LE RÉEXAMEN D`UNE DÉCISION PÉNALE FRANÇAISE APRÈS

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LE RÉEXAMEN D`UNE DÉCISION PÉNALE FRANÇAISE APRÈS
LE RÉEXAMEN
D’UNE DÉCISION PÉNALE FRANÇAISE
APRÈS UN ARRÊT DE LA COUR EUROPÉENNE
DES DROITS DE L’HOMME :
LA LOI FRANÇAISE DU 15 JUIN 2000
La loi française du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et le droit des victimes ( 1) a instauré un mécanisme de réexamen d’une décision pénale définitive, après un arrêt
rendu par la Cour européenne des droits de l’homme constatant une
violation des dispositions de la Convention européenne des droits de
l’homme, « dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la ‘ satisfaction équitable ’ allouée sur le fondement de l’article 41
de la Convention ne pourrait mettre un terme » (art. 89 de la loi). La
France rejoint ainsi un certain nombre de pays européens qui
connaissaient déjà expressément, dans leur législation nationale, des
mécanismes de révision des décisions nationales suite à un arrêt de
violation de la Cour européenne (exemple : Norvège, Luxembourg,
Suisse). Ces procédures de réexamen d’une affaire s’avèrent être,
selon l’expression du doyen Cohen-Jonathan, « le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum » et qui correspond, en droit international général, à la réparation appropriée,
« c’est-à-dire que l’Etat doit prendre à l’égard de la victime toutes les
mesures individuelles qui s’imposent pour tenter d’effacer au maximum
la violation constatée » ( 2). Ce nouveau mécanisme de révision du
procès en droit national ne résulte pas du projet de loi qui avait été
déposé par le Gouvernement, mais d’un amendement parlementaire
déposé par Jack Lang lors de l’examen du projet de loi en seconde
lecture. Il répond aux attentes qui se manifestaient depuis quelques
années, mais il suscite des interrogations quand à son application.
(1) Loi n o 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d’innocence et le droit des victimes, J.O. 16 juin 2000. Pour un commentaire plus
général de la loi : « Présomption d’innocence : le Parlement fait la loi », J.-D. Nuttens ; « La loi du 15 juin 2000 », C. Charbonneau et F.-J. Pansier, Gaz. Pal. 21 juin
2000.
(2) G. Cohen-Jonathan, « Quelques considérations sur la réparation accordée aux
victimes d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme », in Les
droits de l’homme au seuil du troisième millénaire. Mélanges en hommage à Pierre Lambert, éd. Bruylant, 2000, pp. 115 et 138.
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I. — Le contexte politique et juridique
de la réforme
Le droit français ne connaissait pas, jusqu’à l’adoption de la loi
du 15 juin 2000, de mécanisme de révision d’une décision juridictionnelle nationale suite à un arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme. En application de l’article 41 de la Convention (ancien
article 50) ( 3), la Cour européenne peut, en cas de violation de la
Convention, accorder au requérant une satisfaction équitable « si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation », ce qui était donc
généralement le cas en France, en matière pénale. En application de
l’article 46 de la Convention, la France, comme les autres Etats
contractants, s’est engagée à se conformer aux arrêts définitifs de la
Cour dans les litiges auxquels elle est partie ( 4). A ce titre, elle est
tenue d’exécuter les condamnations éventuellement prononcées par
la Cour, et elle a respecté cet engagement. Les arrêts de la Cour
européenne sont déclaratoires, et il convient donc à l’Etat
condamné de prendre les mesures nécessaires pour en assurer l’exécution.
Toutefois, les pouvoirs de la Cour étant limités au constat d’une
violation de la Convention par un Etat, et ne s’étendant pas à l’infirmation ou à la réformation d’une décision émanant d’une juridiction nationale ( 5), la victime de la violation de la Convention européenne pouvait en France, comme dans d’autres Etats, se trouver,
notamment en matière pénale, face à une situation où les conséquences de la violation de la Convention demeuraient lettre morte
malgré l’arrêt de la juridiction européenne. La Cour s’interdit en
effet d’ordonner des mesures particulières telles qu’une injonction
de libérer un détenu ou une demande de révision du procès
pénal ( 6). Ce constat peut être établi, quand bien même il est possible de considérer, au regard de l’article 46 (ancien article 53) de la
(3) J.L. Sharpe, « L’article 50 », in La Convention européenne des droits de
l’homme — Commentaire article par article, dir. L.E. Pettiti, E. Decaux, P.H. Imbert, éd. Economica, p. 809.
