Utilisation de la méthode des incidents critiques dans la construction
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Utilisation de la méthode des incidents critiques dans la construction
DOSSIER PRATIQUES Santé publique 2001, volume 13, no 2, pp. 169-177 Utilisation de la méthode des incidents critiques dans la construction d’un outil de mesure de la satisfaction en psychiatrie A critical incident technique for designing a measurement tool of patient satisfaction in psychiatry C. Pourin (1), V. Daucourt (1), P. Barberger-Gateau (2) Résumé : Position du problème : les établissements de santé vont devoir mettre en place des enquêtes régulières de mesure de la satisfaction des patients, en plus de leur questionnaire de sortie. Peu d’outils de mesure de la satisfaction sont actuellement à la disposition des professionnels. Un groupe de travail associant 10 établissements appartenant à la discipline psychiatrique, conduit en Aquitaine une réflexion sur la spécificité de cette mesure pour la psychiatrie. Objectif de l’étude : il est de recueillir la perception du patient sur le déroulement de son séjour afin d’identifier les domaines de satisfaction et d’insatisfaction tels que vécus et formulés par lui, grâce à une approche qualitative. Méthode : la technique des incidents critiques a été utilisée dans 4 établissements volontaires sur des patients hospitalisés en secteurs de psychiatrie et sélectionnés par leur médecin. Des entretiens utilisant un questionnaire semi-structuré ont été réalisés par un enquêteur externe aux services. Les données ont été analysées de manière qualitative. Résultats : 32 entretiens ont pu être analysés. 215 événements ont été extraits. La typologie utilisée pour classer ces événement utilise 12 thèmes. Conclusion : les événements extraits de ces entretiens permettent d’identifier de nouveaux thèmes constituant une base de réflexion complémentaire pour la rédaction d’orientations de questions, centrées sur les préoccupations des patients. (1) Comité de Coordination de l’Évaluation Clinique et la Qualité en Aquitaine (CCECQA) - Hôpital Xavier Arnozan - 33604 Pessac Cedex ; France E-mail : [email protected] Site internet : www.ccecqa.asso.fr. (2) Inserm U 330, Université Victor-Segalen, Bordeaux 2, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux Cedex, France. Tirés à part : C. Pourin Réception : 12/01/2000 - Acceptation : 23/04/2001 170 C. POURIN, V. DAUCOURT, P. BARBERGER-GATEAU Summary : Background : Health care centers will have to set up a regular survey of their patients’ satisfaction, in addition to the discharge questionnaire. Few instruments for measuring satisfaction are at present available. A working group associating 10 psychiatric hospitals in Aquitaine conducted a study on the specificity of this measure in psychiatry. Aims of the study : to record the patient’s perception on the stay in order to identify areas of satisfaction and dissatisfaction as perceived and reported by himself, using a qualitative approach. Methods : the critical incident technique was used in 3 volunteer hospitals, in patients hospitalised in psychiatric wards selected by their doctor. Interviews using a semi-structured questionnaire were conducted by an investigator external to the departments. Data were analysed in a qualitative way. Results : 32 interviews could be analysed, and 215 events were extracted. These events were classified in 12 themes. Conclusion : the events identified from these interviews have allowed identification of new areas of patient satisfaction, which could be used to build additional items centered on patients’ preoccupations. Mots-clés : satisfaction des patients - psychiatrie - technique des incidents critiques méthode - questionnaire. Key words : patient satisfaction - mental health services - critical incident technique methods - questionnaire. Introduction Les professionnels de santé sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à la mise en place d’enquêtes de satisfaction de leurs patients comme source d’informations complémentaires sur l’évaluation de la qualité des soins. Le contexte réglementaire n’est sans doute pas étranger à cela, introduisant dans