À la découverte de l`Islande
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À la découverte de l`Islande
Par Claude Garceau, MD Évasion Évasion [email protected] Le départ et la fin de ce voyage circulaire se confondent. J’ai 40 ans, pas encore vieux, plus jeune tout à fait. Jeune je le suis lorsqu'une nuit d'Aquavit, étendu sur l'herbe chaude de juillet, je crâne et je plonge mes yeux dans ceux de ma voisine; vieux je le suis lorsqu’elle détourne les siens. Le Ring Road de ma vie. Rétine comblée par les verts phosphorescents des falaises, troublée par le bleu translucide des glaciers qui finissent en simples molécules d’eau. L’Islande en juillet. Le défi de voyager seul ; une route circulaire, le début, la fin et les beautés du monde entre les deux… À la découverte de l'Islande Souvenirs d’ombres, de vents et de lumières UN NOËL SANS NEIGE, DE LA PLUIE qui tombe aussi drue en ce 5 janvier que les coupures de budget qu’on nous a imposées en guise de remerciement pour 10 ans de travail au Centre de diabète; en prime, le virus de Norwalk. Pour conjurer les crampes abdominales et la déprime, vivement quelques pensées positives… Mon œil se souvient des verts intenses des falaises de l’Islande. À l’aube de mes 40 ans, je suis parti sur un coup de tête de Halifax vers Reykjavik. Dix fois 24 heures, intense, sans repos où les clartés de la nuit se confondent avec les ombres du jour en cette fin de juin. Une grande route circulaire ceinture l’Islande (la « Ring Road »). En juillet, il n’y a pas de nuit véritable, le soleil rayonnant pendant plus de 23 heures. Cette lumière continue excite, pousse à l’excès. Reykjavik, ce matin de juillet, est une Cendrillon endormie. Pas une voiture ne circule, quelques ombres à peine filent sur les trottoirs. Vers 22 h, je suis désespérément seul au centre-ville, presque mort d'ennui : mais de nulle part arrivent des taxis jaunes. Toutes générations confondues, Reykjavik s’éclate soudainement. On fête le retour de la vie après des mois de pénombre; ces mois d’hiver sans fin où tout un chacun cumule deux ou trois boulots pour s’offrir le dernier monstre tout terrain et où, 10 ans avant le reste de la planète, on se paie le téléviseur plasma. L’Aquavit, c’est vraiment l’eau de vie, source de bonheurs éphémères comme cette lumière d’été. Au petit jour, je me retrouve déboussolé, étendu sur les herbes. Autour de moi, les enfants de Dieu : yeux bleus, cheveux de neige et muscles découpés par la vie au grand air. Isolés du reste du monde pendant près de 1 000 ans, les gènes des Vikings de Norvège et de Suède ont produit des clones de la beauté originelle. À peine remis de cette nuit folle, je me laisse inviter vers Thingvellir. Une immense faille à ciel ouvert. L’assemblée souveraine du peuple islandais s'y tenait il y a près de 1 000 ans, près de 50 ans avant la Magna Carta et avant que l’Europe ne découvre la démocratie. Il est deux heures du matin, pas une âme qui vive, mais des présences inquiétantes semblent flotter dans le silence de ces immenses champs de lave, le calme troublé par le grondement des geysers… Cette lave, dévalée il y a 500 ans, est maintenant recouverte des mousses verdâtres presque phosphorescentes; un vert si sombre et si iridescent qu’il devient la couleur primaire de ce monde perdu. Il me faudra des heures pour ne plus être troublé par le bêlement des moutons semi-sauvages, invisibles spectres dans le dédale tridimensionnel des scories et des blocs solidifiés de magma. Épuisé par le manque de sommeil, je sursaute lorsque le vent venant de nulle part se lève. La tempête de sable qui fermera la route pendant des heures ajoute au sentiment de fin du monde. Mais il y a aussi la mer, le bleu du ciel et des flots. Des plages de sable noir qu’aucun pas n’a foulées. Je découvre des parois abruptes, fouettées par le vent. Je m'approche en rampant au-dessus des précipices. Un autre miracle de la vie se Comment planifier un voyage en Islande > Prévoir 10 jours en voiture ou 15 à 20 en vélo (autonomie complète). > Le vol vers Reykjavik passe par New York ou, encore mieux, faites une escale en provenance de Copenhague. Profitez des forfaits voiture-avion-bed and breakfast de la compagnie d’aviation. Photos originales : Dr Claude