(4) Voy. E. Lambert, Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme, éd. Bruylant, 1999.
(5) J. Callewaert, « L’article 53 », in La Convention européenne des droits de
l’homme — Commentaire article par article, dir. L.E. Pettiti, E. Decaux, P.H. Imbert, op. cit., p. 847.
(6) Voy. à titre d’exemple l’affaire Bozano c. France, CEDH, 18 décembre 1986 ;
G. Cohen-Jonathan, « La France et la CEDH, L’arrêt Bozano », R.T.D.E., 1987,
pp. 255 et s.
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Convention et de la jurisprudence de la Cour, que les obligations
résultant d’un arrêt de la Cour ne résident pas dans le seul paiement
de la satisfaction équitable ( 7).
La constatation d’une violation de la Convention, et notamment
des dispositions relatives à l’article 6, § 1 er ou à l’article 5, § 1 er ne
constituent pas expressément en droit français, en matière pénale,
un cas permettant au procureur général près la Cour de cassation
de former un pourvoi en cassation « dans l’intérêt de la loi » contre
une décision passée en force de chose jugée (art. 620 et 621 du Code
de procédure pénale). Cette procédure est en effet destinée à faire
trancher par la Cour de cassation un point de droit qui ne lui avait
pas été préalablement soumis, et elle ne vise pas à protéger le droit
des parties et donc de la victime de la violation de la Convention,
seul le procureur général ayant d’ailleurs la faculté de saisir la Cour
de cassation. En outre, dès lors que les éléments objets du litige ont
fait l’objet d’un précédent arrêt de la Cour de cassation, ce qui est
généralement le cas pour le respect de l’application de la règle de
l’épuisement des voies de recours posée par l’article 35 de la
Convention européenne, il n’était pas possible de former un pourvoi
en cassation dans l’intérêt de la loi postérieurement à un arrêt de
la Cour européenne des droits de l’homme.
En matière pénale et en matière civile, le droit français connaît
également des cas permettant de solliciter la révision d’une décision
de justice passée en force de chose jugée (ces cas sont limitativement énumérés par les articles 622 du Code de procédure pénale et
595 du Nouveau Code de procédure civile). Ces dispositions ne
visent pas l’hypothèse d’une décision nationale non conforme à la
Convention européenne. Ainsi, en matière civile, le recours en révision est possible si, depuis le jugement, il a été retrouvé des pièces
décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie, s’il
se révèle après le jugement que la décision était surprise par la
fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue... En
matière pénale, le recours en révision est ouvert après une condamnation pour crime ou délit, si un nouvel arrêt ou jugement a
condamné pour le même fait un autre accusé et que les deux
condamnations ne peuvent se concilier, ou si un des témoins qui
avait été entendu a été poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l’accusé ou le prévenu, ou si après une condamnation
(7) Voy. en ce sens l’excellente analyse de M me E. Lambert, « La pratique récente
de réparation des violations de la CEDH : plaidoyer pour la préservation d’un acquis
remarquable », Rev. trim. dr. h., 2000, p. 199.
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vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément
inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître
un doute sur la culpabilité du condamné.
Ces cas de recours en révision ont toutefois toujours été interprétés de manière très restrictive. La commission de révision prévue
à l’article 622 du Code de procédure pénale, depuis sa création en
1989, n’a d’ailleurs saisi la chambre criminelle statuant en qualité
de Cour de révision, entre 1989 et le 31 décembre 1996, que 28 fois
sur 867 requêtes. Dans le même laps de temps, la Cour de révision
qui statuait sur 19 dossiers, a rendu 15 arrêts faisant droit à la
requête en révision et prononçant l’annulation de la décision de
condamnation. Ces cas sont donc exceptionnels et soulignent l’interprétation très stricte des cas de révision par la Commission de révision ( 8). Récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation,
statuant comme Cour de révision, a ordonné, le 28 juin 2000, un
supplément d’instruction dans une affaire Patrick Dils. Ce jeune
homme de 30 ans avait été condamné en 1989 par la cour d’assises
des mineurs à la réclusion criminelle à perpétuité pour un meurtre
qu’il a toujours contesté. La Cour de cassation a désigné l’un de ses
membres pour compléter des investigations, avant même d’examiner la réouverture éventuelle du dossier.
