du vin, rince et remplit les bouteilles. « Le 9 septembre 1919, j’ai fini 26 tonneaux et toutes les pièces que j’avais entrepris chez M. Toine Françon. J’ai fait le prix à 35 sous par tonneau et deux journées de bois ; ça fait 45 F 10 sous. » Mémoires de Monsieur Chappe « Le 2 octobre 1819 je lui ai rebattu un grand tonneau, je l’ai bouché et mis 6 cercles, le tout fait 1 F 3 sous. Une autre fois je lui ai rebattu deux tonneaux et mis 30 cercles, le tout fait 3 F 10 sous. Le 7 février 1820, j’ai rebattu un tonneau et mis 10 cercles, le tout fait la somme de 1 F . Le 18 octobre 1820 j’ai rincé toute la journée des bouteilles chez M. Lorange. Le lendemain j’ai mis des vins en bouteille chez lui. Le 10 octobre 1821 j’ai travaillé chez Madame la Comtesse de Foudras jusqu’au 17 octobre pour rebattre des tonneaux… Une autre fois j’ai été de Roanne à Vougy prendre sa vendange pour la mener à M . Linare à Pouilly ». (1821) La vie privée Le livre de bord de Louis Prélange nous livre également des renseignements intéressants, parfois émouvants, sur sa vie privée et sur la diversité de ses activités. Couplages devant le pont de Roanne Louis Noirot, Lithographie Musée Joseph Déchelette, Roanne Louis Prélange travaille souvent pour des Labarre et des Mandard de Saint-Just-sur-Loire. En 1819 il fait six voyages dans un couplage de charbon : - le 18 avril voyage à Briare pour Mme Mandard : 105 F - le 19 juin, voyage à Briare pour M. Detras interrompu à 36 lieues de Roanne : 35 F - le 21 octobre, voyage à Briare pour Mme Mandard interrompu à Digoin : 80 F - le 14 novembre, voyage au Bec d’Allier pour M. Mandard : 80 F - le 27 novembre voyage à Briare pour Mme Mandard : 65 F - le 21 décembre voyage à Briare pour Mme Mandard : 50F La Loire, un fleuve de vins 54 « Je me suis marié à la municipalité le 28 mai l’année 1816 avec Mademoiselle Philiberte Gannos mon épouse . Nous y avons épousé le 6 juin à la grande paroisse. C’est là que nous y avons promis s’aimer pour la vie de l’un ou de l’autre. J’ai été trouver mon confesseur qui est monsieur Montany aumônier à l’hôpital de Roanne le 7 octobre 1816. J’ai fait mes dévotions à la paroisse de Sainte Anne le 9 avril 1817. J’ai été, ma femme et moi, faire nos dévotions à Varenne auprès de la Bonne Vierge le 3 novembre 1818. 21 octobre 1820. J’ai déménagé pour aller demeurer dans la maison de M.Parant. Je lui donne 120 F par an. J’ai deux chambres, un grenier, une cave, un magasin propice pour faire des tonneaux. Marinier fumant sa pipe Assiette - 24,5 cm, faïencerie Jacques Nicolas, Roanne, début XIXe siècle Musée Joseph Déchelette - Roanne Tonnelier Assiette (détail) - faïence de Roanne - 22 cm. Musée Joseph Déchelette - Roanne Tonnelier Assiette (détail) - faïence de Roanne - 22 cm. Musée Joseph Déchelette - Roanne Roanne et les vins du Roannais 55 Le « perruquier » payé à l’année ! « Je me suis mis à l’année chez M. Théve- net perruquier. Je lui donne cent sous par an pour me raser et me faire les cheveux. On commence le 9 aout 1818. J’ai recommencé avec M. Thévenet perruquier le 12 août l’année 1820. Je lui donne toujours le même prix 5 F pour me raser et me faire les cheveux quand je veux et me raser de même. » Les laveuses de linge Le 5 avril 1822 nous avons prêté trois paniers de truffes à la Rigolette Prélange, le panier de ma mère tant qu’il peut tenir, jusqu’à l’anse. Le 21 mai l’année 1817 ma femme est accouchée à neuf heures et demie du soir . Elle m’a fait une petite fille. Elle a été baptisée à la grande paroisse de Saint-E…. à dix heures du matin. Sa marraine est ma mère Gonnaud, elle s’appelle Françoise Gonnaud et son parrain est mon père qui s’appelle Pierre Prélange. Par conséquent ma petite fille s’appelle Françoise Prélange de Roanne. Sa mère s’appelle Philie Gonnaud et moi qui suis le père je m’appelle Louis Prélange. Le 12 mai 1818 ma femme est accouchée à neuf heures