L`attribution injustifiée de prêts par le CE est un abus de confiance

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L`attribution injustifiée de prêts par le CE est un abus de confiance
par
Jurisprudence
Arrêts commentés
Marie Sautier
Juriste en droit social
L’attribution injustifiée
de prêts par le CE est
un abus de confiance
Le CE peut à travers ses ASC, et grâce à un budget spécifique, améliorer
les conditions de travail et de vie des salariés. Mais il doit veiller à utiliser
ce budget conformément aux règles qu’il s’est lui-même fixées,
sous peine d’encourir de lourdes sanctions.
Cass. crim., 30 juin 2010, n° 10-81.182 P
D
es membres d’un CE d’une société métallurgique,
notamment le trésorier et le secrétaire général, ont
accordé des prêts à 182 salariés grévistes, prélevés
sur le budget des activités sociales et culturelles
(ASC) du CE. Or l’attribution des prêts a été réalisée à l’insu du
président du CE, et en violation des conditions et de la procédure d’octroi prévues par le règlement intérieur du CE. De plus,
les sommes dépassaient le montant normalement prévu pour
l’aide sociale. Les membres du CE ont été poursuivis pour abus
de confiance. Le juge saisi de l’affaire a considéré que le délit
d’abus de confiance n’était pas caractérisé, les membres du CE
n’ayant pas eu l’intention de détourner les fonds en cause. Mais
la Cour de cassation censure cette décision et estime que de
part leurs fonctions au sein du CE, les élus avaient nécessairement eu conscience d’avoir outrepassé leur mandat.
Cet arrêt est l’occasion de faire un rappel sur l’utilisation
du budget du CE et les cas de détournements qui ont été
sanctionnés, afin d’en tirer les conséquences au regard de
certaines pratiques du CE.
DEUX BUDGETS DU CE
AVEC DEUX OBJETS DISTINCTS
Le comité d’entreprise dispose de 2 budgets distincts : le
budget de fonctionnement et le budget des ASC. Ces budgets,
indépendants, n’ont pas le même objet. Le CE doit donc les
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utiliser conformément aux finalités qui leur sont assignées
sans les mélanger.
Le budget des ASC doit être uniquement destiné aux activités
sociales et culturelles. Le Code du travail en donne quelques
exemples : cantine, colonies de vacances, activités sportives,
bibliothèque, etc (C. trav., art. R. 2323-20).
Le budget de fonctionnement permet au CE de couvrir les dépenses liées à l’exercice de ses attributions économiques,
ainsi que celles liées à l’administration de ces attributions.
Il peut être utilisé par exemple pour recourir à des expertscomptables dans le cadre d’expertises libres sur des thématiques économiques (C. trav., art. L. 2325-41), ou prendre
en charge les frais de formation économique des membres
du CE (C. trav., art L. 2325-44) .
Le CE ne peut mélanger ces 2 budgets, notamment en
utilisant le budget de fonctionnement pour exercer sa mission sociale et culturelle, et ce même s’il obtient l’accord de
l’employeur (Cass. soc., 10 juil. 2001, n° 99-19.588).
L’ABUS DE CONFIANCE DU CE EN CAS
DE DÉTOURNEMENT DU BUDGET
Définition et illustrations de l’abus
de confiance par le CE
L’abus de confiance est « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un
bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés
à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un
usage déterminé » (C. pén., art. 314-1).
Il est sanctionné par une peine de 3 ans de prison et de
375 000 € d’amende.
Pour qu’il y ait abus de confiance, il faut donc qu’il y ait un
détournement, effectué de manière intentionnelle, au
préjudice d’autrui.
La Cour de cassation a eu plusieurs fois l’occasion de se
pencher sur des affaires de détournements de fonds issus
du budget du CE.
Ainsi, les juges ont condamné pour abus de confiance des
membres du CE qui avaient utilisé le budget de fonctionnement
afin de se faire financer un voyage au Canada et de payer des
notes de restaurant d’un montant total de 20 000 francs à
l’époque. Les juges ont estimé que ces derniers avaient utilisé
le budget à des fins personnelles, sans rapport avec l’exercice
de leur mandat (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231).
Toutefois, pour qu’il y ait abus de confiance, il n’est pas
nécessaire que les fonds détournés aient bénéficié personnellement aux auteurs de l’infraction (Cass. crim., 10 mai
2005, n° 04-84.118 D).