l’article 1 des dernières ordonnances portant réforme de l’hospitalisation, la nécessité de réaliser des enquêtes périodiques de satisfaction [15]. Les établissements psychiatriques ne sont pas écartés de cette réflexion [14]. De nombreuses équipes, principalement anglosaxonnes [2, 5, 8, 9, 10, 12, 16, 17, 19, 25], ont réalisé des outils de mesure de la satisfaction des patients. Les problèmes méthodologiques soulevés par ces outils ont été revus par Lebow [13] : variété des schémas d’études, problème des non-répondants, facteurs de confusion liés à la satisfaction... Ces travaux mettent en évidence le manque de consensus et de méthodologie rigoureusement validée pour la mesure de la satisfaction des patients en psychiatrie. En région Aquitaine, une structure régionale chargée de développer des projets d’évaluation et de démarche qualité a été mise en place à l’initiative des directeurs et présidents de commission médicale d’établissements d’hôpitaux publics : le Comité de Coordination de l’Évaluation Clinique et de la Qualité en Aquitaine (CCECQA) [26]. L’une des thématiques de réflexion conduites par cette association porte sur la mesure de la satisfaction [21, 22]. À la suite d’une expérimentation portant sur l’élaboration et la validation d’un questionnaire d’enquête menée en court-séjour [23], un groupe de travail spécifique à la psychiatrie a été mis en place. Il regroupait 10 établissements appartenant à cette discipline. Ce groupe de travail souhaitait poursuivre et compléter l’expérience conduite en courtséjour en reprenant le questionnaire validé pour la médecine, chirurgie et obstétrique mais en l’adaptant à la prise en charge des patients hospitalisés en secteurs psychiatriques. Certes, la satisfaction des patients est un concept subjectif [20] mais des dimensions sous-jacentes ont pu être UTILISATION DE LA MÉTHODE DES INCIDENTS CRITIQUES DANS LA CONSTRUCTION D’UN OUTIL DE MESURE DE LA SATISFACTION EN PSYCHIATRIE identifiées dans des travaux de Ware [27-29] (relations humaines, qualité technique des soins, accessibilité et commodités, aspect économique, efficacité des soins, continuité des soins, environnement physique et disponibilité). Certains auteurs [14] affirment que la mesure de la satisfaction serait moins abstraite pour une psychiatrie habituée à mesurer les symptômes et les souffrances à la fois dans le détail de la sémiologie et du vécu individuel et dans les procédures standardisées de la psychopathologie. Notre travail repose sur l’hypothèse que la formulation faite par le patient de ses propres domaines de satisfaction ou d’insatisfaction serait plus pertinente que de calquer sur la psychiatrie un questionnaire directement importé d’autres spécialités. Pour réaliser cette adaptation, une approche qualitative directe auprès des patients hospitalisés a été conduite afin de mieux connaître leur vécu sur l’hospitalisation en secteur de psychiatrie. La technique des incidents critiques a été proposée initialement par Flanagan [6] et utilisée depuis au Royaume-Uni [3, 4, 11, 18, 24] et au Canada [7] comme approche qualitative dans la mesure de la satisfaction des patients. Elle permet d’étudier plusieurs modalités de prise en charge telles que les soins psychiatriques, soins palliatifs, soins de longue durée. Sa théorie repose sur l’hypothèse que le sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction naît d’événements vécus par les sujets et ayant entraîné des jugements de valeur que le patient pourra décrire avec précision lors d’entretiens. L’objectif de cette étude était de recueillir la perception du patient sur le déroulement de son hospitalisation afin d’identifier les facteurs de satis- 171 faction (ou d’insatisfaction) tels que vécus et formulés par lui, grâce à une approche qualitative dérivée de la technique des incidents critiques de Flanagan. Méthode Sites et population concernés L’étude s’est déroulée en janvier 1999 dans trois établissements spécialisés d’Aquitaine adhérents du CCECQA et volontaires pour participer à cette étude : le Centre Hospitalier de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), le Centre Hospitalier Spécialisé de Cadillac (Gironde) et le Centre