du soir . Elle m’a fait une petite fille. Elle a été baptisée le 14 à la grande paroisse de Saint-E…. à midi. Sa marraine est ma mère et son parrain est mon beau-frère Vicare. Le nourricier et sa femme et ma petite fille sont venus le 10 octobre 1818…. Je leur devais deux mois. Je lui ai donné 14 F. Ma femme est accouchée le 18 décembre 1819 à six heures du soir. Elle m’a fait un petit garçon. Il a été baptisé le 19 à la grande paroisse. Son parrain s’appelle Jean-Marie Prélange et sa marraine s’appelle Jeanne Vicare. Mon petit est mort en nourrice le premier janvier 1820. J’ai donné pour l’enterrement 7 F 8 sous. Le curé s’appelle De Jurer Prajoux. Ma petite Fanchette a été à l’école le 21 octobre 1822 chez sa première maîtresse. Elle s’appelle Claude Marie Georges. » Le retour des mariniers Laveuse de linge Assiette - faïence de Roanne - 22 cm. Musée Joseph Déchelette - Roanne Comme nous l’avons dit, la plupart du temps les mariniers de Roanne, de Pouilly-sous-Charlieu et des autres points de départ de la région ne conduisaient les bateaux que jusqu’à Briare ou Orléans , où ils étaient relayés par les mariniers locaux. Quelquefois, cependant, ils allaient jusqu’à Paris ainsi que le montre le carnet de voyage de Louis Prélange. Mais comment revenaient-ils ? L’opportunité de « remonter » en bateau était rare. On a souvent écrit que les mariniers revenaient à pied. Il est certain que les gens de l’époque pratiquaient cette manière de se déplacer, mais le plus souvent, ils utilisaient un des moyens de transport terrestres de l’époque. Le confort devait être bien relatif ! En 1775, les prix ont changé : « il sera payé pour chaque place dans la diligence, avec dix livres de hardes gratis, 13 sous par lieue et pour toutes autres places en dehors des dites voitures, 7 sous 6 deniers par lieue » . Les autres places concernent les passagers qui voyageaient dans le cabriolet, compartiment avant protégé par une capote de cuir, ou sur l’impériale, le toit du véhicule ! Les diligences parcouraient en moyenne deux lieues par heure (environ 9 km), soit 25 à 30 lieues par jour (120 à 140 km). En 1750, pour aller de Paris à Lyon par le Bourbonnais (La Charité, Nevers, La Palisse, Roanne, Tarare) le trajet était couvert en un peu plus de 10 jours. Le réseau routier s’améliorera sensiblement à la fin du XVIIIe siècle. à partir du 1er mai 1793, les mariniers pouvaient revenir en malle-poste. Les malles-poste étaient des voitures rapides à deux roues destinées d’abord à transporter les dépêches et le courrier, mais qui pouvaient aussi prendre un, deux, voire trois voyageurs. Parcourant au moins deux lieues par heure, les malles-postes cheminaient jour et nuit. Le tarif pour les voyageurs était de 1 livre 10 sols par lieue. Ils n’avaient droit qu’à un paquet d’un poids maximum de 10 livres. Louis Prélange, marinier du Coteau, donne peu d’informations sur ses voyages retour. En 1813, parti de Paris le 1er mars, il arrive chez lui à Roanne le 4 mars, un voyage éclair ! Mais combien dépensait-il pour rentrer ? Note manuscrite de Louis Prélange J’ai acheté un poêle le 25 novembre l’année 1821 Le poêle me coûte 20 f Il a ses pieds de forme qui font 7f Le total du poêle 27 J’ai à prendre mon poêle le 5 Décembre 1821 Chez Mr Cadet Broy qui me l’a vendu En octobre 1812, il dépense 25 F pour revenir d’Orléans, alors qu’il a reçu 60 F pour y conduire un bateau. En mai 1813, le trajet retour de Paris à Roanne lui coûte 48 F alors qu’il a touché 150 F. On peut donc estimer que les mariniers dépensaient pour le voyage retour à peu près le 1/3 de l’argent qu’ils recevaient au terme de leur voyage aller. Il est curieux de noter que quelquefois le marinier est payé, si on peut dire, « au kilomètre ». Ainsi Louis Prélange écrit : « Le 15 avril 1823 je suis parti pour mener un couplage de marchandises à Nevers : 40 F. Plus loin je serai payé lieue