Tenant compte des difficultés particulières rencontrées dans plusieurs Etats, après des arrêts de condamnation pour non-respect des
règles du procès équitable, sans possibilité de recours en révision des
décisions des juridictions nationales ayant prononcé des peines privatives de liberté se poursuivant au-delà de l’arrêt de la Cour européenne, le Comité d’experts pour l’amélioration des procédures de
protection des droits de l’homme avait publié un rapport, en 1992,
pour favoriser l’instauration d’une procédure de révision ( 9). Ce rapport avait souligné que le paiement d’une indemnité ne pouvait,
dans certains cas, que constituer une réparation partielle. Le rapport soulignait « en cas d’une violation de la Convention, on peut voir
dans la possibilité d’engager une procédure de révision le moyen le plus
approprié pour favoriser la mise en œuvre de l’obligation de respecter
la Convention européenne des droits de l’homme... Il n’y a aucun obstacle insurmontable au niveau national à l’introduction de la possibilité
de révision ». Plusieurs voix s’étaient également élevées en France
(8) Voy. H. Angevin, « Demandes en révision », éd. Juris-classeur, Procédure
pénale, art. 622 à 626, n o 14.
(9) Rapport du Comité d’experts sur la Convention européenne des droits de
l’homme : Instauration d’une procédure de révision au niveau national pour faciliter
la conformité avec les décisions de Strasbourg.
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pour introduire dans le droit national une procédure de révision ( 10),
et des affaires françaises avaient été invoquées au Parlement européen, pour mettre en évidence les imperfections du système européen.
La Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du
23 avril 1996 ( 11), avait sanctionné la France pour violation de l’article 6, § 1 er de la Convention dans une affaire criminelle où le requérant (M. Remli) avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité alors que, selon un témoin, un des jurés d’assises avait tenu
des propos racistes juste avant l’audience. M. Remli, malgré l’arrêt
de condamnation, a continué de purger sa peine de réclusion en
l’absence de possibilité de recours en révision. Son affaire a été invoquée lors des débats parlementaires à l’Assemblée nationale ( 12).
C’est notamment l’affaire Hakkar qui a été citée lors des travaux
parlementaires et rappelée par la presse, pour souligner les contradictions rencontrées entre la décision européenne et la décision
nationale ( 13).
Monsieur Hakkar avait été condamné à une peine de réclusion
criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 18 ans
pour meurtre, tentative de meurtre, vols avec port d’arme et vol
avec violence, en vertu d’une décision de la cour d’assises de
l’Yonne en date du 8 décembre 1989. Lors du procès, M. Hakkar
n’avait pu être assisté par l’avocat de son choix retenu devant une
autre juridiction. Il décida alors de ne pas assister à son procès. La
Commission européenne des droits de l’homme, dans un rapport en
date du 27 juin 1995, avait considéré : « que le refus de la cour d’assises de renvoyer le procès peut être considéré comme ayant porté
atteinte à l’activité essentielle de la défense qui était nécessaire à la
préparation du procès ». La Commission avait considéré que la
défense n’avait pas été assurée d’une manière suffisante et effective,
et elle avait retenu la violation, à l’unanimité, de l’article 6, § 1 er et
6, § 3. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, par une décision en date du 15 décembre 1995, avait accordé à M. Hakkar la
(10) Notamment proposition de loi présentée par la Fédération nationale des
Unions des jeunes avocats, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la
magistrature, l’Union des jeunes avocats de Paris, avec le soutien de la Ligue des
droits de l’homme, le MEDEL et l’Observatoire international des prisons.
(11) Cour eur. dr. h. Remli c. France, 23 avril 1996.
(12) Débats du 10 février 2000, Assemblée nationale.
(13) « L’affaire Hakkar illustre la résistance française à la justice européenne », Le
Monde, 16 février 2000.
