E´DITORIAL Ce fascicule de la Revue d`histoire des mathématiques

Transcription

E´DITORIAL Ce fascicule de la Revue d`histoire des mathématiques
ÉDITORIAL
Ce fascicule de la Revue d’histoire des mathématiques, qui est le dernier que
je préface en ma qualité de rédactrice en chef, présente une grande diversité d’approches. Dans le premier article, Jaume Paradı́s, Josep Pla et Pelegrı́ Viader proposent une interprétation, fondée sur des outils mathématiques, des méthodes mises en œuvre par Pierre de Fermat dans la seconde
partie de son fameux Traité de la quadrature et qui avaient jusqu’à maintenant semblé obscures aux commentateurs. La note en fin de volume, rédigée par M. Céu Silva et Antoni Malet, décrit, quant à elle, une rareté bibliographique, une géométrie pratique du xvie siècle espagnol quasiment inconnue des historiens des mathématiques. L’approche philosophique prédomine dans les deux autres articles : Anouk Barberousse s’appuie sur des
textes d’Émile Borel pour analyser le rôle de l’approximation dans les représentations scientifiques du réel. Finalement, Pierre Cassou-Noguès étudie, en suivant des notes inédites de Kurt Gödel, l’interprétation quelque
peu ambiguë que ce dernier donne de la thèse de Turing et analyse la critique que Gödel propose de ce qu’il croit être la thèse de Turing.
Depuis que j’ai succédé, en 1998, à Christian Gilain à la tête de la Revue d’histoire des mathématiques, le contexte scientifique et éditorial a bien
changé. D’abord les histoires disciplinaires ont subi un relatif déclin au
profit d’une histoire des sciences qui s’intéresse davantage à des problèmes
transversaux comme la validation des résultats au sein des communautés
scientifiques, la circulation de résultats produits localement, les formes de
communication, l’étude des controverses scientifiques, le rôle des images,
etc. Cela impose, pour l’histoire des mathématiques, la nécessité de s’ouvrir sur ces problématiques plus ou moins nouvelles. C’est un des défis que
la revue aura à relever dans les prochaines années : s’insérer plus fortement
dans les débats propres à l’histoire des sciences et s’ouvrir davantage sur les
sciences humaines, sans cependant négliger l’inscription dans son terreau
d’origine : les mathématiques.
Puis, la revue doit faire face aux innovations introduites par le développement de l’édition numérique qui impose ses formes éditoriales et organisationnelles propres. Grâce au savoir-faire de la Société mathématique
de France, la Revue d’histoire des mathématiques peut tenir le pas avec les innovations technologiques. Il suffit de consulter sa version en ligne pour
s’en rendre compte. Mais la dématérialisation des supports entraı̂ne, en
son sillage, des modifications importantes concernant les procédés de validation et de diffusion. Nous nous trouvons aujourd’hui face à des versions
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ÉDITORIAL
multiples d’un même article, qui peuvent être lues en ligne avant la publication d’une version sanctionnée par des rapporteurs appartenant à ou
choisis par un comité de rédaction. Les procédés d’évaluation s’en trouveront forcément modifiés. Comme le seront aussi les pratiques de lecture, le
lecteur sélectionnant sur la toile le seul article qui l’intéresse (et peut-être
la version à laquelle il a le plus facilement accès). Cette lecture sélective
aura des conséquences pour la diffusion d’une revue comme la nôtre qui
devra se faire une place sur les portails offrant des bouquets de revues auxquels s’abonnent nos institutions globalement. La Revue d’histoire des mathématiques devra s’adapter à ces pratiques nouvelles et évoluant très rapidement.
Je suis confiante que Norbert Schappacher, qui a accepté de prendre la
responsabilité de la revue, saura faire preuve d’inventivité et opérer les innovations nécessaires à son développement. Je lui souhaite bonne chance
pour la tâche, noble mais ardue, qui l’attend et l’assure de mon entier soutien dans les changements structurels qu’il faudra mettre en place.
Finalement, mes remerciements vont aux comités de rédaction successifs avec lesquels j’ai eu le plaisir de collaborer dans la décennie passée.
