TCG III - Ecriture - Version finale

Transcription

TCG III - Ecriture - Version finale
Pour une citoyenneté manifestée et éclairée
à travers la démarche de conseil.
Ouvrage collectif
En référence aux « Troisièmes Journées
du Tenir Conseil en Gascogne ».
10 et 11 juin 2010 à Salies de Béarn (64).
Novembre 2010.
SOMMAIRE
L’avant propos des organisateurs
page 3
Les auteurs
page 5
Le thème des Journées de Salies
page 9
La force du conseil, c’est la présence de l’Autre
page 11
La démarche de conseil : la voie est contre le modèle
page 13
La démarche de conseil assume le doute avec confiance
page 14
L’acte signe le sens
page 15
N’ayons pas peur : tenir debout pour faire face
page 16
Conclusion
page 17
Conclusion alternative
page 18
Brève bibliographie
page 20
2
L’avant propos des organisateurs :
En 2008 à HAGETMAU (40), les CIBC du Sud Aquitaine 1 et le FONGECIF Aquitaine
organisaient les premières Journées du « Tenir Conseil en Gascogne 2».
Initialement destiné aux conseillers des deux Organisations partenaires, ce temps partagé
annuel3 s’est ouvert depuis aux différents professionnels qui œuvrent dans le champ du
conseil.
Ces journées constituent une véritable et assumée « respiration formative annuelle ». Une
parenthèse organisée, un emprunt réfléchi sur le temps de la production, qui opèrent un
tournant réflexif structurant. « Redécouvrir le métier4 » est une occasion finalement assez
rare. C’est donc une occasion précieuse.
L’utilité de « redécouvrir le métier » n’est pas sans considération, ni option et conviction
préalables.
Au commencement, étaient la pensée et les travaux d’Alexandre LHOTELLIER5 qui encadrent
un choix stratégique des institutions organisatrices. Le pressentiment, -l’intuition
managériale en quelque sorte-, fut de considérer la proposition de l’Universitaire comme
une possible et féconde alternative à la pression lancinante des dispositifs qui commande et
réglemente l’intervention professionnelle quotidienne. Loin de la poussée insurrectionnelle,
le choix de « la démarche du Tenir Conseil » institue la responsabilité des actes du conseiller
au regard du sens délibéré avec le (ou les) bénéficiaire (s).
« Comment être à la hauteur de l’Autre ? » est une préoccupation définitivement exigeante.
C’est aussi une préoccupation définitivement exigible d’un professionnel, dont il faut
admettre en contrepartie qu’elle légitime, autant qu’elle encourage de sa part, une veille
résolument critique sur le travail prescrit. La subversion, parce qu’elle s’exprime dans un
cadre professionnel maîtrisé et référencé aux valeurs portées par l’entreprise6, est admise ici
comme une source d’inspiration et de progrès pour tous.
1
Sous cette appellation, il faut comprendre les CIBC 64 et CIBC 40 qui font direction commune depuis 2005.
La Gascogne (en occitan : Gasconha) était au Haut Moyen Âge une principauté du sud-ouest de la France.
3
Les deuxièmes Journées ont eu lieu en 2009 à CLAOUEY, à l’entrée de la Presqu’île du Cap Ferret (33) – La troisième
édition s’est déroulée en juin 2010 à SALIES DE BEARN (64).
2
4
Cf. Yves CLOT – In « Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux ». Ed La Découverte. Coll. Cahiers libres.
05/2010.
5
Auteur de « Tenir Conseil – Délibérer pour agir ». Ed. Seli Arslan. Coll. Perspective soignante. 04/2001.
6
Les CIBC Sud Aquitaine et le FONGECIF Aquitaine sont des associations dirigées par les Partenaires Sociaux. Chacune
d’elles affirme tenir pour centrale la place de l’usager des services.
3
L’utilité de ces journées annuelles de formation résisterait à la démonstration si nous ne
pouvions en illustrer les effets. Ce que nous voulons, c’est la mise en actes du sens donné à
des pratiques professionnelles autorisées. Une ambition que nous savons inépuisable et par
définition inachevée ; Une ambition influencée tant par un contexte professionnel incertain
et provisoire que par la dimension intersubjective propre « au colloque singulier7 » de
l’entretien de conseil.
