Discours de Frédéric Mitterrand au Colloque NPA 100610
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Discours de Frédéric Mitterrand au Colloque NPA 100610
Discours Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion du colloque NPA (Nouveaux Paysages Audiovisuels) « Les équilibres contenus/réseaux de la première décennie numérique » e Maison de la Chimie (Paris 7 ), jeudi 10 juin 2010, 12h30 Messieurs les Présidents et Directeurs généraux, Mesdames et Messieurs, Contact presse Département de l’information et de la communication 01 40 15 80 11 [email protected] SEUL LE PRONONCE FAIT FOI www.culture.gouv.fr Nous nous rappelons tous cette règle de bons sens, qui nous a été autrefois enseignée à l’école : « Ne pas séparer la forme du fond ». Je sais bien qu’il est des poètes qui, tel Alfred de MUSSET, se demandent : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? »… Mais d’une part, je ne suis pas sûr que l’« ivresse » soit véritablement le but que nous devons rechercher face à la révolution numérique, et je crois que les nouveaux moyens de communication doivent plutôt nous inviter à « raison garder » et à réfléchir le plus sereinement possible à leurs enjeux. D’autre part, je suis convaincu qu’il importe, dans ce domaine plus que dans tout autre, non seulement de « ne pas séparer la forme du fond » – les « contenants » (ou ce qu’on appelle tout aussi poétiquement les « tuyaux ») des contenus qu’ils véhiculent –, mais qu’il s’agit bien de trouver entre eux, dans une relation dialectique, le meilleur équilibre possible. En 10 ans, la révolution numérique – et en particulier Internet – a entièrement modifié notre environnement, infléchi nos pratiques culturelles et jusqu’à nos habitudes de penser et de créer. Ce bouleversement est à l’évidence une chance extraordinaire pour la diffusion et la transmission de notre patrimoine. Elle est également un formidable vecteur de création, pour chacun d’entre nous et dans tous les domaines, de la musique au cinéma, en passant par les arts plastiques, la littérature ou encore les jeux vidéos. Mais bien sûr, ces ressources nouvelles représentent aussi un défi pour tous les acteurs des industries culturelles, qui doivent s’adapter aux nouveaux modèles économiques qu’elles induisent. Le foisonnement créatif rendu possible par Internet doit avoir pour corollaire une régulation qui garantisse le respect du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle, et assure la pérennité du financement de la création. C’est pourquoi la « décennie numérique » qui s’achève nous a aussi obligés à constamment moderniser et réinventer notre réglementation. La dernière illustration en date – et l’une des plus emblématiques – en est le décret sur les Services de média audiovisuel à la demande, les « SMAd », par lequel nous faisons œuvre de droit, sous l’œil attentif de nos voisins européens. C’est le 1er point que je souhaite développer devant vous. L’arrivée de ces nouveaux Services à la demande enjoignait d’adapter notre règlementation audiovisuelle. La loi du 5 mars 2009 a permis de faire entrer ces services dans le champ des acteurs qui contribuent au financement de la production d’œuvres françaises et européennes. 1 Afin d’en préparer l’application d’une manière réaliste et adaptée, nous avons lancé, vous le savez, une consultation publique pour recueillir l’avis des professionnels. Après les avoir reçus et entendus, nous finalisons actuellement ce projet de décret, qui permettra de trouver un équilibre entre la croissance du marché émergent de la Vidéo à la Demande, et la contribution de ces nouveaux services à la création et à la préservation de sa diversité. L'adoption de ce texte traduit l'aboutissement d'un long cheminement politique qui a débuté, il y a plusieurs années déjà, avec la négociation de la directive sur les Services de Médias Audiovisuels du 11 décembre 2007, qui modifiait celle sur la Télévision Sans Frontières (TVSF). A cette occasion, les autorités françaises s’étaient longuement battues, d’abord seule avant de rallier nos partenaires à cette cause, afin que soient pris en compte les nouveaux services audiovisuels à la demande dans le champ de la réglementation communautaire. Quel était l'enjeu ? De permettre aux nouveaux services audiovisuels de se voir appliquer, avec les adaptations nécessaires, les principes et les règles qui ont permis aux chaînes de télévision de continuer à proposer, sur les écrans, une part substantielle