Hospitalier Spécialisé Vauclaire de Montpon Menesterol (Dordogne). La population concernée à l’intérieur de ces établissements était composée des patients de plus de 18 ans hospitalisés à temps complet depuis au moins deux semaines. Il s’agissait d’un échantillon de patients sélectionnés par les médecins psychiatres des secteurs volontaires. Les consignes d’inclusion données aux médecins reposaient sur les notions de stabilité et de capacité psychologique et sociale des patients à participer à ces entretiens afin de ne pas perturber leur prise en charge. Étaient ainsi exclus les patients agités, atteints de démence ou tenant des propos incohérents. Aucun critère d’exclusion n’était en revanche retenu sur le type de pathologie ou sur le mode d’entrée à l’hôpital (hospitalisation libre (HL), hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) ou hospitalisation d’office (HO)). Pour des raisons de confidentialité, aucune information portant sur le diagnostic n’a été recueillie. La modalité pratique de recueil faisait appel à des entretiens individuels « un jour donné » dans chacun des trois sites volontaires. L’information sur les objectifs et les modalités de déroulement des 172 C. POURIN, V. DAUCOURT, P. BARBERGER-GATEAU entretiens était effectuée auprès des patients par les équipes soignantes et une lettre d’information leur était remise au préalable. Afin de garantir la confidentialité des données recueillies, les entretiens ont été réalisés par une personne indépendante des services de soins, médecin en Santé Publique et spécialiste dans le domaine de l’évaluation médicale. Les patients étaient introduits par un soignant familier mais l’entretien, qui était enregistré sur un support audiovisuel, se déroulait seul avec le patient dans un environnement calme et agréable. Recueil de l’information : la technique des incidents critiques Les entretiens étaient réalisés selon la technique des incidents critiques de Flanagan à partir d’un questionnaire semi-structuré (tableau I). Le patient était encouragé à communiquer librement avec l’enquêteur et à lui transmettre l’ensemble des incidents qu’il considérait comme importants et qui lui avaient laissé un sentiment bon ou mauvais sur son hospitalisation. Le patient devait être capable de décrire cet incident et de fournir un jugement de valeur pour qu’il soit ensuite analysé comme un événement. Aucune information médicale n’a été recueillie. L’anonymat des patients a été respecté ainsi que la confidentialité du déroulement et des informations recueillies lors des entretiens. Le traitement de l’information Le traitement des informations recueillies s’est déroulé selon le plan suivant : 1 - transcription des entretiens enregistrés sous un format informatique. Ces enregistrements n’ont pas été communiqués aux établissements ; 2 - analyse du contenu des entretiens par la personne ayant réalisé les entretiens. Cette étape consistait à extraire l’élément « événement » et à le classer en trois catégories en fonction du jugement de valeur porté par le patient. Ainsi, étaient identifiés des évènements positifs, négatifs ou neutres (ces derniers étant alors définis comme une opinion générale et sans intérêt) ; 3 - classification des événements. Les événements critiques identifiés ont ensuite été classés par Tableau I : Questionnaire semi-structuré des entretiens 1. Est-ce que quelque chose vous a particulièrement frappé, en général, pendant votre séjour actuel à l’hôpital ? 2. Pouvez-vous me donner un exemple de quelque chose qui se serait produit et que vous auriez apprécié ? Pouvez-vous m’en parler ? 2.1. Dans ce qui s’est passé, qu’est-ce que vous avez alors particulièrement apprécié ? Pouvez-vous me donner un exemple précis ? 2.2. Y a t-il encore autre chose que vous avez trouvée bien ? (répéter jusqu’à ce qu’une réponse soit donnée). Pouvez-vous également m’en parler ? (dans la situation où le patient n’exprime aucun évènement, reposer ces mêmes questions en précisant les différentes phases du séjour, le déroulement chronologique de la journée ou les relations avec les autres patients). 3. Maintenant, est-ce que vous avez été frappé par quelque chose qui vous a déplu ? 