Cette précarité justifie, autant qu’elle limite, la présente tentative d’ordonner les traces de
notre débat professionnel engagé depuis maintenant 3 ans. Ce qui pourrait obérer l’exercice
convoque en réalité l’humilité et la mise en garde contre toute tentation de modélisation. La
construction de références partagées vaut, seulement et seulement si, le niveau de
participation autorise la possibilité, et donc le choix, de s’y reconnaître.
En d’autres termes, ce n’est pas d’une obédience dont les praticiens se réclament. Ce qui
leur a été proposé, et ce qu’ils ont accepté, c’est de s’associer à une démarche d’écriture
collective d’une vision du métier et du travail bien fait, « à un moment donné » de leur vie
professionnelle.
Finalement, c’est dans l’éphémère que ce travail d’écriture8 puise sa raison d’être. Et c’est
dans « l’intelligence du partage9 » qu’il convient de considérer la force et la permanence du
récit.
Depuis la Gascogne – Été 2010.
Thierry ANSALDO
François BANIZETTE
Directeur du FONGECIF Aquitaine
Directeur des CIBC Sud Aquitaine
7
Fondatrice de la relation médicale (« une confiance rencontre une conscience ») et, par extension, de la « relation d’aide »
en général, cette vision aujourd’hui dépassée conserve néanmoins son rôle d’idée régulatrice des pratiques
professionnelles.
8
Ndlr : issue des apports des formateurs/intervenants et des travaux menés en ateliers par les stagiaires lors des Journées
de Salies Béarn (06/2010), la mise en forme emprunte les voies rédactionnelles du manifeste, préférées à celles de la charte.
C’est donc « le mouvement » qui prime sur « le règlement ».
9
Nous comprenons ici la co-construction d’une vision partagée et d’une culture commune.
4
Ont participé à l’écriture :
• Les stagiaires :
Ansaldo
Thierry
Fongecif Aquitaine
Arambourou
Nicole
CIBC 66
Banizette
François
CIBC 64/40
Barbe
Denis
Mission Locale du Libournais (33)
Bertoli
Bruno
FPSPP (75)
Bonamour
Denis
Fongecif Limousin
Bordis
Cathy
CIBC 64/40
Brion
Judith
CIBC 33
Cabanes
Marie
CIBC 64
Candau-Sanz
Cécile
CIBC 64
Cazallé
Claire
CIBC 64
Charritton
Isabelle
Greta Bearn Soule (64)
Cochard
David
CIBC 33
Costes
Brigitte
Fongecif Aquitaine
Cullier
Marie
CIBC 33
Delamare
Hugues
Fongecif Aquitaine
Duxin
Sonia
CIBC 40
Enee
Alain
Pôle Emploi Mourenx (64)
Fontaine
Soraya
CIBC 66
5
Foricher
Agnes
CIBC 24
Foucher
Séverine
Fongecif Aquitaine
Fournier
Nathalie
CIBC Gard/Lozère
Gaujous
Florence
CIBC 40
Gillot
Stéphanie
CIBC 78
Goffre
Laetitia
CIBC 24
Gorce
Nathalie
Fongecif Midi-Pyrénées
Hammen
Vivianne
Etudiante à Tours (37)
Heidet
Agnès
André Chauvet Conseil (13)
Lavergne
Brigitte
CIBC 40
Loustalot
Bernadette
Aquitaine Cap Métiers
Marest
Emmanuelle
CIBC 64
Marie
Vanessa
CIBC 33
Marillot
Maïté
CIBC 64
Marine
Carole
CIBC 33
Marty
Simon
Fongecif Midi-Pyrénées
Maury
Gérald
CIBC 33
Moles
Leslie
CIBC 40
Monserant
Laurence
Fongecif Aquitaine
Narbeburu
Pantxika
CIBC 64
Nardi
Nathalie
PERF Tarnos (40)
Neto
Rul
CIBC 33
6
Pages
Lydie
CIBC 33
Petit
Jean-François
ANPAA 74
Peyré
Pascal
Fongecif Aquitaine
Poecker
André
AFPA Pau (64)
Prévost
Hervé
AFPA Ingénierie - Montreuil (93)
Prévost
Marie-Pierre
A titre personnel
Ribaud
Anne-Cécile
CIBC 40
Royer
Céline
PDITH 64
Rycheboër
Carine
Fongecif Limousin
Sarramaigna
Pierre
A titre personnel
Serraj
Béatrice
SRFPH Aquitaine
Simon
Christine