d'œuvres européennes et françaises, et non pas seulement américaines, et de contribuer activement au développement de l’industrie audiovisuelle et cinématographique. C'est en effet la condition première pour que nos créateurs puissent continuer à s'exprimer, et que notre société conserve son propre regard sur elle-même au sein du nouvel univers numérique. L'objectif de la régulation des SMAd est donc avant tout culturel : il s’agit d’encourager le renouvellement de la création audiovisuelle française et d’en assurer le rayonnement. Aux cotés des pouvoirs publics, tous les acteurs de ce nouveau marché doivent concourir à cette ambition commune. Seule cette large adhésion permettra d'éviter les risques qui pèsent aujourd'hui sur la régulation des services de médias à la demande : la délocalisation et la concurrence déloyale d'opérateurs non régulés. Pour ne pas entraver le développement de ces nouveaux services, trois grands principes nous ont guidé dans l'élaboration de ce dispositif : D'abord, la prise en compte du modèle économique de ces services, notamment des Services de vidéo à la demande rémunérés à l'acte. Il s'agit de développer cette offre afin qu'elle soit le plus largement accessible, et que l’attractivité de l’offre légale contribue à faire reculer les pratiques de téléchargement illégal. Cela implique notamment d'éviter que ne se développent des pratiques d'exclusivité. Pour cela, il convenait de distinguer les modalités de la contribution à la production selon le type de service proposé. En cela, il est clair que les services de VoD par abonnement, compte tenu de leur situation concurrentielle différente de la VoD à l’acte, doivent faire l’objet d’un traitement spécifique. 2 Mais au final, il s’agit bien de soutenir la création, et d’assurer une bonne exposition aux œuvres européennes et d’expression française, gages de diversité et de rayonnement. Le 2e principe, c’est la prise en compte du caractère émergent de ces nouveaux services, qui invite à appliquer des règles moins contraignantes que pour la télévision, et à fixer un seuil de chiffre d'affaires au-delà duquel seulement des obligations de production interviendront. Cela permet ainsi aux opérateurs d'anticiper leur entrée dans ce régime. Enfin, le 3e principe, c’est le souci de simplicité et de lisibilité des règles. Alors que la complexité du droit de l'audiovisuel fait l'objet de critiques de plus en plus vives, il n'était pas imaginable, pour ces nouveaux services, de créer un dispositif compliqué, qui aurait d'emblée prévu de multiples catégories et dérogations. L'adoption de ce texte a pris un peu de retard, notamment du fait de la concertation approfondie qui a présidé à son élaboration. Je souhaite que ce dispositif entre en vigueur au 1er janvier 2011. Nous entendons le publier d’ici la rentrée 2010, en prenant évidemment en compte les différents organismes dont l’avis est requis : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, le Conseil d’Etat et la Commission européenne. Ce décret, je le disais, constitue une première étape. Mais il s'inscrit dans une réflexion plus large et permanente sur la façon dont nous pouvons développer les services culturels en ligne, et adapter notre réglementation : je pense, notamment à la mobilisation autour du taux réduit de TVA pour les biens culturels en ligne. Je pense aussi, plus largement, à la problématique de la neutralité du Net, et c’est le second point que je voudrais aborder ici. 2nd POINT : LA NEUTRALITÉ DU NET Cette question de la neutralité du Net est complexe et fait, je le sais, l’objet d’importants débats ; celui d’aujourd’hui y contribue. Ce concept signifie, dans son acceptation maximale, que « toutes les données sont transportées et traitées (sur Internet) de manière indifférenciée, de leur point d’origine jusqu’à leur destination finale ». Cette question de la discrimination des contenus véhiculés sur internet suivant leur nature, leur source ou leur destination – a émergé dans un contexte précis. Celui d’une consommation exponentielle de contenus sur internet, générant un trafic très important sur les réseaux, et nécessitant pour les opérateurs d’investir massivement dans leurs infrastructures et dans la qualité de leur service. Ce débat sur la neutralité de l'internet pose de nombreuses questions de société, qui intéressent très directement le secteur de la culture et de la communication : Comment assurer l'accès de tous à tous les contenus, notamment culturels, véhiculés sur les réseaux de façon transparente et non discriminatoire ? Comment garantir le pluralisme et la liberté d'information et de communication ? 