Tourne le dévidoir Simion,,, tourne!

Transcription

Tourne le dévidoir Simion,,, tourne!
Tourne le dévidoir Simion,,, tourne!
(Par une journée d’hiver avec un froid persistant
dehors, on s’affaire à monter le métier à tisser chez
Delphine. Si habitué à ses chantiers en hiver, c’est
une nouvelle forme de vie pour Simion, qui a du
mal à s’adapter. Surtout que ce genre de travail est
normalement effectué, lors d’une corvée entre
femmes du voisinage. Dans sa tête, il se dit qu’il va
faire n’importe quoi pour que, l’hiver prochain ne
ressemble pas à celui-ci.)
Ben oui les filles! Figurez-vous dont que, la grande
parche Odile Parent a fini par accoucher! Des
bessons (jumeaux) par-dessus l’marché. Pour moé, a
doué avoir trois mois de faite su l’prochain, la
darniére fois que j’l’ai vu sans être en famille, a
l’était pas mariée!
Cé pas pour te r’lancer Simone mais, a pourra
jamais battre Ortense Duguay avec ses triplés. C’te
pauvr’elle, avec son grand flans-mous qui traîne
dans maison. Yé même pas monté dans chantiers
c’t’hiver. Y sé donné comme défaite que, y a trop
mal aux reins. Ça fait que Marie-Louise a montré à
Ortense, comment faire des mouche-moutardes.
J’ai pour mon dire qu’a devrait commencer par
y en mettre une su la tête!
Dans c’cas-là, a devrait faire comme Adèle
Rancourt. Lui non plus, y voulait pus monter aux
chantiers. A y a dit, « Ça donne rien de rester toué
deux dans maison c’t’hiver, j’va aller donner mon
nom à manufacture et pis toué tu vas t’occuper des
enfants avec la boustifaille… » J’vous dit les
filles, y a faite son pack-sac dans la même journée!
Changement d’propos, depus la fin d’l’été, ça fait
un bon trois fois que l’curé monte chez l’vieux
Tophile pour l’extrême-onction, encore c’te s’maine!
Tant qu’a ça, j’su pas surprise pantoutte, l’vieux
Tophile yé comme un chat, y a sept vies. Non mais,
entr’nous autres là,,, voulez-vous ben m’dire quels
péchés un vieux d’même peut faire dans une
journée, y l’sé même pas lui-même que yé encore en
vie!
Y parait que dans l’temps, l’vieux Tophile quand y
nourrissait ses cochons, y mélangeait du branti
(brins de scie) avec la moulée. J’ai tendance à crère
que ben manque que ça donne des cochons avec un
rang d’lard, un rang d’planche, un rang d’lard,,,
ha! Ha!
Tire sur la couette à ta drette Marie, j’trouve qu’est
lousse pas mal, si on veut pas avoir d’la misère
pour l’enfiler dans l’row (pièce du métier à tisser).
Cou-dont les créatures,,, j’vous écoute de pus
tal’heure, cé comme ça que vous passez vos hivers
vous autres, à cacasser pis à piailler de un pis
d’l’autre!!! Dire que nous autres dans l’bois, on
s’fesait des mourons (soucis) à vous savoir toutes fin
seules à maison. Baptème,,, là j’viens de
comprendre! Quand on r’venait au printemps, ça
prenait tout l’été pour nous raconter vos histoires!
Dire que là, me v’la rendu à tourner l’ dévidoir
quand cé pas l’ourdissoire. Si les gars du campe me
verraient, j’s’rais la risée de tout l’campement…
Simion, les catalonnes (catalognes) que tu montais au
campe pour l’hiver, si tu savais pas comment elles
étaient faites,,, là tu l’sais. Y sont faite avec d’la
guenille pis du commérage, hein Marie! Plus qu’on
en met, plus qui vont être chaudes…
Dans quecques semaines, tu vas savoir combien ça
prend de poules, pour faire un oreiller d’plumes.
J’va même te dire que t’es chanceux, aujourd’hui,
on est just’trois créatures comme tu dis, tu devrais
voir les jours qu’on est sept. Cé ben pour ça qu’on a
besoin d’toué, ça fait que tourne le dévidoir mon
Simion, tourne,,, pis essaye pas d’avoir le darniers
mot avec nous-autres!
Ouais ben,,, ces jours-là, tu m’le diras Féfine, j’va
m’déguiser en courant d’air! Si vous avez plus
besoin d’moé, j’cré que j’va aller faire un tour aux
bâtiments, pour voir si tout va ben.
Comment ça un tour aux bâtiments Simion, avec le
frette qui fait dehors. Ti-gars est déjà là. Non, non,
mon torvis, demain on commence le métier, faut
finir d’le monter aujourd’hui. En plus, on a pas un
fuseau d’faite,,, ça va être ça ta job demain.
Batème les femmes,,, y va faire clair encore demain!
Tu t’en sauvras pas d’même mon grand, on roule le
cotton dré-là. Tu vas t’assire à terre, tu vas prendre
touttes les couettes ensembles et pis,,, tu vas les
laisser aller trraannquillement et te servant de tout
ton poid. Nous autres, on va tourner l’rouleau.
T’as ben compris là, là…
C’que j’ai compris, cé que j’m’ennuie d’mes
chantiers,pis même des poux!
(Entre-temps, la porte d’entrée s’ouvre dans un
nuage de brume, dû au froid intense)
Farme la porte Ti-gars, y fait chaud sans bon sang
icitte-dans, à terre demême, j’va poigner un coup
d’mort.
Hé! L’pére à plat ventre devant les femmes,
j’pensais jamais voir ça un jour!
Si tu veux ma place mon homme, figures-toué dont
que, j’va pas m’battre pour t’la donner.
( C’est le récit d’une journée typique de nos
campagnes et de la vie quotidienne dans les années
trente et quarante voir même cinquante. Une de ces
journées d’hiver que ma vieille mère adorait
raconter à ses petits-enfants. Ce qui la rendait
crédible, c’est qu’elle ne modifiait pas sa version au
fil du temps. Lorsqu’une histoire changeait de
version, elle pouvait aller jusqu’à devenir une
légende… Un peu comme celle du <Bonhomme
sept heures>, qu’on utilisait pour obliger les
enfants à se coucher tôt, soit disant qu’il va
ramasser tous les petits enfants qui ne dorment pas.
L’origine du mot, est une déformation de
l’expression anglaise <Bone setter> qui signifie le
ramancheur et pour certains, le raboutteux.
Le ramancheur, <Apparemment doté d’un don>
était une personne qui faisait du bien aux gens
pour pas cher mais non pas, sans faire mal. C’était
courant d’entendre les plaintes et gémissements des
gens qui allaient se faire replacer les articulations.
Pas étonnant qu’il était redouté des petits comme
des grands.)
De la série : Une page d’histoire d’un Québec oublié!
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