Simon Adéquation (40)
Soccalingame
Shila
CIBC 40
Terrade
Sylvie
Fongecif Aquitaine
Teyssedre
Calie
CIBC 40
Touin
Odile
Groupe IGS (75)
Vannereux
Olivier
CIBC 33
Vareilhas
Florence
Fongecif Aquitaine
Verbauwen
Patricia
CIBC 47
Vézian
Vanessa
CIBC Gard/Lozère
Vitrac
Françoise
AFPA Montreuil (93)
Nom Prénom
7
ni
• Les formateurs et les intervenants :
Caroline ALIBERT et Jean Michel FREDERIC : Respectivement Présidente et Vice-président de l’Association
ière
INTEN’CIF Franche Comté. Il s’agit de la 1 association du genre créée en France, dont l’objet est de regrouper
des salarié(e)s qui ont bénéficié d’un Congé Individuel de Formation (CIF). Leurs collaborations avec les OPACIF,
au premier rang desquels le FONGECIF France Comté, en font un partenaire apprécié et efficace dans la
diffusion des informations relatives à l’accès à l’orientation et à la formation tout au long de la vie.
Marie-Hélène DOUBLET10 : Docteure en psychologie du travail, elle est Chargée d’Études, de Recherche et
Développement au CIBC 64. Ses travaux de recherche sur les pratiques de conseil et la mesure de leurs effets
l’ont amené à développer des actions d’analyse de pratiques et de professionnalisation dans le champ de
l’orientation, de l’insertion, de l’accompagnement social et de la formation.
Luc PABOEUF : Président du CESR11 Aquitaine depuis novembre 2007, il anime également la commission
« Observatoire des pratiques de l’orientation » du Comité d’Orientation Scientifique d’Aquitaine Cap Métiers
(CARIF Aquitaine). Conseiller professionnel de métier (ANPE devenue Pôle Emploi), il a été le Secrétaire
Départemental de la CGT (Gironde) et c’est à ce titre qu’il siège au CESR. Le CESR et le Conseil Régional
constituent « La Région », Collectivité territoriale de plein exercice depuis 1986. Saisi pour avis par l’exécutif
régional, le CESR peut également « s’autosaisir » afin d’étudier toute question intéressant l’échelon régional.
Vincent CAPUTO : Ancien collaborateur de l’AFPA, il est depuis janvier 2010 Responsable de l’animation
12
réseau des OPCA et des FONGECIF au sein du FPSPP (Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours
13
Professionnels). Créé par l’ANI du 7 janvier 2009 et par la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à
la formation professionnelle tout au long de la vie, le FPSPP est une association constituée entre les
organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel.
André CHAUVET : Formateur, consultant. Après 25 ans d’expérience en orientation professionnelle, il propose
une approche situationnelle et stratégique depuis plusieurs années dans différents dispositifs et dans de
nombreuses structures. « Homme de métier », il est très investi sur le plan national dans des études d’impacts et
de mesure des effets des politiques et des dispositifs de formation et d’orientation tout au long de la vie.
Alexandre LHOTELLIER : Maître de conférences à l'Université de Nantes, Consultant et Formateur, il a
réalisé une part importante de sa carrière professionnelle dans l’enseignement. Parallèlement, il a mené une
activité de conseil qui l’a amené à développer sa théorie de l’accompagnement et du conseil sur les bases
conceptuelles du counseling. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dont « La relation de conseil » (1973)
et « Tenir Conseil » (2001).
