Quel régime pour le retrait d`un acte administratif

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Quel régime pour le retrait d`un acte administratif
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Publiés
1359
JOURNAL OFFICIEL DU 1er AU 7 DÉCEMBRE 2016
Énergie
JO 6 déc.
D. n° 2016-1662, 5 déc. 2016 relatif à la mise en œuvre de dispositifs de comptage et de tarification sur les
réseaux de transport et les réseaux publics de distribution de gaz naturel en application de l’article L. 452-2-1 du
code de l’énergie
Environnement
JO 6 déc.
D. n° 2016-1661, 5 déc. 2016 modifiant le code de l’environnement et la nomenclature des installations classées
pour la protection de l’environnement
Finances
JO 6 déc.
D. n° 2016-1664, 5 déc. 2016 portant application de l’article 27 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de
finances rectificative pour 2015
Impôts et contributions
JO 7 déc.
D. n° 2016-1683, 5 déc. 2016 fixant les règles et procédures concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, dites « norme commune de déclaration »
Santé publique
JO 3 déc.
D. n° 2016-1644, 1er déc. 2016 relatif à l’organisation territoriale de la veille et de la sécurité sanitaire
Note
ACTES ADMINISTRATIFS
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Quel régime pour le retrait d’un acte
administratif provisoire pris en exécution d’une
ordonnance de référé ?
Un permis de construire provisoire délivré en exécution d’une ordonnance de référé-suspension peut être retiré par l’administration à la suite de la décision juridictionnelle mettant
fin à la suspension du refus de permis initial ; le retrait doit alors intervenir dans un délai
de 3 mois à compter de la notification de cette décision juridictionnelle à l’administration,
après que le pétitionnaire a été mis à même de présenter ses observations et à condition
que le refus qui lui est substitué soit légal.
CE, sect., 7 oct. 2016,
n° 395211 : JurisData
n° 2016-020964
Le régime applicable aux
actes administratifs délivrés
sur injonction en référé n’a
jamais été très clair. Il s’est
encore obscurci avec la décision Commune de Bordeaux
contre SARL First Invest rendue par le Conseil d’État le 7
octobre 2016 (n° 395211 : JurisData n° 2016-020964).
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PAUL CASSIA,
professeur à l’université
Paris I PanthéonSorbonne
La section du contentieux a
statué sur le sort à réserver à
l’autorisation
d’urbanisme
délivrée en exécution d’une
injonction du juge du référésuspension saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du
Code de justice administrative, lorsqu’il apparaît que la
décision initiale de refus suspendue en référé n’était pas
irrégulière, que sa suspension
n’avait pas lieu d’être ou que le
pétitionnaire s’est désisté de sa
demande d’annulation pour excès de pouvoir du refus litigieux.
Par un arrêté du 16 octobre 2013, le maire
de Bordeaux avait refusé de délivrer à la
société First Invest un permis de construire
une maison et un garage au 100 rue du Petit
Cardinal, à Bordeaux (par application de
l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme,
l’administration qui refuse une autorisation
d’urbanisme doit, depuis 2015, faire état de
« l’intégralité des motifs justifiant la décision
de rejet »). La société avait saisi le tribunal
administratif de Bordeaux d’une requête au
fond tendant à l’annulation pour excès de
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 50 - 12 DÉCEMBRE 2016
LA SEMAINE DU DROIT PUBLIC ET FISCAL
pouvoir de ce refus, et avait parallèlement
formé une demande de suspension à son
encontre, suivant la procédure de référé
prévue par l’article L. 521-1 du Code de
justice administrative. Par une ordonnance
du 7 mars 2014, le juge du référé-suspension avait fait droit à cette demande, et
avait enjoint au maire de Bordeaux d’instruire à nouveau la demande de permis de
construire et de se prononcer sur sa délivrance dans un délai d’un mois à compter
de la notification de l’ordonnance ; le recours en cassation formé par la commune
de Bordeaux contre cette ordonnance avait
été rejeté par le Conseil d’État le 9 juillet
2014, de même que, par une ordonnance
du 12 juin 2014, le juge du référé-réexamen
du tribunal administratif de Bordeaux avait
rejeté la demande de la commune tendant
à ce qu’il soit mis fin aux effets de cette
ordonnance sur le fondement de l’article
L. 521-4 du Code de justice administrative
(sur cette disposition, V. GA contentieux
adm. 2016, p. 483-498, comm. ss CE, réf.,
2 juill. 2010, n° 339677, CCI de MarseilleProvence : JurisData n° 2010-011153). Le
28 juillet 2014 - au-delà donc du délai fixé
par le juge des référés, ce retard s’expliquant par les deux recours formés contre
l’ordonnance de suspension -, le maire de
Bordeaux avait, au visa de l’ordonnance du
7 mars 2014, délivré le permis de construire
à la société pétitionnaire.
Celle-ci, ayant probablement réalisé les
travaux objet de la demande de permis, a
décidé le 10 juillet 2015 de se désister de son
recours pour excès de pouvoir - il devait lui
importer peu de savoir si, en définitive, le
refus de permis était ou non légal une fois
les constructions édifiées ! Une ordonnance
du 5 août 2015 prise par le président du tribunal administratif de Bordeaux a donné
acte de ce désistement. Le maire de Bordeaux a considéré que ce désistement lui
permettait de procéder au retrait du permis
provisoire délivré le 28 juillet 2014, et l’a par
suite retiré - c’est-à-dire en a rapporté les
effets pour l’avenir comme pour le passé aux termes d’un arrêté du 8 octobre 2015.