par lieue, ça fait par lieue 26 sous et demi plus 2 deniers ». Le retour était souvent retardé par des occupations temporaires en cours de route. Certains se louaient comme débardeurs, déchireurs, rouleurs de tonneaux et même comme charpentiers. Laveuse de linge Assiette - faïence de Roanne - 22 cm. Musée Joseph Déchelette - Roanne La Loire, un fleuve de vins 56 Les coches et carrosses publics pouvaient transporter des voyageurs sur les routes royales. En 1623, de Paris à Nevers le prix de la place était de 12 livres plus 1 sol et 10 deniers par livre de bagage. Pour ce prix, les fermiers étaient « tenus de mettre jusqu’à 8 personnes si bon semble aux voyageurs » Vente mobilière (détail) P. Solyet, huile sur toile, 1874 Musée des Ursulines, Mâcon (71) Roanne et les vins du Roannais 57 La liaison Rhône-Loire Une auberge témoin de cette époque à Saint-Symphorien-de-Lay, l’Auberge de la Tête-Noire existe encore de nos jours. C’est un ancien relais de poste de la fin du XVe siècle. Des personnages célèbres s’y sont arrêtés : Madame de Sévigné, ou encore Napoléon. On raconte que le célèbre empereur s’étant étonné du prix qu’on lui demandait pour un œuf, on lui répondit : « Sire, chez nous, des œufs nous en avons tous les jours, mais pas des empereurs ! » Le port à vins des Balmes Gravure, fin XVIIIe Médiathèque de Roanne par Albert Michel, gravure, 1989, En amont du pont de bois reliant l’Isle au Coteau, en contre-bas des maisons de négociants, la langue de berge dite des Balmes, faisait partie de la commune de Roanne. Il en est toujours de même. La Loire, un fleuve de vins 58 Pendant des siècles le trafic fluvial du Rhône se prolongeait sur la Saône pour rejoindre la Loire par la route Belleville-Charlieu. Mais au XVe siècle, on aménage la route qui permet de relier Lyon à Roanne en passant par Tarare. Route est un bien grand mot pour désigner ces chemins de l’époque, fussent-ils très fréquentés. Il faut imaginer des chemins pleins d’ornières, poussiéreux en été et transformés en bourbiers à la mauvaise saison. Les dénivelés importants aggravaient encore la difficulté. Entre Tarare (375 m d’altitude) et Le Coteau (280 m), le Col du Pin-Bouchain est à 760 m. De plus, les anciens chemins gravissaient directement les pentes pour une distance la plus courte possible. Madame de Sévigné écrivait « cette horrible montagne de Tarare » , et à la veille de la Révolution, il fallait atteler des bœufs pour aider les chevaux de la diligence. Ce trafic routier était pourtant très important. Pour le transport des marchandises, à raison d’une douzaine de kilomètres par jour, il fallait compter une semaine pour relier Lyon à Roanne. La route aboutissait au Coteau où se trouvait le port des Balmes. Jusqu’à la construction du pont de pierre, les quais descendaient en pente douce vers le fleuve, ce qui permettait d’utiliser le port quel que soit le niveau des eaux. Tout au long du quai étaient édifiées les maisons des mariniers et des négociants. Des caves creusées sous les maisons permettaient de stocker les marchandises destinées à être embarquées. La chapelle Saint-Nicolas-du-Port Saint Nicolas, patron des mariniers, était particulièrement vénéré à Roanne où deux chapelles portant son nom, furent construites. La première, élevée sur l’Île, et appelée Saint-Nicolas de l’Isle, fut détruite par un incendie en 1660. Reconstruite en 1728, elle disparut lors de l’aménagement du quai de la Loire. La seconde, Saint-Nicolas-du-Port, fut édifiée à la suite d’un vœu pour conjurer la terrible peste qui dévastait la ville. Elle fut consacrée en 1630 mais eut un usage plus civil que religieux. Ironie du sort, cette chapelle devint par la suite un dépôt de vin à l’enseigne « à la cave du bon vin de pays ». Elle existe encore aujourd’hui. Chaque année, mariniers et charpentiers roannais y célébraient ensemble avec solennité la fête de saint Nicolas, le 