3.1. Qu’est-ce qui vous a déplu alors ? Pouvez-vous m’en parler ? 3.2. Dans ce qui s’est passé, qu’est-ce que vous avez trouvé qui n’était pas bien ? Pouvezvous me donner un exemple précis ? Qu’est-ce que vous auriez alors attendu ? 3.3. Y a-t-il autre chose qui vous aurait également déplu ? (répéter jusqu’à ce qu’une réponse soit donnée ; même remarque que précédemment). UTILISATION DE LA MÉTHODE DES INCIDENTS CRITIQUES DANS LA CONSTRUCTION D’UN OUTIL DE MESURE DE LA SATISFACTION EN PSYCHIATRIE thèmes. La procédure de catégorisation hiérarchique propre à la méthode de Flanagan a été utilisée [6]. Le cadre de référence retenu pour effectuer ce premier tri des événements critiques a été celui déjà établi et défini par Grant et al [7] lors de leur étude réalisée en services de long séjour. Pendant cette classification, un besoin de redéfinition et de création de nouvelles catégories a été nécessaire, comme Flanagan le propose dans cette procédure continue, pour que l’ensemble des événements soient ainsi classés en fonction des spécificités rencontrées, processus, personnes ou matériels évoqués et différents de ceux donnés dans la classification de Grant. Résultats Caractéristique des répondants Les entretiens ont eu une durée moyenne de 20 minutes. Quarante entretiens ont été réalisés mais 32 seulement ont pu être analysés. En effet, une patiente a refusé l’enregistrement et était très méfiante vis-à-vis des prises de notes ; deux enregistrements n’ont pu être retenus en raison de la mauvaise qualité technique de l’enregistrement (voix trop faible) et cinq entretiens n’ont pu être analysés en raison de leur contenu trop incohérent. Le descriptif général de l’échantillon est donné dans le tableau II. Classement des événements : 12 thèmes identifiés Après analyse des 32 entretiens, 215 événements ont été extraits. Pour 70 événements, un double classement a été effectué (deux classifications possibles au sein de l’événement) portant ainsi le nombre d’événements à 285 avec un nombre moyen par 173 Tableau II : Descriptif général de l’échantillon d’étude Nombre de patients rencontrés 40 Cadillac (4 secteurs) 12 Bayonne (6 secteurs) 16 Vauclaire (4 secteurs) 12 Proportion d’hommes ( %) Âge moyen 55 45 (24-74) Type d’hospitalisation : Hospitalisation libre 29 (72 %) Hospitalisation demande d’un tiers 8 (20 %) Hospitalisation d’office 3 (8 %) patient de 8,9 (étendue comprise de 1 à 21). La proportion d’événements jugés favorables par le patient sur le déroulement de son hospitalisation (événements classés positifs) était de 38 % et celle des événements négatifs de 55 %. Sept % d’événements ont été classés comme neutres. La classification des événements individualise 12 thèmes dont la répartition est donnée dans le tableau III. Les trois thèmes ajoutés à la classification de Grant, utilisée initialement comme cadre de référence, sont les suivants : « relations entre patients », « regard du patient sur son problème, son hospitalisation et sa maladie », « surveillance quotidienne et interdits, prise de substances toxiques et enfermement » . Soixante-trois événements étaient rattachés à ces thèmes. Les huit thèmes les plus fréquemment utilisés représentaient 94 % des événements rapportés. On y retrouve deux des thèmes ajoutés (« relations entre patients » et « le regard du patient »). Le thème le plus fréquemment cité a été la « vie institutionnelle » permettant de classer 17 % des événements cités dont 57 % d’événements néga- 174 C. POURIN, V. DAUCOURT, P. BARBERGER-GATEAU Tableau III : Thèmes de classement des événements et nombre d’événements associés à chacun de ces thèmes, élaboration d’un questionnaire d’enquête de satisfaction des patients hospitalisés en psychiatrie, 1999 Thèmes abordés Nb d’evts (1) Nb d’evts (1) Nb d’evts (1) Nb d’evts (1) total positifs négatifs neutres La vie institutionnelle Gestion des ressources matérielles Relations entre patients (2) Communication (thérapeutique et sociale) Organisation des soins Nature des rapports patients-soignants Le regard du patient (2) Disponibilité Surveillance (2) Interactions avec l’extérieur (famille/amis) Relations entre le personnel Soutien dans les activités pour les patients