Cet arrêté de retrait a à son tour été contesté
par la société First Invest. Le juge du référésuspension en a suspendu l’exécution par
une ordonnance du 26 novembre 2015, au
motif que paraissait sérieux le moyen tiré de
la violation par cet arrêté des dispositions de
l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme,
qui ensèrent dans un délai de trois mois à
compter de sa délivrance le retrait d’une autorisation d’urbanisme illégale. La commune
de Bordeaux a formé un recours en cassation
contre cette ordonnance de suspension.
La section du contentieux a fait droit à ce
recours en cassation et, statuant comme
juge du référé-suspension, a refusé de suspendre l’exécution de l’arrêté du 8 octobre
2015. Pour ce faire, elle s’est dans un premier temps largement appuyée sur le précédent de la décision Association Convention
vie et nature pour une écologie radicale
(CE, sect., 5 nov. 2003, n° 259339 : JurisData n° 2003-066055 ; Lebon, p. 444, concl.
F. Lamy ; Dr. adm. 2004, comm. 15 ; comm.
34, M. Vialettes ; JCP G 2004, I, 164, obs
P. Cassia) qui avait consacré l’autorité de
la chose ordonnée en référé, en jugeant que
la reprise par l’administration de dispositions suspendues en référé, sans qu’il ait été
remédié au vice retenu par le juge des référés, était de nature à les entacher d’illégalité.
Dans un deuxième temps, elle a rappelé les
obligations de l’administration à la suite de
la suspension d’une décision de refus et le
statut de la décision administrative prise en
exécution de cette suspension : cet acte a
le même caractère provisoire que celui qui
s’attache à la décision juridictionnelle dont
il procède (V. par ex. CE, 21 mars 2008,
n° 281995, Juan : JurisData n° 2008-073261 ;
Lebon, p. 860 ; JCP A 2008, 2107, concl. A.
Courrèges). Dans un troisième temps, elle a
précisé les effets, sur cet acte administratif
provisoire, de la survenance d’une décision
juridictionnelle (jugement au principal, y
compris s’il s’agit d’une ordonnance actant
le désistement du requérant ; décision du
Conseil d’État statuant comme juge de
cassation ; ordonnance du juge du référé-réexamen statuant sur le fondement de
l’article L. 521-4 du Code de justice administrative) mettant de plein droit fin aux
effets de l’ordonnance de suspension.
1. Les conditions du retrait de
l’acte administratif précaire pris
sur injonction en référé
Il importait en effet de déterminer de manière assurée les modalités selon lesquelles
cet acte provisoire cesse de recevoir application lorsque la suspension ordonnée ne
produit plus d’effet.
A. - C’est qu’en la matière, il existait avant
la décision Commune de Bordeaux
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quatre courants jurisprudentiels difficilement compatibles (V. GA contentieux
adm., préc., spéc. p. 1241-1244).
Le plus ancien, qui n’était pas spécifique aux
procédures de référé, considérait que l’administration était tenue de retirer un acte
pris pour l’exécution d’un jugement annulé
car cet acte n’avait pas fait naître de droits
acquis (CE, 21 janv. 1966, n° 65193, Maccario : Lebon, p. 48) ; pour les référés d’urgence, le Conseil d’État avait paru poser une
caducité automatique de l’acte provisoire à
compter du jugement rejetant le recours au
fond (CE, 11 août 2005, n° 281486, Baux :
JurisData n° 2005-069064 ; Lebon, p. 1030. CE, 13 juill. 2007, n° 294721, Cne de Sanarysur-Mer : JurisData n° 2007-072181 ; Lebon,
p. 1029 : un permis de construire délivré à la
suite du réexamen de la demande ordonné
en référé, en conséquence d’une mesure de
suspension prise sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, et pour l’exécution de l’ordonnance
du juge des référés « a, par sa nature même,
un caractère provisoire jusqu’à ce qu’il soit
statué sur le recours en annulation présenté
parallèlement à la demande en référé ». CE, réf., 9 janv. 2006, n° 288745, Min. Int.
c/ Daaji : JurisData n° 2006-069542 ; Lebon,
p. 1011 : l’administration « a l’obligation,
aussi longtemps que la suspension ordonnée produit effet, de le munir d’une autorisation provisoire de séjour ») ; mais, toujours en matière de référé, le Conseil d’État
avait admis que l’administration puisse
(sans y être tenue) retirer un acte pris en
exécution d’une ordonnance de référé dont
le sens n’avait pas été confirmé par une
décision juridictionnelle ultérieure (CE, 21
mars 2008, n° 281995, préc. : à propos d’un
arrêté ministériel ayant retiré la bonification
précédemment accordée en exécution d’une
ordonnnance de référé et portant répétition
de l’indu) ; une jurisprudence plus récente
considérait qu’en cas d’annulation d’un
arrêt par la juridiction supérieure, l’administration disposait de la faculté « d’abroger
à tout moment » les actes délivrés en exécution de l’arrêt annulé (CE, 19 déc. 2014,
n° 384144, Min. des Finances c/ Sté H&M :
JurisData n° 2014-031792 ; Lebon, p. 408),
c’est-à-dire de le faire disparaître pour l’avenir seulement. Appliquées au contentieux
du permis de construire, ces deux dernières
jurisprudences impliquaient que la cessation des effets de l’ordonnance n’emportait
de conséquences que pour l’avenir pour les
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