10
Bien qu’absente pour raisons familiales aux Journées de Salies, sa contribution à nos travaux est néanmoins une évidence.
11
Conseil Économique et Social Régional devenu, depuis le 13 juillet 2010, le Conseil Économique, Social et
Environnemental Régional (CESER).
12
A remplacé le Fonds Unique de Péréquation (FUP).
13
Accord National Interprofessionnel.
8
LE THÈME DES 3IÈMES JOURNÉES
DU « TENIR CONSEIL EN GASCOGNE ».
Source : proposition de formation. Journées de Salies de Béarn (64) – Juin 2010.
Après « les premières, puis les deuxièmes journées du Tenir Conseil en Gascogne », qui se
sont déroulées successivement en mai 2008 à Hagetmau (40) et en juin 2009 à Claouey (33),
-deux temps fondateurs d’une communauté de pratiques en émergence-, ces deux nouvelles
journées de formation devaient permettre aux participants, d’une part, d’ancrer leurs choix
de pratique dans une éthique professionnelle en questionnement et, d’autre part, de coconstruire avec les différentes figures et expressions de l’usager des services une démarche
contractuelle qui procède d’une controverse organisée et féconde sur les termes du service
à rendre.
Empruntant à Pierre CAUVIN son «modèle des quatre corps »14, nous avons expérimenté
et confronté les logiques à l’œuvre dans la définition du « conseil à rendre », comme dans
la mesure du « conseil rendu », suivant que l’on appartient au corps qui :
□
□
□
□
fournit les ressources,
transforme les ressources,
fournit les services,
utilise les services.
Nos travaux ont été influencés par les attendus de la loi du 24 novembre 2009 relative à
l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Ils ont également fait
référence au « Premier état des lieux et principaux enjeux aquitains en matière
d’éducation, de formation, d’emploi et d’insertion » réalisé par le Conseil Économique et
Social Régional15. Ils ont enfin été traversés par la réflexion menée au sein de la commission
« Observatoire des pratiques de l’orientation » du Comité d’Orientation Scientifique
d’Aquitaine Cap Métiers (CARIF Aquitaine).
14
In « Un modèle pour gérer les organismes de services à but non lucratif » - Cahiers de l’ISMEA, revue des
sciences de gestion – Octobre/Novembre/Décembre 1981.
15
Rapport publié en juin 2009 – www.cesr-aquitaine.fr
9
Considérant avec Théodore MONOD :
□ [que] « l’union féconde n’est pas celle qui abolit les virtualités spécifiques et fait
d’une précieuse diversité je ne sais quel informe et désolant magma »,
□ [que] « l’union véritable exalte les personnalités associées, découvrant dans leur
contact mutuel, et plus encore dans un but commun proposé à leur activité, des
raisons nouvelles d’être pleinement elles-mêmes et de mettre leurs richesses
respectives au service du bien collectif 16 »,
l’usager, le praticien, le chercheur et l’institutionnel se sont donc retrouvés pendant deux
jours au centre d’une « dispute 17 » réglée où chacun occupe une place singulière, mais
totalement dépendante les unes des autres ; où chacun interprète une partition
autocentrée, mais qui doit faire l’épreuve de la compréhension qu’en a l’Autre ; où chacun
dit ce qu’il est en situation d’attendre, mais n’obtient jamais et au mieux de l’Autre que ce
qu’il est en capacité d’apporter...
Le texte qui suit manifeste l’attachement de ses auteurs à cinq ancrages que
la mise en forme distingue, mais que la réflexion collective conjugue :
1. « La force du conseil, c’est la présence de l’Autre ».
2. « La démarche de conseil : la voie est contre le modèle ».
3. « La démarche de conseil assume le doute avec confiance ».
4. « L’acte signe le sens ».
5. « N’ayons pas peur : tenir debout pour faire face ».
La forme choisie n’a d’autre intérêt que de donner à voir le fond de nos
débats. Le plus clairement possible.
16
17
In « Dictionnaire humaniste et pacifiste » Ed Le cherche midi – 2004.
Au sens médiéval du terme utilisé par Yves CLOT (Cf. Controverse).