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somme de 62.000 francs (français) à titre de dommages et intérêts,
et avait recommandé la réouverture du dossier ( 14).
Concomitamment aux travaux parlementaires, M. Hakkar a saisi
le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris d’une
demande formée contre l’Etat français, aux fins de voir ordonner sa
libération immédiate constatant qu’il n’avait pas bénéficié d’un
procès équitable, ainsi que l’avait jugé la Commission européenne
des droits de l’homme et le Comité des ministres. En défense, le préfet a soulevé que les décisions de la Commission européenne et du
Comité des ministres ne faisaient nullement disparaître la décision
de justice nationale devenue définitive, et que la Convention n’imposait pas aux autorités nationales de rouvrir les procédures de
droit interne même sanctionnées par une décision de la Cour. Le
juge des référés a considéré « que la France sanctionnée par l’organe
compétent du Traité (la Convention européenne des droits de l’homme)
à raison de la violation des dispositions de la Convention, se devait de
prendre d’office les initiatives de nature à lui permettre de justifier
qu’elle entendait satisfaire à l’exigence d’une procédure équitable au
sens des dispositions précitées dans l’intérêt de M. Hakkar (...)
M. Hakkar se voit privé de l’exercice d’un droit fondamental de
l’homme, en l’occurrence de son droit à un procès équitable, ce qui
caractérise suffisamment la voie de fait qu’il invoque et qui justifie la
saisine de notre juridiction garante du respect des libertés individuelles » ( 15). Le juge des référés a donc rejeté pour ces motifs le
déclinatoire de compétence et a renvoyé l’affaire pour un examen au
fond. Cette décision du 21 avril 2000 a toutefois fait l’objet d’un
arrêté de conflit du préfet, et cette affaire devra donc être examinée
par le tribunal des conflits qui déterminera la juridiction compétente, avant son examen au fond.
Lors de l’examen de l’amendement présenté par Jack Lang, le
Garde des sceaux a fait valoir qu’il souhaitait que la France « traduise en droit interne les conséquences des décisions de la Cour de
Strasbourg. Mes services étudient actuellement, en particulier à la
lumière des expériences étrangères, la meilleure façon de le faire,... Je
(14) Comm. eur. dr. h., A. Hakkar c. France, req. n o 19033/91, rapport du 27 juin
1995, décision du Comité des ministres, D.H. 597 475, du 19 septembre 1997. Voy.
également les observations de G. Cohen-Jonathan, « Quelques considérations sur la
réparation accordée aux victimes d’une violation de la Convention européenne des
droits de l’homme », in Les droits de l’homme au seuil du troisième millénaire —
Mélanges en hommage à Pierre Lambert, éd. Bruylant, 1999, p. 115.
(15) TGI Paris, référé, 21 avril 2000, présidence de M. J.-J. Gomez, Gaz. Pal.
9 juillet 2000, p. 38.
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suis donc très favorable à votre amendement dans son principe, et je
vous propose, n’étant pas mesure, à ce stade, de valider sa rédaction,
de profiter des navettes pour aboutir à un texte adéquat » ( 16) Les travaux parlementaires ont permis d’aboutir à un mécanisme de réexamen spécifique, mais non automatique.
II. — Le mécanisme français de réexamen
de la décision pénale, consécutif au prononcé
d’un arrêt de la Cour européenne
des droits de l’homme
Le législateur a opté pour l’instauration d’un mécanisme de
réexamen d’une décision pénale, distinct des procédures existantes
en matière de révision d’un procès pénal. Il est d’ailleurs inséré dans
le Code de procédure pénale un nouveau titre III « Du réexamen
d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour
européenne des droits de l’homme ». L’amendement initial déposé par
Jack Lang consistait à instaurer, dans le dispositif prévu à l’article 622 du Code de procédure pénale, un nouveau cas de révision
d’une décision définitive, « après un arrêt de la Cour européenne des
droits de l’homme constatant une violation de la Convention..., lorsque
la condamnation continue de produire ses effets et qu’une réparation
équitable du préjudice causé par cette violation ne peut être obtenue que
par la voie de la révision » ( 17). Le Garde des sceaux a proposé devant
le Sénat, après avoir consulté la Cour de cassation, d’instaurer une
procédure spécifique de réexamen, ce qui a été accepté par le Parlement. Le mécanisme est toutefois similaire à la procédure de révision, mais peut être plus rapide.