6 décembre. La Chapelle Saint-Nicolas-du-Port, Plus communément appelée Chapelle des mariniers, elle se situe sur l’esplanade qui précède l’accès au pont du Coteau et fait face au quai du Canal. à l’époque de sa construction, elle était le dernier bâtiment de la rue des Minimes et donnait sur le quai de la Loire. Lors des grands aménagements de la fin du XIXe siècle, on a construit le canal dans l’ancien lit du fleuve et aménagé la place de la Loire pour servir de digue en cas de crues. Prière à saint Nicolas O grand saint Nicolas, patron des mariniers, Avant d’nous embarquer nous venons vous prier. Rude est notre travail, dangereux notre métier, Sous votre protection nous voulons nous placer. Refrain Protégez-nous, saint Nicolas, Des sables de l’été, des glaces de l’hiver, Des écueils, du vent, du naufrage Que jamais ne sonne le glas Au clocher de notre village. On raconte souvent que ceux de la marine Sont tous des mécréants buvant force chopines. C’est là petit défaut qui mérite indulgence, Nous savons quand il faut faire aussi pénitence Manier la lourde rame, pousser sur les bâtons Nous amène parfois à pousser des jurons. Mais vous le savez bien, C’est pas pour vous déplaire, Notre cœur est meilleur que notre vocabulaire. Devant la grande croix qui domine la Loire, Dans les terribles gorges où tant des nôtres sont morts Jamais nous n’oublions, vous pouvez nous en croire De faire une prière pour conjurer le sort. Le jour de votre fête à l’église nous irons Porter votre statue en grande procession. Nos femmes et nos enfants nous accompagneront, Nous vous demanderons votre bénédiction. Paroles : Henri Nochez Musique : Hervé Freycenon. Roanne et les vins du Roannais 59 Réflexions d’auteurs Le lecteur aura peut-être été surpris par l’apparente discontinuité de nos propos. Elle est la conséquence du choix que nous avons fait de l’emmener au fil de la Loire et des canaux du point de départ des premiers vins : Saint-Just Saint-Rambert, vers leur destination finale : Paris. Ce voyage a été l’occasion de découvrir divers aspects de la navigation et du commerce du XVIIe au XIXe siècle : les bateaux et les mariniers, les ports, les aléas du transport fluvial, les taxes et les péages… Il aura aussi permis, nous l’espérons, de découvrir ou de se rappeler la vie des gens d’autrefois, souvent différente de la nôtre, mais marquée par les mêmes constantes du caractère humain. On est étonné de constater que le transport fluvial des siècles passés avait été complètement oublié, y compris dans les manuels scolaires. Pourtant il a été un moteur extraordinaire pour l’économie du pays, faisant vivre les « gens de l’eau », et aussi tous les acteurs de l’artisanat et du commerce : charpentiers, vignerons, tonneliers, voituriers, marchands… Il a grandement aidé au désenclavement et au développement de certaines régions. Au hasard des voyages et des rencontres, il a favorisé le brassage des populations, l’échange des coutumes, des savoirs et des savoir-faire. Heureusement le vent a tourné et de multiples manifestations démontrent le regain d’intérêt actuel pour le fleuve Loire et les activités qu’il a fait naître. Tout au long de ses rives on construit des bateaux « à l’ancienne » en re-visitant les techniques et les astuces de nos illustres prédécesseurs, on célèbre les mariniers dans des spectacles, des chansons, des écrits. Le Festival de Loire d’Orléans est une magnifique illustration de ce retour sur le passé qui ouvre des perspectives d’avenir, notamment dans le domaine touristique. Le commerce du vin, qui prend aujourd’hui une dimension internationale, a bien changé lui aussi. La consommation a baissé mais la qualité s’est considérablement améliorée. Dans cette période de grande mutation, il était intéressant de comprendre comment était née l’organisation du transport de la boisson préférée des français. Enfin, nos recherches