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VOYAGE ISLANDE
Falaises
islandaises
Terre de glace et de feu, l’Islande est
très courue par l’avifaune des escarpements
rocheux de l’Atlantique Nord.
Morceau choisi sur la côte sud,
à Ingolfshöfoi, le promontoire
des macareux et des grands labbes.
une plate-forme tabulaire qui s’étire sur la
côte sud-ouest de l’Islande. Un long cap
dont la ligne de crête et les falaises
abruptes font face à l’océan, tandis que
le revers herbu s’incline en pente douce
vers les lagunes littorales d’une vaste
plaine humide ourlée de plages de sable noir.
Sur la jeune terre montagneuse née au
milieu de l’Atlantique d’une intense
activité volcanique et d’une puissante
érosion glaciaire, le site d’Ingolfshöfoi
est un petit must ornithologique. Planté
en contrebas de l’immense Vatnajökull
et de sa calotte blanche de 8 300 km2, le
lieu a l’avantage d’être accessible à une
heure précise de la journée, lorsque la
marée basse permet au tracteur de la
famille Bjarnason de franchir la baie.
Lors du court été arctique, cette pointe
rocheuse qui culmine à 76 mètres d’altitude offre sur une centaine d’hectares
un bon concentré de l’avifaune islandaise, du moins celle qui anime les parois de mai à début septembre. Malin,
le fermier au tracteur profite chaque année de cet assortiment de plumes et de
becs pour arrondir le revenu de son
activité traditionnelle, l’élevage de
moutons. Tous les jours, quand le temps
C'EST
Le macareux moine est encore
bien présent en Islande.
le permet et moyennant quelques couronnes islandaises, Sigur Bjarnason
emmène ainsi les naturalistes ou les
simples curieux découvrir la communauté pélagique installée là-haut à des
fins reproductrices. Pour ne pas la perturber, Sigur n’accepte qu’un nombre
limité d’intéressés, une vingtaine, pas
plus, qu’il véhicule dans une remorque
aménagée. Spartiate, mais pratique.
Pluvier fétiche
Au parking déjà, une maigre strate
de plantes herbacées attire la clientèle
typique des basses terres de l’île. Un
pluvier doré, l’oiseau fétiche des Islandais, donne l’éveil en trottinant. Plusieurs couples de courlis corlieux s’inquiètent en poussant leurs cris flûtés
et le ciel résonne des chevrotements
étranges produits par les mâles de bécassines des marais en pleine démonstration nuptiale. Par chance ce jour là,
un soleil généreux illumine les glaces
du Vatnajökull. Il s’avère un excellent
stimulant pour ces parades acrobatiques. Sigur sourit. L’homme est abonné
depuis toujours au spectacle. Avant de
démarrer son engin, il montre ici et là
les silhouettes trapues de gros oiseaux
au plumage brun et au regard noir. Des
grands labbes. "Tout à l’heure, sur le cap, ils
vous feront un accueil très particulier",
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glisse le fermier viking, l’oeil narquois.
Prudemment, le convoi s’avance sur
un chevelu de rivières qui dévalent du
glacier, puis il atteint la surface plane
et détrempée de la baie avant de stopper, après un trajet d’une heure, devant une énorme dune de sable noir
adossée au promontoire. L’ascension
commence, dans un tourbillon de minuscules grains de basalte que le vent
déplace. L’irruption des visiteurs sur
le revers du cap ne passe pas inaperçue. Un couple de goéland marin, dont
le nid est bien visible dans l’herbe
grasse, donne immédiatement l’alerte.
Sigur distribue les consignes. "On reste
groupé derrière moi, surtout quand on
approchera des falaises, car ça souffle
fort aujourd’hui".
Skuas hitchcockiens
Après quelques mètres sur un sentier étroit, un premier labbe attaque.