A. — Les auteurs du recours en réexamen
et les cas d’ouverture
Le réexamen ne peut être demandé qu’au bénéfice d’une personne
reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu
par la Cour européenne que la condamnation « a été prononcée en violation des dispositions de la Convention... ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée
entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles
la ‘ satisfaction équitable ’ allouée sur le fondement de l’article 41 de la
(16) Débats Assemblée nationale, 10 février 2000.
(17) Article 21terdecies nouveau adopté le 10 février 2000 à l’Assemblée nationale.
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Convention ne pourrait mettre un terme » (art. 626-1). Le réexamen
est donc limité à la matière pénale, et n’est ouvert qu’à la personne
condamnée. La victime de l’infraction pénale ne bénéficie donc pas
de la possibilité d’obtenir ce nouvel examen. On peut toutefois
considérer que cela n’est pas constitutif d’un déséquilibre manifeste,
dans la mesure où la Cour européenne, en application de l’article 41,
peut allouer une satisfaction équitable qui constituera, dans une
certaine mesure, la réparation adéquate que peut revendiquer la
partie civile n’ayant pu bénéficier d’un procès équitable en matière
pénale. Le réexamen de la décision pénale définitive, après l’arrêt de
la Cour européenne, peut être demandé par le ministre de la Justice,
le procureur général près la Cour de Cassation, le condamné ou, en
cas d’incapacité, son représentant légal, les ayants droit du
condamné, en cas de décès de ce dernier (art. 626-2 C. pr. pen.).
Le réexamen ne sera pas automatique, dès lors qu’il est exigé par
l’article 626-1 que la violation constatée entraîne des « conséquences
dommageables auxquelles la satisfaction équitable ne pourrait mettre un
terme ». Il est donc laissé une marge d’appréciation à l’autorité chargée d’examiner les cas de réexamen.
B. — La procédure de réexamen
La demande de réexamen est adressée à une commission spéciale
composée de sept magistrats de la Cour de cassation désignés par
l’assemblée générale de la Cour. La composition de la commission de
réexamen est similaire à celle de la commission de révision prévue
à l’article 623 du Code de procédure pénale, bien que cette dernière
ne soit toutefois composée que de cinq magistrats.
La demande en réexamen doit être formée dans un délai d’un an
à compter de la décision de la Cour européenne des droits de
l’homme. Il a toutefois été prévu des dispositions transitoires permettant le réexamen de décisions pénales, après un arrêt de la Cour
européenne rendu avant la publication de la loi du 15 juin 2000 et,
également, après des décisions du Comité des ministres du Conseil
de l’Europe rendues après une décision de la Commission européenne des droits de l’homme en application de l’ancien article 32
de la Convention. Pour l’application de ces dispositions transitoires,
les requêtes doivent être formées dans un délai d’un an à compter
de la publication de la loi (art. 89 — II de la loi du 15 juin 2000).
La commission de réexamen statue à l’issue d’une audience publique au cours de laquelle, le requérant ou son avocat peut présenter
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des observations orales ou écrites, de même que le ministère public.
La décision de la commission n’est pas susceptible de recours. Lorsque la commission estime la demande de réexamen justifiée, elle dispose de deux possibilités :
— soit elle estime que : « le réexamen du pourvoi du condamné, dans
des conditions conformes aux dispositions de la Convention, est de
nature à remédier à la violation constatée par la Cour européenne
des droits de l’homme, la commission renvoie l’affaire devant la
Cour de cassation qui statue en assemblée plénière » ;
— soit, « dans les autres cas, la commission renvoie l’affaire devant
une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a
rendu la décision litigieuse... » (art. 624-4 du Code de procédure
pénale).
En cas d’impossibilité de procéder à de nouveaux débats du fait
de la situation du condamné, la juridiction annule seulement les
condamnations qui lui paraissent non justifiées et déchargera, s’il y
a lieu, la mémoire des morts (art. 625 du Code de procédure pénale).