Garceau déroule devant moi : des milliers d’oiseaux nicheurs se nourrissent des relents du Gulf Stream. Macareux aux becs multicolores, pétrels, fulmars, toute cette vie ailée se donne dans un grand spectacle étourdissant. Aucune barrière, aucun gardien ne m'empêchera de me suspendre à la verticale des parois. Seul pendant des heures, au bord d'immenses falaises balayées par le vent, j'entre en transe, en communion avec cette autre vie, ma lentille Nikon de 300 mm, le prolongement de ma rétine. Plus tard, ras le bol du silicium… Un peu de contact humain. Cette Ring Road est un chapelet ponctué de petits villages. Autrefois, des pêcheurs y vivaient; de nos jours, les citadins de Reykjavik viennent y passer les « white nights » de juillet. Thorun me fait passer la nuit sur la grève, dans une petite cabane recouverte d'un toit de tourbe. Dix-huit heures plus tard, le bruit de la tempête me servira de réveil. À ma porte, on m'a laissé du petit-lait avec du sucre brun et un plat d'agneau fumé. Le hasard des rencontres, et surtout la Bétacam qui j'ai traînée avec son trépied, m'ouvrent les portes comme par magie… Dans un village où se tiennent des compétitions olympiques, on me pousse vers un politicien discourant devant une statue de je ne sais qui. L’homme qui me parle en islandais, puis en allemand et finalement en anglais sera le prochain président de l’Islande. Il me croit journaliste étranger couvrant sa campagne électorale. Un attaché politique m'invite à sa table, on m’habillera en queue de pie durant la soirée de gala : vive l’attraction fatale des grosses caméras… Akruteri, c’est la petite ville du Nord. Salade cultivée dans des serres à énergie géothermique, grandes verrières dans les restaurants pour garder la lumière du jour, plusieurs expressos, morue fumée, etc. Une ambiance feutrée, de la musique classique et des livres partout. Petit bonheur de chaleur, lumière, livres, musique et beauté… Et une autre invitation inespérée. Visite en barque sur la mer de glace. Immense cuvette née de la fonte des glaciers tout proches. Poche d’eau douce avant l’océan. Les séracs flottent sur l'eau turquoise du lagon. Notre embarcation glisse lentement entre les restants d’iceberg. Des craquements tout proches et de grands glaçons de 10 000 ans se détachent, faisant jaillir des vagues qui mettent à mal la stabilité de notre vieille barque. Je m’en voudrais de ne pas parler de cette vallée perdue dans ce monde minéral où aucun arbre ne résiste aux vents dominants. Un petit miracle de vie. Une faille dans la terre : au début quelques herbes, puis des arbrisseaux et, comme par magie, de grands arbres de 15 mètres. Absence de vent. Des foules d’oiseaux nicheurs ont trouvé refuge dans cette oasis. Petit lieu magique, petit cadeau inattendu qu’il faut accepter sans condition. Je passerai 3 heures étendu sous les arbres, profitant de la chaleur du jour comme un lézard, heureux d’exister et ne demandant pas plus qu’un peu de soleil sous le ciel polarisé. > On peut facilement réserver sur Internet la voiture à l’aéroport et surtout les bed and breakfast sur la Ring Road. On peut voyager également entre les villages de la Ring Road avec l’autobus circulaire. La meilleure période : sûrement la semaine du 20 juin sans la horde des touristes de juillet en autocar. Les hébergements se font chez le fermier (bon confort) ou dans les gyms d’école désaffectés durant la saison estivale. > En Islande, on parle anglais très tôt, on le montre à l’école dès la maternelle. Les enfants ne perdent pas pour autant l’islandais… Dure leçon pour le Québec. > Musique : évidemment Björk pour sa folie créatrice, mais surtout Sigur Sigurson pour le mystère. Si vous avez la chance de faire ce voyage en Islande seul, le iPod vous berçant avec les ambiances de Sirgurson, les yeux remplis des beautés du Nord, vous saurez que, pour un instant, on peut transcender ces fonctionnaires qui réduisent 15 ans de travail en quelques statistiques. Mais il faut être humble : le glacier, si vieux, ne se réduit qu'à quelques gouttes d'eau pure une fois parvenu aux confins de la mer salée… ⌧ L’auteur est spécialiste en médecine interne, à l’hôpital Laval à Québec 47 46 S A N T É I N C . MAI/JUIN 2007 MAI/JUIN 2007 S A N T É I N C .