déficitaires Total 49 45 40 38 38 30 18 10 5 4 3 16 12 10 26 11 13 10 4 1 1 2 28 31 29 12 20 16 7 6 3 2 1 5 2 1 0 7 1 1 0 1 1 0 3 2 2 1 285 108 157 20 (1) evts : événements. (2) Thèmes ajoutés à la classification de Grant. tifs. Ce thème fait référence majoritairement aux activités thérapeutiques et d’animations conduites dans l’établissement (information, variété, organisation, réalisation) mais aussi au déroulement des journées et à l’organisation de l’emploi du temps, au règlement de l’établissement et au maintien de l’insertion du patient dans la vie extérieure. Le deuxième thème utilisé a été « la gestion des ressources matérielles », pour 16 % des entretiens dont 69 % d’événements négatifs. Ce thème comprend le jugement des patients sur les prestations mises à leur disposition (restauration, hôtellerie et services). Les principales difficultés rencontrées par les patients portent sur l’équipement de la chambre. Les problèmes soulevés sur l’accès aux choix des programmes télévisés sont aussi souvent rapportés que ceux liés aux fumoirs (aussi bien pour les fumeurs que pour les non fumeurs). En ce qui concerne la restauration, les problèmes rapportés portent plus sur le déroulement et les conditions d’environnement des repas que sur la qualité ou le choix des menus. Le troisième thème utilisé dans 14 % des entretiens portait sur « les relations entre patients » (25 % d’événements positifs et 72 % d’événements négatifs). Ce thème ajouté à la classification de Grant fait référence au regard du patient porté sur les autres, à la violence entre patients, au soutien et à la coopération entre patients et à l’hétérogénéité des pathologies prises en charge. Le quatrième thème, évoqué par 13 % des patients, portait sur la « communication entre patients et soignants ». La communication est ici abordée dans les mêmes proportions sous deux aspects : la fonction sociale de relation humaine, et la fonction thérapeutique de soins avec une majorité d’événements positifs : UTILISATION DE LA MÉTHODE DES INCIDENTS CRITIQUES DANS LA CONSTRUCTION D’UN OUTIL DE MESURE DE LA SATISFACTION EN PSYCHIATRIE « ... Ce que j’ai apprécié c’est au moment où je suis très mal, mal, de plus en plus dans le blocage une infirmière a trouvé le moyen, une attitude pour communiquer..., alors que je ne voulais pas parler elle est rentrée en communication avec moi, tout doucement... et pourtant je disais toujours ça va, ça va. Ce contact c’était une main sur l’épaule, des paroles... ». Le cinquième thème « organisation des soins » a été utilisé pour classer 13 % des événements dont 53 % négatifs avec une proportion d’événements neutres de 18 % et comprend la prise en charge thérapeutique, la consultation, la sortie et le suivi à l’extérieur. Le sixième thème utilisé pour 11 % des entretiens, dont 55 % d’événements négatifs portait sur « la nature des rapports » résultant de l’interaction entre patients et soignants vivant ensemble et comprend la bienveillance, l’attention, le partage, les réponses aux attentes et la reconnaissance de la personne : « J’ai eu une angine, j’avais mal à la gorge, elle (l’interne du service) a fait comme si elle ne m’avait pas entendu. C’est une infirmière qui m’a dit prenez votre température... ». Le septième thème, abordé dans 6 % des entretiens portait sur « le regard du patient » sur son problème, son hospitalisation et l’évolution de sa maladie. Il s’agit d’un thème ajouté à la classification de Grant. Le huitième thème, « Disponibilité » et dénommé « nature des ressources » par Grant a été utilisé dans 10 entretiens avec une proportion d’événements négatifs de 60 %. Ce thème porte sur l’accompagnement des patients (en cas de nécessité) dans l’institution et la disponibilité des soignants : 175 « La semaine dernière je devais sortir vendredi ou samedi, il n’y avait que samedi de libre et la sortie de 2 heures a été réduite à 1 h 30. Elle (l’infirmière) n’avait pas le temps, mais ça a été fait quand même... J’aime bien les sorties, je vais voir mon père qui a 82 ans, voir s’il ne perd pas trop la tête... ». Discussion Les patients interviewés dans cette étude ont été compétents et coopérants pour fournir un jugement de valeur sur