10
LA FORCE DU CONSEIL, C’EST LA PRESENCE DE L’AUTRE.
Le conseil procède de la rencontre. C’est pourquoi le conseil convoque et entretient
la sensibilité à l’Autre. C’est cette sensibilité qui fonde l’expérience d’une coprésence par
laquelle peut s’opérer l’émergence du sens. « Faire sens » s’inscrit toujours dans un « faire
Société ».
La démarche de conseil procède ainsi d’une conscience assumée de l’altérité et
c’est pourquoi elle se veut une expérience humanisante. Il s’agit là tout autant d’une
caractéristique que d’une condition. La démarche de conseil engendre le sens et interroge
sans cesse la qualité (et ses critères) de la présence à l’Autre.
Son opus n’est pas pour autant compassionnel. Révélateur de différences accueillies,
le conseil féconde l’hospitalité18 en lui conférant des perspectives concrètes. Touché par la
singularité de l’Autre, le conseil façonne les clés d’ouverture du champ des possibles.
La conscience de l’existence de l’Autre fonde la nécessité de la délibération. Celle-ci
procède de l’acceptation d’Autrui comme « infiniment autre », comme un « tout autre »,
avec lequel la coprésence n’est possible qu’à la condition d’une « composition ».
Toute rencontre authentique est une expérience de présentification ouvrant sur
une (re-) découverte de Soi. C’est par cette expérience que le conseil restaure le processus
dynamique du « Je », refondant l’expérience d’un devenir qui appelle une « recomposition
permanente » de la représentation de Soi. La délibération est la voie dialogique de cette
recomposition où la présence d’Autrui stimule la plasticité de Soi, jusqu’aux limites
incertaines de la rupture (avec Soi-même comme avec l’Autre…).
Le conseil est donc le théâtre où se rejoue la scène primitive de l’altérité,
expérience fondatrice du « Je » et où s’enracine l’impératif de la délibération comme
possibilité d’un « Nous ».
Sensible au décor initial et à ses évolutions19, qui en influencent nécessairement
l’expression, le conseil n’est pas pour autant vitalement dépendant des accessoires de la
mise en scène. Ainsi le conseil n’est-il pas aliénable au désordre ou la pénurie : il donne un
sens à la réalité, quelle qu’elle soit, comme aux émotions qui s’y rattachent.
18
19
Entendue ici comme un geste de mise à égalité, un partage qui va bien au-delà du service et qui n’est pas sans risque.
Comprendre ici l’ensemble des conditions, plus ou moins favorables, qui entoure les situations de conseil.
11
Avec lucidité, et par conséquent avec des limites, le conseil s’affranchit de la fatalité.
Il est la source d’un génie de situation. Parce que son contenu est systématiquement et
méthodiquement discuté, le conseil ne peut être défini de manière absolue. Sa force est
dans sa capacité à bouger, à s’adapter et à se nourrir des questionnements qu’il fait naître.
Le conseil est un processus vivant, source de conflits, de créations et d’expériences nouvelles.
Le conseiller affirme et entretient une
considération positive inconditionnelle de et
à l’Autre, dans un environnement favorable à
son épanouissement.
La pratique professionnelle du conseiller
alimente la négociation et reconnaît le
contrat.
Ce qui est possible, comme ce qui ne l’est pas,
procède d’un constat à partager au plus tôt,
constat certifié révisable à tout moment, au
gré des opportunités qui jalonnent la
démarche de conseil.
12
LA DEMARCHE DE CONSEIL : LA VOIE EST CONTRE LE MODELE.
Le conseil n’est réductible ni à une procédure normée ni à un protocole
indistinctement applicable20. A l’inverse, son universalité est garantie par sa construction
originale, renouvelée, et par la singularité de ses emprunts21.
Le conseil résiste à l’enfermement dans la prestation et tend à lui substituer la coélaboration du service à rendre. Cette création partagée est par essence conflictuelle. Les
collisions, en termes de contraintes, d’intérêts, de risques encourus, de gains espérés, sont
constitutives des temps de la délibération. Le conseil révèle les alliances possibles et
impossibles qui sont autant de moyens disponibles ou non pour atteindre les buts consentis.