Grâce à leur travail d’évaluation et de suivi des articles soumis pour publication à la revue, ils ont fait de la Revue d’histoire des mathématiques l’outil
de recherche et de communication qu’elle est aujourd’hui, et lui ont obtenu la place qui lui revient sur le plan international. Place qu’il s’agit de
consolider à un moment où les bureaucrates entreprennent d’établir arbitrairement des rangs, qui scellent le sort de nos publications, sans que les
critères soient clairement énoncés ou, au cas où ils le sont, suivis. Je tiens à
dire plus particulièrement ma gratitude à Karen Parshall qui, en dépit de
ses engagements très nombreux et bien connus de notre communauté, a
minutieusement relu et révisé mes interventions en anglais ainsi que celles
des auteurs de la revue, et à Nathalie Christiaën, de la Société mathématique de France, dont le dynamisme et le soutien sans faille ont été un aiguillon précieux tout au long de notre collaboration.
Jeanne Peiffer
EDITORIAL
This issue of the Revue d’histoire des mathématiques / Journal for the History
of Mathematics, the last one for which I write an editorial in my capacity as
editor-in-chief, presents a great variety of approaches. In the first paper,
the authors Jaume Paradı́s, Josep Pla and Pelegrı́ Viader offer a mathematical interpretation of the methods used by Pierre de Fermat in the second
part of his famous Treatise on quadrature, methods that have thus far remained obscure to commentators. The note written by M. Céu Silva and Antoni Malet, that closes the volume, describes a bibliographical rarity, a practical geometry from sixteenth century Spain which is virtually unknown to
historians of mathematics. A philosophical approach is prevalent in the
other two papers: Anouk Barberousse uses writings by Émile Borel to analyze the role of approximation in scientific representations of reality. Finally, Pierre Cassou-Noguès studies unpublished notes by Kurt Gödel in
order to show that Gödel’s critique of Turing’s thesis stems from Gödel’s
somewhat ambiguous interpretation of Turing’s work.
Since 1998 when I succeeded Christian Gilain as editor-in-chief of the
Revue d’histoire des mathématiques / Journal for the History of Mathematics, the
journal has undergone significant scientific and editorial changes. Disciplinary histories have declined relative to a history of science concerned
with transversal themes like the validation of results by scientific communities, the circulation of results established locally, forms of communication,
the study of scientific controversies, the role of diagrams, etc. The history
of mathematics must now open itself to these newer themes. This is one
of the challenges the journal will face in the near future: it will have to
participate more aggressively in debates in the history of science and open
itself more to the human sciences, without, however, neglecting its roots in
mathematics.
The journal will also have to confront the challenges presented by innovations in digital publishing; these impose their own editorial and organizational forms. Thanks to the know-how of the Société mathématique de
France, the Revue d’histoire des mathématiques / Journal for the History of Mathematics has been able to keep pace with these technological innovations, as
a glance at the journal on-line shows. But the loss of the materiality brings
in its wake important changes in validation procedures and diffusion. Today, we are confronted with multiple versions of one paper; these may be
read on-line before the publication of a version that has been accepted by
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EDITORIAL
referees belonging to or chosen by an editorial board. Evaluation procedures will thus inevitably change. Similarly, reading practices will change
as readers will be able to select on the web a single paper of interest (and
choose the version most easily accessible). This kind of selective reading
will have consequences for the diffusion of a journal like ours; it will be
available at portals offering the numerous bundled journals to which our
institutions subscribe globally. The Revue d’histoire des mathématiques / Journal for the History of Mathematics will have to adapt to these new and quickly
changing practices.
I am confident that Norbert Schappacher, who has agreed to take over
at the journal’s helm, will show inventiveness and bring about the innovations needed for the journal’s further development. I wish him the best of
luck in this noble but difficult task, and I pledge him my complete support
of the structural changes which will be necessary.
Finally, I thank the successive editorial boards with which I had the pleasure to collaborate over the last decade. Their evaluation of and followup on papers submitted for publication have made the Revue d’histoire des
mathématiques / Journal for the History of Mathematics the valuable tool for research and communication that it has become today. They also helped the
journal attain the place it enjoys in the international arena, a place, however, that must be secured in this period in which bureaucrats attempt to seal
the fate of our publications by arbitrarily ranking journals in the absence of
clearly articulated or properly followed criteria. My special thanks also go
to Karen Parshall who, despite her various engagements all well known to
our community, has carefully read and revised my English texts as well as
those of the journal’s authors, and to Nathalie Christiaën, of the French
Mathematical Society, whose dynamism and unfailing support sustained
me throughout our collaboration.
Jeanne Peiffer