nous ont permis de rencontrer des hommes passionnés et passionnants. Beaucoup nous ont aidés en partageant leurs connaissances et leurs découvertes ou en nous confiant des documents familiaux. à ces hommes et ces femmes que le souci de vérité anime nous disons merci au nom de tous les lecteurs. Notre seul souhait : que cet ouvrage donne envie d’en savoir davantage. Auguste Mahaut, marinier sur la Loire de 1858 à 1870, écrivait en 1905 : « Dans cent ans, non seulement il n’y aura plus du tout de navigation sur la Loire, mais nos descendants ne soupçonneront pas qu’une navigation ait existé sur le fleuve… ». Aux mariniers de Loire Chanson à boire des mariniers foréziens écrite par Henri Nochez Refrain Amis, levons nos verres aux mariniers de la Loire (bis) Buvons à ceux de Roanne, Et à ceux de Saint-Just. Vive la marine et vive les sapines qui nous emmènent jusqu’à Paris. (bis) 1 A Saint-Just chez la Pierrette Tous, nous nous retrouverons (bis) Aujourd’hui c’est la fête Demain nous embarquerons ! 2 Laissons notre bonne amie Trente jours et trente nuits (bis) Pour nous la meilleur’ des femm’s C’est encor’ la dame-jeann’. 5 Après Roan ne, en équipe Sur la Loire naviguerons (bis) Tous les soirs dans une auberge Un’ barrique viderons. 6 Si la servante est jolie Nous y passerons la nuit (bis) Tant pis si les gens nous font Un’ mauvais’ réputation. (bis) 7 3 Arrivés à Balbigny Nous retrouv’rons des amis (bis) Ce soir, nous ferons ripaille Avec les gratte-muraille. Voici les coteaux de Sancerre Il nous faut vite accoster (bis) Sitôt descendus à terre, Un cabaret faut trouver. 4 A Vernay près de Cordelle Un moment arrêterons (bis) Pour charger quelques bouteilles Du bon vin de Renaison. 8 A Paris quand nos sapines Seront toutes déchargées (bis) Nous viderons des chopines A la santé des mariniers ! Sommaire Des origines au XVIIe siècle page 6 La vigne et les vins en Gaule - Le vin apprécié en Gaule Le transport du vin dans l’Antiquité - Le Rhône, voie de pénétration La vigne se répand en gaule - La vigne au Moyen Âge - Le Tonneau, invention gauloise ? La Loire, fleuve marchand Les vins du Rhône et du Languedoc page 15 Les vins d’Auvergne - Les sapines auvergnates - Les auberges Les vins du Forez - Les travaux de La Gardette - Les saint-rambertes - Naufrages entre Saint-Rambert et Roanne Des marchands de Saint-Just-sur-Loire - Le vin des Côtes d’Aurec Daniel Mondon, paysan-vigneron forézien - La Loire département de trois vignobles Roanne et les vins du Roannais page 37 Roanne : un port ancien - Les vins du Roannais - Portrait de Pierre Troisgros Le transport et le commerce du vin - Des mariniers de mauvaise réputation - Fortes-têtes Une corporation qui sait se défendre, Les voituriers par eau - Un obstacle à la navigation : les pêcheries Les charpentiers de bateaux, Les bois pour la construction des bateaux Louis Prélange, marinier du Coteau - Le retour des mariniers - La liaison Rhône-Loire La chapelle saint-Nicolas du port Pouilly-sous-Charlieu, port d’embarquement des vins Jean-Marie Fotgerat, voiturier par eau - Le vignoble beaujolais au XVIIIe siècle Le premier vin de Macon à Paris, Portrait du paysan beaujolais - Ban de vendanges en 1768 Les débuts du commerce - L’organisation du commerce du vin - Portarit : Georges Duboeuf Les routes du vin - Les dépôts - Déjà au XVIIIe siècle on souhaite la tracabilité du produit ! Iguerande, Artaix et les vins du Brionnais Pierre Ducroux, négociant à Iguerande, - Les tonneaux - Le port d’Artaix - Les lettres de voiture Rencontre avec Joannès Burdin, aux Gallands, commune de Melay (71) page 82 page 124 Le port de Nevers - La gare de la Nièvre - Les aménagements autour de Nevers Le péage de Givry - Les mariniers - La bataille des « cous de pied » - La belle Cosnoise, renaissance de la gabarre Les vins blancs de Pouilly-sur-Loire - Le rôle des négociants - à Paris Quand les négociants