Le conseil s’apprécie à travers la mobilisation réciproque et l’expression
coordonnée d’engagements mutualisés. S’il n’y pas de mouvement sans engagement, il n’y
a pas plus d’engagement sans sécurité. Le conseil tient pour fondateur un cadre d’exercice
réglé et rassurant, c'est-à-dire reconnu comme utile et utilisable.
Le conseil est une exploration organisée qui conduit à des découvertes. A ces
occasions, l’Autre peut affirmer ou devenir ce qu’Il est. Le conseil favorise une
transcendance, c'est-à-dire un possible dépassement de Soi, à la mesure des changements
rendus possibles.
Le conseil institue des rapports symétriques qui témoignent, à leur tour, d’une
situation de conseil effective. Le conseil est une démarche réflexive qui suppose et
entretient l’expression de la citoyenneté. Une citoyenneté résolument contributive, à
l’intentionnalité créative, permettant au citoyen d’avoir prise sur le monde qui l’entoure.
La pratique professionnelle du conseiller
intègre, sans dissimulation, le tâtonnement
et l’étonnement comme les signes
caractéristiques d’une offre de service en coconstruction.
20
On se rappellera ici la pièce de théâtre « 7022 Z : Errance en mode anonyme », créée par la Compagnie « Imago Mundi »
le 10/06/10 à Salies de Béarn et écrite par André CHAUVET.
21
Au-delà des outils, il s’agit davantage ici de signaler la multiplicité des conditions d’accès (Cf. La « segmentation » des
publics).
13
LA DEMARCHE DE CONSEIL ASSUME LE DOUTE AVEC CONFIANCE.
Le conseil est une construction nécessairement personnalisante. Dès lors, le conseil
récuse la standardisation et reconnaît l’incertitude comme une caractéristique intrinsèque
de la condition humaine.
Le doute raisonne comme l’assurance que l’incertitude est prise en compte à son
juste niveau. Les tentatives, - intuitives ou maîtrisées -, de les combiner favorisent la prise
d’initiatives.
Les certitudes alimentent l’inertie. L’incertitude appelle le mouvement. Le conseil
met l’incertitude et le doute en chantier pour en faire des objets de travail, donc de
création.
Le conseil invalide le despotisme de l’expert et combat les mécanismes de son
élection22. Le conseil ne se satisfait pas plus de l’injonction qu’il n’autorise l’usage du savoir
à des fins de domination ou de manipulation.
Si la posture de l’expert entraîne le naufrage du conseil, les tensions sur le front de
l’expertise sont pour autant inhérentes à la fonction conseil. Elles doivent donc être
reconnues et considérées en tant que telles. Cette conscience, en particulier à l’esprit des
professionnels, a la vertu attendue de la prévention. Elle exige également de penser une
organisation du travail qui favorise l’analyse critique des faits de pratique23.
Le conseil ne fuit ni les temps de doute ni les temps de la controverse entre ses
parties prenantes. Reliant l’effort à l’œuvre, le conseil a pour ambition d’assembler avec
pertinence ces temps opportuns. Le conseil s’entraîne de leurs réitérations.
Les professionnels veillent à ne pas se laisser
séduire par leur technicité.
Bénéficiaire(s) et conseiller disposent d’une
capacité égale à mettre en examen les
engagements consentis par les parties et à
juger, contradictoirement, de leur mise en
œuvre comme de leur efficacité.
22
Renoncer à s’auto-ériger en expert ne suffit pas forcément à annihiler la demande d’expertise.
D’une certaine manière, les « Journées du Tenir Conseil en Gascogne » participent à cette critique utile, puisque
finalement destinée à « se disputer » régulièrement à propos de la qualité du travail.
23
14
L’ACTE SIGNE LE SENS.
La Valeur n’a pas de sens s’il ne lui est pas donné d’actes.
Le conseil est à la fois la palabre24 et « le pas d’après » la palabre. Le conseil ne se
tient pas à l’écart de l’action, pas plus qu’il n’en est mis à la porte, et ce quelque soit le degré
d’intensité ou le rythme25de l’action qu’il génère.