La procédure est relativement plus courte que celle existante en
matière de révision, dès lors que la commission de réexamen instaurée par la loi du 15 juin saisit directement, lorsqu’elle l’estime justifié, la Cour de cassation qui statue en assemblée plénière, ou renvoie
l’affaire devant la juridiction ayant rendu la décision litigieuse. En
matière de révision du procès dans les cas prévus à l’article 622 du
Code de procédure pénale, la commission de révision renvoie préalablement l’affaire à la chambre criminelle de la Cour de cassation qui
statue en qualité de cour de révision, et si elle l’estime fondée,
annule la condamnation prononcée et renvoie éventuellement l’accusé devant une juridiction de même ordre et de même degré dont
émane la décision annulée.
La commission de réexamen dispose du même pouvoir qui était
accordé par l’article 624 du Code de procédure pénale à la commission de révision, dès lors qu’elle peut prononcer, à tout moment de
la procédure de réexamen, la suspension de l’exécution de la
condamnation. La Cour de cassation dispose également de ce même
pouvoir (art. 626-5 du Code de procédure pénale). A l’issue de la
procédure de réexamen, lorsque le condamné est reconnu innocent,
la loi du 15 juin 2000 prévoit que le condamné peut se voir allouer
une indemnité à raison du préjudice que lui a causé la condamnation (art. 626-7 et 626 du Code de procédure pénale).
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Les dispositions relatives au réexamen des décisions pénales
consécutives à un arrêt de la Cour européenne sont immédiatement
applicables.
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Les nouvelles dispositions relatives au réexamen d’une décision
pénale constituent donc une nouvelle exception au principe de l’autorité de la chose jugée telle que prévue par l’article 6 du Code de
procédure pénale. Cette autorité de la chose jugée est traditionnellement justifiée par « la paix sociale, le respect dû aux décisions de justice, les nécessités de la répression... La décision pénale devenue définitive bénéficie de la présomption d’être l’expression de la vérité, ce qui
exprime l’adage Res judicata pro veritate habetur » ( 18). La protection des droits fondamentaux, et notamment le respect des règles
du procès équitable, justifie pleinement des exceptions à ce principe
de l’autorité de la chose jugée.
Les cas de saisine de la commission de réexamen seront certainement rares, dès lors qu’ils sont liés à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme ayant constaté une violation de la
Convention et pour laquelle la satisfaction équitable ne sera pas suffisante. Il peut également être espéré que progressivement le juge
national, en matière pénale, respecte de plus en plus les exigences
de la Convention. A défaut, le réexamen sera possible pour une violation dont la nature et la gravité entraînent des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable ne peut mettre un
terme. En conséquence, toute violation de la Convention ne pourra
semble-t-il justifier le réexamen de la décision pénale. La commission disposera à ce titre d’un pouvoir d’appréciation autonome. La
Cour européenne des droits de l’homme pourrait toutefois, dans sa
décision ou dans le dispositif de sa décision, souligner qu’au regard
de la violation qu’elle constate, le réexamen de la décision nationale
lui paraîtrait justifié. Il n’est pas certain qu’une telle mesure puisse
être ordonnée dans le dispositif de l’arrêt, mais la Cour pourrait le
suggérer dans le corps de la décision, avant de statuer sur l’article 41. Cette pratique est déjà utilisée notamment en matière
civile. On peut citer un arrêt récent de la Cour, du 30 mai 2000,
dans une affaire d’expropriation, où elle a considéré que « la meilleure forme de réparation dans cette affaire consiste dans la restitution
du terrain par l’Etat » et a jugé que la question de l’article 41 n’était
(18) Voy. H. Angevin, « Demandes en révision », éd. Juris-classeur, Procédure
pénale, art. 622 à 626, n o 1.
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pas en état d’être jugée ( 19). On peut également espérer que la commission de réexamen s’inspire largement des conclusions de la Cour
européenne des droits de l’homme quant aux violations constatées
dans l’affaire qui lui a été soumise, pour accueillir favorablement la
demande de révision. Il restera à construire une réforme permettant
un réexamen des décisions nationales, en matière civile, après un
arrêt de la Cour européenne.
Christophe PETTITI
✩
(19) Cour eur. dr. h., Belvedere Alberghiera s.r.l. c. Italie, 30 mai 2000, n o req.
00031524/96.