3 Comment concilier le respect des droits d'auteur avec cette possibilité de pouvoir accéder à tout contenu ? Comment assurer le développement de l’Internet en permettant à chaque maillon de la chaîne de valeur - opérateurs, fournisseurs de contenus et de services - de développer un modèle économique qui garantisse leur développement dans la durée ? Se pose particulièrement ici la question du financement de la création, à laquelle je suis particulièrement attentif. Ces questions sont tout aussi essentielles que celles posées au monde des télécommunications, même si à mes yeux elles ont été jusqu’ici moins prises en compte. Le débat a fait l’objet de plusieurs consultations, dont la dernière, menée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – l’ARCEP - , est toujours ouverte. Pour autant, il me paraît également essentiel que les enjeux relatifs aux contenus soient, eux aussi, largement pris en compte, car ils sont évidemment, je le répète, indissociables des réseaux grâce auxquels ils peuvent circuler. L’un des principaux enjeux, c’est la lutte contre la piraterie. Compte tenu des ambigüités qui existent parfois dans les formulations de certains défenseurs de la « neutralité de l’Internet », il n’est pas inutile de souligner que les libertés garanties au consommateur le sont, bien évidemment, sous réserve d’un accès licite à des contenus eux aussi licites. Le 2ème enjeu, c’est celui de la régulation des services audiovisuels, et d’une concurrence non faussée entre les acteurs. L’utilisation croissante d’Internet pour diffuser des programmes en vidéo, liée à l’essor des téléviseurs connectés peut être source d’une distorsion de concurrence néfaste à ceux qui contribuent aujourd’hui à financer la création. Nous devons en avoir conscience. Il faut réfléchir aussi aux conséquences du phénomène de désintermédiation dans la chaîne de valeur audiovisuelle. Car la montée en puissance des terminaux connectés, combinée à une « neutralité » très exigeante en termes de qualité de service de la vidéo sur Internet, pourrait pousser les différents acteurs à opérer directement sur le réseau pour s’affranchir de l’acteur qui le précède dans la chaîne. En somme, c’est toute la chaîne audiovisuelle qui pourrait se trouvée déséquilibrée et, dans la foulée, les principes vertueux de solidarité financière qui se trouveraient remis en cause. Il existe donc, pour les industries du contenu, des enjeux considérables et encore insuffisamment examinés. Je vous invite aujourd’hui à prendre tout la part qui vous revient dans les réflexions et consultations en cours. Nous réfléchissons également à ces questions dans le cadre de la mission confiée à Dominique RICHARD sur « L’audiovisuel en 2015 ». Pour conclure, je me réjouis que ce colloque soit l’occasion d’une discussion aussi riche qu’approfondie, sur le bilan de cette première « décennie numérique », mais aussi bien entendu sur l’avenir de la 4 création à l’heure d’Internet, et sur tous les défis que nous lance la révolution numérique. Aux créateurs et aux consommateurs de plus en plus nombreux à faire le choix d’Internet, nous devons offrir davantage qu’une protection législative : des revenus supplémentaires pour les premiers, grâce à l’exploration et à l’invention de nouvelles sources de rémunération, et, pour les seconds, une offre légale plus attractive de contenus culturels, et sous de nouvelles formes. C’est la condition même du plein exercice de la liberté créatrice à l’ère numérique. Aux questions qui nous préoccupent, il paraît clair qu’il n’y a pas de solution unique, mais un faisceau articulé de mesures, de projets et d’initiatives. Leur multiplication et leur complémentarité créeront un état d’esprit nouveau, et permettront de faire d’Internet le vecteur privilégié de diffusion de la culture, à la fois attractif pour ses utilisateurs et respectueux des créateurs. Je partage avec vous ce souhait : conjuguons le potentiel du numérique et d’Internet avec nos propres ressources, celles que recèlent notre imagination, notre capacité d’innovation, mais aussi notre volonté politique. Sachons trouver le meilleur équilibre possible entre la liberté et la régulation, mais aussi entre « la forme et le fond », entre la logique des réseaux et l’exigence des contenus culturels. Je vous remercie. 5