« Délibérer pour un agir sensé » sont les tenants et aboutissants indissociables du
conseil. Si l’action est la manifestation d’une volonté éclairée26, l’acte est le signe d’un
accomplissement. Le conseil par sa mise en actes fait sens et crée de la valeur, observable à
ses effets sur la situation, objet initial et réactualisé de la délibération.
Si le conseil procède généralement d’une mission reçue dans un cadre identifiable27,
il ne peut se satisfaire de la seule préexistence de ses intentions. Il convoque l’engagement,
considérant l’action et l’évaluation28 de ses effets comme des épreuves démonstratives de
sa consistance et de sa légitimité29.
Si le conseil fait appel à des techniques, il est d’abord politique. Il aspire à renforcer
le pouvoir d’agir de chacun en créant un « agir collectif » dans lequel chacun se retrouve. Le
conseil, s’il est émancipateur, ne participe pas pour autant au renforcement de
l’individualisme. Au contraire, le conseil compte parmi les formes les plus abouties du
« vivre ensemble », qu’il s’exerce dans le cadre d’une relation duelle, d’un groupe restreint,
ou d’une communauté plus importante.
La pratique professionnelle du conseiller
entretient la dépendance entre la
Société et les citoyens, c'est-à-dire
l’équilibre des facultés respectives à
peser légitimement sur des choix
socialisés.
24
En référence à la palabre africaine, coutume de rencontre, de création ou de maintien du lien social permettant
également de régler des contentieux.
25
Le temps de l’action ne suit pas forcément immédiatement le temps du conseil. Le différé peut faire penser qu’il n’y a pas
eu d’actions, ce qui ne correspond pas nécessairement à la réalité mais plus sûrement au temps réservé à la prise de
décision.
26
Est écarté ici toute forme pulsionnelle (passage à l’acte).
27
C’est le cas bien sûr pour les professionnels dans nos secteurs d’intervention.
28
L’évaluation est entendue ici comme la mesure de la valeur.
29
La légitimité est comprise ici comme la concordance entre ce qui est fait, ce qui devrait être fait et ce qu’il est possible de
faire. A ce titre, elle n’est probablement jamais durablement acquise.
15
N’AYONS PAS PEUR : TENIR DEBOUT POUR FAIRE FACE.
Le conseil n’est pas une revendication. C’est une démarche assumée qui s’explique30
et se défend ; Une démarche qui peut être exposée à tous et comprise par tous, quelle que
soit la place ou la fonction occupées.
Le conseil réfute la technicisation31. Il convoque une pédagogie active et accessible,
illustrée par des situations réelles qui permettent d’en saisir, voire d’en expérimenter, au
plus près les attributs et les résultats.
Le conseil ne méconnait pas les contraintes de l’environnement, y compris en
matière de financement. Mais son essence ne saurait s’y dissoudre, fût-ce au prix de l’entrée
en résistance de ses valeurs et de ceux qui s’en réclament.
Le conseil se nourrit et se renforce de la critique sur lui-même. C’est en soignant ses
insuffisances chroniques que le conseil se défend utilement et durablement.
Le soin porté au conseil est une responsabilité à partager entre ses parties
prenantes 32 . Provoquer, instruire et accepter 33 sa conflictualité confère au conseil la
meilleure expression de son humanité.
La pratique professionnelle du conseiller
résiste aux dogmes au prix de la meilleure
transparence quant à ses effets.
Pour être reconnue, donc discutable, la
pratique professionnelle doit d’abord être
connue du conseiller lui-même.
30
Il est clairement du rôle des conseillers de dire « comment ils font ce qu’ils font ».
On pense ici notamment à la « psychologisation », voire à la « psychopathologisation » des rapports sociaux.
32
Les conseillers se reconnaissent ici une responsabilité majeure, qui fait appel à la solidarité professionnelle et à leur
capacité à transformer leurs pratiques en savoir collectif.
33
Accepter la conflictualité, c’est d’abord renoncer à l’illusion de son éradication.