foréziens échangeaient du charbon contre du vin Le vignoble sancerrois - Un commerce « protestant » au XIIe siècle - De grands amateurs Saint-Nicolas et Saint-Vincent - Le péage de Myennes Briare et son canal Le canal de Briare - La circulation sur le canal - La justice du canal Des vins victimes du froid sur le canal - Manque d’eau, perte de vins - Des tonneaux défectueux Les canaux du Centre de la France Orléans, port de commerce page 60 page 109 Les ports - Les ponts - Des taxes, toujours des taxes - accidents de navigation Naufrages à Decize en 1737 - Naufrage de deux bateaux de vins de Mâcon - Deux couplages de vins La justice sur la Loire - Les galvachers du Morvan - Les vins de Bourgogne, une idée ancienne... très moderne Le canal du Nivernais - à qui appartiennent les agrès de marine ? Nevers et ses mariniers page 22 page 94 La construction des bateaux - Digoin, un port aux vins - émeutes à Digoin Le vin, remède à tous les maux - Le canal du Charolais - Deux nouveaux canaux reliés à Digoin Le canal latéral à la Loire - Navigation difficile entre Digoin et Decize Jean-Baptiste Bernachez, marchand voiturier à Diou. Decize et ses ponts célèbres Les vins du Rhône - Les vins du Languedoc - 1709, le grand hiver Une navigation difficile - Les bateliers du Rhône - Les bateaux Le Rhône n’est pas un long fleuve tranquille - Conflits avec le bac à traille Des accidents de navigation - Un fleuve encombré Vins d’Auvergne et du Forez, le transport dans les sapines Digoin, un grand carrefour page 138 Le port d’Orléans - Orléans, étape du commerce triangulaire - Les mariniers Trains de bateaux - L’équipage - Réglements de navigation - Contrat de travail d’un marinier Les causes d’accident - Comment voyager d’Orléans à Roanne ? Le halage Du vin... au vinaigre Paris, ses ports au vin et ses guinguettes page 159 La consommation de vin en France, au XVIIIe siècle - à Paris - D’où viennent les vins consommés à Paris ? Les guinguettes - Les barrières de Paris et les guinguettes L’hiver de 1709 - Bercy, le port aux vins Le mariage du cabaret et de la danse - Bercy, lieu de plaisirs - Bercy, lieu de désolation Le chemin de fer, ruine de la navigation sur la Loire Le baroud d’honneur des partisans de la voie fluviale Portrait de Gérard Vachez page 168 Bibliographie Archives Médiathèque de Roanne, fonds J.M. Forgerat Archives Départementales de la Loire Archives Départementales de la Nièvre Archives Départementales du Loiret Archives Départementales de Saône et Loire Archives Départementales du Cher Archives municipales de la ville de Nevers Archives municipales de Nervieux Dupin, Le Morvan, 1853 R. Dion, Histoire de la vigne et du vin, 1959 Elie Mouiller, Le Vignoble de la Côte Roannaise, Les amis de Saint-André-d’Apchon, 1989 Robert Bouiller, La Vigne et les Hommes en Côte Roannaise, Musée Alice Taverne, Ambierle, 1984 Robert Bouiller, La Viticulture en Côte roannaise Paul Chaussard, La Marine de Loire, éditions Horvath, 1981, réédition ECB éditeur, Charroux, 1998 Touchard-Lafosse, La Loire historique pittoresque et biographique, 1851 Fournial, Les Villes et l’économie d’échange en Forez, 1967 P. Mondanel, L’ancienne batellerie de l’Allier et de la Dore, 1975 M. Perrin, Saint-Etienne et sa région économique, 1937 Fournial, Saint-Etienne, Histoire de la ville et de ses habitants, 1976 Pierre Miquel, Histoire de la France, éditions Fayard, 1976 Brac, Le Commerce des vins réformé, rectifié et épuré, 1769 Bertall, La Vigne, voyage autour des vins de France, 1878 Le Vin, nectar des dieux, génie des hommes Paul Bonnaud, La Navigation à Roanne sur la Loire et les canaux, 1944 J. Chervalier, La Navigation sur la Loire et l’Allier, 1983 Gauthey, Mémoire sur les canaux de navigation, réédition 1816 Mantellier, Histoire de la communauté des marchands fréquentant la rivière de Loire, 1867 Bauby, Orivel et Pénet, Mémoire de guinguettes