En silence, il s’élève d’un vol lourd,
décrit un long virage dans le ciel et
pique droit sur les intrus ! La masse
brunâtre aux ailes ornées d’une tache
Un pluvier doré,
l’oiseau fétiche des
Islandais, donne
l’éveil en trottinant
blanche, seule fantaisie du plumage
uniforme, déclenche instinctivement
une onde d’appréhension dans la petite troupe de bipèdes. Les uns se baiss e n t en se p ro t é g e a n t le visage,
d’autres tournent la tête... l’effet de
surprise est total. Le pirate des falaises a d’ailleurs un faible pour Sigur :
visiblement, il le connaît et n’hésite
pas à le houspiller, à le toucher avec
ses ailes et ses pattes. "C’est sa manière
à lui de nous écarter de son nid", précise
l’Islandais en montrant du doigt la
Le site d’Ingolfshöfoi, pointe rocheuse
qui culmine à 76 mètres, offre sur
quelques centaines d'hectares un
concentré de l'avifaune islandaise.
ISLANDE
Capitale : Reykjavik
Superficie : 103 000 km2
Population : 300 000 habitants
Monnaie : la couronne islandaise
(1 € = 92 ISK).
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magazine n° 86
Ci-dessus, un plongeon catmarin.
Ci-contre, une macreuse noire.
compagne de l’irascible posée sur sa
couvée. Cette protection rapprochée
s’arrête une fois franchie une ligne invisible de tolérance. "La presque totalité des 5 500 couples de grands labbes
islandais se reproduit dans les environs,
entre le delta glaciaire de Skeioarars a n d u r e t le lit tora l tour b eu x d e
Breioamerkursandur", ajoute Sigur, "sur
le cap d’Ingolfshöfoi, les places sont chères, car leur garde-manger est juste à
côté". La preuve de leurs raids est
manifeste à l’approche de la crête : la
pelouse est jonchée de coquilles proprement éventrées d’oeufs colorés et
piriformes. L’oeuvre des goélands et
des labbes, ces pillards qui, entre autre
repas, volent celui que les mouettes
tridactyles, guillemots et macareux
apportent à leurs poussins, quand ils
ne capturent pas les adultes euxmêmes après une poursuite acharnée.
Une fois passé le domaine des prédateurs, le groupe atteint un phare et un
refuge. Selon la légende, ce serait là
qu’Ingolfur Arnason, un Viking norvégien, aurait pour la première fois
touché la terre d’Islande, en l'an 873,
avant de fonder Reykjavik, la capitale
du pays...
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Macareux malicieux
Le clou du spectacle promis par Sigur
Bjarnason s’offre alors. Les macareux
moines en costume de soirée et au bec
bariolé de gris, de jaune et de rouge vif
s’agglutinent sur le sol herbeux miné
par leurs terriers. Le cadre dans lequel
ils évoluent est somptueux : en contrebas, les longues plages de sable anthracite opposent leur noir de jais au blanc
virginal des neiges du Vatnajökull qui
les dominent. Les petits clowns ne montrent aucune crainte. Certains prennent
le soleil, d’autres filent comme des flèches vers la mer. Le "lundi", nom local
de l’alcidé, est encore bien présent en
Isl an d e. Sigur cite le chiffr e de
trois millions de couples, "mais cette
population a considérablement baissé ces
trente dernières années". Motif : la raréfaction des stocks de poissons, en particulier ceux de capelans. Outre le perroquet des mers, un autre habitué de
embruns abonde sur le littoral. Le
Arlequin plongeur.
QUALITÉ ET DENSITÉ
Environ 75 espèces, en majorité migratrices, se reproduisent en Islande, mais cette diversité assez modeste est compensée par le nombre. Tour d’horizon succinct.