31
16
CONCLUSION.
La conclusion de ce type de travail collectif ne peut être que provisoire. Il s’agit
moins là d’une limite douloureusement avouée que d’un encouragement et d’une
espérance à poursuivre.
Encore et toujours. Encore, parce que nous ne saurions nous satisfaire de ce à quoi
nous sommes parvenus.
Toujours, parce que « le métier ne tient pas dans la main […] et qu’il ne se tapit pas
non plus dans la communauté de pratiques »34. « Le métier relie dans des discordances plus
ou moins créatrices des instances impersonnelles, transpersonnelles, interpersonnelles et
personnelles. A charge pour chaque professionnel, avec ses collègues, de maintenir cette
architecture au contact des surprises du réel, de la lester par ce qui la tient debout : la qualité
du travail à jamais discutable35 ».
Est-ce là un exercice de formation continue ? Nous répondons que oui, sachant être
en contradiction avec la lecture « à la lettre » de sa définition contemporaine. C’est donc « à
l’esprit » que nous nous référerons pour convaincre et obtenir la possibilité de faire vivre
sans délai, c'est-à-dire sans fin, notre « dispute professionnelle ». Comme le montre Yves
CLOT, il en va ici de notre santé au travail.
Mais puisque « l’esprit » est appelé à nous servir de porte drapeau36, laissons nos
derniers mots et la synthèse de nos convictions à Paul RICOEUR, philosophe de l’Éthique :
« Viser la vraie vie avec et pour
l’autre dans des institutions justes »
Soi-même comme un autre. Ed du Seuil, Paris – 1990.
34
Yves Clot, Le travail à cœur, op.cit.
Ibid., p. 182.
36
L’emblème comprend la devise : « Résistement » et « Acconseillement »…Ces deux néologismes, « inventés » avec
humour par quelques conseillers, prétendent concilier une attitude éthique non figée avec une action de conseil qui inclut
l’accompagnement.
35
17
CONCLUSION ALTERNATIVE.
Des conseils…..
J’en avais plein.
Je m’en étais bien occupé,
Je les avais choyés, bichonnés, astiqués.
Des conseils bien élevés. Bien à moi.
Je les tenais bien serrés contre moi.
Et puis un jour, ils m’ont dit :
-
« tu nous serres trop fort, on étouffe !
- ah bon… ? mais c’est avec amour !
- oui, mais on étouffe quand même ! »
Alors, j’ai desserré mon étreinte.
Ils en ont profité pour partir et vivre leurs vies ailleurs….
Je me suis ressaisi et j’en ai retrouvé.
Des mieux d’ailleurs. Plus à ma mesure.
Et puis on m’a dit : faut pas les garder.
Faut les donner.
Alors, j’ai donné des conseils. Les miens.
Ce n’était pas mieux.
Quand je les donnais, tout juste si on me disait merci.
Il y en a même qui se retournaient en me disant « il vaut rien ton conseil ! » et d’autres, les
pires, qui font la mendicité du conseil, qui te tendent la main, t’implorent, pour après te dire
« on t’a rien demandé !»
Avec tout ça, je me retrouve complètement perdu.
Sans conseil, ou avec des conseils, qui ne valent plus rien.
18
Alors, dans ma détresse, je me suis adressé à un conseiller en conseils :
« C’est pas grave. Au contraire, c’est bien. C’est ton chemin. Maintenant tu es comme nu.
Sans tes apparats. C’est peut être là que tu peux être disponible pour de véritables rencontres
et être utile… »
Je dois dire que je n’ai pas tout compris. Ce que je sais, c’est que je ne sais plus rien. Et c’est
ça mon souci !
Professeur PILULE, alias Denis BARBE.
Directeur de la Mission Locale du Libournais (33).
Et clown.
Source :
•
Improvisation du 11/06/2010. 13h30. Fin du déjeuner à l’hôtel du Parc. Le Professeur PILULE termine sa
performance sur les genoux, face au Professeur LHOTELLIER.
•
Mise en forme le 20/06/2010. Publié avec l’aimable autorisation du Professeur PILULE.
19
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-
Construire
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