Dangréaux, Le Rhône et le vin, 2002 Maurice Labouré, Roanne et le Roannais, études historiques Roanne pendant le Révolution, Maury éditeur Denis Luya, L’axe ligérien dans les pays hauts, Thèse du 3e cycle Denis Luya, Axe ligérien Loire-Allier, Mémoire de thèse Denis Luya, Batellerie et Gens de rivière à Roanne au XVIIIe Marthe Gauthier, Au carrefour des trois provinces Nivernais-Bourgogne-Bourbonnais, Imprimeries Réunies, Moulins, 1968 Revue des œnologues n°115, 116 et 117 Revue Objets du vin à collectionner, 1999 Bulletin de la Société d’études du Brionnais, 1925-1934 La Loire et ses terroirs n° hors série, 1994 Yves Fougerat, Le chemin qui marche, 2000 Georges Duboeuf et Henri Elwing, Beaujolais, éditions Jean-Claude Lattès, 1989 Société d’Histoire et d’Archéologie de Châlon-sur-Saône, Bateaux de Saône, mai 1986 Fernand Braudel, L’identité de la France Pierre Volut, Decize en Loire assise Archéologia n°419, février 2005, n°421, avril 2005 Chantal Oharnessian, Les vignerons à Pouilly-sur-Loire au XVIIIe siècle, thèse d’histoire Cyriaque Gavillon, De Loire en Seine, 2004 Marcel Lachiver, Vins, vignes et vignerons - Histoire du vignoble français, éditions. Fayard, 2002 Roger Semet, Le temps des canalous, éditions Calmann-Lévy, 1972 Mémoires de la Société Académique du Nivernais, 1944 Le guide familier des vins du Rhône , éditions La Boëtie Recherche sur les mariniers du Rhône , Claude Bonnard, Editions « Visages de notre Pilat » Loïc Gandin, Saint-Rambert sur Loire et la construction des rambertes Justine Dutraive, Jadis en Beaujolais , Lyon 1976 Nicolas, Si Bercy m’était conté Notes sur l’histoire du département de la Loire, 1913 Textes et documents pour la classe n°193 « Les voies navigables d’autrefois » Paul Villiers et Annick Senotier, Une histoire de la marine de Loire, Editions Grandvaux Bourgogne magazine : « Les vins blancs de Pouilly sur Loire » Histoire de Sancerre par M. Poupard curé de cette ville, 1838 Les vignerons à Pouilly-sur-Loire au XVIIIe siècle : thèse de Chantal Oharnessian (1992) Revue du commerce et de l’Industrie et de la Banque, Septembre 1911 François Billacois, Voituriers par eau et marchands fréquentant la rivière de Loire au XVIIe siècle , Mémoire de thèse Bulletin de la Société d’Histoire de Firminy n°24, décembre 1977, article de J.P. Bravard Andrée Ecalle Pichereau, Mémoire sur la Marine de la Loire au XVIIIe siècle Bernard de Gaulejac, Rôle économique des voies d’eau du Nivernais, Loire, Allier, de l’époque romaine à 1789, Bulletin de la Société Nivernaise, vol 36, 1988. Remerciements Tout particuliers à Claude Blanchard pour sa participation active aux recherches et pour son aide dans la transcription de nombreux documents ainsi qu’à Gérard Vachez, auteur du texte sur le chemin de fer et des cartes qui illustrent cet ouvrage. aux conservateurs des musées : Calvet, Avignon - Crozatier, Le Puy-en-Velay - du Vin de Bourgogne, Beaune - Romain Rolland, Clamecy - de la Marine de Loire, Chateauneuf-sur-Loire - Cluny, Paris - Carnavalet, Paris - Le Hameau en Beaujolais, Romanèche-Thorins - des Beaux Arts, Orléans - des Ursulines, Mâcon - Greuze, Tournus - Reflets du Brionnais, Iguerande - d’Archéologie, Feurs, Municipal, Nevers Municipal, Saint-Romain-en-Gal, et plus particulièrement à Brigitte Bouret, conservatrice en chef des musées de Roanne, Robert Bouiller, musée Alice Taverne d’Ambierle (42), Nicolas Brocq, médiateur du patrimoine, musée de Cosne-sur-Loire. Aux conservateurs des médiathèques qui nous ont soutenus dans nos recherches : Orléans, Villefranche-sur-Saône et plus particulièrement à Isabelle Suchel-Mercier, Médiathèque de Roanne. aux responsables et personnels des Archives départementales de la Loire, Saône-et-Loire et Nièvre, du Loiret et du Cher, des Archives municipales de Cleppé, Nervieux, Nevers et Charrin. à la Société Historique de La Diana de Montbrison et la Photothèque