l’expérience vécue ou observée pendant le déroulement de leur hospitalisation. En effet, seulement 7 % d’événements neutres ont été identifiés. Les conditions techniques de réalisation des entretiens dont principalement le recours à un enquêteur externe et le respect de la confidentialité, ont permis d’obtenir des interviews plus objectives que n’aurait pu l’être une interview réalisée par une personne de l’établissement. La composition de notre échantillon d’étude respecte les différents types d’hospitalisation en psychiatrie (hospitalisation libre, d’office et sur demande d’un tiers). Sa taille (n = 32) et le nombre d’événements extraits des entretiens (n = 215) sont similaires aux résultats publiés et concernant le secteur psychiatrique [3] mais se limitant dans l’analyse aux soins infirmiers. La classification utilisée et reprise des travaux conduits chez des résidents âgés [1] permet d’obtenir une approche globale de la vie en institution. Les thèmes ajoutés pour les spécificités de notre population (relations entre patients, le regard du patient sur son problème, son hospitalisation et sa maladie, surveillance quotidienne et interdits, prise de substances toxiques et enfermement), n’évoquent pas toujours directement la satisfaction ou 176 C. POURIN, V. DAUCOURT, P. BARBERGER-GATEAU l’insatisfaction envers le service hospitalier, mais plutôt un état général de bien-être ou plutôt de mal-être propre aux problèmes des patients. Certaines thématiques que nous avions identifiées dans notre questionnaire de satisfaction validé en court séjour [23] mais dont la phase d’élaboration ne comportait pas cette approche qualitative auprès des patients, n’ont pas été rapportées par ces patients. Il s’agit des notions d’accueil administratif, de signalétique et d’identification des différents intervenants auprès du patient. D’autres problématiques, au contraire, ont été rapportées ou précisées par les patients comme les notions d’information, d’organisation, de communication et de relation avec les équipes soignantes et médicales. Cette démarche qualitative permet de réorienter et de compléter le questionnaire déjà validé pour l’hospitalisation de court séjour. Une limite à notre étude porte sur l’absence d’information sur le profil diagnostic des patients et notamment sur le manque d’une échelle de dépression alors que certains auteurs [1] ont montré que l’humeur influence le niveau de satisfaction. L’importance de l’impact de l’état psychologique sur les réponses des patients recommande la nécessité d’inclure des patients stables dans ce type d’étude, comme nous l’avons fait. Conclusion L’utilisation de la méthode originale que constitue la méthode des incidents critiques montre que cette technique a permis de mettre en évidence de nouveaux thèmes, non pris en compte dans la classification de Grant ou dans des questionnaires « standards ». Une telle démarche n’avait pas été utilisée pour élaborer notre questionnaire de satisfaction en court-séjour car de nombreux travaux avaient été publiés sur ce sujet nous ayant permis ainsi de construire une bibliothèque de questions et un cadre conceptuel. Les événements extraits de ces incidents critiques constituent une base de réflexion pour la rédaction d’orientations de questions, centrées sur les préoccupations des patients, dont la validation sera à contrôler lors de la réalisation d’enquêtes de satisfaction des patients hospitalisés en secteurs de psychiatrie, études qui seront prochainement réalisées par le groupe de travail régional d’Aquitaine. REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier les membres du groupe de travail et plus particulièrement les professionnels des établissements ayant assuré l’organisation des entretiens : B. Daney, cadre infirmier, CHS de Cadillac ; N. Jourdain-Dupain, praticien hospitalier, CHS de Cadillac ; S. Menzenc, chargée de communication, CH Côte Basque ; P. Rolland, cadre infirmier, CH de Vauclaire. BIBLIOGRAPHIE 1. Atkinson M.J., Caldewell L. The differential effects of mood on patients’ rating of life quality and satisfaction with their care. J Affec Disord 1997 ; 44 : 169-175. 2. 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