En Islande, lors de l’été arctique, la plupart des sites de falaises qui accueillent les grands
couarails d’alcidés ou de laridés sont accessibles au visiteur et toutes les cartes disponibles
à l’office du tourisme de Reykjavik font mention des nombreuses réserves naturelles qui
émaillent le littoral. Outre le promontoire d’Ingolfshöfoi, on peut citer les escarpements
rocheux d’Arnastapi, au bout de la péninsule de Snaefellsnes, ceux de Latrabjarg, un cap
au nord-ouest des fjords de l’Isafjördur où se concentre la plus importante colonie de
pingouin torda de l’Atlantique Nord, mais aussi les îles Vestmann, seul endroit de nidification du puffin des Anglais ou encore le Breidafjördur, ce large fjord aux mille îles où il est
facile d’observer l’un des 35-40 couples de pygargue à queue blanche islandais en empruntant un bateau croisière au départ de Stykkishölmur. Ailleurs, les milieux spartiates
des champs de lave, des calottes glaciaires ou de la toundra qui règne sur les hauts
plateaux du centre attirent peu ou pas d’espèces, contrairement aux basses terres très
fertiles situées le long des régions côtières et dans les vallées où le climat est le plus doux.
Myvatn, lac à canards
La route nationale 1, désormais entièrement goudronnée, qui fait le tour de l’île à l’exception de la péninsule d’Isafjördur, est un excellent moyen de côtoyer de près la clientèle des
prairies où baguenaudent les éternels moutons et les charmants petits poneys islandais.
C’est ici le royaume de l’huîtrier pie, du chevalier gambette, de la communauté braillarde
des sternes arctiques. Le phalarope à bec étroit ou le plongeon catmarin installent leurs
nids au vu de tous au bord des mares qui bordent l’axe routier, notamment au sud-est,
entre le parc national de Skaftafell (bonne place pour admirer le bécasseau violet et le
bruant des neiges) et le port de Höfn. Ces plaines bordières sont aussi parsemées d’étangs
plus ou moins importants où se plaisent le plongeon imbrin, le cygne sauvage (2 500
couples), l’oie cendrée, la harelde boréale, le fuligule milouinan et l’omniprésent eider à
duvet, que quelques fermes exploitent encore pour ses plumes. Plus au nord, le complexe
lacustre Myvatn, situé sur le fossé central de la ride médio-atlantique, est un célèbre spot
pour les anatidés. Sur ses eaux calmes ou sur les bords de la rivière Laxa vivent le garrot
d’Islande (800 couples endémiques à l’île) et l'arlequin plongeur, cet étonnant canard
plongeur au plumage patchwork bleu noir, roux et blanc. Les villages abritent quelques
espèces de passereaux dont la grive mauvis (300 000 couples !), la bergeronnette grise et
le sizerin flammé. Même la capitale est appréciée par le peuple ailé. Au coeur de Reykjavik,
le lac Tjörnin, alimenté en eau chaude, est pris d’assaut par les laridés et les anatidés toute
l’année. Tandis qu’au printemps, c’est dans les petits jardins urbains qu’il faut rechercher
le merle noir. Une curiosité locale, puisque ce turdidé si commun sur le Vieux continent ne
compte ici qu’une poignée d’irréductibles couples nicheurs implantés là depuis 1991...
PATRICE COSTA
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Des petits clowns
prennent le soleil,
d’autres filent comme
des flèches
vers la mer
fulmar boréal - plus d’un million de
couples occupent les terrasses haut perché des falaises où la végétation s’accroche encore. Ici et là, ils couvent ou
se chamaillent entre deux coussins roses de silènes et d’arméries maritimes.
Plus bas, à l’amorce des parois verticales, le vacarme assourdissant des
mouettes tridactyles couvre presque le
grondement des flots. Le moindre replat,
la moindre aspérité formée par la roche supporte un de leurs berceaux. Plus
bas encore, la paroi est constellée de
guillemots de Troïl et de Brünnich scotchés en grappe ou en rangs d’oignons
sur les minces corniches, le dos à la mer.
Sigur le sait, on ne se lasse pas d’une
telle effervescence sauvage, mais, marée oblige, il faut regagner le tracteur
et le rivage. Au parking, dernier regard
sur le promontoire d’Ingolfshöfoi désormais enveloppé d’un foulard de brume
et ultime remarque du guide : "mon
grand-père, mon père et moi même avons
toujours aimé et protégé ce site. Comme
partout dans mon pays, mon peuple respecte trop sa nature pour oser y toucher".
En ces temps de grave déclin de la biodiversité, une attitude à méditer.
TEXTE ET PHOTOS PATRICE COSTA

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