de la Ville de Paris. à tous ceux qui nous ont aidés à comprendre, illustrer, faire savoir : M. Barbery, Christian Bayle, Jeanine Belot, Joseph Bernachez, François Billacois, Frédéric Bouchot, Chantal Bressan, Cécile Brodard, Joannès Burdin, madame Chamard, Louis Chandon, Elizabeth Chassagne, Roger Chapuis, Amélie Chestier, Antoine Cuisinier, MarieFrançoise et François Darnieaud, Georges Duboeuf, Laurent Duclieu, Pierre Durand, JeanHenri Etienney, René Fessy, Louis Fraisse, Michel Garnier, Laetitia Gauthier, Gilbert Goetz, Maurice Grand, Yvon Grenetier, Philippe Jenny, Isabelle Lagoutte, René Laporte, Pierre Marchand, Daniel Mondon, Pierre Muckensturm, Pascale Muscat, Jérôme Pourrat, Sylvain Perret, Jean Pestre, Simone Pigat, Maxime Pommier, Daniel Poyet, Roger Poyet, Jean-Luc Rocher, Jean Thollot, Pierre Troisgros, Pierre Volut, Jean-François Vial, Sabine Veber, Cécile Vallet, Jean-Raoûl Vuillermet. à Hervé Freycenon, directeur du Centre Musical de Roche la Molière (42). Les chansons dont les paroles figurent dans cet ouvrage ont été écrites pour le Chœur de ce Centre. Remerciements enfin au Conseil Général de la Loire et au Crédit Mutuel qui apportent leur soutien à la parution de cet ouvrage. Crédits photographiques Les clichés récents ont été réalisés par Guy Blanchard, co-auteur de l’ouvrage, aidé dans son reportage par François Darnieaud, Saint-Mammès et Moret-sur-Loing, par Christan Bayle, pour les photos du Musée Joseph Déchelette de Roanne et du Musée de Feurs, par Henri Nochez pour le Festival de la Loire et par les éditions Thoba’s. Les cartes illustrant ce long voyage sur la Loire et les canaux adjacents ont été réalisées par Gérard Vachez. Les cartes postales servant d’illustration au chapitre sur le chemin de fer font partie de la collection B. Arrivé, Association des Amis du Rail du Forez. Les documents anciens et les représentations de tableaux ont été reproduits avec l’autorisation de : Musée Calvet, Avignon (84), cliché André Guerrand, pages 6 et 7 Mairie d’Hyères-les-Palmiers, avec l’autorisation de monsieur Léopold Ritondale, maire, page 7. Musée d’Archéologie, Feurs (42), cliché Christian Bayle, page 9. Jean Pestre, page 34 Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Joseph Déchelette, Roanne (42), page 37, 42, 43, 49, 50, 52, 54, 55, 56, 117 Aline Périer, page 39 René Fessy, page 41 Médiathèque de Roanne, pages 48, 50, 57, 58, 62 et 63, 93, 103, 169, 170 Visages de la Bourgogne, éditions des horizons de France, Paris, 1942, page 73 Richard Bonin, pages 69 et 70 Le hameau du Beaujolais, Romanèche-Thorins, pages 71, 81 Musée des Ursulines, Mâcon (71), page 73, cliché J.C. Culas, page 75, cliché P. Tournier, page 98, Musée de Cluny, page 72 Mairie de Charlieu, page 72 Georges Duboeuf, page 78 Confrérie du Vieux Pressoir, page 82 Musée Reflets du Brionnais, Iguerande (71) pages 85 Observaloire, Digoin, page 104 Joseph Bernachez, page 108 Musée de Clamecy (58), page 122 Musée de Cosne-sur-Loire (58), cliché Nicolas Brocq, médiateur du patrimoine, pages 94, 111, 131, 151, 154 Office du Tourisme, Briare, clichés Briare Déclic, pages 139,141,143 Musée des Beaux-Arts d’Orléans (45), pages 140, 147 Musée du vin, Orléans (45), page 159 Musée Greuze, Tournus (71), page 161 Musée Carnavalet, Paris, © Photothèque des musées de la ville de Paris, cliché Degraces - Joffre, page 160, cliché Degraces, page166, cliché Ladet, page 168 Musée du vin, Beaune (71), pages 162, 167 Collectionneurs particuliers n’ayant pas souhaité être cités, pages 46, 47, 52 Directeur de Collection Jean-Luc Rocher Rédaction Guy Blanchard et Henri Nochez Mise en page Julien Perey - OZ Média Thoba’s éditions 14 rue Brison 42300 - Roanne www.thobas-editions contact@thobas-editions ISBN 2-916393-07-2 Achevé d’imprimer au 4e trimestre 2006 sur les presses de l’imprimerie Chirat - 42540 Saint-Just-la-Pendue Imprimé en France N°