Dans une autre affaire, un secrétaire et un trésorier du CE ont été
condamnés pour abus de confiance alors qu’ils avaient acheté
deux appartements pour le compte du comité. Cette dépense
avait été réalisée sans l’aval du CE, obligatoire pour tout acte
ne relevant pas de la gestion courante, et le fait qu’elle ait été
ultérieurement approuvée par le comité n’importe pas selon les
juges (Cass. crim., 10 mai 2005, n° 04-84.118 D).
Les personnes autorisées à agir
en cas de détournement du CE
Il s’agit des personnes ayant subi un préjudice direct du fait
du détournement de fonds par le CE.
Concernant le budget de fonctionnement
Tout membre du comité peut agir en justice ; comme par
exemple le chef d’entreprise en tant que président du CE.
En revanche, les juges n’ont pas retenu l’intérêt à agir d’un
salarié concernant le détournement de fonds issus du budget de fonctionnement, estimant qu’il ne subissait pas de
préjudice direct (Cass. crim., 16 oct. 1997, n° 96-86.231).
Concernant le budget des ASC
À NOTER
Dans une ancienne affaire, où le CE avait également indûment versé des prêts à des salariés grévistes, les juges
ont estimé qu’un employeur pouvait agir en cas de détournement du budget des ASC (Cass. soc., 18 mai 1983,
n° 82-11.564).
Comme pour un détournement du budget de fonctionnement, tout membre du CE peut agir, et donc l’employeur
comme c’est le cas dans l’arrêt ici commenté.
L’on pourrait se poser la question de savoir si un ou des
salariés pourraient agir en justice en cas de détournement
du budget des ASC. Pour l’instant, aucune jurisprudence
n’existe sur le sujet. Mais on peut penser que, à l’inverse de
la solution adoptée sur le budget de fonctionnement, les
salariés pourraient agir dans la mesure où ceux-ci peuvent
subir un préjudice direct. En effet, l’attribution injustifiée de
prêts et pour un montant anormal réduit ainsi l’aide sociale
qui pourrait être accordée à des salariés.
Le fait que le CE valide au préalable ou postérieurement une
telle dépense n’empêche pas de faire constater un détournement de fonds et de saisir le juge pour abus de confiance.
Vers une remise en cause
de certaines pratiques de gestion ?
Dans l’arrêt ici commenté, le détournement de fonds consiste
en l’attribution, en violation du règlement intérieur du CE,
de prêts issus du budget des ASC à des salariés grévistes
par le secrétaire et le trésorier du CE. La Cour de cassation
estime qu’en raison de leurs fonctions, ceux-ci savaient
délibérément qu’ils utilisaient ces fonds de manière illicite.
Le caractère intentionnel du délit est d’autant plus évident que
ses auteurs avaient eux-mêmes voté les règles d’attribution
des prêts dans le RI du comité, et qu’ils faisaient partie de la
commission chargée des prêts.
À NOTER
Les juges considèrent que les prêts accordés à des salariés
grévistes ne sont pas réguliers. En effet, ils ne correspondent
pas une ASC si la seule qualité de gréviste ou non-gréviste du
salarié est prise en compte pour leur versement (Cass. soc.,
11 juin 1996, n° 94-14.988). De plus, le CE ne peut accorder des primes aux seuls salariés grévistes, afin de compenser
la perte de salaire (Cass. soc., 18 mai 1983, n° 82-11.564).
Outre la question de l’intérêt à agir des salariés, se pose
celle de la régularité de certains actes de gestion du CE plus
répandus.
S’il est évident que le fait pour des membres du CE de se
financer un voyage au Canada à des fins personnelles constitue un abus de confiance, d’autres pratiques de « petits »
détournements pourraient être ainsi qualifiés.
En effet, il arrive, et ce parfois en accord avec l’employeur,
que le CE utilise le reliquat du budget de fonctionnement
pour augmenter celui des ASC ou procède à d’autres
« mélanges » des budgets de fonctionnement et des ASC,
malgré l’interdiction qui en est faite (Cass. soc., 10 juil.
2001, n°99-19.588).
Ces pratiques pourraient ainsi entraîner une condamnation
pour abus de confiance si l’on considère que l’abus de
confiance peut correspondre à toute utilisation non conforme
et délibérée du budget du CE, notamment lorsqu’elle est du
fait du secrétaire ou du trésorier, ces derniers de part leur
fonction ayant nécessairement conscience de l’illégalité de
leurs actes. ■
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